III. LA DANGEROSITÉ DES PLASTIQUES EST ÉGALEMENT LIÉE AUX SUBSTANCES CHIMIQUES QU'ILS CONTIENNENT ET QUI ENTRAÎNENT DES COÛTS EXORBITANTS POUR LA SOCIÉTÉ

A. LES PLASTIQUES SONT DES SOURCES ET DES VECTEURS DE SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES

· Les plastiques sont des sources de substances chimiques

Plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que la production de plastiques fait intervenir de très nombreux produits chimiques à différentes étapes de la fabrication.

Martin Wagner a mentionné quatre groupes de produits chimiques liés aux plastiques : les substances de départ, à savoir les monomères et les catalyseurs ; les additifs ajoutés à ces produits pour qu'ils soient fonctionnels (plastifiants, anti-oxydants, retardateurs de flammes, colorants, etc.) ; les auxiliaires de fabrication qui facilitent la production des matériaux et des produits plastiques ; les substances chimiques ajoutées non intentionnellement (NIAS - Non-Intentionnally Added Substances) qui sont soit des impuretés issues des autres substances chimiques, soit des produits dérivés qui se forment pendant la fabrication des plastiques, soit des produits de dégradation qui apparaissent au cours de leur utilisation ou au moment de leur fin de vie.

- De très nombreuses substances chimiques dont un quart d'entre elles s'avèrent dangereuses

Les informations sur les substances chimiques entrant dans la composition des plastiques sont fragmentées et éparpillées. Toutefois, Martin Wagner a expliqué que plus de 16 000 produits chimiques ont été recensés dans la base de données PlastChem.

Quatre critères ont été retenus pour définir la dangerosité des substances chimiques : leur caractère persistant pour identifier les substances chimiques qui ne se dégradent pas facilement dans l'environnement ; leur capacité de bioaccumulation, en référence aux substances chimiques qui s'accumulent dans le corps humain ou dans d'autres organismes ; leur mobilité, pour viser les substances chimiques qui se répandent facilement dans l'environnement ainsi que dans l'eau potable ; leur toxicité, pour évaluer leur nocivité pour la santé humaine.

Plus de 4 000 produits chimiques sur les 16 000 recensés, soit un quart d'entre eux, peuvent être classés comme dangereux. Leur caractère toxique sur l'environnement, en particulier aquatique, mais également pour la santé humaine, est scientifiquement bien documenté. De nombreuses études montrent la toxicité de ces substances chimiques pour certains organes, tels que le foie, ainsi que leur caractère cancérogène, mutagène ou reprotoxique. Certaines substances chimiques sont des perturbateurs endocriniens.

Christos Symeonides a présenté les résultats d'une revue générale8(*) portant sur l'impact sur la santé de trois substances chimiques utilisées quasiment exclusivement dans les plastiques : les polybromodiphényléthers (PBDE), utilisés comme retardateurs de flamme dans les produits textiles ou électroniques et classés comme des polluants organiques persistants par la convention de Stockholm ; le bisphénol A (BPA), monomère entrant dans la fabrication du polycarbonate, mais également dans la composition des résines époxy utilisées pour le revêtement des boîtes de conserve et des canettes ; les phtalates et en particulier le DEHP - phtalate de bis(2-éthylhexyle) - utilisés notamment pour rendre le plastique plus souple.

Cette revue générale s'est appuyée sur les données de près de 1 000 méta-analyses issues de 52 revues systématiques, représentant l'équivalent de 1,5 million de données.

Elle a mis en évidence des preuves épidémiologiques solides établissant des liens entre l'exposition du foetus aux PBDE pendant la grossesse et un poids faible à la naissance, un retard ou une altération de développement cognitif chez l'enfant ou encore une perte de quotient intellectuel (QI).

Des preuves statistiquement significatives de perturbation endocrinienne liée au fonctionnement du système hormonal thyroïdien chez l'adulte ont également été mises en évidence.

En ce qui concerne le BPA, la revue générale établit des liens avec des malformations génitales chez les nouveau-nés filles exposées au BPA dans l'utérus, avec le diabète de type 2 chez les adultes et la résistance à l'insuline, ainsi qu'avec le syndrome ovarien polykystique chez les femmes. L'exposition au BPA augmente également le risque d'obésité et d'hypertension chez les enfants comme chez les adultes ainsi que le risque de maladies cardiovasculaires chez les adultes.

Enfin, la revue générale établit des liens entre l'exposition au DEHP et des fausses couches, des malformations génitales chez les nouveau-nés garçons, un retard ou une altération du développement cognitif chez l'enfant, la perte de QI, un retard du développement psychomoteur, une puberté précoce chez les jeunes filles et de l'endométriose chez les jeunes femmes. L'exposition au DEHP a également de multiples effets sur la santé cardiométabolique, notamment la résistance à l'insuline, l'obésité ou encore l'augmentation de la pression artérielle.

- Les lacunes dans l'évaluation des substances chimiques conduisent à sous-évaluer leur dangerosité

Plusieurs intervenants ont insisté sur les lacunes dans l'évaluation des substances chimiques. Martin Wagner a précisé que (seuls) 161 produits chimiques ont été jugés non dangereux par des réglementations nationales, mais ces évaluations manquent de rigueur scientifique dans la mesure où elles portent soit sur des informations incomplètes, soit sur une partie seulement des critères de dangerosité.

Pour 10 000 produits chimiques utilisés ou présents dans les plastiques, il n'existe aucune donnée sur leur dangerosité.

Au niveau international, seulement 6 % des substances chimiques font l'objet d'une réglementation dans le cadre de la convention de Bâle, de la convention de Stockholm et du protocole de Montréal.

Par ailleurs, si la toxicité des produits chimiques commence à être bien documentée, les informations concernant leur persistance, leur bioaccumulation ou leur mobilité sont plus difficiles à trouver, dans la mesure où ces critères ne sont pas toujours retenus dans les évaluations gouvernementales.

Enfin, la détermination des plafonds réglementaires en deçà desquels la migration des substances chimiques ou leur absorption reste tolérable dépend de données scientifiques qui peuvent connaître des évolutions importantes.

Megan Deeney et Robert Barouki ont cité l'exemple du bisphénol A : jusqu'en 2023, la valeur seuil dans le sang du bisphénol A jugée tolérable était de 233 microgrammes par litre, définie à partir d'une cible correspondant à la toxicité rénale. Puis un nouveau test est apparu, fondé sur la quantité de certaines cellules immunitaires dans la rate. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a alors révisé les doses journalières tolérables de bisphénol A, qui sont désormais 20 000 fois plus faibles qu'auparavant, à 0,011 microgramme par litre.

- La population est largement contaminée par les substances chimiques liées aux plastiques

Les substances chimiques sont rejetées tout au long du cycle de vie des plastiques dans l'environnement et le contaminent. Cette pollution affecte à son tour les êtres humains, notamment à travers les aliments, l'eau et l'air.

Selon Megan Deeney, une étude récente9(*) montre que 25 % des 14 000 produits chimiques contenus dans les matériaux en contact avec les aliments ont été identifiés dans le corps humain. Une autre publication rassemblant les résultats d'études publiées entre 2020 et 202210(*) conclut à la migration dans les aliments de 61 substances contenues dans des matériaux plastiques en contact avec les aliments potentiellement cancérogènes pour la glande mammaire.

Robert Barouki a indiqué que pour les quatre composés perfluorés les plus importants et dont la toxicité est clairement reconnue, la valeur seuil tolérable pour l'absorption, traduite par une valeur seuil du dosage dans le sang, a été fixée à 6,8 microgrammes par litre de sang. Un grand programme européen a évalué l'ensemble de l'imprégnation des populations européennes et a constaté que 15 % de la population européenne était au-dessus de cette valeur seuil. Il a précisé que cela ne signifiait pas qu'il y ait immédiatement un danger dans la mesure où la valeur seuil est assez protectrice. Mais c'est une alerte.

En ce qui concerne la présence de BPA dans nos organismes, pratiquement toute la population est au-dessus du seuil tolérable depuis l'abaissement drastique de la valeur seuil en 2023.

· Les plastiques sont également des vecteurs de substances chimiques

Plusieurs intervenants ont souligné le rôle des plastiques comme vecteurs de substances chimiques : les plastiques hydrophobes vont adsorber les polluants chimiques également hydrophobes présents dans l'environnement et vont leur permettre non seulement de se disperser mais également de passer des barrières qu'ils ne pourraient normalement pas franchir.

Selon Christos Symeonides, cet effet « cheval de Troie » est renforcé par la persistance des plastiques dans l'environnement ainsi que par leur lente dégradation en micro et nanoplastiques qui favorisent l'accumulation des substances chimiques dans l'environnement physique et dans les organismes.

Sonja Boland a cité l'exemple des interactions observées en laboratoire entre des particules plastiques et le benzopyrène, un hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) très toxique et un polluant majeur de l'air. L'exposition de cellules à des particules de plastique contaminées par le benzopyrène se traduit par une pénétration du benzopyrène dans les cellules. En outre, on observe une réponse pro-inflammatoire de la part des cellules exposées à des particules recouvertes de ce polluant, alors que le benzopyrène seul et les plastiques seuls n'induisent pas cet effet. Il semblerait donc qu'il y ait un effet très spécifique des particules de benzopyrène en combinaison avec des plastiques dont il reste encore à analyser les mécanismes.


* 8 Christos Symeonides et al., « An Umbrella Review of Meta-Analyses Evaluating Associations between Human Health and Exposure to Major Class of Plastic-Associated Chemicals », Annals of Global Health, 2024, Volume 90.

* 9 Birgit Geueke et al., « Evidence for widespread human exposure to food contact chemicals Nature », Journal of Exposure Science and Environmental Epidemiology, 2024.

* 10 Parkinson et al., « Potential mammary carcinogens used in food contact articles : Implications for policy, enforcement, and prevention », Frontiers in Toxicology, 2024.

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