QUATRIÈME PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE ET
ORGANIQUE DES INITIATIVES AYANT TRAIT
AUX ADMINISTRATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE

La recevabilité financière et organique des amendements concernant les administrations de sécurité sociale est examinée selon les mêmes règles et la même jurisprudence que celles exposées précédemment259(*), comme l'illustrent les exemples déjà mobilisés à cet effet.

Toutefois, certaines spécificités de ce secteur institutionnel, le nombre important d'amendements déposés chaque année sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et la fréquence des textes « sociaux » justifient de rassembler les questions de recevabilité les plus courantes dans une partie dédiée.

I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION

A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 40 EN MATIÈRE SOCIALE

Les règles de recevabilité financière des amendements s'appliquent à l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), soit à un périmètre plus large que celui des seuls organismes relevant des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).

1. Le périmètre des administrations de sécurité sociale
a) Un périmètre large, qui excède le champ de la protection sociale

Au sens de la comptabilité nationale260(*), les ASSO regroupent :

- les régimes d'assurance sociale, qui comprennent :

* le régime général de la sécurité sociale, ce qui recouvre la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Plus communément, le régime général est décrit par ses branches, au nombre de six : famille, maladie, accidents du travail - maladies professionnelles, retraite, autonomie et recouvrement ;

* les fonds spéciaux, qui versent des prestations sociales et sont financés par des quotes-parts de cotisations provenant des caisses de sécurité sociale ou qui répartissent les recettes affectées entre les différentes caisses. Sont notamment visés le Fonds commun pour les accidents du travail (FCAT), le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), le Service social d'allocation aux personnes âgées (SASPA), le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ou encore le Fonds de compensation des organismes de sécurité sociale (FCOSS) ;

* les autres régimes de base des salariés (régimes spéciaux d'entreprises et d'établissements publics, salariés agricoles etc.) ;

* les régimes des non-salariés (dont la mutualité sociale agricole, pour les exploitants agricoles) ;

* les régimes complémentaires d'assurance vieillesse des salariés (Agirc-Arrco par exemple) ;

* la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ;

* le fonds de réserve des retraites (FRR).

- l'assurance chômage ;

- les organismes dépendant des assurances sociales (ODASS), qui regroupent les hôpitaux de l'assistance publique, les hôpitaux privés financés par la dotation globale hospitalière ainsi que les oeuvres sociales intégrées aux organismes de sécurité sociale261(*).

Certains de ces régimes et organismes relèvent également du domaine des LFSS. Objets de nombreux amendements, ils sont par conséquent décrits plus précisément dans un second temps.

b) Le cas particulier du régime d'indemnisation du chômage et des régimes complémentaires

Sans qu'ils fassent partie du champ des lois de financement de sécurité sociale, appartiennent aux ASSO et entrent donc dans le champ d'application de l'article 40 de la Constitution :

- le régime d'indemnisation du chômage, soit l'Unedic et France Travail (anciennement Pôle Emploi262(*)) ;

- les régimes d'assurance vieillesse complémentaire obligatoires, principalement la retraite complémentaire des salariés de l'agriculture, du commerce, de l'industrie et des services (Agirc-Arrco) et l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec).

(1) L'Unedic, une pleine intégration au champ de l'article 40

L'intégration du régime d'indemnisation du chômage dans le champ de l'article 40 de la Constitution est désormais admise. Si le caractère paritaire et privé de la gestion du régime par l'Unedic a pu conduire, dans un premier temps, à l'exclure du champ d'application de l'article 40, la garantie financière « inconditionnelle et irrévocable » accordée par l'État263(*) à ce régime depuis 2012 explique désormais qu'il soit pleinement intégré dans le champ du contrôle de la recevabilité financière. En loi de finances pour 2024, cette garantie a été octroyée, à titre gratuit, pour les emprunts obligataires contractés par l'Unedic dans la limite d'un plafond global en principal d'un milliard d'euros264(*).

(2) Les régimes complémentaires

La question de l'inclusion dans le champ de l'article 40 de la Constitution des régimes complémentaires est plus délicate et implique de distinguer leur caractère obligatoire ou facultatif.

Par principe, les régimes de retraite complémentaires obligatoires sont inclus dans le champ de l'article 40. Le caractère paritaire et privé de la gestion de ces régimes ne peut en effet justifier à lui seul leur exclusion du contrôle de la recevabilité financière. Ces régimes, principalement composés de l'Agirc-Arrco et de l'Ircantec sont considérés comme des administrations de sécurité sociale au sens de la comptabilité nationale : leurs déficits et leurs dettes sont pris en compte dans le calcul du solde des administrations publiques. Ils entrent donc dans le champ d'application de l'article 40, une lecture partagée par l'Assemblée nationale.

Pour les régimes complémentaires en matière de santé, la jurisprudence les a longtemps exclus du champ du contrôle de la recevabilité financière. Toutefois, les évolutions constatées ces dernières années ont obligé le juge de la recevabilité financière à réviser cette analyse. Par exemple, la complémentaire santé solidaire (CSS) est financée par la Caisse nationale d'assurance maladie via le produit de la taxe de solidarité annuelle ; c'est donc un régime public, financé par l'État. C'est ainsi que le président de la commission des finances a déclaré irrecevable, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, un amendement élargissant les conditions d'accès à la CSS, puisqu'il aggravait une charge publique.

Il convient de noter que l'Assemblée nationale a elle aussi ouvert la voie à un changement de sa jurisprudence, en reconnaissant que « les frontières entre les régimes de base et les complémentaires en matière de santé sont de plus en plus poreuses - en atteste la création de la complémentaire santé solidaire (CSS), ou du « 100 % santé » dans le domaine de l'optique, du dentaire et de l'audiologie - ce qui pourrait conduire, à l'avenir, à réviser cette jurisprudence. »265(*) 

En revanche, n'entrent pas dans le champ des ASSO et ne relèvent donc pas de l'article 40 de la Constitution les régimes complémentaires facultatifs (santé et assurance vieillesse). À la différence de certains régimes obligatoires, ces régimes d'assurance sociale privée autonomes sont classés parmi les sociétés financières (compagnies d'assurance, instituts de prévoyance, mutuelles).

2. Les dispositions et les organismes relevant du champ des lois de financement de la sécurité sociale

Le champ des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) est plus restreint que celui des ASSO. Autrement dit, le périmètre des organismes entrant dans le champ de l'article 40 est plus large que celui des organismes relevant du domaine des LOFSS.

Aux termes des articles L.O. 1111-3-2 à L.O. 1111-3-8 du code de la sécurité sociale, qui définissent le domaine des LFSS, ce dernier comprend :

- les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ainsi que les organismes concourant au financement de ces régimes, dont le FSV par exemple ;

- les dispositions relatives à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de l'ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que ses sous-objectifs ;

- les organismes chargés de l'amortissement de la dette des régimes obligations de base et des organismes concourant à leur financement, dont la Cades. Le FRR relève également du champ des LFSS dans la mesure où celles-ci doivent obligatoirement comprendre les prévisions de recettes affectées aux fins de mise en réserve, au profit des régimes et organismes précités ;

- les établissements de santé relevant du service public hospitalier ainsi que les établissements médico-sociaux publics et privés à but non lucratif financés tout ou en partie par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et soumis à un objectif de dépenses.

a) Les régimes obligatoires de base

Un document présentant la liste des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) est annexé chaque année au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Le tableau ci-après reprend, à titre indicatif, la liste des ROBSS en 2022, telle que communiquée en annexe au PLFSS pour 2024.

Les 32 régimes obligatoires de base de la sécurité sociale

Régime général (1)

Population couverte : salariés du secteur privé, employés de maison, agents non titulaires des fonctions publiques d'État, territoriale et hospitalière, artistes auteurs, professions artisanales, industrielles et commerciales, fonctionnaires civils, ouvriers de l'État et fonctionnaires de La Poste et France Télécom, agents titulaires des collectivités locales et hospitalières, professions libérales (hors artistes auteurs et avocats), étudiants, agents titulaires des industries électriques et gazières, frontaliers suisses, rentiers, etc.

Régimes agricoles (2)

Régime des exploitants agricoles

Régime des salariés agricoles

Régimes des non-salariés - non agricoles (2)

Caisse autonome d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL)

Caisse nationale du barreau français (CNBF)

Régimes spéciaux et assimilés (11)

Régime des fonctionnaires civils et militaires de l'État

Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL)

Fonds d'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales (FATIACL)

Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la société nationale des chemins de fer français (SNCF) Régime spécial des agents de la SNCF

Caisse de retraite du personnel de la régie autonome des transports parisiens (RATP) Régime spécial de la RATP

Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS)

Régime spécial des industries électriques et gazières (IEG)

Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM)

Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État (FSPOEIE)

Établissement national des invalides de la marine (ENIM)

Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et des employés de notaires (CRPCEN)

Autres régimes spéciaux (16)

Caisse d'assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC)

Assemblée nationale

Sénat

Service d'allocation spéciale aux personnes âgées (SASPAV)

Banque de France

Rentes accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM)

SEITA (employés de l'industrie des tabacs et allumettes)

Opéra de Paris

Préfecture du Haut-Rhin

Régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels (RISP)

Comédie française

Mairie de Paris

Assistance publique de Paris

Département de Paris

CRCFE (agents des chemins de fer d'Éthiopie)

CRRFOM (agents des chemins de fer d'outre-mer

*Les cases en gris correspondent aux régimes en extinction.

Source : commission des finances, d'après l'annexe n° 1 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024

b) Les organismes participant au financement des régimes de base

Ainsi qu'énoncé précédemment, relèvent également du champ des LFSS les organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit, et les organismes finançant et gérant des dépenses relevant de l'Ondam. L'annexe n° 2 au PLFSS en dresse une liste non exhaustive266(*), parmi lesquels :

- le fonds de solidarité vieillesse (FSV) ;

- le fonds de réserve pour les retraites (FRR) ;

- la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ;

les fonds « amiante », à savoir le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) ;

- les fonds « médicaux et hospitaliers », tels que le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS) ;

certaines agences de « sécurité sanitaire », qui bénéficient d'une dotation de l'assurance maladie, parfois en complément d'une subvention pour charge de service public retracée dans la mission « Santé » - l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), la Haute autorité de santé (HAS), l'Établissement français du sang (EFS), l'Agence de biomédecine (ABM) ou encore l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ;

- d'autres établissements publics bénéficiant d'une subvention de l'assurance maladie, tels que les agences régionales de santé (ARS), l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) et le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) ;

- des groupements d'intérêt public dont les ressources comprennent des dotations versées par l'État et les organismes de sécurité sociale, à l'instar de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ou l'Agence du numérique en santé.

c) Les établissements de santé et les structures sociales et médico-sociales

Les établissements de santé relevant du service public hospitalier ainsi que les établissements médico-sociaux publics et privés à but non lucratif financés en tout ou partie par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et soumis à un objectif de dépenses appartiennent également au champ des LFSS. Ils recouvrent :

- au titre du sous-objectif de l'Ondam « établissement de santé », les établissements publics de santé, les établissements privés de santé d'intérêt collectif (Espic), les groupements de coopération sanitaire (GCS) ainsi que les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ;

- au titre du sous-objectif « autres prises en charge », les centres de cures ambulatoires en alcoologie (CCAA), les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (Caarud), les appartements de coordination thérapeutique (ACT) ou les lits « Halte soins santé » (LHSS) ;

- au titre des sous-objectifs « établissements et services pour personnes âgées » et « établissements et services pour personnes handicapées », les établissements et services sociaux et médico-sociaux énumérés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. Il s'agit notamment des établissements participant à l'aide sociale à l'enfance, des établissements accueillant des personnes handicapées, des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).

Enfin, il convient de noter que d'autres entités relevant du secteur médico-social peuvent bénéficier de dotations versées par l'État - notamment retracées sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - et relèvent donc également du champ de l'article 40 de la Constitution. Il s'agit par exemple des établissements et des services d'aide par le travail (ESAT), des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), des centres régionaux d'études, d'actions et d'informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) ou encore des instituts nationaux de jeunes aveugles (INJA) et de jeunes sourds (INJS).

Pour résumer
Les administrations de sécurité sociale et le champ
d'application de l'article 40 de la Constitution

· L'ensemble des administrations de sécurité sociale entrent dans le champ d'application de l'article 40. Ce périmètre est donc plus large que le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

· Entrent par exemple à ce titre dans le périmètre de l'article 40 le régime d'indemnisation du chômage ou encore certains régimes complémentaires de santé et de retraite.


* 259 La jurisprudence en matière de recevabilité financière ne sera pas systématiquement redétaillée, mais il pourra être procédé par renvoi

* 260 Insee, Administrations publiques en 2018 - Définition des administrations de sécurité sociale, mars 2020.

* 261 L'Insee donne en exemple les oeuvres sociales de la Caisse nationale des allocations familiales ainsi que les écoles d'infirmières.

* 262  Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.

* 263 Article 80 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 264 Article 183 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 265 Rapport d'information n° 5107, déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale, présenté par M. Éric Woerth, 23 février 2022.

* 266 Annexe n° 2 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Partager cette page