2.2 Un renforcement réglementaire apparaît peu opportun, mais quelques aménagements sont envisageables

Ces critiques sévères, cette défiance farouche s'appuient en partie sur le sentiment que les outils de contrôle appliqués par l'autorité publique aux activités de l'opérateur minier, de l'exploitant des usines de traitement ou du gestionnaire des stockages, sont mal utilisés. Le réseau des exigences réglementaires n'est pourtant pas négligeable.

2.2.1 Les procédures sont nombreuses et plutôt contraignantes

1. En matière de travaux miniers, l'ensemble des droits et obligations des exploitants est essentiellement contenu dans le Code minier et les textes pris pour son application, dont le Règlement général des Industries extractives. La loi n° 70-1 du 2 janvier 1970 avait marqué le début d'une série de textes législatifs et réglementaires qui visaient à une meilleure protection de l'environnement contre les conséquences des mines et carrières. C'est en effet à cette époque qu'étaient apparus l'obligation de remise en état à l'issue des travaux et l'intérêt d'une intervention des autorités.

La loi n° 94-588 du 15 juillet 1994 a poursuivi ce mouvement. Pour le sujet qui nous intéresse, elle a clairement défini les intérêts soumis désormais à la protection de la loi (42) ; elle a également remplacé le régime d'« abandon » et de « délaissement » par une déclaration de cessation d'activité (135 ( * )) . Désormais, "lors de la fin de chaque tranche de travaux et, en dernier ressort, lors de la fin de l'exploitation et l'arrêt des travaux", l'explorateur ou l'exploitant doit présenter un dossier aux autorités. Ce dossier a pour objet de faire connaître à l'administration les mesures que l'exploitant envisage afin de préserver les intérêts protégés par la loi. Comme le dit M c Christian HUGLO dans un commentaire juridique : " Il s'agit bien à la fois d'une étude qui contient une analyse de l'état actuel des travaux miniers et de leurs conséquences, la mesure de leurs effets et la détermination des mesures compensatoires. On songe ici aux éléments essentiels de l'étude d'impact telle que décrite à l'article 2 du décret du 12 octobre 1977." (136 ( * ))

Sur le point très sensible de la qualité des eaux, notons en particulier que "dans tous les cas, l'explorateur ou l'exploitant dresse le bilan des effets des travaux sur la présence, l'accumulation, l'émergence, le volume, l'écoulement et la qualité des eaux de toute nature, évalue les conséquences de l'arrêt des travaux ou de l'exploitation sur la situation ainsi créée et sur les usages de l'eau et indique les mesures compensatoires envisagées" (Code minier, art. 84-2).

L'administration a de son côté le devoir d'instruire le dossier (consultations diverses...), le pouvoir de prescrire des travaux, et éventuellement le droit de les exécuter d'office :

- mesures à exécuter et modalités de réalisation qui n'auraient pas été suffisamment précisées ou auraient été omises par le déclarant ;

- travaux à exécuter pour préserver les paysages et pour répondre aux objectifs mentionnés aux articles 1 er et 2 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau et ce à due proportion des conséquences de l'exploitation minière ;

- mesures nécessaires pour préserver les intérêts agricoles des sites et lieux affectés par les travaux et les installations.

Enfin, "lorsque les mesures prévues [...] ou prescrites par l'autorité administrative [...] ont été réalisées, l'autorité administrative en donne acte à l'explorateur ou à l'exploitant. Cette formalité met fin à la surveillance des mines telles qu'elle est prévue à l'article 77. Toutefois, s'agissant des activités régies par le présent code, l'autorité administrative peut intervenir dans le cadre des dispositions de l'article 79 jusqu'à l'expiration de la validité du titre minier. " La surveillance inscrite à l'article 77 est celle de l'administration sur l'exploitation des mines, et non celle de l'exploitant (ou de l'explorateur) sur l'environnement des mines. En revanche il est probable que la rédaction de l'article exclut la poursuite de la transmission annuelle par l'exploitant à l'autorité du "rapport relatif [aux] incidences sur l'occupation des sols et les caractéristiques essentielles du milieu environnant".

M c HUGLO conclut les passages de son commentaire en estimant que "la construction juridique adoptée par le législateur est très comparable à celle qui résulte des installations classées".

2. Ceci est fort heureux car, pour sa part, le décret n° 90-222 du 9 mars 1990, qui intègre des préoccupations de protection radiologique dans le Règlement général des industries extractives, est fort peu disert sur les mesures à prendre lors de la fin de l'exploitation. Les seules indications que j'y ai trouvées sont :

- l'application du principe d'optimisation après l'arrêt définitif : "les travaux doivent être conduits de façon que leur impact radiologique sur l'environnement soit aussi faible qu'il est raisonnablement possible de le faire, aussi bien pendant la période de l'exploitation qu'après son arrêt définitif" (art. 3) ;

- l'obligation de surveillance après la fin des travaux, pour les dépôts de produits solides soumis à un plan de gestion ; les résidus miniers font partie de ces catégories de matériaux (art. 8).

Je suis surpris par le contenu du dernier alinéa de cet article 8 : "Un dépôt doit faire l'objet d'une surveillance par l'exploitant pendant la durée des travaux et après la fin de ceux-ci jusqu'à ce qu'il soit constaté que son impact radiologique sur l'environnement est acceptable. Dans tous les cas la durée de cette surveillance doit être supérieure à un an." Mes interlocuteurs de COGEMA m'ont indiqué que la référence à un "impact radiologique acceptable" est une innovation mondiale et que seule la réglementation française fait état de cette notion d'acceptabilité. Je me félicite de l'avance prise par notre pays au plan réglementaire et je note avec plaisir que la rédaction de l'article 8 intègre pour la première fois une notion centrale de la philosophie de radioprotection dans un dispositif juridique.

J'ai donc cherché à en savoir plus sur les critères de l'acceptabilité, ou tout au moins sur l'existence de « guides d'acceptabilité » qui pourraient servir à l'exploitant et à l'autorité administrative pour juger de l'impact d'un dépôt de résidus. Le tableau s'est avéré moins réjouissant... La circulaire d'application accompagnant le décret indique en effet dans son paragraphe commentant l'article 8 que "l'impact radiologique sur l'environnement est considéré acceptable lorsque les limites annuelles des expositions ajoutées prescrites à l'article 6 sont respectées." La belle affaire ! On est ainsi confronté au raisonnement suivant :

- la surveillance du dépôt après l'exploitation doit être effectuée tant que l'impact radiologique ne peut pas être considéré comme acceptable ;

- l'impact radiologique du dépôt est jugé acceptable dès lors que les limites d'exposition ajoutée sont respectées ;

- mais pendant toute la durée des travaux miniers, l'exploitant est tenu de respecter ces mêmes limites ;

- donc au moment même où il arrête les travaux, l'exploitant se trouve dans les conditions où il est déchargé de toute obligation de surveillance...

Qui plus est, la rédaction de la circulaire suggère que la conformité aux limites doit s'apprécier séparément pour chacune d'entre elles. Or nous avons vu auparavant que cette méthode est moins rigoureuse que celle du TAETA, qui combine en un seul indicateur les effets de toutes les voies d'exposition. La circulaire est donc, pour ce qui concerne le critère d'abandon de la surveillance, dépourvue de toute portée opératoire.

Deuxième point problématique : le décret 90-222 fait constamment référence à l'« exploitant ». Cette rédaction restrictive laisse supposer qu'il ne s'appliquera plus lorsque la validité du titre minier accordé à l'exploitant aura expiré. Si la fin de validité du titre minier devait entraîner naturellement la fin de la condition d' « exploitant », il pourrait être intéressant de « déconnecter » de cette situation juridique les obligations supportées par ailleurs en matière de radioprotection. Il n'est pas a priori illégitime que la durée de la surveillance imposée à l'exploitant dans le milieu naturel dépasse le cadre temporel de sa qualification juridique d' « exploitant ». Sinon, comment faire en sorte que la protection des intérêts visés à l'article 79 de la loi n° 94-588 soit réellement assurée tant que pourront durer les nuisances ?

En fait l'horizon donné par la durée de validité du titre minier limite dans le temps l'intervention de l'autorité administrative et les possibilités préventives du contrôle. Cette limitation ne dégage pas l'exploitant de sa responsabilité, telle que définie par les textes généraux comme le Code civil ou par des textes particuliers. Elle ne dégage pas non plus l'autorité administrative de sa responsabilité, puisque cette autorité était investie d'une mission de protection. Elle fait passer d'un régime de régulation administrative (police des mines) à un régime de régulation judiciaire, tout en maintenant applicable par ailleurs d'autres régimes de police (des eaux, municipale, etc.).

3. Ce changement est valable dans ces termes pour les mines elles-mêmes ; il ne trouve pas à s'appliquer pour les dépôts de résidus (et les installations de traitement), qui relèvent en tout état de cause de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 et décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977, modifiés). Je ne m'étendrai pas sur le régime des ICPE ; je veux simplement noter ici les divers points d'ancrage réglementaires qui peuvent concerner les sites de stockage de résidus :

- la circulaire et l'instruction technique annexée du 29 janvier 1986, relatives aux installations de traitement de minerai d'uranium, donnent aux préfets des indications visant à préciser les prescriptions nécessaires à l'élaboration des arrêtés préfectoraux d'autorisation :

- plusieurs rubriques de la Nomenclature des installations classées peuvent être évoquées dans l'autorisation accordée à l'installation de traitement, dont certaines peuvent être appliquées aux stockages de résidus ;

- le titre IV de l'instruction technique (« démantèlement, surveillance des installations en fin d'exploitation ») recommande d'inclure dans les arrêtés diverses dispositions relatives aux "tas de résidus" : profil paysage, remise en végétation, gestion des eaux, dispositifs de surveillance ;

- le titre V (« déchets et dépôts de matériaux provenant d'installations classées ») précise certaines exigences qui peuvent être demandées aux stockages pendant la phase d'exploitation et envisagent un arrêt de la surveillance "après stabilisation " ou "lorsque les résultats de contrôle et de surveillance ne mettent plus en évidence un impact significatif du cas sur l'environnement" ;

- les sites de stockage eux-mêmes peuvent être inclus dans une autorisation globale accordée à une installation de traitement (MCO du Brugeaud et bassin de Lavaugrasse, rattachés à l'autorisation de l'usine SIMO de Bessines) ou bien faire l'objet d'un arrêté spécifique ; c'est le cas à Montmassacrot et à Bellezane puisque le stockage des résidus y a succédé à une activité minière ;

- à la fin de la période d'exploitation, l'exploitant renonce aux autorisations ICPE dont il n'a plus besoin mais conserve l'autorisation ICPE de stockage.

2.2.2 Quelques aménagements mineurs pourraient être introduits

l. "Il n'est plus accepté de voir un industriel commencer à faire des travaux « de mèche » avec la DRIRE, parce qu'il sait qu'on lui donnera l'autorisation. On a beau dire que si ce n'est pas accepté il sera obligé de revenir en arrière, je vois mal la COGEMA faire « à l'envers » ce qu'elle a fait « à l'endroit ». Ce n'est pas crédible." En s'exprimant ainsi avec vigueur lors de l'audition du 16 novembre, Mme BENARD, au nom de FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, exprimait un très fort sentiment que j'avais également perçu en Limousin.

J'ai moi-même regretté dans un de mes tout premiers rapports le décalage entre l'octroi du permis de construire d'une part, l'autorisation de création d'INB d'autre part, pour les installations nucléaires de base. Je comprends la portée de l'argument et l'impact que peut avoir auprès d'une population le fait que soient entrepris des travaux de réaménagement alors que n'est pas encore paru l'arrêté préfectoral fixant les conditions de ce réaménagement.

Cependant, pour le réaménagement des sites de stockage de résidus, le problème ne se pose pas exactement dans les termes évoqués par Mme BENARD. Le régime juridique des installations classées combine en effet rigueur et souplesse : rigueur, car l'exploitant d'une ICPE est enserré dans un réseau d'obligations à tous les stades de la vie de cette installation (création, fonctionnement, arrêt définitif) ; souplesse car il bénéficie d'une « liberté sous contrôle ».

Le point d'achoppement principal en matière de déroulement temporel des procédures est que le seul moment où l'industriel est obligé d'attendre la parution d'un arrêté préfectoral est la mise en exploitation de l'ICPE. L'autorisation préfectorale (assortie des prescriptions de fonctionnement jugées nécessaires) doit être obtenue avant toute exploitation de l'ICPE concernée. La mise en service d'une ICPE avant autorisation est constitutive d'un délit correctionnel, mais la loi prévoit que cette situation peut par ailleurs être régularisée (137 ( * )) . La rigueur de la protection offerte par la loi est maximale lors de la création de l'ICPE. Elle reste cependant assortie de son pendant naturel, la souplesse, puisque la mise en service de l'installation peut intervenir dès la publication de l'arrêté préfectoral, sans qu'aucun texte ne permette au préfet de subordonner cette mise en service à la vérification que les prescriptions de l'arrêté sont bien respectées. Dès lors que l'autorisation a été accordée, l'exploitant peut effectuer sur son ICPE toutes les activités compatibles avec les prescriptions de l'arrêté d'autorisation.

Pour les stockages de résidus en Limousin, COGEMA dispose par exemple d'autorisations de stockage ICPE pour les sites de Montmassacrot et Bellezane. À Montmassacrot l'arrêté d'autorisation a été publié le 19 novembre 1986, le stockage a débuté en 1987 ; à Bellezane l'arrêté a été publié le 17 novembre 1988, le stockage commerçant avant la fin de l'année. Il est évident que les stockages constitués avant l'entrée en vigueur de la loi de 1976 sur les ICPE et les textes pris pour son application ont dû être régularisés a posteriori. Les stockages du Brugeaud et de Lavaugrasse, situés sur l'emprise de l'usine SIMO de Bessines, étaient couverts par l'autorisation de l'usine, accordée successivement par des arrêtés du 29 janvier 1958, 25 juillet 1972 et 2 août 1990. Seul ce dernier arrêté est pris dans le cadre de la législation ICPE.

Si le préfet juge nécessaire d'imposer de nouvelles prescriptions, il a la possibilité de prendre un arrêté complémentaire. De son côté, si l'exploitant apporte une modification à l'installation, à son mode d'utilisation ou à son voisinage, de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier de demande d'autorisation, il doit porter au préalable ce projet de modification à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation ; le préfet peut fixer, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires à l'arrêté d'autorisation initial. Le réaménagement des sites de stockage en vue de leur fermeture s'inscrit tout à fait dans cette perspective.

Mais aucun texte n'oblige l'exploitant de l'ICPE à attendre la publication d'un arrêté complémentaire pour entreprendre les travaux de réaménagement (138 ( * )) . Au contraire, la loi lui fait obligation de s'assurer que la protection des intérêts énumérés à son article 1 er est toujours garantie. Le réaménagement s'inscrit dans la poursuite de l'exploitation et ne nécessite pas d'autorisation nouvelle. En revanche l'exploitant court le risque de voir ses travaux se révéler non conformes aux prescriptions imposées par l'arrêté complémentaire ; il a donc intérêt à les concevoir correctement. Il peut d'ailleurs être guidé sur les attentes de l'autorité administrative par les courriers qui précèdent la mise au point et la publication de l'arrêté préfectoral.

Le projet de réaménagement du site de l'usine SIMO à Bessines illustre parfaitement cet état de la réglementation :

- par courrier du 15 juillet 1993, le chef de la division minière de La Crouzille, représentant de l'exploitant, a transmis au préfet de Haute Vienne le projet de réaménagement du site ;

- par courrier du 1 er octobre 1993, le préfet a accusé réception de ce projet et a indiqué (à tort) à l'exploitant que "le réaménagement de ces sites ne sera pas autorisé tant que je ne serai pas assuré que toutes les dispositions ont été prises pour protéger les intérêts visés à l'article 1 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976" ; le préfet concédait toutefois que les diverses autorisations ICPE accordées à l'exploitant lui permettaient d'accomplir d'ores et déjà certains travaux ;

- par courrier du 10 juin 1994, l'exploitant a transmis au préfet un dossier relatif à une deuxième phase des travaux de réaménagement, qui s'inscrivait dans le cadre du projet général déposé l'année précédente ;

- par un courrier du 5 juillet 1994, le préfet a accusé réception de ce projet et a précisé le cadre juridique dans lequel étaient réalisés l'ensemble de ces travaux : après la citation de l'article 34 du décret de 1977, le préfet indiquait ainsi que "de l'analyse de ce texte il apparaît que la réalisation des travaux ne nécessite pas d'autorisation préalable, sachant qu'à tout moment je peux vous imposer des prescriptions relatives à la remise en état du site" ; en l'attente de l'arrêté complémentaire, le préfet tenait cependant à attirer l'attention de l'exploitant sur "les points particuliers suivants : "

"- digue du Brugeaud : le rapport BARTHELEMY-COMBES (page 18) signale que la présence de la Gartempe en bordure de cette digue nécessite une solide protection du pied de digue, conçue pour résister aux crues millénaires ; cette exigence sera reprise dans l'arrêté qui fixera les conditions de réaménagement ; je vous demande en conséquence de prendre toutes dispositions à cet égard ; "

"- bassin du Brugeaud : ce site s'est révélé d'une sensibilité particulière depuis la parution du rapport DESGRAUPES ; il n'est pas exclu que les expertises en cours et notamment celte portant sur l'hydrogéologie fassent apparaître la nécessité d'engager des travaux non prévus dans votre projet de réaménagement ; "

"- circuit des eaux : il me paraît préférable que le circuit de collecte des eaux ne soit pas modifié tant que les expertises rappelées ci-dessus ne sont pas achevées. "

L'examen de ces courriers montre que, bien loin d'être laxiste, la DRIRE du Limousin, conseillant le préfet, a souhaité pallier la souplesse réglementaire en encadrant le plus possible les travaux annoncés par l'exploitant.

On se trouve ainsi placé dans une situation où plusieurs logiques s'entrecroisent :

- COGEMA souhaite aller rapidement et met en avant plusieurs arguments : la nécessité de procéder le plus tôt possible au recouvrement des résidus, car c'est le moyen essentiel de la protection ; la nécessité de maintenir un niveau d'activité économique raisonnable grâce aux travaux de réaménagement, dans un contexte local marqué par l'arrêt des activités industrielles et la perte de plusieurs dizaines d'emplois ;

- les associations s'inquiètent de ce que les travaux ne font l'objet d'aucun contrôle préalable ; elles craignent "l'irréversible" et accusent la DRIRE de ne pas bloquer les initiatives de COGEMA ;

- la DRIRE souhaite manifestement encadrer les travaux autant que le lui permet la réglementation, mais ne peut pas aller très loin du fait même de cette réglementation.

Faut-il alors modifier la réglementation ICPE pour imposer à l'exploitant d'un site de stockage d'attendre la publication de l'arrêté complémentaire ? J'ai dit précédemment, dans une note de bas de page, que l'exploitant risquait parfois d'attendre longtemps un arrêté dont la publication n'est en aucune façon obligatoire. De façon plus générale, en énonçant le décret de 1977, l'autorité réglementaire a considéré que ce délai irait justement à rencontre des intérêts protégés par la loi de 1976. Ainsi, même dans le cas de la cessation d'activité d'une ICPE, l'exploitant a l'obligation de "remettre le site de l'installation dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1" de la loi du 19 juillet 1976." Cette obligation s'impose à lui sans qu'il soit besoin de prendre un quelconque arrêté préfectoral ; l'exploitant à un devoir d'action a priori.

Autant je suis ouvert à une adaptation des règlements aux circonstances, autant je suis opposé à l'adoption de règlements de circonstances. C'est pourquoi il me paraît préférable d'orienter les actions dans deux directions :

- le traitement administratif des sites du Limousin ne peut que se poursuivre si la voie qu'il a prise jusqu'ici : COGEMA a commencé des travaux qui ne sont en aucune façon soumis à autorisation préalable ; l'administration a entrepris de contrôler la justification de ces travaux, a présenté certains de ses objectifs à l'exploitant, a demandé qu'il en tienne compte de façon prévisionnelle, et prépare une série de prescriptions complémentaires sur ces bases et avec des informations à venir bientôt ; l'administration est partie « en retard » sur l'exploitant - mais rien ne l'obligeait à partir en avance et rien n'obligeait l'exploitant à l'attendre...

- pour les sites de l'Hérault, je souhaite que l'administration commence dès aujourd'hui à « prendre ses marques », de façon à ne pas donner l'impression de courir après les initiatives de l'exploitant ; dans le cadre de la réglementation en vigueur, le préfet pourrait prendre des arrêtés demanda à COGEMA de procéder dès aujourd'hui à un ensemble d'études sur les site de stockage de résidus, dans la perspective de leur réaménagement ; ces arrêtés devraient s'appuyer sur ceux relatifs aux sites du Limousin et pourraient être accompagnés d'un échéancier pour la remise des études ; je ne vois pas d'obstacle réglementaire à ce qu'ils conditionnent le début des travaux de réaménagement à l'approbation des dossiers déposés auprès de l'autorité préfectorale (139 ( * )) ; la seule difficulté à laquelle on pourrait être confronté serait que l'exploitation des stockages soit arrêtée (du fait de l'arrêt des usines de traitement) sans que les dossiers de réaménagement n'aient été approuvés ; cela laisserait les sites dans une situation transitoire peu compatible avec les objectifs de protection de la loi de 1976 ; d'où l'intérêt pour l'administration et l'exploitant de commencer les procédures très tôt...

2. La querelle juridique au sujet du classement des stockages de résidus en INB ou en ICPE n'est toujours pas résolue, à ma connaissance. Je crois savoir pourtant que la justice administrative avait été saisie en 1992, comme cela avait été indiqué dans le rapport de J.Y. LE DEAUT.

Rappelons brièvement l'enjeu du débat : les associations estiment que le classement des stockages de résidus en INB apportera de meilleures garanties de protection aux populations ; tout en affirmant que cette idée est illusoire, COGEMA souhaite manifestement conserver le classement actuel sous le régime des ICPE. Le raisonnement que soutient COGEMA peut être résumé ainsi :

- les résidus de traitement sont des substances radioactives naturelles ; en effet : 1/ ils ne contiennent aucun radionucléide artificiel et ne sont en aucun cas le siège d'activation ; 2/ suite au traitement leur activité massique est inférieure (de l'ordre de 30 %) à celle du minerai d'origine, qui est bien une substance radioactive naturelle (140 ( * )) ; 3/ les équilibres radioactifs existants entre les différents radionucléides du minerai demeurent, même si pour les résidus désuraniés la chaîne de filiation a été coupée au Th 230 devenu de ce fait tête de chaîne ;

- les résidus de traitement sont donc assimilables, en termes de radiotoxicité, à de l'uranium naturel ; celui-ci est placé dans le groupe des radioéléments de plus faible radiotoxicité (groupe 4) ;

- dans la grande majorité des cas, les résidus ont une activité massique totale inférieure à 500 Bq.g -1 ; ils ont de toute façon une activité massique « têtes de chaîne » toujours inférieure à 500 Bq.g -1 ;

- en vertu de l'avis rendu par le Conseil d'État dans sa séance du 11 décembre 1991, ces matières ne doivent pas être considérées comme radioactives au sens de la radioprotection (décret n° 66-450 du 20 juin 1966 modifié en 1988) ;

- dans cette interprétation stricte, le seul classement administratif possible est donc la rubrique ICPE n° 167 b « stockage de résidus issus d'une ICPE » ; dans certains cas la radioactivité des résidus ayant tout de même été prise en compte ils sont classés en rubrique n° 385 quinquies II.3.a « stockage de substances radioactives contenant des radioéléments du groupe III de radiotoxicité » ; en effet pour le groupe III le seuil d'activité totale entre le régime des ICPE et le régime des INB est 100 000 Ci.

Bien évidemment les opposants à cette situation ont construit un raisonnement tout à fait différent :

- suite aux traitements mécanique et chimique subis par les minerais, les résidus ne peuvent pas être considérés comme des substances naturelles ;

- ils doivent donc être considérés comme un mélange de radionucléides de radiotoxicités différentes, contenant en particulier du radium 226 qui appartient au groupe de plus forte radiotoxicité (groupe 1) ; l'avis du Conseil d'État relatif à la seule prise en compte de l'activité « têtes de chaîne » ne trouve donc pas à s'appliquer ;

- les résidus ayant dans leur quasi totalité une activité massique supérieure à lOOBq.g -1 , ils sont soumis à un régime de contrôle (déclaration ou autorisation) au sens du décret 66-450 du 20 juin 1966 ;

- le seuil à prendre en compte est celui relatif à un « stockage de substances radioactives contenant des radioéléments du groupe I de radiotoxicité », soit 1 000 Ci, comme indiqué dans la rubrique n° 385 quinquies II.l. a de la nomenclature ICPE.

Comme le remarque COGEMA, "en appliquant ce raisonnement au résidu moyen qui contient 29 Bq.g -1 de Ra 226 (soit de l'ordre de 0,6 mg.t -1 de résidus) tout stockage supérieur à 1,3 Mt devrait être classé en INB, cette quantité passant à 0,6 Mt port les résidus issus des minerais les plus riches exploités en France (Jouac par exemple)."

La clef de la question réside dans le fait de savoir si les résidus sont des substances radioactives naturelles et si on doit leur appliquer le mode de calcul utilisé pour les minerais d'uranium et de thorium, en prenant en compte uniquement l'activité des têtes de chaîne.

Sur le second point, j'ai longtemps cherché dans le décret de 1966 quel mot, quelle phrase, quel passage pouvait justifier la position retenue par le Conseil d'État. J'ai trouvé à moitié seulement...

L'annexe II.4° dit que "le thorium naturel et l'uranium naturel ne sont pas, au titre du présent décret, considérés comme des mélanges de substances radioactives ; pour l'application de l'article 3 il convient donc d'adopter les définitions suivantes :"

"- un becquerel de thorium naturel correspond à 1 désintégration alpha par seconde (0,5 dps de Th 232 + 0,5 dps de Th 228 ) ; [...]"

"- un becquerel d'uranium naturel correspond à 1 désintégration alpha par seconde (0,489 dps d'U 238 + 0,489 dps d'U 234 + 0,022 dps d'U 235 ) ; [...] "

L'article 3 du décret définit les conditions d'exemption applicables aux substances radioactives, en établissant un seuil spécial de 500 Bq.g -1 pour les substances « naturelles ». L'administration, et à sa suite le Conseil d'État, ont donc considéré - non sans logique - que la définition d'un « thorium naturel » et d'un « uranium naturel n'a d'intérêt et de sens que si elle se rapporte au minerai et non au radioélément. Ils ont ensuite déduit de la rédaction des paragraphes précités que la radioactivité du minerai est définie par celle de ses éléments « têtes de chaîne ».

Remarquons d'abord que l'U 234 n'est pas une tête de chaîne, pas plus que le Th 228 . Remarquons également que tous les éléments de la chaîne de l'uranium ou du thorium ne sont pas nécessairement des émetteurs á. Donc si l'on détecte un becquerel provenant du minerai, ce ne sera pas nécessairement un becquerel á. La « définition » réglementaire affirme ainsi que dans un minerai le becquerel â n'a pas d'existence juridique... C'est un problème redoutable puisque les deux descendants du radon qui ont un impact radiologique important sont justement des émetteurs â.

Cette lecture de la réglementation repose sur des approximations et des assimilations hasardeuses. La confusion vient du fait que l'on a transposé au minerai des considérations qui n'apparaissent valables, au seul examen du décret de 1966 , que pour l' élément . En fait une lecture stricte du décret de 1966 me fait apparaître que le "régime particulier de prise en compte de la radiotoxicité du thorium et de l'uranium naturels" relevé par le Conseil d'État vise à considérer que ces éléments doivent être pris (chacun pour ce qui le concerne) comme un radionucléide unique, lorsqu'on les rencontre dans les conditions naturelles c'est-à-dire sous forme de minerai. Pour l'uranium par exemple, les isotopes U 235 et U 238 appartiennent au groupe 4 de radiotoxicité alors que l'isotope U 234 appartient au groupe 1. Les experts en radioprotection ont cependant considéré que l'élément « uranium naturel », composé essentiellement de ces trois isotopes, pouvait être classé en groupe 4. La liste des radioéléments de ce groupe comporte d'ailleurs un « U 92 nat ».

La réglementation a ainsi voulu « créer » un nouveau radionucléide (141 ( * )) . Compte tenu des périodes radioactives de ces trois isotopes et de leurs proportions dans l'uranium naturel, l'autorité réglementaire a donc défini arbitrairement 1 becquerel d'« uranium naturel », égal à une désintégration a par seconde (dps), ce qui correspond statistiquement à 0,489 dps d'U 238 + 0,489 dps d'U 234 + 0,022 dps d'U 235 .

C'est bien cette perspective qu'a adoptée COGEMA dans un document précité (142 ( * )) , qui indique que "Par définition : 1 Bq d'U naturel = 0,489 Bq d'U 238 + 0,489 Bq d'U 234 + 0,022 Bq d'U 235 . L'uranium naturel est ainsi considéré comme un radionucléide unique composé de ses trois isotopes majeurs et son activité massique est de 25 253 Bq.g -1 . Cette a ctivité massique est effectivement celle de l'uranium contenu dans les uranates (yellow cake) frais avant qu'il n `ait reconstitué ses descendants à vie courte [ ... ]. " Le document COGEMA indique ensuite que "Dans la nature, l'uranium naturel est présent avec tous ses descendants et les valeurs d'activité massique à l'équilibre sont les suivantes : [...]
Activité têtes de chaîne (U 238 + U 235 ) de l'uranium dans la nature = 12 916 Bq.g -1 d'uranium contenu."

Ainsi, dans le document remis au rapporteur de l'office parlementaire, COGEMA considère que : 1/ la dénomination « uranium naturel » s'applique à l'élément uranium et non au minerai ; 2/ l'activité massique de 1' « uranium naturel » telle qu'elle est définie par la réglementation n'est pas égale à l'activité massique « têtes de chaînes ». COGEMA voudrait-elle suggérer ainsi que le Conseil d'État serait fort avisé de revoir la solution qu'il a retenue en 1991 ?

La difficulté qui apparaît alors est que la définition du radionucléide « uranium naturel » n'a plus aucune justification (non plus que celle du « thorium naturel »). Deux objectifs se mélangent, qui devraient nécessiter un règlement différencié :

- la prise en compte a priori légitime d'un traitement juridique spécial que l'on Peut vouloir réserver aux minerais d'uranium et de thorium ;

- la nécessité d'utiliser pour les règles de radioprotection un langage faisant intervenir uniquement des radioéléments et les activités correspondantes.

La définition du becquerel d'uranium naturel faite par le décret de 1966 ne tranche malheureusement pas entre :

- une définition clairement relative au minerai, qui pourrait dire par exemple : « 1 Bq d'U naturel est égal à 14 x activité de l'U 238 + 11 x activité de l'U 235 » (si l'on veut prendre en compte l'activité totale), ou bien 1 x activité de l'U 238 + 1 x activité de l'U 235 (si l'on veut prendre en compte l'activité des têtes de chaîne seulement) ;

- une définition clairement relative au radionucléide, qui serait celle écrite aujourd'hui mais ne ferait alors aucune référence à l'article 3 du décret.

On doit considérer que la réglementation actuelle n'est pas simplement obscure mais bien plutôt inopérante car incohérente.

Sur la qualification de « substance radioactive naturelle » à accorder ou à refuser aux résidus, je ne suis pas certain que l'argument des opposants soit dénué de toute pertinence, mais je n'ai pas de certitude suffisante pour prendre position de façon définitive. En effet il n'existe aucune définition de ce qu'est une « substance radioactive naturelle ». On pourrait considérer qu'il s'agit d'une substance radioactive qui ne contient pas de radioéléments artificiels (143 ( * )) . Mais alors l'uranium enrichi, les sources de radium ou les déchets radifères de RHÔNE POULENC devraient être eux aussi considérés comme « naturels ». On pourrait considérer qu'il s'agit d'une substance que l'on peut rencontrer dans la nature. Dans ce cas la position des opposants se trouverait justifiée.

3. De quelque façon que cette épineuse question soit résolue, il n'est pas sûr que la protection des populations s'en trouverait bouleversée. C'était d'ailleurs l'opinion du Conseil d'État dans la conclusion de son avis. Au plan strictement opérationnel, COGEMA rappelait lors de l'audition du 16 novembre que la seule chose qui compte réellement pour la protection des populations est la nature des dispositions techniques mises en oeuvre par l'exploitant. La technique est une partie importante de la protection, mais les modalités du contrôle le sont également.

Le régime juridique des INB apporterait une procédure centralisée avec une capacité d'expertise renforcée, la mise en oeuvre de contrôles stricts sur le terrain, la possibilité d'échapper aux rapports de force locaux. Sur les deux premiers points, les possibilités offertes à l'administration par le régime des ICPE lui permettent tout à fait d'être « à niveau » vis-à-vis du régime des INB.

Le Ministère de l'Environnement a demandé aux DRIRE de soumettre à l'expertise de l'IPSN tous les dossiers de réaménagement qui pourraient leur être transmis par l'exploitant. L'IPSN a déjà été amené à intervenir pour le compte du Ministère de l'Environnement sur des dossiers d'ailleurs non nucléaires. On sait par exemple que le Département d'Évaluation de Sûreté a procédé à l'examen technique des dossiers soumis à enquête publique pour des implantations industrielles dans la vallée de la Seine ; les rapports du DES étaient ensuite joints aux dossiers d'enquête. En matière de réaménagement des sites d'uranium, c'est le Département de Protection de l'Environnement et des Installations qui est sollicité.

Lors de l'audition du 16 novembre, plusieurs intervenants ont attiré l'attention sur l'importance des critères et méthodes utilisés pour évaluer les propositions de l'exploitant. J. TASSART estimait ainsi que "L'expertise demandée par la DSIN à l'IPSN dans le cadre de la procédure INB n `est pas la même chose que l'expertise demandée par le préfet à l'1PSN dans le cadre d'une procédure 1CPE. [...] le fond du problème est bien de savoir selon quelles références ces expertises vont être faites". C. DEVILLERS précisait alors : "il n'y a pas deux méthodes à l'IPSN pour évaluer la sûreté des stockages : il n `y en a qu'une. Elle doit s'appliquer à proportion des niveaux de risque que présentent les installations ", avant de reprendre : "s'agissant de la méthode, c `est la même ".

Les contrôles sur le terrain peuvent être faits à tout moment par la DRIRE. Revendiquer une meilleure protection du fait de l'application d'un régime d'INB suppose la certitude que les contrôles seraient plus fréquents et plus détaillés. Rien ne permet de l'affirmer, surtout pour un stockage qui est par nature relativement « inerte ». En matière de radio protection, le régime INB semble supposer une intervention automatique de l'OPRI (création de l'installation, rejets...) mais l'OPRI est habilité à intervenir partout et quand il le souhaite, en vertu de sa mission générale de protection de la population contre les effets des rayonnements ionisants. Une amélioration de la protection offerte aux populations viendra plutôt, quel que soit le régime administratif appliqué, du développement des capacités techniques en matière de mesures de radioactivité au sein des services extérieurs de l'État. L'OPRI a engagé une réflexion sur les moyens de développer ses contacts avec les DRASS et les DDASS ainsi qu'avec les autres organismes techniques locaux (laboratoires départementaux, laboratoires communaux...). Je ne peux que l'encourager à poursuivre dans cette voie.

Cela étant, une éventuelle révision de la position du Conseil d'État, donc le passage du régime juridique des ICPE vers celui des INB, ne me causerait aucun état d'âme s'il s'avérait que la solution retenue jusqu'ici était en fait inadéquate.

2.2.3 L'autorité administrative doit se forger une doctrine en matière de réaménagement

Les sites de stockage sont soumis au régime juridique des ICPE, c'est à dire que l'autorité administrative est le préfet. Cela entraîne la possibilité (voulue par la loi) que des traitements juridiques différents soient appliqués dans des départements différents. Or est apparue avec de plus en plus de force la nécessité d'avoir, non pas un traitement centralisé des dossiers (144 ( * )) , mais une démarche plus cohérente au niveau national. A.C. LACOSTE remarquait ainsi que "À l'évidence, dès que les sujets apparaissent suffisamment importants pour mériter une doctrine ou des dispositions communes, c'est à l'administration centrale de faire ce qu'il faut." La loi de 1976 a prévu ce genre de situation, et j'ai déjà cité la circulaire de 1986 transmettant aux préfets une instruction technique destinée à les guider dans la rédaction des arrêtés d'autorisation relatifs aux installations de traitement de minerai d'uranium. Le Ministre de l'Environnement dispose également du pouvoir de fixer par arrêté des prescriptions générales applicables de plein droit à des catégories déterminées d'installations ; ces arrêtés fixent des prescriptions minimales qui peuvent être aggravées par le préfet.

Tous les acteurs sont aujourd'hui demandeurs d'une clarification et d'une homogénéisation des traitements administratifs pour le réaménagement des stockages :

- COGEMA souhaite éviter une trop grande diversité des arrêtés préfectoraux ; déjà elle regrette que les arrêtés préfectoraux aient classé les sites de stockage sous des rubriques différentes de la nomenclature ICPE (167 b, 385 quinquies, etc.) ; elle dit observer désormais une surenchère de protection entre les DRIRE : les associations compareraient les arrêtés adoptés ici et ailleurs, et exigeraient toujours l'intégration des dispositions les plus rigoureuses même les circonstances locales les justifient en un endroit mais pas en un autre ; certains arrêtés sont plus détaillés que d'autres, et les exigences vont en se renforçant (J.P. PFIFFELMANN m'a parlé de "fuite en avant" des DRIRE sous la pression des associations) ; COGEMA souhaiterait que les arrêtés s'appuient plus sur l'évaluation des impacts sanitaires réels ;

- Mme SUGIER, pour l'IPSN, a estimé lors de l'audition que l'expertise a besoin d'un corps de doctrine : il faut "des règles fondamentales auxquelles se référer" ;

- pour la CDFT, F. ROLLINGER a également estimé qu'il faut une doctrine : l'IPSN doit utiliser des règles d'évaluation claires et publiques ;

- la CRII-RAD va plus loin et réclame un véritable "cahier des charges" imposé par l'administration à l'exploitant ; je ne pense pas que l'on puisse aller jusque là : un cahier des charges s'inscrit dans une logique prescriptive, où l'exploitant a quasiment une obligation de moyens et non une obligation de résultats ; cette logique va totalement à rencontre du mode de fonctionnement traditionnel du contrôle administratif en France ; mais surtout elle suppose résolue la question de la mise au point de la doctrine...

La première étape du processus consiste donc à définir le contenu de cette « doctrine ». On peut envisager des objectifs temporels, par exemple une obligation de démontrer la pérennité de tel ou tel dispositif sur 500 ou 1000 ou 10 000 ans. Les États-Unis imposent à l'exploitant de garantir la pérennité de la couverture radon sur 200 ans au minimum et 1000 ans si possible. Mais cette valeur est fixée de façon assez arbitraire.

Mme SUGIER évoquait des domaines comme la définition de scénarios accidentels de référence, la définition des exigences en matière de maintien de la mémoire des sites... En fait le cadre conceptuel général de la protection radiologique pour les expositions susceptibles de survenir sur le long terme est encore très peu développé. Le texte fondamental traitant de ces aspects est la CIPR 46. Mme SUGIER m'a indiqué que cette publication de la CIPR est en fait très peu opératoire car elle reste très théorique. Il est manifeste que si l'on ne sait pas exprimer les concepts de protection radiologique nécessaires pour la prise en charge sur le très long terme des sources d'exposition, on aura du mal à définir la doctrine « résidus ». Lors de l'audition, plusieurs intervenants ont mentionné la nécessité de se référer à la Règle fondamentale de sûreté n° I.2, qui s'applique au centre de stockage de l'Aube. Il me semble qu'il faudrait également se référer à la RFS-III.2. f relative à la "définition des objectifs à retenir dans les phases d'études et de travaux pour le stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde afin d'assurer la sûreté après la période d'exploitation du stockage" . Cette RFS donne en effet une première approche de ce que peuvent être des objectifs à prendre en compte sur le long terme et de la façon dont on peut les formuler.

Des échanges particulièrement vifs et fournis ont eu lieu sur le « calendrier de travail » que l'on peut attendre de l'administration sur une telle règle. On peut séparer les prises de position en deux partis :

- pour certains, il est urgent de réfléchir immédiatement et de conclure rapidement : les réaménagements sont en cours et il ne faut pas que la doctrine sorte une fois que tout sera fini ; prenant exemple sur une situation similaire, Mme BENARD soulignait ainsi que le Centre de stockage de la Manche était la preuve évidente qu'une règle a priori est absolument nécessaire ;

- Pour d'autres, il faut attendre d'avoir suffisamment d'expérience pour forger une doctrine ; reprenant l'exemple de Mme BENARD, C. DEVILLERS soulignait pour sa part que le Centre de l'Aube et la RFS-I.2 sont justement la conséquence du retour d'expérience (parfois pas très heureux) obtenu à partir du Centre de la Manche ; la DSIN estime également qu'une règle générale ne s'improvise pas ; le Dr. COQUIN a rappelé pour la Direction générale de la Santé que, en matière sanitaire il est fréquent que la réglementation soit en retard sur les faits.

Il s'agit en fait de savoir comment peuvent s'articuler les connaissances dont on dispose actuellement et les connaissances que l'on va pouvoir acquérir du fait de l'expérience en cours et future en matière de réaménagement et d'évolution des stockages. J.P. PFIFFELMANN tenait ainsi à rappeler que "il ne faut pas dire que nous partons dans l'inconnu complet, que nous n'avons aucune référence, aucune base ; [...] nous ne partons pas de rien". C. DEVILLERS soulignait aussi que l'absence de règle a priori est en partie suppléée par l'obligation de surveillance. Le retour d'expérience est essentiel. Prenant le dramatique exemple de la thalidomide, le Dr. COQUIN mettait en avant la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur la règle de base fixée a priori (procédure de mise sur le marché de médicaments) mais de l'assortir d'un système de surveillance et d'analyse des informations obtenues a posteriori sur le terrain.

Dans ces conditions, je suis d'accord pour dire que le rapport BARTHELEMY-COMBES, les expertise déjà effectuées par l'IPSN, les projets d'arrêtés préfectoraux disponibles aujourd'hui et les études engagées par COGEMA fournissent une base sur laquelle il est possible de commencer des investigations plus poussées. Je souhaite que l'IPSN développe également le retour d'expérience venant de l'étranger. En effet définition d'une doctrine repose sur la clarification de concepts et de questions caractère très fondamental, qui débordent largement le cadre des frontières nationales.

Y a-t-il réelle urgence à formuler cette doctrine si nécessaire ? Certes j'ai bien conscience des difficultés de l'entreprise, mais je ne souhaite pas que le processus traîne et s'enlise. On dispose déjà d'éléments qui permettent d'engager une démarche volontaire. Sur quels points alors faut-il faire porter les efforts ? Il me semble que. une fois clairement affiché le risque essentiel : l'intrusion humaine sur le site, on devrait pouvoir dégrossir assez rapidement un cadre de réflexion : définition de quelques scénarios de référence pour l'intrusion, détermination comparée des risques d'exposition en fonction de ces scénarios et des méthodes de protection envisagées, hiérarchisation des scénarios en fonction des conséquences attendues et des probabilités d'occurrence. À cette première démarche on pourrait adjoindre quelques scénarios sans intrusion, destinés à évaluer les possibilités d'évolution intrinsèque des sites, ainsi que l'impact prévisible sur l'environnement et les populations. À partir des résultats fournis par ces scénario, il devrait être possible de cerner quels pourraient être des objectifs raisonnables de sûreté et de protection.

La partie « retour d'expérience » peut être également améliorée. Au moins pour les eaux de surface, l'OPRI dispose certainement dans ses archives d'informations nombreuses sur la qualité radiologique des réseaux hydrologiques dans l'environnement des sites. De même COGEMA doit disposer d'informations similaires, même si le décret imposant la surveillance de l'environnement n'est paru qu'en 1990. Il me paraît important de compléter rapidement ces données de base, qui restent parcellaires. C'est pourquoi je suggère deux actions complémentaires :

- l'exploitation poussée des résultats accumulés jusqu'ici par l'exploitant, dans un processus ouvert ;

- la mise en place d'un réseau renforcé de mesures sur certains des sites de La Crouzille considérés comme sites pilotes, dans une collaboration étroite entre l'exploitant, les autorités (DRIRE, DDASS et OPRI...) et les associations ; ce réseau assurerait bien sûr la surveillance effective des sites concernés en Limousin ; il aurait surtout pour objectif d'accumuler des informations sur l'évolution réelle in situ des stockages ; dans cette perspective, il devrait être . conçu avec des stations de mesure et d'instrumentation en « surnombre » par rapport à ce que nécessiterait la simple surveillance de l'environnement ; le financement pourrait être partagé entre les autorités et l'exploitant et l'analyse des données effectuée par une instance rassemblant l'ensemble des partenaires ; le caractère pilote de cette démarche devra être clairement affiché : je ne souhaite pas (malgré les pressions qui inévitablement se feront jour en ce sens) que cette surveillance renforcée soit généralisée à l'ensemble des sites français ; il s'agit bien d'acquérir de l'information, pour valider l'adéquation entre les modélisations et la réalité.

On peut ainsi engager dès aujourd'hui un ensemble d'actions visant à favoriser l'émergence d'une doctrine. Mais je ne peux m'empêcher de craindre ce travers naturel qui consiste à croire que dans la doctrine d'aujourd'hui réside la solution de tous les problèmes futurs et que l'on pourrait tout régler dès maintenant. Or il me semble avoir suffisamment montré dans les pages précédentes que l'on doit faire preuve de beaucoup d'humilité et admettre que des solutions meilleures pourront émerger à l'avenir.

L'élaboration d'une doctrine et la poursuite des quelques aménagements dans la mise en oeuvre de la réglementation sont indispensables. Ils ne sont pas une condition suffisante pour renouer les fils d'un débat serein et - peut-être - d'une confiance retrouvée. L'État doit trouver le moyen, en sortant de son face à face traditionnel avec l'exploitant, de renouer ces fils pour donner une nouvelle légitimité à son action.

* 135 La mise en valeur des ressources du sous-sol ne peut se faire qu'en vertu de litres délivrés par l'État, ces titres concernent d'une part la recherche des gîtes de substances (permis exclusif de recherches), d'autre part les travaux d'exploitation des gîtes découverts (concession) Le délaissement était une procédure légère d'arrêt volontaire des travaux pendant la durée de validité d'un titre d'exploitation, la police des mines restait applicable aux ouvrages et installations afférentes. L'abandon était une procédure lourde, obligatoire au terme de la durée de validité d'un titre minier ; après l'abandon, le règlement de police applicable n'était plus la police des mines mais la police municipale ordinaire. Le titulaire d'un titre minier pouvait en écourter la durée par la procédure de renonciation.

* 136 C. HUGLO, « Le Code minier, les carrières et le droit de l'environnement après la loi 94-588 du 15 juillet 1994 », in Les Petites Affiches, n° 131, 2 novembre 1994, p. 5s.

* 137 C'est justement ce qui s'est passé pour le générateur de radon de Razès. Il ne semble pas que le représentant de l'État ou une quelconque association ait entamé par ailleurs de procédure judiciaire.

* 138 D'ailleurs le décret de 1977 donne au préfet le droit, mais pas l'obligation, de prendre un arrêté complémentaire vois mal comment on pourrait imposer à l'exploitant d'attendre un arrêté qui serait susceptible de ne jamais être pris !

* 139 Ceci répond d'ailleurs à l'article 17-1 du décret de 1977 (introduit par le décret n° 94484 du 9 juin 1994) qui prévoit que "les autorisations relatives aux installations de stockage de déchets et aux carrières sont données pour une durée limitée et fixent le volume maximal de produits stockés ou extraits, ainsi que les conditions de remise en état du site". L'administration a donc pour devoir de définir à l'avance les conditions générales du réaménagement.

* 140 Lors de ma visite à Jouac, j'ai eu droit moi aussi à ce discours qui relève plus de la « langue de bois » que de l'information.

* 141 Qui paradoxalement s'appelle « naturel » mais a une existence uniquement juridique, donc totalement artificielle !

* 142 COGEMA, La radioactivité naturelle des minerais d'uranium, de leur environnement géologique et des résidus de traitement de minerai, avril 1995 (note préparée à l'intention de l'office parlementaire).

* 143 Les radioéléments artificiels sont définis dans le Code de la Santé publique, Livre V, Titre III, Chapitre II : "Est considéré comme radioélément artificiel tout radioélément obtenu par synthèse ou fission nuecléaire" (art. L. 631).

* 144 A.C. LACOSTE soulignait fort justement lors de l'audition du 16 novembre que "on imagine parfaitement que les préfets soit à même de prendre des dispositions différentes pour des problèmes qui apparaissent identiques vus de Paris mais qui localement ne le sont pas".

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