2. L'exemple de l'évaluation de la sécurité alimentaire
L'exemple de l'évaluation des risques liés
à
l'ingestion d'OGM permet de mieux cerner la méthodologie, rigoureuse,
qui est employée.
L'évaluation de la sécurité des produits alimentaires
contenant des OGM ou issus d'OGM repose sur des principes fixés
dès le début des années 1980 par l'Organisation de
Coopération et de Développement Économique (OCDE), la FAO
(Food and Agriculture Organization) et l'Organisation Mondiale de la
Santé (OMS). La démarche est la suivante
56(
*
)
: les aliments déjà
consommés sont considérés comme ayant, sur la base d'une
longue expérience, fait la preuve de leur innocuité. Ils servent
donc de référence pour évaluer la salubrité des
aliments nouveaux contenant des OGM ou issus d'OGM. La comparaison entre un
aliment nouveau et un aliment traditionnellement consommé permet de
déterminer s'il y a ou non " équivalence de substance ".
La détermination de cette éventuelle équivalence se fait
de la façon suivante :
ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ DES ALIMENTS ISSUS DE PLANTES TRANSGÉNIQUES
Le
concept d'équivalence en substance
prend en compte :
- la composition nutritionnelle d'un produit (nutriments
caractéristiques, facteurs antinutritionnels, toxiques naturels)
comparée à celle d'un produit traditionnel de
référence ;
- la caractérisation de l'ADN inséré et la
protéine produite ;
- les caractéristiques phénotypiques et agronomiques
habituellement évalués pour l'inscription d'une
variété végétale au catalogue des semences.
L'évaluation de l'équivalence en substance
peut aboutir
à trois situations
:
- l'équivalence peut être démontrée : aucune
différence entre le produit traditionnel et l'OGM n'a pu être
démontrée (C'est le cas pas exemple lorsque la transgène
ne s'exprime pas dans la partie comestible de la plante). Ces produits sont
considérés comme alimentaires au même titre que les
aliments traditionnels, aucune autre démonstration de salubrité
ne s'impose ;
- l'équivalence est démontrée à l'exception de
la protéine exprimant le transgène. Il convient alors de
démontrer l'innocuité de ses produits et des métabolites
résultant de leur dégradation ou de leur action ;
- l'équivalence ne peut pas être établie. Une approche
séquentielle au cas par cas doit être établie, avec tests
toxicologiques et expérimentation animale.
Un exemple : le soja tolérant au glyfosate
-
analyse nutritionnelle
: analyse des graines, sucres,
protéines, acides aminés, acides gras, fibres et cendres ; dosage
des composés antinutritionnels naturellement présents dans le
soja (composés antitrypsiques par exemple), analyse de la composition de
farines dégraissées, de l'huile, de la lécithine,
d'isolats et de concentrés de protéines.
Conclusion
: la composition est équivalente sauf en ce qui
concerne la protéine codée par le gène de
résistance au glyfosate, qui a fait l'objet d'une évaluation
supplémentaire.
-
évaluation de la nouvelle protéine
:
caractéristiques physique et fonctionnelle ; test in vitro de
dégradation par les sucs gastriques et digestifs ; gavage de souris
à des doses 1.000 fois supérieures à celles qu'un
consommateur est capable d'ingérer ; comparaison avec les
protéines allergénisantes connues.
-
évaluation de la valeur nutritive
: tests d'alimentation
chez des rats, des vaches laitières, des poulets et des poissons-chats
pour analyser l'indice et la vitesse de croissance des animaux, ainsi que la
composition du filet du poisson et le poids des muscles de la poitrine et des
graisses du poulet.
Source : Article de Jocelyne Rajnchapel - Messaï dans
" Agroperformances " et ouvrage précité du CNERNA.
Pour revenir sur le
risque de provocation d'allergies alimentaires
par
les protéines qui seraient éventuellement codées par un
gène transféré, rappelons qu'en dehors de toute
intervention du génie génétique, d'après les
spécialistes
57(
*
)
, environ
1 à 2 % de la population adulte souffre aujourd'hui d'allergie
alimentaire
, le plus souvent à l'oeuf, au lait, au poisson, aux
crustacés ou à l'arachide.
Au total, ce seraient plus de 160 aliments qui auraient été
associés à une réaction allergique, même si
90 % des allergies sont causées par les quelques aliments
cités ci-dessus.
En ce qui concerne les aliments issus du génie génétique,
votre rapporteur souhaite insister sur :
-
la nécessité
de ne pas accroître par la
transgénèse le risque allergénique, qui,
déjà présent dans l'alimentation traditionnelle, tue
chaque année plusieurs dizaines de personnes. En particulier, il semble
raisonnable, dans l'état actuel des connaissances,
de ne pas
transférer de gène provenant d'une espèce connue pour ses
propriétés allergéniques
;
-
le devoir
de poursuivre les recherches sur les allergies
conférées par les aliments, (en particulier les aliments
traditionnellement consommés) : la
banque de données des
protéines allergisantes
, déjà importante, doit
être complétée ;
-
l'espoir que pourraient représenter,
en matière
d'allergie, les biotechnologies : la recherche sur le génome du riz,
notamment, permettra sans doute un jour d'évacuer les
propriétés allergisantes de cet aliment.
*
* *
Au terme
de ces développements consacrés aux risques potentiels
liés à l'avènement du génie
génétique, on peut formuler deux observations.
D'abord, il faut souligner que les
biotechnologies peuvent constituer un
facteur de diminution des risques et des nuisances de notre
société.
Maîtrisée, cette technologie pourrait accroître notre
sécurité. Il est permis de penser, par exemple, que la
tragédie de la transfusion de sang contaminé par le virus HIV
aurait pu être évitée si avait été
utilisé du plasma sanguin produit par des végétaux
transgéniques, de même que le drame de l'hormone de croissance
contaminée.
En matière
nutritionnelle
, il est envisageable de diminuer, par
le génie génétique, les risques de maladies
cardio-vasculaires, ou au contraire d'enrichir notre alimentation en nutriments
essentiels.
Pour
l'environnement
, les biotechnologies sont un outil puissant pour
réduire l'utilisation des pesticides et des herbicides, dont les
nuisances, bien connues, ne sont plus à démontrer.
La deuxième observation porte sur le décalage qui existe entre
le sérieux, l'ampleur et la longueur des procédures
d'évaluation scientifique des risques mises en place avant même le
développement de cette technologie dans notre pays et
certaines
affirmations très alarmistes
58(
*
)
sur le danger des OGM
.
En aucun cas votre rapporteur ne s'estime à même de trancher
entre telle ou telle prise de position scientifique. Il a d'ailleurs
personnellement veillé, au cours des travaux préparatoires
à la rédaction du présent rapport, à rencontrer le
plus grand nombre de sensibilités les plus variées
59(
*
)
et à prendre connaissance des
positions des uns et des autres sur ce sujet.
Mais il semble vraiment urgent qu'un vrai débat, c'est-à-dire un
échange rationnel, s'instaure entre la communauté scientifique,
les associations et le grand public, afin de permettre à ce dernier de
démêler le vrai du faux, l'argumentation raisonnée de
l'affabulation.
Que n'entend-on pas dire en effet sur les organismes
génétiquement modifiés ! Certaines campagnes
" d'information " du public n'hésitent pas à diffuser
l'image d'une tomate contenant un embryon humain et à assortir cette
illustration d'un commentaire relatif à la libération dans
l'environnement des organismes génétiquement manipulés !
Des sites Internet parlent de " Tomate de la mort " ou de
" Tomate Frankestein " à propos de la tomate Calgène.
La campagne électorale en Suisse pour le vote du 7 juin prochain
utilise des affiches montrant les ravages opérés par la
catastrophe de Tchernobyl sur des enfants, en appui de son opposition aux OGM.
L'amalgame est ainsi devenu pratique courante.
Comment, dès lors, la société pourrait-elle se
déterminer sereinement sur ce sujet d'importance ? Car les enjeux
liés à cette technique sont considérables pour notre
économie, notre société, notre culture.