B. FACE À LA HAUSSE DES FLUX MIGRATOIRES ET DU MONTANT DES CRÉDITS VERSÉS AUX ASSOCIATIONS AINSI QU'AUX ÉVOLUTIONS DU DROIT APPLICABLE, DES CHOIX DOIVENT ÊTRE OPÉRÉS DANS LES MISSIONS CONFIÉES AUX ASSOCIATIONS
1. Une nette baisse du budget de la mission depuis 2024, alors que la pression migratoire reste à un niveau très élevé...
La France, tout comme l'Union européenne, connaît une progression continue de la pression migratoire sur les dernières années, s'agissant tant des demandes d'asile que du nombre de titres de séjours et de visas délivrés. En 2023, 142 649 demandes d'asile ont ainsi été introduites à l'OFPRA, soit un record historique. 326 954 titres de séjours avaient en outre été délivrés cette année-là, là encore un niveau très élevé37(*).
En 2024, soit postérieurement à la période sous revue de l'enquête, la pression migratoire est restée forte. Si le nombre de visas octroyés a crû de 16,8 %, surtout, le nombre de titres de séjour délivrés a continué d'augmenter, pour s'établir à 336 710, en hausse de 1,8 %38(*). Par ailleurs, il convient de noter que s'il est attendu une légère baisse du nombre de demandes d'asile présentées devant l'OFPRA en 2024, le Gouvernement prévoit une nouvelle hausse de 5 % en 2025. Le nombre de contrats d'intégration républicaine (CIR) signés en 2024 est quant à lui en baisse par rapport à 2023 (- 10,5 %), mais en raison en particulier de l'interruption des signatures de CIR au mois d'août, compte-tenu du contexte budgétaire ; le niveau de 2024 reste en outre nettement supérieur à celui des années précédentes.
Si l'année 2024 a donc connu des évolutions quelque peu contradictoires, il n'en demeure pas moins qu'elle est marquée par le maintien d'un niveau de pression migratoire très élevé, qui pourrait encore augmenter.
Or, dans le même temps, les crédits de la mission « IAI » (même s'ils ne sont pas les seuls à porter les politiques d'immigration et d'intégration39(*)) ont connu une nette réduction. Ainsi, s'agissant de l'exécution des crédits en 2024, le décret du 21 février 202440(*) a procédé, dans un contexte budgétaire difficile, à une annulation de 174,7 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) à l'échelle de la mission41(*). Surtout, la loi de finances pour 2025 prévoit, une fois les évolutions de périmètre neutralisées42(*), une baisse de plus de 250 millions d'euros des crédits initiaux de la mission par rapport au budget pour 2024, soit près de 12 % en un an.
2. ...qui a déjà impliqué des choix et en exigera d'autres
Cette évolution contradictoire des flux de personnes étrangères et du budget de la mission « IAI » est de nature à produire un effet ciseaux pour les dispositifs qu'elle déploie via des associations. Elle implique donc de faire des choix dans les missions qui leur sont confiées. Certains ont d'ores et déjà été mis en oeuvre, tandis que d'autres devront encore être réalisés.
a) Le recentrage du programme « Agir »
Le déploiement du programme Agir, sous forme de marchés conclus essentiellement avec des associations, s'est effectué lentement, les derniers dispositifs devant recevoir leurs publics début 2025.
Il fait en outre face à de fortes contraintes budgétaires, dans le cadre de l'action n° 12 du programme 104. Cette action finance plusieurs dispositifs d'intégration hors CIR, dont le programme Agir. Après avoir connu une annulation de crédits en 2024, l'action connaît, dans le cadre de la loi de finances pour 2025, une réduction de ses CP de plus de 45 % (- 79 millions d'euros, dont 58 millions d'euros pour le programme Agir destiné aux réfugiés et 21 millions d'euros pour les actions en faveur de l'ensemble des primo-arrivants).
Dans ce contexte, la DGEF a ainsi fait part de nouvelles conditions d'accès au programme à compter de 2024. Ce dernier est désormais recentré sur la prise en charge des réfugiés les plus vulnérables, tandis que les orientations vers le programme sont interrompues dans les départements où il a été déployé depuis 2022 et 2023 et qui ont atteint un certain niveau de bénéficiaires. L'objectif poursuivi est de viser une cible de 25 000 bénéficiaires en moyenne à l'échelle nationale (contre 31 446 bénéficiaires au 31 juillet 2024), sur environ 50 000 réfugiés éligibles sur une année.
Si le rapporteur spécial est attaché à l'intégration des publics étrangers destinés à demeurer sur le territoire national durablement, il constate qu'en cohérence avec une volonté globale de maîtriser le nombre de personnes accueillies à l'avenir et face à des moyens réduits, il est nécessaire de rationaliser les dispositifs et d'apporter un accompagnement de qualité à ceux qui en ont le plus besoin.
b) L'adaptation des formations linguistiques des primo-arrivants à un nouveau cadre juridique, dans un contexte budgétaire contraint
Dans un contexte budgétaire devenu très exigeant, doit être repensée une partie significative du dispositif d'accompagnement des primo-arrivants en matière linguistique, majoritairement assuré par des associations.
En effet, comme le souligne l'enquête, des réflexions sont en cours pour l'adapter au nouveau cadre institué par la loi « CIAI » du 26 janvier 202443(*), qui modifie la logique des conditions de séjour des étrangers en France s'agissant des attendus en matière de maîtrise de la langue. D'une part, elle conditionne désormais la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à l'échéance du parcours du CIR à la connaissance d'un niveau minimal de la langue française, établissant ainsi une obligation de résultats. D'autre part, elle relève le niveau exigé d'A1 à A244(*) pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle, de A2 à B1 pour une carte de résident et de B1 à B2 pour la naturalisation. Elle fait aussi le pari d'une plus forte implication de l'employeur dans la formation linguistique de ses salariés allophones. Par ailleurs, elle rehausse les attendus en matière de formations civiques s'agissant de l'histoire et de la culture françaises et instaure un test civique.
Comme le rappelle l'enquête et ainsi que l'a déjà indiqué le rapporteur spécial, compte tenu des résultats récents en matière de taux d'atteinte du niveau A1 (environ 68 %), les nouvelles exigences au niveau A2 semblent difficiles à atteindre pour une partie des étrangers dans le cadre actuel.
Interrogée par la Cour sur les évolutions possibles des parcours de formation dans le cadre des nouvelles exigences législatives, la DGEF a indiqué que « l'augmentation du nombre d'heures de formation ne fait pas partie des pistes privilégiées, pour deux raisons principales :
- d'un point de vue pédagogique, les forfaits de 600 heures sont très - voire trop longs - au vu de l'absentéisme constaté de la part de certains publics ;
- et eu égard au contexte budgétaire contraint ».
La DGEF et l'OFII étudient donc45(*), selon l'enquête, dans quelle mesure l'offre de formation linguistique, compte tenu du fait qu'elle n'est plus assortie d'une obligation d'assiduité, peut être adaptée aux besoins et aux parcours de différents bénéficiaires.
Le rapporteur spécial considère que l'absence de hausse des crédits de l'action n° 11 en 2025, qui finance notamment les formations civiques et linguistiques dans le cadre du CIR, supposera d'améliorer nettement l'efficience des formations et de s'appuyer davantage sur une contribution des élèves et des entreprises.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, la DGEF indiquait que plusieurs solutions sont envisagées. Il pourrait notamment s'agir de responsabiliser l'apprenant en lui faisant choisir entre se former via les formations de l'OFII ou par d'autres moyens (à sa charge), ou encore de développer l'offre de formation en ligne.
Globalement, il apparaît ainsi nécessaire de redéfinir les modalités des formations linguistiques pour répondre aux nouvelles exigences posées par la loi CIAI pour l'obtention d'une carte de séjour pluriannuelle, en améliorant leur efficacité tout en en maîtrisant le coût pour les finances publiques.
c) D'autres évolutions des missions confiées aux associations seront nécessaires
Face à une pression migratoire très élevée et en progression et des moyens budgétaires en baisse, d'autres dispositifs mis en oeuvre par les associations devront en outre être rationalisés, voire remis en cause.
En matière d'hébergement, le budget pour 2025 porte à ce titre d'ailleurs déjà une volonté de rationalisation de la taille du parc d'hébergement du dispositif national d'accueil (DNA), qui bénéficie aux demandeurs d'asile et aux réfugiés vulnérables, et désormais également aux bénéficiaires de la protection temporaire. En effet 6 500 places seraient ainsi fermées en 2025, alors que 5 000 autres qui n'étaient pas disponibles jusqu'ici le sont désormais, limitant finalement la baisse du nombre de places effectivement disponibles à 1 500, soit environ 1,3 % du parc (113 258 places en 2025).
Le rapporteur spécial considère que ces évolutions doivent être approfondies et élargies à différentes missions confiées aux associations, dans le cadre d'une politique migratoire consistant à davantage maîtriser le nombre de personnes accueillies, à lutter fermement contre l'immigration irrégulière mais également à mieux intégrer - dans un cadre rationalisé - ceux qui ont vocation à rester durablement en France. Il conviendra ainsi d'interroger l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre par les associations à l'aune de ces priorités.
* 37 Selon, respectivement, les données de l'OFPRA et du ministère de l'Intérieur.
* 38 Données du ministère de l'Intérieur.
* 39 Voir supra.
* 40 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits, qui avait annulé un peu plus de 10 milliards d'euros à l'échelle du budget de l'État.
* 41 Cette évolution a été seulement légèrement compensée par une ouverture de crédits dans le cadre de la loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024, à hauteur, en cumulé, de 5,6 M€ en AE et de 47,3 M€ en CP.
* 42 Le budget pour 2025 intègre pour la première fois dans les crédits initiaux les dépenses afférentes à l'accueil des personnes fuyant l'Ukraine et bénéficiaires de la protection temporaire (BPT).
* 43 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
* 44 Niveau d'utilisateur élémentaire (niveau intermédiaire ou usuel).
* 45 L'OFII a, dans ce contexte, lancé deux marchés expérimentaux dont l'un en Bourgogne-Franche-Comté, via la mise en place d'un parcours obligatoire de 200 heures visant l'atteinte du niveau A2, soit à l'issue du parcours de formation linguistique « classique » permettant d'approcher le niveau A1, soit dès l'orientation par la plate-forme d'accueil pour les signataires évalués en A1 et à ce jour dispensés de formation linguistique. Cette expérimentation a débuté le 1er mars 2024.