b) Les incertitudes qui demeurent sur l'application de cette obligation sont préjudiciables au consommateur, à la distribution et aux industries agro-alimentaires
La
question de la mise en application de l'obligation d'étiquetage,
pendante au niveau communautaire depuis des mois, est complexe et
évolutive. Les principaux débats en cours qui portent sur les
aliments issus d'OGM sont les suivants :
Que signifie la " non équivalence " à un aliment
existant ?
L'article 8 du règlement répond qu'un aliment qui
"
diffère
" d'un aliment classique n'est plus
équivalent ! Cette phase, ambiguë, est le résultat de
mois (voire d'années !) de négociations.
En particulier, quel doit être le fait générateur de
l'étiquetage :
- la présence d'ADN recombiné dans l'aliment ?
- l'expression protéique du transgène dans l'aliment ?
A partir de quel seuil, de quelle concentration devra-t-on
étiqueter ? Faut-il instaurer une liste positive (ou
négative) d'ingrédients dont la présence entraînera
(ou n'entraînera pas) l'apposition d'une mention
particulière ?
Signalons que le règlement " nouveaux aliments " part du
principe d'un étiquetage de l'aliment, sur la base de sa composition. Il
exclut donc un étiquetage du procédé technologique
intervenant dans la fabrication de l'aliment : par exemple, un sucre issu de
betterave transgénique, rigoureusement identique à un sucre issu
de betterave traditionnelle, ne sera pas étiqueté.
Quelle approche les industries agro-alimentaires doivent-elles retenir pour
étiqueter ?
Deux approches sont possibles : celle fondée sur l'origine des
ingrédients utilisés (qui implique une traçabilité
des matières incorporées) ou celle de l'analyse au cas par cas
des lots d'ingrédients utilisés (qui implique une
détection systématique). Le règlement européen
retient l'approche d'une évaluation scientifique. Est-elle toujours
possible ? A quel coût ? Satisfait-elle le consommateur ?
Toutes ces questions doivent en outre être traitées en tenant
compte des méthodes de contrôle des mentions portées sur
l'étiquetage, c'est-à-dire des méthodes de
détection analytiques disponibles, de leur fiabilité et de leur
coût.
Quid du " peut contenir " ?
En l'absence de séparation des approvisionnements (notamment
américains, argentins et canadiens) selon leur nature (issu ou non du
génie génétique), et en l'absence d'informations fiables
sur la nature exacte de chaque lot, la mention " susceptible de contenir
des OGM " ou " peut contenir " peut-elle être
apposée ?
En cas de réponse négative, faut-il mettre :
" contient " dès que la preuve qu'il n'y en ait pas n'est pas
faite et dans ce cas, que penser de produits étiquetés
" issus d'OGM " alors qu'ils auraient la même composition que
des aliments traditionnels ?
Le neuvième considérant du règlement nouveaux aliments
prévoit quant à lui, que, dans le doute soit apposée la
mention : " est susceptible de contenir " ou " peut
contenir " des OGM.
Que préciser sur l'étiquette ?
- Jusqu'à quel point de détail préciser la nature de
la modification génétique apportée à l'aliment
(farine dérivée de soja génétiquement
modifié pour résister au glyfosate) ?
- Comment signaliser la modification de telle sorte qu'elle soit lisible
pour le consommateur : faut-il ajouter " génétiquement
modifié " ou " issu d'OGM " à l'ingrédient
considéré, ou peut-on dire " modifié par les
biotechnologies modernes " ? Faut-il créer un logo
européen ?
- Peut-on préciser sur les aliments conventionnels qu'ils ne
contiennent pas d'OGM ? Et dans ce cas, doit-on se baser sur la
composition réelle de l'aliment ou sur son mode de fabrication (absence
de génie génétique dans la filière) ?
Les réponses à ces questions n'ont toujours pas
été apportées.
Les méandres de la procédure d'adoption, complexe, (dite
procédure de " comitologie 3A ") n'ont toujours pas
permis d'aboutir à une décision réellement
opérationnelle.
La proposition de la Commission du 3 décembre 1997
préconisait de définir la non équivalence par la
présence d'ADN modifié, ou, en cas d'absence de transgène,
par la détection de la présence de protéines qui en
seraient issues. La Commission proposait également de retenir, en cas
d'incertitude sur la nature de l'ingrédient, la mention :
" est susceptible de contenir des OGM ".
Le 6 mars dernier, la présidence britannique du Conseil
européen
a fait une contre-proposition tendant à imposer
l'étiquetage en cas de présence de protéines, excluant la
mention " peut contenir ", établissant une liste
négative d'ingrédients raffinés considérés
comme équivalents et ne devant donc pas être
étiquetés, et prônant la détermination d'un seuil
déclenchant l'obligation d'étiquetage.
La discussion s'est poursuivie au COREPER (Comité des
représentants permanents) le 11 mai, dans la perspective du Conseil
" marché intérieur " du 18 mai, la procédure
donnant à la Commission, en l'absence de décision, la
possibilité, à compter du 26 mai, d'imposer sa propre
décision.
Bien qu'il n'y soit pas juridiquement expressément invité,
le
Parlement européen
a proposé à la Commission des
amendements au projet de règlement, adoptés le 14 mai.
Le 18 mai, le Conseil " Marché intérieur " des
différents ministres des Quinze a examiné cette question.
Sans
aboutir à une décision formelle
, la Commission ne se ralliant
pas à la proposition du Conseil, les débats ont toutefois permis
une avancée significative puisque
tous les Etats membres sauf
l'Italie, la Suède et le Danemark
, ont voté
pour la
proposition de la présidence.
(Les trois pays contre souhaitant,
comme la Commission, que puisse être utilisée la mention
" peut contenir ", ce que refusent les autres Etats membres).
Si la Commission
, constatant, comme cela est probable,
l'adhésion large des Etats membres à la proposition de la
présidence du Conseil,
s'y rallie, en COREPER, le 20 mai, le Conseil
" Agriculture " du 25 mai pourrait adopter sans débat le
règlement définitif, qui exclurait la mention " peut
contenir " et serait basé sur une liste négative
d'ingrédients.
Deux questions resteraient à trancher,
par l'adoption, suivant les
mêmes règles de procédure (proposition de la Commission,
consultation des comités réglementaires, puis éventuelle
procédure de " comitologie III A " en cas de
désaccord) de nouvelles décisions européennes concernant :
- le
contenu de la liste négative
d'ingrédients
considérés comme équivalents et ne déclenchant pas
l'étiquetage ;
- le
seuil de détection analytique,
la Commission
étant invitée par le Conseil à étudier la
faisabilité de sa mise en place.
On le voit, le débat, s'il avance au niveau européen, est
toutefois loin d'être clos.
Cette incertitude est préjudiciable :
Au consommateur
Les associations représentant les consommateurs dénoncent
légitimement que l'obligation, déjà effective, de
l'étiquetage, ne soit pas appliquée. Cette question a parfois
été évoquée, lors des entretiens que votre
rapporteur a eus, avec les représentants du monde associatif, comme une
de leurs principales préoccupations.
Soulignons que certaines associations souhaitent étiqueter sur la base
du processus technologique utilisé et non pas sur la composition exacte
du produit alimentaire.
Précisons qu'outre les nombreuses prises de position officielle des
associations au sujet des OGM, un groupe de travail
75(
*
)
sur ce thème a
été constitué le 18 février 1997 au sein
du Conseil national de la consommation (CNC), qui regroupe les associations de
consommateurs et les professionnels. Le projet d'avis n'a toutefois pas
été adopté lors de la séance plénière
du CNC du 19 mars dernier, le collège consommateur s'étant
prononcé contre.
A la distribution
Confrontée à l'exigence de transparence du consommateur, la
distribution subit le caractère inopérant des textes
réglementaires en matière d'étiquetage.
Un récent communiqué de presse du 30 janvier dernier, de la
Fédération des entreprises du commerce et de la distribution
(FCD) donnait la position de cette organisation sur ce sujet :
"
Les progrès de l'étiquetage des OGM sont
insuffisants.
Les distributeurs ont pris acte, il y a plus d'un an, de la
volonté politique, au niveau français et européen,
d'étiqueter ces produits. Les dernières réunions des
3 décembre et 15 janvier 1998 à Bruxelles ont
montré que l'établissement d'une liste positive de produits
à étiqueter semblait être une meilleure solution que la
détermination du caractère non équivalent des produits. De
même, elles ont repoussé l'indication " peut contenir des
OGM ".
Même si ces deux évolutions vont dans le sens de ses souhaits, la
FCD regrette vivement qu'une solution n'ait pas encore été
trouvée (au lieu du 1er février, elle est maintenant
attendue entre mars et mai 1998) et que la mise en oeuvre de la
traçabilité de l'origine n'ait pas avancé. "
Précisons que certaines enseignes, comme Carrefour ou Casino, ont, en
outre, indiqué leur volonté de ne pas utiliser d'OGM dans leurs
produits de marques propres.
Aux industries agro-alimentaires
Les industries agro-alimentaires européennes sont dans une situation
délicate car le blocage actuel, qui retarde la mise en oeuvre de
l'étiquetage, jette la suspicion sur leurs productions. On se souvient
notamment des mésaventures d'un lot de chocolat suspecté de
contenir des aliments transgéniques, et des nombreux articles
76(
*
)
, qui paraissent sur le thème de
la présence non signalée d'OGM dans certains aliments.
L'industrie agro-alimentaire est une des premières forces de
l'économie, représentant un chiffre d'affaires en 1997 de
792 milliards de francs et 398.000 emplois. Pour le commerce
extérieur, cette industrie est la première part de marché
française (11 %) en terme de produits transformés et le principal
excédent commercial (60 milliards de francs, soit la moitié
du solde français du commerce extérieur). Elle est en outre le
premier client de l'agriculture française dont elle
" consomme " 70 % de la production.
Interface entre le consommateur et l'amont agricole, exposées par le
biais de leurs marques, les industries agro-alimentaires sont
identifiées par l'opinion comme l'un des principaux acteurs -si ce n'est
le principal- de l'irruption dans nos assiettes d'aliments
transgéniques. Dans ce contexte, l'instauration d'un étiquetage
clair et précis apparaît comme une nécessité urgente
afin de respecter le besoin d'information du consommateur.
A ce sujet, tant la confédération des industries
agro-alimentaires de l'Union européenne (la CIAA) que l'Association
nationale des industries agro-alimentaires (l'ANIA) ont exprimé des
recommandations à l'usage du public et de leurs adhérents visant
à promouvoir un étiquetage des produits sur la base de leur
interprétation de la notion d'équivalence dans l'attente de la
fixation d'un cadre réglementaire européen plus
opérationnel.
POSITION DE L'ANIA SUR L'ÉTIQUETAGE DES
DÉRIVÉS DU SOJA
ET DU MAÏS GÉNÉTIQUEMENT
MODIFIÉS - 20 NOVEMBRE 1997
" L'industrie alimentaire, soucieuse de répondre
aux
demandes d'information des consommateurs et de respecter les principes
établis dans le règlement " nouveaux aliments, nouveaux
ingrédients ", s'est toujours prononcée
en faveur de
l'étiquetage
des dérivés du soja et du maïs
génétiquement modifiés
dès lors qu'ils ne sont
pas équivalents
à leurs homologues conventionnels [...].
Face à l'impossibilité d'obtenir, jusqu'à ce jour, une
interprétation européenne harmonisée, les industriels
réunis au sein de la CIAA
ont défini une interprétation
de ce critère d'équivalence (présence de protéine
nouvelle).
Afin d'aider les industriels confrontés à ces textes,
désormais applicables alors qu'aucune réglementation ne
définit de manière claire les modalités
d'étiquetage, l'ANIA préconise l'application des principes
exposés ci-dessous.
1. L'ANIA recommande aux industriels de modifier l'étiquetage de leurs
produits contenant des dérivés non équivalents de soja et
de maïs, dès lors qu'il est impossible d'assurer raisonnablement
qu'ils proviennent uniquement de soja ou de maïs conventionnel.
2. Sur la base de cette interprétation, certains ingrédients, ne
contenant pas de protéine issue du transgène sont reconnus
équivalents et ne nécessitent donc par d'étiquetage. En
revanche,
les ingrédients protéiques suivants,
sauf
à établir par analyse selon une méthode reconnue que le
produit ne contient pas la protéine issue du transgène,
sont
soumis à un étiquetage :
- farine, protéines de soja et de leurs dévirés ;
- extraits de fèves de soja contenant des protéines
(ex : tonyu, tofu...) ;
- farine ou semoule de maïs, gluten de maïs.
Sont exemptés de cette obligation d'étiquetage les additifs, les
solvants d'extraction et les arômes, qui sont exclus du champ
d'application du règlement .
3. Afin d'apporter aux consommateurs une information homogène et
cohérente, la présence de l'ingrédient concerné
devrait être signalée dans la liste d'ingrédients à
l'aide d'une des mentions suivantes :
Exemple : protéine de soja :
modifié par les biotechnologies modernes
ou génétiquement modifié
ou issues d'OGM
ou (OGM).
[...]
5. Conformément aux positions déjà prises, tant par l'ANIA
que la CIAA :
- l'emploi de la formule " susceptible de contenir... " est vivement
déconseillé ;
- l'emploi éventuel de la formule " ne contient pas... "
doit être strictement limité au cas où il peut être
démontré, grâce à une traçabilité
totale, qu'à aucun moment du processus de production ou
d'élaboration du produit et de ses composants il n'y a eu recours aux
techniques du génie génétique. Cette mention est
prohibée lorsque le même produit, issu d'une modification
génétique, est équivalent.
6. Les méthodes d'analyse et les critères de contrôle (y
compris les seuils) utilisés par les laboratoires officiels des pouvoirs
publics doivent être validés le plus rapidement possible en
concertation avec l'industrie et être portés à la
connaissance des opérateurs.
[...]
Cette recommandation n'engage pas la responsabilité de l'ANIA. Il ne
devra plus en être tenu compte, dès lors qu'une
réglementation définira les modalités d'étiquetage
de ces produits.
Source : ANIA
Sur la base de cette recommandation, la filiale française de
Nestlé a d'ores et déjà publiquement indiqué avoir
étiqueté une soixantaine de produits destinés à la
restauration collective et aux hôpitaux : la mention
" protéines issues de soja génétiquement
modifié " a été apposée lorsque l'entreprise
n'avait pas la garantie expresse qu'il s'agissait de soja conventionnel. Cette
politique devrait se généraliser aux produits vendus en grande
surface avec l'épuisement des stocks de protéines de soja
conventionnel.
Saluons le sens des responsabilités de cet industriel et
déplorons qu'il soit nécessaire de pallier l'insuffisance de la
réglementation par le volontariat !
Le dernier volet de la réglementation communautaire sur les
biotechnologies, qui concerne la propriété intellectuelle, a lui
aussi connu une procédure d'élaboration longue et heurtée.