DEUXIÈME PARTIE -
DES ENJEUX
CONSIDÉRABLES
Mis
à part certains cercles très avertis, on ne perçoit que
peu, en France, l'ampleur des changements dont est potentiellement porteur le
génie génétique. Ce sujet a en effet tendance à
être considéré comme purement technique et en marge des
préoccupations quotidiennes, sans que la société en
perçoive vraiment l'enjeu.
Le débat est d'ailleurs confiné à un petit nombre de
spécialistes. Ou alors, peu informé, le corps social
n'exprime-t-il, dans le meilleur des cas, qu'un rejet a priori, bien habituel,
vis-à-vis d'une nouvelle technique dont il ne ressent pas le besoin et
pour laquelle il n'a pas, compte tenu de circonstances sur lesquelles nous
reviendrons, de sympathie naturelle. Les biotechnologies apparaissent souvent,
à tort, comme un sujet mineur, abscons, voire obscur, bardé de
sigles et, semble-t-il parfois, de polémiques scientifiques.
Comment ne pas être méfiant ?
Il apparaît donc utile de rappeler succinctement ce qu'il y a à
gagner ou à perdre, dans le court terme, mais aussi dans le moyen terme,
à adopter ou à refuser ce tournant majeur.
Cinq principaux enjeux apparaissent liés au développement du
génie génétique : la sécurité
alimentaire du prochain siècle, le respect de l'environnement, la
croissance de l'économie, le statut de l'agriculteur et le respect de
principes éthiques fondamentaux.
A. LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE MONDIALE
En
matière de sécurité alimentaire dans les prochaines
décennies, c'est-à-dire d'accès aux ressources
alimentaires, le constat dressé par des organisations internationales
comme la FAO -Organisation des Nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture- ou la banque mondiale est le suivant : la
sécurité alimentaire de la planète devrait diminuer au
XXIe siècle, sous l'effet conjugué de l'accroissement de la
population et de la diminution des surfaces cultivées.
La population mondiale devrait quasiment doubler d'ici à 2050, selon
la tendance suivante :
LES
PERSPECTIVES D'ACCROISSEMENT DE LA POPULATION MONDIALE
(en milliards d'habitants)
Source :
FAO
On estime que l'augmentation de la population mondiale devrait atteindre en
moyenne 83 millions par an entre 2020 et 2025. Les augmentations les plus
fortes auraient lieu en Afrique de l'Ouest, de l'Est et du Centre.
Pour permettre de nourrir, avec la productivité agricole actuelle ce
surplus de population mondiale, les surfaces cultivées devraient en
conséquence être considérablement augmentées.
Pour donner un ordre de grandeur de l'augmentation nécessaire, si on
estime aujourd'hui que la surface agricole utile équivaut environ
à la superficie du continent nord-américain, il faudrait qu'elle
s'étende, pour permettre une production agricole susceptible de nourrir
les générations futures, à une surface équivalant
à l'Amérique du Nord et du Sud réunies !
Or c'est à une réduction, relative et absolue, des surfaces
cultivées, que l'on est susceptible d'assister, plutôt qu'à
une augmentation.
Les surfaces cultivables par habitant devraient diminuer dans le même
temps.
Les terres cultivables n'étant pas infinies et tendant même
à se réduire du fait de l'augmentation démographique, la
surface de terre arable disponible par habitant -même en prenant
l'hypothèse d'une mise en culture des terres actuellement en
jachère- devrait diminuer dans les prochaines décennies, comme le
montre l'estimation suivante :
LA
DIMINUTION PRÉVISIBLE DES SURFACES CULTIVABLES PAR HABITANT
(en hectare par habitant)
Source :
FAO
En conséquence, la sécurité alimentaire devrait
diminuer dans les cinquante prochaines années.
Vers une nouvelle révolution verte " ?
Depuis la deuxième guerre mondiale, l'augmentation considérable
des rendements et de la productivité agricole, ou
"
révolution verte
", a pu répondre aux nouveaux
besoins alimentaires grâce, notamment, à la sélection
variétale, à l'utilisation des produits phytosanitaires et
à la mécanisation. Ce mouvement doit être poursuivi pour
que l'approvisionnement alimentaire mondial soit assuré pour les
générations futures.
Le génie génétique pourrait donner un nouveau souffle
à l'amélioration des rendements agricoles.
Tel est l'avis
d'un groupe d'experts de la banque mondiale
60(
*
)
qui a récemment publié
des conclusions sur ce sujet et qui a montré l'apport que peut
constituer la biotechnologie à la résolution des problèmes
alimentaires mondiaux à venir.
L'accroissement de la
productivité, à la résistance à la
sécheresse et aux conditions climatiques extrêmes
sont, par
exemple, des perspectives porteuses de solutions pour l'avenir.
Le transfert de cette technologie vers les pays en développement
Votre rapporteur estime que la communauté internationale doit s'efforcer
de développer des modes de transfert de cette technologie aux pays en
développement et encourager la recherche sur les espèces
végétales autochtones.
Comme l'a précisé à votre rapporteur le Directeur
général de la FAO, la commission de la FAO chargée des
ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture
(à laquelle appartiennent actuellement 156 pays et la
Communauté européenne) travaille à l'élaboration
d'un
Code de conduite pour les biotechnologies végétales
,
dont l'un des objectifs sera de promouvoir l'application de
"
biotechnologies appropriées
" (c'est-à-dire
encourageant le développement d'une agriculture durable) pour la
"
conservation et l'utilisation durable des ressources
phytogénétiques dans la production vivrière et le
développement agricole
",
visant à
optimiser les effets des biotechnologies, surtout pour les pays en
développement.
Plusieurs documents
61(
*
)
retracent l'évolution des discussions depuis 1991, date à
laquelle la commission des ressources génétiques de la FAO a
recommandé l'élaboration de ce code.
En la matière, un représentant de la FAO a précisé
à votre rapporteur que parce qu'elle est coûteuse, la recherche
biotechnologique tend à concentrer ses efforts sur les espèces de
culture de rente et les produits les plus intéressants au plan
économique. Si aucune mesure n'est prise à cet effet, certaines
espèces des pays en développement, importantes au plan local et
social, risquent de perdre encore du terrain.
En conséquence, estime
la FAO, la recherche sur les biotechnologies appropriées a besoin
d'être encouragée par des incitations économiques et des
accords institutionnels
.
Votre rapporteur partage ce point de vue. A cette condition seulement, les
biotechnologies peuvent être une chance pour les pays les moins
développés.
Une enquête, qui a été lancée par la FAO
auprès de 400 experts internationaux, a permis d'identifier les
quatre préoccupations principales suivantes concernant l'introduction
des biotechnologies dans les pays en développement :
sécurité biologique, propriété intellectuelle,
remplacement des produits agricoles traditionnels (qui menacent certaines
productions comme le cacao, la vanille...) et adéquation des
biotechnologies aux besoins des pays en développement.