2. Le statut de l'agriculteur
L'agriculture est la porte d'entrée actuelle des
biotechnologies. Ce secteur ne saurait donc être épargné
par les mutations en cours et ce d'autant moins que, n'ayant pas suscité
l'avènement du génie génétique, le monde agricole
reste, avec l'agro-alimentaire, un de ses principaux acteurs aux yeux de
l'opinion publique.
Votre rapporteur a pu, lors de ses entretiens divers avec des
représentants de ce secteur, mesurer la qualité de la
réflexion engagée dans le monde agricole sur le sujet des
biotechnologies.
Ainsi, la plupart des organisations professionnelles ont élaboré
une position sur cette question. Le Conseil de l'agriculture française a
constitué un groupe de travail
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)
qui a procédé à
des consultations et a adopté un rapport technique à ce sujet le
1er juillet dernier. Une position commune de l'APCA, du CNJA, de la CNMCCA
et de la FNSEA a été élaborée. Notons que le
Conseil national de l'alimentation, où siègent des
représentants du monde agricole, au collège de la production
agricole, a quant à lui adopté un avis le 17 juin dernier
sur l'étiquetage des OGM. Certaines organisations
professionnelles
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*
)
ont, quant
à elles, pris des positions hostiles à la biotechnologie.
Certes, les biotechnologies s'intègrent dans une certaine
continuité, puisque l'agriculture est depuis toujours intégrateur
d'innovation et manipulateur du vivant : la révolution verte de ces
dernières décennies a montré sa capacité à
intégrer le progrès, notamment au travers de la sélection
variétale classique. Mais l'introduction des OGM est aussi source de
ruptures et de changements -bons ou mauvais- en ce qui concerne le rôle
de l'agriculture dans la cité, son indépendance par rapport
à l'amont agricole et sa responsabilité vis-à-vis de
l'opinion publique.
a) L'indépendance de l'agriculteur vis-à-vis des conglomérats agro-chimistes
Avec le
développement par des grands groupes des technologies de
transgénèse, sous protection juridique, grâce au
système des brevets, l'agriculture ne risque-t-elle pas de devenir un
marché captif pour ces sociétés ? Pensons que
certaines d'entre elles développent en même temps la plante
transgénique résistante à un herbicide et ce même
herbicide, le marché de l'un des produits développant l'autre...
En outre, certaines firmes contractualisent leurs relations avec l'agriculteur
à qui elles font payer, sur chaque sac de semences transgéniques
une " prime de technologie ", susceptible d'instaurer un lien entre
l'agro-chimiste et l'agriculteur.
Ajoutons que, sur le continent américain où deux campagnes de
culture ont déjà eu lieu, la quasi totalité des
agriculteurs ayant utilisé des semences transgéniques une
année en ont recommandé l'année suivante, certaines
sociétés indiquant même que leur capacité à
fournir le marché avait été le seul frein à la
pénétration très rapide de leur technologie.
Tous ces éléments n'indiquent-ils pas une possible perte
d'indépendance du monde agricole vis-à-vis des
agro-fournisseurs ?
Un article du numéro spécial de mai 1997 de la revue des
chambres d'agriculture sur les OGM illustrait ainsi cette inquiétude du
monde rural :
" Dans le cas de la résistance au glyfosate,
[une société]
fait signer au producteur américain
un contrat par lequel ce dernier s'engage à acheter des semences
certifiées chaque année, à utiliser
[tel]
produit
commercial et à acquitter un droit d'utilisation qui est partagé
entre
[la société]
, le semencier et le distributeur. Les
producteurs français craignent que ce système, s'il était
appliqué, n'entraîne une dépendance accrue vis-à-vis
de l'agro-fourniture. "
Votre rapporteur a interrogé à ce sujet des
représentants d'une grande organisation professionnelle agricole
américaine
(American Farm Bureau). La réponse
apportée, aux termes de deux ans d'expérience, a
été la suivante : en dépit des craintes initiales des
exploitants de l'instauration d'un contrôle économique -mais aussi
physique, par une présence sur l'exploitation-, des firmes
agro-chimiques, il ne semble pas que les agriculteurs américains aient
ressenti un tel phénomène. On peut trouver deux explications
à cette situation : la montée rapide de la concurrence sur
ce marché aux Etats-Unis et le nombre élevé de
distributeurs semenciers (qui intègrent dans leurs lignées
propres la technologie développée par les grandes firmes) lorsque
la firme agro-chimiste n'assure pas elle-même la distribution finale du
produit. Soulignons à cet égard que la " prime
technologique ", c'est-à-dire le surplus payé, est, dans
certains cas, perçue par le semencier qui fournit habituellement
l'exploitant, puis rétrocédée après coup par ce
fournisseur à la firme agro-chimiste.
Toutefois, le risque de dépendance reste présent et il faut
veiller à ce que l'introduction des biotechnologies en agriculture ne
fragilise pas les exploitants en les rendant captifs de telle ou telle
technologie.