B. LES SIGNAUX D'ALARME CONCERNANT LES RISQUES QUE FONT PESER LES PLASTIQUES PARTICULAIRES SUR LA SANTÉ HUMAINE SE MULTIPLIENT
· Les microplastiques sont présents dans tous les organes humains et s'y accumulent
Xavier Coumoul a rappelé qu'il existait trois voies d'exposition de l'homme aux plastiques : par l'alimentation, la respiration et le contact cutané. L'exposition peut être directe, à travers l'utilisation de produits du quotidien, mais également à travers l'inhalation. Sonja Boland a fait remarquer qu'en région parisienne, 3 à 10 tonnes de plastiques présents dans l'air étaient déposées par an, majoritairement des fibres, et que nous inhalons jusqu'à 30 millions de particules plastiques par an. L'inhalation de microplastiques est au moins aussi importante que l'ingestion.
L'exposition peut également être indirecte : les micro et nanoplastiques sont présents dans tous les écosystèmes et affectent les espèces animales et végétales que nous consommons. Guillaume Duflos a dressé une liste non exhaustive des produits alimentaires dans lesquels des microplastiques ont été retrouvés : le sel, la bière, les fruits et légumes, le thé, les oeufs, la viande, etc.
Muriel Mercier-Bonin a fait un lien entre le taux relativement élevé de microplastiques chez les populations d'Asie et leur consommation de fruits de mer.
Les organes d'absorption sont multiples : les poumons, le côlon, la peau. Il a été démontré que les plastiques pouvaient être transportés par le sang, mais également par les nerfs, et atteindre ainsi des organes qu'on qualifie de lointains, tels que les testicules, le placenta, les reins ou encore le cerveau. Xavier Coumoul a cité une étude6(*) selon laquelle la concentration du plastique dans cet organe s'élèverait à 5 milligrammes par gramme : cela signifierait que 0,5 % de la masse du cerveau serait constituée de plastique.
Il est par ailleurs observé que les microplastiques s'accumulent dans les organes. Ainsi, Sonja Boland a signalé que la quantité de plastique dans le poumon augmente avec l'âge, ce qui suggère que des particules peuvent persister dans l'organisme sans être éliminées.
Plusieurs intervenants se sont inquiétés de l'accumulation des plastiques dans l'environnement à la fois physique et vivant et de ses conséquences sur la santé humaine en faisant référence au principe One health (« une seule santé »), qui identifie les liens entre la santé animale, la santé humaine et la qualité de l'environnement.
· Des corrélations inquiétantes entre la présence de plastiques et l'altération de certains organes et de leurs fonctions, voire l'apparition de pathologies
- Les plastiques ont un impact sur la sphère digestive
Muriel Mercier-Bonin a présenté les premiers résultats issus des recherches de son laboratoire sur l'impact des plastiques sur la sphère digestive. L'exposition aux plastiques semble entrainer des modifications dans la composition du microbiote intestinal. Des bactéries apparaissent à la fois chez l'adulte et l'enfant, telles que les pathobiontes, qui peuvent contribuer à une dysbiose du microbiote intestinal. Par ailleurs, une diminution du butyrate, un acide gras à chaîne courte (AGCC) très bénéfique, a été observée chez l'enfant.
Des travaux non encore publiés sur des souris ont montré que l'administration de microplastiques dans leur alimentation entraîne une perte de bactéries bénéfiques et une augmentation des bactéries délétères pour le microbiote intestinal lorsque les rongeurs sont soumis à un régime occidental, riche en gras et en sucre.
Elle n'a pas exclu des phénomènes abrasifs liés au transit de microplastiques de taille importante, notamment sur les zones non couvertes par le mucus. Cette abrasion pourrait provoquer des inflammations.
- Les plastiques inhalés ont un impact sur la santé
Comme l'a expliqué Sonja Boland, en fonction de leur taille, les particules plastiques peuvent pénétrer plus ou moins profondément l'appareil respiratoire. Globalement, on trouve plus de fibres que de fragments, mais ce déséquilibre peut être lié à l'impossibilité, avec les techniques d'analyse actuelles, de déceler les nanoparticules.
Les particules les plus grosses, supérieures à 300 micromètres de diamètre, ne peuvent pas dépasser le naso-pharynx. Celles qui sont comprises entre 2,5 et 10 micromètres peuvent descendre jusqu'aux bronches. Toutefois, seules les particules respirables les plus fines, c'est-à-dire inférieures à 2,5 micromètres de diamètre, peuvent entrer dans les bronches et atteindre les alvéoles.
Sonja Boland a précisé que l'appareil respiratoire est pourvu de mécanismes d'élimination. La clairance mucociliaire permet d'éliminer les particules déposées sur du mucus qui vont être transportées, grâce au battement coordonné des cellules ciliées, vers la bouche pour être expectorées ou avalées. Au niveau alvéolaire, les macrophages vont ingérer les particules de plastique. Néanmoins, ces dernières peuvent entrer dans l'organisme puisque les macrophages vont migrer vers les ganglions et la circulation lymphatique, ou bien remonter par l'escalator mucociliaire pour être déglutis et atteindre l'appareil gastro-intestinal. Les nanoparticules peuvent déjouer les mécanismes de clairance, traverser l'épithélium et entrer dans la circulation sanguine pour atteindre les organes secondaires. Certaines nanoparticules peuvent remonter les nerfs, par exemple les nerfs olfactifs, et atteindre le cerveau.
La toxicité des particules plastiques inhalées a été démontrée dès les années 1970 auprès de travailleurs de l'industrie du flocage. Certains d'entre eux ont développé des altérations de la fonction pulmonaire, un essoufflement, de l'inflammation, de la fibrose et même des cancers du poumon. Les mêmes symptômes ont été observés auprès de travailleurs dans l'industrie du textile et du PVC.
Sonja Boland a cependant fait remarquer que si les particules de plastique étaient impliquées dans les effets sur la santé décrits précédemment, le rôle des additifs, des contaminants et des monomères ne pouvait pas être exclu. Dans l'industrie du polystyrène par exemple, ce sont surtout les monomères (les styrènes), reconnus pour leur toxicité et leur caractère cancérigène, qui induisent ces pathologies.
Une augmentation du cancer de l'estomac pourrait être également due à la déglutition des particules inhalées.
Sonja Boland a évoqué une corrélation possible entre des pathologies respiratoires et la présence de plastiques dans le poumon. Il y a plus de particules et de fibres présentes dans les tumeurs que dans les tissus normaux.
Il y a également un lien entre la présence de microplastiques et une altération de la fonction pulmonaire. On constate plus de plastiques dans le corps des personnes ayant des rhinites allergiques. Les paramètres sanguins sont également modifiés lorsque des plastiques sont détectés dans le poumon.
- La présence de microplastiques dans la plaque carotidienne est corrélée à l'augmentation du risque d'infarctus du myocarde
Xavier Coumoul a cité une étude7(*) qui a mesuré la quantité de microplastiques prélevés au niveau de la plaque carotidienne sur plus de 300 patients ayant subi une chirurgie carotidienne. Cette étude a montré qu'il existait un risque d'infarctus du myocarde 4,53 fois plus élevé, et potentiellement d'accident vasculaire cérébral, voire de mort, chez les personnes qui présentaient les plus forts taux de micro et nanoplastiques.
* 6 Matthew Campen et al., « Bioaccumulation of Microplastics in Decedent Human Brains Assessed by Pyrolysis Gas Chromatography-Mass Spectrometry », Research Square (Preprint), May 2024.
* 7 Raffaele Marfella, « Microplastics and Nanoplastics in Atheromas and Cardiovascular Events », The New England Journal of Medicine, 6 March 2024, Vol 390 N° 10.