II. UN SOCLE RÉGALIEN À CONSOLIDER POUR RETISSER LE LIEN DE CONFIANCE

Face à ce constat alarmant, il est impératif de relever le défi de la sécurité dans les outre-mer par une série de mesures et le maintien des moyens engagés et promis par les lois de programmation. Un renforcement de l'Etat autour du préfet est aussi nécessaire.

Toutefois, pour inverser réellement la tendance face à des menaces et des phénomènes criminels très souvent exogènes, une simple augmentation des moyens ne suffira pas. Pour ne pas « arroser le sable », un changement de posture est indispensable.

La protection de nos outre-mer dans leur environnement régional doit devenir une des priorités de l'action extérieure de la France. Concomitamment, la surveillance et le contrôle des frontières maritimes et terrestres doivent faire l'objet d'un réengagement complet, y compris en réhaussant significativement l'emploi de la force.

A. RELEVER LE DÉFI SÉCURITAIRE

Les chiffres et réalités de la délinquance et de la criminalité outre-mer décrits plus hauts ne laissent aucun autre choix qu'une réponse forte et adaptée. Cette situation a en effet nourri la perte de confiance en l'État et même les discours « anti-État » qui s'est diffusé auprès des populations ultramarines. L'urgence est donc de relever le défi sécuritaire et de permettre à l'État d'agir efficacement face aux menaces exogènes.

1. Une prise de conscience réelle par les forces de sécurité

Cette urgence à agir est encore accentuée par les interactions croissantes de la criminalité entre les territoires ultramarins et l'Hexagone.

Ce glissement accéléré de la situation sécuritaire outre-mer a conduit les forces de sécurité intérieure de l'État à relever leur niveau d'engagement, à accroître les moyens engagés et à s'organiser différemment pour répondre aux spécificités de ces territoires.

a) Les COMGEND : le modèle précurseur de la gendarmerie outre-mer

La gendarmerie outre-mer a adopté une organisation ad hoc dans ces territoires. Elle s'appuie sur dix commandements de la gendarmerie, communément appelés « COMGEND ».

Le dixième a été créé le 2 janvier 2024 à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, pour répondre à l'autonomisation de ces deux îles par rapport à la Guadeloupe dans tous les domaines (transformation des deux communes en collectivités d'outre-mer en 2007, création prochaine d'une préfecture de plein exercice séparée de la Guadeloupe55(*), enjeux de sécurité propres, coopération avec Sint-Maarten, éloignement opérationnel...). Lors du déplacement, vos rapporteurs ont pu constater les particularités des îles du Nord. La création de ce COMGEND s'accompagne d'une montée en puissance des moyens de la police judiciaire et du renseignement et d'une nouvelle brigade mobile implantée au coeur d'un des quartiers les plus difficiles, celui de Sandy Ground.

Chaque COMGEND jouit d'une grande autonomie opérationnelle. Compte tenu de l'éloignement, ils doivent être en capacité d'apporter en première attention une réponse immédiate à des situations de crise ou exceptionnelles, dans l'attente de renforts. Les COMGEND sont ainsi dotés de moyens et d'unités d'appui que l'on retrouve habituellement, dans l'Hexagone, au niveau régional, voire zonal - et non départemental.

Cette organisation très déconcentrée, tout en demeurant dans le cadre du commandement militaire de la gendarmerie nationale, est désormais ancienne (2004) et répond aux besoins d'adaptation et de réactivité nécessaires dans les outre-mer, même si elle demeure toujours perfectible.

À cette organisation au plus près du terrain - sans cesse perfectionnée, il faut ajouter une augmentation des moyens outre-mer pour tenter de répondre aux évolutions démographiques et à l'explosion de la délinquance.

Le commandement de Mayotte, qui comptait une simple compagnie il y a 20 ans, compte désormais 285 gendarmes, auxquels s'ajoutent régulièrement plusieurs escadrons de gendarmes mobiles - jusqu'à 6 lors du déplacement de la délégation en mai 2024. La gendarmerie à Mayotte compte aussi une section de recherche pour la police judiciaire, ce qui relève habituellement du niveau régional. Cet accroissement des moyens doit se poursuivre, puisque dans le cadre du plan « 200 brigades » de la gendarmerie, une nouvelle brigade a été installée à Tsingoni en 2024 et une autre doit voir le jour en 2025.

De manière plus générale, le plan « 200 brigades » (239 en réalité) de la gendarmerie permettra de regagner le terrain perdu depuis 20 ans à la suite de la disparition de brigades. Outre-mer, 22 brigades nouvelles seront créées outre-mer d'ici à 2027, sur les 239 - 14 brigades mobiles56(*) et 8 brigades fixes. En 2024, 8 l'ont déjà été.

La gendarmerie outre-mer

La gendarmerie outre-mer est la principale force de souveraineté dans les territoires ultramarins. Avec 7 200 personnels militaires et civils, dont 3 900 officiers et sous-officiers, 1 500 réservistes, 1 500 gendarmes mobiles et 300 membres du GIGN, répartis en dix commandements dits « COMGEND », elle couvre 99 % du territoire et 70 % de la population.57(*) Sur place, la gendarmerie collabore avec l'autorité préfectorale, ainsi qu'avec la magistrature en ce qui concerne l'activité judiciaire.

Lors de son audition, le Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer, a confirmé que le personnel de la gendarmerie outre-mer est confronté à une violence statistiquement plus importante que dans l'Hexagone (taux de criminalité et détérioration de l'ordre public).

Il a souligné que la gendarmerie outre-mer est particulièrement mobilisée sur certaines opérations très exposées : l'opération Harpie en Guyane de lutte contre l'orpaillage illégal ; l'opération Wuambushu à Mayotte en avril 2024 de lutte contre la criminalité et l'immigration illégale ; en Nouvelle-Calédonie pour faire face aux évènements depuis mai 2024.

b) La police nationale outre-mer : une réforme inspirée par l'organisation de la gendarmerie outre-mer

Comme la gendarmerie, la police nationale a renforcé significativement son dispositif outre-mer. Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la Direction générale de la police nationale (DGPN), a ainsi indiqué que « l'ensemble des territoires ultramarins ont 30 % d'effectifs en plus par rapport à 2016. À Mayotte et en Guyane, l'augmentation est de 50 %, ce qui est énorme dans le contexte actuel ».

Les moyens ont été accrus et les modes d'action renouvelés. Expérimentées à compter du 1er janvier 2020 en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, la mise en place des directions territoriales de la police nationale (DTPN) a été étendue à l'ensemble du territoire ultramarin le 1er janvier 2022.

Cette réforme limitée initialement aux outre-mer a consisté à placer sous l'autorité d'un directeur territorial unique les différentes directions de la police nationale. Ce chef de police est l'unique interlocuteur du préfet, du procureur de la République, du commandant de gendarmerie, des élus et de l'ensemble des acteurs de la sécurité. L'ensemble des forces de police est rassemblé sous une même autorité, ce qui permet au directeur territorial d'adapter son dispositif aux besoins opérationnels et aux objectifs fixés sous l'autorité du préfet, et du procureur de la République pour la police judiciaire.

Bien que sa généralisation n'ait pas été envisagée à l'origine, selon Christian Nussbaum qui a insisté sur ce point, la création des DTPN a constitué de facto une forme de préfiguration de la réforme hexagonale de la police nationale58(*).

Les directeurs territoriaux de la police nationale, qui disposent de la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ) sont directement rattachés au DGPN. Ils exercent une autorité hiérarchique et fonctionnelle totale sur leurs services. Chaque DTPN se compose d'un seul état-major et d'un seul service de gestion des ressources qui a pour mission de faciliter la gestion des ressources humaines et du budget.

Si les directions territoriales outre-mer jouissent d'une forte autonomie opérationnelle, ainsi que dans la gestion des budgets et des ressources humaines localement, la mission outre-mer placée directement auprès du directeur général de la police nationale assure le suivi des 7 directions territoriales. Cette mission outre-mer fut créée le 1er janvier 202059(*) en même temps que les premières DTPN.

Cette réforme a permis en particulier de renforcer la police judiciaire sur chaque territoire. Selon cette organisation, l'ensemble des missions de police judiciaire est conduit par le service territorial de police judiciaire (STPJ). Par ailleurs, avant la réforme, des unités de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) n'étaient présentes qu'en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. À présent, il existe aussi un service de police judiciaire à La Réunion, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. La direction nationale de la police judiciaire s'occupe de l'intégralité des territoires ultramarins.

c) Une réaction tardive de la justice

Comme souligné supra, les États généraux de la justice en avril 2022, ont relevé la faible capacité d'adaptation du ministère de la Justice aux spécificités ultramarines, à l'exception de l'administration pénitentiaire, et concluait à la nécessité « d'un plan stratégique d'actions à la fois communes et propres à chaque territoire, ce qui suppose de développer pour ces territoires une fonction prospective jusqu'à présent peu investie par l'administration centrale » pour répondre aux enjeux d'une justice outre-mer fragile, fragmentée et peu adaptée.

À défaut d'un plan stratégique, la loi d'orientation et de programmation 2023-202760(*) a prévu une augmentation de 5 % des effectifs dans les juridictions ultramarines, représentant 68 magistrats, 76 greffiers et 44 attachés de justice supplémentaires. Par ailleurs, 10 recrutements sur 12 prévus de techniciens informatiques de proximité sont aussi intervenus. S'agissant des prisons, 7 % des nouvelles places de prison prévues dans le « plan 15 000 » de 2017, soit 1 100 places, étaient prévues pour les outre-mer. On sait que ce plan a malheureusement pris des retards considérables.

Ce rattrapage annoncé des effectifs survient à la suite d'une hausse significative ces dernières années. Paul Huber, directeur des services judiciaires, a indiqué que les effectifs outre-mer avaient augmenté globalement au cours des dernières années beaucoup plus rapidement que dans l'Hexagone avec une hausse de 23 % sur 10 ans. À Cayenne, le nombre de magistrats a augmenté de 53 %, de 15 % à Saint-Denis de La Réunion ou encore de 29 % à Fort-de-France.

Le classement des Cours d'appel en fonction du ratio population/magistrats montre une attention particulière pour les outre-mer. À l'exception de la cour d'appel de Saint-Denis-de La Réunion (La Réunion et Mayotte), les cours ultramarines jouissent des ratios les plus élevés, en particulier dans le bassin Atlantique.

Ce constat doit toutefois être tempéré par deux éléments : d'une part, le taux de délinquance plus élevé qui justifie l'affectation d'un plus grand nombre de magistrats et, d'autre part, le fait que les cours d'appel ultramarines couvrent les ressorts les moins peuplés. L'effet d'échelle y est donc moins important. Pour qu'une juridiction fonctionne a minima, un nombre incompressible de magistrats est indispensable. En ce qui concerne la prise en compte des spécificités ultramarines par l'administration de la justice, l'administration pénitentiaire fait figure de bon élève.

Au niveau central, la gestion et le suivi des établissements et services pénitentiaires ultramarins incombaient à la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer (MSPOM), l'équivalent pour l'outre-mer des directions interrégionales des services pénitentiaires. Cette appellation désuète a été rectifiée par le décret n° 2023-200 du 24 mars 2023 portant modification de la dénomination de la MSPOM en Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM).

Cette transformation de la MSPOM en véritable Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM) marque une étape symbolique pour les services pénitentiaires ultramarins qui voient reconnaître l'importance d'un haut niveau de pilotage et de gouvernance des enjeux pénitentiaires en outre-mer.

Ratio du nombre de magistrats rapporté à la population

Source : Ministère de la Justice, Secrétariat général de la justice pour les outre-mer, avril 2024

Outre ce changement de dénomination, la DSPOM expérimente une nouvelle organisation zonale au plus près du terrain, avec la mise en place de la délégation territoriale en océan Indien depuis le 1er janvier 2022. De nouvelles délégations territoriales pourraient à terme se déployer au sein des autres bassins. Par ailleurs, au sein de la DSPOM, les effectifs affectés aux missions support devraient être réévalués sur les effectifs de référence des sièges des autres directions interrégionales des services pénitentiaires.

Cette sensibilité ultramarine de l'administration pénitentiaire n'est pas nouvelle. Elle est naturellement favorisée par la part importante d'ultramarins au sein de ses effectifs. Muriel Guégan, directrice de la DSPOM, confirme d'ailleurs que l'attractivité des emplois pénitentiaires outre-mer n'est pas une difficulté, au contraire, y compris à Mayotte et en Guyane. Elle a aussi précisé que cette attention particulière s'était par exemple traduite par le recrutement au sein de la direction, dès 2017, d'un anthropologue pour mieux appréhender certaines spécificités culturelles ultramarines.

Si l'administration pénitentiaire a une organisation ad hoc depuis de nombreuses années, les services judiciaires n'ont amorcé une gestion différenciée des services outre-mer, et en particulier celle des ressources humaines, que très récemment.

Il a été décidé en 2021 la création d'un délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la Justice.61(*) La désignation des premiers coordonnateurs territoriaux de la délégation, cadres A relais du délégué dans les territoires, est intervenue en 2022 pour l'océan Indien et la Guyane, et en 2023 pour les Antilles. Par ailleurs, sur chaque territoire sont également positionnés d'autres agents du secrétariat général : une antenne du département numérique outre-mer et un assistant du service social. Enfin, la mise en place d'un département immobilier outre-mer au sein du ministère à l'instar des délégations hexagonales est aussi à l'étude. Un préfigurateur est en cours de recrutement. Toutefois, la nomination d'un délégué général aux outre-mer n'est intervenue qu'en avril 2023. Fabien Neyrat que votre délégation a auditionné est le premier titulaire de ces fonctions.

Si vos rapporteurs saluent la création de la délégation outre-mer, il demeure étonnant que cette prise en compte des spécificités ultramarines reste tardive et progressive, là où les directions interrégionales en Hexagone se déploient sans atermoiements.

Néanmoins, en peu de temps, un travail a été réalisé autour de quatre priorités :

le numérique : renforcement de la chaîne de soutien et professionnalisation des équipes, audit sur l'environnement matériel des locaux abritant les serveurs et dispositif de mise à jour des applications « métiers ». À la direction du numérique, environ 30 agents sont dédiés aux outre-mer auxquels il faut ajouter des techniciens informatiques de proximité (TIP). Le centre de pilotage opérationnel est à Nantes. Depuis 2020, des antennes locales ont été créées dans chaque territoire (15 agents en liaison avec le siège) et depuis 2023, 11 TIP ont été déployés en juridiction. Les enjeux numériques outre-mer demeurent néanmoins encore insuffisamment pris en compte. Des craintes fortes ont été exprimées lors des déplacements de la délégation, en particulier en Polynésie française par le procureur général près la cour d'appel de Papeete Frédéric Benet-Chambellan avec les procédures pénales numériques et la gestion pénale des audiences foraines ;

la gestion budgétaire : le projet majeur consiste dans le passage d'un Centre de Services Partagés (CSP) au premier centre de gestion financière (CGF) ultramarin à La Réunion, qui traduit la volonté du ministère d'améliorer ses performances en termes de délais de paiement de ses fournisseurs. Il sera lancé en 2025 ;

la modernisation de la politique de gestion des ressources humaines se concentre sur la question de l'attractivité des agents sur les territoires de Mayotte et de la Guyane (et à l'inverse du manque de mobilité des effectifs dans les outre-mer dits attractifs tels La Réunion ou Papeete) ;

- l'immobilier : l'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) gère la construction des grands projets immobiliers, mais elle a aussi, contrairement à l'Hexagone, la mission de gros entretien et de réparation (GER) du patrimoine immobilier de la justice en outre-mer pour les travaux dont le montant est compris entre 150 000 et un million d'euros. Selon Fabien Neyrat, cela n'est pas sans poser de difficultés, l'APIJ étant moins à l'aise pour piloter des projets modestes. La délégation outre-mer dispose donc d'un coordinateur de proximité dans les territoires, qui est l'interface entre les utilisateurs finaux et l'APIJ.

Cette prise de conscience tardive, mais réelle et dynamique, des spécificités ultramarines par le ministère de la Justice s'est traduite par l'organisation de la première journée « Justice outre-mer » le 26 mars 2024, en présence du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur et des outre-mer.

d) Dépasser la question des moyens

Malgré ces efforts incontestables de l'État, les résultats peinent à encore à se traduire par un reflux de la délinquance quotidienne.

À Mayotte, les conséquences du cyclone Chido sur l'état prochain de la délinquance demeurent encore incertaines, mais il est à craindre de nouvelles flambées de violences comme l'île en a connu ces dernières années.

Vos rapporteurs ont également ressenti le risque réel d'une dégradation de la situation dans des territoires réputés plus « sûrs » comme La Réunion, la Polynésie française ou Saint-Barthélemy. S'agissant de La Réunion, l'inquiétude est d'autant plus forte que ce département est le plus peuplé des outre-mer et que le trafic de stupéfiants s'y développe alors que l'île était relativement épargnée.

Toujours à La Réunion, la difficile cohabitation entre certaines communautés, notamment mahoraises et comoriennes, attise les violences urbaines et les phénomènes de ghettos. Le « vivre-ensemble » réunionnais si souvent mis en exergue vacille. La société multiculturelle réunionnaise ne connaît en réalité pas ou peu l'immigration. La succession des crises à Mayotte nourrit la peur d'une importation à La Réunion des violences et de la délinquance causées par l'afflux des jeunes Mahorais venus chercher refuge dans le département. Le colonel Frédéric Labrunye, commandant de la gendarmerie à La Réunion, relevait par exemple que le centre éducatif fermé (CEF) de l'île, le seul dans l'océan Indien, ne comptait que 12 places occupées le plus souvent par des délinquants originaires de Mayotte. La crainte d'un effet de contagion, ainsi que d'une mobilisation de moyens de La Réunion en faveur de Mayotte, pénètre désormais dans le champ politique.

Un sursaut est impératif avant que la dérive s'accentue et passe un cap qui contraindra l'État à engager des moyens autrement plus importants.

Après la hausse importante des moyens humains et matériels ces dernières années et à venir en exécution des lois de programmation, une nouvelle augmentation ne serait envisageable, au-delà du jeu de renforts ponctuels en cas de crise, que si l'assainissement de la situation budgétaire de la Nation le permettait.

2. Restaurer la sécurité au quotidien

La première priorité doit être d'abaisser le niveau de la délinquance située dans le « bas du spectre », celle du quotidien qui empoisonne la vie de nos concitoyens ultramarins.

a) Développer la proximité des forces de sécurité sur le terrain et au plus près des populations

Le général Lionel Lavergne fait de « la densification de l'empreinte territoriale » son premier axe d'action. Vraie en Hexagone, cette politique l'est davantage encore outre-mer où les populations sont encore plus vulnérables et parfois isolées.

Le plan « 200 brigades » rappelé plus haut qui prévoit la création de 22 brigades territoriales ou mobiles outre-mer, soit 10 % du total, est le premier élément de réponse vers cette densification. La décision d'avoir une majorité de brigades mobiles répond clairement à une logique d'« aller vers ».

En Guyane, deux brigades fluviales seront créées sur le Maroni et l'Oyapock pour répondre à cette singularité guyanaise bordée par deux fleuves qui sont des lignes de vie essentielles.

Une nouvelle Brigade territoriale mobile (BTM) a aussi été installée dans le quartier de Bras-Fusil62(*), à Saint-Benoît. Vos rapporteurs ont pu visiter les locaux de jour implantés au coeur de ce quartier où les tensions entre les communautés mahoraises et créoles entraînent des violences urbaines. Beaucoup de jeunes mahorais y vivent sans leurs parents restés à Mayotte. Les caillassages des patrouilles de gendarmerie y sont aussi réguliers. Cette brigade sera composée de 6 gendarmes, dont deux d'origine mahoraise pour aller facilement au contact de la population et rompre la barrière de la langue qui existe bien souvent.

De manière générale, la présence d'« originaires » parmi les gendarmes et policiers est un levier important pour la proximité.

Tous statuts confondus, 26 % des gendarmes sont issus des territoires ultramarins, mais avec des disparités importantes selon les territoires. Dans les Antilles et à la Guyane, la gendarmerie a des difficultés à attirer les « originaires ». À l'inverse, le taux d'« originaires » dans le Pacifique est important (52 % en Polynésie française). Idem dans l'océan Indien (un tiers à La Réunion), y compris à Mayotte, même si le travail y est difficile en raison des tensions et de l'insécurité.

Cet objectif de proximité et densification doit aussi se traduire par une meilleure coordination police-gendarmerie. En outre-mer, la distinction entre les zones est souvent artificielle. À La Réunion, la commune de Saint-Benoît que vos rapporteurs ont parcouru avec la gendarmerie est très urbaine. Par ailleurs, le relief étire les distances comme à Saint-Denis de La Réunion.

Pour Christian Nussbaum, il faut imaginer des solutions innovantes de coopération et de collaboration avec la gendarmerie. Il concède que ce n'est sans doute pas toujours « la patrouille de police ou de gendarmerie la plus proche du lieu de l'appel qui intervient ».

Autre point soulevé par Christian Nussbaum : l'absence de CRS outre-mer (à l'exception récente de compagnies engagées à Mayotte sur les opérations Wuambushu, ainsi que de la CRS 8 en Martinique lors des violences urbaines de septembre dernier) et les difficultés parfois à obtenir le concours des forces mobiles de la gendarmerie en zone police. Le dispositif manque de souplesse et de fluidité.

b) Pour un vrai partenariat avec les polices municipales

Le rapprochement avec les polices municipales, et plus généralement les collectivités, est un autre levier majeur pour occuper le terrain et rassurer la population.

À cet égard, des dispositifs très innovants sont opérationnels et doivent servir de modèle.

À Mayotte, la gendarmerie loue sa collaboration avec les polices municipales. Des policiers municipaux patrouillent avec la gendarmerie. Ils ont la connaissance du terrain et des personnes. Les conventions de coopération entre les communes et les forces de sécurité intérieure mériteraient d'inclure systématiquement le principe de ces patrouilles.

Autre exemple remarquable : la création d'un poste de police dans le quartier de Sandy Ground à Saint-Martin, l'un des plus sensibles de l'île. Ce poste est composé depuis cette année de 10 agents de police territoriale de manière permanente du lundi au dimanche, dont 5 policiers et 5 agents de surveillance de la voie publique (ASVP). S'y associe la nouvelle brigade mobile de gendarmerie créée à Saint-Martin dans le cadre du plan « 200 brigades ». Six gendarmes la composent. Au total, 16 personnels travailleront ensemble dans ce quartier réputé hermétique à toute surveillance par les forces de l'ordre.

Pour le général Lionel Lavergne, la création de cette brigade mixte s'insère dans un ensemble d'actions menées conjointement : améliorer l'éclairage public, refaire les trottoirs, ouvrir une Maison des jeunes et de la culture (MJC)... Cette planification conjointe doit être poussée, car elle reste trop rare sur les territoires.

Pour aller plus loin encore, la police territoriale de Saint-Barthélemy souhaiterait que ses agents puissent devenir agent de police judiciaire, de telle sorte qu'ils puissent constater directement par procès-verbal les crimes, délits et contraventions. Leur statut actuel d'agent de police judiciaire adjoint, comme tout policier municipal, ne leur permet de constater par procès-verbal que certaines infractions routières.

Enfin, dans un contexte où l'augmentation des effectifs est contrainte après plusieurs années favorables, le développement de la réserve opérationnelle, des gendarmes adjoints volontaires ou des classes de cadets doit être encouragé pour soulager les effectifs principaux de certaines missions au bénéfice d'une présence accrue sur le terrain au contact des populations.

En Polynésie française par exemple, la capacité de réservistes dans la gendarmerie a été doublée de 100 à 200, notamment dans la perspective des épreuves olympiques de surf à Tahiti. Cet appoint a permis de compenser l'affectation de nombreux gendarmes mobiles dans l'Hexagone pour les Jeux Olympiques à Paris.

Enfin, bien que plus classique, il demeure essentiel de faire vivre les contrats locaux, départementaux ou territoriaux de prévention et de sécurité, comme celui conclut en Martinique en avril 2024 pour la période 2024-2028, avec des bilans d'étapes réguliers et un suivi.

La proximité est une des clefs pour mobiliser la société tout entière, au-delà des seules forces de sécurité, contre les formes de délinquance qui minent les outre-mer.

Recommandation n° 1 : Densifier l'implantation territoriale des forces de sécurité par :

- la création de brigades conjointes de proximité police nationale-police municipale ou gendarmerie-police municipale, au coeur des quartiers sensibles, sur le modèle du quartier de Sandy Ground à Saint-Martin ;

- le déploiement des nouvelles brigades de gendarmerie dans les zones tendues (Guyane, Mayotte) et la consolidation des effectifs de gendarmerie mobile ;

- le renforcement du recours à des réservistes formés et intégrés au dispositif ;

- l'attribution de la qualité d'agent de police judiciaire aux policiers territoriaux de Saint Barthélemy.

c) Mieux mobiliser tous les acteurs autour de l'État : « l'équipe France »

Pour le général Lionel Lavergne, « l'éloignement impose et favorise la notion d'« équipe France » - le préfet, le procureur, les autorités judiciaires, les chefs de service... Je le vois quand je me déplace dans les territoires : on a vraiment l'impression que lorsqu'on est loin, on est plus soudés. C'est une nécessité, car les personnels sont seuls, loin de l'Hexagone, et leur autonomie est réelle, même s'il peut y avoir des renforts. Ces « équipes France » fonctionnent très bien. »

Au cours des déplacements, cette proximité entre les acteurs de la sécurité et de la justice a été souvent relevée et est un des marqueurs de l'action de l'État outre-mer. La succession des crises - violences urbaines, catastrophes climatiques, manque d'eau - contribue malheureusement à forger cet état d'esprit né de la nécessité.

Les forces armées sont notamment beaucoup plus impliquées dans les missions opérationnelles conduites par les forces de sécurité intérieure. Elles prêtent habituellement leur concours selon la règle dite « des 4 i », c'est-à-dire si les moyens sont indisponibles, inadaptés, insuffisants ou inexistants. Cette règle est interprétée avec souplesse dans les territoires ultramarins compte tenu de leur réalité singulière.

C'est en particulier le cas en Guyane avec l'opération Harpie63(*). La gendarmerie et les autres armes y travaillent de manière totalement interopérable. Dans tous les autres territoires, les armées demeurent en simple appui ou soutien logistique.

De manière permanente, environ 250 militaires des forces armées et 150 gendarmes mobiles sont ainsi engagés dans la jungle. Deux escadrons de gendarmes mobiles sont consacrés en permanence à la lutte contre l'orpaillage illégal, sur les six affectés en Guyane. Ils ont une fonction d'officier de police judiciaire (OPJ) et assurent la déclinaison de l'activité judiciaire au plus profond de la jungle.

Ainsi, à chaque interpellation d'orpailleurs illégaux, une procédure est ouverte, dans le cadre de laquelle le matériel est saisi, notamment les téléphones portables. Le général Lionel Lavergne a souligné l'intensification du travail d'enquête dans la lutte contre l'orpaillage. Les téléphones saisis sont par exemple envoyés à Cayenne, où ils sont débloqués et analysés, dans le cadre de bases de données judiciaires sérielles. On obtient ainsi des visages ou des numéros de téléphone, ce qui permet de cartographier les relations entre les orpailleurs et leurs soutiens. Certaines de ces données sont également utilisées à des fins opérationnelles. Les armées et la gendarmerie disposent en effet d'une cellule de renseignement conjointe, ce qui est une première. Ces novations sont récentes et commencent à porter leurs fruits.

Toujours en Guyane, un exemple de succès de l'« équipe France » intéresse la lutte contre les « mules ». Face à la vague des narcotrafics et à leur stratégie de saturation des contrôles, une étroite coopération justice-police nationale - préfet a obtenu des résultats significatifs.

Au cours de l'été 2022, le parquet de Cayenne a mis en place une politique pénale expérimentale de traitement des « mules ». Plutôt que de démanteler les réseaux directement, cette politique se concentre sur le contrôle des flux, de manière à dissuader les « mules ». Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, l'objectif est de s'inscrire dans « une logique transverse de bouclier » au profit de l'Hexagone. Le dispositif « 100 % contrôle » a été entériné à compter du 1er novembre 2022.

Le dispositif repose sur l'articulation judiciaire et administrative des différentes administrations concernées.

Le dispositif 100 % contrôle

Le trafic par voie aérienne connaît une croissance exponentielle depuis 2015 et repose sur des personnes, appelées « mules », qui transportent les stupéfiants in ou ex corpore. Ces dernières, souvent dans une situation financière précaire, acceptent les risques pénaux et médicaux liés à cette méthode, leur rémunération allant de 3 000 à 10 000 € par passage. Les filières surinamo-guyanaises jouent un rôle majeur dans l'organisation de ce type de trafic. En 2022, près de 17,1 % de la cocaïne interceptée impliquait ce mode opératoire : 1 318 passeurs ont été interpelés sur des vols en provenance de Guyane, permettant la saisie de trois tonnes de cocaïne (contre 1 065 passeurs et deux tonnes saisies en 2021).

Si en 2019, le Gouvernement a mis en place un Plan national de lutte contre le phénomène des « mules », les contrôles à 100 %, pourtant recommandés par le Sénat dès 202064(*), n'ont été mis en place qu'en 2022, soit vingt ans après les Pays-Bas pour les vols en provenance du Suriname. Or, c'est d'ailleurs en grande partie la stratégie néerlandaise qui a conduit à un report du trafic de cocaïne vers et depuis la Guyane. Les résultats des contrôles « à 100 % » sont néanmoins impressionnants : ils ont permis la saisie d'une tonne de cocaïne transportée par 680 « mules »65(*).

La mise en oeuvre de mesures du « plan mules » en octobre 2022 au départ de Cayenne a conduit à une diminution du nombre de passeurs appréhendés entre octobre et décembre 2022, tendance qui s'est poursuivie au cours du premier semestre 2023.

Selon l'OFAST, le « 100 % contrôle » semble avoir un effet dissuasif. De plus, l'office pointe l'impact positif d'outils utilisés pour renforcer les contrôles : scanners à ondes millimétriques, procédures simplifiées appliquées par les services répressifs et la douane et déploiement de dispositifs opérationnels (capteurs LAPI66(*), contrôles avec des équipes cynophiles dans l'aéroport et aux abords, caméras de vidéoprotection). 67(*)

Le renforcement des contrôles à l'égard des passagers incombe à la police aux frontières (PAF) et à l'égard des bagages, aux douanes. S'agissant du contrôle des passagers, la PAF effectue d'abord un criblage des passagers à destination de l'Hexagone (sont par exemple observées les modalités d'achat des billets d'avion, la fréquence des voyages vers l'Hexagone, la date d'obtention du passeport...). Ce premier criblage est complété par un questionnaire auquel sont soumis les passagers lors de leur arrivée à l'aéroport. Ils passent ensuite par un scanner à ondes millimétriques permettant de révéler la présence d'objets dissimulés à corps. Lorsque plusieurs indices permettent de soupçonner l'ingestion de cocaïne par l'individu contrôlé, ce dernier fait l'objet d'un arrêté préfectoral d'interdiction temporaire de prendre l'avion (dit « arrêté mules ») pris en application de l'article L. 111-1 du code de sécurité intérieure. Le parquet peut à tout moment, en fonction des antécédents et de la nécessité d'approfondir les investigations, orienter l'auteur vers un service d'enquête spécialisé.

En complément, la politique pénale mise en place par le parquet de Cayenne vise à la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée et rapide, prenant en compte les quantités de matière saisies et insistant sur l'importance du prononcé d'interdiction de paraitre à l'aéroport de Cayenne.

Le traitement administratif du phénomène dit « des mules » a été privilégié afin de permettre à la justice de se concentrer sur l'identification des filières, les multi-récidives, les porteurs de grandes quantités et la chaîne logistique (fret notamment). Cet arbitrage a permis de ne pas saturer la justice et les services d'enquête, ce qui est l'un des buts recherchés par les narcotrafiquants.

Cette stratégie globale a permis d'obtenir des résultats rapides : entre le 1er novembre 2022 et le 1er novembre 2023, 10 106 arrêtés d'interdiction d'embarquement ont été pris et il a été dénombré 11 698 « no show »68(*) (« no show » supplémentaires enregistrés sur la période par rapport aux statistiques habituelles des compagnies aériennes).

Au total, 22 292 passagers n'ont pas embarqué pour l'Hexagone en un an soit en moyenne 22 tonnes de cocaïne en moins pour l'Hexagone selon les estimations de la PAF.

Ce souci de jouer « équipe France » a aussi été dynamisé par la réforme de la police nationale dans les outre-mer. Le préfet, le commandant de gendarmerie ou le procureur ont désormais un interlocuteur unique qui pilote l'ensemble des services de la police nationale.

Pour Christian Nussbaum, cette réforme a contribué à faire émerger une image cohérente et unifiée de l'institution. L'objectif est désormais de développer un sentiment d'appartenance commune à la police nationale chez les fonctionnaires.

Ces quelques exemples, qui pourraient être multipliés dans chaque territoire, doivent nourrir un réflexe « équipe France » et le développement prioritaire des opérations conjointes, sauf si l'efficacité commande le contraire, voire des équipes conjointes. Au niveau judiciaire, le recours aux groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sous l'autorité du procureur mériterait aussi d'être plus fréquent69(*).

Le parquet de Fort-de-France est moteur à cet égard. À ce jour, le parquet de Fort-de-France anime cinq GLTD. De nouveaux groupes doivent en outre se mettre en place sur la problématique de la délinquance du centre-ville, du trafic de produits stupéfiants et de la prostitution (notamment la lutte contre le proxénétisme hôtelier et les réseaux).

De même, le tribunal judiciaire de Cayenne a mis en place plusieurs GLTD thématiques qui structurent le travail de la police judiciaire. Il est notamment évoqué des GLTD armes, bandes et gangs, gangs brésiliens ou encore passeurs de cocaïne. En effet, la lutte contre les bandes et les gangs fait partie des priorités d'action du parquet de Cayenne.

Ces GLTD impliquent de nombreuses réunions entre les services d'enquête et les magistrats référents.

Enfin, cette notion d'une « Équipe France » a parfois semblé contestée par le sentiment d'une répartition déséquilibrée des moyens spécialisés entre certains territoires. Vos rapporteurs ont entendu des griefs de responsables en Guadeloupe ou en Guyane vis-à-vis des services en Martinique qui supervisent et coordonnent l'utilisation de ces moyens (drones, surveillance aérienne, moyens nautiques, enquêteurs spécialisés...). Ce type de reproches a aussi été entendu à Mayotte par rapport à La Réunion. Des critères d'utilisation plus transparents et partagés sont nécessaires et apaiseraient les relations entre des services appartenant au même ensemble régional.

Recommandation n° 2 : Au niveau de chaque territoire, assurer la bonne coordination des forces de sécurité outre-mer - esprit « équipe France » :

- en donnant instruction aux préfets et à chaque responsable des principales forces (police nationale, gendarmerie, douane, affaires maritimes, armée, offices spécialisés) de privilégier les actions conjointes en lien avec l'autorité judiciaire : partage d'informations, réunions périodiques, opérations...

- en veillant à une répartition équilibrée des moyens spécialisés de lutte contre la criminalité entre les territoires appartenant à un même ensemble régional ;

- en recourant plus fréquemment aux groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sous l'autorité du procureur de la République.

d) Accroître encore la souplesse opérationnelle et faire évoluer les doctrines d'emploi des forces

La succession de crises outre-mer a conduit les forces de sécurité intérieure à adapter leurs dispositifs et modes d'action aux réalités des territoires. Les retours d'expérience de plusieurs opérations, par exemple les récentes opérations Wuambushu à Mayotte, se traduisent par des innovations importantes pour plus d'efficacité.

Cette capacité d'adaptation rapide est essentielle dans des territoires différents et fragiles pour sortir de schémas importés de l'Hexagone.

Christian Nussbaum a cité le cas de l'emploi du RAID à Mayotte. Très efficace, son antenne a été pérennisée à Mayotte. Surtout, son règlement d'emploi a été assoupli : le RAID est prépositionné en cas d'opération, alors que sa doctrine habituelle est d'être appelée en renfort en cas de difficultés confirmées. Le pré-positionnement permet d'intervenir plus rapidement et d'impacter les auteurs des violences urbaines.

Fabrice Guinard Cordroch, directeur adjoint de la police nationale à Mayotte, a aussi souligné l'importance de la cellule « drone » dans toutes les opérations qui interviennent sur des terrains très complexes (collines, habitats informels très denses).

Forte de cette expérience, la police nationale à Mayotte a décidé de pousser plus loin encore l'innovation tactique en créant une force intermédiaire entre le RAID et les brigades anti-criminalité (BAC) ou les groupes de sécurité de proximité (GSP). Lorsque la BAC ou des GSP interviennent pour libérer un barrage, ils ne peuvent pas partir à la poursuite des « coupeurs de route », au risque de ne plus sécuriser la route qu'ils viennent de rouvrir. Cette force intermédiaire doit permettre de maintenir le dispositif de police sur les lieux du barrage tout en poursuivant les malfaiteurs. Lors de son audition, Christian Nussbaum a indiqué que le recrutement était en cours avec un objectif de 50 fonctionnaires. Ils seront équipés d'unités canines. Cette force devrait contenir une part importante de policiers d'origine mahoraise. L'objectif de cette unité spécialisée sera de procéder à des interpellations. En parallèle, un groupe d'une dizaine de fonctionnaires entièrement dédiés à la lutte contre les phénomènes de bandes est en cours de création au sein de la division d'investigation spécialisée.

Même constat côté gendarmerie qui a adopté une stratégie plus offensive face aux violences urbaines pour impacter les bandes et interpeler les meneurs. Pour le général Lucien Barth, commandant de la gendarmerie de Mayotte, en mai 2024, les autorités avaient repris le terrain, en ciblant mieux les chefs de bande.

Cette stratégie s'est traduite de plusieurs façons.

En premier lieu, depuis deux ans, des « officiers de police judiciaire de l'avant », ont été formés pour être intégrés dans les unités de maintien de l'ordre, afin de matérialiser rapidement les infractions et de faire comparaître très rapidement les personnes interpelées.

En second lieu, des équipes d'enquêteurs (une dizaine, dont la moitié provenant de Paris) dédiés à l'identification des chefs de bande par un travail d'enquête avant leur interpellation ont été constituées. L'objectif assigné par le général Lucien Barth était de boucler deux enquêtes par semaine. Cette judiciarisation des troubles à l'ordre public a porté ses fruits. Le principe d'une telle équipe sera à l'avenir pérennisé au sein de la section de recherche.

Le général Lucien Barth a insisté sur l'importance de laisser aux commandements locaux la liberté d'expérimenter et de leur reconnaître aussi le droit à l'erreur. Le pire serait de figer les doctrines et stratégies d'emploi, et donc de renoncer à l'adaptation aux réalités du terrain.

Recommandation n° 3 : Laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative pour adapter et faire évoluer les doctrines d'emploi à la situation de chaque territoire (comme à Mayotte avec l'intégration d'officiers de police judiciaire dans les dispositifs de maintien de l'ordre ou la création de nouvelles unités dédiées à l'interpellation des chefs de bande) sous le contrôle du préfet et du procureur.

La liberté laissée aux forces de terrain doit aussi se traduire budgétairement.

Frédéric Sautron, sous-préfet et chef d'état-major chargé de la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte, plaide pour que les directions territoriales et les commandements disposent d'un budget en propre supplémentaire pour acquérir du matériel au-delà des besoins classiques. Cette liberté de manoeuvre doit faciliter le travail inter-opérationnel et participe aussi à l'attractivité des postes.

Ce budget « à la main » des responsables opérationnels pourrait être alimenté par les économies résultant d'une exonération de l'octroi de mer sur les matériels de sécurité commandés par l'État dans les territoires concernés.

Recommandation n° 4 : Supprimer l'octroi de mer sur les importations de matériels dédiés aux forces de sécurité et affecter cette économie à l'achat de matériels adaptés supplémentaires.

Toujours à propos de la doctrine d'emploi en matière de maintien de l'ordre, un autre point important est l'association des élus, et en particulier les maires.

Lors des récentes violences urbaines en Martinique, de nombreux maires se sont plaints de ne pas être suffisamment associés aux décisions d'emploi des forces. Nécessaire, l'intervention de forces mobiles, CRS ou gendarmes, ne connaissant pas le contexte local, peut aussi faire naître des tensions que le maire devra gérer a posteriori, quand les forces de maintien de l'ordre seront reparties.

À Mayotte, des critiques semblables ont été émises, à la suite de l'usage de certains moyens pour disperser les bandes et émeutiers. L'emploi massif de gaz lacrymogènes ou de grenades défensives dans des quartiers densément peuplés a pu choquer leurs habitants.

L'instauration d'un climat de confiance avec les élus, propice à des actions conjointes avec les polices municipales, est indispensable.

Recommandation n° 5 : Informer et mieux associer les maires aux opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre, et procéder à des retours d'expérience réguliers sur les opérations et mesures de police prises (couvre-feu, interdiction de la consommation d'alcool, utilisation de grenades en zone dense...).

e) Les violences intrafamiliales : accélérer la judiciarisation et la coordination des acteurs

Au niveau national, en particulier depuis 2017, la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) - dont les violences faites aux femmes - est une priorité et a donné lieu à l'adoption de plusieurs textes de loi importants. Outre-mer la mobilisation a semblé encore en retrait, en décalage avec des taux de VIF et une tendance à la hausse toujours plus élevés qu'en Hexagone.

La lutte contre les VIF commence néanmoins à se structurer, après plusieurs rapports et études au cours de ces dernières années mettant en lumière l'ampleur de ce fléau et l'urgence d'agir.

C'est tout particulièrement le cas à La Réunion.

Ainsi, 3 des 4 nouvelles brigades de gendarmerie créées sur ce territoire seront spécialisées dans la lutte contre les VIF70(*). Sur trois ans, trois fois six enquêteurs de gendarmerie seront ainsi dédiés à l'accueil, l'instruction judiciaire et l'orientation vers les dispositifs spécialisés de prise en charge et d'accompagnement des victimes. Ce choix fort doit être salué.

La création de telles brigades est inédite en France. Elle s'ajoute à la formation depuis trois ans de 500 gendarmes à La Réunion à l'accueil des victimes.

En 2023, La Réunion - encore - a été le deuxième territoire pilote au niveau national pour expérimenter le « pack Nouveau Départ ». Son objectif est d'apporter une réponse coordonnée, rapide et individualisée aux besoins des victimes de violences conjugales, afin de lever les obstacles à leur départ et faciliter la séparation du conjoint violent. On rappellera que depuis 2013, un réseau VIF est actif sur l'île.

Le pack Nouveau Départ (PND)

Ce dispositif comporte trois étapes :

- Des professionnels de proximité (médecins, policiers, gendarmes, associations, etc.) sont formés pour accompagner les victimes qui souhaitent se séparer de leur partenaire. Ils les informent et leur proposent de bénéficier du PND. En cas d'accord, ils transmettent la demande à un référent coordinateur ;

- Organisation de la prise en charge avec le référent coordinateur dans les 5 jours qui suivent en toute confidentialité pour organiser une prise en charge rapide, globale et adaptée ;

- Accompagnement sur la durée : différents professionnels sont mobilisés pour répondre aux besoins des victimes (CAF, CPAM, bureau des victimes, maison de protection des familles, etc.). Le processus d'ouverture des droits sociaux est accéléré avec l'activation de toutes les aides nécessaires pour un nouveau départ.

Source : Ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes

Dans les autres territoires, l'action commence aussi à se structurer, mais de manière plus tardive. Outre la formation des policiers et gendarmes à la prise en charge des victimes, la coordination des acteurs se renforce. En Guadeloupe par exemple, le conseil départemental a lancé fin 2023 le réseau VIF Guadeloupe qui est en cours de constitution. En Martinique, un Observatoire territorial des violences envers les femmes a été inauguré en 2018 et la Maison de protection des familles71(*), sous l'égide de la gendarmerie, en 2023.

Le rapport de Justine Bénin, coordinatrice interministérielle à la lutte contre les violences faites aux femmes en outre-mer comporte 44 recommandations intéressant l'ensemble des acteurs (États, collectivités, professionnels de santé, associations...) et tous les territoires ultramarins, notamment :

- enseigner dès le plus jeune âge le principe d'égalité Femmes-Homme, qui était aussi une recommandation rapport de notre délégation sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer en mars 202072(*) ;

- accentuer et inscrire sur le long court la formation des forces de sécurité intérieure sur l'écoute et l'accueil des victimes ;

- généraliser la signature de protocoles entre les C.H.U, le Parquet et l'Ordre des médecins ;

- mettre en place des référents VIF dans les services des urgences hospitalières ;

- sanctuariser le financement des postes des Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG) ;

- évaluer le maillage territorial des Unités médico-judiciaires (UMJ) et programmer l'installation de nouvelles (à l'exemple de la Guyane) ;

- signer un protocole à l'échelle des territoires entre les bailleurs sociaux, l'État et les collectivités majeures afin qu'il y ait un fléchage des logements sociaux à destination des femmes victimes de violences ;

- améliorer en outre-mer, le niveau, le degré et la permanence de l'information de la victime tout au long des procédures pénales, lorsqu'il y a ordonnances de protection, bracelet anti-rapprochement ou encore délivrance de téléphone « grave danger ».

Vos rapporteurs s'inscrivent naturellement en soutien à ces recommandations et souhaitent insister sur l'impératif de changement d'échelle de l'action. De simples ajustements ou renforcements ne seraient pas à la hauteur des enjeux.

Les récentes avancées à La Réunion sont un modèle à suivre et à étendre à l'ensemble des territoires ultramarins.

Cette montée en charge très nette s'appuyant sur une organisation innovante doit être étendue aux autres territoires, en particulier le déploiement de brigades VIF - au moins une par territoire - et la généralisation du « pack Nouveau Départ » en 2025.

La connaissance des VIF et de leurs évolutions doit aussi progresser. Seuls trois territoires ont bénéficié d'enquêtes VIRAGE en 2018. Le « violentomètre »73(*) doit aussi être vulgarisé et déployé dans les langues régionales pour aider les victimes à prendre conscience de l'anormalité de leur situation. La mise en place d'observatoires territoriaux pourrait être une réponse.

La densification du réseau des Maisons de protection des familles, porté par la gendarmerie en partenariat avec les associations et les intervenants sociaux, est une des priorités affichées par l'État. Trois ont été créés en Martinique. Sept nouvelles ont été annoncées par Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Intérieur et des outre-mer.

Recommandation n° 6 : Démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales avec :

- la création dans chaque territoire d'au moins une brigade de gendarmerie spécialisée dans la lutte contre les VIF pour augmenter le nombre d'enquêteurs et la judiciarisation des faits constatés ;

- la généralisation du pack Nouveau Départ, expérimenté à La Réunion, pour mieux coordonner tous les acteurs, protéger et sortir les victimes du cycle de la violence ;

- la formation sur le long cours des forces de sécurité intérieure à l'écoute et l'accueil des victimes ;

- le renforcement du volet social avec notamment la sanctuarisation du financement des postes des Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG) et la création de nouvelles maisons de protection des familles (MPF).

f) Poursuivre l'adaptation de la procédure pénale

Le livre VI du code de procédure pénale contient déjà diverses adaptations pour tenir compte des contraintes ultramarines, en particulier l'éloignement et l'isolement de certains territoires, et des singularités institutionnelles. Certains pouvoirs de police judiciaire sont par exemple reconnus aux agents de collectivités ultramarines qui exercent des compétences en lieu et place de l'État. Ces aménagements concernent surtout les collectivités de l'article 74 de la Constitution, et plus marginalement Mayotte.

Les principales adaptations du code de procédure pénale (CPP) outre-mer

1) Les adaptations sur le régime de la garde à vue et les conditions de comparution devant l'autorité judiciaire

Les adaptations ne modifient ni le point de départ du délai de garde à vue ni sa durée :

- pour certains territoires de Polynésie française, dans les îles de Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie, les modifications se rapportent à l'intervention 1) du médecin (article 813 du CPP) qui peut être suppléé par un infirmier notamment ; 2)  à celle de l'avocat (article 814 du CPP) dont les attributions peuvent être exercées par un tiers choisi par la personne gardé à vue dans certaines circonstances ; 3) ou encore à l'adaptation des délais et modalités de présentation à l'autorité judiciaire en cas d'impossibilité de déferrement (article 812 du CPP) ;

- à Mayotte : elles prévoient également le remplacement de l'avocat empêché (matériellement impossible) par une personne choisie par le gardé à vue (article 880 du CPP).

D'autres adaptations concernent les conditions de comparution devant l'autorité judiciaire et plus spécifiquement devant le magistrat instructeur.

En effet, la situation géographique particulière des territoires ultramarins impose parfois de recourir à des outils procéduraux adaptés, comme la visioconférence.

À ce titre, les juridictions ultramarines avaient ainsi exposé à plusieurs reprises les difficultés logistiques engendrées par l'absence de possibilité de recourir à la visioconférence pour les interrogatoires de première comparution et les débats de placement en détention provisoire et ce d'autant plus lorsque certaines juridictions dépendent d'une JIRS dont le siège est éloigné (notamment Mayotte sur le ressort de la JIRS de Paris ou Cayenne sur le ressort de la JIRS de Fort-de-France).

La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 (dite LOPJ) a ainsi ouvert le recours à la visioconférence par les JIRS pour les interrogatoires de première comparution et les débats de placement en détention provisoire lorsque la personne se trouve dans le ressort d'une cour d'appel ultramarine ou d'un tribunal supérieur d'appel autre que celui où siège la JIRS à l'origine du défèrement. Le Conseil constitutionnel a toutefois émis deux réserves d'interprétation dans sa décision du 16 novembre 2023 : le recours à la visioconférence ne peut s'envisager qu'en cas de circonstances exceptionnelles caractérisant l'impossibilité de présenter physiquement l'intéressé devant le magistrat et la confidentialité des échanges doit être préservée. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 30 septembre 2024.

2) Les adaptations relatives à l'information judiciaire

En premier lieu, pour pallier le manque d'interprètes, l'article 817 CPP prévoit des dispositions particulières en matière d'audition des témoins par le juge d'instruction, permettant à celui-ci de désigner un greffier comme interprète pour l'une des langues en usage dans le territoire. Cette disposition est applicable en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie.

En second lieu, le code de procédure pénale fixe des conditions spécifiques pour l'exécution des mandats des magistrats instructeurs ultramarins.

3) Les adaptations en phase de jugement des crimes

Le sujet des cours criminelles départementales est révélateur de la nécessité de recourir à l'adaptation des règles de procédure pénale.

Établies par la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, les cours criminelles départementales (CCD) ont vu le jour afin de remédier à l'engorgement de nombreuses cours d'assises. Un bilan positif ayant été tiré de leur expérimentation, la loi Confiance du 22 décembre 2021 les a généralisées à compter du 1er janvier 2023.

Si cette loi précitée a exclu l'application de cette réforme à Mayotte, elle n'a toutefois prévu aucune exclusion pour la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Or, au sein de ces territoires, des difficultés liées à la généralisation des CCD ont été mises en avant. Ainsi, le jugement des crimes par une CCD a été présenté comme étant source d'une complexification du droit et de la pratique inutile et inopportune.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l'article 804 du CPP prévoit désormais que les dispositions relatives à la cour criminelle départementale ne trouvent pas à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. L'article 908 du CPP, quant à lui, exclut l'application des dispositions relatives à la cour criminelle départementale s'agissant du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Source : Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice

D'autres codes connaissent aussi des adaptations. Les dispositions de l'article L. 621-8 du code minier prévoient ainsi qu'« en Guyane, lorsqu'une infraction prévue aux articles L. 615-1 ou L. 621-8-3 dudit code ou à l'article 414-1 du code des douanes est commise et que le transfert des personnes interpelées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables, le point de départ de la garde à vue ou la retenue douanière peut exceptionnellement être reporté à l'arrivée dans les locaux du siège où cette mesure doit se dérouler. Ce report ne peut excéder vingt heures. Il est autorisé par le procureur de la République ou la juridiction d'instruction. Mention des circonstances matérielles insurmontables au vu desquelles cette autorisation a été donnée est portée au procès-verbal ».

La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice a indiqué que ces dispositions avaient fait l'objet d'un rappel dans la circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane. Par arrêt du 8 décembre 2015, la chambre criminelle a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur cet article du code minier au Conseil constitutionnel (Cass. Crim. 8 décembre 2015, pourvoi n° 15-90.018)74(*).

Toutefois, ces dispositions ne sont applicables qu'aux infractions du code minier, c'est-à-dire la lutte contre l'orpaillage illégal. Pour les autres infractions, il n'existe pas de report du point de départ de la garde à vue. Le général Lionel Lavergne a cité l'exemple des interpellations des étrangers en situation irrégulière en forêt. Un aménagement de la procédure serait donc pertinent sur le point de départ de la garde à vue et le délai disponible pour conduire les personnes dans les locaux, quelle que soit la nature du fait délictueux ou criminel, dès lors que le transfert des personnes interpellées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables.

Une autre modification souhaitable concerne la présence de l'avocat pendant la garde à vue, le général Lionel Lavergne pointant l'inadaptation de la réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2024 pour les territoires isolés.

La réforme de la garde à vue au 1er juillet 2024

Le régime juridique de la garde à vue a fait l'objet de plusieurs modifications avec la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, afin de se mettre en conformité avec le droit de l'Union européenne. Elles sont entrées en vigueur au 1er juillet 2024.

La réforme tend à renforcer les droits des personnes placées en garde à vue.

Les changements portent sur 3 points :

1) La réforme élargit le cercle des personnes que le gardé à vue peut informer : celui-ci peut désormais désigner un ami, un collègue ou son employeur, en plus du cercle familial ou de la personne partageant sa vie ;

2) Aucune audition ne peut désormais se tenir sans avocat. Le gardé à vue peut « dès le début de la garde à vue et à tout moment au cours de celle-ci » demander à être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d'office. Jusqu'à présent, la première audition pouvait avoir lieu sans avocat si celui-ci ne s'était pas présenté dans un délai de deux heures (délai de carence). La loi supprime le délai de carence qui permettait jusqu'alors à l'enquêteur de commencer l'interrogatoire, même sans avocat, une fois ce délai expiré ;

Il n'est donc plus possible d'auditionner le gardé à vue sans son avocat, à moins que ce dernier renonce à son droit ; ou que le procureur de la République justifie par une décision écrite et motivée qu'il est indispensable de procéder immédiatement à l'audition sans attendre l'arrivée de l'avocat (par exemple, en cas de péril pour la vie d'une personne).

3) L'avocat peut désormais consulter non seulement les procès-verbaux des auditions, mais aussi ceux des confrontations qui ont eu lieu. Source : Service Public

Là encore, la situation des territoires isolés devrait être prise en considération, la présence d'un avocat dans des délais compatibles avec la garde à vue étant difficile à assurer pour débuter les auditions.

Cet obstacle est encore accru dans les territoires où le nombre d'avocats est notoirement insuffisant. C'est le cas à Mayotte, mais aussi en Guyane. Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la cour d'appel de Cayenne, a relevé que seuls deux avocats sont installés à Saint-Laurent-du-Maroni sur les 84 avocats du Barreau de la Guyane.

Recommandation n° 7 : Afin de prendre en compte les contraintes opérationnelles dans les zones isolées de la Guyane et de la Polynésie française, adapter les dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue, en faisant démarrer le début de celle-ci à compter de l'arrivée dans les locaux et non de l'interpellation, dans la limite de 20 heures, et en aménageant l'obligation de présence d'un avocat dès le début des auditions.

L'absence d'avocat ou d'interprète dans certains territoires, lorsque la loi rend leur présence obligatoire, fait porter le risque de fragiliser les procédures. Cela concerne les affaires pénales, mais aussi civiles.

Yann Le Bris, procureur de la République au tribunal judiciaire de Mamoudzou, rapporte ainsi l'extrême difficulté à trouver un avocat disponible pour représenter des mineurs. La loi rend en effet leur présence obligatoire. L'attente peut durer une journée avant de trouver un avocat de bonne volonté et en cas d'échec, les magistrats visent les « obstacles insurmontables ». Près de 100 % des gardes à vue sont dans ce cas à Mayotte.

Un modus vivendi avec le Barreau, au nom du principe de réalité et pour que la Justice puisse à peu près fonctionner, fait que ce moyen de droit n'est pas évoqué à l'appui de recours. Mais il n'est pas certain que la Cour de cassation ne le relèverait pas si un pourvoi devait lui être soumis.

Yann Le Bris observe que plus la loi renforce la présence de l'avocat, plus l'écart par rapport à la légalité augmente à Mayotte.

Une solution à court ou moyen terme, dans l'attente que des avocats s'installent en plus grand nombre à Mayotte ou en Guyane - ces deux territoires concentrant les plus grandes difficultés, à savoir un nombre insuffisant de professionnels et une délinquance de masse - consisterait à faire application de l'article 879 du code de procédure pénale. Cet article permet la désignation par le président de la chambre d'appel de Mamoudzou de citoyens défenseurs, comme à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette faculté pourrait être étendue à certaines régions de la Guyane.

Les aménagements en vigueur outre-mer à la présence d'un avocat

À Wallis-et-Futuna qui dépend de la cour d'appel de Nouméa, le deuxième alinéa de l'article 842 du code de procédure pénale dispose que « dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, le prévenu peut prendre pour conseil une personne agréée dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article 814 ». Pour le jugement des délits, il peut donc être fait appel à une personne agréée par le président du tribunal de première instance, en lieu et place des avocats. Ces personnes sont usuellement dénommées « citoyens défenseurs ».

À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'article 905 du code de procédure pénale dispose que les attributions dévolues par ce code aux avocats et aux conseils des parties peuvent être exercées par des personnes agréées dans la collectivité territoriale par le président du tribunal supérieur d'appel. Ces personnes sont dispensées de justifier d'un mandat.

À Mayotte, l'article 880 du CPP prévoit le remplacement de l'avocat empêché par une personne choisie par le gardé à vue. Par ailleurs, l'article 879 du CPP prévoit un dispositif analogue aux citoyens défenseurs de Wallis-et-Futuna : « les attributions dévolues par le présent code aux avocats et aux conseils des parties peuvent être exercées par des personnes agréées par le président de la chambre d'appel de Mamoudzou. Ces personnes sont dispensées de procuration ».

Par ailleurs, dans les trois collectivités du Pacifique, l'article 814 du code de procédure pénale permet, dans les zones isolées et à Wallis-et-Futuna, de faire exercer les missions dévolues à l'avocat lors de la garde à vue par une personne choisie par la personne gardée à vue. À Wallis-et-Futuna, cette personne doit être choisie sur une liste de personnes agréées par le président du tribunal de première instance.

Le code de procédure pénale circonscrit cette faculté aux territoires les plus isolés :

- en Nouvelle-Calédonie, lorsque la garde à vue se déroule en dehors des communes de Nouméa, Mont-Doré, Dumbea et Paita et que le déplacement d'un avocat paraît matériellement impossible ;

- en Polynésie française, lorsque la garde à vue se déroule dans une île où il n'y a pas d'avocat et que le déplacement d'un avocat paraît matériellement impossible.

Recommandation n° 8 : À Mayotte, en l'absence d'avocat, faire usage de l'article 879 du code de procédure pénale qui permet la désignation de citoyens défenseurs agréés par le président de chambre d'appel de Mamoudzou, et étendre cette faculté à certaines régions de la Guyane.

Il en va de même s'agissant du droit à un interprète. À Mayotte, 80 % des justiciables ne comprennent pas ou mal le français, y compris des jeunes censés être scolarisés depuis longtemps.

Or la disponibilité d'un traducteur ou interprète agréé inscrit auprès de la cour d'appel est très limitée. Pour reprendre les termes du procureur de la République, « on bricole » à la vacation. Certains vacataires peuvent ainsi gagner jusqu'à 13 000 euros par mois. Parfois l'avocat lui-même ou l'agent de sécurité assure l'interprétariat.

S'agissant des étrangers en rétention administrative, il est parfois plus compliqué encore de trouver des interprètes en raison de leur origine : Corne de l'Afrique, Afrique des Grands Lacs, Congo... En l'absence d'interprète, la justice doit les relâcher. Ce cas de figure se multiplie depuis deux ans, à mesure que les filières d'immigration clandestine depuis l'Afrique des Grands Lacs se sont renforcées.

La situation tend donc à se dégrader, aboutissant à l'émergence de deux mondes juridiques parallèles : le monde théorique et le monde réel. C'est au prix de ces arrangements avec des exigences procédurales impossibles à respecter que la justice continue de fonctionner à Mayotte.

Une telle situation n'est satisfaisante ni pour la sécurité juridique, ni pour le respect des droits de La Défense.

Des solutions pragmatiques doivent impérativement être trouvées.

Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoit déjà des aménagements. L'article L.111-9 dudit code dispose qu'un tribunal judiciaire peut inscrire des non-experts sur une liste parallèle dite liste CESEDA. Les interprètes nommés dans ce cadre par le procureur de la République interviennent dans l'unique contexte du code de l'entrée et du séjour des étrangers.

La situation particulière de Mayotte, mais aussi de certaines régions de la Guyane, d'autres territoires très isolés ou manquant de ressources justifierait d'étendre ce dispositif d'inscription d'interprètes non experts, déjà prévu pour les contentieux relevant du Ceseda, à l'ensemble des contentieux civils et pénaux.

Une autre solution est le recours à la visioconférence. On soulignera à cet égard que les nouvelles dispositions générales de l'article 803-5 du code de procédure pénale, issue de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice, entrée en vigueur le 30 septembre 2024, permettent d'y recourir dans le temps souvent contraint de la garde à vue, de la notification des droits au début de la mesure puis tout au long de la mesure, pendant les auditions. Cette disposition n'est toutefois applicable qu'à la garde à vue ou l'audition libre des personnes majeures.

Elles s'inscrivent ainsi dans la continuité des dispositions déjà existantes, notamment celles issues de l'article 706-71 du même code, et ont vocation à permettre de faire appel plus facilement à un interprète à distance, dans des conditions garantissant la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges.

Le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par l'utilisation de logiciels d'intelligence artificielle gagnerait à être largement facilité à Mayotte ou dans d'autres territoires disposant de ressources limitées d'interprétariat en comparaison des besoins.

Recommandation n° 9 : Dans les territoires isolés ou manquant d'interprètes agréés, autoriser des interprètes non experts inscrits sur une liste arrêtée par le procureur de la République et ouvrir largement le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par des logiciels d'intelligence artificielle.

Une autre adaptation possible a été suggérée par Yann Le Bris, procureur de la République à Mayotte, qui a constaté l'efficacité du rappel à l'ordre par le maire.

Introduit par loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance75(*), le rappel à l'ordre est une injonction verbale adressée par le maire, dans le cadre de son pouvoir de police et de ses compétences, en matière de prévention de la délinquance. Son champ est limité. Le rappel a` l'ordre s'applique aux faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté et la salubrité publiques, relevant d'une simple contravention. Les faits relevant d'une autre qualification pénale en sont exclus. Pour mieux définir la procédure de rappel à l'ordre, un protocole entre le maire et le procureur de la République peut être conclu.

Yann Le Bris a évoqué l'idée d'élargir le rappel à l'ordre à d'autres infractions à Mayotte, notamment les violences volontaires sans ITT ou les petites dégradations. L'ampleur de la délinquance à Mayotte pourrait justifier cet élargissement, afin de ne pas engorger ou judiciariser à l'excès des faits mineurs dans le contexte mahorais, tout en leur apportant une vraie réponse par l'intermédiaire des maires.

Ce rappel à l'ordre élargi serait naturellement mis en oeuvre en étroite coordination avec le procureur de la République dans le cadre de la convention précitée.

Recommandation n° 10 : À Mayotte, étendre le rappel à l'ordre par le maire aux violences volontaires sans ITT ou aux dégradations mineures, en coordination avec le procureur de la République.

g) Redonner de l'air à un système pénitentiaire à bout de souffle

L'élaboration du « plan 15 000 » initiée en 2017 s'est opérée à partir d'un déterminant : le renforcement du nombre de places sur les territoires les plus touchés par la surpopulation carcérale.

Ces taux étant particulièrement élevés outre-mer, ainsi que la vétusté indigne de nombreux établissements, le « plan 15 000 » comporte un volet ultramarin très ambitieux. Malheureusement, les 1 100 places supplémentaires prévues pour les outre-mer, ainsi que les très nombreuses rénovations/reconstructions, après un premier report de cinq ans par rapport à l'échéance initiale de 2022, peinent à sortir de terre dans les nouveaux délais annoncés (2027).

Au niveau national, le « plan 15 000 » ne devrait être exécuté qu'à hauteur de 40 % en 2027. Sur 50 opérations, 28 seront finalisés à cette date. Pour les outre-mer, seuls trois projets seront achevés à peu près dans les délais :

- le centre de détention à Baie-Mahault en Guadeloupe (phase 1 uniquement en 2025, soit 40 places sur les 300 prévues en pour 2028) ;

- le centre de détention de Basse-Terre en Guadeloupe (phase 1 annoncée pour 2025, puis la phase 2 pour 2028 avec un objectif de 200 places). Ce projet d'extension-démolition-reconstruction signera notamment la fin des trois dortoirs ;

- la structure d'accompagnement à la sortie (SAS) de Ducos en Martinique pour accueillir des détenus en fin de peine ou purgeant des peines de moins de deux ans (fin 2025).

En 2023, le centre de détention de Koné en Nouvelle-Calédonie a été livré et a permis de soulager à la marge le centre de détention de Nouméa.

Ce très maigre bilan entrave la réponse pénale et maintient durablement des conditions indignes de détention.

Pourtant, des projets très ambitieux sont lancés ou à l'étude.

À Saint-Laurent du Maroni, à la suite de l'accord de Guyane du 21 avril 2017 - protocole « Pou Lagwiyann dékolé » - il est prévu la construction d'un établissement pénitentiaire de 500 places au sein de la future cité judiciaire. Une livraison en 2029 est désormais annoncée, mais des doutes subsistent sur la crédibilité de ce calendrier.

En Nouvelle-Calédonie, la construction d'un nouveau centre pénitentiaire à Nouméa de 600 places a été confirmé, en remplacement de l'actuel centre de détention dont la vétusté a donné lieu à des condamnations de l'État, puis des injonctions du Conseil d'État visant à entreprendre des actions immobilières d'urgence76(*). Le Conseil d'État a confirmé ces injonctions, jugeant que l'annonce par le Gouvernement d'une mise en chantier en 2029, pour une livraison en 2032, était trop tardive. Les évènements de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie ne sont pas de nature à permettre une accélération du calendrier.

Là encore, on ne peut que regretter la faible anticipation de l'État qui ne parvient pas à établir des programmations réalistes des besoins à un horizon de temps de 20 ans pour les territoires.

S'agissant des centres éducatifs fermés (CEF), on observera en le regrettant également que les deux départements les plus jeunes de France, avec une forte prévalence de la délinquance des mineures en sont pratiquement dépourvus.

En Guyane, le premier CEF a ouvert en 2022. Quant à Mayotte, aucun centre n'a ouvert. Un projet, confié à l'agence publique pour l'immobilier de la Justice (APIJ) est entré en phase opérationnelle depuis janvier 2024. L'acquisition du terrain devait être effective à l'horizon été 2025 à l'issue des travaux de l'établissement public foncier, propriétaire aménageur de la zone, la livraison étant prévue pour 2027. Ce calendrier a toutefois été arrêté avant le passage du cyclone Chido le 14 décembre dernier.

En revanche, on notera que les aménagements de peine et les alternatives à l'incarcération dans les outre-mer sont mis en oeuvre dans des proportions similaires à celles constatées dans l'Hexagone. La surveillance électronique a notamment très fortement progressé (+ 84 % en cinq ans) et représente 70 % des aménagements de peine, comme dans l'Hexagone. Seul le régime de la semi-liberté est moins fréquemment mis en oeuvre. En sens inverse, le taux d'octroi de libération sous contrainte de plein droit, en vigueur depuis le 1er janvier 2023 à la suite de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, est plus élevé outre-mer de 8 points. La surpopulation carcérale ultramarine et la nécessité de libérer des places d'écrou expliquent probablement cette différence.

Recommandation n° 11 : Accélérer l'exécution du « plan 15 000 » pour la réhabilitation et la construction de places de prisons outre-mer, notamment en Guyane, Guadeloupe et Martinique, et créer plusieurs centres éducatifs fermés à Mayotte et en Guyane.

Lors des déplacements, les responsables de la gendarmerie et de la police ont aussi plaidé pour un transfert de la responsabilité des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire.

En Hexagone, depuis la réforme initiée en 2010 et achevée en 2019, ces extractions sont réalisées par l'administration pénitentiaire et non plus par la police ou la gendarmerie. Les outre-mer sont toutefois demeurés à l'écart, les escadrons mobiles de la gendarmerie assumant cette mission.

Afin que les gendarmes et policiers soient exclusivement consacrés à la lutte contre la délinquance et occupent le terrain, l'extension de la réforme nationale, désormais stabilisée, serait utile si elle était correctement anticipée par l'affectation de personnels pénitentiaires en nombre suffisant. Dans le cas contraire, elle aurait un impact potentiellement très négatif sur le bon fonctionnement de prisons dont certaines sont déjà dans un état critique.

Le retour d'expérience hexagonal doit permettre de bien calibrer les besoins en équivalent temps plein (ETP), tout en tenant compte de la géographie particulière des outre-mer. La création de cités judicaires, comme à Saint-Laurent du Maroni, peut aussi permettre d'optimiser les extractions.

On notera que la forte proportion d'ultramarins dans l'administration pénitentiaire permettrait aisément de pourvoir les ETP créés, même s'il faut aussi être attentif à ne pas trop dégarnir les effectifs métropolitains. Les syndicats y sont en outre naturellement favorables.

Ces nouvelles missions coïncideraient avec la politique déjà initiée de renforcement outre-mer des Équipes locales de sécurité pénitentiaire (ESP) qui sont notamment en charge de la protection périmétrique des établissements77(*). Les effectifs des ESP ont été accrus dans les Antilles-Guyane pour les porter de 7 à 12 - voire 14 prochainement ce qui leur permettra de réaliser les extractions médicales de nuit -, compte tenu de l'implantation croissante d'une criminalité organisée violente sud-américaine.

Le transfert des extractions s'inscrirait dans la continuité de cette évolution amorcée.

Recommandation n° 12 : Préparer le transfert des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire selon un rythme adapté à l'évolution des effectifs de celle-ci, aux capacités de chaque territoire et en garantissant une évaluation réaliste des ETP nécessaires, pour redéployer plus de gendarmes et de policiers sur le terrain.

h) Consolider le service militaire adapté

Le régiment du service militaire adapté (RSMA) est continument salué par tous les acteurs de terrain comme une réussite exemplaire outre-mer.

Ce dispositif est un rare exemple d'une politique publique conçue spécifiquement pour les outre-mer. Sa gestion est d'ailleurs directement rattachée à la DGOM.

Créé en 1961, le RSMA est un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle qui s'adresse aux jeunes ultramarins, de 18 à 25 ans, éloignés de la qualification et du marché de l'emploi.

Cet encadrement militaire attire beaucoup de jeunes en quête de repères et d'une seconde chance. Bien que le RSMA n'ait pas été conçu pour prévenir spécifiquement la délinquance, il joue ce rôle indirectement en offrant un cadre à des jeunes dans des sociétés ultramarines de plus en plus exposées à une violence délinquante.

Toutefois, le général Claude Peloux, commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer, estime que le RSMA est arrivé « à un plateau de recrutement de 6 000 bénéficiaires. Ce volume semble correspondre à ce que nous savons faire de mieux. [...] À l'horizon 2030, au vu de la démographie des territoires et départements, il ne s'agit pas d'aller chercher au-delà de 10 % d'une classe d'âge, comme nous le faisons aujourd'hui. Mayotte et la Guyane affichent un fort taux de natalité et une croissance démographique importante. Nous opérons donc des bascules d'effort entre les Antilles où deux facteurs vident les îles de Guadeloupe et de Martinique de leur jeunesse : un solde naturel négatif et un solde migratoire très important ».

Pour conserver une même qualité d'insertion, le taux d'encadrement des jeunes ne doit pas diminuer.

Pour conserver une même qualité d'insertion, le taux d'encadrement des jeunes ne doit pas diminuer.

Si une expansion du RSMA n'est pas envisageable à moyen constant, son implantation à Saint-Martin - le seul territoire ultramarin avec Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna - à ne pas bénéficier d'un régiment du SMA - devraient être étudiés.

En Polynésie française, la délégation qui s'est rendue aux Marquises, a pu mesurer l'intérêt de cette formation pour les jeunes et le développement des archipels via les métiers très concrets auxquels ils sont préparés : mécaniciens, charpentiers, agriculteurs... Un sujet reste l'accompagnement à la sortie de cette formation relativement courte. D'où l'intérêt de la Fondation du RSMA créé en 2023 qui comble ce manque.

Recommandation n° 13 : Consolider les effectifs de jeunes intégrant le Service Militaire Adapté (SMA), étudier les modalités d'une implantation à Saint-Martin et renforcer les liens avec la Fondation du SMA pour un meilleur suivi de la réinsertion.

3. Garantir une justice pour tous et un égal accès au droit : pour une justice plus proche

Selon une étude datant de 2021 citée par Maître Patrick Lingibé, 58 % des ultramarins affirment qu'il est difficile de faire valoir leurs droits, contre 37% pour tous les Français. Cette crise de confiance menace la promesse républicaine de l'égalité des droits. L'éloignement de la justice nourrit également le sentiment d'abandon face à l'explosion de l'insécurité quotidienne. Ce besoin de proximité ne se limite pas au contentieux pénal, mais aussi à tous les contentieux de la vie de tous les jours.

La contrainte de l'éloignement et de modes de transport insuffisants pèse sur l'effectivité de l'accès au droit outre-mer. La justice est mal identifiée, les tribunaux étant fréquemment dispersés sur plusieurs sites ou dans des locaux banalisés. L'image et l'incarnation de la justice dans les outre-mer s'en trouvent abimées.

Pour répondre à cette crise, le ministère de la justice doit adapter sa présence sur les territoires pour se rapprocher des justiciables.

a) La création de cités judiciaires et l'adaptation de la carte judiciaire

La Chancellerie a engagé un programme immobilier important dans les outre-mer. On notera en particulier :

- la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni. D'ici 202978(*), cette cité qui fait suite au plan d'urgence des accords de Guyane signés le 21 avril 2017, réunira, outre un second centre pénitentiaire pour la Guyane, un tribunal judiciaire de plein exercice, une antenne du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et des unités éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le tribunal de proximité actuel laissera donc la place à un tribunal judiciaire. La création d'une nouvelle juridiction permettra de répondre à la demande locale en matière de justice de proximité et d'accès au droit, et d'offrir une justice de qualité en mettant un terme aux déplacements de personnels et d'auxiliaires de justice entre le palais de justice de Cayenne et l'actuelle chambre détachée de Saint-Laurent du Maroni ;

- la cité judiciaire de Cayenne en 2027 qui regroupera sur un seul site le tribunal judiciaire, le tribunal administratif et les archives ;

- la restructuration et l'extension du palais de justice de Basse-Terre. Ce nouvel ensemble hébergera tous les services du ressort de Basse-Terre. Le concours d'architecte a été lancé ;

- la restructuration du palais de justice de Pointe-à-Pitre ;

- la restructuration et l'extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France ;

- la reconstruction du tribunal de proximité de Saint-Benoît à La Réunion (la démolition est en cours et le concours a été attribué en 2022) ;

- la cité judiciaire de Papeete. Elle vise à regrouper la cour d'appel et le service administratif régional au sein d'un bâtiment neuf. Elle sera située à proximité immédiate du tribunal foncier récemment réhabilité et du tribunal de première instance. Le concours de maîtrise d'oeuvre a été lancé en mars 2023 pour une notification du marché en 2025 ;

- à Saint-Martin, une cité judiciaire regroupera fin 2025 le tribunal de proximité, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO). Cette cité judiciaire, aux normes sismiques à l'inverse de l'actuel tribunal, inclurait également une cité administrative. ;

- enfin, à Mayotte, un projet de cité judiciaire a été acté. Le patrimoine immobilier judiciaire sur Mamoudzou est réparti en quatre implantations, outre les deux sites d'archivages. Les bâtiments actuels se dégradent, avec des enjeux de sécurité incendie et de mise aux normes, et le manque de places s'aggrave chaque jour à mesure que les effectifs croient. Vos rapporteurs ont constaté les conditions précaires du tribunal, l'exiguïté des espaces et la sécurité incertaine. La reconstruction de Mayotte à la suite du passage du cyclone Chido doit être l'occasion d'accélérer ce projet essentiel pour la justice à Mayotte, ainsi que la construction d'un second centre pénitentiaire. L'APIJ a engagé les études préalables en vue de la construction d'un nouveau palais de justice regroupant la chambre d'appel détachée, le tribunal judiciaire, le tribunal du travail et le tribunal mixte de commerce. Le foncier avait été identifié à Kaweni avant le passage du cyclone.

Cette série de projets doit remettre à niveau les moyens immobiliers de la justice et accueillir les nouveaux effectifs prévus en loi de programmation.

Outre la création du tribunal judiciaire de Saint-Laurent-du Maroni79(*), deux autres modifications de la carte judiciaire paraissent nécessaires.

À Saint-Martin, le tribunal de proximité ne répond qu'imparfaitement aux besoins des justiciables, en dépit de l'élargissement des contentieux dont il a à connaître, notamment au civil. Le taux de criminalité (5 fois plus élevés que la moyenne française), l'éloignement de la Guadeloupe, la binationalité de l'île et l'autonomie institutionnelle des collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin plaident pour la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice, qui demeurerait dans le ressort de la Cour d'appel de Basse-Terre.

Une seconde évolution importante de l'organisation judiciaire serait la création d'une cour d'appel de plein exercice à Mayotte.

Mayotte est dotée, depuis 2011, d'une chambre d'appel rattachée à la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion. Elle est installée à Mamoudzou et a presque pleine compétence en matière civile et pénale, offrant ainsi une justice d'appel de proximité aux justiciables mahorais.

Dans un rapport de 202180(*), la commission des lois du Sénat recommandait déjà la création à Mayotte d'une Cour d'appel de plein exercice.

Alain Chateauneuf, premier président de la Cour d'appel de Saint-Denis, a rappelé qu'avant 2011, les juridictions mahoraises dépendaient du Tribunal supérieur d'appel de Mayotte. Le fonctionnement de l'actuelle chambre d'appel est très dégradé, comme du reste l'ensemble des services judiciaires de l'île. Les brigades de soutien, nécessaires et efficaces, ne sont que des palliatifs.

Face à l'impérative remobilisation de la justice à Mayotte - et a fortiori après la tragédie du cyclone Chido -, aussi bien le président Alain Chateauneuf que Fabienne Atzori, procureure générale, jugent indispensable la création d'une cour d'appel à Mayotte pour répondre à l'enjeu « d'incarnation de la justice ». Cette décision serait aussi cohérente avec l'explosion de la population qui dépasse celle de la Guyane et se rapproche de celle des Antilles.

b) Le modèle particulier des sections détachées

En Polynésie française, l'accès à la justice est rendu plus difficile, long et coûteux qu'en Hexagone, de par la faible densité de population et l'éloignement géographique de certains archipels.

Une réponse a été la création de sections détachées du Tribunal de première instance (TPI), qui est l'équivalent du tribunal judiciaire en Hexagone et qui dépend du ressort de la Cour d'appel de Papeete.

Les sections détachées (SD) du TPI sont compétentes pour juger les affaires civiles, correctionnelles, de police et d'application des peines. Le président de la SD est aussi juge des enfants et des tutelles. Il ne s'agit pas d'une juridiction distincte du TPI mais elle contribue à rapprocher l'institution judiciaire des justiciables éloignés.

En Polynésie, on compte trois sections détachées :

- la SD de Raiatea est compétente pour les îles sous le vent. Le territoire comporte 2 avocats, un notaire, un huissier, une maison d'arrêt, une antenne du SPIP et une antenne PJJ ;

- la SD située à Nuku Hiva est compétente pour les îles Marquises (voir encadré infra). Le territoire comporte une maison d'arrêt située à Taiohae ;

- la SD compétente pour les Tuamotu-Gambier est la plus récente : elle a été créée par décret n° 2023-788 du 18 août 2023. Elle est située à Papeete et non sur le territoire qui relève de sa compétence. Cela conduit la SD à fonctionner par « audiences foraines ».

c) Le développement du « aller vers »
(1) L'importance des audiences foraines

Les audiences « foraines » sont des audiences tenues par un magistrat accompagné d'un greffier en dehors du cadre habituel du palais de justice. D'après les articles R. 124-2, R. 532-3, R. 552- 2, R. 552-18, R. 562-2 et R. 562-27 du code de l'organisation judiciaire, les tribunaux judiciaires, les tribunaux de première instance, et les sections détachées peuvent tenir des audiences dans des communes situées sur leur ressort mais autres que celle du siège de la juridiction. Les juges « forains » incarnent donc la justice française lors de leurs déplacements dans les endroits les plus reculés du territoire et permettent de maintenir, malgré la distance, le lien avec l'État français.

Ce dispositif est particulièrement appliqué en Polynésie, aux archipels des Tuamotu et des Gambier. « La localisation de la SD à Papeete n'est pas un obstacle au déploiement des audiences foraines dans les îles identifiées, et doit permettre au contraire d'effectuer des tournées beaucoup plus fréquentes et également d'assurer un traitement plus optimal en matière d'assistance éducative et d'application des peines, s'agissant des 76 dossiers relevant des trois archipels (Tuamotu, Gambier, Australes) suivis par les juges des enfants du TPI et des 50 dossiers suivis par les juges de l'application des peines en milieu ouvert. Cette localisation est enfin cohérente avec la subdivision administrative (sous-préfecture) des archipels des Tuamotu des Gambier et de l'archipel des Australes, qui ont leurs sièges à Papeete »., affirme Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice.

Des avocats peuvent également être mobilisés dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Cependant, un tel dispositif coûte cher et fait l'objet de remboursements tardifs et incomplets des frais avancés par le personnel.

Cette problématique est notamment étudiée dans un rapport de 2024 de la commission des Lois du Sénat, et suggère que les conditions de remboursement des frais de déplacement soient adaptées en Polynésie française pour « prendre en compte les contraintes de l'exercice professionnel » des avocats obligés de séjourner plusieurs nuits sur une île mal desservie pour une audience foraine.

Pour pallier l'éloignement et malgré les efforts déployés par les autorités locales, le numérique n'est pas adapté, les territoires ne disposant pas tous de structures adaptées et l'accès à l'internet étant particulièrement inégal et lent.

En Nouvelle-Calédonie, le TPI (qui siège à Nouméa) dispose également de sections détachées à Koné (Province Nord) et Lifou (Province des îles Loyauté). Les deux sections détachées sont compétentes en matière civile, pénale et coutumière. Des audiences foraines sont notamment tenues à Maré et Ouvéa (îles Loyauté).

Les audiences foraines existent aussi à Saint-Barthélemy et se développent depuis quelques années dans les communes intérieures de la Guyane, ainsi que dans l'archipel de la Guadeloupe, notamment à Marie-Galante.

(2) Les points d'accès au droit : premier contact avec la justice

Longtemps en retard, les conseils d'accès au droit connaissent une dynamique nouvelle outre-mer.

A La Réunion par exemple, 30 points-justice existent désormais.

Les derniers territoires ne comptant pas de conseil de l'accès au droit (CAD) en sont désormais dotés. Un CAD a été créé en 2022 en Polynésie et à Saint-Pierre-et-Miquelon et en 2023 en Nouvelle-Calédonie81(*).

Des initiatives novatrices sont aussi imaginées par les acteurs locaux : le JustiBus en Martinique ou la pirogue du droit en Guyane.

Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne, a loué l'action du Conseil départemental de l'accès au droit, en particulier les « pirogues du droit » à destination des populations les plus isolées et les plus reculées du territoire - le long des deux fleuves guyanais. Ces « pirogues », qui ne doivent pas être confondues avec les audiences foraines puisqu'elles apportent seulement du conseil et des informations aux justiciables, se composent de magistrats, greffiers, avocats ou juristes.

Conjuguées aux maisons France Services, ce type d'initiatives est une réponse directe au sentiment d'abandon ou d'isolement de certaines populations. La densification des points d'accès au droit (maillage territorial, fréquence des rendez-vous) doit être une priorité pour apporter cette première présence de la justice et du droit et souvent dénoué des situations par une simple information.

Enfin, bien que cela excède le cadre du présent rapport, vos rapporteurs alertent sur le trop faible nombre, voire l'absence d'avocats dans certaines régions. À Mayotte comme cela a été décrit supra, au point de fragiliser certaines procédures. Mais aussi en Guyane. Pour la présidente Béatrice Bugeon-Almendros, « Saint-Laurent-du-Maroni enregistre un manque d'attractivité manifeste. [...] En effet, seuls deux avocats sont installés à Saint Laurent du Maroni sur 84 avocats au total à l'échelle du Barreau. La présence n'est donc pas assurée sur ce secteur, notamment s'agissant du contentieux des mineurs. Ainsi, des enfants comparaissent au civil comme au pénal sans avocat. Nous devons donc faire face à un déficit et rendre justice en étant dans l'impossibilité de respecter les dispositions légales en termes de représentation par avocat ».

Le ressort du Tribunal de première instance de Mata-Utu (Wallis-et-Futuna) ne compte aucun cabinet d'avocats, principal ou secondaire, en raison essentiellement du volume d'activité insuffisant et de l'absence de liaisons aériennes quotidiennes avec Nouméa. Des personnes agréées (citoyens défenseurs) assurent alors les droits de la défense en matière pénale sur le territoire. Aucun texte ne prévoit cependant leur intervention au titre de l'aide judiciaire en matière civile, familiale ou sociale.

De plus, pour se rendre dans certaines îles de Polynésie française, mais aussi à Wallis-et-Futuna, l'aide juridictionnelle est insuffisante pour couvrir les frais de déplacement et d'hébergement des avocats.

Pour Maître Patrick Lingibé, plusieurs mesures pourraient être envisagées. En premier lieu, allouer une dotation financière spéciale aux barreaux concernés pour permettre le déplacement des avocats dans des territoires ou parties de territoires isolés au titre de l'aide juridictionnelle. Cette nécessaire adaptation du taux de l'aide juridictionnelle est aussi une des recommandations du récent rapport de la commission des lois du Sénat sur la Polynésie française82(*). En deuxième lieu, il conviendrait de prévoir un dispositif d'entretien à distance sécurisé avec un avocat, notamment pendant la garde à vue. Le code de procédure pénale ne permet à ce jour, à Wallis-et-Futuna ou en Polynésie française, pour la personne gardée à vue que de désigner une personne de son choix ou un citoyen défenseur agréé (à Wallis-et-Futuna uniquement).

Recommandation n° 14 : Afin de renforcer l'incarnation de la justice dans les outre-mer :

- créer une cour d'appel de plein exercice à Mayotte et un tribunal judiciaire à Saint-Martin ;

- créer des sections détachées en Guyane, voire dans l'archipel de la Guadeloupe sur le modèle polynésien ;

- développer les audiences foraines et le recours à la visioconférence ;

- fiabiliser le réseau numérique et les applications métiers du ministère de la justice dans les outre-mer ;

- mieux financer les points d'accès au droit pour offrir des consultations gratuites aux populations ;

- accélérer les grands chantiers immobiliers de la justice, notamment la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre et les cités judiciaires de Saint-Martin, Saint-Laurent du Maroni et Mayotte.

4. Durcir et spécialiser la lutte contre la criminalité organisée, en particulier les narcotrafics

En matière de criminalité organisée, si chaque zone ultramarine présente des spécificités propres, les impacts dévastateurs de ces réseaux sont de plus en plus marqués partout. Le « haut du spectre » de la criminalité organisée, connu et largement documenté, submerge nos forces de sécurité qui, malgré un sursaut récent, demeurent sous-dotés en hommes et moyens techniques.

Ce changement est relativement récent, datant d'une quinzaine d'années, la question de la sécurité outre-mer ayant longtemps été plus axée sur les problèmes d'ordre public, de violences urbaines et de petite délinquance.

Un basculement des moyens vers le travail d'enquête spécialisé et le renseignement est devenu vital et urgent, ainsi qu'un renforcement des juridictions les plus exposées, pour écarter le risque de saturation de la chaîne pénale et porter - enfin - des coups aux réseaux criminels.

À cet égard, vos rapporteurs partagent l'ensemble des conclusions du rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier83(*). La lutte contre la criminalité organisée outre-mer doit changer d'échelle.

Sans réitérer les constats et propositions de la commission d'enquête, trois aspects paraissent essentiels pour reprendre pied.

a) Prioriser le travail d'enquête et de renseignement

Les carences en enquêteurs et magistrats spécialisés, déjà réelles dans l'Hexagone, sont encore plus dramatiques dans les outre-mer. Ces compétences sont pourtant une clef dans la lutte contre la criminalité organisée pour démanteler durablement des réseaux.

C'est tout particulièrement le cas en matière de blanchiment. L'évaluation de la France par le groupe d'action financière (GAFI), dont le rapport d'évaluation mutuelle a été rendu au mois de mai 2022, a été l'occasion pour l'organisation intergouvernementale de formuler plusieurs recommandations portant sur le champ pénal de la lutte contre le blanchiment. Le GAFI a ainsi souligné l'insuffisance des ressources humaines84(*), s'agissant à la fois des enquêteurs et des magistrats, formés en matière de blanchiment et d'investigations financières, et ce spécifiquement en outre-mer.

Pour Patrice Cambérou, procureur général près la cour d'appel de Fort-de-France, la JIRS de Fort-de-France est sous-dotée contre le blanchiment. A minima, deux magistrats spécialisés, des enquêteurs chevronnés rattachés à ces magistrats et des spécialistes numériques sont indispensables pour porter de vrais coups aux réseaux criminels.

Cette préoccupation en faveur de plus d'enquêtes et d'expertises est présente chez tous les responsables.

Le général Lionel Lavergne met ainsi l'accent sur la création de structures dédiées à la gestion de phénomènes criminels précis. Ainsi, des task forces ont été conçues pour appuyer les COMGEND, en lien avec les autorités judiciaires, sur des phénomènes particuliers, pour des enquêtes en cours. L'idée est de projeter ces task forces, dès que des difficultés ne peuvent être résolues avec les moyens locaux. Ces spécialistes sont envoyés pour un temps, un espace et un phénomène donnés. Il a cité l'exemple des task forces sur les sujets économiques et financiers ou sur les factions armées brésiliennes en Guyane.

La gendarmerie outre-mer s'efforce aussi de mieux orienter le travail de renseignement. Selon le général Lionel Lavergne, une expérimentation a été lancée pour décloisonner le renseignement d'ordre public et le renseignement d'ordre judiciaire en lien avec les infractions constatées. Chaque COMGEND disposait auparavant d'un officier adjoint chargé de la police judiciaire et d'un officier adjoint chargé du renseignement. Désormais, il n'existe plus qu'une seule chaîne, avec un chef et un adjoint. L'objectif est de mieux gérer l'ensemble des informations provenant du terrain (judiciaire ou ordre public).

Toujours en matière de renseignement, la section de recherches de Saint-Martin fait désormais partie d'un cercle de services étrangers partenaires - incluant jusqu'au Federal Bureau of Investigation (FBI) américain -, au sein duquel les échanges sont très appéciés. La création d'un centre de coopération policière et douanière avec Sint Maarten est aussi évoquée.

Ce besoin d'expertise se reflète aussi à travers le renforcement des antennes de l'OFAST en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Christian Nussbaum a précisé que, face à l'existence de deux types de trafic dans les Antilles - le trafic inter-îles et le trafic transatlantique à destination de l'Europe -, les antennes OFAST s'organisaient en conséquence avec des groupes d'enquêteurs dédiés à l'un ou l'autre de ces trafics. Pour autant, ces moyens paraissent encore limités en comparaison du tsunami de cocaïnes qui déferlent sur ces petites îles85(*). L'antenne détachée de l'OFAST en Guadeloupe regroupe 5 enquêteurs par exemple.

Enfin, on notera que lors de la Journée de la justice outre-mer en mars dernier, le ministre de l'Intérieur et des outre-mer avait pointé les retards importants de la police scientifique et technique dans ces territoires. En Martinique, Pierre-Marc Fergelot, directeur territorial de la police nationale, a déploré notamment que les armes saisies doivent être expédiées pour expertise au Service national de la police scientifique basé à Écully dans le Rhône. C'est à la fois long et cher.

Recommandation n° 15 : Concentrer les renforts d'effectifs sur les enquêteurs et magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière, en ciblant en priorité les Antilles, la Guyane et la Polynésie française, et créer un Groupe interministériel de recherche (GIR) pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Recommandation n° 16 : Doter chaque bassin océanique de capacités de police scientifique et technique, pour une exploitation plus rapide des données et sans passer nécessairement par l'Hexagone.

b) Maintenir et élargir le dispositif « 100 % contrôle » et la stratégie du bouclier

Comme vu plus haut, l'instauration du « 100 % contrôle » est un premier succès face aux narcotrafics. Il est un exemple d'action coordonnée des forces de sécurité intérieure et de la justice. Il témoigne aussi d'un changement d'approche face à des réseaux puissants en capacité de saturer la chaîne de contrôle.

Il a été fait le choix de prioriser un traitement administratif du phénomène dit « des mules » afin de permettre à la justice de se concentrer sur l'identification des filières, les multi-récidives, les porteurs de grandes quantités et la chaîne logistique (fret notamment).

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, a rappelé que 12 000 arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement avaient été pris en 2023, soit plusieurs dizaines d'actes par jour, même si ce chiffre a aujourd'hui diminué. Le juge n'a jamais remis en cause la faculté du préfet de mobiliser ce pouvoir de police générale pour interdire l'embarquement. Il a simplement considéré que, dans la moitié des cas ayant fait l'objet d'un recours, le faisceau de présomptions qui avait fondé cette décision était insuffisant. Il a sanctionné l'acte en considérant qu'il n'existait pas de motifs suffisants pour interdire l'embarquement. En revanche, dès lors que les motifs étaient jugés suffisants, le tribunal administratif n'a pas remis en cause la possibilité pour le préfet d'interdire l'embarquement pour des raisons de prévention des crimes et des délits et d'ordre public. Un appel a été formé devant la cour d'appel de Bordeaux dont l'audience devrait avoir lieu en 2025.

Si les arrêtés préfectoraux dès lors qu'ils sont motivés n'ont pas été remis en cause pour le moment, il apparaît néanmoins utile de renforcer par précaution leur base juridique, compte tenu de leur caractère déterminant pour déjouer la stratégie de saturation des contrôles par les réseaux.

Par ailleurs, une réflexion sur une peine complémentaire d'interdiction de vol pour écarter durablement les « mules » condamnées. Actuellement, le parquet de Cayenne ne peut que requérir le prononcé d'interdiction de paraître à l'aéroport.

Toutefois, les succès de cette stratégie « 100 % contrôles » ont provoqué un phénomène de déport vers les Antilles et les autres aéroports de la zone sud-américaine.

Un phénomène de déport de l'aéroport de Cayenne au profit des aéroports brésiliens est ainsi constaté. Les chiffres de l'OFAST permettent d'établir que de novembre 2021 à octobre 2022, 86 mules en provenance du Brésil avaient été interpelées pour une quantité de 206 kg de stupéfiants saisis, de novembre 2022 à octobre 2023, 143 « mules » ont été interpellées pour 447 kg de produits saisis. Sur les mêmes périodes, 359 « mules » en provenance de Guyane avaient été interpelées avant la mise en place du « 100 % contrôle », contre 156 après (588 kg de produits saisis avant, 381 kg après).

Par ailleurs, les procureurs généraux de Fort-de-France et de Basse-Terre constatent sur leur ressort une augmentation du nombre d'interpellations de « mules ». Les saisies de cocaïne transportée par des voyageurs en provenance des Antilles ont augmenté de 81 % en 2023 et de 37 % sur les dix premiers mois de 2024. Les nouveaux contrôles instaurés en Guadeloupe et en Martinique depuis l'observation de ce phénomène ont déjà fait diminuer le trafic, au profit des liaisons entre le Brésil et Paris.

Enfin, depuis la mise en place des contrôles renforcés à Cayenne, l'OFAST constate une recomposition des modes de transport au profit du in corpore qui représente désormais plus de 50 % des saisies (entre le 1er janvier 2023 et le 30 septembre 2023) alors qu'il ne représentait que 30 % des saisies auparavant.

Cette évolution appelle sans doute quelques adaptations législatives pour alléger la procédure. En effet, comme le relève la commission d'enquête du Sénat, « la hausse de la proportion de personnes transportant la cocaïne in corpore induit une charge particulière pour les forces de sécurité intérieure, les douaniers et l'autorité judiciaire, puisque le traitement judiciaire de ces passeurs nécessite d'attendre l'expulsion de tous les ovules de cocaïne. Or, les dispositifs ne semblent pas parfaitement adaptés à cet état de fait : ainsi que l'ont expliqué les magistrats du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, la durée de garde à vue de 96 heures n'est pas toujours suffisante pour récupérer l'ensemble de la drogue ingérée. Actuellement, au-delà de cette durée maximale, il doit être procédé à un défèrement à l'hôpital, avec une procédure de comparution à délai différé, d'intervention du juge des libertés et de la détention à l'hôpital et d'engagement des poursuites - une procédure relativement lourde ».

Une procédure simplifiée de prolongation médicale de la garde à vue devrait être introduite pour ces personnes, pour leur propre sécurité. Cette adaptation de la garde à vue ne serait pas propre aux outre-mer.

Vos rapporteurs estiment que cette stratégie a été un succès, mais qu'elle doit être pérennisée, étendue aux Antilles et sans cesse adaptée.

Si elle ne permet pas nécessairement de démanteler les réseaux criminels, cette stratégie doit à tout le moins les dissuader de se servir des outre-mer français comme zone de rebond ou point d'entrée vers l'Hexagone et l'Europe. Il faut en effet rappeler que les outre-mer n'ont en eux-mêmes qu'un faible intérêt pour les réseaux, qui cherchent d'abord à atteindre le grand marché des consommateurs européens.

Tenue dans la durée, la stratégie du bouclier doit conduire, dans un premier temps du moins, à dévier les flux de transit des stupéfiants vers d'autres territoires et ainsi faire retomber la pression dans nos outre-mer. Naturellement, cette stratégie du bouclier ne peut se résumer au contrôle des mules dans les aéroports. Les autres aspects seront développés infra (voir II.B.).

Recommandation n° 17 : À l'aéroport Félix Éboué en Guyane, consolider les contrôles à 100 %, avec des moyens renforcés (chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...), les étendre aux Antilles, sécuriser dans la loi les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement et créer une peine complémentaire d'interdiction de vol.

c) Muscler les juridictions des Antilles, de la Guyane et de la Polynésie française

En dépit de renforts récents ou annoncés dans le cadre de la loi de programmation, les juridictions des Antilles et de la Guyane demeurent sous-armées et sous-structurées face à la criminalité organisée et les narcotrafics en particulier.

Il en est de même en Polynésie française où le trafic et la consommation de l'Ice est en train de faire des ravages. Même si les réseaux de stupéfiants n'y ont rien à voir avec ceux opérant aux Antilles et en Guyane à destination de l'Europe, il est essentiel de couper court rapidement à ce trafic à dimension locale. La juridiction polynésienne doit être rapidement renforcée pour répondre à ce nouveau défi.

S'agissant des Antilles et de la Guyane, les cours d'appel, les tribunaux judiciaires et la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Fort-de-France sont en première ligne.

Outre l'indispensable renfort en magistrats et enquêteurs évoqué plus haut, les juridictions doivent se structurer différemment pour accompagner ces renforts.

Les juridictions les plus faibles dans l'ensemble du dispositif sont celles de Guyane.

Pour Joël Sollier, procureur général près la cour d'appel de Cayenne, la chaîne pénale au sein de la juridiction doit être structurée avec la création d'une section du parquet en charge de la criminalité organisée et d'une chambre correctionnelle permanente pour juger des affaires d'une importante significative. La professionnalisation et la fluidification du traitement de cette criminalité sont fondamentales.

Me Patrick Lingibé propose également de classer le tribunal judiciaire de Cayenne en catégorie 2 au lieu de 386(*), afin de redimensionner ses moyens.

De manière plus générale, la classification par groupes de plusieurs juridictions ultramarines mériterait d'être réexaminée eu égard à la croissance démographique de certains territoires et à l'intensité de l'activité judiciaire pénale. La proportion des affaires criminelles par rapport au reste de l'activité pénale y est beaucoup plus élevée qu'ailleurs, même à La Réunion réputée faussement plus calme87(*). Le rattachement du tribunal judiciaire de Mamoudzou au groupe 4 est aussi difficilement compréhensible.

Me Patrick Lingibé pointe aussi la cour d'appel de Cayenne, dont la création très récente fut difficile et remonte seulement à 2012. Une partie de son budget demeure gérée par la cour d'appel de Fort-de-France dont la Guyane dépendait auparavant. Ce lien de dépendance doit être rompu.

Il est urgent de remédier à ce paradoxe de juridictions faibles, dimensionnées a minima, au coeur des territoires les plus criminogènes.

Le second sujet important est celui de l'organisation des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui interviennent outre-mer.

Deux juridictions interrégionales spécialisées officient en outre-mer :

la JIRS de Paris, qui outre son ressort sur le territoire métropolitain, est également compétente sur les ressorts des Cours d'appel de Saint-Denis de La Réunion, de Nouméa et Papeete ;

- la JIRS de Fort-de-France, seule JIRS uniquement compétente sur un ressort ultra-marin. Elle est compétente sur les ressorts des Cours d'appel de Fort-de-France, Basse-Terre et Cayenne.

Depuis 2018 et au 31 décembre 2023 (6 ans), la JIRS de Fort-de-France s'est saisie de 146 affaires dont 93 en matière de criminalité organisée et 11 en matière économique et financière (soit 6 % du nombre de dossiers total traités par les JIRS depuis 2018).

Compte tenu de l'éloignement de la Guyane et du contexte régional particulier de ce territoire (la Guyane appartient à l'espace sud-américain et amazonien, quand les Antilles s'insèrent dans un environnement caribéen, voire nord-américain), la question de la création d'une JIRS propre y est régulièrement posée.

Pour le ministère de la Justice, le principe qui préside à la création d'une JIRS s'y oppose. La création d'une JIRS dont le ressort se limiterait au seul département de la Guyane est contradictoire avec l'objet même de la JIRS, qui vise à traiter un espace interrégional présentant des problématiques criminelles proches ou identiques.

La direction des affaires criminelles et des grâces met en avant d'autres solutions :

- la création d'une instance de coordination dédiée à l'arc caraïbéen/Guyane, sur le modèle des instances de coordination déjà existantes (instances de coordination du port du Havre, de l'arc méditerranéen et de l'arc atlantique). Cette instance a été installée le 16 avril 2024 ;

- des efforts constants sont réalisés afin que la Guyane puisse bénéficier de l'expertise spécifique de la JIRS de Fort-de-France et des moyens de celle-ci, lesquels ont été renforcés depuis 2018. La circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane rappelle d'ailleurs cet objectif d'une articulation optimale entre le parquet de Cayenne et sa JIRS de rattachement. Dans cette optique et tel qu'annoncé par la circulaire du 29 septembre 2022 précitée, il a été créé au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une division dédiée à la délinquance organisée non JIRS au parquet et au siège pour assurer le continuum entre l'enquête et le jugement. Au sein de ce pôle, un magistrat du parquet est spécialement chargé des relations avec la JIRS de Fort-de-France, laquelle doit être renforcée par un parquetier JIRS dédié à la Guyane ;

- localement, le parquet JIRS de Fort-de-France a développé les « JIRS-tours » sur son ressort qui consistent pour les magistrats spécialisés à rencontrer in situ l'autorité judiciaire de Cayenne, et les services d'enquête et douaniers ;

- la JIRS de Fort-de-France développe également un partenariat avec les pays frontaliers de la Guyane et s'emploie à renforcer la coopération internationale sur la zone, grâce, notamment, à l'appui du magistrat de liaison basé au Brésil, compétent sur le Suriname.

Sans se prononcer sur la création d'une JIRS à Cayenne, vos rapporteurs ne peuvent qu'insister sur l'indispensable renforcement des moyens dédiés du tribunal judiciaire de Cayenne, ainsi que ceux de la JIRS de Fort-de-France pour évacuer le soupçon d'une implication insuffisante de la JIRS sur la Guyane. On s'étonnera notamment qu'au sein de la JIRS de Fort-de-France un parquetier dédié à la Guyane ne soit pas déjà en poste depuis longtemps.

Un rattrapage est manifestement en cours, mais il n'effacera pas le retard pris.

Recommandation n° 18 : Créer au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une chambre correctionnelle permanente, une section du parquet en charge de la criminalité organisée, renforcer massivement la coordination avec la JIRS de Fort-de-France et, de manière générale, réexaminer le classement des tribunaux judiciaires ultramarins par groupe de juridiction.

Une autre difficulté a été évoquée à propos de la réforme des cours criminelles départementales (CCD).

Cette réforme est révélatrice de la nécessité de recourir à l'adaptation des règles de procédure pénale outre-mer. Établies par la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, les cours criminelles départementales ont vu le jour afin de remédier à l'engorgement de nombreuses cours d'assises. Un bilan positif ayant été tiré de leur expérimentation, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire les a généralisées à compter du 1er janvier 2023.

Si cette loi précitée a exclu l'application de cette réforme à Mayotte, elle n'a toutefois prévu aucune exclusion pour la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Or, au sein de ces territoires, des difficultés liées à la généralisation des CCD ont été mises en avant. Ainsi, le jugement des crimes par une CCD a été présenté comme étant source d'une complexification du droit et de la pratique inutile et inopportune.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l'article 804 du CPP prévoit désormais que les dispositions relatives à la cour criminelle départementale ne trouvent pas à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. L'article 908 du CPP, quant à lui, exclut l'application des dispositions relatives à la cour criminelle départementale s'agissant du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Toutefois, cette exclusion n'épuise pas la question des CCD dans les outre-mer. Lors d'un entretien avec Alain Chateauneuf, président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, et Fabienne Atzori, procureure générale, le constat d'une réforme qui n'a pas produit les effets espérés a été dressé. Les juridictions ultramarines se caractérisent par des taux d'affaires pénales et d'affaires criminelles nettement supérieurs à ceux de l'Hexagone.

La réforme des CCD ne pourra porter ses fruits outre-mer que si les moyens sont donnés pour que la CCD siège en permanence et non en alternance avec le tribunal correctionnel. En l'état, les CCD tendent à allonger le total des jours d'audience d'environ 60 % à La Réunion

Une réflexion devrait donc être engagée sur une adaptation de la réforme ou de sa mise en oeuvre.

5. Endiguer l'immigration clandestine en assumant une politique de fermeté

Les outre-mer sont confrontés très inégalement à l'immigration clandestine. Mayotte et la Guyane connaissent une immigration massive, et dans une moindre mesure Saint-Martin également.

Vos rapporteurs se sont principalement intéressés à la situation hors norme de Mayotte. En effet, par son ampleur, l'immigration clandestine y remet en cause la crédibilité même de l'État, voire sa capacité à affirmer sa souveraineté. Elle est le point d'achoppement de toutes les politiques publiques, engorgées par des besoins en hausse exponentielle. Au cours de son déplacement, la délégation a mesuré à quel point la lutte contre l'immigration clandestine (LIC) était la clef pour que l'action publique reprenne pied.

a) Une forte mobilisation mais tardive

Comme pour les narcotrafics, les rapports se succèdent depuis plusieurs années. Les constats sont établis ainsi que de nombreuses préconisations.

L'État a pris progressivement, mais trop lentement là encore, la mesure du défi à Mayotte.

On notera tout d'abord que le droit des étrangers connaît déjà de nombreuses adaptations outre-mer et à Mayotte, en particulier en matière d'éloignement et de contrôle pour tenir compte des conditions opérationnelles.

Le droit de la nationalité a aussi été adapté en 201888(*). Pour acquérir la nationalité française à la majorité ou par déclaration à l'âge de 13 ou 16 ans selon les cas89(*), l'article 2493 du code civil exige pour les enfants nés à Mayotte que l'un des parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois. Les enfants nés à Mayotte dont les deux parents sont en situation irrégulière ne peuvent prétendre à la nationalité française par le seul fait de leur naissance sur le sol de Mayotte. Cette disposition permet d'écarter le bénéfice de la nationalité française pour les enfants des étrangers en situation clandestine.

Le retard est donc moins législatif ou réglementaire qu'opérationnel.

Ce décalage est flagrant à Mayotte. L'immigration clandestine massive en provenance des Comores a débuté il y a une quinzaine d'années. Or c'est seulement depuis quelques années qu'un changement d'échelle dans la réponse de l'État est perceptible, ce qui est bien tard.

À Mayotte, les moyens désormais mobilisés sont importants. La PAF comprend 330 agents sur un effectif de 760 pour l'ensemble de la DTPN. 80 % des éloignements nationaux sont réalisés par Mayotte. La brigade nautique compte 9 intercepteurs et 30 agents.

Depuis 2019, le nombre de bateaux interceptés a ainsi été multiplié par près de 3 (660 en 2023 contre 250 en 2019).

Face à la fraude immense, en particulier aux reconnaissances de paternité, aux attestations de résidence et aux justificatifs en tout genre, la mission LIC a recruté récemment un « data scientist ».

Au niveau judiciaire, la réponse est aussi beaucoup plus ferme. Les pilotes de kwassas-kwassas sont désormais systématiquement condamnés à six mois de prison ferme. Entre 300 et 400 condamnations ont déjà été prononcées. En réaction, les passeurs prennent plus de risques pour éviter d'être interceptés et n'hésitent pas à foncer sur les forces de l'ordre.

La montée en charge est indéniable, mais elle reste en deçà de ce qui serait nécessaire pour diminuer fortement les flux et réduire par les éloignements le nombre de personnes en situation irrégulière sur l'île.

b) Monter encore d'un cran la fermeté : jusqu'où ?

Les élus mahorais rencontrés, aussi bien les maires que le président du conseil départemental et ses élus, partagent la même colère face à la situation de l'immigration clandestine et se rejoignent assez largement sur plusieurs mesures fortes :

- déploiement du « rideau de fer » annoncé par Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Intérieur. Le contrôle effectif de la frontière maritime est la clef ;

- lutte contre les reconnaissances de paternité frauduleuses, notamment par la mise en place d'un fichier unique d'état civil qui pourrait être centralisé sur Mamoudzou ;

- lutte contre les attestations de résidence de complaisance ;

- interdiction des régularisations dès lors qu'une personne est entrée clandestinement.

Les élus réclament comme corollaire nécessaire à ces mesures la suppression des titres de séjour territorialisés, dits « visa Balladur » qui empêchent les étrangers en situation régulière à Mayotte de séjourner sur le reste du territoire français.

Sur la question du droit du sol, une majorité y est favorable, même si plusieurs élus doutent de son utilité réelle. Beaucoup de Comoriens viennent d'abord pour trouver des conditions de vie meilleures et l'accès à la nationalité subit déjà des obstacles insurmontables pour les immigrés clandestins depuis la loi de 2018. Quant aux étrangers en provenance de l'Afrique continentale, leur objectif est d'obtenir l'asile afin de pouvoir rejoindre la France hexagonale.

Cette feuille de route des responsables mahorais rejoint largement celle de l'État.

Tous les interlocuteurs rencontrés (préfet, police, gendarmerie, justice) ont notamment mis au premier rang des priorités la maîtrise de la mer et de notre frontière maritime. Le « rideau de fer » ne doit pas rester qu'une expression et doit permettre de sortir du « bricolage » actuel.

Les marges de progrès sont immenses.

Certes, les moyens nautiques sont plus importants (9 intercepteurs de 500 CV en mer pour assurer en permanence 3 bateaux armés), ainsi que les effectifs dédiés (la brigade nautique compte 30 personnels pour assurer la permanence à la mer). Mais les lacunes du dispositif sont encore béantes :

- selon le général Lucien Barth, la couverture radar est très insuffisante. Le principal radar installé face aux Comores est en effet en panne et mal positionné. Les trois autres fonctionnent à 50% de leur capacité et sont de conception ancienne ;

- la base nautique, située à Dzaoudzi, est trop éloignée du nord de l'île. Les patrouilles en mer s'épuisent à en partir et revenir en cas d'alerte, souvent pour intercepter des leurres. Ces temps de transit sont épuisants et inefficaces. Il représente près du quart du temps passé en mer.

Pour réussir le « rideau de fer », il faut donc changer en profondeur de stratégie. Le général Lucien Barth observe que celle-ci consiste depuis des années à attendre le dos au mur l'arrivée des kwassas-kwassas. Or, le « cône d'incertitude » sur la zone de débarquement des kwassas est immense, car les moyens nautiques ne sont pas positionnés suffisamment en avant, c'est-à-dire au nord de l'île.

Pour parvenir à des résultats, il faut donc impérativement :

- moderniser intégralement les systèmes de détection. Frédéric Sautron, chef de la LIC à Mayotte, préconise d'innover en se dotant des meilleurs radars, mais aussi de drones sous-marins, des caméras longue portée associées à de l'IA et une surveillance aérienne allongée (3 heures par jour environ actuellement) ;

- rapprocher les bases nautiques des points d'arrivée. Le positionnement d'une base avancée sur ponton90(*) ou barge, d'où les équipes attendraient le déclenchement de l'alerte, serait un gain énorme. Cette base permettrait aussi aux personnels d'attendre les interventions dans de bonnes conditions, et non en mer en plein soleil. Les équipes sont par ailleurs mixtes, ce qui pose d'évidents problèmes de promiscuité pendant des heures d'attente ;

- créer une vraie base navale pour cette force nautique avec des ateliers de maintenance.

Selon Frédéric Sautron, ce plan global a été chiffré à environ 110 millions d'euros. L'arbitrage financier était en attente. Le montant est faible par rapport au coût de l'explosion démographique sur l'ensemble des services publics.

Ce dispositif en mer serait complété à terre par des caméras reliées à un système LAPI d'enregistrement des plaques d'immatriculation à certains points de passage de l'île. Le groupe d'appui opérationnel, qui recherche les personnes en situation irrégulière à terre et qui est à l'origine de 75 % des interpellations, devrait également bénéficier de nouveaux équipements. En mai 2024, sur 12 véhicules, 7 ne fonctionnaient pas.

Enfin, une présence régulière de bâtiments militaires français entre Anjouan et Mayotte aurait, à défaut d'une efficacité opérationnelle décisive, un poids symbolique important vis-à-vis des autorités comoriennes.

Par ailleurs, environ 25 000 personnes sont éloignées chaque année vers les Comores. Bien que la loi le permette, l'enregistrement des empreintes digitales des personnes éloignées n'était pas encore réalisé en mai 2024. Cet enregistrement devait être mis en place avant la fin de l'année. C'est indispensable, compte tenu des allers-retours réalisés par certains étrangers éloignés, pour mieux connaître les filières et mesurer les éloignements nets.

Recommandation n° 19 : À Mayotte, engager tous les moyens nécessaires à la réussite du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores, notamment en :

- déployant un système global modernisé de détection et de surveillance (radars, drones, surveillance aérienne, caméras longue portée...) ;

- établissant des bases nautiques avancées au plus près de l'espace maritime comorien ;

- accroissant les moyens nautiques d'interception ;

- maintenant de manière quasi permanente une présence de bâtiments militaires entre Anjouan et Mayotte ;

- enregistrant systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés.

Un autre levier sous-estimé est le levier financier. Les transferts de fonds vers les Comores sont massifs. Selon Frédéric Sautron, le contrôle à 100 % des passagers d'un seul bateau vers les Comores a révélé que 133 passagers détenaient un total de 240 000 euros en espèces, sans jamais excéder le plafond de 10 000 euros par personne. La plupart de ces sommes ne seraient pas susceptibles d'être justifiées, car provenant du travail illégal sur l'île. En contrôlant ces flux sortants, une des motivations de l'immigration irrégulière serait atténuée.

Recommandation n° 20 : Rendre obligatoire la justification de l'origine des fonds dès le premier euro pour les transferts d'argent en espèces vers les Comores.

Pour lutter contre les fraudes, la centralisation des reconnaissances de paternité et des attestations de résidence délivrées est nécessaire. L'objectif est de détecter rapidement les reconnaissances « à la chaîne », certains fraudeurs pouvant reconnaître des dizaines d'enfants contre rémunération en faisant le tour des communes. Un élu de Mamoudzou a aussi été condamné pour avoir signé 150 attestations de résidence. Des procédures étaient en cours pour faire annuler les titres de séjour délivrés sur la foi de ces documents.

L'idée d'un fichier unique pourrait être étendue à la Guyane.

Recommandation n° 21 : Créer un fichier unique de l'état civil, ainsi qu'un fichier des attestations de résidence, à Mayotte et en Guyane.

S'agissant des régularisations, les responsables locaux et de la lutte contre l'immigration clandestine ainsi que de nombreux élus souhaitent les interdire, afin de ne pas encourager les trafics. L'absence de visa d'entrée dans le dossier de régularisation suffirait à écarter la demande.

Compte tenu de la situation exceptionnelle de Mayotte, une telle mesure se justifierait. Toutefois, quelques aménagements devraient demeurer possibles pour traiter des situations particulières.

La rencontre avec Jacques Mikulovic, recteur de l'académie de Mayotte, Laurent Prevost, proviseur du lycée de Mamoudzou et plusieurs lycéens dont certains en situation irrégulière, a mis en lumière les contradictions et paradoxes de l'immigration clandestine à Mayotte.

Une grande partie de ces jeunes, mineurs, ne sont ni régularisables, ni expulsables. La plupart ont suivi toute leur scolarité dans l'école publique française qui a investi fortement pour leur avenir. Toutefois, arrivés à l'âge de la majorité, ils deviennent éloignables et n'ont aucune possibilité de poursuivre des études supérieures. Dans ces situations, une faculté de régularisation pour les élèves méritants devrait être préservée.

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier pourrait être un autre levier utile pour dissuader le maintien sur le territoire et surtout prononcer des peines d'interdiction du territoire français. Lors de l'examen au Sénat de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, notre assemblée avait rétabli un délit de séjour irrégulier assorti d'une peine d'amende délictuelle et d'une peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français. Le Conseil constitutionnel l'avait toutefois censuré au motif que cette disposition n'avait pas de lien même indirect avec des dispositions du projet de loi initial. Dans la situation de Mayotte a fortiori, le renforcement de l'arsenal législatif est impératif.

Enfin, la question des conditions d'accès à la nationalité française est hautement symbolique et lourde de conséquences juridiques. Comme on l'a rappelé, cette question a fait l'objet d'une première réforme en 2018 excluant les enfants qui n'ont pas au moins un parent en situation régulière depuis trois mois au moins lors de leur naissance à Mayotte. Les nouvelles évolutions demandées ou envisagées nous paraissent exiger une évaluation concertée approfondie de leur effet espéré sur l'immigration irrégulière, qui gagnerait à être pleinement démontré pour prévenir toute polémique, compte tenu des obstacles importants déjà mis à l'acquisition de la nationalité française par des enfants étrangers nés à Mayotte. Une étude d'impact sérieuse s'impose donc pour éclairer la décision du législateur.

Cette précaution prise, le délai de séjour régulier minimal de trois mois pourrait sans doute être allongé à un an par exemple, voire plus, sans révision de la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel n'a pas précisé quelle serait a priori la durée maximale de séjour régulier exigible. Il suffit que cette durée puisse se justifier au regard des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l'article 73 de la Constitution. La condition de régularité du séjour pourrait aussi être étendue aux deux parents.

Recommandation n° 22 : Réaliser une étude d'impact sérieuse de la réforme adoptée en 2018 des modes d'acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers et examiner la possibilité d'allonger par une loi ordinaire la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue des deux parents.


* 55 La préfecture de plein exercice est effective depuis le décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025.

* 56 Les brigades mobiles ont vocation à travailler sur une thématique particulière.

* 57 Chiffres d'après l'audition du général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer sous la présidence de Mme Micheline Jacques le 24 janvier 2024, disponible en ligne sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240122/otm_25_01_24.html

* 58 Elle a été généralisée à l'Hexagone en deux phases : le 1er décembre 2023 puis le 1er janvier 2024. Selon le ministère de la Justice, il est trop tôt pour tirer des conclusions générales sur l'évolution des relations entre le parquet et la police judiciaire. Il est d'ores et déjà relevé toutefois, dans un certain nombre de ressorts, une clarification des relations entre les procureurs et l'échelon correspondant à la hiérarchie policière intermédiaire. Par ailleurs, cette réforme a, de manière notable, abouti à la création d'un pouvoir d'évaluation annuelle des directeurs de la police nationale par l'autorité judiciaire.

* 59 Christian Nussbaum était le chef de la mission depuis sa création. Il a quitté ses fonctions à l'été 2024. Le Commissaire général Jean-Baptiste Dulion lui a succédé.

* 60 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027.

* 61 En 2017, les directions interrégionales du secrétariat général ont été mises en place dans l'Hexagone. Elles regroupent, autour d'un délégué, entre 50 et 60 agents, et ont pour mission de reproduire en proximité les fonctions du secrétariat général. Étonnamment, les outre-mer avaient été laissés à l'écart de cette réforme. C'est dans ce cadre que la délégation aux outre-mer a été officiellement créée en 2021 seulement.

* 62 Ce quartier compte 6 000 habitants officiellement, mais 8 000 estimés, et 1 047 logements sociaux.

* 63 En Guyane, l'opération interministérielle Harpie vise, depuis 2008, à lutter contre l'orpaillage illégal. Elle se décline en quatre volets : la sécurité, le volet social, le volet diplomatique et le volet économique.

* 64 Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane sur « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse », par Antoine Karam, n° 707 (2019-2020).

* 65 Rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, n° 588 (2023-2024).

* 66 Le fonctionnement des systèmes LAPI repose sur l'utilisation de caméras haute définition capturant les images des plaques d'immatriculation de véhicules.

* 67 Rapport narco trafic.

* 68 Passagers disposant d'un billet, mais ne se présentant pas à l'aéroport.

* 69 Le décret n° 2023-579 du 7 juillet 2023 relatif aux groupes locaux de traitement de la délinquance est venu préciser le fonctionnement des GLTD créé et piloté par le procureur de la République.

* 70 Ces Brigades Territoriales Mobiles (BTM) devraient voir le jour dans chacune des 3 compagnies de gendarmerie de La Réunion : celle de l'Ouest (Cie de Saint-Paul) en 2026, celle de l'Est (Cie de Saint-Benoît) et celle du Sud (Cie de Saint-Louis) en 2027.

* 71 Les Maisons de protection des familles consistent à améliorer l'accueil et l'accompagnement des victimes de violences intra-familiales, après signalement ou dépôt de plainte. Située près des gendarmeries, elles accueillent aussi des travailleurs sociaux.

* 72 Rapport n° 362 (2019-2020) du 3 mars 2020 par Annick Billon et Michel Magras au nom de la délégation aux droits des femmes et de la délégation aux outre-mer du Sénat.

* 73 Le « violentomètre » est un outil pour aider les femmes à mesurer si la relation amoureuse est basée sur le consentement et ne comporte pas de violences.

* 74 Néanmoins, durant l'intervalle, la personne n'étant pas encore placée en garde à vue, la Cour de cassation a précisé qu'aucune déclaration sur les faits ne peut être recueillie de sa part et qu'elle bénéficie, dès sa mise à disposition auprès des enquêteurs, de l'ensemble des droits lui garantissant une procédure respectueuse des droits de la défense (Cass. Crim. 8 décembre 2015 - décision précitée).

* 75 Article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure (CSI).

* 76 Les détenus écroués dans le centre de détention de Nouméa font de manière quasi-systématique des recours afin d'obtenir des indemnisations pour leurs conditions indignes selon un barème fixé par la loi (200 euros par mois la première année, 300 la deuxième, 450 la troisième...). Le tribunal administratif enregistre des dizaines de recours chaque année. Afin de réduire la pression contentieuse, des médiations sont mises en place pour indemniser les détenus en évitant la saisine du juge. Depuis le 1er janvier 2023, les condamnations ne sont plus systématiques, quelques travaux ayant été réalisés dans l'établissement.

* 77 En Hexagone, les ESP ne sont pas en charge de la seule protection des établissements (surveillance des abords, lutte contre les introductions d'objets...). Certaines équipes sont en charge des transfèrements et extractions.

* 78 La date initialement avancée de 2027 est hors de portée.

* 79 On rappellera que la cour d'appel de Cayenne a été créée en 2012 seulement. La Guyane relevait auparavant de la cour d'appel de Fort-de-France.

* 80 Rapport d'information n° 114 (2021-2022) au nom de la commission des lois du Sénat.

* 81 La Nouvelle-Calédonie était le dernier territoire ultramarin sans CAD. Il couvre également Wallis-et-Futuna qui est situé aussi dans le ressort de la cour d'appel de Nouméa.

* 82 Rapport n° 17 (2024-2025) du 9 octobre 2024 sur la situation institutionnelle et administrative et la justice en Polynésie française, au nom de la commission des lois du Sénat.

* 83 Rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, n° 588 (2023-2024).

* 84 Selon ce rapport, Tracfin compte 191 agents. Les autorités d'enquêtes et de poursuites spécialisées, la police judiciaire de la police nationale compte 1037 enquêteurs financiers, la gendarmerie 230 et les douanes 310.

* 85 Pour 2024, l'OFAST a annoncé la saisie de plus de 30 tonnes de cocaïne.

* 86 Outre-mer, les 11 tribunaux judiciaires et leurs équivalents sont classés en 3 groupes de juridictions (la classification nationale compte 4 groupes, les juridictions de niveau 1 étant les plus importantes, notamment en raison du critère de la population située dans leur ressort) :

• 4 juridictions sont rattachées au groupe 4 (Basse-Terre, Mata-Utu, Mamoudzou et TSA Saint-Pierre-et-Miquelon) ;

• 3 au groupe 3 (Cayenne, Papeete et St Pierre de La Réunion) ;

• 4 au groupe 2 (Pointe à Pitre, Fort-de-France, Nouméa et Saint-Denis de La Réunion).

* 87 La présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion a indiqué qu'au sein du cabinet de l'instruction, deux tiers des affaires étaient des affaires criminelles, voire 82 % à Saint-Pierre, contre 45 % dans l'Hexagone.

* 88 Article 16 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 89 Articles 21-7 et 21-11 du code civil.

* 90 La construction d'un ponton sur l'ilot de Mtsamboro au nord de Mayotte a été actée à l'automne 2024, avant le passage du cyclone Chido.

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