c) Le cadre des futures négociations de l'OMC

La perspective de la reprise des négociations d'ici à 2000 est hypothéquée par les difficultés actuelles du Président des Etats-Unis à obtenir de la part du Congrès l'autorisation d'utiliser la procédure de négociation dite " fast track ", qui lui permet de négocier plus librement à l'OMC, le Congrès ne pouvant par la suite que ratifier ou rejeter en bloc, dans un délai limité, l'accord obtenu par le Gouvernement, sans pouvoir y apporter de modification.

Votre mission d'information estime qu'en aucun cas l'Europe ne doit engager de discussions commerciales internationales si l'administration américaine n'obtient pas une telle autorisation de la part du Congrès.

En effet, en l'absence de " fast track ", l'issue des négociations pourrait être remise en cause -et en particulier les éventuelles concessions américaines- au moment de sa ratification par le Congrès, lequel se garderait bien de supprimer les concessions Européennes.

Certaines personnalités entendues par votre mission d'information ont estimé qu'en tout état de cause, le président américain obtiendrait vraisemblablement, dans les tous prochains mois, une telle autorisation, si elle était sollicitée pour un mandat plus restrictif que la demande actuelle, pouvoirs exécutif et législatif étant globalement d'accord en matière agricole. Malgré les développements les plus récents de l'actualité, on ne peut donc exclure la perspective d'une reprise rapide des négociations, même si l'échéance en est provisoirement repoussée.

Sans préjuger du résultat de ces négociations, qui seront certainement longues et difficiles, il serait irresponsable de ne pas tenir compte, à l'heure de la réforme de la politique agricole Européenne, des éléments du contexte qui se mettent en place peu à peu et laissent entrevoir les stratégies des principales parties.

En particulier, votre président et vos rapporteurs ont pu constater, lors de leur déplacement aux Etats-Unis, dans le cadre de la préparation du présent rapport, que la récente réforme de la politique agricole américaine s'inscrivait dans une démarche offensive pour la conquête des marchés mondiaux et affirmait jouer le jeu de la compatibilité avec les règles de l'OMC.

La stratégie agricole mondiale des Etats-Unis

La loi agricole (ou " Farm Bill ") votée en 1996 aux Etats-Unis vise notamment à augmenter la pénétration des produits agricoles américains sur les marchés extérieurs . Dans ce but, l'administration a prévu une optimisation des soutiens à l'exportation et l'intégration de plus en plus d'aides aux agriculteurs dans la " boîte verte " de l'OMC. Les Etats-Unis ont donc adopté une logique de compatibilité entre leur politique agricole et les règles actuelles du commerce international, cherchant à se mettre en situation de bénéficier du développement annoncé des marchés mondiaux et de dénoncer à l'OMC les partenaires qui ne seraient pas, à leur sens, aussi vertueux.

Cette stratégie est un tournant dans la politique agricole américaine, vieille de plus d'un demi-siècle.

La politique agricole américaine : un soutien actif, né en 1933

Les fondements de la politique agricole américaine remontent aux années 1930 : dans le cadre de sa politique de relance, ou " New Deal ", après la grande dépression le président Roosevelt fit adopter en 1933 l'" Agricultural Adjustement Act ", qui a jeté les bases de l'intervention de l'Etat fédéral en agriculture, par des mesures de soutien des prix et des revenus agricoles (aides directes en contre-partie d'une réduction des emblavements ; prêts de soutien (10 ans) jouant le rôle de prix de soutien...) ainsi que par des programmes de développement rural et de conservation des ressources naturelles.

En 1938, puis en 1949, le cadre législatif du soutien fédéral à l'agriculture fut complété par 2 lois, souvent amendées par la suite, modifiant peu à peu les formes de l'intervention de l'Etat, comme le détaille l'encadré ci-après :

SOIXANTE CINQ ANS DE POLITIQUE AGRICOLE AMÉRICAINE

Les fondements : En 1933, dans le cadre du New Deal est adopté l'" Agricultural Adjustment Act " qui prévoit des mesures de soutien des prix et des revenus et de diminution de l'offre :

- les producteurs qui acceptent de réduire leurs emblavements, ou de conclure des accords de commercialisation avec les transformateurs, reçoivent des aides directes ;

- les agriculteurs participant aux programmes de réduction des surfaces cultivées bénéficient de prêts de soutien (loans) qui leur permettent de ne pas commercialiser immédiatement leurs récoltes. Ces prêts sont " non exigibles ", ce qui signifie que l'agriculteur peut les rembourser en abandonnant sa récolte à l'organisme d'intervention, appelé Commodity Credit Corporation (CCC). Le loan joue donc le rôle de prix de soutien.

En 1938 : la loi fixe le montant du prix de soutien des principales cultures. Des quotas de surface et éventuellement des limitations de quantités commercialisées sont instaurées par exploitation. Les aides directes sont plafonnées à 10 000 dollars par agriculteur. Un programme d'assurance-récolte est crée.

En 1949 : la loi introduit un dispositif d'intervention pour les produits laitiers .

En 1965 : la politique agricole américaine amorce un tournant puisque la loi réduit les prix de soutien au niveau des cours mondiaux. Désormais, l'aide aux revenus agricoles dépend surtout de l'effort budgétaire (sous forme d'aides directes), beaucoup plus que du niveau des prix de soutien et des mesures de contrôle de la production.

En 1973 est crée le système de prix d'objectif (target price) et de paiements compensatoires , appliqué jusqu'en 1995. Le prix d'objectif, différencié par culture, est sensé assurer une rémunération correcte aux producteurs. Son calcul est fondé, non sur la notion de parité de revenu utilisée jusqu'alors, mais sur une estimation des coûts de production. L'agriculteur qui participe aux programmes des grandes cultures (blé, céréales, fourragères, riz et coton) reçoit un paiement compensateur égal à la différence entre le prix d'objectif et le prix moyen de marché.

En 1985 , dans un contexte de crise agricole (effondrement des cours, explosion des mesures de soutien direct, hausse des stocks...) sont mis en place de nouveaux outils qui amorcent un découplage des aides par rapport à la production : la loi autorise les agriculteurs à recevoir les aides de certains programmes même s'ils ne sèment aucune culture ; les " marketing loans " sont mis en place pour le riz et le coton (prêts remboursés sur la base du prix de marché s'il tombe au-dessous d'un seuil fixé, correspondant à une subvention indirecte pour la différence entre ce seuil et le prix du marché) ; les subventions à l'exportation (programme " EEP ") sont mises en place.

En 1990 , la loi confirme l'orientation de l'agriculture vers le marché, avec une diminution des dépenses de soutien et une meilleure prise en compte de l'environnement. Pour remplir ces objectifs, un compromis budgétaire introduit dans les programmes de soutien une mesure dite " triple base " qui réduit de 15 % la surface primable tout en laissant au producteur une plus grande flexibilité d'assolement . Sur la triple base, non indemnisée, les agriculteurs peuvent semer les cultures de leur choix, sans réduire leurs droits aux aides " céréales " les années suivantes.

Le découplage des aides est ainsi accentué. Les " marketing loans " sont étendus aux oléagineux puis aux céréales (en 1993) ce qui traduit une priorité accordée à l'exportation.

Le budget agricole américain a été en moyenne entre 1991 et 1995 de 360 milliards de francs par an (58,2 milliards de dollars), dont 60 % consacrés à " l'aide alimentaire " intérieure . Les dépenses plus directement consacrées à l'agriculture se sont élevées à environ 122 milliards de francs par an (19,8 milliards de dollars) sur la même période, les aides directes représentent en moyenne 96 milliards de francs annuels.

LES DÉPENSES DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE

(moyenne 1991-1995, en millions de dollars)

Source : USDA

En avril 1996 , la nouvelle loi agricole ou " FAIR ACT " (Federal Agricultural Improvement and Reform Act) marque un tournant dans la politique agricole américaine, qui résulte notamment des nouvelles priorités de la majorité républicaine du Congrès. Elle reflète la volonté d'une maîtrise des dépenses et d'une simplification des aides, mais aussi de l'affirmation de la nécessaire compétitivité de l'agriculture en vue de la conquête des marchés mondiaux et de la volonté de préparer les futures négociations de l'OMC par un découplage accru des aides .

D'après " La nouvelle politique agricole américaine ", table ronde du 72è Congrès de l'AGPB à Tours, Juin 1996.

Le tournant de 1996 : une volonté et des outils de conquête des marchés mondiaux

Le " FAIR Act " de 1996 est résolument tourné vers les marchés extérieurs. Volonté clairement affichée, suppression des freins à la production, système de soutien compatible avec les règles du GATT : la stratégie adoptée est offensive.

- une augmentation prévisible des volumes produits :

En ce qui concerne notamment les grandes cultures, le " FAIR ACT " a consacré la suppression des programmes annuels de gel des terres . Même si cette mesure est actuellement sans incidence, le taux de gel obligatoire étant de 0 % depuis 1992 pour le blé et depuis 1995 pour le maïs, cette mesure pourrait se révéler lourde de conséquences en période de stocks élevés et de récoltes importantes. De plus, a été décidée une diminution du programme décennal de conservation des sols, qui devrait avoir une incidence importante sur la production. Les experts du ministère de l'agriculture (USDA) et de l'institut de recherche américain FAPRI 30( * ) considèrent qu'environ 3 millions d'hectares pourraient être remis en culture d'ici l'an 2002, essentiellement en maïs . La production de riz devrait diminuer, au profit du maïs, du soja, de la betterave et du blé.

En outre, la liberté d'emblavement des agriculteurs américains est accrue , afin de leur permettre de réagir rapidement aux signaux du marché. Signalons que le soja bénéficie dorénavant en quelque sorte d'une aide indirecte, puisqu'il peut être ensemencé sur des surfaces aidées au titre des contrats de transition (voir ci-après).

Au total, d'après les études du FAPRI, l'augmentation de certaines productions entre la période 1993-1995 et 2004 devrait être la suivante :

L'AUGMENTATION PRÉVUE D'ICI À 2004 DES VOLUMES PRODUITS

Source : Food and Agricultural Policy Research Institute

- des aides directes classées dans la " boîte verte " de l'OMC

Pour les grandes cultures, le " FAIR Act " découple le système d'aide au revenu agricole des quantités produites et des prix du marché, en transformant les paiements compensatoires (" deficiency payments ") en aides forfaitaires (avec la fixation d'enveloppes budgétaires annuelles plafonnées).

Les aides directes sont octroyées sur la base de la signature de contrats dits " de transition ", par exploitation, d'après des références historiques de surfaces, de rendements et de types de production. Elles sont dégressives sur les sept années du programme et déconnectées de l'usage futur des terres agricoles.

Une liberté quasi-totale est rendue à l'agriculteur dans le choix de ses assolements, même si un lien est établi entre le bénéfice des programmes de transition et l'obligation de respect de mesures environnementales.

Ainsi, sur le plan du soutien interne à l'agriculture, les aides américaines sont passées dans la " boîte verte " du GATT. Cette situation risque de se traduire par une position plus dure lors des futures négociations multilatérales, vis-à-vis des pays qui ne sont pas dans ce cas de figure.

L'arbre ne doit pas cacher la forêt : la " vertu " réelle de la politique agricole américaine doit être mesurée, aussi, au vu de l'importance des montants financiers consacrés à l'aide alimentaire intérieure, au-delà des aides directes aux producteurs.

- une optimisation des programmes de soutien à l'exportation

Si le " FAIR Act " a diminué le montant global des aides à l'agriculture, il a maintenu intacte l'enveloppe des programmes de promotion des exportations, qui reste élevée. Ces outils sont toutefois aménagés en vue d'un développement des marchés et de l'expansion de produits à plus forte valeur ajoutée.

Le dispositif de soutien fait intervenir plusieurs programmes :

* pour la promotion des exportations , le " Market access programm " prévoit le remboursement des frais de promotion à l'étranger ; le " Cooperator programm " permet de financer les opérations de promotion visant la recherche de nouveaux marchés (pays en voie de développement) ;

* pour les aides à l'exportation, dans le secteur végétal, le programme " Export Enhancement programme ", (EEP) voit sa dotation augmentée les années à venir, dans le secteur laitier, un programme similaire existe, doté jusqu'en 2002 au niveau maximal compatible avec les accords du GATT.

* pour les garanties de crédit à l'exportation, la politique d'aide américaine se réoriente vers ce type de soutien indirect puisque les programmes concernés sont dotés de 5,5 milliards de dollars par an jusqu'en 2002. Ils pourront désormais s'appliquer aux produits à haute valeur ajoutée, traditionnel point fort du commerce extérieur Européen.

* pour le développement des exportations vers les pays émergents, un programme pour les pays émergents, (" Emerging markets programm "), est doté d'une enveloppe de 1 milliard de dollars de prêts et de crédits garantis sur 1996-2002 et de 10 millions de dollars par an d'assistance technique. Il est conçu à l'origine pour les anciennes républiques soviétiques. Quatre pays en bénéficient particulièrement actuellement : la Russie, l'Ukraine, l'Egypte (où les exportations ont été multipliées par 2,5 entre 1994 et 1996) et l'Afrique du Sud. Ce programme est particulièrement bien ciblé stratégiquement, et constitue en quelque sorte un " vivier " de pays à fort potentiel d'importations. Il est piloté par un comité de 16 personnes de haut niveau (industriels, banquiers, consultants et anciens fonctionnaires internationaux).

- une volonté de conquête clairement affichée

La politique actuelle de soutien revenu agricole américain vise à remplacer de plus en plus l'aide interne par l'accroissement de la production et l'ouverture des débouchés extérieurs.

La nécessité de raffermir la vocation exportatrice des Etats-Unis a d'ailleurs été le principal point d'accord entre le Congrès et le Président au moment de l'adoption du " Farm bill " de 1996.

Alors que les Etats-Unis réalisent déjà près du quart du commerce mondial, l'objectif du Ministère de l'Agriculture Américain est d'augmenter les exportations agricoles de cinquante pour cent entre 1994 et l'an 2000, soit de les porter à soixante-cinq milliards de dollars. Pour l'année fiscale 1995, les exportations agricoles s'élevaient déjà à 53 milliards de dollars, et en 1996 à 59,8 milliards de dollars.

Au-delà de cette stratégie américaine expansionniste, plusieurs éléments laissent présager des difficultés pour les négociations à venir.

Des perspectives inquiétantes

La détermination réaffirmée des pays du groupe de Cairns


Les représentants agricoles de ce groupe de pays ont récemment fait part, lors d'une réunion à Sydney en avril dernier, de leurs revendications pour les négociations multilatérales à venir dans le cadre de l'OMC :

- interdiction totale des subventions à l'exportation pour les produits agricoles ;

- réduction du niveau de soutien interne autorisé par l'OMC ;

- réduction des quotas et des tarifs douaniers ;

- élimination des barrières sanitaires " scientifiquement non justifiées " ;

- non-utilisation des réglementations environnementales et sociales comme barrières commerciales ;

- application des règles de l'OMC aux programmes d'aide alimentaire, de promotion et de crédits à l'exportation, pouvant être des subventions déguisées.

La politique agricole Européenne est sans nul doute l'une des cibles privilégiées de ce groupe d'Etats.

L'offensive prévisible des Etats-Unis

Le secrétaire américain à l'agriculture, M. Dan Glickman, a récemment énuméré, lors d'une audition publique devant une commission de la chambre des représentants américaine, les sujets qu'il souhaitait voir abordés, lors du futur cycle de négociations multilatérales à l'OMC :

- réduction accrue des tarifs à l'importation ;

- " élimination effective " des quotas tarifaires d'importation (par une baisse des droits sur les produits commercialisés au-delà de limites quantitatives) ;

- baisse, voir élimination, des subventions à l'exportation ;

- discipline plus stricte pour les entreprises commerciales d'Etat ;

- définition plus claire des mesures sanitaires et phytosanitaires (hormones, matériaux à risque, organismes génétiquement modifiés...).

Les Etats-Unis entendent peser de tout leur poids pour une reprise rapide des négociations multilatérales et, en particulier, pour la révision de l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, prévue par les accords de Marrakech.

Un dialogue multilatéral déjà difficile

L'institutionnalisation de l'organisation mondiale du commerce (OMC), à la suite des accords de Marrakech, s'est accompagnée de la mise en place d'un organe permanent de règlement des différents (ORD), qui émane du conseil général de l'OMC et formalise les procédures de conciliation, d'arbitrage et de règlements des litiges (les fameux " panels ") de l'ancien GATT.

Force est de constater, plus de trois ans après la mise en place de l'OMC, que c'est l'Europe qui figure le plus souvent au banc des accusés , puisque l'Union Européenne est concernée par plus d'une plainte sur cinq.

LES PLAINTES DÉPOSÉES A L'OMC

ETATS CONTRE LESQUELS SONT DÉPOSÉES LES PLAINTES


ETATS A L'ORIGINE DES PLAINTES

L'agriculture Européenne est souvent visée : après le contentieux relatif au régime communautaire d'importation de bananes, le comité d'arbitrage de l'OMC a examiné, on l'a vu, la décision communautaire de ne pas autoriser l'importation de viandes anabolisées.

La réforme de la PAC est donc indissociable du contexte commercial international. Pour qu'elle soit pérenne, il est vital de relever le défi de sa compatibilité avec les règles du commerce international.

Mais le dialogue commercial multilatéral (et transatlantique) n'est pas le seul facteur de la mutation actuelle du contexte international de la PAC, même s'il en constitue un puissant levier.

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