TRAVAUX EN COMMISSION
Désignation d'un rapporteur (Mercredi 6 mars 2024)
M. Jean-François Longeot, président. - Avant de lever la séance, il reste encore un point à l'ordre du jour.
Nous devons en premier lieu procéder à la désignation d'un rapporteur sur la mission d'information relative à l'accès aux soins.
Ce travail prendra la forme d'un « droit de suite » du rapport d'information que notre collègue Bruno Rojouan a présenté en mars 2022, qui a dressé le constat implacable de l'aggravation des inégalités territoriales en matière d'accès aux soins et formulé de nombreuses recommandations audacieuses pour y répondre. Cette problématique chère à la commission a déjà fait l'objet de deux missions d'information, en 2013 et en 2020, dont j'avais d'ailleurs été rapporteur. Notre commission, forte de son expertise en matière d'aménagement du territoire, a su proposer des mesures courageuses et adaptées à l'éloignement médical vécu et ressenti par les Français pour tenter de remédier au fléau des déserts médicaux. Certaines ont été intégrées au moins partiellement dans la loi, j'en veux pour preuve la création d'une quatrième année d'internat pour les médecins généralistes. Cependant, des blocages structurels persistent et la situation ne présente malheureusement pas de signe d'amélioration.
C'est donc animé du même souci d'équité territoriale en matière d'accès aux soins que notre commission remet l'ouvrage sur le métier, pour répondre à la forte attente des élus locaux et des habitants.
Je vous propose de reconduire notre collègue Bruno Rojouan, que nous savons très investi sur ce sujet, à la fonction de rapporteur.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Table ronde « L'équité territoriale en matière d'accès aux soins » (Mercredi 27 mars 2024)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder un sujet de préoccupation majeure des Français, que notre commission expertise régulièrement depuis sa création : l'équité territoriale en matière d'accès aux soins. Cette politique publique entretient en effet des liens étroits avec l'aménagement du territoire, ce qui explique qu'elle soit devenue l'un des fils conducteurs de notre programme de contrôle de l'action du Gouvernement.
Dans la continuité de nos précédents travaux, la commission a acté la création d'une mission d'information sur ce sujet et désigné Bruno Rojouan rapporteur le 4 mars dernier. Cette initiative est un droit de suite à son rapport d'information de mars 2022, qui avait dressé le constat d'un renforcement des inégalités territoriales en la matière. La commission entend donc poursuivre son travail et s'interroge tout particulièrement sur les diverses évolutions qui ont pu intervenir depuis deux ans.
La situation ne s'est malheureusement pas améliorée : la démographie médicale continue de stagner, alors que la transformation de la pyramide des âges - baisse de la natalité et vieillissement de la population - modifie et accentue continûment les besoins d'accompagnement médical. Un changement structurel prendra du temps et il nous faut donc agir dans l'intervalle pour éviter une aggravation de la situation.
À cette situation générale préoccupante s'ajoutent les inégalités d'accès aux soins. Une fracture sanitaire et médicale se superpose aux fractures territoriales. Les mêmes territoires où les services publics disparaissent comptent un nombre insuffisant de professionnels de santé : certains de nos concitoyens se sentent donc abandonnés au sein des territoires désignés par l'opinion publique sous le vocable éloquent de « désert médical ». Je m'interroge par conséquent sur les mesures ciblées qui pourraient être prises afin de remédier aux difficultés rencontrées par les habitants des zones sous-dotées.
Les dernières lois de financement de la sécurité sociale et les lois dites Rist et Valletoux des 19 mai et 27 décembre 2023 ont proposé diverses solutions pour tenter de répondre aux difficultés actuelles, dont le bilan reste cependant à établir. Les évolutions législatives intervenues ces deux dernières années sont-elles en mesure d'améliorer l'accès aux soins, de faire baisser la durée moyenne d'attente avant prise en charge médicale et de réduire la distance par rapport au médecin ? L'organisation territoriale actuelle de l'offre de soins, notamment les diverses formes de regroupement médical qui existent, permet-elle de mutualiser du temps administratif et de libérer du temps médical au bénéfice des patients ?
J'ai le sentiment que nous sommes restés au milieu du gué et que la puissance publique n'a pas épuisé les solutions pour répondre aux attentes des habitants. Quelles mesures prendre pour renforcer l'arsenal normatif afin de mieux distribuer l'offre de soins dans les territoires et de remédier à certains déséquilibres ?
Je suis heureux d'accueillir Mme Julie Pougheon, conseillère spéciale de la directrice générale de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle et membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) chargée de la thématique de la désertification médicale, et M. Maxime Lebigot, co-président de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM).
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Dix ans : c'est le temps qu'il faut pour former un médecin. En matière d'accès aux soins, comme beaucoup d'entre nous l'annoncent, le pire est donc à venir, car nous payons encore les conséquences des décisions à courte vue du passé. Je pense, bien entendu, au fameux numerus clausus. J'ajouterais même que ces errements sont loin d'être terminés : en 2022, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche annonçait, dans ses prévisions, une stagnation du nombre de primobacheliers inscrits en première année dans une filière de santé d'ici à 2030. Les voies du Gouvernement sont parfois impénétrables. La situation est d'autant plus alarmante que les jeunes médecins ont une activité moins importante que celle des médecins qui partent à la retraite, car ils cherchent souvent un équilibre différent entre vie professionnelle et vie privée.
Ma première question s'adresse à Julie Pougheon : la DGOS est-elle impliquée, en partenariat avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans la fixation du nombre d'étudiants dans les filières de santé ? Le tir a-t-il été corrigé depuis les prévisions de 2022 ? Dans le cas contraire, toutes les mesures que l'on pourrait prendre seront autant de pansements sur une jambe de bois !
Par-delà cette question essentielle de la pénurie généralisée de professionnels de santé, il nous faut apporter des réponses face à la dégradation prévisible de la situation dans les dix prochaines années. En effet, si nous continuons ainsi, une part toujours plus élevée de nos concitoyens sera privée de médecin traitant et se verra contrainte de renoncer aux soins et d'attendre des mois pour accéder à un spécialiste.
Pour cela, il me semble nécessaire que les différentes professions de santé puissent décharger les médecins d'une partie de leur charge de travail. Il faut donc leur donner des compétences élargies. Je pense en particulier aux sages-femmes, aux infirmiers - notamment aux infirmiers en pratique avancée (IPA) -, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux pharmaciens.
De nombreuses dispositions allant dans ce sens ont été adoptées par le législateur, notamment dans les lois Rist et Valletoux. Une possibilité d'accès direct à certains IPA, orthophonistes et masseurs-kinésithérapeutes a également été ouverte. Le législateur avance sans doute à trop petits pas - sans parler du pouvoir réglementaire, qui tarde bien trop fréquemment à appliquer les textes votés par le Parlement - et il pourrait en résulter des incohérences dans les délimitations des compétences propres à chaque catégorie de professionnels de santé. Une clarification et une véritable remise à plat des compétences de chacun des professionnels de santé pourraient-elles être envisagées ? Quelles pourraient en être les grandes lignes ?
Pour faire gagner du temps aux médecins, il faut également les décharger des nombreuses tâches administratives, qui ne sont pas au centre de leurs compétences. Quel bilan tirer du plan de déploiement de 10 000 assistants médicaux d'ici à 2025 ? L'objectif sera-t-il tenu ? De nouvelles mesures pourraient-elles être envisagées ?
J'en viens maintenant à la question essentielle des disparités d'accès aux soins entre les territoires. On entend fréquemment que 87 % des Français vivent dans un désert médical, si bien que tout le monde serait mal loti... C'est une bonne excuse ! Cela justifierait de ne pas envisager de mesures de régulation de l'installation des médecins : on voudrait nous faire croire que, où qu'ils aillent, ils sont dans une zone insuffisamment dotée, à de rares exceptions près.
Je conteste cette acception de désert médical généralisé, véritable alibi de l'inaction, qui escamote les inégalités d'accès aux soins entre les territoires. En réalité, selon le lieu où l'on habite en France, on n'est pas soigné de la même façon.
Les diverses aides financières à l'installation versées depuis des années aux médecins ont d'ailleurs bien pour objectif de corriger ces distorsions. Leur pertinence me semble discutable, la littérature scientifique sur cette question tendant à montrer que leurs effets sont globalement décevants.
Quelles sont les zones les plus touchées aujourd'hui par la désertification médicale : les territoires ruraux, les petits pôles urbains, les banlieues les plus paupérisées de certaines grandes métropoles ? Quel bilan tirer des dispositifs incitatifs existants ? Quelles solutions spécifiques faut-il apporter face à cette situation ?
Une quatrième année de troisième cycle de médecine générale a été instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Les internes concernés sont-ils envoyés en priorité dans des zones sous-denses ? Quels effets de court et long terme attendre de cette mesure pour ces territoires ?
Il faut se détacher du corporatisme afin d'aborder la question des disparités territoriales dans l'accès aux soins sans aucun tabou. À cet égard, des mesures peut-être plus coercitives pourraient être envisagées en dernier recours. Une régulation globale de l'installation des professionnels de santé - qui existe déjà pour certaines professions - pourrait-elle être mise en oeuvre ?
Monsieur le président, vous avez soulevé ces interrogations par le passé, comme d'autres sénateurs avant moi. Chaque fois qu'un sénateur se déplace dans son territoire et rencontre un maire ou ses concitoyens, il est très rare que la question de l'accès aux soins ne soit pas abordée. C'est donc une priorité essentielle pour la Chambre des territoires.
Mme Julie Pougheon, conseillère spéciale à la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé. - Le sujet dont nous discutons est un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics en général et la DGOS en particulier. La tension sur le système de soins résulte en partie d'un effet ciseaux entre les difficultés de l'offre de soins et la demande croissante de soins liée au vieillissement de la population, aux besoins afférents en matière de suivi et de prévention, aux pathologies émergentes et au contexte environnemental. Les ressources médicales se raréfient et l'attractivité des professions de santé est un enjeu fondamental, y compris pour le maintien en exercice des soignants. Les établissements de santé sont fragilisés.
Il n'y a pas de solution miracle immédiate pour répondre à cette situation. Celle-ci nous oblige à mobiliser tous les leviers possibles, de façon cohérente pour en multiplier les effets. Nous devons poser les jalons d'une amélioration qui ne sera pas immédiate. Traiter ces questions prend en effet du temps. Toutefois, il faut agir. C'est le sens des lois récentes et de l'action du Gouvernement.
Nous avons trois leviers d'action principaux, le premier étant le levier démographique. Le numerus clausus a été remplacé par des objectifs nationaux pluriannuels d'admission en études de santé, travaillés au plus près des territoires et qui tiennent compte à la fois des besoins en offre de soins et des capacités de formation des universités, l'enjeu étant de maintenir une formation exigeante et de qualité tout en couvrant les besoins à venir. Ces objectifs sont fixés pour cinq ans, puis rediscutés annuellement notamment avec les agences régionales de santé (ARS) et, en leur sein, les conférences régionales de santé et de l'autonomie (CRSA). Ce travail va produire ses effets, mais il est un peu tôt pour les mesurer. L'enjeu est de mieux appréhender les besoins de santé et d'anticiper au maximum leur évolution.
Il faut agir aussi sur la répartition géographique des professionnels de santé sur le territoire. On parle beaucoup des déserts médicaux, mais cette notion recouvre des réalités bien différentes selon les territoires. La tension est maximale dans certaines régions. Nous devons trouver des leviers pour y attirer les professionnels. Toutes les études internationales montrent que le levier financier ne saurait être employé seul. Il faut aussi agir de concert avec les territoires, qui luttent pour attirer des professionnels. Les initiatives existantes doivent être mieux coordonnées entre les collectivités, l'assurance maladie et les ARS pour mettre en oeuvre des incitations à l'installation plus efficaces et mieux connues des étudiants. Nous devons y travailler ensemble, au plus près des territoires.
Le deuxième levier d'action, c'est le profil des étudiants en études de santé. Un biais de recrutement manifeste s'observe, notamment chez les médecins. Les étudiants en médecine sont majoritairement des enfants issus de familles de catégories socioprofessionnelles relativement aisées et plutôt des citadins de grande ville. Au moment de leur installation, ils se projettent donc plus difficilement dans des territoires qu'ils ne connaissent pas. Déplacer les formations au plus près des territoires et favoriser les stages dans les zones sous-denses contribuerait à créer des vocations pour des installations dans des territoires en difficulté.
La quatrième année de docteur junior de médecine générale a été créée. La première promotion d'internes concernés sortira en 2025. L'objectif est d'envoyer ces internes en stage prioritairement dans les zones sous-denses. Nous travaillons à un mécanisme d'incitation ad hoc.
Le troisième levier d'action est l'organisation des soins. L'aspiration des jeunes professionnels de santé en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale diffère de celle de leurs aînés. Ils souhaitent des conditions de travail plus facilement conciliables avec une vie de famille, et sont plus attirés par des structures d'exercice coordonné dans lesquelles ils pourront partager leur activité avec d'autres professionnels de santé. Ce mouvement est fortement soutenu par les pouvoirs publics depuis plusieurs années, comme en témoigne le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et des centres de santé. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) visent aussi à sortir les professionnels de santé de leur isolement, en leur apportant des réponses pour leurs patients.
Il faut également continuer à renforcer le lien entre la médecine de ville, l'hôpital et les établissements médico-sociaux. L'absence de communication et les cloisonnements qui subsistent entre ces acteurs compliquent le parcours de soins des patients. Les CPTS, en structurant la médecine de ville, faciliteront le dialogue. En effet, les hôpitaux pourront passer par elles pour s'adresser aux professionnels de leurs territoires. Il s'agit toutefois d'un travail de longue haleine.
Il faut aussi continuer à consolider l'évolution des prises en charge. Les textes réglementaires à venir concrétiseront les dernières avancées législatives. Il faut libérer du temps médical et recentrer les médecins sur les actions médicales à forte valeur ajoutée, en mobilisant d'autres professionnels de santé ayant la compétence nécessaire pour les décharger ou pouvant l'acquérir. Les médecins doivent être aidés non seulement pour l'exécution de leurs tâches administratives, mais aussi pour leur activité quotidienne, notamment par des assistants médicaux. Plus de 6 000 assistants médicaux sont comptabilisés aujourd'hui. L'objectif de 10 000 assistants médicaux d'ici à 2025 est donc atteignable. Ces nouveaux métiers - assistants médicaux, IPA - interviennent en complémentarité de l'action du médecin pour faciliter les prises en charge et offrir des interlocuteurs de proximité aux patients, notamment aux patients souffrant d'une affection de longue durée (ALD), dont le nombre croît, pour un suivi régulier ne nécessitant pas systématiquement la mobilisation d'un médecin.
Les nouvelles technologies peuvent aussi apporter des réponses, en particulier le développement de la télémédecine et des téléconsultations, à condition que cela se fasse dans des conditions satisfaisantes. La télésurveillance et la téléexpertise sont également des réponses utiles, notamment dans les territoires ruraux, pour les médecins généralistes qui se retrouvent seuls avec une patientèle qu'ils peuvent difficilement orienter vers des spécialistes.
L'ensemble de ces leviers d'action doit être activé, l'enjeu étant de conserver une prise en charge de qualité pour tous les patients.
M. Jean-François Longeot, président. - J'avais formulé des préconisations du même ordre dans mon rapport d'information de janvier 2020 sur les déserts médicaux...
Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire) et membre du conseil d'administration de l'AMRF. - L'Association des maires ruraux de France (AMRF) rassemble 12 000 communes de moins de 3 500 habitants. Les problèmes d'accès aux soins sont apparus dans le monde rural longtemps avant de gagner le reste du territoire. Nous trouvons le temps très long, car nous entendons toujours les mêmes annonces, alors que, sur le terrain, rien ne bouge.
L'AMRF a souhaité démontrer les conséquences de la désertification médicale sur les habitants. Pour ce faire, plusieurs études ont été menées entre 2020 et 2023 avec Emmanuel Vigneron, géographe, historien, spécialiste des questions de santé et membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Leurs résultats sont édifiants. Les écarts entre le secteur rural et le secteur urbain en matière d'espérance de vie sont de 2,2 années pour les hommes et 0,9 année pour les femmes. Plus de la moitié des médecins du monde rural ont plus de 55 ans et sont donc proches de la retraite. Plus de 10 millions de Français se trouvent dans un territoire où l'accès aux soins est inférieur à la moyenne nationale. Le taux d'intervention du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur), qui intervient en l'absence de toute autre solution, est supérieur de 25 % en milieu rural. L'activité des pompiers a crû de 15 % entre 2015 et 2020. Leur principale activité est désormais le secours à la personne. Plus de 10 % de la population vit à plus de trente minutes d'un service d'urgences.
Nous avons mené une étude sur la répartition des médecins en France. Le monde rural représente 30 % de la population française, mais seulement 25 % des médecins généralistes. En ruralité, un médecin couvre 30 kilomètres carrés, contre seulement 5 kilomètres carrés en secteur urbain. Pas moins de deux bassins de vie ruraux sur trois manquent de médecins généralistes. La moyenne nationale en 2022 était de 0,83 médecin pour 1 000 habitants. Il manquerait plus de 6 000 médecins pour atteindre l'objectif, déjà peu ambitieux, d'un médecin pour 1 000 habitants.
Plusieurs cartes disponibles sur notre site internet montrent la répartition des médecins sur le territoire français. Les médecins généralistes comme spécialistes se concentrent sur les côtes françaises, dans les Alpes, en Alsace, en région parisienne et, globalement, dans les métropoles.
Le monde rural recense, à âge et sexe égaux, 14 200 décès supplémentaires par an par rapport à ce qui serait attendu si l'espérance de vie y était identique à celle des villes. L'espérance de vie s'est améliorée deux fois plus vite à la ville qu'à la campagne depuis 1990.
On découvre aussi une territorialité des inégalités. Des différences majeures s'observent à l'intérieur des départements, notamment entre centre et périphérie. Au centre se trouvent les villes, sièges de la concentration des services, notamment de santé. Plus l'on s'en éloigne, plus la situation est difficile. Des zones de surmortalité se retrouvent à la limite des départements, parfois à cheval sur deux ou trois départements. Ces secteurs sont complètement laissés pour compte.
En 2023, nous avons travaillé sur la consommation de soins hospitaliers. Les habitants du monde rural consomment 20 % de soins hospitaliers de moins que les habitants des milieux urbains denses, jusqu'à 30 % de séances de dialyse en centre et de chimiothérapie de moins et 12 % de courts séjours hospitaliers de moins. La distance joue un rôle majeur dans ce domaine, en lien avec la rareté des médecins traitants.
Notre dernière étude porte sur les 250 jeunes Français qui, n'ayant pas réussi les examens d'entrée en faculté de médecine en France, sont partis étudier la médecine en Roumanie. Ils paient cher leurs études et rencontrent des difficultés pour revenir en France. Il pourrait être judicieux de faciliter leur retour, en leur donnant accès plus facilement à un stage pour leur internat ou en modifiant les dates des concours.
Le secteur rural est en grande difficulté. Ma commune se trouve en zone d'intervention prioritaire (ZIP). La semaine dernière, un résident de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est décédé à 100 mètres de cette structure. En l'absence de médecin disponible pour constater le décès, le service d'aide médicale urgente (Samu) nous a dit qu'il fallait le ramener dans sa chambre et qu'un médecin de garde passerait le soir. C'est inacceptable ! Les gendarmes ayant refusé, ce brave homme est resté couché presque trois heures sur la route le temps qu'un médecin arrive et que les pompes funèbres l'emmènent. Voilà la réalité dans les territoires. La disposition de la loi Valletoux qui donne aux infirmières la possibilité d'établir un constat de décès n'est pas encore opérationnelle, car la formation des infirmières prend du temps. Il faudrait aller plus vite, car le temps est trop long.
Les textes se succèdent. Nous parlons toujours des mêmes sujets, sans que rien n'avance. J'ai en tête l'exemple d'un couple de personnes âgées de ma commune. Lui, souffrant de la maladie de Parkinson, a vu son médecin traitant partir en retraite sans qu'aucun remplaçant se présente. La neurologue de l'hôpital qui le suit, en congé maternité, n'est pas remplacée. Que peut-il faire, en pareil cas ? Et le maire que je suis n'a pas de solution à proposer.
L'AMRF s'est associée à 35 organisations du monde de la santé pour présenter des propositions consensuelles en vue des élections présidentielle et législative. Celles-ci incluaient notamment l'organisation de stages pour les étudiants en santé hors des lieux de formation initiale, en particulier dans le monde rural, où les collectivités pourraient s'engager à aider pour l'hébergement et le transport. Ce serait l'occasion de leur faire découvrir nos territoires. Des équipes de soins coordonnées autour du patient (Escap) pourraient également être constituées, ainsi que des guichets uniques départementaux pour l'accompagnement à l'installation des professionnels de santé. Nous pourrions aussi aller jusqu'à une répartition territoriale des soignants. Enfin, de nouvelles manières de pratiquer pourraient être développées en favorisant l'exercice mixte ville-hôpital et le partage de compétences entre professionnels, afin d'assurer une prise en charge rapide et de proximité.
M. Jean-François Longeot, président. - Votre témoignage de terrain, madame le maire, illustre parfaitement la problématique qui nous réunit ce matin. Nos concitoyens se plaignent régulièrement de ces problèmes récurrents. Il est donc urgent d'agir !
M. Maxime Lebigot, co-président de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM). - Je tiens à vous remercier de votre invitation au nom de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux, une association créée en 2016 en Mayenne par mon épouse et moi-même sur le fondement d'un simple constat : notre fils de cinq mois à l'époque n'avait pas de médecin traitant.
En 2016, en effet, après avoir contacté l'ensemble des médecins généralistes de l'agglomération lavalloise, on nous a demandé de joindre l'ARS des Pays de la Loire, désignée comme seule responsable de la démocratie sanitaire et de la démographie médicale du territoire. Celle-ci nous a répondu que nous n'avions qu'à nous rendre aux urgences pédiatriques pour assurer le suivi médical de notre fils, une réponse qui nous a paru totalement inacceptable.
La situation de la métropole lavalloise n'est pas isolée : notre association est désormais présente dans dix-neuf départements. Toutes nos antennes locales dressent le même constat : il existe une mauvaise répartition des médecins, généralistes et spécialistes, sur le territoire.
En 2023, selon les derniers chiffres, la France compte 230 000 médecins sur son territoire, tandis qu'un tiers des Français vit dans un désert médical. Dans votre rapport d'information, monsieur Rojouan, vous précisez que 9 millions de nos compatriotes, dont 720 000 personnes atteintes d'une ALD, n'ont pas de médecin traitant.
D'après les projections dont nous disposions en 2016, année au cours de laquelle j'ai fondé cette association, la courbe devait s'inverser à compter de 2025. Or on sait aujourd'hui que la situation continuera d'empirer pendant encore une bonne dizaine d'années. Il faut s'attendre à ce que de nombreux bassins de vie soient abandonnés dans les dix ans à venir : c'est une décennie noire, n'ayons pas peur des mots !
Comment l'expliquer ? Tout d'abord, la mise en place d'un numerus clausus en 1974 pour réduire la consommation de soins et, donc, les dépenses de santé s'est révélée tout simplement aberrante, dès lors que l'on savait très bien que la population française vieillissait.
Aujourd'hui, les visites à domicile se raréfient ; les distances parcourues par de nombreux Français pour se soigner s'allongent presque mécaniquement ; les délais d'attente s'accroissent également. Pour ne citer que ces deux exemples, pour les habitants de la Mayenne, il faut en moyenne près d'un an pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste et près d'un an et demi pour un rendez-vous d'orthodontie - et encore, en dehors du département ! Cette situation est préjudiciable, puisqu'elle suscite des retards de prise en charge des soins. À cela s'ajoutent la mode du déconventionnement, le refus de prise en charge de nouveaux patients par de nombreux médecins, qui veulent prendre le temps nécessaire pour soigner ceux dont ils s'occupent déjà - et c'est tout à leur honneur ! -, et les dépassements d'honoraires pratiqués par de nombreux spécialistes.
En zone rurale, la population masculine a en moyenne deux années d'espérance de vie en moins que sur le reste du territoire ; cet écart s'élève à un peu moins d'un an pour les femmes.
Il ne faut pas oublier les médecins qui sont actuellement en activité : ceux-ci sont surchargés de travail et prennent des risques pour leur propre santé.
Je rappelle que le droit à la santé figure dans notre Constitution ; cette pénurie médicale correspond donc à une rupture du pacte républicain. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 139 médecins généralistes pour 100 000 habitants en moyenne dans les Hautes-Alpes ou 124 médecins pour 100 000 habitants dans les Alpes-Maritimes, quand on ne compte que 62 médecins pour 100 000 habitants dans la Sarthe et 65 médecins pour 100 000 habitants dans mon département, la Mayenne. L'inégalité d'accès aux soins concerne l'ensemble de notre territoire.
Je tiens aussi à souligner que nos services d'urgence sont surchargés. En outre, on nous demande de mettre en place des services d'accès aux soins (SAS), alors que seul un tiers des médecins accepte d'y participer.
Mon association en appelle au courage politique, le courage de réguler l'installation des médecins, ne serait-ce que temporairement, en les décourageant de s'implanter dans des zones suffisamment dotées. Nous devons mieux répartir nos médecins sur le territoire, comme c'est le cas d'autres professions. Si l'on prend l'exemple des pharmaciens, il faut admettre que ceux-ci sont bien mieux répartis sur le territoire national que les médecins, même s'ils souffrent aujourd'hui, comme nos concitoyens, de la disparition des cabinets médicaux.
Une politique garantissant aux Français un accès équitable aux soins et aux mesures de prévention commence par l'application d'un principe simple : un médecin pour chaque Français. Ayons le courage politique de faire passer certaines mesures, qui peuvent certes déplaire à 230 000 personnes, mais qui sont dans l'intérêt de 19 millions de Français.
M. Stéphane Demilly. - Nous traitons aujourd'hui d'un problème que chacun d'entre nous connaît par coeur tant il a été évoqué, un problème qui s'aggrave au fil des années et dont aucune politique publique n'est venue à bout : les déserts médicaux.
Ces déserts concernent une commune sur trois en France, soit 8 millions de personnes. Les écarts de densité entre départements varient d'un à trois pour les médecins généralistes et d'un à huit pour les spécialistes. Près de 227 000 médecins exercent aujourd'hui leur métier sur le territoire national, dont 45 % de médecins libéraux - la part des hospitaliers ne cesse cependant de progresser. Parmi ces praticiens libéraux, un tiers d'entre eux a plus de 60 ans. À population égale, il y a par exemple quatre fois plus de dentistes dans les Alpes-Maritimes que dans la Somme.
Je pourrais évoquer aussi les insupportables différences de densité médicale pour ce qui est des cardiologues, des dermatologues, des gynécologues ou encore des ophtalmologistes, pour lesquels il faut en moyenne 80 jours pour obtenir un rendez-vous - il faut même plusieurs mois dans mon département de la Somme.
Je l'ai dit, les politiques publiques de lutte contre les inégalités territoriales n'ont pour l'instant pas porté leurs fruits. Ce n'est pas faute d'avoir essayé et d'avoir testé différentes formes de « câlinothérapie » - je pense notamment à diverses incitations à l'installation des médecins. Mais, à l'évidence, dérouler tous ces tapis rouges n'a pas suffi et nous nous trouvons aujourd'hui au milieu du gué.
Les gouvernements successifs ont toujours évité de retenir les solutions les plus volontaristes. La fracture sanitaire s'accroît à toute vitesse, notamment dans nos territoires ruraux ; elle s'ajoute à la panoplie des difficultés de mobilité, d'accès au numérique et d'accès aux services publics. Ce sentiment d'abandon se traduit par des cris de colère électorale et parfois, pour ne pas dire souvent, par un renoncement aux soins. À cet égard, le témoignage de Mme le maire de La Gresle m'a beaucoup ému.
J'en viens à ma question : considérant que ce triste spectacle est essentiellement financé par de l'argent public, que ce soit par les impôts pour les études des futurs praticiens ou via les cotisations sociales pour le fonctionnement général du système de soins, ne pensez-vous pas qu'il est plus que temps d'avoir recours à des solutions coercitives, de lancer des états généraux et, au risque de jeter un pavé dans la mare, d'utiliser le levier du conventionnement des futurs praticiens, de sorte que le mot « égalité », inscrit sur le frontispice de chacune de nos mairies, s'applique de nouveau à l'accès aux soins ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Je comprends parfaitement que ce misérabilisme ne plaise pas au nouveau ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, mais force est de constater que la situation ne s'arrange pas, ce que chacun, ici, confirmera.
La Charente, mon département, n'est pas épargnée par le phénomène de désertification médicale. En effet, elle occupe toujours l'une des dix dernières places du classement des déserts médicaux en France. En début d'année, c'est la maternité du centre hospitalier d'Angoulême, la maternité de Girac, qui a frôlé la fermeture, faute de gynécologues obstétriciens.
Parallèlement à la raréfaction de cette catégorie de médecins, nous constatons l'envolée du prix des soins en 2024. Selon l'association UFC-Que Choisir, plus de 70 % des gynécologues médicaux réalisent des dépassements d'honoraires. Cette aridité financière s'ajoute au désert et constitue, en définitive, une double peine pour les femmes.
Selon la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, 67 % des femmes vivent dans un désert médical. Or, vous le savez, le suivi réalisé par un gynécologue médical est irremplaçable pour le suivi global de la santé des femmes : dépistage cardiovasculaire, ostéoporose, prise en charge de l'infertilité, délivrance de moyens de contraception, suivi de la ménopause, etc. Ces actes essentiels ne sont plus assurés par manque de médecin ou de moyens financiers. Si le dépistage du cancer du col de l'utérus peut être assuré par des sages-femmes ou des médecins généralistes, ces derniers ne remplacent bien évidemment pas un gynécologue médical.
Madame Pougheon, en 2021, la délégation aux droits des femmes du Sénat a publié un rapport d'information remarquable, qui comporte des recommandations solides pour améliorer l'accès aux soins des femmes, telles que la médecine itinérante ou le plafonnement du nombre d'installations par département. Sur quelles solutions le ministère planche-t-il pour améliorer la santé des femmes dans les déserts médicaux ?
Par ailleurs, un récent rapport de l'Académie nationale de médecine plaide pour ce qu'elle nomme un réalisme fondé « non pas sur le maintien illusoire des petites structures, mais sur une réduction du nombre de maternités. » Ainsi, les maternités qui réalisent moins de 1 000 naissances devraient fermer au profit d'une réorganisation globale de l'offre de soins territoriale.
Si ce dossier est sur la table du Gouvernement, il me semble indispensable de développer en amont, et avant la fermeture desdites petites structures, la mise en place de centres périnataux de proximité et d'hôtels hospitaliers proches des maternités pour les femmes en fin de grossesse.
Le nombre de naissances en dehors d'une ville disposant d'une maternité est en constante augmentation, ce qui traduit l'existence d'un risque accru pour la santé des femmes, qui ne parviennent pas toujours à se rendre à temps à la maternité. Certains habitants de mon département m'ont fait part de problèmes de ce genre, c'est-à-dire de femmes qui ont dû accoucher dans des ambulances ou au bord de la route.
Avez-vous connaissance de ce dernier rapport de l'Académie nationale de médecine ? Quelle politique périnatale entendez-vous mettre en oeuvre dans les territoires sous-dotés ? Un « plan rose » est-il à l'étude à l'échelle nationale ?
M. Pierre Barros. - On le sait, la situation est mauvaise. La situation de la médecine de ville, notamment, s'est fortement dégradée. Vous évoquiez tout à l'heure, madame Pougheon, l'hypothèse de faire venir ou de faire revenir des étudiants qui font leurs études à l'étranger. Je citerai à ce propos l'exemple du centre hospitalier de Gonesse dans le Val-d'Oise, département dont je suis sénateur, où 60 % des médecins sont des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Beaucoup d'entre eux sont en situation irrégulière et font l'objet d'une obligation de quitter le territoire, ce qui provoque des situations ubuesques. Nous devons batailler avec les services de l'État pour conserver ces praticiens, qui sont pourtant essentiels, puisque ce sont eux qui font tourner les services.
J'en reviens à la question des parcours de soins : ces derniers débutent toujours par le prescripteur de base qu'est le médecin généraliste de ville. Aussi, quand il vient à manquer, c'est toute la chaîne de soins qui s'effondre.
Aujourd'hui, il existe plusieurs dispositifs permettant de répondre aux besoins et aux demandes des futurs médecins à la sortie de leurs études. On a oublié que les centres municipaux ou intercommunaux de santé, par exemple, peuvent faire partie de la solution. À l'issue d'une réflexion assez poussée sur le sujet, j'ai moi-même contribué à la mise en place d'un centre intercommunal de santé dans ma ville, pour remédier aux départs à la retraite successifs de tous les médecins qui exerçaient sur le territoire. Sans réaction de notre part, nous nous serions retrouvés avec un bassin de vie de près de 25 000 habitants n'ayant plus aucun médecin.
Nous avons pris cette initiative après que plusieurs élus locaux, dont je fais partie, ont été informés d'un certain nombre d'expériences, souvent malheureuses, qui ont consisté pour certaines communes à aller chercher des médecins dans les villes voisines, des démarches qui ont évidemment contribué à renforcer la concurrence entre les collectivités. Cette solution, évidemment inadmissible, s'est de surcroît révélée inefficace, parce qu'en définitive les médecins se déplacent avec leur patientèle.
Je pense aussi aux maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Ce type de structure s'inscrit dans une logique concurrentielle rude, qui s'apparente à une foire d'empoigne. Dès lors qu'ils sont désirés, certains médecins deviennent des « mercenaires », qui font monter les enchères avant de s'installer chez le plus offrant ou dans la commune dont les conditions d'accueil sont les plus favorables.
Les centres municipaux de santé sont très intéressants, parce qu'ils permettent à certains médecins, qui en expriment le besoin, d'acquérir le statut de salarié et de changer leur manière d'exercer leur métier. Ils bénéficient d'un accompagnement administratif complet ; ils font aussi partie d'une communauté de médecins qui travaille de manière collaborative, ainsi que d'une équipe pluridisciplinaire composée, entre autres, de médecins spécialistes et d'infirmiers.
Le seul problème est qu'il existe un reste à charge, qui décourage souvent les professionnels de santé. Nous souhaitons que l'État et les ARS accordent une subvention d'équilibre permettant aux collectivités de financer l'intégralité de ces centres de santé et les incitant à se lancer dans l'aventure. Cet axe de travail me semble crucial pour l'avenir.
Mme Julie Pougheon. - Chacun s'accorde sur le constat suivant : il existe aujourd'hui un problème d'attractivité des professions de santé en général et un problème d'attractivité plus spécifique à la médecine générale de ville.
Monsieur Demilly, la difficulté que posent les mesures de coercition, c'est que l'on risque de détourner d'éventuels candidats à l'installation en ville vers d'autres modes d'exercice, soit dans des établissements de santé, soit vers d'autres spécialités, en sachant que la médecine générale est l'une des moins prisées par les étudiants en médecine.
La coercition est un levier à manipuler avec précaution si l'on ne veut pas faire fuir de futurs candidats à l'exercice de la médecine. Le choix qui a été fait jusqu'à présent est de recourir à d'autres leviers pour tenter de ramener des professionnels de santé vers des territoires sur lesquels ils ne s'installent pas aujourd'hui.
J'entends et je mesure évidemment l'impatience des territoires confrontés à ces problèmes, territoires où les populations éprouvent les plus grandes difficultés pour accéder aux soins. Pour autant, je le redis, le pari qui a été fait à ce stade consiste à manipuler simultanément divers leviers d'action.
Vous l'avez dit, monsieur Barros, certains territoires en difficulté se livrent à une concurrence délétère : ils rivalisent d'inventivité pour tenter d'attirer des professionnels de santé. Il est essentiel que nous parvenions à coordonner cette action et à fixer, à l'échelle d'un territoire, des règles permettant d'attirer des professionnels, sans pour autant alimenter cette concurrence qui, en définitive, a des effets inverses de ceux qui sont escomptés.
Madame Bonnefoy, il existe, comme vous l'avez rappelé, une démographie médicale tendue, avec des spécialités qui souffrent de déficits importants. Vous avez cité la gynécologie médicale. Les gynécologues médicaux sont en effet de moins en moins nombreux. C'est une profession qui n'attire plus, notamment parce qu'il s'agit de l'une des spécialités médicales les moins rémunératrices. Ce problème est bien identifié et l'assurance maladie réfléchit, en lien avec les médecins, au meilleur moyen de la revaloriser, tout comme elle le fait pour la pédiatrie.
Vous l'avez souligné, une autre solution consisterait - nous y travaillons actuellement - à recourir à ce que vous avez appelé la médecine itinérante. Plusieurs dispositifs sont en cours d'expérimentation ou de déploiement.
Vous le savez aussi, Mme Agnès Firmin Le Bodo avait lancé un programme de déploiement de médicobus, qui ont vocation à se déplacer dans les zones rurales pour offrir aux habitants une médecine générale de proximité. Une trentaine de ces bus circule ou est en passe de circuler à travers le territoire. Nous évaluerons l'intérêt de cette mesure pour déterminer s'il convient de poursuivre dans cette voie ou, au contraire, si la réponse apportée est insuffisante.
Par ailleurs, nous travaillons sur la notion de consultation avancée, notamment dans le cadre de discussions conventionnelles avec les représentants des professions de santé : il s'agit de permettre à des médecins qui exercent sur un territoire donné d'aller exercer une journée par semaine dans un territoire sous-doté, afin de permettre à la population de ce territoire d'avoir accès à une spécialité qui n'existe plus chez elle. Un tel projet implique une mutualisation des locaux où des médecins spécialistes de territoires environnants viendraient délivrer, à tour de rôle, des consultations et effectuer des actes de second recours auprès de populations qui ne disposent plus de spécialistes de proximité.
On constate qu'un généraliste ne s'installe pas sur un territoire où il n'y a plus de spécialistes, parce qu'il sait par avance que ses patients rencontreront des difficultés d'accès aux soins. L'enjeu consiste donc tout autant à faire revenir des spécialistes qu'à attirer les médecins généralistes au plus près des territoires.
Tels sont les axes de travail que nous explorons actuellement.
S'agissant des maternités, madame Bonnefoy, il existe effectivement un problème propre aux petites maternités. Les difficultés ne datent d'ailleurs pas d'hier. À ce titre, nous avons déjà mis en place un dispositif « engagement maternité », dispositif d'hébergement temporaire qui permet à des femmes pour lesquelles la maternité de référence est située à plus de cinquante kilomètres de leur domicile d'être prises en charge dans un lieu se situant à proximité de ladite maternité, et ce à quelques jours du terme de leur grossesse.
Ce dispositif existe depuis au moins deux ou trois ans ; son succès dépendra notamment de la capacité des médecins de ville et des gynécologues de s'en emparer pour le proposer à leurs patientes. Certes, il ne remplacera pas la gynécologie de proximité, mais il s'agit tout de même d'une expérimentation intéressante.
Je conclurai en vous répondant, monsieur Barros, que les centres de santé, qu'ils soient municipaux ou intercommunaux, se développent grâce à un soutien résolu des pouvoirs publics. Ce modèle est attrayant pour certains professionnels, parce qu'il repose sur le salariat et le travail en équipe. Les médecins n'y sont pas isolés et bénéficient par ailleurs d'un soutien administratif important. Les centres de santé assurent aux patients un accès aux soins sans avance de frais, ce qui est primordial pour certaines populations de certains territoires.
Seul bémol, le modèle économique des centres de santé reste fragile : ces centres ont du mal à atteindre l'équilibre financier. Les dernières négociations conventionnelles avec l'assurance maladie ont certes permis d'augmenter de 25 % le financement forfaitaire des centres de santé, mais on voit bien que certains d'entre eux sont toujours en difficulté.
Le Gouvernement a récemment demandé à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de formuler des recommandations pour renforcer la viabilité du modèle économique de ces centres, un modèle de soins auquel nous croyons, tant pour les professionnels que pour les patients. Ce rapport devrait être remis prochainement.
J'ajoute que ce modèle est étudié dans le cadre des expérimentations dites « de l'article 51 », qui permettent de tester des dispositifs innovants, comme le sont les centres de santé sexuelle ou les centres de santé communautaire, lesquels apportent des réponses spécifiques à des populations hors normes du point de vue de l'accès aux soins.
M. Pierre Barros. - L'enjeu consiste à trouver la bonne formule pour encourager une démarche vertueuse qui profite à tous et ramène de nouveaux médecins dans des territoires sous-dotés. Les solutions passeront, de mon point de vue, par des efforts supplémentaires de la part de la puissance publique.
M. Jean-François Longeot, président. - Je comprends les difficultés qu'il peut y avoir à prendre des mesures coercitives, mais le rapport d'information de Bruno Rojouan montre bien qu'il pourrait être intéressant d'opérer une sélection des futurs médecins appelés à exercer dans des territoires sous-dotés, en amont de la fin de leurs études. La mise en oeuvre d'une telle mesure, loin d'être simple à mettre en place, me semble néanmoins intéressante.
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Je plaide pour la mise en place de quotas - j'ose le terme. On pratique bien la discrimination positive dans certaines grandes écoles : pourquoi ne pas assumer cette politique volontariste dans le domaine de la médecine ?
Les statistiques montrent que les médecins qui s'installent dans les territoires ruraux sont, en règle générale, issus eux-mêmes de territoires ruraux. Il faudrait que, dans le cadre de la présélection que nous envisageons de mettre en place lors des études de médecine, on identifie un certain nombre de jeunes étudiants susceptibles de s'installer dans ce que l'on appelle les déserts médicaux. Les quotas me semblent, de ce point de vue, être l'une des solutions à la crise actuelle.
J'ouvre une parenthèse, mes chers collègues : je m'interroge sur l'intérêt de continuer à utiliser l'expression de « désert médical ». Cette expression est en effet régulièrement détournée de son sens premier au point que, quand on discute avec de jeunes médecins ou des étudiants en médecine, ils n'en retiennent que la notion de « désert ». Pour eux, il n'y a rien dans ces territoires, ce qui ne les incite pas à s'y installer. Nous devrions commencer par changer de vocabulaire.
Une deuxième solution consisterait à délocaliser les formations dans les territoires sous-dotés, ce qui impliquerait de modifier le cycle universitaire. La coercition ne doit pas être considérée de manière étroite : elle consiste avant tout à avoir le courage de prendre des décisions en amont.
Autre principe évident à respecter : compte tenu de la très longue durée du cycle de formation, il ne faut pas changer les règles en cours de route. Peut-être faudrait-il prévoir dès le début des études de médecine deux voies distinctes : une voie pour des étudiants qui, à l'issue de leurs études, conserveraient une liberté totale d'installation, comme c'est le cas aujourd'hui, et une seconde voie, qui présenterait l'intérêt d'offrir un certain nombre d'avantages à ceux qui la choisiraient, et qui reposerait sur une obligation d'installation, pendant un certain nombre d'années, dans un certain nombre de territoires sous tension.
Le champ d'études est vaste : c'est tout l'enjeu du travail que nous mènerons collectivement sous la houlette du président Jean-François Longeot.
M. Fabien Genet. - How dare we ? Comment ose-t-on encore parler d'équité territoriale en matière d'accès aux soins ? En effet, nous sommes désormais dans une situation de totale iniquité ; nous sommes même entrés dans la phase ultérieure, celle de l'impossible accès aux soins. De ce point de vue, je souscris pleinement au tableau extrêmement sombre, et malheureusement très réaliste, que les différents intervenants viennent de dresser.
La situation actuelle est indigne de notre pays, de ses valeurs, de ses principes, de son rang et de sa puissance économique, parce qu'il y va de notre bien le plus précieux, la santé, parce que la situation se dégrade depuis au moins quinze ans et que ce sont les plus fragiles, les plus vulnérables de nos concitoyens qui, peu à peu, ne réussissent plus à se faire soigner.
Dans cet hémicycle, dans cette commission plus particulièrement, nous avons la volonté de trouver les solutions les plus efficaces possible et d'améliorer les dispositifs existants. Madame Pougheon, je me dois cependant de relayer la colère, la rage et le désespoir que ressentent les habitants d'un certain nombre de territoires. N'y voyez rien de personnel, mais nous en avons assez d'entendre des discours cliniques concluant à l'absence de solution magique et à la nécessité d'être patient... J'ai moi-même été maire avant d'être sénateur : cela fait quinze ans que j'entends ce type de discours ! Ma commune de Digoin, en Saône-et-Loire, a perdu la moitié de ses médecins en 2015. À l'époque, c'était déjà le discours que l'État tenait. Ce n'est plus possible !
Beaucoup de nos concitoyens ne parviennent plus à trouver de médecin, non seulement à côté de chez eux, mais parfois à trente ou à cinquante kilomètres de leur domicile : ils expriment leur rage, leur désespoir directement auprès des derniers médecins présents sur le territoire, auprès des secrétaires médicales, qui sont en première ligne et qui n'en peuvent plus.
Il est temps d'en finir avec les discours policés et de faire entendre cette colère. Manifestement, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce qui se passe sur le terrain, alors même que les choses empirent au fil du temps - on le sait très bien. M. Lebigot a du reste parlé à juste titre de décennie noire.
Il n'est plus possible de faire comme si tout cela n'existait pas, parce que les gens finiront par se révolter. Ils commencent d'ailleurs déjà à le faire : j'en veux pour preuve la maison de santé pluriprofessionnelle située près chez moi, dont on a dû protéger les locaux avec divers dispositifs de protection, des barrières en plexiglas, etc.
Les collectivités locales en sont maintenant réduites à faire de la surenchère pour attirer les médecins : on multiplie les bourses, on déroule le tapis rouge. C'est du grand n'importe quoi !
Permettez-moi d'évoquer la cartographie des aides, matérialisée par les fameuses zones d'intervention prioritaire (ZIP) et zones d'action complémentaire (ZAC) : celles-ci sont fixées chaque année par un arrêté du directeur général de l'ARS. Malheureusement, on s'aperçoit à l'usage que, pour pouvoir classer un territoire en ZIP, il faut en déclasser un autre... Le Gouvernement est-il prêt à faire sauter ce verrou ?
Madame Pougheon, vous avez parlé du numerus clausus, en rappelant qu'il fallait bien sûr prendre en considération les besoins, mais également les capacités de formation. Au regard de l'enjeu que cela représente, pouvez-vous fournir des chiffres précis sur l'augmentation du nombre de médecins formés ? En quoi les capacités de formation brident-elles aujourd'hui l'augmentation du nombre de médecins formés ? Le ministère envisage-t-il d'augmenter ces capacités de formation ?
Mon département a eu les plus grandes difficultés pour accueillir les médecins étrangers qui ont souhaité s'y installer : il faut parfois plus d'un an pour que les commissions d'autorisation d'exercice rendent leurs décisions. Je sais que ces commissions sont débordées, mais je me demandais si le stock des dossiers en instance s'amenuisait réellement. Que fait le ministère pour améliorer les choses ?
Enfin, je ne comprends pas que vous parliez, madame Pougheon, de coercition. Le ferait-on au sujet d'un professeur que l'on affecte dans un collège ou dans un lycée, ou d'un pilote de chasse qui pose son avion sur une base aérienne ? N'oublions pas que notre système de santé est très largement administré et financé par les deniers publics : ne pourrait-on pas simplement parler d'affectation des moyens en fonction des besoins ?
M. Simon Uzenat. - Nous sommes nombreux à partager les propos de notre collègue Fabien Genet. Je crois pouvoir dire, sans exagérer, que l'heure est grave. Et cela fait maintenant plusieurs années que ce constat est dressé et vécu sur le terrain. Au-delà même de cette audition, il conviendra certainement d'aller plus loin et plus vite sur ce sujet.
Je souhaiterais revenir sur différents points.
S'agissant du destin des territoires ruraux, il a été question de la diminution de l'espérance de vie de leurs habitants, mais il importe aussi de déplorer les pertes de chance, notamment celles que subissent les patients qui n'ont pas d'accès aux urgences ou qui font appel à des Smur qui se situent à plus d'une heure de route de chez eux. Ces personnes ont moins de chances que les autres d'être pris en charge à temps.
On a également parlé de démographie médicale. Permettez-moi d'évoquer la situation du pays Centre-Ouest-Bretagne, qui regroupe des communes de trois départements, le Finistère, les Côtes-d'Armor et le Morbihan : ce pays, qui se situe en ZIP dispose de 2,5 dentistes pour 10 000 habitants, contre 5,5 dentistes pour 10 000 habitants en moyenne en région Bretagne et à l'échelle nationale.
Toutes les réponses que vous avez apportées ce matin, madame Pougheon, sont difficilement audibles et acceptables. Vous avez mentionné l'exercice coordonné des soins : les collectivités se retrouvent en première ligne face à la mise en place de ces structures, alors que cela ne relève pas - il faut le rappeler - de leurs compétences. Les communes mettent de l'argent sur la table - notre collègue Pierre Barros a parlé des centres de santé -, alors que tout relève bel et bien de la responsabilité de l'État. Les citoyens, quand les choses ne tournent pas rond, s'adressent aux élus locaux, mais c'est la responsabilité de l'État qui est en jeu ! Tout le discours consistant à prôner l'exercice coordonné des soins revient en réalité à transférer la responsabilité financière du dispositif aux collectivités locales.
Autre solution évoquée, les territoires de vie-santé. Là encore, il s'agit d'une disposition très technocratique, qui ne tient pas compte de la réalité, notamment du vieillissement d'une population qui n'est plus en mesure de se déplacer et au domicile de laquelle les médecins refusent désormais de se rendre, parce qu'ils n'en ont plus le temps. Le raisonnement tenu par le Gouvernement n'a aucun sens, ni pour les habitants ni pour les élus locaux. Sans compter qu'il y a un problème de remontée des données concernant la démographie des professionnels de santé présents sur les territoires : l'ARS ne dispose pas de chiffres exacts, alors que leurs statistiques servent de référence pour le zonage dont parlait à l'instant Fabien Genet.
Je tiens à aborder la question du recours par certaines communes à des chasseurs de têtes pour attirer des professionnels de santé : je parle de 10 000 à 15 000 euros pris sur le budget des communes pour tirer leur épingle du jeu et faire face à la concurrence effrénée entre collectivités. En définitive, c'est l'État qui pousse les collectivités locales à se livrer à une telle concurrence ; elles n'ont pas d'autre choix ! Et ce seront, en dernier lieu, les collectivités rurales les plus modestes qui seront pénalisées, faute de moyens suffisants.
Sur le lien entre médecine de ville et hôpital, nous sommes là encore d'accord sur le principe, sauf que les hôpitaux situés en zone rurale sont tous en très grande difficulté. J'ai à l'esprit les exemples du centre hospitalier intercommunal Redon-Carentoir ou du centre hospitalier du Centre-Bretagne. La fermeture de lits et le fameux virage ambulatoire, cela ne fonctionne pas ! Les services d'urgence doivent devenir des services d'hospitalisation, alors qu'ils sont régulés ou fermés dans les faits. Ces mesures ne sont pas acceptables pour des habitants qui, depuis des années, subissent ces contraintes.
Parlons des maternités : dans nos départements, quand il n'y a pas de pédiatres, ce qui est souvent le cas, la maternité ne peut pas fonctionner. Les directeurs des centres hospitaliers nous expliquent aussi qu'ils passent leur temps à combler les trous dans le gruyère. La situation est absolument catastrophique.
Un mot également de la psychiatrie : c'est une bombe à retardement, qui a déjà assez largement explosé dans la foulée de la crise sanitaire... Mon département dispose de plusieurs établissements publics de santé mentale. L'état de ces établissements et la prise en charge très problématique des patients ont des conséquences en chaîne sur les autres services de santé et sur la société en général.
Certains ont parlé de formations délocalisées : oui, il faut aller plus loin en la matière. Dans le Morbihan, certaines initiatives semblent plutôt bien fonctionner. Je pense aux premières années d'études de médecine délocalisées à Lorient, à Vannes et à Pontivy, en lien avec l'université de Rennes. Il serait nécessaire de rehausser le nombre d'étudiants concernés, car cela pourrait les inciter à s'installer plus tard dans des territoires sous-dotés.
Certains de mes collègues ont souligné l'importance de réguler l'offre de soins : il faut l'assumer. Certes, les médecins généralistes ne sont pas des fonctionnaires, mais l'ensemble de leur parcours est financé grâce à de l'argent public, de la formation initiale jusqu'à l'exercice concret de leur métier. La puissance publique doit tenir un discours clair, d'autant que les conditions de travail ne sont certes pas faciles, mais qu'il ne s'agit pas de la profession qui gagne le moins d'argent en France... Chacun doit prendre ses responsabilités.
Lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons été nombreux à plaider pour que l'on consacre des recettes supplémentaires à cette thématique de l'accès aux soins : toutes les solutions que nous préconisons les uns et les autres impliquent en effet que l'on y mette les moyens. Le Gouvernement se doit de l'entendre, même si les dernières annonces de l'exécutif ne vont pas dans ce sens.
Notre système de santé doit porter la marque d'une volonté politique affirmée, celle de garantir un accès aux soins équitable à tous les habitants de nos territoires, ce qui suppose d'y mettre les moyens financiers et humains et d'arrêter les tergiversations.
M. Pierre Jean Rochette. - En tant que sénateur de la Loire, je me réjouis que nous accueillions ce matin Mme le maire de La Gresle.
Mon premier constat est que l'on ne peut pas décorréler tout le travail fait autour de la valorisation du mandat de maire et de celui d'élu local de la résolution de ce problème d'accès aux soins dans les territoires : placer les maires ruraux face à des situations insolubles ne contribue pas à rendre le mandat d'élu local plus attrayant.
En zone rurale, il existe de mon point de vue trois niveaux de service minimum : le premier, c'est le médecin généraliste ; le deuxième, c'est le service d'urgence ; le troisième, c'est le secteur médico-social, les Ehpad et les soins de suite et de réadaptation (SSR). Sans ces services, il est impossible de retenir une population sur son territoire. Les sages-femmes, dans une certaine mesure, contribuent également à ce que les jeunes restent en milieu rural.
Madame Pougheon, disposez-vous de premiers éléments permettant d'évaluer l'exercice des infirmières en pratique avancée dans les territoires, aussi bien en établissement qu'en libéral ? Cette mesure a-t-elle permis de régler certains problèmes sur le terrain et, plus particulièrement, en zone rurale ?
Vous avez déclaré que les pouvoirs publics ne privilégiaient pas la coercition pour inciter les médecins à s'installer dans les zones tendues. C'est un choix que je respecte, mais je souhaiterais tout de même rappeler que nous avons voté ici même pour la mise en place de passerelles permettant à certains professionnels de santé de reprendre leurs études de médecine en troisième année. Il a aussi été question de médecins partant se former à l'étranger : ne pourrait-on pas favoriser la reprise des études de médecine et le retour des Français partis se former à l'étranger en contrepartie d'une incitation - je ne parle pas de coercition - à s'installer en zone rurale ?
M. Hervé Reynaud. - Bien que le sujet des déserts médicaux soit bien connu, on voit bien qu'il reste d'actualité. Nous sommes là pour relayer les inquiétudes, la colère, le désespoir exprimés par un certain nombre d'élus. Ces derniers multiplient les efforts pour créer et aménager un cadre de vie agréable dans les territoires dont ils sont responsables ; ne pas disposer de ressources médicales suffisantes constitue donc un problème majeur.
Mes chers collègues, vous avez pu apprécier le franc-parler d'Isabelle Dugelet, que je connais bien pour l'avoir côtoyée au sein de l'AMRF et de l'Association des maires de la Loire. Elle a raison : il faut être concret. On ne peut plus laisser les élus seuls face aux difficultés qu'elle décrit : ils font certes preuve d'ingéniosité, mais ils n'ont parfois aussi d'autre choix que de favoriser des comportements inacceptables, comme celui de médecins mercenaires qui changent de lieu d'exercice en fonction de leur intérêt et des aides qu'on leur délivre. Cette concurrence entre les territoires est très malsaine.
Le terme de désert médical n'est sans doute pas le plus adapté, et ne renvoie pas qu'à la ruralité où l'on peut très bien vivre. Les difficultés d'accès aux soins existent aussi en ville dans des quartiers abandonnés où la population n'a pas de médecin traitant.
Je crois beaucoup aux mesures consistant à imaginer une voie d'accès pour l'exercice de la profession médicale à des étudiants qui souhaiteraient s'installer en région. On peut comprendre en effet qu'au terme de dix ans d'études, alors que l'on a déjà fait une partie de sa vie de famille, il soit difficile de déménager dans une autre région.
Autre remarque, 10 % à 15 % des médecins n'exerceraient pas réellement : se pose donc la question du transfert des compétences vers d'autres professionnels de santé, comme les infirmiers ou les pharmaciens, des professionnels qui sont encore en nombre suffisant sur l'ensemble du territoire, bien que deux pharmacies ferment par semaine.
M. Jean Bacci. - Bruno Rojouan a parlé de l'augmentation du numerus clausus. J'observe que, localement, les facultés de médecine manquent déjà de places pour accueillir leurs étudiants.
Il existe également un certain nombre de difficultés au niveau de l'internat, au premier rang desquelles le manque ou le très faible nombre de maîtres de stage en milieu rural : cela risque de freiner les jeunes qui souhaitent exercer dans un territoire sous-doté.
Dans les territoires ruraux, les médecins en activité vieillissent, partent à la retraite, parfois à un âge avancé, car ils ne parviennent pas à trouver de remplaçant. Les élus essaient la plupart du temps d'anticiper ces départs en incitant par exemple à la création de maisons de santé pluriprofessionnelles.
Les MSP représentent une charge financière non négligeable pour les collectivités, qui ne se révélera productive que si elles parviennent à trouver des médecins prêts à exercer dans ces locaux, ce qui n'est pas toujours facile.
Les médecins potentiellement intéressés y voient d'abord un intérêt fiscal : ils privilégient une implantation en zone de revitalisation rurale (ZRR), car ils souhaitent bénéficier du dégrèvement de certaines taxes. Ils conditionnent souvent leur venue - surtout les plus jeunes d'entre eux - à la présence d'autres médecins à leurs côtés et ils ne souhaitent pas toujours travailler tous les jours de la semaine. En d'autres termes, et c'est nouveau, les médecins privilégient leur qualité de vie - c'est un choix auquel personne ne peut s'opposer.
Il est en revanche possible de prendre des mesures plus incitatives. On pourrait par exemple proposer à un jeune médecin qui remplace un confrère partant à la retraite de bénéficier d'une exonération d'impôts au-dessus d'un certain seuil de chiffre d'affaires afin de l'inciter à travailler davantage. Cela inciterait les jeunes praticiens à s'installer dans nos territoires et serait finalement positif tant pour la société que pour l'État - sans cela, ces praticiens ne travailleraient de toute façon pas plus.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Vous avez beaucoup parlé de l'Hexagone, mais la situation est encore pire outre-mer ! En Guyane, plusieurs communes sont particulièrement enclavées : parfois, il n'y a même pas de route ; il faut utiliser la voie aérienne ou le bateau - ce n'est même pas toujours possible sur toute la longueur des cours d'eau. Il faut tenir compte de ces spécificités.
En tout cas, les Guyanais sont très en colère ; ils ont l'impression que la France hexagonale ne fait rien pour eux. Ainsi, la collecte de sang a été arrêtée en 2005 en Guyane en raison de la circulation de la maladie de Chagas et rien n'évolue depuis lors, alors que les techniques permettent maintenant de mieux dépister cette maladie - j'ai d'ailleurs bientôt un rendez-vous au ministère de la santé à ce sujet. De fait, il y a une perte de chances pour les malades à cause d'un manque de plaquettes, puisque celles-ci doivent être « importées » d'autres régions. Cette situation est-elle normale en France au XXIe siècle ?
M. Cédric Chevalier. - Il faudrait vraiment attribuer le prix Nobel à ceux qui, un jour, ont eu l'idée que moins de médecins signifierait moins de dépenses de santé - je leur tire mon chapeau ! Plus sérieusement, nous devrions vraiment appliquer le principe de responsabilité.
Certes, les modes de vie et les souhaits des professionnels de santé ont changé, ce qu'on peut comprendre, mais nous devons anticiper sur les évolutions à venir. Le ministère de la santé prend-il bien en compte ces évolutions futures ?
Par ailleurs, nous devons agir avec transversalité et cohérence. Avec le changement de critères des ZRR, des communes sont sorties du dispositif, ce qui les pénalise aussi pour l'accueil de nouveaux médecins - c'est un peu une double peine. Je crois vraiment que nous devons faire confiance aux élus pour l'aménagement du territoire.
Mme Marta de Cidrac. - Au-delà de tout ce qui a été dit et que je partage, je m'interroge sur la suradministration dans les hôpitaux publics, où 20 % du personnel soignant est détaché à plein temps sur des tâches administratives. Aujourd'hui, nos concitoyens sont davantage considérés comme des clients que comme des patients, ce qui pose un grave problème de considération vis-à-vis d'eux. Je suis issue d'un territoire qui n'est pas rural, mais qui est pourtant en désert médical. Comment redéployer le personnel soignant qui aujourd'hui consacre son temps à des tâches administratives ?
Mme Julie Pougheon. - Je veux d'abord dire que le ministère de la santé ne vit pas dans une bulle : nous sommes tous confrontés, y compris à titre personnel, aux problèmes qui ont été soulevés et la colère nous remonte au quotidien, si bien que nous comprenons cette frustration et cette angoisse - elle me semble légitime. Nous ne sommes pas sourds et tout ce que vous dites ne nous est pas inconnu !
Ce que j'ai voulu vous indiquer, c'est que les solutions produiront des effets à moyen et long termes : nous ne pouvons pas « créer » des médecins du jour au lendemain. Ce n'est pas de l'attentisme de notre part, mais je le redis, les solutions prennent nécessairement du temps à se traduire sur le terrain. Il est vrai que ces difficultés ne sont pas nouvelles, mais qu'elles s'accentuent avec le temps.
Le zonage sert à cartographier les aides à l'installation, il est fondé sur un indicateur établi par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère pour mesurer l'accès aux soins. Les ARS disposent d'une petite marge de manoeuvre sur les zones sous-denses - nous n'utilisons pas le terme de désert médical... Mais attention, si tous les territoires sont considérés comme sous-denses, nous aurons du saupoudrage et nous diluerons l'effet des aides.
Je n'ai pas les chiffres des capacités de formation sous les yeux, mais je vous les fournirai. Nous regardons les choses au niveau local, en prenant en compte les besoins des populations et les capacités de formation, que ce soit en locaux ou en formateurs. Nous fixons des objectifs sur cinq ans, mais nous les révisons éventuellement tous les ans.
Naturellement, nous faisons des projections en anticipant les évolutions et nous réévaluons les choses périodiquement, parce que les pathologies comme les technologies changent. Mais nous ne pouvons pas tout anticiper et aucune anticipation n'est parfaite : ainsi, la crise du covid a créé une dette de santé publique que nous ne pouvions pas anticiper. Autre exemple, une fois que nous avons fixé le nombre d'internes par spécialité médicale et que les médecins sont formés, il est difficile de faire évoluer les choses. Pour autant, nous devons trouver de la souplesse.
Le sujet des médecins étrangers est évidemment sensible. Une phase de régularisation est en cours. Nous offrons des postes à la sortie de la phase de titularisation, ce qui permet de pourvoir des postes dans des établissements moins attractifs. Les ARS font remonter les informations à ce sujet.
Je veux aussi insister sur l'importance du continuum entre la ville, l'hôpital et le secteur médico-social. La situation des hôpitaux est certes difficile, mais je veux quand même rappeler que les soins qu'ils délivrent sont de très bonne qualité.
Ils subissent des problèmes de recrutement, qui sont plus aigus dans certaines professions ou spécialités, par exemple les pédiatres ou les urgentistes. Nous avons pris des mesures, notamment en termes de rémunération et de refonte des métiers. Nous devons redonner de la valeur et du sens à ces métiers pour donner envie aux jeunes de s'y investir.
Nous devons aussi avancer sur les transferts de compétences entre professionnels de santé - je pense en particulier aux pharmaciens, qui sont des professionnels de proximité chez qui l'on peut se rendre sans rendez-vous, et aux infirmiers, l'une des dernières professions qui se déplacent encore à domicile. Pour cela, nous devons notamment avancer sur la question des protocoles.
Pour les IPA, je n'ai pas les chiffres avec moi. Elles montent en charge de manière satisfaisante à l'hôpital, ce qui permet de dégager du temps médical aux médecins. En ville, il faut penser à la nécessité du couplage avec des médecins ; par définition, les IPA ne peuvent pas travailler de manière isolée.
Nous analyserons bien sûr les pistes que vous avez évoquées pour augmenter à plus court terme le nombre de médecins sur le territoire, en particulier en ce qui concerne les médecins formés à l'étranger, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité.
Il est vrai que les ARS ne sont pas toujours informées des projets de départ à la retraite des médecins. La récente loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, oblige les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes exerçant à titre libéral et conventionnés à prévenir, au plus tard six mois avant la date prévue, leur ordre et les ARS de leur intention de cesser définitivement leur activité.
M. Fabien Genet. - Pourrez-vous aussi nous communiquer le nombre des étudiants actuellement en formation et l'évolution dans le temps de ce nombre ?
Mme Isabelle Dugelet. - Je vous ai écoutée avec beaucoup d'attention, madame Pougheon, et nous attendons le déploiement de toutes ces mesures avec une grande impatience. Aujourd'hui, la population renonce souvent aux soins et de nombreuses personnes sont découragées.
Je veux aussi saluer l'initiative intéressante prise par plusieurs médecins d'un cabinet de ma communauté de communes : ils ont ouvert un centre d'accès aux soins pour accueillir des gens sans médecin traitant qu'ils avaient vus pendant leurs gardes et qui avaient en fait des pathologies lourdes. Ils ont reçu des fonds de l'ARS pour monter ce projet, mais je signale que le conseil de l'ordre y était opposé !
Comme le disait M. Lebigot, à peu près un tiers des médecins participe aux gardes et ce sont souvent les mêmes sur lesquels repose le fonctionnement des services d'accès aux soins dans les hôpitaux. Un petit nombre fait le travail au nom de tous ! Nous devons saluer ces professionnels engagés, médecins comme infirmiers. Leurs charges sont de plus en plus lourdes au fur et à mesure que les problèmes augmentent. Il en est de même pour les professionnels en Ehpad, où - c'est un problème supplémentaire - les pathologies psychiatriques ne peuvent pas être prises en charge.
Notre système est en grande souffrance, pour ne pas dire qu'il est à l'agonie. Nous devons trouver rapidement des solutions ! Je sais qu'il faudrait faire preuve d'optimisme, mais cela fait quatre ans que je suis engagée à l'AMRF sur ces questions et je deviens défaitiste, parce que malheureusement les choses n'avancent pas.
M. Maxime Lebigot. - La décentralisation de la formation des médecins dans les territoires est un point très important et nous devons la favoriser. Quand les jeunes issus de nos territoires partent en CHU, donc dans une métropole, il est difficile de les faire revenir. Pourtant, les territoires ruraux accueillent ces étudiants à bras ouverts, souvent avec des aides sans contrepartie. Je dois d'ailleurs dire que la concurrence entre les territoires est de ce point de vue délétère.
L'an dernier, les syndicats de dentistes ont signé une nouvelle convention avec l'assurance maladie pour 2023-2028 qui contient l'idée d'un conventionnement sélectif et d'une régulation de l'installation en contrepartie de l'augmentation de leurs honoraires. J'ai bon espoir que les médecins se rendent compte que de tels dispositifs peuvent également être intéressants pour eux.
Nous devons prendre conscience de l'urgence sanitaire - par exemple, 9 millions de Français n'ont pas de médecin traitant - et avoir le courage politique de réagir.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces échanges. Il est clair que la situation est préoccupante, mais, quand on reçoit les représentants des professionnels de santé, on voit bien que la solution n'est pas évidente - ils mettent par exemple en avant la longueur de leurs études.
Examen du rapport d'information
(Mercredi 13 novembre 2024)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, notre réunion de ce matin est consacrée à l'examen des conclusions du rapport d'information de Bruno Rojouan sur les inégalités territoriales d'accès aux soins, ce dont je me réjouis.
Vendredi dernier, j'ai assisté, en présence de la ministre de la santé et de l'accès aux soins, Geneviève Darrieussecq, à l'ouverture d'une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) dans le Doubs, où j'ai pu mesurer l'importance de redynamiser médicalement nos territoires. Comme nombre d'entre vous, je trouve ce dispositif très intéressant afin d'assurer une présence médicale dans les zones rurales. Je ne doute pas que le rapporteur évoquera les dispositifs de ce type dans la présentation de son rapport.
Vous le savez, notre commission s'intéresse de longue date à la question des inégalités territoriales d'accès aux soins. Hervé Maurey avait mené une mission d'information à ce sujet en février 2013. J'ai moi-même été l'auteur du rapport Déserts médicaux : L'État doit enfin prendre des mesures courageuses !, en janvier 2020.
On dit souvent que le Sénat est une institution du temps long. Notre constance à travailler sur cette question en témoigne ! Pour rappel, Bruno Rojouan a rédigé un premier rapport d'information en février 2022. Conformément aux conclusions du groupe de travail conduit par Pascale Gruny sur le contrôle parlementaire, cette nouvelle mission d'information constitue un droit de suite à ce rapport.
De fait, il est essentiel de veiller à ce que nos travaux soient suivis d'effets : il ne suffit pas de publier des rapports, il faut avoir une influence concrète sur les politiques publiques. Le travail mené par Bruno Rojouan s'inscrit dans cet objectif, et je le remercie de l'avoir mené avec sérieux.
Je lui laisse la parole sans plus attendre pour nous présenter les principales conclusions de son rapport d'information.
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter le résultat des travaux de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins.
Pour commencer, je veux dire un mot de l'état d'esprit qui m'a guidé durant ces six derniers mois : comme lors de mon précédent rapport d'information, publié en février 2022, j'ai souhaité impliquer le plus grand nombre d'entre vous et associer tous les groupes politiques dans mon travail préparatoire, en organisant une réunion de travail avec les commissaires volontaires et en ouvrant l'ensemble des auditions à tous les commissaires. Je remercie tous ceux qui y ont pris part, notamment Jocelyne Antoine, Nicole Bonnefoy ainsi qu'Alain Duffourg et Simon Uzenat, qui m'ont tous deux accompagné en Allemagne. Je remercie également notre président d'avoir consacré une réunion plénière à la problématique de l'équité territoriale en matière d'accès aux soins le 27 mars dernier, ainsi que mon whip Philippe Tabarot, pour son appui.
Vous le savez, les positions de la commission des affaires sociales et de la nôtre n'ont pas toujours été rigoureusement alignées sur le sujet, mais je tiens à souligner que j'ai pu compter - c'est un changement important - sur l'oreille attentive du président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller, avec lequel j'ai régulièrement échangé sur l'avancée de nos travaux.
J'en viens maintenant aux conclusions du rapport. Les auditions que j'ai conduites m'ont permis de recueillir l'analyse de l'ensemble des professionnels de santé, des administrations compétentes, de l'Assurance maladie, mais également des premiers concernés par les inégalités territoriales d'accès aux soins : les patients et les élus locaux.
Le constat est clair : depuis deux ans, l'offre de soins a continué de se dégrader. La France a perdu près de 2 500 médecins généralistes. On en compte désormais moins de 100 000 sur l'ensemble du territoire - ils sont 99 500 exactement. À cause de cette pénurie de praticiens, 6,3 millions de nos concitoyens n'avaient plus de médecin traitant en 2022 ; ils sont probablement près de 7 millions aujourd'hui.
Ce constat est encore plus alarmant si l'on considère les évolutions effectives et attendues de la démographie du corps médical et de la population dans les années à venir. Aujourd'hui, plus de 30 % des médecins généralistes en activité ont plus de 60 ans, soit 6 % de plus qu'en 2018. Nous risquons donc d'être piégés par un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande qui ne va cesser de croître en raison du vieillissement généralisé de la population, puisque près de 16 millions de nos concitoyens auront plus de 65 ans en 2030, contre 14 millions aujourd'hui.
Ce manque de praticiens concerne aussi les spécialistes et les autres professionnels de santé. Dans plusieurs territoires, la prise de rendez-vous pour une consultation s'apparente à un véritable parcours du combattant. À titre d'illustration, il faut, suivant les territoires, compter de 6 à 123 jours pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologue, et de 1 à 97 jours pour un pédiatre. Par exemple, dans le territoire de Billom, en périphérie de Clermont-Ferrand, il faut parfois attendre 18 mois pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste... Les territoires concernés ne sont pas des cas marginaux : c'est une partie significative de la France qui souffre d'un manque cruel de professionnels de santé. Dans près de 37 départements métropolitains, on recense moins de 5 dermatologues et, dans 22 d'entre eux, moins de 5 cardiologues pour l'ensemble d'un territoire.
Cette inégalité dans l'accès aux soins est inacceptable. Elle favorise le phénomène de « renoncement aux soins », qui est un véritable fléau pour la santé publique. C'est aussi une rupture du pacte de confiance républicain et du principe d'égalité entre les territoires, auquel nous sommes tous ici profondément attachés.
Pour corriger cette situation, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont pris des mesures - dans lesquelles, comme l'a dit M. le président, nos rapports ne sont pas pour rien - visant à : réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins, en favorisant l'installation des professionnels de santé dans les zones sous-denses et en développant la télémédecine ; gagner du temps médical utile, en délestant les médecins de tâches administratives et en accélérant les transferts de compétences vers d'autres professions de santé ; former davantage de médecins et leur faire effectuer des stages dans les zones médicales sous-denses.
Quel bilan peut-on dresser de ces mesures ? Le sentiment qui domine est celui qu'il y a eu des avancées, mais que nous sommes encore dans une logique de petits pas, bien loin du big bang nécessaire.
Pour ce qui est, tout d'abord, de la méthode, l'accès aux soins a fait l'objet de plusieurs textes législatifs : les derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) comportaient tous des mesures à ce sujet, et des véhicules spécifiques, notamment la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist 2, et la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, ont complété cette architecture. Remarquons que ces deux derniers textes sont d'origine parlementaire ! Je regrette, à ce propos, l'absence de projet de loi dédié, tant il est nécessaire que le Gouvernement s'attaque véritablement à cette question dans sa globalité.
En outre, le pouvoir réglementaire n'a pas encore publié nombre de décrets d'application de ces textes en temps utile, nuisant à l'efficacité de leurs dispositions. Je vous en donnerai plusieurs exemples par la suite.
J'en viens au fond des mesures. Les dispositifs mis en oeuvre afin de lutter contre les disparités territoriales et sociales d'accès aux soins sont bien trop limités.
Afin de remédier à l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire, l'assurance maladie a changé d'approche. Lors de ses négociations avec les syndicats de professionnels de santé libéraux, elle a prévu des mesures de régulation de l'installation, à l'instar de ce qui prévaut de longue date pour les infirmiers et les sages-femmes. Les masseurs-kinésithérapeutes ont ainsi connu un durcissement du cadre de régulation en 2023. Les chirurgiens-dentistes ont également accepté de voir leur exercice dans les zones les plus dotées soumis à ce principe d'une installation pour un départ.
Cependant, une irréductible profession résiste encore et toujours à la régulation : les médecins, pour lesquels la remise en cause de la liberté totale d'installation est un véritable tabou. Leur cadre d'exercice repose uniquement sur des incitations financières à exercer dans les zones sous-denses, mesures très coûteuses à l'efficacité non démontrée.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, une telle exception est difficilement compréhensible. J'en tiens pour preuve la pratique de nos voisins allemands, pourtant peu suspects d'être moins attachés que nous à la liberté d'entreprendre... Lors de notre déplacement en Allemagne, nous avons pu observer leur système de « planification des besoins », dispositif reposant sur l'étude des besoins de santé des territoires, de manière à fixer le nombre de médecins recherché par zone. Ces derniers ne peuvent obtenir un agrément de l'assurance maladie publique que s'ils s'installent dans une zone où le nombre de professionnels de santé est insuffisant. Ce système est notamment mis en oeuvre par les associations régionales de médecins conventionnés, qui régulent ainsi elles-mêmes l'installation de leurs confrères.
J'en conviens, un cadre analogue est difficile à mettre en place pour le moment en France, compte tenu de la pénurie généralisée de médecins, dont le nombre baissera jusqu'en 2028. Cependant, la situation dégradée de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire ne doit pas servir de prétexte pour ne pas agir en faveur des zones les moins dotées. Dire que toute la France est un désert médical revient à gommer les différences entre des situations que l'on ne peut pas mettre sur le même plan.
Par conséquent, je propose de réguler l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées et de favoriser leur exercice dans les zones sous-dotées. Toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait ainsi être liée à un exercice partiel obligatoire dans une zone sous-dotée, sous forme de consultations dans un cabinet secondaire.
Les modalités pratiques d'une telle obligation, notamment son zonage, pourraient, dans un premier temps, être confiées à la profession elle-même, en suivant l'exemple allemand. Faute de proposition dans un délai que nous pourrions décider, le législateur pourrait se substituer à l'inertie de la profession. Ensuite seulement, en raison du peu de médecins dont nous disposons, et à mesure que le nombre de médecins augmentera, du fait de la fin du numerus clausus, il conviendra de mettre en place un cadre de régulation de l'installation plus ambitieux, lequel passerait par le conventionnement sélectif.
La télémédecine a souvent été présentée comme une solution pour venir en aide aux territoires isolés de façon complémentaire. Malheureusement, insuffisamment encadrée, elle rate sa cible. Les patients qui y ont le plus recours ne sont pas ceux qui rencontrent le plus de difficultés d'accès aux soins : ils résident le plus souvent dans des communes densément peuplées et favorisées.
Je recommande donc de revoir les modalités de fonctionnement de la télémédecine afin d'en limiter les abus et de recentrer son utilisation vers les publics qui en ont le plus besoin. Pour cela, son remboursement par l'Assurance maladie pourrait être mieux encadré : seules les téléconsultations assistées par un professionnel de santé seraient remboursées, et uniquement dans le cadre du parcours de soins. La seule exception concernerait les téléconsultations en urgence avec le médecin traitant, qui pourraient avoir lieu sans assistance. Il me semble également nécessaire de restreindre les aides à l'installation et au fonctionnement des cabines de téléconsultation aux seules pharmacies situées dans des zones médicalement sous-dotées et, en contrepartie, de les revaloriser financièrement. Au reste, les pharmacies de ces territoires ayant souvent de petits chiffres d'affaires, leur réserver le pouvoir de téléconsultation faciliterait leur reprise en cas de départ en retraite du pharmacien titulaire.
J'en viens maintenant aux soins non programmés : 30 % des patients qui ont recours aux urgences hospitalières s'y rendent faute de réponse médicale auprès de leur médecin traitant. Le dispositif des services d'accès aux soins (SAS) a été lancé en 2021 afin de répondre à cette situation inadmissible : les patients qui appellent le 15 au lieu d'aller aux urgences sont mis en relation avec un médecin régulateur, qui doit leur permettre de trouver un rendez-vous médical sous 48 heures. Ce dispositif, encore embryonnaire, gagnerait à monter en puissance.
Des mesures de bon sens pourraient être prises de façon complémentaire : il faut mieux s'appuyer sur les nouvelles compétences des pharmaciens, qui peuvent, par exemple, mener certains tests de diagnostic rapide. Je propose également d'impliquer davantage d'autres professions, comme les masseurs-kinésithérapeutes, dans la permanence de soins : ces derniers doivent pouvoir être consultés en accès direct pour certaines pathologies, comme les très fréquentes entorses de la cheville.
Quel bilan peut-on par ailleurs tirer des mesures tendant à faire gagner du temps médical utile ? Les jeunes professionnels et les étudiants en études de santé m'ont fait part, lors des auditions, des craintes qu'ils éprouvent face au « mur administratif » que peut représenter une première installation dans un territoire. La mise en oeuvre d'un guichet unique départemental d'aides à l'installation à partir de 2023 a en partie permis de répondre à ces inquiétudes, mais ce dispositif souffre aujourd'hui d'un déploiement hétérogène entre les territoires. Je propose d'en accélérer le déploiement et que les collectivités locales - je pense surtout à l'échelon départemental - soient systématiquement impliquées dans son fonctionnement, afin de tenir compte des spécificités et des besoins locaux.
Récemment, plusieurs mesures ont été déployées pour redonner aux patients du temps médical de qualité, en favorisant la délégation de certaines tâches, de manière que les médecins puissent se concentrer sur leur coeur de compétence. Le plan de déploiement de 10 000 assistants médicaux, présenté, en 2018, au sein du programme « Ma santé 2022 », répondait à cet objectif. Aujourd'hui, l'utilité des assistants médicaux est largement reconnue et ne souffre d'aucun débat, mais leur nombre reste insuffisant. Je recommande d'intensifier leur déploiement et de revoir à la hausse la cible d'assistants médicaux en activité. Je préconise également d'étendre l'éligibilité des aides à l'embauche d'un assistant médical aux maisons de santé pluriprofessionnelles, ce qui nécessite de revoir l'architecture des conditions de l'octroi.
Les infirmiers, et tout spécialement les infirmiers en pratique avancée (IPA), ont conquis de nouveaux champs de compétences et ont gagné en autonomie dans le parcours de soins. Les IPA, infirmiers spécialisés titulaires d'un master, assurent un suivi, en coordination avec les médecins, des pathologies chroniques et stabilisées. Ils agissent comme un relais autonome entre le médecin et le patient, évitant par là même les allers-retours intempestifs entre ces derniers. Les infirmiers diplômés d'État (IDE) ont quant à eux bénéficié de la possibilité de signer des certificats de décès, déchargeant les médecins de cette tâche.
Cependant, ces mesures restent largement partielles et manquent d'une vision d'ensemble qui permettrait de proposer une véritable « réingénierie » - c'est le mot utilisé par la profession. Tel pourrait être l'objectif d'une « loi infirmiers », qui permettrait, dans le contexte de pénurie de médecins que nous connaissons, de leur déléguer davantage de compétences en matière de soins de proximité, mais aussi d'adapter davantage la formation et les compétences des IPA à la pratique en médecine de ville.
Il m'apparaît également nécessaire de renforcer les prérogatives dévolues aux pharmaciens, qui, avec les infirmiers, constituent l'autre profession de santé encore bien répartie sur la totalité du territoire. Ce sont les seuls professionnels de santé à être accessibles sans rendez-vous ni salle d'attente, et leur proximité immédiate avec les patients leur offre bien souvent une connaissance fine des pathologies et des problèmes médicaux que ces derniers peuvent rencontrer. Ce rôle charnière dans l'offre de soins mérite mieux que les ajustements paramétriques effectués par la loi Rist 2 et les dernières lois de financement de la sécurité sociale - une liste rachitique d'antibiotiques qu'ils peuvent prescrire directement après avoir effectué un test rapide d'orientation diagnostique (Trod) en cas d'angine ou de cystite, et la possibilité de renouveler trois fois de suite certaines ordonnances.
Il convient donc d'aller vers une intensification des possibilités d'intervention des pharmaciens : comme il faut une « loi infirmiers », il faut une grande « loi pharmaciens ». Je recommande que leur soit reconnu un rôle d'orientation du patient, afin de prendre en charge tous les maux du quotidien qui ne nécessitent pas forcément le recours à un médecin - je pense, par exemple, à la conjonctivite ou aux plaies simples. Le renforcement de l'attractivité de cette profession est un impératif dans les zones sous-denses afin de conserver un maillage territorial en officines.
La délégation de compétences à destination de plusieurs professions n'est pas le seul instrument qui a été mis en oeuvre. L'ouverture de l'accès direct à certaines d'entre elles participe également de cette logique de rationalisation du temps de soins. Cependant, des dispositifs dont la complexité a, en pratique, limité l'effectivité ont parfois été choisis, au détriment de mesures simples et lisibles. C'est le cas notamment des masseurs-kinésithérapeutes, dont seulement 5 % sont concernés par l'accès direct, tel qu'il est aujourd'hui reconnu. La loi Rist 2 a également ouvert l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes membres d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), mais les textes d'application se font encore attendre. De toute façon, un patient n'a pas les moyens de savoir si un praticien est membre ou non d'une CPTS - encore faut-il qu'il sache ce que c'est !
Il faut sortir de cette logique kafkaïenne et revenir à plus de lisibilité, en ouvrant l'accès direct à l'ensemble de la profession pour certaines pathologies bien connues, comme les entorses de la cheville. L'encadrement de l'accès direct me paraît toutefois incontournable, au risque de voir les cabinets de kinésithérapie embouteillés par la gestion des « bobos » du quotidien.
À long terme, la seule façon de régler la question de l'accès aux soins est de former plus de professionnels de santé. L'abrogation du numerus clausus à l'entrée des études de santé, lors de la réforme en 2020, était nécessaire. Pourtant, il faut être lucide : le choc d'offre tant attendu n'a pas eu lieu. Les effectifs en deuxième année de médecine ont progressé de 16,8 % entre 2020 et 2024, mais la quasi-totalité de la hausse du nombre d'étudiants date d'avant 2022. La dynamique actuelle est donc insuffisante pour répondre aux besoins futurs de médecins.
Les facultés de médecine sont saturées, les locaux sont surchargés et le nombre de formateurs est insuffisant. Il faut donner aux facultés la possibilité de recruter plus d'étudiants sans dégrader la qualité de l'enseignement, en particulier en médecine générale. Pour cela, elles ont besoin de plus d'enseignants. Je propose de renforcer l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires et, surtout, de favoriser l'exercice mixte, associant enseignement universitaire et exercice libéral, pour attirer plus de formateurs.
La réforme, en 2020, des parcours accès santé spécifique (Pass) et des licences accès santé (LAS), dite réforme « Pass-LAS », a plongé les lycéens, les étudiants et leurs familles dans une confusion certaine à cause de son manque de lisibilité et de sa complexité. Ce nouveau système a des effets particulièrement délétères pour la pharmacie et la maïeutique. Les effectifs dans ces disciplines ont paradoxalement diminué, alors que les besoins de recrutement croissent. En 2022, véritable année noire pour ces formations, le nombre d'admis a chuté de 15 % en maïeutique et de 20 % en pharmacie. Je propose donc de corriger les effets contre-productifs les plus marqués de la réforme « Pass-LAS », notamment pour les études de pharmacie et de maïeutique, en envisageant l'ouverture d'une voie directe post-baccalauréat pour les études de pharmacie.
La hausse du nombre d'étudiants n'aura de pertinence à long terme pour résorber les inégalités territoriales d'accès aux soins que si elle est territorialisée. Or la formation des médecins est encore organisée autour des centres hospitaliers universitaires (CHU) des métropoles. Cette concentration géographique accentue les disparités territoriales d'accès aux soins : les étudiants peuvent difficilement s'installer dans des territoires qu'ils n'ont jamais fréquentés. Il est donc nécessaire de sortir d'une approche « CHU-centrée » des formations et de procéder à un choc de territorialisation. Je propose de lancer un plan d'ouverture d'urgence de facultés et d'antennes de facultés de médecine dans des villes de taille moyenne, à proximité des zones médicales sous-denses.
Ce virage territorial des études de santé suppose également de repenser l'organisation des stages des étudiants, afin qu'ils soient effectués sur toute la durée de leurs études en médecine de ville et, de façon privilégiée, dans des zones sous-dotées.
Plus immédiatement, il me semble essentiel de lancer un plan d'urgence pour que les stages des internes en quatrième année de médecine générale aient lieu en médecine de ville dans les zones sous-denses, comme la loi le prévoit. La première promotion de ces médecins juniors sortira en 2026-2027. Toute velléité d'utiliser ces internes comme supplétifs face au manque de personnel à l'hôpital, au détriment de la médecine de ville des zones sous-dotées, trahirait l'esprit de la réforme que nous avons votée.
Un tel bouleversement exige de prendre en compte les contraintes des étudiants : ceux qui réalisent leurs stages dans des territoires éloignés de leur centre hospitalier universitaire doivent bénéficier d'un accompagnement matériel et financier renforcé.
Afin d'assurer à long terme une répartition plus équitable des soignants sur le territoire, il est également nécessaire de recruter plus d'étudiants issus des zones médicales sous-denses - les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville notamment -, qui sont sous-représentés dans les études de santé. En effet, ces derniers sont plus enclins à venir s'installer dans ces espaces à l'offre de soins insuffisante.
Actuellement, tous les leviers existants pour attirer les élèves souhaitant exercer en zone sous-dense n'ont pas encore été mobilisés. Ainsi, la réforme du contrat d'engagement de service public (CESP), prévue par la loi Valletoux, n'est toujours pas appliquée. Je rappelle que le législateur a étendu le bénéfice de ce contrat, qui consiste en une allocation financière mensuelle accordée à un étudiant en échange d'un engagement à exercer en zone sous-dense à la fin de ses études, aux étudiants en médecine, en odontologie, en maïeutique et en pharmacie dès la fin de la deuxième année du premier cycle.
Il faut cependant dépasser cette logique d'incitation financière. Pour cela, je propose d'introduire, parmi les critères de sélection en première année de Pass ou de LAS, un nouveau critère : le lieu de résidence des étudiants. Les étudiants issus de zones médicales sous-denses, au même titre que les boursiers, seraient ainsi favorisés dans le processus de sélection pour entrer en première année d'études. Cette mesure prendrait la forme de quotas réservés : pour les lycées des zones sous-denses, la proportion d'admis devrait être égale à la proportion de candidats.
Mes chers collègues, il m'est impossible, dans le temps qui m'est imparti, de développer plus avant les travaux que j'ai conduits durant les six derniers mois. J'invite chacun d'entre vous à vous reporter au rapport d'information dense que j'ai rédigé.
En conclusion, je souhaite faire une remarque de vocabulaire. Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas repris à mon compte l'expression « déserts médicaux ». Nombre de jeunes professionnels de santé et d'étudiants, qui méconnaissent souvent les territoires ruraux et leur vitalité, s'imaginent que les zones sous-denses sont de vrais déserts, dépourvus d'activité économique, d'écoles, d'associations sportives, etc. Nous devons bannir cette expression, qui favorise ce grand malentendu !
Notre commission devra continuer inlassablement à travailler sur ce sujet pour faire pression sur l'exécutif afin que les choses avancent.
M. Jean-François Longeot, président. - Effectivement, il faudra que notre commission poursuive son travail sur ce sujet. J'ai reçu hier des représentants des jeunes pharmaciens. Ils soutiennent les propositions que vous formulez.
M. Stéphane Demilly. - La désertification médicale concerne 87 % du territoire, et tout particulièrement les territoires ruraux. Ce cancer gagne les territoires semi-urbains ou semi-ruraux. Selon l'Académie nationale de médecine, 30 % de la population française vit dans un désert médical. On observe un effet ciseaux entre une offre de soins en repli et une demande croissante liée au vieillissement de la population. Le nombre de médecins généralistes baisse de 1 % chaque année. Les disparités s'aggravent selon les territoires. Les 10 % de la population qui vivent dans les zones les mieux dotées en médecins généralistes ont accès à 5,7 consultations par an, tandis que les 10 % de nos concitoyens vivant dans les territoires les moins bien dotés ont accès à 1,5 consultation par an.
Dans les Hauts-de-France, il est de plus en plus difficile de consulter des spécialistes. Selon l'agence régionale de santé (ARS), 70 % de la population se trouve dans une zone de désertification médicale, taux qui monte à 90 % dans le Pas-de-Calais. Certaines communes sont obligées de publier des annonces dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour inciter des médecins libéraux à s'installer !
Je voudrais parler du nomadisme fiscal de certains médecins : certains médecins installés en ville décident de déplacer leur cabinet quelques kilomètres plus loin, dans une zone rurale proche, simplement pour bénéficier d'exonérations fiscales. Parfois, ils demandent aux communes rurales de financer leur implantation. On a l'impression qu'ils veulent le beurre et l'argent du beurre.
Les médecins libéraux sont attachés à la liberté d'installation, mais on oublie trop souvent que tout le système de soins, depuis l'organisation des études de santé jusqu'au remboursement des soins par la sécurité sociale, est financé par de l'argent public.
La situation devient insupportable. L'heure n'est plus aux discussions. Les rapports s'empilent sur ce sujet. Nous devons nous fâcher : il est temps d'agir, autrement je crains l'apparition de « gilets jaunes » de la santé. Le Sénat, qui est la chambre des territoires, doit relayer ces attentes et se faire entendre du Gouvernement.
M. Simon Uzenat. - Notre rapporteur a eu le souci d'associer tous les groupes politiques à ses travaux préparatoires. Nous avons tous pu participer et faire valoir nos préoccupations.
Nous partageons tous le même constat : les écarts entre les territoires sont importants. Même dans les départements où la situation semble s'être améliorée, des disparités apparaissent selon les endroits. La pénurie de médecins que nous connaissons va durer. Notre rapporteur a raison : un big bang est nécessaire, la politique des petits pas ne suffit plus.
Nous soutenons un grand nombre des recommandations formulées, comme celles qui sont relatives aux stages, aux téléconsultations, à l'ouverture d'antennes de facultés de médecine dans les villes moyennes - cela se fait déjà dans le Morbihan, par exemple. À ce propos, la question centrale est celle des moyens des universités. Les mesures budgétaires annoncées par le Gouvernement ne vont pas améliorer leur situation ! Le taux d'abandon durant les études médicales est préoccupant. La proposition de créer des classes préparatoires « talents médicaux » pour aider les étudiants des familles modestes issus des zones sous-denses à réaliser des études médicales est intéressante.
Toutefois, nous restons sur notre faim sur un certain nombre de recommandations. Notre rapporteur a évolué par rapport à la position qu'il exprimait dans son rapport de 2022, Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard. On observe ainsi un recul sur la question de la régulation de l'installation des médecins. Même si le sujet ne fait pas consensus, celle-ci est indispensable dans une période de pénurie. Elle est déjà en vigueur en Allemagne.
Il faut soumettre toutes les aides à des conditionnalités strictes. Je pense notamment à celles qui sont allouées pendant la formation en contrepartie de l'engagement à exercer dans une zone sous-dense. L'exigence de remboursement si le contrat n'est pas respecté n'est pas suffisante, car les jeunes praticiens ont bien compris qu'ils pouvaient très vite rembourser s'ils s'installaient dans des zones où la patientèle dispose de hauts revenus. Dès lors, ils n'honorent pas souvent leur contrat.
De même, notre rapporteur parlait de « conventionnement sélectif » en 2022. Il n'en est plus question dans ce rapport.
Nous pourrions nous inspirer du modèle allemand, même si celui-ci n'est pas duplicable en l'état. Ce système garantit aux médecins un niveau d'activité. Il ne se contente pas de définir un ratio entre le nombre de médecins et le nombre d'habitants : il vise à adapter le nombre de professionnels de santé aux besoins de santé des territoires. Il convient donc d'évaluer non pas seulement les dispositifs de régulation de l'installation des médecins, mais aussi ces besoins de santé pour réfléchir à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande de soins. Dans votre rapport d'information de 2022, vous évoquiez la « responsabilité populationnelle territoriale » ; nous regrettons que cette notion ait disparu.
Nous déplorons un autre recul par rapport aux travaux de 2022, sur l'engagement des collectivités locales. Celui-ci est très important au vu de leurs compétences, car la santé relève de l'État. Elles investissent des milliards d'euros pour accompagner les médecins ! Il faut les soutenir sur le plan financier. En 2022, vous envisagiez la création d'une dotation spécifique pour aider les collectivités à lutter contre la désertification médicale. Cela ne figure plus dans vos recommandations.
Si nous soutenons certaines d'entre elles, nous nous abstiendrons sur le rapport, car il nous semble que le compte n'y est pas. La situation est tellement grave qu'il faut cesser de tergiverser. Il est temps d'agir ! Le message envoyé au travers de ce rapport ne nous paraît pas suffisamment fort.
M. Jean Bacci. - J'adhère pleinement aux propositions de notre rapporteur. Dans le Var, on compte un médecin pour 1 100 habitants, alors que ce ratio est en moyenne d'un médecin pour 350 habitants en France. Si la côte est bien dotée, la situation est critique dans les zones rurales de l'intérieur.
Les communes s'efforcent de créer des maisons médicales. Certains médecins ferment leur cabinet en ville et viennent s'installer en zone rurale uniquement pour profiter des aides. Cependant, il est bien difficile de leur dire que l'on ne veut pas d'eux !
Nous devrions faire preuve de plus d'interventionnisme à l'égard des jeunes médecins. Lorsqu'un médecin part en retraite, il faut souvent deux jeunes pour faire le travail qu'il réalisait, car ces derniers souhaitent exercer en libéral, tout en ayant des emplois du temps de fonctionnaire. C'est leur choix ; nous devons le respecter. Sans doute pourrions-nous fiscaliser les revenus d'un médecin qui s'installe en zone sous-dense sur le travail qu'il réalise jusqu'à 35 heures chaque semaine et défiscaliser les heures qu'il réalise au-delà, pendant une période de cinq ans. De la sorte, le médecin prendra l'habitude de travailler plus de 35 heures, s'installera sur place, fondera une famille et restera sur le territoire.
M. Jacques Fernique. - Les 38 recommandations de ce rapport constituent une base opérationnelle intéressante pour répondre à l'insupportable inégalité d'accès aux soins qui met en cause notre pacte républicain. Les besoins de santé vont augmenter sous l'effet du vieillissement de la population. Le statu quo n'est pas viable.
Notre rapporteur ne propose pas de révolutionner le système, mais ses propositions sont pertinentes. Il propose ainsi, dans un premier temps, de conditionner l'installation de nouveaux médecins en zone bien dotée à un exercice avancé à temps partiel en zone sous-dotée. Ce serait une première étape avant l'instauration d'une réglementation plus contraignante. D'autres dispositions visent à évaluer les dispositifs existants, à conforter les possibilités d'intervention des différentes professions médicales - afin de soutenir, par exemple, les officines rurales, qui réalisent un petit chiffre d'affaires, mais qui ont une très grande utilité publique - ou à mener un « choc de massification et de territorialisation des études de santé ».
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) soutient ces propositions bienvenues. Elles impliquent un renforcement de la responsabilité territoriale et un nouvel élan de la décentralisation. Il faudra donner les moyens afférents aux collectivités. Sans doute conviendra-t-il d'aller plus loin par la suite, mais la mise en oeuvre de ces mesures constituerait déjà une avancée significative.
M. Jean-Claude Anglars. - Pour m'être intéressé localement à ces problèmes, je trouve ces propositions très pertinentes, notamment les recommandations n° 15 sur le dossier médical partagé (DMP), n° 17 sur le développement des CPTS de petite taille, ou encore nos 37 et 38 sur l'installation de stagiaires en zones sous-denses.
Dans l'Aveyron, nous recevons depuis quinze ans 160 internes par an, dont 10 restent chaque année en médecine générale. Cependant, nous avons pu remarquer que beaucoup d'étudiants ne voulaient pas passer leur temps - pardonnez-moi ces mots un peu crus - « à donner des pilules à des vieux de plus de 60 ans. » Aussi, nous avons impliqué plus fortement dans leur stage les urgences de l'hôpital de Rodez et les sapeurs-pompiers pour leur montrer la diversité des pathologies et leur offrir d'autres perspectives professionnelles.
Avez-vous songé à interroger les jeunes internes à cet égard ?
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je félicite notre collègue pour son travail fouillé et courageux.
Nous n'avons pas encore atteint le point dur en ce qui concerne l'évolution de la démographie médicale. Nous avons encore sept ou huit années difficiles devant nous avant de connaître les effets bénéfiques de la fin du numerus clausus. Il faut trouver les moyens de passer cette période.
Le rapport de la mission d'information de la délégation aux droits des femmes du Sénat de mai 2023, Femmes et ruralités : la parole aux élues de nos territoires a montré que 13 départements ne comptaient pas de gynécologue médical. C'est très préoccupant, notamment pour la prévention des cancers. Dans mon département de la Dordogne, 25 000 personnes n'ont plus de médecin traitant. De plus, la maternité de Sarlat va fermer, obligeant les femmes à parcourir 80 à 100 kilomètres pour accoucher. Et je ne vous parle pas de celles qui donnent naissance à leur enfant dans la voiture de leur mari ou dans le camion des pompiers...
Les collectivités locales font ce qu'elles peuvent : notre conseil départemental a ainsi salarié des médecins au sein de centres de santé, malgré les difficultés financières qu'il connaît. Toutefois, ce sujet relève principalement de l'État. À cet égard, la collectivité nationale ayant assumé la plus grande part du coût de la scolarité des médecins, il ne semble pas anormal d'imposer des contreparties à ces derniers, via la régulation. Je n'en démordrai pas ! En parallèle, l'État doit former plus de médecins et y mettre les moyens nécessaires.
J'approuve ce rapport d'information en ce qu'il place en
poste avancé certaines professions de santé
- kinésithérapeutes, infirmiers et
pharmaciens -,
dont nous avons de plus en plus besoin pour pallier le manque de
médecins.
Il faut savoir que, pour remplacer un médecin « ancienne génération », il faut former trois médecins « nouvelle génération ». C'est notamment dû à la féminisation - 70 % des médecins formés sont des femmes - et au désir des jeunes installés en libéral de moins travailler. Mais les médecins, notamment les spécialistes, ne jouent pas tous le jeu des permanences de soins. Dans mon département, il n'y a aucune permanence ophtalmologique les nuits, les week-ends et les jours fériés. Imaginez les conséquences que cela peut avoir ! L'ARS a essayé de les mettre autour de la table, mais certains n'ont même pas daigné se déplacer à la réunion.
Aussi ai-je des doutes sur la recommandation n° 1, bien que j'en approuve la philosophie. En effet, il ne me semble pas opportun de laisser à la profession le soin de définir les modalités de ces installations subordonnées à l'engagement d'effectuer un temps partiel en zone sous-dense.
Par ailleurs, il me semble que la recommandation n° 7, relative aux incitations des collectivités locales, gagnerait à être plus explicite.
Nous sommes tout de même d'accord à 90 % avec ce rapport, que nous voterons.
M. Olivier Jacquin. - Je tiens à féliciter le rapporteur, ainsi que le procureur Stéphane Demilly : je voterais très volontiers sa proposition très ferme !
Ayant été président d'une communauté de communes en zone sous-dense, j'ai pu faire l'expérience de ces négociations avec des médecins qui réclamaient une remise de loyer, l'octroi d'une voiture... C'est pourquoi il me semble aussi que la recommandation n° 7 doit être explicitée. Les collectivités locales sont déjà très impliquées. Elles ont besoin d'un cadre plus précis.
En ce qui concerne la recommandation n° 1, vous avez tenté de nous faire partager votre enthousiasme sur l'exemple allemand, mais je suis un peu déçu : j'attendais quelque chose de plus contraignant.
M. Philippe Tabarot. - Je ne dirai que quatre mots. Ingénieux ! Courageux ! Bravo Bruno !
M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Mes chers collègues, je prends toutes vos remarques comme des contributions bienvenues.
Ce rapport est un droit de suite révisionnel, mais le rapport de 2022 conserve toute son actualité et reste le rapport étalon. À mon sens, et c'est une proposition que je fais à notre président, nous devrions faire un rapport d'étape tous les deux ans afin de voir comment la situation évolue.
Certains d'entre vous ont considéré que le terme de régulation était tabou. Je vous faire part de ma conviction, qui n'a pas varié : à terme, on ne pourra pas se passer d'une régulation complète. On n'y coupera pas !
Cependant, je me dois d'être pragmatique : le numerus clausus a disparu, mais nous n'en verrons les effets qu'à partir de 2028 au mieux. Jusque-là, nous allons continuer à perdre des médecins, compte tenu des départs à la retraite et du temps nécessaire à la formation d'un praticien. Il est donc pour le moment impossible de mettre en place une régulation ambitieuse, par exemple dès 2025, en raison d'effectifs insuffisants. Nous devons attendre a minima 2028, mais il faut préparer cette échéance en faisant du prévisionnel. C'est pour cette raison que j'ai été conquis par l'exemple allemand ; je n'ai pas changé sur ce point.
Dans l'intervalle, nous n'avons d'autre choix que de déléguer des compétences. Je dis bien « déléguer » et non pas « transférer », pour ne pas heurter les médecins, qui ont peur de se voir dépossédés. J'y insiste, le médecin reste bien l'autorité supérieure des soins, le sachant, mais il doit accepter de se faire seconder par ces deux professionnels incontournables que sont le pharmacien et l'infirmier diplômé d'État (IDE). Le pharmacien, notamment grâce à la téléconsultation, et l'IDE doivent pouvoir exercer plus de compétences. Puisque leurs ordres professionnels nous assurent qu'ils en sont capables, n'hésitons pas à l'inscrire dans la loi ou le règlement !
Le ministère de la santé nous dit que 87 % du territoire est sous-doté, mais ce chiffre ne veut pas dire grand-chose, tant les situations sont contrastées. En gros, on peut répartir les territoires en trois catégories selon la gravité de la situation, mais il faut reconnaître que celle-ci est correcte dans certains territoires.
En réalité, il me semble que les arguments développés par l'administration de la santé sont surtout des excuses pour ne pas avoir à prendre de mesures coercitives. De même, la commission des affaires sociales de notre assemblée a eu tendance à ne proposer que des mesures incitatives. En cela, elle fait le jeu des syndicats et de l'ordre des médecins, qui sont de véritables citadelles.
Certains préconisent d'imiter totalement les Allemands, en laissant la profession s'organiser elle-même. C'est méconnaître la réalité du système de cogestion allemand, très différent du système français. Il est bien entendu attrayant d'associer la profession, mais il ne faut pas lui laisser encore dix ans. Si rien n'est fait dans deux ans, nous devrons intervenir par la loi.
Soyons optimistes, mes chers collègues : la situation tend à s'améliorer, mais nous devons aller vers plus de contraintes.
Je crains d'avoir été mal compris sur la recommandation n° 7. On reproche aux médecins de ne plus faire de déplacements à domicile, mais ceux-ci nous expliquent avoir de plus en plus de difficultés à circuler et à stationner dans les grandes villes et les métropoles. L'idée est d'encourager les collectivités à se saisir de ce problème, par exemple en autorisant plus de places de stationnement aux médecins en intervention ou en les autorisant à rouler dans les couloirs de bus. Cela n'entraînerait aucune charge financière supplémentaire pour les collectivités.
En ce qui concerne les classes préparatoires « talents médicaux » de la recommandation n° 31, il s'agit de permettre à des jeunes sélectionnés dans les territoires sous-denses de progresser dans leurs études, tout en sachant qu'ils seront plus facilement disposés à s'installer dans leur région d'origine.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué leurs expériences de « deal » avec des praticiens, notamment sur les loyers, pour les convaincre de venir s'installer dans une zone sous-dotée. J'en ai moi-même connu. C'est une pratique qui existe, même si elle tend à reculer. Comme les maisons de santé se développent, le jeu de la concurrence s'estompe. Les cabinets de recrutement ont également normalisé, voire moralisé leurs pratiques, et les élus locaux tombent de moins en moins dans le piège du chantage.
Pour tout dire, j'aurais même souhaité proposer que les loyers soient les mêmes partout afin d'éviter cette surenchère dans les demandes d'avantages. Du reste, ne perdons pas de vue que ce type d'installations est en moyenne subventionné à 80 % par les collectivités, les 20 % restants étant couverts par l'emprunt du médecin - c'est en fait ce que couvre le loyer.
Nous avons calqué la carte du vote pour les extrêmes, notamment pour l'extrême droite, aux scrutins de 2024 sur celle des déserts médicaux : elles correspondent parfaitement ! C'est pourquoi je suis persuadé que nous devons reprendre la main, via la régulation. Il s'agit d'un enjeu politique majeur. Nous aurons d'ailleurs un premier test de notre capacité à réguler en orientant l'installation lors de l'arrivée des 3 900 médecins juniors en 2026. Il ne faudra pas céder à la tentation des CHU de récupérer ces internes pour répondre à leurs propres difficultés.
Pour finir, je reviens à la recommandation n° 1, qui est un premier pas vers la régulation de l'installation. Elle ne pourra être mise en place que par le conventionnement ou le non-conventionnement avec l'Assurance maladie.
En votant les 38 recommandations de ce rapport d'information, nous nous donnerons un peu plus les moyens de pousser les médecins à s'installer là où nous voulons qu'ils s'installent, et nous confierons des compétences à deux professions qui n'en ont pas suffisamment aujourd'hui pour pouvoir soigner les Français de manière correcte.
Il faut que le législateur s'empare du sujet. Nous n'avancerons pas en nous en remettant aux seules habitudes du Conseil national de l'ordre des médecins ! Le 29 octobre dernier, devant la commission des affaires sociales, son vice-président affirmait une nouvelle fois que les 3 900 jeunes qui seront formés seront l'alpha et l'oméga de la réponse aux déserts médicaux.
Je n'y crois absolument pas. Nous devons, mes chers collègues, prendre nos responsabilités !
M. Jean-François Longeot, président. - Au travers de ce rapport d'information, vous avez pris les vôtres, mon cher collègue. Vous nous avez fixé une ligne de travail. Nous ne devons pas nous arrêter là.
Mes chers collègues, j'en appelle à la solidarité au sein de notre commission pour que nous puissions passer à l'action. Notre chemin est semé d'embûches : l'ordre des médecins, les Jeunes médecins, les ministères, quels qu'ils soient - je m'en suis rendu compte en préparant mes deux rapports de 2016 et 2020. La position de la commission des affaires sociales peut différer de la nôtre. Il faut que ce soit nous qui donnions le la, qui montrions la voie.
Voter en faveur de ces travaux, ce n'est pas seulement reconnaître le travail du rapporteur : c'est, surtout, oeuvrer en faveur de nos concitoyens. Sur le terrain, on nous parle constamment de l'accès aux soins. C'était déjà l'un des thèmes de la campagne pour l'élection présidentielle.
C'est la vision de notre commission qui doit l'emporter au sein du Sénat. Il faut que nous puissions unir nos forces pour convaincre nos partenaires potentiels. Nous devons montrer que notre commission est celle qui a travaillé, qui a réfléchi, en associant l'ensemble de ses commissaires.
À cet égard, un vote unanime servirait l'intérêt général. C'est ce qui doit primer ! C'est en considérant l'intérêt général que nous ferons avancer les choses.
Les territoires riches ont les moyens de faire monter les enchères pour attirer les médecins. Il faut reconnaître que l'on en manque aujourd'hui.
Marie-Claude Varaillas a rappelé que plus de 70 % des médecins étaient des femmes. Il faut respecter le temps partiel, mais cela implique qu'il faudra plus de médecins qu'il n'en fallait hier.
Ce rapport traduit une volonté forte. Nous sommes sur la voie de la réussite. Je le voterai avec enthousiasme. Les membres de mon groupe le voteront également.
Merci, monsieur le rapporteur, de votre travail.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.