C. L'ENJEU ÉCONOMIQUE
L'enjeu
économique lié à l'utilisation des OGM dépasse
largement la seule question des échanges agricoles internationaux (et
notamment des importations de maïs et de soja américain en Europe).
Ce sont en effet de nombreux secteurs de l'économie qui pourraient
être affectés par la révolution génétique. Le
nombre des applications, décrites dans la première partie, de
cette technique, confronté à l'avance de certains pays en la
matière laissent entrevoir l'ampleur des conséquences que les
biotechnologies pourraient avoir sur la compétitivité
européenne.
Car dans l'économie mondiale, la biotechnologie est en passe de devenir
un facteur essentiel de croissance et d'emplois. L'Europe doit prendre
conscience de ce changement majeur qui est à l'oeuvre et pourrait avoir
des répercussions économiques aussi fortes que l'introduction des
nouvelles technologies de l'information. D'ailleurs, il s'agit là, ne
nous y trompons pas, de deux priorités essentielles des pouvoirs publics
américains.
1. L'enjeu agricole transatlantique
L'autorisation en Europe des OGM représente tout d'abord un fort enjeu
en termes de commerce agricole international.
En effet,
le montant des exportations américaines vers l'Europe
de blé, maïs et soja, par exemple, dépasse les
3 milliards de dollars par an, comme le montrent les chiffres suivants,
fournis à votre rapporteur par les services du ministère du
commerce à Washington :
QUELQUES EXPORTATIONS AGRICOLES AMÉRICAINES
VERS
L'EUROPE
(en milliers de dollars)
Produit |
1996 |
1997 |
||
|
Europe des 15 |
France |
Europe des 15 |
France |
Soja et dérivés |
2 492 311 |
75 841 |
2 725 729 |
129 209 |
Maïs |
84 237 |
11 308 |
71 636 |
11 355 |
Corn Gluten Feed |
673 183 |
26 231 |
540 917 |
17 277 |
Blé |
135 825 |
6 980 |
197 460 |
124 |
Farine de blé |
1 001 |
47 |
1 857 |
5 |
Total |
3 386 479 |
120 407 |
3 537 599 |
157 970 |
Source US Department of commerce
Or, la
proportion de surfaces transgéniques emblavées en Amérique
du Nord (comme en Amérique du Sud), s'accroît très
considérablement, amenant ainsi les OGM sur le devant de la scène
agricole.
Il est fort probable que la pression américaine sur l'Europe
s'intensifie : la menace d'une plainte à l'organisation mondiale du
commerce, sur le modèle du différend sur la viande aux hormones,
est parfois évoquée.
Plusieurs interlocuteurs américains ont d'ailleurs fait part à
votre rapporteur de leur ferme volonté d'inscrire les biotechnologies au
programme des prochaines négociations multilatérales agricoles,
à venir en 2000.
L'Europe ne doit en aucun cas se déterminer sur un sujet aussi important
en fonction de cette seule contrainte commerciale. Mais force est de constater
que ce sujet risque d'être évoqué avec détermination
par nos partenaires américains.
La dépendance protéique européenne
Un facteur augmente encore l'acuité du sujet des OGM en matière
de relations agricoles transatlantiques : c'est celui de la forte
dépendance européenne vis-à-vis des protéines
végétales (contenues dans le soja notamment) produites
principalement en Amérique. Le volume des exportations
américaines de soja en Europe ont atteint en 1997 le montant de
2,7 milliards de dollars.
Le taux déjà élevé, de dépendance
européen risque en effet de s'accroître dans les prochaines
années.
Le document de synthèse élaboré à l'issue de la
journée européenne sur les protéines
végétales à Strasbourg le
10 décembre 1996 a dressé le constat suivant :
LE CONSTAT D'UNE DÉPENDANCE QUI S'ACCROÎT
[... La
tendance évolue désormais défavorablement : le
déficit de l'Union européenne en matières riches en
protéines dépasse aujourd'hui 70 % ;
il est de
80 % pour les seules protéines végétales
.
En effet, comme la demande mondiale, la demande européenne augmente
régulièrement de 3 % par an.
Or, la production de protéines végétales de l'Union
européenne est stable, voire en diminution... [...]
Les protéagineux ont régressé de 1,6 millions de
tonnes depuis 1993. Et les perspectives ne sont pas favorables non plus en ce
qui concerne les fourrages déshydratés riches en protéines
comme la luzerne.
Surtout, les surfaces d'oléagineux sont limitées à moins
de 5 millions d'hectares dans le cadre des accords de Blair House.
Le marché mondial des protéines connaît depuis 20 ans
un rythme de croissance de l'ordre de 3 % par an, ce qui est remarquable.
Cette tendance est soutenue, voire renforcée par la forte augmentation
de la demande asiatique que l'on observe dès à présent.
Par ailleurs, l'offre disponible à l'exportation reste, comme il y a
20 ans, limitée à 75 % au soja et à trois pays
(Etats-Unis, Brésil, Argentine).
Votre rapporteur est préoccupé par cette évolution.
Rappelons nous que, dès 1974, l'embargo américain sur le soja
avait mis en évidence la fragilité de la situation
européenne. Aussi a-t-il récemment attiré l'attention du
Gouvernement sur ce point, lors d'une question orale discutée en
séance publique au Sénat
66(
*
)
.
Cette dépendance politique de l'Europe rend incontournable la question
des OGM, d'autant que la discrimination entre les récoltes contenant des
plantes transgéniques et celles n'en contenant pas apparaît
impossible.
Les représentants de l'association américaine des producteurs
de soja situés à Saint-Louis, dans le Missouri, que votre
rapporteur a rencontrés, ont exprimé à ce sujet une
position ferme :
- les producteurs de soja américains adoptent très
massivement les biotechnologies ;
- leurs méthodes de production ne permettent pas actuellement de
séparer le soja transgénique du soja non transgénique
puisqu'en cinq points, le long de la filière de récolte et de
distribution, un telle ségrégation est jugée, dans
l'état actuel des équipements, impossible. L'instauration
éventuelle d'une ségrégation devrait être
extrêmement coûteuse ;
- les autres producteurs mondiaux (l'Argentine notamment) sont dans la
même situation.
Les distorsions de concurrence entre producteurs
Plus fondamentalement, les OGM sont aussi un facteur de
diminution
potentielle des coûts de production agricole
:
dans ce
sens, ils contribuent à la compétitivité des productions
et donc des exploitations agricoles. Certaines organisations professionnelles
craignent ainsi que l'approche européenne ne laisse durablement
s'installer une distorsion de concurrence entre producteurs de part et d'autre
de l'Atlantique.
A ce sujet, un récent rapport
67(
*
)
faisait état de
résultats impressionnants constatés dans les exploitations
chinoises et nord américaines suite à l'utilisation des cultures
transgéniques.
QUELQUES EXEMPLES DE GAINS POUR L'EXPLOITATION AGRICOLE DE L'UTILISATION DES PLANTES TRANSGÉNIQUES
D'après l'ISAAA, les résultats suivants auraient
été obtenus :
Accroissement de 5 à 7 % du rendement du tabac chinois
résistant aux virus, économie de 2 à 3 applications
d'insecticide ;
70 % du coton " Bt " américain n'a requis aucune
application d'insecticide en 1996 ; l'accroissement moyen du rendement
s'élevant à 7 %, soit un bénéfice de
33 dollars à l'acre (60 millions de dollars gagnés au
total).
Le maïs Bt planté en 1996 et 1997 a vu son rendement
s'accroître de 9 % en moyenne.
Les gains totaux liés à l'utilisation d'un colza tolérant
à un herbicide au Canada ont été évalués
à 6 millions de dollars.
La pomme de terre résistante aux insectes cultivée aux
Etats-Unis a permis d'accroître le rendement de 14 $ par acre et de
diminuer le coût des insecticides de 5 $ par acre, soit un
bénéfice de 19 $ par acre (170.000 $ par an).
Les gains totaux pour l'agriculture américaine sont estimés
à 80 millions de dollars pour le maïs, la pomme de terre et le
coton en 1996, et 190 millions de dollars en 1997 pour le seul maïs
Bt.
Les chiffres fournis sont édifiants et montrent toute l'attention qui
doit être portée à cette question en Europe, au moment
où de grandes échéances s'annoncent :
négociations agricoles, internationales, élargissement de l'Union
européenne, réforme de la politique agricole commune...
La compétitivité de notre agriculture doit être un
objectif essentiel : il y va de la survie du monde agricole et de
l'identité européenne.
S'il est essentiel pour l'agriculture, pour l'aménagement du territoire
et pour l'industrie alimentaire (principale source du commerce extérieur
français avec un solde net positif de 56,5 milliards de francs en
1997 !), l'enjeu économique lié aux OGM touche aussi, plus
directement, l'industrie des biotechnologies : la question se pose de savoir si
l'Europe profitera ou non de l'essor actuel de ce secteur d'activité.