3. Le danger de la " renationalisation " de la PAC
Les
nouvelles propositions de la Commission sur la modulation des aides remettent
à jour les risques de renationalisation de la PAC, conduisant à
des inégalités de traitement importantes entre agriculteurs.
La politique communautaire agri-environnementale permet d'illustrer ce qu'on
qualifie habituellement de " délégation de la politique
d'aides directes ". Il est en effet difficile de fixer de manière
décentralisée des cahiers des charges environnementaux pertinents
au sein de l'Union Européenne, du fait des conditions agronomiques et de
la spécificité locale des problèmes. Cette
réalité est bien prise en compte par l'Acte unique de 1986
(article 130 R, 4) et par les règlements agri-environnementaux
de 1992 qui précisent que les conditions d'octroi et le niveau des aides
doivent être définis par les pays membres et être soumis
à l'approbation de la Commission. Ainsi, la Commission définit
l'instrument et demande à l'Etat de présenter un projet.
Or, dans ce cas, les gouvernements sont souvent enclins à accorder des
soutiens importants au secteur agricole, l'Etat définissant un programme
qu'il ne finance que partiellement puisque la grande majorité du
financement est assurée par Bruxelles. Il peut en résulter une
mauvaise allocation des ressources et une perte d'efficacité
environnementale.
Au simple coût budgétaire, s'ajoute le
coût des distorsions de concurrence générées par les
politiques décentralisées
.
Certes, les mesures d'accompagnement sont ciblées sur des régions
spécifiques et les sommes en jeu, sans être négligeables
(6,5 milliards d'écus pour la période 94-97) sont faibles
par rapport à d'autres formes de soutien.
La mission d'information ne souhaite en aucune façon " faire le
procès " des mesures agri-environnementales. Cependant, celles-ci
illustrent bien les limites et les dangers de multiplier des mesures tendant
à déléguer davantage la gestion d'autres composantes de la
PAC aux Etats-membres.
En principe les paiements agri-environnementaux sont limités à
couvrir des pertes de revenu liées à la mise en oeuvre de
pratiques plus respectueuses de l'environnement. En pratique, les Etats ont une
grande marge de manoeuvre et peuvent, de fait, soutenir les revenus de certains
agriculteurs sous couvert de mesures agri-environnementales.
A cause de la possibilité d'aides financées intégralement
par le budget national, et ce même dans le cadre d'une enveloppe
communautaire, certains craignent une utilisation de ces mesures comme
parapluie pour un soutien au revenu déguisé. Ces pratiques se
sont d'ailleurs généralisées en Autriche - 91 %
du territoire y sont éligibles aux primes agro-environnementales- en
Allemagne, en France et en Italie pour maintenir des cultures extensives. Il y
a ainsi lieu de penser que des objectifs de soutien au revenu se sont
rajoutées aux préoccupations environnementales dans la
définition des programmes. Il en est de même pour le niveau des
primes.
Les sommes payées pour la réalisation d'un objectif donné
sont très variables. Les aides globales des programmes sont par exemple
de 30 écu/ha et 500 écu/ménages concerné
en Espagne, contre respectivement 500 et 4 500 écu au
Luxembourg.
Si de telles politiques décentralisées modifient les incitations
à produire, elles ne se limitent donc pas à soutenir des revenus
mais peuvent avoir pour but d'influer sur les conditions de concurrence.
Or,
le fait que les aides agri-environnementales soient classées dans la
boîte " verte " dans l'Uruguay Round ne constitue bien
évidemment pas une preuve de leur absence d'impact sur la production
.
Certes cet effet de la décentralisation des politiques est difficile
à évaluer.
La mission d'information rappellera simplement que lors de la crise de l'ESB,
chaque Etat a pu disposer d'une enveloppe budgétaire pour
dédommager les productions du secteur bovin. Or, alors qu'en France les
producteurs de vaches allaitantes ont perçu une somme conséquente
par tête de bétail, les producteurs allemands ont reçu une
participation très faible de la part de l'Etat allemand.
C'est pourquoi les propositions de la Commission Européenne en
matière de " décentralisation " des politiques,
même si les sommes considérées proviennent du
Feoga-garantie, doivent être examinées avec beaucoup de
précaution et faire l'objet de projections adéquates.
L'instauration de contrôles communautaires et de mécanismes
incitatifs est, de plus, nécessaire. Ces contrôles peuvent
consister en la fixation par l'autorité communautaire de critères
précis (seuils...) permettant d'éviter toute différence
importante de traitement entre chaque Etat.