B. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI

Le mercredi 2 juillet 1997, la délégation a entendu, en commun avec la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées, M. Pierre Moscovici, Ministre délégué chargé des Affaires européennes, sur les résultats de la Conférence intergouvernementale.

M. Pierre Moscovici relève d'abord que le nouveau Gouvernement, qui a été très rapidement confronté à d'importantes échéances européennes, a dû assumer l'ordre du jour du Conseil européen d'Amsterdam, dont il juge les résultats contrastés, mitigés et à certains égards frustrants.

Cependant, selon le ministre délégué chargé des affaires européennes, le Gouvernement français a pu faire valoir auprès de ses partenaires ses préoccupations en faveur d'une Europe plus humaine, alors même que les approches exclusivement techniques ou économiques avaient montré leurs limites. Les acquis d'Amsterdam constituent, selon M. Pierre Moscovici, un point de départ pour réconcilier l'Europe et ses peuples, processus dans lequel la représentation nationale a un rôle décisif à jouer.

Le ministre délégué aux affaires européennes, détaillant ensuite le bilan du Conseil européen d'Amsterdam, considère en premier lieu que les Quinze ont pu procéder à un rééquilibrage de l'Union économique et monétaire. Il rappelle que le Gouvernement français a obtenu que l'emploi et la croissance soient placés sur le même plan que la stabilité budgétaire, à travers l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi, ainsi que diverses mesures en faveur de l'emploi, reposant en particulier sur une intervention renforcée de la Banque européenne d'investissements. Il souligne toutefois que ces dispositions constituent un cadre d'une politique pour l'emploi qu'il conviendrait de concrétiser dans les mois à venir.

M. Pierre Moscovici rappelle, à cet égard, la décision de réunir un Conseil extraordinaire sur l'emploi à Luxembourg, sans doute à la fin du mois de novembre, dont l'objet devrait être d'aboutir à des mesures opérationnelles et à un ensemble de moyens témoignant, dans ce domaine, d'une priorité comparable à celle accordée à la stabilité budgétaire. Par ailleurs, il indique qu'il a été demandé au Conseil et à la Commission de renforcer la coordination des politiques économiques en exploitant notamment les articles existants (102-A, 103 et 109) du traité sur l'Union européenne. Il souligne de nouveau que ces différents acquis du sommet d'Amsterdam représentent un point de départ et non pas un aboutissement.

Evoquant ensuite la conclusion de la Conférence intergouvernementale et les résultats du Conseil européen dans le domaine institutionnel, M. Pierre Moscovici fait état d'un bilan mitigé. Il indique d'abord qu'aucun résultat n'a pu être obtenu ni sur la composition de la Commission, ni sur une nouvelle pondération des voix. Pour le ministre délégué, la question institutionnelle figure désormais, avec les politiques structurelles et le budget communautaire, parmi les problèmes prioritaires que les Quinze devraient régler dans un proche avenir. Il ajoute que le Gouvernement français établissait et défendrait, pour sa part, le lien de connexité évident entre la réforme institutionnelle et le futur élargissement de l'Union européenne.

M. Pierre Moscovici évoque toutefois les progrès accomplis en faveur de l'approfondissement de l'Union européenne. Il cite la mise en place d'outils plus efficaces, tels que les coopérations renforcées et l'extension des votes à la majorité qualifiée. Il souligne également le renforcement de la capacité d'intervention à l'extérieur de l'Union européenne, à travers notamment l'institution d'un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), la définition de stratégies communes à la majorité qualifiée, et la création d'un centre d'analyse et de prévision. Le ministre délégué aux affaires européennes souligne également les différents acquis obtenus à Amsterdam en faveur d'une Europe des citoyens : renforcement de la clause de non-discrimination entre hommes et femmes, l'intégration du protocole social au nouveau traité, la mise en place progressive -et avec toutes les garanties demandées par la France- d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Se félicitant d'abord que Strasbourg ait été confirmé à l'occasion du sommet d'Amsterdam comme siège du Parlement européen, le ministre délégué relève également d'autres motifs de satisfaction pour la France : une meilleure prise en compte de la situation des DOM-TOM, la reconnaissance du rôle des services publics et, enfin, une meilleure association des Parlements nationaux aux travaux de l'Union européenne. Sur ce dernier chapitre, M. Pierre Moscovici note que la procédure de consultation des Parlements nationaux a été améliorée, le nouveau traité instaurant notamment un délai minimum entre le dépôt des projets d'actes communautaires de la Commission et l'inscription de ces textes à l'ordre du jour du Conseil. Il précise que cette disposition devrait permettre d'améliorer encore la collaboration instituée dans ce domaine entre le Gouvernement et chacune des deux assemblées.

A cet égard, le ministre délégué souligne l'importance que revêt la procédure prévue par l'article 88-4 de notre Constitution et observe, en particulier, que la délégation du Sénat pour l'Union européenne a poursuivi, pendant la période de campagne électorale, l'examen de plusieurs textes dans le cadre de cette procédure. M. Pierre Moscovici conclut que la collaboration du Parlement devait permettre d'éclairer les choix du Gouvernement et présentait à ce titre un caractère indispensable.

M. Jacques Genton , président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, considère que l'accord d'Amsterdam contient un certain nombre de dispositions positives. Il souligne la bonne préparation de cette négociation par les autorités françaises et rend hommage au précédent ministre chargé des affaires européennes, qui a permis une bonne association du Parlement français au processus engagé depuis la conférence de Turin en 1996. Il relève que, s'agissant du volet social, bon nombre de points mis en exergue par le Gouvernement rejoignaient les préoccupations des membres de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Il déplore en revanche l'absence d'accord sur de nouvelles règles de composition de la Commission européenne et de pondération des voix, en constatant que les textes adoptés sur ce point par le Conseil européen ne se contentaient pas de laisser inchangée la pondération des voix, mais qu'ils reconduisaient le compromis adopté à Ioaninna en mars 1994, après qu'une première tentative de réforme institutionnelle au sein d'une Europe à douze avait échoué. Il lui apparaît fortement improbable que l'accord, qui n'a pu être obtenu à la veille du précédent élargissement, puisse se réaliser, dans une Europe à quinze, à la veille du prochain élargissement. Il souligne le caractère extrêmement complexe de la formulation retenue à Amsterdam pour la mise en oeuvre des coopérations renforcées, en estimant que le texte revient à reconnaître un véritable droit de veto à chaque Etat membre. M. Jacques Genton s'interroge sur l'attitude qu'adopterait le Conseil européen à la veille du futur élargissement si aucun accord sur la réforme institutionnelle n'était intervenu d'ici là. Il souhaite que, dans cette perspective, la France puisse compter sur des alliés sûrs et fidèles.

M. Christian de La Malène considère que, si elle représentait une avancée, la résolution sur l'emploi et la croissance n'avait pas pour autant la même force juridique que le pacte de stabilité, ce dernier se fondant sur le traité de Maastricht et sur des règlements communautaires. Il constate qu'une fois encore, la dynamique de l'élargissement s'avère beaucoup plus forte que celle de l'approfondissement et souhaite savoir si le Gouvernement a l'intention de demander au Président de la République de soumettre la ratification du nouveau traité à référendum.

M. Denis Badré estime qu'à l'issue du Conseil d'Amsterdam, il est nécessaire de ressouder le couple franco-allemand et de réaffirmer le caractère incontournable de la réforme institutionnelle avant de s'engager sur la voie de l'élargissement. Evoquant ensuite des propositions récentes de la Commission, transmises au Parlement français, il indique qu'il ressort des travaux menés, ces dernières semaines, au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne que plusieurs de ces propositions n'étaient pas acceptables en l'état. Il cite notamment l'avant-projet de budget des Communautés pour 1998, dont il juge la progression excessive, alors que l'Union devrait montrer l'exemple en stabilisant voire en réduisant son budget, par exemple en réalisant des économies sur les crédits affectés à la politique agricole et aux fonds structurels. Il se déclare également défavorable aux propositions relatives au régime uniforme de TVA et à la limitation des "déficits excessifs". Enfin, il souhaite une ratification rapide du texte permettant l'adhésion de l'Autriche à la convention de Schengen.

M. Daniel Millaud déplore l'absence de prise en compte par le Conseil européen d'Amsterdam des préoccupations spécifiques des territoires d'outre-mer et, plus particulièrement, de la Polynésie française. Estimant que ceux-ci étaient victimes d'une véritable distorsion par rapport au régime dont bénéficiaient les départements d'outre-mer et aux dispositions obtenues par des pays comme les Pays-Bas, le Danemark ou la Finlande pour certains de leurs territoires, il indique que l'Assemblée territoriale de Polynésie française avait fermement demandé, dans une récente délibération, une modification du Traité de Rome afin de mieux respecter l'autonomie du territoire, faute de quoi la Polynésie française ne souhaiterait plus rester associée à l'Union européenne.

M. Michel Rocard demande des précisions sur la date de la nomination du Haut représentant du Conseil pour la politique étrangère et de sécurité commune et sur la mise en place d'un centre d'analyse stratégique. Il s'interroge sur la position française à l'égard d'un éventuel blocage de l'élargissement, envisagé par certains pays, en cas de statu-quo sur la réforme institutionnelle. Constatant le peu d'efficacité de la procédure de la Conférence intergouvernementale, il avance l'idée de la constitution d'un Haut Conseil ou d'un Comité des Sages, indépendant des Gouvernements et investi d'une mission de proposition en matière institutionnelle. Enfin, il considère que, loin d'être excessif, le montant des crédits prévus par l'avant-projet de budget des Communautés pour 1998 faisait apparaître certaines insuffisances qui se traduiront par des restrictions, notamment sur le niveau de la politique européenne de coopération.

Mme Danielle Bidard-Reydet souhaite qu'une large consultation précède le Conseil européen de Luxembourg sur l'emploi et que les propositions que le Gouvernement français y présentera fassent l'objet d'un débat préalable.

M. Pierre Mauroy estime que l'absence de résultat en matière institutionnelle compromettait le futur élargissement et qu'il importait, pour la France, de trouver des alliés pour débloquer la situation. Il considère que les changements politiques récemment intervenus en Grande-Bretagne et en France créaient un contexte nouveau et rendaient plus que jamais nécessaire l'ouverture de perspectives nouvelles et fortes sur l'emploi à l'occasion de la réunion de Luxembourg.

M. Pierre Fauchon , commentant les résultats du Conseil d'Amsterdam, relève que chaque avancée apparente s'accompagnait de réserves qui constituaient en réalité de véritables retours en arrière, ainsi qu'en témoignait le texte relatif aux coopérations renforcées qui instaurait un droit de veto exorbitant entravant la liberté d'action des Etats membres. Il déplore le peu de progrès réalisés sur la question de l'espace judiciaire européen et suggère que la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires (COSAC) conduise, en y impliquant les commissions chargées des questions juridiques des différents Parlements nationaux, une réflexion commune en vue de progrès rapides et concrets dans ce domaine.

M. Xavier de Villepin , président, souhaite obtenir des précisions sur les modalités et le calendrier de la négociation sur l'élargissement, ainsi que sur les pays qui y participeront. Il se demande si l'Union de l'Europe Occidentale ne sortait pas plus affaiblie encore des travaux de la Conférence intergouvernementale.

M. Pierre Moscovici répond ensuite aux différents intervenants.

Il se déclare tout d'abord disposé, comme l'avait fait son prédécesseur, à associer aussi étroitement que possible le Parlement à la conduite de la politique européenne de la France. Il réaffirme que le Gouvernement entendait assumer les résultats du Conseil d'Amsterdam bien qu'il ait dû prendre en fin de parcours les négociations de la Conférence intergouvernementale et qu'il ait dû en outre se consacrer à l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi destinée à contrebalancer le pacte de stabilité.

Convenant avec l'ensemble des intervenants que l'absence de réforme institutionnelle préalable à l'élargissement constituait une préoccupation majeure, il confirme que le Gouvernement français continuerait à demander que cette question soit résolue avant d'engager tout élargissement, dans le cadre d'une négociation nécessairement limitée aux quinze Etats membres actuels. Reconnaissant les faiblesses du texte adopté sur ce point à Amsterdam, il souligne néanmoins que, pour la première fois, la nécessité du lien entre l'élargissement et la réforme institutionnelle avait été formalisée. Il admet également que la clause obtenue par les Britanniques pour pouvoir empêcher la mise en oeuvre des coopérations renforcées s'apparentait au compromis de Luxembourg, mais il juge peu probable que celle-ci soit systématiquement invoquée et il rappelle qu'en tout état de cause, des coopérations entre Etats pourraient être conduites en dehors du traité, ainsi que l'avait illustré la Convention de Schengen.

M. Pierre Moscovici réaffirme la volonté du Gouvernement français que la résolution sur la croissance et l'emploi connaisse rapidement des prolongements pratiques.

En ce qui concerne la procédure de ratification du nouveau traité, le ministre délégué rappelle que le Président de la République avait déclaré que les modifications qu'il contenait ne lui paraissaient pas suffisamment importantes pour justifier le recours à un référendum. Il évoque par ailleurs le danger qu'un texte de portée limitée ne devienne le prétexte à des débats qui conduiraient à remettre en cause l'ensemble de la construction européenne.

A propos du projet de budget des Communautés pour 1998, il se déclare sensible aux préoccupations de rigueur tout en estimant que celles-ci ne devaient pas s'exercer au détriment des grands équilibres de la politique agricole commune et de la politique structurelle de l'Union.

Il précise que le texte relatif à l'adhésion de l'Autriche et de la Grèce à la convention de Schengen n'avait pu être soumis au Parlement en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale mais que les dispositions seraient prises pour que son examen par les deux assemblées puisse intervenir avant le 31 octobre prochain.

M. Pierre Moscovici considère que la déclaration sur les territoires d'outre-mer adoptée à Amsterdam n'était pas sans incidence puisqu'elle prévoyait une révision avant l'an 2000 du dispositif actuel.

Il précise ensuite que la date de la désignation du Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune n'était pas encore arrêtée, la France n'étant guère favorable à la solution consistant à confier cette responsabilité au secrétaire général du Conseil. Il souhaite par ailleurs une mise en place rapide du Centre d'analyse stratégique.

Il indique que le Gouvernement pourrait conduire une réflexion sur des formules alternatives à celle de la Conférence intergouvernementale pour la mise au point des réformes institutionnelles indispensables.

Il se déclare favorable à une consultation des forces sociales avant la réunion de Luxembourg sur l'emploi et la croissance.

En ce qui concerne les pays appelés à participer à l'élargissement, il souhaite que l'ensemble des candidats participent au début des négociations et qu'un processus différencié soit ensuite mis en oeuvre.

Enfin, tout en reconnaissant que l'Union de l'Europe Occidentale ne sortait pas renforcée du Conseil d'Amsterdam, il souligne que la perspective d'une intégration à terme de l'UEO dans l'Union européenne avait néanmoins été évoquée.

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