B. AGIR EN ÉTAT SOUVERAIN FACE À UNE CRIMINALITÉ ET DES MENACES DE PLUS EN PLUS EXOGÈNES

Les recommandations de réforme présentées plus haut sont de nature à améliorer l'action de l'État sur l'ensemble du spectre de la délinquance et de la criminalité outre-mer.

Toutefois, elles sont en grande partie conçues comme si les phénomènes criminels qui affectent les outre-mer étaient des phénomènes constitutifs d'une menace intérieure, alors que la plupart sont exogènes : narcotrafics, trafic d'armes, blanchiment d'argent, immigration clandestine, pêche illégale, orpaillage, ingérence étrangère.

Ces recommandations pourront endiguer ou contenir les menaces, mais parviendront difficilement à les faire reculer, sauf au prix d'une hausse considérable des moyens humains et budgétaires engagés.

Pour inverser fondamentalement la tendance, il faut donc changer de paradigme et traiter ces menaces extérieures comme telles. L'État doit adopter une nouvelle posture offensive pour rétablir le plein exercice de sa souveraineté dans l'exercice de ses compétences régaliennes outre-mer, face à un environnement de plus en plus hostile et instable. L'objectif doit être clairement de rétablir un rapport de dissuasion, de repousser les menaces à nos frontières et de les traiter le plus en amont possible avant que leurs effets se fassent ressentir sur nos territoires ultramarins et, par ondes de choc successives, sur l'hexagone.

Une réponse strictement judiciaire et administrative parviendra difficilement à changer la donne, sauf à s'épuiser dans une hausse continue des moyens engagés. Elle doit impérativement s'appuyer sur une posture stratégique combinant coopération régionale intensive, durcissement de l'emploi des forces si nécessaire et restauration de la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres.

1. La diplomatie et la coopération régionale, clefs décisives pour répondre au défi sécuritaire des outre-mer : une évidence trop longtemps négligée

La délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé en novembre 2023 des travaux importants sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Ce travail conduit par bassin océanique a déjà donné lieu à l'adoption du premier volet consacré aux outre-mer de l'océan Indien91(*). Le prochain volet sera consacré au bassin Atlantique et les conclusions devraient être adoptées en septembre prochain. Le dernier volet s'attachera au bassin Pacifique.

Cette initiative est partie du constat ancien et constant d'une très faible intégration régionale des outre-mer français, en particulier dans les Antilles, en Guyane et dans l'océan Indien. La coopération régionale a longtemps été envisagée sous l'angle économique et culturel.

Toutefois, le rapport de la délégation précité a mis en lumière dans l'océan Indien - mais ce constat vaut pour tous les outre-mer - la montée inexorable des enjeux de souveraineté et de sécurité et l'impérieuse nécessité d'y répondre par une coopération régionale systématique sur ces sujets.

La coopération régionale judiciaire, policière et militaire a un double intérêt : protéger nos territoires et pourvoir en retour à la sécurité et la stabilisation des espaces régionaux environnants.

Ce constat rejoint celui de la quasi-totalité des personnes auditionnées au cours de la mission : la coopération régionale et internationale est incontournable pour répondre à la plupart des défis sécuritaires et régaliens de l'État dans les outre-mer. Le général Lionel Lavergne a placé la coopération régionale au premier rang de ses priorités, rappelant que « les territoires outre-mer ont 35 pays dans leur proximité ! La notion de coopération internationale de proximité est donc essentielle. Quand on est au sud de la Martinique, on voit Sainte-Lucie. Quand on est à Marie Galante, on voit la Dominique ».

Les interactions, la fragilité et l'étroitesse des territoires ultramarins, la complexité des espaces régionaux... Tout l'exige :

- en Guyane pour traiter avec le Brésil et le Suriname les problèmes de l'orpaillage illégal, des narcotrafics, des gangs et de l'immigration illégale ;

- dans les Antilles avec les îles voisines et l'ensemble de l'espace caribéen pour lutter contre le trafic d'armes et de stupéfiants ;

- à Mayotte contre l'immigration illégale en provenance des Comores et de l'Afrique des Grands Lacs ;

- en Polynésie française pour éradiquer le trafic de l'Ice ;

- dans les TAAF, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane pour chasser la pêche illicite...

Le bilan fut longtemps maigre.

Toutefois, dans ce domaine là aussi, on observe depuis quelques années un vrai changement d'état d'esprit et une prise de conscience du retard pris dans ce domaine. Cet angle mort de l'action publique outre-mer commence à être comblé.

Deux niveaux doivent être distingués :

- l'action diplomatique qui marque le réengagement de la France dans ces espaces régionaux à haut niveau et la définition d'une diplomatie française des outre-mer conçue autour des intérêts propres de chacun de ces territoires ;

- la coopération technique, militaire, policière et judiciaire avec les pays voisins.

a) Pour une diplomatie française des outre-mer

Dans son rapport sur la stratégie française pour l'Indopacifique de janvier 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pointait le décalage entre les ambitions et la réalité, compte tenu « de l'immensité de l'Indopacifique, l'éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français d'Indopacifique et leur relatif isolement ».

Selon ses rapporteurs, cet appel au réalisme devait entraîner notamment « une révolution copernicienne de la part de l'Europe et de la France, situées en périphérie du nouveau centre du monde, pour apprendre « à dé-centraliser leur conception de l'Indopacifique » ».

Cette préconisation vaut pour tous nos territoires qui évoluent dans des environnements géostratégiques très différents.

L'exemple de l'Indopacifique renvoie au reproche de territoires ultramarins qui ne seraient perçus que comme des porte-avions ou des points d'appui pour la politique étrangère de la France.

La révolution copernicienne doit reconfigurer notre diplomatie à partir de deux principes :

- les outre-mer sont une justification essentielle de cette diplomatie aussi bien en interne qu'aux yeux de nos partenaires régionaux ;

- les intérêts propres de ces territoires, sauf intérêt supérieur de la Nation, doivent guider notre action extérieure dans la zone.

L'action extérieure de la France, et de tous ses acteurs, sera d'autant plus forte qu'elle est perçue comme légitime par les partenaires régionaux et qu'elle s'enracine dans des territoires ultramarins rayonnants dans leur environnement.

Au sein de l'État, cela implique donc de revoir le cadre conceptuel de l'action extérieure autour des outre-mer et d'adapter l'organisation des services en conséquence.

Pour Joël Sollier, procureur général, « une action diplomatique est nécessaire si nous souhaitons que les lignes bougent en Guyane. Il faut amener diplomatiquement nos pays voisins à faire évoluer la situation dans un certain nombre de domaines. Il s'agit d'un exercice que les diplomates savent faire, mais pratiquent finalement assez peu aujourd'hui. La Guyane est un petit territoire comparé au Brésil. Pour que ce dernier s'intéresse aux problématiques de la Guyane, l'action diplomatique de la France me semble indispensable. »

À cet égard, la dernière visite d'État du président de la République au Brésil au printemps dernier fait espérer un changement d'approche positif. La dimension amazonienne de la relation bilatérale a en effet été au centre des discussions.

Avec le Suriname, État soumis à la forte pression des narcotrafics, une coopération judiciaire ne peut pas se concevoir sans une action diplomatique plus globale. La France dispose de moyens de pression pour amener le gouvernement surinamien à coopérer contre ces trafics ou le commerce lié à l'orpaillage. Tout le long du Maroni, des commerçants avec pignon sur rue fournissent l'ensemble du matériel nécessaire aux orpailleurs (mercure, pompes, moteurs...). La coopération réelle du Surinam porterait un coup dur aux garimpeiros en les privant de base logistique.

De la même manière, la France opère un rapprochement bilatéral avec les pays de l'Afrique de l'Est, en particulier la Tanzanie et le Kenya. Ces pays connaissent un développement économique dynamique et sont aussi des points de passage clefs pour les filières d'immigration clandestine vers Mayotte via les Comores. Le renforcement de la relation bilatérale à haut niveau a accéléré la coopération policière et judiciaire sur ces questions.

Les exemples sont multiples et vos rapporteurs renvoient aux travaux de leurs collègues sur la coopération régionale, ainsi qu'à leurs recommandations pour bâtir une diplomatie française des outre-mer, c'est-à-dire une diplomatie qui, dans la définition de nos relations avec les pays voisins de nos outre-mer, prend prioritairement en considération les intérêts de nos territoires ultramarins, sauf si l'intérêt supérieur de la Nation en commande différemment. Cette diplomatie doit être construite avec les territoires. La loi dite « Letchimy » donne aux territoires les outils pour y contribuer. Les outre-mer doivent être la boussole de notre action extérieure dans leurs régions.

Recommandation n° 23 : Définir une diplomatie française des outre-mer coconstruite avec les territoires.

b) Démultiplier la coopération policière et judiciaire

Longtemps atone, la coopération policière et judiciaire est devenue une priorité pour tous les responsables de la justice et des forces de sécurité.

Dans la zone Antilles, le contre-amiral Nicolas Lambropoulos a loué les relations étroites et quotidiennes d'échanges d'informations avec les partenaires de la zone. Avec les États-Unis, le Joint InterAgency Task Force South (JIATF) Sud, basée à Key West en Floride, réunit quinze pays et toutes les agences qui, de près ou de loin, luttent contre la criminalité, le crime organisé, le narcotrafic, et essaient de coordonner les moyens des différents pays (République dominicaine, Colombie, France, Pays-Bas, etc.). C'est une organisation militaire, qui travaille sous les ordres du commandement militaire américain pour le Sud. La France y dispose d'un officier de liaison.

En Guyane, les discussions ont été relancées avec le Brésil pour monter des patrouilles armées communes à la frontière. L'arrangement intergouvernemental qui ne le prévoit pas à ce jour est en cours de discussion. De même, des négociations sont en cours pour la conclusion d'une convention de transfèrement des prisonniers brésiliens et surinamiens de la Guyane vers leur pays. Beaucoup appartiennent à des factions armées brésiliennes. Depuis leur prison en Guyane, ils continuent leur action et maintiennent leur emprise sur leurs gangs et souvent, à leur sortie, ils ne retournent pas au Brésil.

Le ministère de la Justice déploie en effet une énergie nouvelle tous azimuts, d'autant plus forte que la situation de départ est mauvaise.

Stéphanie Djian, cheffe du bureau d'entraide pénale internationale, souligne ainsi ce paradoxe. D'un côté, structurer une politique pénale régionale outre-mer est une évidence sur le papier. De l'autre, du point de vue de son bureau, les requêtes émanant des juridictions outre-mer sont minimes : sur un total d'environ 5 500 procédures par an dont 550 procédures d'extraditions, moins d'une quarantaine de demandes d'enquêtes pénales et une dizaine d'extraditions émaneraient des outre-mer. Elle rappelle que les conditions d'une bonne coopération judiciaire, ce sont d'abord de bonnes bases légales avec des conventions. Pour cela, il faut des partenaires de bonne foi et une stratégie de long terme. À défaut de convention, c'est la voie diplomatique qui prévaut et elle est longue et compliquée.

Julien Retailleau, adjoint au directeur des affaires criminelles et des grâces, a présenté un tableau riche de toutes les initiatives en cours pour rattraper le retard. On citera notamment :

- la nomination d'un magistrat au sein du parquet général de Fort-de-France pour dynamiser la coopération régionale avec toutes les autorités judiciaires locales, notamment à la Dominique et à Sainte-Lucie ;

- des déplacements au Suriname en décembre 2022 pour identifier les instruments multilatéraux sur lesquels adosser la lutte contre le trafic de stupéfiants dans un cadre juridique de mise en oeuvre de la coopération judiciaire, tant en matière d'entraide qu'en matière d'extradition. Des commissions rogatoires internationales ont été adressées aux autorités surinamaises, qui ont également mis en place une coopération policière et douanière assez forte le long du fleuve Maroni. Une convention d'entraide judiciaire en matière pénale avec le Suriname a été signée le 2 juin 2023 (non encore ratifiée) ;

- la nomination d'un magistrat de liaison à Sainte-Lucie pour la Caraïbe.

Enfin, la proactivité des parquets généraux d'outre-mer en matière de coopération internationale est à souligner. À titre d'exemple, dans la zone Caraïbes, le parquet général de Fort-de-France a multiplié les contacts avec Sainte-Lucie (reprise en 2022 des réunions de la commission mixte de sécurité franco-saint-lucienne, rencontre du 9 novembre 2023 avec l'Attorney général de Sainte-Lucie), ce qui a permis une amélioration du traitement des demandes d'entraide pénale à destination de cet État.

Pour autant, selon Patrice Cambérou, procureur général près la cour d'appel à Fort-de-France, la coopération internationale outre-mer reste sous-dimensionnée et peu opérationnelle. Il faudrait structurer un réseau judiciaire des outre-mer, comme il existe un réseau judiciaire européen, avec des points de contact officiels et identifiés.

La question de la délimitation des eaux territoriales reste aussi à clarifier, notamment dans la Caraïbe.

Cette démarche systématique doit pouvoir s'appuyer sur le réseau régional d'attachés de sécurité intérieure (ASI) et de magistrats de liaison.

Des ASI sont en poste de nombreux États voisins de nos territoires : à Madagascar, en Afrique du sud, aux Comores, au Brésil, à Sainte-Lucie, en Australie assurant une couverture satisfaisante. L'affectation d'un ASI en Tanzanie est à l'étude, du moins à titre temporaire, du fait de la crise migratoire mahoraise et du transit par la Tanzanie de la plupart des demandeurs d'asile.

En revanche, le réseau des magistrats de liaison est plus lacunaire92(*). Aucun magistrat de liaison n'est en poste dans la région océan Indien par exemple. Lors de la 1ère journée de la justice outre-mer organisée le 26 mars 2024, l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien, a relevé que le maillage des magistrats de liaison était moins bon dans cette région du monde. Il est indispensable de combler cette lacune pour étoffer la coopération judiciaire dans la région. En janvier 2024, les ambassadeurs de France à Madagascar, Maurice et aux Seychelles, ont adressé une demande d'affectation d'un magistrat de liaison compétent pour ces pays à la Délégation aux affaires européennes et internationale (DAEI) du Ministère de la justice. La demande est à l'étude.

Enfin, vos rapporteurs regrettent de ne pas avoir transmission d'éléments précis sur les conventions de réadmission en vigueur, ainsi qu'un bilan de leur mise en oeuvre.

Recommandation n° 24 : Faire de la coopération judiciaire et policière avec tous les États situés dans l'espace régional des outre-mer une priorité, notamment en concluant des conventions d'extradition, de transfèrement, de réadmission ou d'échanges d'informations, de délimitation des eaux territoriales et en renforçant le réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI) et magistrats de liaison.

c) Faire du préfet un acteur de la diplomatie

En 2016, ont été créés les postes de conseiller diplomatique auprès des préfets de région (CDPR). Ces conseillers diplomatiques ont vocation à assurer le lien entre les territoires et le réseau à l'étranger, ainsi qu'à traiter l'ensemble des enjeux intéressant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que le ministère de l'Intérieur et des outre-mer : du développement international des territoires, notamment économique, à la coopération décentralisée ou transfrontalière, en passant par la circulation des personnes et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Le ministère chargé des outre-mer a obtenu un renforcement progressif de ce réseau.

Sur 16 postes de CDPR en décembre 2024, cinq sont outre-mer dont deux à La Réunion et Mayotte, deux aux Antilles et un en Guyane. Toutefois, plusieurs n'ont été pourvus que très récemment.

Ce réseau reste timide et les postes difficilement pourvus.

À Saint-Martin, île binationale par excellence, le préfet n'est pas épaulé par un conseiller sur ces questions.

Bien que récente, la reconnaissance du préfet outre-mer comme acteur de la diplomatie française tend à se diffuser.

À La Réunion par exemple, un groupe de contact sur la sécurité avec Maurice se réunit régulièrement sous la co-présidence du préfet de La Réunion pour évoquer les questions d'intérêt partagé (sécurité intérieure, sécurité maritime, etc.). Après avoir été longtemps un pays de transit pour le trafic de drogue, Maurice est devenu également un lieu important de consommation. Le taux de consommation de drogue est l'un des plus élevés de la région. Les stupéfiants arrivent souvent par des « speed boats » en provenance de La Réunion.

Cette incarnation de la diplomatie au niveau régional par le préfet doit être développée.

Recommandation n° 25 : Reconnaître pleinement le rôle diplomatique des préfets en poste outre-mer, leur importance et leur rôle stratégique (postes d'observation, recueil d'informations, relations avec les responsables locaux et les représentations diplomatiques, production de notes et comptes rendus) et les doter d'au moins un conseiller diplomatique.

2. Rehausser le degré d'emploi des forces

La lutte contre l'orpaillage illégal (LCOI) est menée depuis plus de 20 ans par l'État, à travers l'engagement constant et croissant de l'armée et de la gendarmerie qui travaillent en parfaite intelligence.

Toutefois, les résultats demeurent insatisfaisants, l'orpaillage illégal étant simplement contenu. Son impact sur la biodiversité et la santé humaine (13 tonnes de mercure déversées chaque année dans les rivières guyanaises) reste dramatique et des tonnes d'or continuent d'échapper chaque année à l'économie guyanaise93(*). Enfin, des drames surviennent régulièrement comme le meurtre récent d'un gendarme du GIGN le 20 décembre 2023.

L'opération Harpie et ses limites démontrent notre incapacité à défendre l'intégrité d'une grande partie du territoire guyanais. Pour reprendre les mots du général Lionel Lavergne : « en Guyane, environ 8 000 garimpeiros venant du Brésil et disposant de mercure en provenance du Suriname, font passer l'or par le Suriname, avant de l'envoyer sur le marché parallèle de l'or à Dubaï ». Et ceci se passe tous les jours depuis 20 ans. La forêt guyanaise est devenue le terrain de jeu permanent d'une activité économique et criminelle illégale étrangère.

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, dresse ce constat mitigé : « Nous avons le sentiment que les quantités d'or extraites sont en diminution, mais il est nécessaire d'appréhender ces chiffres avec précaution. Nous parlions jusqu'à présent de 10 tonnes d'or extraites illégalement chaque année. Nous sommes probablement descendus en dessous de 7 tonnes aujourd'hui. Selon l'estimation de la gendarmerie en 2023, la quantité serait supérieure à 5 tonnes ».

Pourtant, les moyens engagés sont très importants. La LCOI mobilise au moins 70 millions d'euros par an depuis 15 ans.

Pour Me Patrick Lingibé, « la Guyane, comme Mayotte, pose un problème de fond qui dépasse le cadre judiciaire. Il s'agit d'un problème de souveraineté. [...] Judiciairement, nous sommes aujourd'hui incapables d'apporter une réponse. Nous aurons beau modifier le code de procédure pénale, nous serons toujours limités matériellement. La juridiction ne pourra pas juger autant de personnes et la réponse pénale sera inadaptée, car jamais aucun établissement pénitentiaire ne pourra absorber autant de condamnations ».

L'impasse de la politique actuelle, malgré les efforts permanents d'amélioration, l'immensité des frontières guyanaises et le terrain très difficile de la jungle requièrent un changement de doctrine.

Pour Joël Sollier, procureur général près la cour d'appel de Cayenne, « aujourd'hui, l'armée intervient, mais dans un cadre stratégique qui n'est pas bon. Nous sommes considérés comme territoire national donc seule la gendarmerie peut théoriquement intervenir. La situation est ainsi paradoxale puisque ceux qui ont les moyens n'ont pas le droit d'intervenir et inversement. Pouvons-nous trouver des mécanismes sans changer la Constitution ? Existera-t-il des moyens pour permettre à l'armée de retrouver une plus grande plénitude de ses compétences tout en agissant sur le territoire national ? »

Une piste à explorer pourrait être l'activation de la Défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

La DOT, en liaison avec les autres formes de la défense militaire et avec la défense civile, concourt au maintien de la liberté et de la continuité d'action du Gouvernement, ainsi qu'à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation.

Cet article dispose que « les autorités militaires auxquelles incombe son exécution ont pour mission :

...

2°En présence d'une menace extérieure reconnue par le conseil de défense et de sécurité nationale ou d'une agression, et dans les conditions prévues à l'article R. 1422-2, d'assurer au sol la couverture générale du territoire national et de s'opposer aux actions ennemies à l'intérieur de ce territoire ;

... »

Les article R. 1422-1 et suivants précisent les modalités de mise en oeuvre : « Sur la base des décisions prises en conseil de défense et de sécurité nationale, le Premier ministre ou, en cas de délégation, le ministre de la Défense établit les directives générales relatives à la préparation et à la mise en oeuvre des mesures de défense opérationnelle du territoire à prendre en cas de menace extérieure, d'agression ou d'invasion.

Le ministre de la Défense a la responsabilité de l'organisation, de la mise en condition et de la détermination des missions des forces prévues pour assurer la défense opérationnelle du territoire.

Chaque autre ministre intéressé, notamment le ministre de l'Intérieur et les ministres chargés des Finances et de l'outre-mer, définit, en fonction des instructions reçues, les moyens de son département à mettre en oeuvre ».

Conçue pendant la guerre froide, la doctrine de la DOT fait l'objet de nouvelles réflexions depuis quelques années à la faveur de l'évolution stratégique du monde.

Sa mise en oeuvre suppose un changement d'approche complet et de considérer l'orpaillage illégal, dans sa forme actuelle, comme une menace extérieure. La destruction et le pillage du territoire guyanais, l'ancienneté du phénomène, son ampleur, son caractère étranger et le niveau de violence associé permettent de qualifier l'orpaillage illégal de menace extérieure.

La création de zones de défense et de sécurité sur certaines parties du territoire guyanais autoriserait les forces armées à être primo-intervenantes, de manière autonome, pour réagir à cette menace et recourir à tous moyens de réplique nécessaires, sous réserve du principe de proportionnalité, et non plus de légitime défense au sens du code pénal. La montée en coercition pourrait aussi permettre des saisies-destructions immédiates, plus effectives que les saisies-confiscations judiciaires, en dépit de l'assouplissement procédural issu de la loi « égalité réelle outre-mer » de 201794(*).

Ces zones de défense et de sécurité ne retireraient pas à la gendarmerie sa mission judiciaire.

L'objectif est clairement de rehausser le degré d'emploi de la force pour rétablir une crédibilité et une dissuasion vis-à-vis des milliers de garimpeiros.

Recommandation n° 26 : Traiter l'orpaillage illégal comme une atteinte extérieure à la souveraineté territoriale française et, en conséquence, durcir l'emploi des forces armées en activant le dispositif de défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

Ce durcissement de l'emploi des forces est aussi nécessaire dans la lutte contre la pêche illégale. Là encore, la Guyane est en première ligne face aux pêcheurs brésiliens ou surinamiens depuis des dizaines d'années. Les derniers rapports de l'Ifremer sont très inquiétants.

Selon le rapport sur la pêche illégale de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et du comité régional des pêches et des élevages marins rendu public le 16 septembre 2024, le nombre des pêcheurs illégaux a doublé en 12 ans. Par ailleurs, « de 2019 à 2023, le nombre maximal annuel de navires hauturiers étrangers observés en action de pêche est de 6 caseyeurs guyaniens et 34 ligneurs vénézuéliens non licenciés, pour 45 ligneurs vénézuéliens avec licence. Les résultats sont probablement sous-estimés, car d'autres navires ont été observés dans la ZEE sans indication sur leur activité, jusqu'à 10 caseyeurs guyaniens et 84 ligneurs vénézuéliens non licenciés en 2022 ».

La filière de la pêche légale guyanaise est étouffée et la biodiversité s'effondre.

Pourtant, comme avec la LCOI, l'État a augmenté ses moyens de lutte contre la pêche illicite. Il y a donc une inadéquation entre les moyens investis et leur déploiement ou leur efficacité à endiguer cette pression écologique et socio-économique.

Un changement de doctrine est donc impératif. Outre un positionnement des moyens au plus près de nos frontières maritimes et une meilleure coopération régionale, la réplique doit être plus rapide, directe et impactante.

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, a évoqué une évolution de la doctrine contre la pêche illégale : « Après la phase de pédagogie, nous sommes désormais en discussion avec l'autorité judiciaire puisque nous agissons sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) pour la destruction des tapouilles. Nous souhaitons supprimer la condition de réitération dans la mesure où les pêcheurs brésiliens connaissent les risques de pêcher dans les eaux françaises. Nous pensons donc pouvoir amplifier notre action à destination des pêcheurs brésiliens. 

Pour le Suriname, il s'agit d'autres types de bateaux. Nous parlons plutôt de pirogues qui restent très près du littoral, mais là encore, nous sommes en train de nous déployer. Nos moyens ont été renforcés dans l'Ouest. En outre, lors de son déplacement, le président de la République nous a demandé d'avoir un site de destruction à l'Ouest ».

Vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à cette évolution de la doctrine. Il est d'ailleurs incompréhensible qu'il ait fallu autant d'années et de dégâts à la filière pêche guyanaise, pour décider de détruire systématiquement les navires de pêches étrangers saisis dès la première infraction. La pêche illégale est un système organisé, massif, récurrent et exogène. Les atermoiements ne sont plus tolérés par nos compatriotes guyanais. La politique pénale doit évoluer rapidement pour supprimer la condition de réitération et procéder à des destructions automatiques et systématiques.

3. Restaurer la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres outre-mer : la stratégie du bouclier

Géant aux pieds d'argile, l'espace maritime de la France appelle une consolidation rapide de sa protection et de sa préservation. Comme montré dans la première partie, les frontières outre-mer sont poreuses et celles-ci commencent en mer, dans notre espace maritime immense exposé à de multiples violations.

La faiblesse de la stratégie maritime de la France dans les outre-mer est pointée depuis de nombreuses années, les moyens engagés étant inversement proportionnels à son importance.

Le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer de février 202295(*) dressait un bilan décevant de la stratégie maritime nationale et appelait notamment à replacer les « outre-mer au coeur de [cette stratégie], en crédibilisant notre souveraineté mise à mal sur ses zones économiques exclusives et en accompagnant la transition économique des outre-mer ».

Ce rapport formulait 17 recommandations pour consolider notre souveraineté maritime.

La loi de programmation militaire prévoit pour la période 2024-2030, 13 milliards d'euros pour les forces armées stationnées dans les outre-mer, l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires.

Les frontières terrestres en Guyane sont aussi perméables que notre espace maritime.

Les bons résultats de la surveillance de l'espace maritime des TAAF

Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice des TAAF, se félicite d'une forte baisse des pêches illicite, non déclarée et non réglementée (INN) dans les eaux australes sous souveraineté française depuis les années 2000 (le dernier arraisonnement d'un navire non autorisé à pêcher la légine remonte à 2013). Ce constat est partagé par les forces armées dans la zone-sud de l'océan Indien (Fazsoi). Le renforcement de la présence en mer (les navires de pêche autorisés participent au dispositif en plus des navires des TAAF et des Fazsoi), la surveillance satellitaire et la coopération avec les autres marines de la région ont permis ces résultats. Dans le cadre de France 2030, des projets innovants ont été retenus pour concevoir d'autres technologies de détection des navires à partir des radiofréquences.

La pêche illégale demeure plus importante dans les îles Éparses, notamment du fait de pêcheurs comoriens dans les Glorieuses ou de la pêche du concombre de mer à Bassas da India. Beaucoup de navires asiatiques se livrent à la pêche INN.

Ces moyens français se déploient de plus en plus dans un cadre régional. En particulier, la Commission de l'océan Indien (COI) a mis en oeuvre deux programmes sur financement européen et de la Banque mondiale :

- les programmes SWIOFISH 1 et 2 pour améliorer la gouvernance des pêches dans le sud-ouest de l'océan Indien (11 millions d'euros au total) ;

- le programme ECOFISH dont les objectifs sont de promouvoir la gestion durable des pêches dans les îles de l'océan Indien (pêche maritime) mais aussi en Afrique orientale et australe (pêche continentale), d'appuyer le plan régional de surveillance des pêches (PRSP) pour lutter contre la pêche INN. Au titre du PRSP, plusieurs missions de surveillance dans la zone australe des TAAF sont financées grâce à ce programme, en particulier les missions du navire Osiris II. Ce programme a bénéficié à la fois de fonds NDICI et Feder/Interreg, dont 11,7 millions d'euros pour la partie gérée par la COI.

Les résultats rejoignent l'appréciation des autorités françaises. Les dernières missions régionales de surveillance des pêches en mer ont montré que la quasi-totalité des bateaux opérant dans la région respectent désormais la réglementation, quand en 2007, lors des premières patrouilles régionales, 25 % des navires inspectés étaient en infraction.

Cette politique régionale, avec de nets résultats, a vocation à s'étendre. Dans le cadre de l'IORA, la France a pris l'initiative avec l'Indonésie d'engager des travaux pour élaborer une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième a eu lieu à La Réunion en mai 2024, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.

Pour restaurer la crédibilité de nos frontières, outre une indispensable coopération régionale et un travail de renseignement (voir supra), plusieurs actions majeures doivent être conduites.

La première est l'adoption d'un plan à cinq ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières.

À Mayotte ou dans les Antilles, la couverture radar est indigente quand elle fonctionne. La France outre-mer est aveugle. En Martinique, de nouveaux radars devraient être opérationnels en 2025 pour surveiller les détroits face à la Dominique et Sainte-Lucie. En Guadeloupe et dans les îles du Nord, ils sont espérés. Quant à Mayotte, comme vu supra, un plan de modernisation était en cours d'arbitrage budgétaire.

La surveillance aérienne est par ailleurs intermittente et repose encore largement sur des avions de surveillance, dont l'emploi est soumis à de fortes contraintes opérationnelles. Leur disponibilité est intermittente, comme le souligne le contre-amiral Nicolas Lambropoulos (voir supra).

Les moyens d'intervention en mer sont aussi très inégaux. La loi de programmation militaire, si elle est respectée, devrait rétablir une capacité d'intervention. Toutefois, à côté de ces moyens lourds bâtis pour la haute mer, la priorité est à des moyens plus légers, rapides et nombreux, notamment dans la zone littorale ou relativement proche des côtes.

De nouvelles technologies émergent et l'État outre-mer en demeure dépourvu. Les drones aériens et demain maritimes sont absents de la palette d'outils à disposition de nos forces armées et de sécurité intérieure. Il faut investir dans des systèmes de drones à long rayon d'action qui sont beaucoup plus efficaces comme l'ont montré les Américains. À côté des radars, d'autres technologies à partir des ondes électroacoustiques se développent. Dans les TAAF, des expérimentations à partir des radiofréquences sont en cours.

Un plan à 5 ans d'investissement permettrait le déploiement, sur chaque territoire, de systèmes globaux de surveillance à jour des dernières techniques combinés à des moyens d'intervention modernisés96(*).

Outre la surveillance de l'espace maritime, ce plan devrait intégrer le contrôle des ports et des aéroports. La modernisation de la sûreté des ports ultramarins, en particulier ceux des Antilles-Guyane, est une autre priorité. L'acquisition de scanners pour les conteneurs, le contrôle de tous les bagages, la sécurisation des accès et la surveillance des abords des installations sont urgents et impératifs. Elle doit être un préalable à l'accroissement annoncé du trafic maritime, en particulier en Guadeloupe et en Martinique où des projets ambitieux, économiquement bénéfiques, doivent voir le jour pour faire de ces îles des hub régionaux. À défaut, la déferlante du narcotrafic ne fera qu'empirer.

Recommandation n° 27 : Arrêter un plan à 5 ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières maritimes de chaque territoire ultramarin, incluant le déploiement de drones aériens et maritimes, vecteurs nautiques et héliportés d'intervention, radars, surveillance aérienne, scanners fixes et mobiles à ondes millimétriques, intégration de solutions IA, moyens optroniques...

Recommandation n° 28 : Avec les autorités en charge de la gestion des ports ultramarins, repenser entièrement les infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté (badge, vidéoprotection, sécurisation des plateformes, sûreté, analyse IA, scanners de conteurs...) préalablement à l'augmentation des capacités portuaires et du trafic de marchandises.

Modernisation des moyens techniques, mais aussi adaptation de l'organisation des forces en charge du contrôle des frontières.

Le sentiment de la délégation reste celui d'un relatif éclatement des missions de contrôle et de surveillance des espaces maritimes et des frontières. Douanes, gendarmerie, police aux frontières, affaires maritimes et forces armées conjuguent leur action, mais sans un pilotage au plus près. Certes, le contexte ultramarin pousse en pratique ses acteurs à travailler plus étroitement ensemble - l'« équipe France » - que dans l'Hexagone.

Pour autant, des marges de progrès existent.

En Hexagone, le Gouvernement a annoncé fin 2024 la généralisation à l'ensemble des frontières terrestres du territoire de la « border force » ou « force frontière ». Cette unité expérimentale, lancée en juin 2023 dans les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes, rassemble 270 policiers, gendarmes, douaniers et militaires de Sentinelle au sein d'une même structure sous l'autorité du préfet. Cette « force frontière » est pilotée par un état-major opérationnel des frontières, l'EMOF, placé sous l'autorité de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF).

Une circulaire du ministre de l'Intérieur datée du 25 novembre 2024 relative au renforcement du pilotage de la surveillance des frontières et des flux migratoires vient préciser le rôle de l'EMOF : « l'état-major opérationnel des frontières, adossé à la direction nationale de la police aux frontières, permet de disposer d'une vision consolidée de la situation aux frontières et des moyens qui y sont affectés. La « force frontière », qui repose sur l'EMOF et le concours de l'ensemble des forces dans les départements et les zones de défense, sera confortée. »

Les préfets de zone ont la charge de s'assurer de la bonne organisation des forces en mettant en place, à leur niveau, une instance de coordination et de pilotage. Des plans zonaux doivent être préparés.

Dans les outre-mer, la création de « force frontière » paraît encore plus pertinente et urgente. Elle devra articuler la dimension maritime, fondamentale outre-mer mais moins prégnante dans le contexte hexagonal. On rappellera que l'action de l'État en mer est organisée différemment dans l'Hexagone et dans les outre-mer : dans le premier cas, des préfets maritimes distincts des préfets de zone ou de région en ont la responsabilité, dans le second le préfet de zone a aussi la charge de l'action de l'État en mer.

À cet égard, la création systématique de préfectures maritimes dans les outre-mer, sur le modèle de l'organisation hexagonale, ne paraît pas offrir une plus-value suffisante pour prendre le risque de désorganiser le système actuel qui confie la responsabilité de l'action en mer au préfet. Une réflexion pourrait néanmoins être poussée pour la zone Antilles.

Comme le relève le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA), « un préfet, même s'il a des fonctions de préfet de zone, est avant tout préoccupé par son territoire, par la sécurité de la Martinique, plus que par la sécurité de la Guadeloupe ou de Saint-Martin. Un préfet maritime pourrait s'affranchir de cette préoccupation. C'est un reproche qu'on nous fait souvent, d'être martiniquo centré. Je trouve que c'est une organisation qui fonctionne et qui aurait du sens ici. Par exemple, je ne commande pas les services de l'État qui oeuvrent en mer, je ne dirige ni le service de garde-côtes des douanes, ni les brigades nautiques de la gendarmerie, ni les affaires maritimes. Je ne les note pas, je ne les évalue pas, je tente de les coordonner. Il est certain qu'un préfet maritime n'a pas la même autorité que moi, qu'il n'a pas le même pouvoir pour inciter les uns et les autres à aller dans le sens qu'il souhaite. Par conséquent, une préfecture maritime pour un territoire qui a plusieurs préfectures, morcelé, insulaire, aurait du sens ».

Recommandation n° 29 : Mettre en place dans chaque territoire une « force aux frontières » ou « border force », coordonnant sous l'autorité du préfet (police, gendarmerie, douanes, armées, affaires maritimes) les opérations de contrôle frontalier terrestre et maritime.

4. Contrer les ingérences étrangères

Les outre-mer sont des cibles privilégiées pour les ingérences étrangères et les tentatives de déstabilisation. Face à cette menace croissante, la délégation fait sienne l'ensemble des constats et recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, adopté en juillet 202497(*).

Le rapport Viginum de décembre 2024

Dans un rapport publié le 2 décembre 2024, le service chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) revient sur la diffusion massive de propagande anti-française dans les collectivités ultramarines françaises et la Corse par l'organisation azéri Baku Initiative Group (BIG).

Le rapport Viginum 2024 démontre que le BIG, et donc l'Azerbaïdjan, par le biais d'une campagne numérique de manipulation de l'information cherche à « remettre en cause l'intégrité territoriale de la France dans ses territoires ultramarins, en instrumentalisant notamment les mouvements et idées Indépendantistes ».

Une vaine entreprise, conclut le rapport, puisque le BIG ne touche qu'une audience limitée et n'atteint pas l'effet escompté.

https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/Publications/20241202_NP_SGDSN_VIGINUM_RAPPORT-BIG.pdf

Dans le contexte particulier des outre-mer, la délégation souhaite insister sur l'importance de rendre publiques les ingérences et de contrecarrer les attaques contre l'action de l'État en mettant mieux en valeur les politiques conduites et les moyens déployés. La large diffusion du récent rapport de Viginum à propos des ingérences de l'Azerbaïdjan est à louer.

En Polynésie française, le Haut-commissariat diffuse ainsi depuis quelque temps des supports présentant les différents soutiens apportés à toutes les politiques publiques conduites sur ce territoire, y compris celles relevant des compétences des communes ou du Pays en vertu des dispositions statutaires.

Recommandation n° 30 : Pour lutter contre les opérations d'influences étrangères outre-mer :

- Surveiller et rendre publiques les ingérences étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français, notamment par le biais des rapports Viginum (SGDSN) ;

- Communiquer davantage sur l'effort financier de l'État dans les différents territoires (sécurité, éducation, justice, protection...) ;

- Mettre en oeuvre dans les outre-mer, les recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2024.


* 91 Rapport n° 763 (2023-2024) du 17 septembre 2024 par MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient.

* 92 En 2023, 17 magistrats de liaison étaient en poste dans le monde couvrant 52 États, dont six en Afrique et Moyen-Orient. Aucun en Afrique de l'Est, australe ou l'ouest de l'océan Indien. Un poste a été créé en 2024 à Sainte-Lucie pour lutter contre les narcotrafics.

* 93 L'orpaillage illégal permettrait l'extraction d'environ 10 fois plus d'or que l'exploitation légale, soit une tonne d'or légal pour dix tonnes illégales.

* 94 Les articles L. 512-9 et L. 621-8-2 du code minier dispose que les OPJ et APJ peuvent procéder à la destruction du matériel sur ordre du procureur de la République pour empêcher le renouvellement de l'infraction.

* 95 Rapport d'information n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022 sur les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale par M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth.

* 96 Pour Mayotte, un chiffrage de 110 millions d'euros a été avancé.

* 97 Rapport n° 739 (2023-2024) du 24 juillet 2024 fait au nom de la commission d'enquête du Sénat sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères (président : M. Dominique de Legge, rapporteur : Rachid Temal). L'Essentiel du rapport disponible sur ce lien : https://www.senat.fr/rap/r23-739-1/r23-739-1-syn.pdf

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