II. EN DÉPIT DES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES POUR DÉTECTER ET CARACTÉRISER LES PLASTIQUES ET LES RISQUES QU'ILS FONT COURIR EN MATIÈRE DE SANTÉ HUMAINE, LES SIGNAUX D'ALARME SE MULTIPLIENT
A. L'ANALYSE DES PLASTIQUES PARTICULAIRES ET DES RISQUES SANITAIRES QUI Y SONT LIÉS SE HEURTE À DES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES
· Les difficultés méthodologiques liées à la caractérisation et à la quantification des plastiques particulaires
Guillaume Duflos a insisté sur la complexité de la quantification des plastiques dans l'environnement en raison de leur grande variété de composition, de taille et de forme.
Ainsi, les analyses sur les eaux minérales et l'eau du robinet aboutissent à des résultats variant sensiblement d'une étude à l'autre. Des travaux de normalisation menés par l'Afnor ont toutefois établi une norme de caractérisation des microplastiques dans l'eau facilitant la comparaison des résultats et servant de référence au niveau international.
Muriel Mercier-Bonin a évoqué des problématiques similaires pour la détection et la quantification du plastique particulaire dans les échantillons humains. Elle a rappelé qu'une étude1(*) sur la quantité de microplastiques ingérés par les hommes avait fait grand bruit en 2019, évaluant l'absorption de plastiques à 5 grammes par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit.
Depuis, plusieurs études ont considérablement revu à la baisse cette quantité de microplastiques ingérés hebdomadairement, sans pour autant parvenir à un consensus. En 2022, une étude scientifique2(*) a estimé qu'il faudrait 23 000 ans pour ingérer l'équivalent d'une carte de crédit. Une autre étude3(*) a évalué à 4 microgrammes par semaine l'ingestion de plastique, soit un million de fois moins. Une étude très récente4(*), réalisée à l'échelle de 109 pays à la fois industrialisés et en développement, a montré une forte exposition, évaluée à 500 milligrammes par jour dans les pays d'Asie du Sud-Est, en raison essentiellement de la consommation de fruits de mer.
Plusieurs intervenants ont donc insisté sur la nécessité d'améliorer les méthodes et processus analytiques. Guillaume Duflos a soulevé le problème de la contamination des échantillons analysés, compte tenu de l'utilisation massive d'objets en plastique dans les laboratoires. Il a également regretté la multiplication des formulations des matériaux plastiques qui amplifie les difficultés des travaux analytiques.
Fabienne Lagarde a constaté que les difficultés rencontrées pour appréhender les plastiques conduisaient à leur sous-évaluation, qu'il s'agisse des microplastiques ou, plus encore, des nanoplastiques.
Ø Une détection des nanoplastiques balbutiante
Guillaume Duflos a fait observer que la présence de nanoplastiques dans certains aliments comme le thé ou le riz avait été mise en évidence.
Xavier Coumoul a cité une étude5(*) - à confirmer - indiquant que les bouteilles d'eau en plastique contiennent 250 000 particules par litre, dont 90 % de nanoplastiques.
Toutefois, plusieurs intervenants ont concédé que la petite taille de ces particules et la diversité des environnements dans lesquels elles se trouvent posent un réel défi méthodologique pour leur détection et leur quantification. Sonja Boland a reconnu qu'on ne savait pas encore détecter les nanoparticules dans le poumon. Les nanoplastiques intéressent néanmoins les chercheurs dans la mesure où ils sont susceptibles de traverser la barrière intestinale ou encore l'épithélium et d'entrer dans la circulation sanguine pour atteindre des organes secondaires.
· Les limites des modèles utilisés dans les laboratoires
Plusieurs intervenants ont souligné les limites des modèles utilisés dans les laboratoires. Muriel Mercier-Bonin a regretté que dans la littérature scientifique, l'essentiel des travaux sont menés sur des particules commerciales, sphériques et essentiellement en polystyrène, ce qui ne correspond pas à ce qu'on trouve réellement dans l'environnement.
Or, comme l'a fait remarquer Sonja Boland, la toxicité des particules plastiques dépend de leurs caractéristiques physico-chimiques et de leur forme. Les fibres d'une certaine longueur peuvent induire une phagocytose frustrée : les macrophages n'arrivent pas totalement à ingérer les fibres trop grandes. Ceci peut provoquer une inflammation persistante.
Les doses utilisées en laboratoire sont souvent très élevées et les effets à long terme peu étudiés faute notamment de cohortes. Muriel Mercier-Bonin a ajouté que les études sont souvent réalisées sur des populations saines, alors qu'il faudrait les étendre aux populations à risque. Elle a ainsi expliqué que les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin - maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique - présentaient davantage de microplastiques dans leurs selles que les volontaires sains.
Au-delà de ces limites méthodologiques, les signaux d'alarme concernant les risques que font peser les plastiques particulaires sur la santé humaine se multiplient.
* 1 En 2019, le WWF avait alerté sur la quantité de plastiques ingérée par l'Homme, évaluée alors à 5 grammes par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit. En 2021, ces résultats avaient été confirmés par une étude de Kala Senathirajah et al. : « Estimation of the mass of microplastics ingested. A pivotal first step toward human health risk assessment. », Journal of hazardous Materials, volume 404, Part B, 15 February 2021.
* 2 Martin Pletz, « Ingested microplastics: Do humans eat one credit card per week ? », Journal of Hazardous Material Letters, Volume 3, November 2022.
* 3 Nur Hazimah Mohamed Nor et al., « Lifetime Accumulation of Microplastic in Children and Adults », Environmental Science and Technology, 2021, 55, 8.
* 4 Xiang Zhao, Fengqi You, « Microplastic Human Diatery Uptake from 1990 to 2018 Grew across 109 Major Developing and Industrialized Countries but can Be Halved by Plastic Debris Removal », Environmental Science and Technology, 2024, 58, 20.
* 5 Naixin Qian et al., « Rapid single-particle chemical of nanoplastics by SRS microscopy », Proceedings of the National Academy of Sciences, 16 January 2024.