- AVANT-PROPOS
- ARBRE DE DÉCISION
DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DES AMENDEMENTS ET PROPOSITIONS DE LOI
- PRÉAMBULE
LES ORIGINES DE L'ARTICLE 40
DE LA CONSTITUTION
- PREMIÈRE PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA RECEVABILITÉ
FINANCIÈRE
- B. LES PERSONNES QUI ENTRENT DANS LE CHAMP DE
L'ARTICLE 40
- 1. Une définition large des administrations
publiques dans le champ de l'article 40, conformément à la
volonté du constituant
- 2. Les administrations publiques au sens de la
comptabilité nationale : le coeur de l'article 40
- 3. Les frontières de
l'article 40 : une interprétation inspirée du
régime des aides d'État
- a) Les personnes qui entrent dans le champ de
l'article 40
- (1) En raison de la nature de leurs missions
- (2) En raison de leur financement
- (3) En raison d'une garantie durable de
l'État
- b) Les personnes privées qui
relèvent de l'article 40 pour certaines de leurs missions :
les missions d'intérêt général financées par
des ressources publiques
- (1) Les entreprises exerçant une mission de
service public
- (2) Les établissements bancaires
- (3) Les opérateurs de compétences et
les organismes de formation professionnelle
- (4) Les organismes concourant à la
politique du logement social
- (a) Action Logement et le « 1 %
logement »
- (b) Les offices publics de l'habitat et les
organismes de foncier solidaire
- (5) Les fédérations sportives
- (6) Le cas particulier des entreprises du secteur
énergétique
- (a) Les gestionnaires de réseaux
- (b) Les entreprises de distribution et le cas des
tarifs réglementés
- c) Les personnes qui ne relèvent pas de
l'article 40
- a) Les personnes qui entrent dans le champ de
l'article 40
- 1. Une définition large des administrations
publiques dans le champ de l'article 40, conformément à la
volonté du constituant
- C. LES BASES DE RÉFÉRENCE
UTILISÉES POUR L'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ
FINANCIÈRE
- A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA RECEVABILITÉ
FINANCIÈRE
- II. L'EXERCICE DU CONTRÔLE DE LA
RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- A. L'INTERDICTION DE CRÉER OU D'AGGRAVER
UNE CHARGE PUBLIQUE
- 1. Qu'est-ce qu'une charge publique ?
- 2. Les cas d'irrecevabilité
caractérisée
- a) Les dotations et les subventions
publiques
- (1) Principe général
- (2) Enveloppe fermée et enveloppe
ouverte
- b) Les droits détenus par les
administrés sur une personne publique
- (1) L'ouverture de droits nouveaux
- (2) L'élargissement du champ des
bénéficiaires
- (3) L'accroissement des droits détenus par
les administrés
- c) Les créations de structures ayant
vocation à dépenser
- (1) Les fonds et les structures publiques
- (2) Un assouplissement de la jurisprudence :
la fusion de plusieurs structures publiques dans un objectif de rationalisation
budgétaire
- d) L'élargissement des compétences
d'une personne publique
- (1) L'octroi ou l'extension de compétences
d'une personne publique
- (2) L'attribution d'une recette à
l'exercice de sa compétence par une personne publique
- e) Les expérimentations
- f) Les transferts de charge entre personnes
publiques
- g) Les dispositions intéressant l'emploi
public
- (1) Le recrutement d'agents publics
- (2) La rémunération et la
carrière des agents publics
- h) Les charges de trésorerie
- i) Les autres cas d'irrecevabilité
- (1) Nationalisation, expropriation et droit de
préemption
- (2) L'engagement de la responsabilité d'une
personne publique
- a) Les dotations et les subventions
publiques
- 3. Les cas dans lesquels l'irrecevabilité
n'est pas constituée
- a) Les amendements non normatifs
- b) Les charges de gestion
- (1) Les rapports, schémas et délais
de traitement
- (2) L'aménagement limité des
compétences d'une personne publique
- (3) Les dépenses informatiques
- (4) La création de structures
« légères »
- c) La jurisprudence de l'« État
employeur »
- d) La jurisprudence
« démocratie »
- e) Les évolutions intervenues au mois de
juillet 2020
- a) Les amendements non normatifs
- 1. Qu'est-ce qu'une charge publique ?
- B. LA POSSIBILITÉ DE GAGER LES DIMINUTIONS
DE RESSOURCES PUBLIQUES
- C. LES OPÉRATIONS SE SITUANT À LA
FRONTIÈRE DES RECETTES ET DES DÉPENSES PUBLIQUES
- A. L'INTERDICTION DE CRÉER OU D'AGGRAVER
UNE CHARGE PUBLIQUE
- III. LA PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA
RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- A. UN CONTRÔLE A PRIORI ET SUR
INVOCATION
- B. RECEVABILITÉ FINANCIÈRE ET
INITIATIVE PARLEMENTAIRE
- A. UN CONTRÔLE A PRIORI ET SUR
INVOCATION
- I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- DEUXIÈME PARTIE
LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
- I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
- II. LE DOMAINE ET LA STRUCTURE DES LOIS DE
FINANCES
- A. LE DOMAINE DES LOIS DE FINANCES
- B. LE PRINCIPE DE BIPARTITION DES LOIS DE
FINANCES
- C. L'APPLICATION AUX TEXTES FINANCIERS
- 1. Les lois de finances de l'année
- a) Le domaine obligatoire
- b) Le domaine exclusif
- c) Le domaine partagé
- (1) Les mesures relatives aux impositions de toute
nature
- (2) Les dispositions affectant directement les
dépenses budgétaires de l'année
- (3) Les modalités de répartition des
concours aux collectivités territoriales
- (4) L'information et le contrôle du
Parlement sur les finances publiques
- (5) Les conventions financières et le
transfert de données fiscales
- a) Le domaine obligatoire
- 2. Les lois de finances
« modificatives »
- 1. Les lois de finances de l'année
- A. LE DOMAINE DES LOIS DE FINANCES
- III. LA PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA
RECEVABILITÉ ORGANIQUE
- I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
- TROISIÈME PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE ET ORGANIQUE DES INITIATIVES AYANT TRAIT AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
- I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE
L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
- A. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE LA JURISPRUDENCE
EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- 1. L'augmentation des charges de personnel
- 2. L'augmentation des contributions pesant sur les
collectivités
- 3. La création de structures
coûteuses
- 4. Les incitations à dépenser et
l'octroi de nouvelles ressources
- 5. La recevabilité des initiatives
consacrant le droit existant, précisant le droit proposé ou
créant des « charges de gestion »
- 6. La jurisprudence
« démocratie » et ses limites
- 7. La compensation des pertes de recettes
publiques pour les collectivités territoriales
- 1. L'augmentation des charges de personnel
- B. LES TRANSFERTS DE CHARGES ET LA MODIFICATION
DES COMPÉTENCES
- C. LES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE
L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
- 1. Les transferts financiers entre l'État
et les collectivités territoriales
- a) Les dotations et les fonds financés par
l'État
- b) Les prélèvements sur
recettes
- (1) La nature des prélèvements sur
recettes au regard de la recevabilité financière
- (2) Les initiatives parlementaires ayant trait
à la dotation globale de fonctionnement
- c) Les exonérations et
dégrèvements de fiscalité locale
- a) Les dotations et les fonds financés par
l'État
- 2. Les règles ayant trait à
l'encadrement des finances des collectivités territoriales
- 3. Les relations financières entre
collectivités
- 1. Les transferts financiers entre l'État
et les collectivités territoriales
- A. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE LA JURISPRUDENCE
EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- II. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE LA LOI
ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES
- I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE
L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
- QUATRIÈME PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE ET
ORGANIQUE DES INITIATIVES AYANT TRAIT
AUX ADMINISTRATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE
- I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE
L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
- A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 40 EN
MATIÈRE SOCIALE
- B. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE LA JURISPRUDENCE
EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- 1. Les cas d'irrecevabilité
caractérisée
- a) L'élargissement des droits
détenus par les administrés
- (1) Les ouvertures de droits nouveaux
- (2) L'élargissement du champ des
bénéficiaires ou l'assouplissement des conditions d'application
de certains dispositifs créateurs de droits
- (3) L'extension d'un dispositif créateur de
droits, dans son montant ou dans sa durée
- (4) L'élargissement de l'assiette des
cotisations sociales ouvrant un droit à prestations
- b) L'extension du droit de prescription
- c) Les dotations publiques et les fonds de
concours
- d) La création de nouvelles structures
publiques ou l'élargissement des compétences de structures
existantes
- e) La suppression d'un
« verrou » à la dépense publique
- f) Les études de santé
- a) L'élargissement des droits
détenus par les administrés
- 2. Les cas où la création où
l'aggravation de charge publique n'est pas constituée
- 3. L'appréciation stricte de la notion de
« recettes publiques » et ses effets sur la
recevabilité financière
- a) Une « neutralisation » au
niveau de la sécurité sociale des pertes de recettes
résultant d'exonérations de cotisations sociales
- (1) La possibilité de
« gager » une perte de cotisations sociales pour les
organismes de sécurité sociale
- (2) L'interdiction d'instaurer ou d'étendre
les compensations budgétaires versées par l'État aux
organismes de sécurité sociale
- b) L'irrecevabilité des mesures qui ne
peuvent être assimilées à des pertes de recettes pour les
organismes de sécurité sociale
- a) Une « neutralisation » au
niveau de la sécurité sociale des pertes de recettes
résultant d'exonérations de cotisations sociales
- 1. Les cas d'irrecevabilité
caractérisée
- C. LE CAS PARTICULIER DES TRANSFERTS DE
CHARGES
- A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 40 EN
MATIÈRE SOCIALE
- II. LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
- I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE
L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
- EXAMEN EN COMMISSION
- ANNEXE 1
TABLEAU DES GAGES
- ANNEXE 2
PRINCIPALES DISPOSITIONS RELATIVES À LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
- ANNEXE 3
LA PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
N° 100
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la
recevabilité financière
des
amendements et des
propositions de loi au
Sénat,
Par M. Claude RAYNAL,
Sénateur
Président
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mme Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Près de quinze ans après la mise en application par le Sénat du contrôle systématique et a priori de la recevabilité financière des propositions de loi et amendements formulés par les sénateurs et dix ans après le rapport d'information de Philippe Marini sur ce sujet1(*), il apparaît utile de faire à nouveau le point sur la jurisprudence sénatoriale en la matière. De nombreuses évolutions, en très grande majorité favorables à l'initiative parlementaire, sont en effet intervenues depuis 2014.
Si la limitation du droit d'amendement suscite parfois des incompréhensions et des critiques, elle résulte de l'application de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), dont nous sommes tous les garants. Le contrôle de la recevabilité financière des amendements intervient en effet désormais dès le stade de l'examen en commission, sous la responsabilité des présidents de commission.
Il serait fallacieux de ne pas reconnaître que l'article 40 de la Constitution contraint effectivement le droit d'initiative des parlementaires, consacré par l'article 39 pour les propositions de loi et par l'article 44 pour le droit d'amendement. Les articles 40 et 412(*) ont été conçus à cette fin, comme le montrent les travaux préparatoires à l'élaboration de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a, dès 1978, affirmé le caractère « absolu » de cette limite, dont il a par ailleurs donné des éléments d'interprétation au travers de plusieurs décisions.
C'est également le juge constitutionnel qui, dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 20073(*), a imposé au Sénat de mettre en place une procédure de contrôle a priori des amendements et des propositions de loi, faute de quoi il se serait accordé le droit de « passer au crible » toute disposition d'origine sénatoriale. Dès lors, un contrôle strict réalisé en amont nous protège ; la jurisprudence établie par la commission des finances assurant un degré de prévisibilité aux sénateurs. Le contrôle a priori permet, en outre, en cas de risque d'irrecevabilité financière, d'apporter des adaptations aux propositions des sénateurs, afin que celles-ci puissent être examinées. Parfois méconnu, le rôle de conseil du président de la commission des finances ne saurait être suffisamment rappelé.
Le président de la commission des finances, quand il fait office de « juge » de la recevabilité des initiatives parlementaires au regard de l'article 40 et de la LOLF, conformément aux dispositions de l'article 45 du Règlement du Sénat, se doit donc de respecter des contraintes qui résultent directement de la volonté du constituant.
Pour autant, toute règle limitant l'initiative parlementaire doit être strictement interprétée, c'est-à-dire en cherchant à empiéter le moins possible sur ce droit d'initiative. C'est ainsi que le juge de la recevabilité financière applique un raisonnement strictement juridique, et non économique ou politique. L'intention des auteurs et le contenu de leurs initiatives n'entrent pas dans le champ de son contrôle.
C'est cet équilibre que ce rapport s'attache à mettre en lumière, en donnant des éléments d'explication sur le cadre juridique applicable à la recevabilité financière et organique des propositions de loi et des amendements formulés par les sénateurs. Il retrace et explicite la jurisprudence dégagée, au fil du temps, par les présidents de la commission des finances à qui incombe en tout premier lieu cette responsabilité.
Je salue les travaux de grande qualité de mes prédécesseurs, Jean Arthuis4(*) et Philippe Marini, que ce rapport n'entend pas « révolutionner » mais actualiser, pour intégrer des assouplissements intervenus ces dernières années ou des évolutions rendues nécessaires par les décisions du Conseil constitutionnel. L'apparente complexité de cette jurisprudence résulte pour l'essentiel de la volonté des présidents successifs de la commission des finances de retenir l'approche la plus favorable aux initiatives des sénateurs.
Impossible de ne pas non plus mentionner les neuf rapports rédigés par plusieurs présidents de la commission des finances de l'Assemblée nationale5(*). La comparaison avec leurs travaux fait apparaître la grande convergence entre les jurisprudences applicables à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il faut saluer à cet égard les efforts de mon prédécesseur, Vincent Éblé, pour limiter encore davantage les divergences d'interprétation entre nos deux chambres6(*). Il en reste peu, elles sont ici présentées et justifiées.
En dépit d'une base jurisprudentielle désormais abondante et solide, ce rapport ne peut prétendre à l'exhaustivité. Pour reprendre une expression chère à l'un de mes prédécesseurs, le « juge » de la recevabilité financière est un juge modeste. Les sujets soulevés par les diverses initiatives sénatoriales peuvent être nouveaux ou conduire à une actualisation de la jurisprudence. Surtout, il ne saurait être passé sous silence les conditions d'urgence dans lesquelles s'exerce souvent l'examen de la recevabilité financière, avec des calendriers toujours plus contraints et une inflation continue du nombre d'amendements déposés. Il peut ainsi arriver que des décisions doivent être prises sur plusieurs centaines voire milliers d'amendements en moins d'une journée, sur des sujets toujours plus complexes. Errare humanum est, perseverare diabolicum7(*) - voilà une maxime que devraient faire leur les « juges » de la recevabilité financière tout autant que les auteurs des initiatives parlementaires soumises à son application.
Il me reste à souhaiter que ce nouveau rapport d'information, à la fois théorique et pratique, soit utile aux sénateurs et leur permette de mieux appréhender une jurisprudence qu'ont contribué à construire, depuis les débuts de la Ve République, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, des élus de tous bords politiques, dans le souci constant de concilier exigences constitutionnelles et initiative parlementaire.
ARBRE DE DÉCISION
DU
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DES AMENDEMENTS ET
PROPOSITIONS DE LOI
Source : commission des finances du Sénat
PRÉAMBULE
LES
ORIGINES DE L'ARTICLE 40
DE LA CONSTITUTION
L'article 40 de la Constitution constitue l'un des traits les plus marquants du parlementarisme rationalisé institué en 1958. Pour autant, le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires a des origines plus anciennes : partiellement appliqué sous la IVe République, il existe - dans une forme assez proche - au Royaume-Uni depuis le début du XVIIIe siècle.
En 1706, la Chambre des communes décide d'interdire aux parlementaires de prendre l'initiative d'une dépense publique, sauf à ce que celle-ci soit « recommandée par la Couronne »8(*). Le contexte politique de l'époque justifiait le fait que la Chambre ne souhaitait pas accroître les dépenses de la Couronne et qu'elle ait elle-même limité ses pouvoirs budgétaires, en dépit du renforcement concomitant de son contrôle sur les finances publiques9(*) ; aussi le monopole de l'exécutif en matière de dépenses a-t-il été inscrit dans le Règlement de la Chambre des communes en 1713 et subsiste encore à ce jour10(*).
Les développements qui suivent reviennent sur les origines de l'article 40 de la Constitution afin de mieux approcher l'esprit de celui-ci, à travers les travaux de ceux qui ont participé à sa rédaction, et d'éclairer l'interprétation qui peut en être faite.
I. L'ENCADREMENT DES POUVOIRS FINANCIERS DU PARLEMENT
A. UN PRÉCÉDENT SOUS LA IVE RÉPUBLIQUE
Le souci d'encadrer constitutionnellement les pouvoirs du Parlement en matière financière était présent dès le début des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958 ; ainsi, l'avant-projet de Constitution préparé à la mi-juin 1958 par le groupe de travail mis en place par le Gouvernement à cette fin prévoyait, dans l'article relatif à l'initiative des lois, que les « propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence une diminution des ressources ou une aggravation des charges de l'État ».
Ce projet connaissait des antécédents notables, bien que limités dans leurs effets, à travers l'article 17 de la Constitution de 1946 et la « loi des maxima » (cf. infra). L'article 17 écartait l'initiative des dépenses lors de la discussion budgétaire, interdisant les créations ou augmentations de dépenses dans ce cadre :
Les députés à l'Assemblée nationale possèdent l'initiative des dépenses.
Toutefois, aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires.
En complément, les dispositions de la « loi des maxima «, introduites pour la première fois par l'article 16 de la loi du 31 décembre 194811(*), prévoyaient une clause de sauvegarde de l'équilibre général du budget :
Au cours de l'exercice 1949, aucune mesure législative ou réglementaire susceptible d'entraîner, au-delà des maxima prévus, une dépense nouvelle ou d'accroître une dépense déjà existante ne pourra intervenir sans faire l'objet d'une ouverture de crédits préalable au chapitre budgétaire intéressé et sans qu'aient été dégagées en contrepartie soit des économies, soit des recettes nouvelles d'un montant correspondant12(*).
S'inscrivant dans une même logique d'affermissement des restrictions apportées à l'initiative parlementaire, la recevabilité financière et la recevabilité aujourd'hui prévue à l'article 41 de la Constitution faisaient l'objet d'un traitement conjoint dans l'article 35 de l'avant-projet gouvernemental présenté au Comité consultatif constitutionnel, qui était ainsi rédigé :
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption serait contraire aux dispositions de l'article 33 ou à la délégation prévue à l'article 34 ou lorsqu'elle aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources, soit une aggravation des charges publiques.
En cas de désaccord sur la recevabilité entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel est appelé à statuer à la demande de l'un ou de l'autre.
Il apparaît tout d'abord que la notion de « charges publiques » était abordée au pluriel, à la différence de la rédaction définitive de l'article 40 de la Constitution. L'avant-projet permettait, par conséquent, la compensation d'une création ou d'une aggravation d'une charge publique par la réduction d'une autre charge ou par l'accroissement des ressources. Ensuite, un rôle d'arbitrage entre le Gouvernement et le Parlement était réservé au Conseil constitutionnel en matière de recevabilité financière.
Selon le commissaire du Gouvernement, Raymond Janot, l'article 35 de l'avant-projet avait pour objet de « constitutionnaliser la loi des maxima »13(*).
L'accueil réservé à l'article 35 de l'avant-projet gouvernemental par le Comité consultatif constitutionnel pourrait aujourd'hui surprendre. En effet, l'inquiétude des parlementaires membres de ce Comité semblait non pas résulter d'une limitation des pouvoirs du Parlement en matière de dépenses, mais de l'impossibilité supposée de procéder à une réduction des impôts.
Cette préoccupation ressort clairement de l'intervention de René Dejean, député et vice-président du Comité consultatif, lors de la séance du matin du 31 juillet 1958. Ainsi, celui-ci s'interrogeait : « Je suis entièrement d'accord pour qu'aucune proposition de loi ne puisse aggraver les charges publiques, mais, par contre, lorsqu'il est question d'une diminution des ressources, c'est-à-dire lorsque le parlementaire au lieu d'être dépensier souhaiterait être économe, allez-vous l'en empêcher ? [...] Il ne serait donc pas permis à un parlementaire de solliciter que la charge fiscale pût être diminuée ? Je trouve cela un peu excessif ».
Par conséquent, les premières réflexions du Comité consultatif tendaient vers une réduction du champ des « ressources » pour le limiter à celles nécessaires au financement des dépenses adoptées dans le cadre du budget. Toutefois, cette modification a été écartée à l'initiative du commissaire du Gouvernement, Raymond Janot.
Aussi la volonté des rédacteurs de la Constitution de retenir une définition large des « ressources publiques » entrant dans le champ de l'actuel article 40 est-elle clairement établie.
B. L'INTERDICTION DES « OPÉRATIONS COMPENSÉES »
L'article 35 de l'avant-projet gouvernemental constituait une reprise des dispositions de la « loi des maxima ». L'application de cette dernière, aussi dite « loi du cadenas », se faisait de la manière suivante : le ministre des finances déclarait en séance qu'une proposition parlementaire avait pour conséquence une aggravation des charges publiques ou une diminution des ressources publiques. Il appartenait à la commission des finances de l'Assemblée de se prononcer sur l'applicabilité de la « loi des maxima » lorsque celle-ci était invoquée par le Gouvernement à l'encontre d'une initiative parlementaire. Si la commission des finances confirmait le plus souvent la position du Gouvernement, un conflit pouvait toutefois survenir sur l'applicabilité de la règle invoquée. Ainsi, le 22 juin 1950, Georges Bidault, président du Conseil, avait été amené à poser la question de confiance devant l'Assemblée sur l'application de la « loi des maxima » ; mis en minorité, le Gouvernement avait été contraint à la démission.
Cependant, ce dispositif présentait deux limites. Tout d'abord, il se heurtait aux principes constitutionnels, le Parlement ayant, sur le fondement de l'article 17 de la Constitution de 1946, l'initiative des dépenses14(*). Ensuite, la « loi des maxima » permettait des « opérations compensées », notamment dans le domaine des dépenses ; un parlementaire pouvait ainsi proposer une économie en contrepartie d'une dépense.
C'est pour cette raison que le texte soumis à la commission constitutionnelle du Conseil d'État les 25 et 26 août 1958 ne faisait plus référence à « une aggravation des charges publiques » mais à « la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Dès lors, une dépense publique nouvelle ne pouvait plus être compensée.
II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE : UNE PROCÉDURE PARLEMENTAIRE
Devant le Conseil d'État, réuni en assemblée générale les 27 et 28 août 1958, le Gouvernement a présenté une version modifiée de l'article 35 qui portait désormais exclusivement sur la recevabilité financière, la recevabilité prévue par l'actuel article 41 de la Constitution faisant l'objet d'un nouvel article.
En outre, l'arbitrage du Conseil constitutionnel en cas de désaccord entre le Parlement et le Gouvernement sur la recevabilité financière d'une initiative parlementaire était supprimé. À cet égard, il est intéressant de noter que Raymond Janot avait affirmé devant l'assemblée générale qu'« il n'y avait pas d'intérêt à maintenir la consultation du Conseil constitutionnel dont il faut bien dire, à la vérité, que les compétences seront plus juridiques, ou politiques, que financières ».
Dans ces conditions, le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires était réservé au Parlement, à l'instar de ce qui se faisait sous la IVe République. Pour autant, le Conseil constitutionnel s'est rapidement imposé comme le « juge d'appel » des organes parlementaires en matière de recevabilité financière, comme cela sera montré ultérieurement.
Le futur article 40 de la Constitution était ainsi arrêté dans sa forme définitive, référencé à l'article 38 du projet de texte adopté par l'assemblée générale du Conseil d'État :
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Ce sont, en effet, ces mêmes dispositions qui figurent, inchangées, à l'article 40 de la Constitution depuis la promulgation de cette dernière, le 4 octobre 1958.
III. LE PÉRIMÈTRE DES RESSOURCES ET DES CHARGES PUBLIQUES
Les travaux préparatoires apportent des informations complémentaires quant au périmètre des ressources et charges publiques à retenir pour l'application de la recevabilité financière des initiatives parlementaires.
Dans une première version élaborée par le groupe de travail institué par le Gouvernement en juin 1958, les dispositions relatives à la recevabilité financière concernaient uniquement les ressources et les charges de l'État (article 7 du premier avant-projet). Toutefois, ce périmètre est rapidement apparu comme insuffisant. Ainsi, l'avant-projet gouvernemental transmis au Comité consultatif constitutionnel en juillet 1958 mentionnait déjà les ressources et les charges publiques (article 35).
Les débats devant le Comité consultatif montrent qu'une acception large des ressources et charges publiques doit être retenue, ainsi que cela était indiqué précédemment. Concernant le périmètre des ressources publiques, que certains souhaitaient voir réduit afin de préserver le pouvoir des parlementaires de réduire la charge fiscale, la proposition tendant à limiter celui-ci aux seules ressources inscrites en loi de finances avait été écartée.
L'argumentation développée par Jean Gilbert-Jules, membre du Comité consultatif, permet de comprendre les motifs de ce refus :
Un grand nombre de ressources ne figurent pas dans le budget. Lorsque le Gouvernement, pour l'allocation supplémentaire de la retraite-vieillesse, a demandé des recettes correspondantes, ce n'était pas budgétaire. On peut, chaque fois, permettre au Parlement, par des amendements, de demander la diminution des ressources autres que budgétaires et vous démunissez le Gouvernement des pouvoirs qu'il détient actuellement de la loi des maxima.
Émerge ainsi une conception extensive des « ressources publiques » et donc, par symétrie, des « charges publiques ». Celles-ci dépassent le cadre du budget de l'État et semblent, déjà, absorber le domaine des finances sociales.
Enfin, devant la commission constitutionnelle du Conseil d'État, Gilbert Devaux, commissaire du Gouvernement et également directeur du budget, insistait pour qu'il soit précisé que la notion de « charge » réponde à la définition des charges donnée par l'article 10 du décret-loi organique du 19 juin 1956, premier texte organisant l'ensemble des finances publiques :
Aucune mesure législative ou réglementaire susceptible soit d'entraîner une dépense nouvelle, l'accroissement d'une dépense déjà existante, ou une majoration de la charge nette résultant de la gestion des comptes spéciaux du Trésor, soit de provoquer une perte de recette ou encore, soit d'accroître les charges, soit de réduire les ressources des départements et des communes ou des divers régimes d'assistance et de sécurité sociale, ne peut intervenir en cours d'année sans avoir fait l'objet, s'il y a lieu, d'une ouverture préalable de crédits et qu'aient été dégagées, pour un montant équivalent, soit des nouvelles recettes prévues au budget, soit des économies entraînant la suppression ou la réduction d'une dépense antérieurement autorisée.
Le Gouvernement est tenu de prendre toute mesure réglementaire nécessitée par l'application des dispositions votées, dans les conditions ci-dessus, par le Parlement15(*).
Selon Gilbert Devaux, ces dispositions impliquaient que soient comprises dans le champ des charges publiques « non seulement des dépenses de l'État et des dépenses budgétaires et de trésorerie mais également des charges pouvant incomber aux collectivités territoriales, aux organismes de Sécurité sociale, aux établissements publics, aux entreprises nationales ». Il ajoutait en outre « qu'il ne s'agit pas uniquement des charges d'un exercice, mais des charges valables pour tous les exercices à venir »16(*).
Il faut aussi noter qu'il s'agissait bien du sens donné aux charges publiques par la commission constitutionnelle du Conseil d'État, ainsi que l'a indiqué le rapporteur, Jérôme Solal-Céligny.
Pour résumer Les enseignements des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958 quant à l'interprétation de l'article 40 de la Constitution · Une définition large des ressources et des charges publiques, qui excède le périmètre des ressources et des charges de l'État uniquement. · L'interdiction des opérations compensées : une dépense publique nouvelle ne peut pas être compensée par une économie ou par une nouvelle ressource. · Le contrôle de la recevabilité financière est avant tout une procédure parlementaire. |
PREMIÈRE PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
Cette première partie a vocation à délimiter le champ d'application de l'article 40 de la Constitution : à quels textes s'applique-t-il ? Quelles sont les personnes qui entrent dans son champ ? Par rapport à quoi une initiative parlementaire est-elle contrôlée ?
A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
L'examen de la recevabilité financière des initiatives parlementaires s'applique à la plupart des textes soumis au Sénat. Il existe néanmoins des exceptions, que justifient soit le niveau du texte examiné soit son caractère non normatif.
1. Les textes entrant dans le cadre général du contrôle de recevabilité
L'élaboration de la loi constitue le coeur du champ d'application de l'examen de la recevabilité financière.
Cela vaut :
- pour l'ensemble des lois « ordinaires », y compris les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Ces derniers sont en outre le champ privilégié de l'examen de la recevabilité des amendements au regard, respectivement, de la LOLF et des dispositions organiques du code de la sécurité sociale17(*) ;
- pour les lois organiques, l'article 40 de la Constitution étant supérieur aux dispositions débattues dans le cadre d'un texte de niveau organique, en vertu de la hiérarchie des normes ;
- pour les lois d'habilitation examinées par le Parlement au titre de l'article 38 de la Constitution. La question pouvait se poser : ces lois autorisent le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant normalement du domaine de la loi, et donc les mesures coûteuses sont in fine prises par le Gouvernement, dont les initiatives ne sont pas soumises au contrôle de la recevabilité financière. Le Conseil constitutionnel a répondu très clairement à cette interrogation dans sa décision du 5 janvier 198218(*), en donnant raison à la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui avait déclaré irrecevables trois amendements parlementaires déposés à l'occasion de l'examen d'un tel projet de loi. Le Conseil a en effet considéré que « les mesures proposées par les amendements auxquels a été opposée l'irrecevabilité [...] étaient toutes génératrices de dépenses » et qu'elles « constituaient ainsi une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique ».
2. Les exceptions au contrôle de recevabilité
a) Les lois constitutionnelles
En raison de la nature de la norme, le contrôle de la recevabilité financière ne s'applique pas aux projets ou aux propositions de lois visant à modifier la Constitution.
Cela supposerait, en effet, de donner une prééminence qui n'a pas lieu d'être à l'article 40 par rapport aux autres dispositions de la Constitution.
b) Les résolutions
Les propositions de résolution ne font pas non plus l'objet d'un examen de recevabilité financière. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré, dans sa décision du 24 juin 195919(*), que l'article 40 ne vise « que les propositions de loi, qui sont les seules dont l'adoption puisse avoir pour conséquence une diminution des ressources publiques, une création ou une aggravation d'une charge publique ». Ce faisant, le Conseil a tranché un vif débat qui opposait le gouvernement de Michel Debré à certains parlementaires, dont nos anciens collègues Jacques Duclos et Pierre Marcilhacy20(*).
Cette décision visait les seules résolutions qu'il était alors possible d'adopter, à savoir :
- les propositions de résolution tendant à modifier le règlement des assemblées ;
- les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ;
- et les propositions de résolution tendant à la suspension de la détention ou des poursuites d'un parlementaire.
Le champ des résolutions s'est depuis étendu :
- l'article 34-1 de la Constitution autorise les assemblées à voter des résolutions de caractère général, sans pouvoir mettre en cause la responsabilité du Gouvernement ou contenir des injonctions à son égard. Comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle de 2008, à l'origine de l'insertion de cet article, ce dispositif vise à leur offrir la possibilité « à l'instar de la grande majorité des Parlements étrangers, d'adopter, en tout domaine, des résolutions n'ayant pas de valeur contraignante, mais marquant l'expression d'un souhait ou d'une préoccupation » afin que « déchargée de cette fonction tribunitienne, la loi [puisse] retrouver son caractère normatif »21(*) ;
- l'article 88-4 de la Constitution autorise les assemblées à adopter des résolutions européennes portant sur les « projets d'actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne ». Il s'agit ainsi de donner à l'Assemblée nationale et au Sénat le moyen de faire connaître leur position sur ces textes, mais sans modification du droit.
Dès lors, le raisonnement employé par le Conseil en 1959 s'applique à ces deux nouvelles catégories de résolutions, en raison de leur caractère non normatif. L'adoption de tels textes ne saurait en effet avoir pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. L'application de l'article 40 à ces textes est donc exclue.
c) Les motions
Les motions ne sont pas davantage examinées au regard de leur recevabilité financière.
Cela tient tant à la nature de ces textes (ni propositions, ni amendements) qu'à leur objet (motions de procédure, motions déposées lors d'un débat sur la politique générale du Gouvernement, motions référendaires sur un texte législatif ou sur l'organisation d'une collectivité territoriale située outre-mer, modalités d'approbation de l'élargissement de l'Union européenne, opposition à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne). Ainsi, le Règlement du Sénat, tel qu'approuvé par le Conseil constitutionnel, ne prévoit pas l'examen de leur recevabilité financière.
3. Le cas particulier des lois de programmation et de leurs annexes
Les lois de programmation qui, aux termes de l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution « déterminent les objectifs de l'action de l'État », méritent une analyse particulière en raison de leur caractère hybride.
D'un côté, ces textes sont susceptibles de contenir des dispositions normatives de valeur législative. Dès lors, l'ensemble des initiatives parlementaires se rapportant à de telles dispositions font l'objet du contrôle de recevabilité, comme pour tout type de loi ordinaire.
D'un autre côté, ces mêmes textes contiennent, par définition, une partie ou des articles fixant des orientations politiques et, éventuellement, une programmation de moyens financiers. Le plus souvent, ces dispositions figurent dans un article ainsi que dans un rapport annexé qu'approuve l'un des articles de la loi. La jurisprudence de la commission des finances est désormais clairement établie : les amendements portant sur cette partie de la loi, y compris sur sa partie chiffrée, bénéficient d'une présomption de recevabilité.
Ainsi que l'avait observé Marcel Pellenc, alors rapporteur général de la commission des finances, lors de la première loi de programme de la Ve République :
Ces projets, s'ils nous fournissent l'occasion d'engager le dialogue avec le Gouvernement, de présenter à la tribune quelques remarques que nous croyons justifiées, n'engageront pas beaucoup ceux d'entre vous qui les voteront. Leur responsabilité ne sera pas très grande ; en effet, du vote de ces textes ne résulte aucune décision [ni] aucun engagement d'ordre juridique. Il ne s'agit pas, comme nous en avions autrefois l'habitude lorsque nous examinions des lois de programme, d'ouvrir des crédits permettant de lancer des commandes et de prendre des engagements. Il s'agit simplement pour nous de donner notre approbation à l'intention qu'a le Gouvernement d'inscrire au moins, et sauf difficultés imprévues [...] les crédits envisagés dans ces lois-programmes, au cours de l'examen budgétaire des prochaines années22(*).
Marcel Pellenc y voyait l'occasion de présenter une « déclaration d'intention commune et partagée » et aucun de ses propos n'avait été démenti par le Premier ministre, Michel Debré.
Depuis lors, le Conseil constitutionnel a reconnu que les dispositions d'une telle loi définissant les objectifs de l'État - y compris la programmation des crédits et des emplois - ne sont « pas revêtues de la portée normative qui s'attache à la loi », que ces dispositions soient contenues dans une annexe dédiée23(*) ou qu'elles figurent dans le corps même de la loi24(*). Enfin, le Conseil a sobrement conclu dans le même sens25(*) pour ce qui concerne les « lois de programmation » précitées qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, se sont substituées aux lois de programme et aux lois d'orientation.
Il ressort donc de ce qui précède que, de même que pour les résolutions de l'article 34-1 de la Constitution, le Parlement n'agit pas dans le cadre de sa fonction de producteur de normes en votant ces parties des lois de programmation mais dans le cadre de sa fonction tribunitienne, que le juge de la recevabilité financière n'a pas à réprimer. En d'autres termes, l'adoption de tels amendements n'entraînant par elle-même ni une diminution de ressources publiques ni une création ou une aggravation d'une charge publique, ces amendements ne sauraient être irrecevables. En l'espèce, si l'intention des auteurs est coûteuse, l'effet de leurs amendements ne l'est pas - ce qu'illustre au demeurant assez bien la comparaison entre la trajectoire définie par de nombreuses lois de programmation et l'évolution réelle des crédits de la mission budgétaire ou de la politique publique concernée.
La présomption de recevabilité découle donc de la présomption de non-normativité de ces parties de lois de programmation. Il en ressort :
- d'une part, que si un amendement proposait d'introduire des dispositions manifestement normatives dans la partie « programmation » de ces textes, il pourrait être déclaré irrecevable ;
- d'autre part, que des dispositions similaires qu'un sénateur entendrait introduire dans une loi « ordinaire «, au sein de laquelle prévaut une présomption de normativité, pourraient être déclarées irrecevables.
De plus, ces parties des lois de programmation ne peuvent bien entendu pas constituer la base du « droit existant » à partir de laquelle sera jugée la conformité des amendements à d'autres textes, en particulier aux lois de finances qui sont, elles, tout à fait normatives.
Une telle approche respecte à la fois le droit d'amendement des parlementaires et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui limite l'application de l'article 40 aux seuls textes normatifs.
C'est pourquoi le président de la commission des finances a, par exemple, admis lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 :
- un amendement incluant, dans le rapport annexé, la création d'un programme prioritaire de recherche médicale bénéficiant de crédits spécifiques ;
- des amendements augmentant les crédits inscrits dans l'article de programmation des moyens financiers de la recherche ; de tels amendements étant par ailleurs irrecevables lorsqu'ils sont déposés sur le projet de loi de finances ou dans tout texte à portée normative réelle.
Autrement dit, les « voeux pieux » ne coûtent rien et, dès lors, ne peuvent être financièrement irrecevables !
Les lois de programmation des finances
publiques,
type particulier de lois de programmation
Les lois de programmation des finances publiques constituent une catégorie particulière de lois de programmation :
- en ce qu'elles sont régies par un alinéa particulier de l'article 34 de la Constitution, en vertu duquel elles définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques et s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ;
- en ce que des dispositions organiques leur sont consacrées au sein de la loi organique relative aux lois de finances26(*) ;
- et en ce qu'elles permettent d'assurer le respect par la France du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire, signé le 2 mars 2012, à Bruxelles.
Dans une certaine mesure, la même approche que celle des autres lois de programmation prévaut : un contrôle de recevabilité « normal » doit s'appliquer aux dispositions normatives de tels textes, mais pas aux objectifs et trajectoires qu'ils définissent. En effet, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 décembre 201227(*), les orientations pluriannuelles définies par la loi de programmation des finances publiques « n'ont pas pour effet de porter atteinte à la liberté d'appréciation et d'adaptation que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation [ni] de porter atteinte aux prérogatives du Parlement lors de l'examen et du vote des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou de tout autre projet ou proposition de loi ».
Néanmoins, dans ce cas particulier, le contenu de la loi de programmation est encadré par des dispositions de nature organique. Le président de la commission des finances a été amené à se prononcer sur des amendements visant à supprimer des dispositions relevant du domaine obligatoire des lois de programmation de finances publiques. Dans le cadre de l'examen de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, il a ainsi estimé qu'un amendement visant à supprimer l'article du projet de loi prévoyant la définition de l'objectif à moyen-terme des administrations publiques était recevable, alors même que, d'après l'article 1 A de la LOLF, cet objectif doit impérativement figurer dans les lois de programmation des finances publiques. Il a en effet considéré, en application de la règle de l'unité de vote (cf. infra), que cet amendement ne pouvait être déclaré irrecevable, dans la mesure où son adoption aurait un effet identique à celui d'un vote du Sénat rejetant l'article ou le projet de loi.
Source : commission des finances
4. La règle de l'unité de vote
Une fois qu'il est acquis que la nature du texte examiné par le Sénat justifie le contrôle de recevabilité, toutes les initiatives parlementaires n'en relèvent pas pour autant.
Ainsi, les amendements dont l'adoption aurait un effet identique (ou moindre) à celui d'une décision du Sénat non soumise à ce contrôle sont, par définition, recevables. Exprimé plus simplement, il est impossible de déclarer irrecevable un amendement supprimant un article du texte, quelles qu'en soient les conséquences financières, puisque cet effet serait identique à un vote du Sénat rejetant l'article. Au demeurant, la suppression d'un article a presque toujours pour effet le maintien du droit existant qui, comme cela sera développé ci-après, constitue l'une des références à partir desquelles est appréciée la recevabilité.
En revanche, les amendements qui suppriment une partie seulement d'une unité de vote, par exemple un paragraphe, un alinéa ou une phrase au sein d'un article, ne sont pas nécessairement recevables.
Pour résumer Les textes entrant dans le champ d'application de l'article 40 de la Constitution · L'ensemble des lois ordinaires, les lois organiques et les lois d'habilitation entrent dans le champ de l'article 40 de la Constitution. · Les projets ou propositions de loi constitutionnelle ne sont en revanche pas concernés par le contrôle de la recevabilité financière. C'est également le cas des résolutions débattues par le Sénat ainsi que des différents types de motions. · Les amendements à des projets ou propositions de loi de programmation sont présumés recevables lorsqu'ils portent sur la partie programmatique de ces textes et à la condition qu'ils n'aient pas de caractère normatif. |
B. LES PERSONNES QUI ENTRENT DANS LE CHAMP DE L'ARTICLE 40
1. Une définition large des administrations publiques dans le champ de l'article 40, conformément à la volonté du constituant
Comme rappelé en introduction, les rédacteurs du texte constitutionnel ont très tôt identifié que, pour être effectif, l'encadrement des pouvoirs du Parlement en matière financière ne devait pas se limiter aux ressources et aux charges de l'État, mais devait s'étendre à l'ensemble des ressources et des charges du secteur public.
Cette conception a été entérinée dès les premières décisions du Conseil constitutionnel sur l'article 40 : « l'expression “charge publique” doit être entendue comme englobant, outre les charges de l'État, toutes celles antérieurement visées par l'article 10 du décret du 19 juin 1956 sur le mode de présentation du budget de l'État et, en particulier, celles des divers régimes d'assistance et de Sécurité sociale »28(*).
Par la suite, le Conseil a étayé son approche d'un fondement théorique, en soulignant, dans sa décision du 23 juillet 197529(*), que l'objectif de l'article 40 est d'éviter que soit votée une initiative « sans qu'il soit tenu compte des conséquences qui pourraient en résulter pour la situation d'ensemble des finances publiques ».
2. Les administrations publiques au sens de la comptabilité nationale : le coeur de l'article 40
Au regard de la volonté du constituant et de l'interprétation qui en a été donnée par le Conseil constitutionnel, il apparaît que le champ de l'article 40 recouvre, a minima, celui des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, dont les règles sont définies par le système européen des comptes nationaux et régionaux (SEC 2010)30(*).
Le secteur des administrations publiques comprend ainsi « toutes les unités institutionnelles qui sont des producteurs non marchands dont la production est destinée à la consommation individuelle et collective et dont les ressources proviennent de contributions obligatoires versées par des unités appartenant aux autres secteurs, ainsi que les unités institutionnelles dont l'activité principale consiste à effectuer des opérations de redistribution du revenu et de la richesse nationale »31(*).
En pratique, les administrations publiques ainsi définies recouvrent principalement trois sous-secteurs, qui forment le « coeur » de l'article 40 : les administrations publiques centrales (APUC), les administrations publiques locales (APUL) et les administrations de sécurité sociale (ASSO).
a) Les administrations publiques centrales : l'État et ses opérateurs
Entrent en premier lieu dans le champ de la recevabilité financière l'État et ses démembrements. Cela comprend tout d'abord l'ensemble des administrations centrales et déconcentrées ainsi que les autorités administratives indépendantes (AAI), qui forment une seule et même personne publique au sein de l'État. Sont également concernés les différents pouvoirs publics (présidence de la République, assemblées parlementaires, Conseil constitutionnel et Cour de justice de la République).
Par ailleurs, les différents organismes divers d'administration centrale (ODAC) sont dans le champ de l'article 40 au même titre que l'État, dont ils constituent un démembrement.
Il s'agit, en premier lieu, de l'ensemble des opérateurs de l'État, définis au prisme de trois critères cumulatifs : une activité de service public, un financement assuré majoritairement par l'État et un contrôle direct par l'État. La qualification d'opérateur est donc indépendante du statut juridique de l'organisme concerné. Par conséquent, une personne morale de droit privé, par exemple une association, entre dans le champ d'application de l'article 40 si ses caractéristiques satisfont aux trois critères énoncés précédemment.
En pratique, en 2024, plus de la moitié (50,7 %) des 438 opérateurs de l'État sont des établissements publics administratifs (EPA)32(*). Il s'agit, par exemple, des opérateurs du domaine éducatif et universitaire (universités, grandes écoles, Centre national des oeuvres universitaires et scolaires [CNOUS], etc.), scientifique (Centre national de la recherche scientifique [CNRS], Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives [CEA], etc.), agricole (Office national des forêts [ONF], FranceAgriMer, etc.), sanitaire (Agences régionales de santé [ARS], Agence nationale de sécurité du médicament [ANSM], Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail [Anses], etc.), environnemental (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie [Ademe], Agence de financement des infrastructures de transport de France [AFITF], etc.), économique (Agence de services et de paiement [ASP], Business France, etc.), culturel (Centre national du cinéma et de l'image animée [CNC], Centre des monuments nationaux [CMN], etc.), sportif (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance [Insep], etc.), de l'emploi et de la formation professionnelle (Pôle emploi, devenu France Travail, ainsi que France Compétences), ou encore du logement (Agence nationale de l'habitat [ANAH], Caisse de garantie du logement locatif social [CGLLS], etc.).
À titre d'illustration, un amendement à la proposition de loi relative à la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), qui étendait les missions exercées par cette agence à la mise en oeuvre de formations, a été déclaré irrecevable, dès lors qu'il aggravait une charge incombant à un opérateur de l'État, et donc une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution.
De la même manière, les autorités publiques indépendantes (API), qui, contrairement aux AAI, disposent de la personnalité morale mais sont financées essentiellement par des subventions de l'État ou par des ressources affectées, sont dans le champ de la recevabilité financière (Autorité des marchés financiers, Agence française de lutte contre le dopage, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, etc.).
Enfin, les fonds publics, comme le Fonds national d'aide au logement (FNAL), qui est notamment financé par un prélèvement à la charge des employeurs et par une contribution de l'État, portée par le budget général, entrent dans le champ de l'article 40.
b) Les administrations publiques locales : les collectivités territoriales et leurs groupements et démembrements
Les collectivités territoriales régies par le titre XII de la Constitution (régions, départements, communes, collectivités à statut particulier et collectivités d'outre-mer) ainsi que la Nouvelle Calédonie, ses provinces et ses communes, qui relèvent de son titre XIII, sont depuis l'origine dans le champ de l'article 40.
Par extension, les structures de coopération locale, qu'il s'agisse des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), des syndicats de communes ou de départements ou encore des syndicats mixtes, s'analysent comme des démembrements des collectivités qui en sont membres et entrent, par conséquent, dans le champ de l'article 40.
Par ailleurs, l'article 40 s'applique également aux organismes divers d'administration locale (ODAL), tels que les établissements publics locaux non marchands, à l'instar des crèches, des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale, des établissements publics locaux d'enseignement, des services départementaux d'incendie et de secours, etc.
Plus généralement, les critères qui permettent de caractériser un ODAL sont similaires à ceux décrits plus haut pour les opérateurs de l'État, à savoir : la structure de leur financement (concours financiers de l'État et des collectivités territoriales), leurs missions (réalisation d'une mission de service public relevant par exemple de la compétence d'une collectivité territoriale) et le contrôle ou la tutelle exercé par l'État ou par une collectivité territoriale. Il s'agit notamment de certains établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) locaux, des établissements publics fonciers (EPF), des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), des régies autonomes, comme les services publics d'assainissement non collectif (SPANC) ou la Régie autonome des transports parisiens (RATP), d'établissements publics sui generis, à l'instar d'Île-de-France Mobilités (IdFM) ou encore des organismes consulaires, tels que les chambres d'agriculture, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les chambres des métiers et de l'artisanat (CMA)33(*).
c) Les administrations de sécurité sociale
L'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO) figure dans le champ de l'article 4034(*), qu'il s'agisse des branches du régime général, des régimes obligatoires de base, des régimes spéciaux subventionnés par l'État, des divers caisses, fonds ou organismes qui financent ces régimes ou qui en gèrent la dette et les réserves ou encore des organismes du secteur sanitaire et social principalement financés par les régimes de sécurité sociale (hôpitaux publics, établissements privés de santé d'intérêt collectif). Sont également inclus certains régimes complémentaires obligatoires de retraite ou de santé. Ce n'est en revanche pas le cas des régimes complémentaires facultatifs (santé comme retraite).
3. Les frontières de l'article 40 : une interprétation inspirée du régime des aides d'État
Si l'inscription dans le champ de l'article 40 de l'État, des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et de leurs opérateurs respectifs est clairement établie, la question est plus délicate pour un ensemble d'entités très diverses, à la frontière du public et du privé, telles que les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), les entreprises publiques ou encore les organismes à but non lucratif.
En principe, ces entités ne sont pas dans le champ de l'article 40 dès lors qu'elles réalisent des activités de nature privée. Elles peuvent cependant intégrer le champ de l'article 40 lorsqu'elles effectuent des missions de service public financées par des ressources publiques. Dans ce cadre, la recevabilité est examinée en mobilisant un faisceau d'indices : nature des missions exercées, contrôle ou tutelle par une personne publique, qualification et nature des ressources utilisées.
Ce raisonnement est proche de celui utilisé dans le droit de l'Union européenne pour déterminer si un financement octroyé à une entreprise ou à une production s'apparente à une aide d'État au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Afin d'apprécier si une aide est accordée par un État membre ou au moyen de ressources d'État, le juge de l'Union européenne se fonde notamment sur le contrôle exercé par l'État sur la ressource utilisée, sur le statut de l'organe assurant la gestion de cette ressource et sur la nature de la ressource.
Au regard de l'ensemble de ces critères, trois catégories de personnes peuvent être distinguées : celles qui appartiennent intégralement au champ de l'article 40, celles qui en ressortent uniquement pour certaines de leurs activités correspondant à des missions d'intérêt général financées par des ressources publiques et enfin celles qui ne relèvent pas de l'article 40.
La méthode du « faisceau d'indices » pour déterminer si un organisme à la frontière du public et du privé relève du champ de l'article 40 Pour déterminer si une entité à la frontière du public et du privé relève du champ de l'article 40, le juge de la recevabilité financière utilise un « faisceau d'indices », qui consiste principalement en l'examen de trois critères : - la nature des missions exercées : l'organisme exerce-t-il des missions de service public ? Dispose-t-il de prérogatives de puissance publique pour les accomplir ? - le contrôle exercé par la puissance publique : l'organisme est-il sous la tutelle d'une personne publique ? Est-il détenu par une personne publique ? Doit-il rendre des comptes à une ou plusieurs personnes publiques ? - la nature de ses ressources et de ses garanties : l'organisme bénéficie-t-il de subventions publiques ou d'une taxe affectée ? Le cas échéant, quelle proportion de ses ressources ces financements représentent-ils ? L'organisme bénéficie-t-il d'une garantie de l'État, et pour quelle durée ? Sans être exhaustifs, ces critères et questions donnent un aperçu du raisonnement mobilisé par le juge de la recevabilité financière pour déterminer si un organisme relève du champ de l'article 40. Ils sont également analysés les uns par rapport aux autres (par exemple, l'octroi d'une subvention en contrepartie d'une mission de service public). Source : commission des finances |
a) Les personnes qui entrent dans le champ de l'article 40
(1) En raison de la nature de leurs missions
En raison de la nature de leurs missions, les institutions financières à statut spécial, même si elles ne sont pas essentiellement financées par l'État, sont dans le champ de l'article 40. Cette catégorie recouvre :
- la Banque de France, ainsi que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui lui est adossée ;
- l'Agence Française de Développement (AFD) ;
- la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Un amendement déposé sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, qui visait à confier à la CDC la gestion des anciens régimes de retraite d'élus locaux fermés depuis 1992, a ainsi été déclaré irrecevable.
En revanche, les filiales de la CDC ayant une activité de nature privée et concurrentielle sont hors du champ de l'article 40. C'est le cas, par exemple, de la Compagnie des Alpes ou de Transdev.
De même, la Banque publique d'investissement (Bpifrance), créée par la loi du 31 décembre 201235(*) sous la forme d'une société anonyme codétenue par l'État et la Caisse des dépôts, est en dehors du champ de l'article 40 pour ses activités, essentiellement bancaires, de nature privées et concurrentielles. Cependant, elle accomplit également des missions de service public rémunérées, telles que la gestion des dispositifs de soutien public à l'exportation par le biais de Bpifrance Assurance Export36(*).
Des initiatives parlementaires visant à confier à la Banque publique d'investissement d'autres missions d'intérêt général non concurrentielles, dont le financement serait directement ou indirectement assuré par une personne publique, en particulier l'un de ses deux actionnaires, seraient irrecevables. Ainsi, un amendement déposé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France et visant à autoriser Bpifrance à apporter un soutien financier aux entreprises innovantes a été déclaré irrecevable.
(2) En raison de leur financement
Certaines entreprises publiques sont majoritairement financées par des ressources publiques et entrent, de ce fait, dans le champ de l'article 40 : c'est le cas, notamment, de l'audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, Arte France, Institut national de l'audiovisuel, France Médias Monde et TV5 Monde), principalement financé, jusqu'au mois de janvier 2025, par une fraction de taxe sur la valeur ajoutée.
De même, les EPIC principalement financés par des ressources publiques ou par une subvention de l'État sont dans le champ de l'article 40, qu'il s'agisse, par exemple, des ports maritimes ou autonomes ou encore de la Société des grands projets (SGP). Ainsi, a été déclaré irrecevable un amendement qui prévoyait d'appliquer à la SGP les stipulations de la convention collective nationale de la branche ferroviaire, ce qui se serait traduit par une augmentation des charges de personnel de cet établissement.
Sont également concernés les centres techniques industriels (CTI), personnes privées chargées d'une mission de service public37(*), qui entrent dans le champ de l'article 40 dès lors que leur financement est essentiellement assuré par des taxes affectées.
Les établissements sociaux et médico-sociaux entrent également dans le champ de l'article 40 dès lors qu'ils sont majoritairement financés par une ressource publique (assurance maladie ou subvention de l'État). Il s'agit notamment des établissements et services d'aide par le travail pour personnes handicapées (ESAT), de l'ensemble des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou encore des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
(3) En raison d'une garantie durable de l'État
Certaines entités, bien que de nature privée, entrent dans le périmètre de l'article 40 en raison de la garantie de l'État dont elles bénéficient. C'est le cas, notamment, de la caisse centrale de réassurance (CCR), société anonyme intégralement détenue par l'État. Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements visant à étendre les droits à indemnisation au titre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, sur le fondement que les assurances bénéficient dans ce domaine d'une réassurance de la CCR.
Cependant, ce critère n'est retenu que si la garantie traduit un adossement durable à la sphère publique, et non lorsqu'elle bénéficie à l'ensemble d'un secteur économique auquel l'État entend apporter un soutien temporaire. Ainsi, et bien entendu, l'ensemble des entreprises qui ont bénéficié des prêts garantis par l'État (PGE)38(*), mis en place durant la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, ne sont pas entrées dans le champ de l'article 40. Cela ne signifie bien évidemment pas pour autant que le dispositif de garantie lui-même n'entre pas dans le champ de l'article 40 : ainsi, un amendement examiné lors du projet de loi de finances rectificative pour 2021 prévoyant d'étendre la durée des PGE a été déclaré irrecevable.
b) Les personnes privées qui relèvent de l'article 40 pour certaines de leurs missions : les missions d'intérêt général financées par des ressources publiques
Certaines entités, notamment les entreprises publiques dont le capital est entièrement ou partiellement détenu par l'État, sont pour l'essentiel de leurs activités, hors du champ de l'article 40. En droit, il s'agit en effet de personnes privées effectuant des activités privées, financées par des recettes commerciales et désormais en grande partie ouvertes à la concurrence.
Ce principe souffre une exception : lorsque les activités de ces entités s'apparentent à la réalisation d'une mission de service public financée par une ressource publique. Le critère déterminant n'est donc pas celui de la composition du capital de l'entreprise ou de la nature de l'organisme concerné, mais la nature de sa mission et son mode de financement (subvention, compensation octroyée par l'État, etc.). Dès lors, pour cette mission seulement, l'entité entre dans le champ de l'article 40. Il n'est donc pas possible, pour un parlementaire, de « contourner » l'irrecevabilité financière en octroyant une mission de service public à une entité privée.
Les critères d'identification d'une mission de service public
Le législateur peut expressément qualifier une mission de service public, indépendamment de la personne, publique ou privée, en charge de cette mission.
En l'absence de qualification législative, les missions de service public sont identifiées par la jurisprudence :
- une activité prise en charge par une personne publique est présumée constituer un service public ;
- une activité prise en charge par une personne privée est présumée ne pas constituer un service public, sauf si trois critères cumulatifs sont réunis : la personne privée exerce une mission d'intérêt général, sous le contrôle de l'administration, et est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique39(*). Même indépendamment de ces prérogatives, une personne privée peut être regardée « comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission »40(*).
Source : commission des finances
Sans prétendre à l'exhaustivité, plusieurs exemples sont donnés ci-après pour éclairer le raisonnement retenu par la commission des finances, quel que soit le statut de l'entité concernée.
(1) Les entreprises exerçant une mission de service public
Le premier exemple porte sur les entreprises publiques qui exercent concurremment des activités privées et des missions de service public. Ainsi, le groupe La Poste exerce, en application de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste41(*), quatre missions de service public et d'intérêt général. Le financement de ces quatre missions est couvert par une compensation versée par l'État, dont les crédits budgétaires sont retracés sur la mission « Économie ». Dès lors, les amendements proposant de confier de nouvelles missions de service public à La Poste, telles que le repérage des personnes âgées fragiles ou la distribution de livres, sont déclarés irrecevables au motif qu'ils auraient pour effet d'accroître la compensation versée par l'État et donc une charge publique.
Le même raisonnement s'applique lorsqu'une initiative parlementaire a pour objet de confier à une entreprise la gestion d'un nouveau service public, financé directement par l'affectation d'une ressource publique42(*). Il est en effet impossible de compenser l'aggravation d'une charge par la création d'une ressource, même par le truchement d'une entité privée.
Le groupe SNCF après la réforme de sa gouvernance
En 2020, les établissements publics industriels et commerciaux qui constituaient la Société nationale des chemins de fer (SNCF) ont été remplacés par cinq sociétés anonymes détenues par l'État et qui composent désormais le groupe SNCF. Cependant, dans la mesure où une partie significative des activités du groupe SNCF relève de missions de service public financées par des ressources publiques, SNCF reste, au titre de ces activités, dans le champ de l'article 40.
Ainsi, les services dits « conventionnés », tels que les transports express régionaux (TER), les transiliens ou les trains d'équilibre du territoire (« intercités ») sont largement subventionnés, jusqu'à plus de 75 % de leurs coûts de fonctionnement, par des fonds publics provenant des régions (pour les TER et certains trains d'équilibre du territoire), d'Île-de-France mobilités (pour les transiliens) ou de l'État (pour certains trains d'équilibre du territoire).
En outre, la société anonyme SNCF réseau, dont l'État a repris 35 milliards d'euros d'encours de dette43(*), reçoit chaque année d'importants financements en provenance du budget de l'État, retracés sur le programme 203 » Infrastructures et services de transports » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », ainsi que l'affectation de crédits issus d'un fonds de concours retracé sur ce même programme 203 et alimenté par les dividendes versés par la société mère du groupe SNCF, auxquels l'État, en tant qu'actionnaire unique, renonce.
A contrario, pour ses activités qui interviennent dans un champ pleinement concurrentiel et qui ne sont pas financées par des recettes publiques, la SNCF est exclue du champ d'application de l'article 40 (par exemple, l'activité « train à grande vitesse »).
Source : commission des finances
(2) Les établissements bancaires
Si les établissements bancaires privés n'entrent pas dans le champ de l'article 40, il existe une exception liée à la gestion des produits d'épargne règlementée. Les établissements distribuant des livrets A et des livrets de développement durable et solidaire (LDDS) sont tenus de centraliser une quote-part du total des dépôts colletés sur ces produits auprès de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC)44(*) et reçoivent à ce titre, en contrepartie, une compensation versée par la CDC.
Par suite, les initiatives parlementaires ayant pour objet de relever le taux de centralisation des sommes collectées sur les livrets A et les LDDS ou de créer un nouveau livret d'épargne règlementée avec une centralisation d'une partie des dépôts auraient pour effet d'accroître la compensation versée par la CDC aux établissements bancaires et sont donc irrecevables, la compensation versée par la CDC constituant une charge publique.
(3) Les opérateurs de compétences et les organismes de formation professionnelle
Les opérateurs de compétences (OPCO), structures paritaires agréées par l'État pour soutenir les entreprises de leurs branches adhérentes dans le domaine de la gestion des compétences et de la formation, constituent un autre exemple d'organismes de droit privé entrant, pour une partie de leurs missions, dans le champ de l'article 40. Les OPCO gèrent en effet des dispositifs financés sur fonds publics (Fonds national de l'emploi-Formation (FNE-Formation), plan de développement des compétences, etc.) et bénéficient pour ce faire de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (Cupfa), une ressource publique répartie par France Compétences, un opérateur de l'État.
Il en va de même des organismes de formation professionnelle, notamment des centres de formation d'apprentis (CFA), qui relèvent de l'article 40 pour les seules missions d'intérêt général exercées au moyen de ressources publiques. Les CFA reçoivent ainsi des financements publics de France Compétences. Ces financements transitent par les OPCO et par les régions, en fonction d'une partie de leurs coûts de fonctionnement et d'investissement. Une augmentation des charges des CFA au titre de leurs missions de service public aurait ainsi pour conséquence une augmentation des dépenses de France Compétences. Tout amendement parlementaire allant dans ce sens serait donc irrecevable.
(4) Les organismes concourant à la politique du logement social
(a) Action Logement et le « 1 % logement »
Le groupe Action Logement constitue un autre exemple d'organisme de droit privé entrant, pour une partie de ses missions, dans le champ de l'article 40 de la Constitution. Action logement est chargé de collecter et de gérer la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), dit aussi « 1 % logement ». Cette participation contribue notamment au financement de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), à celui des actions de rénovation urbaine menées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et, de manière ponctuelle, au fonds national d'aide au logement (FNAL).
De ce fait, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le « 1 % logement » est considéré comme une ressource publique. Dès lors, un amendement visant à diminuer la part du produit du 1% logement pour un de ses affectataires publics constituerait une perte de recettes pour celui-ci, nécessitant d'être compensée par un gage (cf. infra). En revanche, un amendement qui viserait à attribuer une part plus importante du 1 % logement au FNAL, qui est un fonds ayant un objet dépensier unique, serait irrecevable, puisqu'il aggraverait une charge publique pour cette structure.
Enfin, il est impossible pour un amendement parlementaire d'étendre le champ des bénéficiaires de certaines aides attribuées par Action Logement, pour lesquelles le groupe bénéficie d'un soutien de l'État, sous quelque forme que ce soit. Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement qui prévoyait, par dérogation aux règles de droit commun, d'ouvrir les aides d'Action Logement à tous les Français de l'étranger souhaitant s'installer durablement en France.
(b) Les offices publics de l'habitat et les organismes de foncier solidaire
La jurisprudence appliquée au Sénat prévoyait antérieurement une présomption d'exclusion du champ de l'article 40 des offices publics de l'habitat (OPH) et des organismes de foncier solidaire (OFS). Si ces structures prennent généralement la forme d'établissements publics45(*) et reçoivent des subventions pour réaliser leurs missions de service public, elles tirent en effet la majeure partie de leurs recettes du paiement des loyers et du produit de leurs activités commerciales. Toutefois, au regard des missions de service public croissantes assumées par ces organismes et de leurs modalités de financement, cette présomption ne saurait être absolue.
À l'instar des autres entités précitées, les OPH et les OFS peuvent ainsi entrer dans le champ d'application de l'article 40 lorsqu'une initiative parlementaire affecte leurs missions de service public ou leurs modalités de financement. Une telle initiative serait irrecevable dès lors qu'elle aurait pour conséquence de créer ou d'aggraver une charge publique pour un OPH ou un OFS :
- soit parce que la charge relève d'une mission de service public manifestement nouvelle pour ces organismes ;
- soit parce qu'un faisceau d'indices permet de conclure que la nature et les modalités de financement de la nouvelle activité conférée à ces organismes conduisent à l'apparenter à une charge publique au sens de l'article 40 (activité exercée à titre d'organisme public et non privé, structure des ressources). À cet égard, le financement par le biais de ressources publiques peut prendre la forme d'un subventionnement mais également d'un conventionnement - avec l'État ou avec une collectivité territoriale -, qui suppose, parfois implicitement mais nécessairement, une compensation versée par la personne publique.
Est ainsi irrecevable un amendement parlementaire qui permet aux organismes d'habitations à loyer modéré (HLM) de réaliser des prestations de services pour le compte d'OFS. Il en va de même des amendements imposant aux bailleurs sociaux, par le biais d'un conventionnement avec les collectivités territoriales, de nouvelles obligations en matière de lutte contre l'habitat indigne, qui constitue une mission d'intérêt général.
Il convient enfin de noter que l'évolution de la jurisprudence du président de la commission des finances du Sénat en la matière trouve un écho auprès de celle du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Ainsi, le président de la commission Éric Woerth expliquait-il46(*) :
Par conséquent, s'il existe une présomption d'exclusion des OPH et des OFS du périmètre de l'article 40, le président de la commission des finances ne se refuse pas, en fonction de l'objet de l'amendement, de les intégrer dans le champ de son contrôle.
(5) Les fédérations sportives
Les fédérations sportives ont longtemps été exclues du champ de l'article 40 de la Constitution. Toutefois, les évolutions intervenues ces dernières années, tant dans leur financement que dans les missions qui leur sont confiées, ont conduit à réviser cette analyse au Sénat comme à l'Assemblée nationale.
Les fédérations sportives agréées concourent, aux termes de l'article L. 131-8 du code du sport, à « l'exécution d'une mission de service public »47(*). Par ailleurs, les conseillers techniques sportifs, qui ne peuvent exercer leurs missions que dans des fédérations agréées, sont des fonctionnaires d'État, qui ont notamment pour rôle de développer le sport de haut niveau48(*). Enfin, les fédérations sportives agréées peuvent recevoir un concours financier de l'Agence nationale du sport pour la haute performance et le développement des pratiques sportives49(*). Dans les faits, la totalité ou presque des 120 fédérations sportives agréées perçoit des financements publics.
Au regard de ces critères, les fédérations sportives agréées relèvent désormais du champ de l'article 40. Il n'en est pas de même des fédérations sportives non agréées, qui n'exercent a priori aucune mission de service public et n'ont pas le droit à des financements spécifiques - à la condition que l'initiative parlementaire ne conduise pas à modifier ces deux critères.
(6) Le cas particulier des entreprises du secteur énergétique
(a) Les gestionnaires de réseaux
L'intégration des gestionnaires des réseaux d'électricité - Enedis et RTE (gestionnaire du Réseau de transport d'électricité) - dans le champ de l'article 40 ne porte que sur une partie de leurs missions et est directement liée aux caractéristiques du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), principale source de financement de ces gestionnaires pour leurs missions de service public.
Le Turpe sert en effet à financer les charges des gestionnaires de réseaux d'électricité. S'il est acquitté par l'ensemble des consommateurs via leurs factures énergétiques, de manière constante, la jurisprudence au Sénat considère ce tarif comme une ressource publique. Ce traitement, pour une ressource pourtant acquittée par des personnes privées au profit d'entreprises, se justifie par plusieurs caractéristiques du Turpe :
- son régime est défini par l'État et prévu par le code de l'énergie (articles L. 341-1 à L. 341-5) ;
- il sert notamment à financer les missions de service public exercées par les gestionnaires de réseaux électriques Enedis et RTE ;
- il est déterminé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans un cadre défini par le législateur ;
- il repose sur des principes de péréquation et prévoit des réductions et des exonérations pour certains utilisateurs, ce qui le distingue d'une redevance pour services rendus ;
- pour les missions de service public qui leur sont confiées et qui sont financées par le Turpe, Enedis et RTE opèrent en situation de monopole dans des conditions qui ne relèvent pas d'activités concurrentielles.
Par ailleurs, l'ancienne contribution au service public de l'électricité (CSPE), aux caractéristiques très similaires au Turpe, a fait l'objet de plusieurs décisions de justice la qualifiant de ressource publique :
- la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré en 2013 que la CSPE était une « ressource publique d'État »50(*) ;
- un an plus tard, le Conseil constitutionnel assimilait la CSPE à une imposition de toute nature51(*).
Par suite, le Turpe étant considéré comme une ressource publique servant au financement des missions de service public des gestionnaires du réseau électrique, le traitement de la recevabilité financière des amendements sénatoriaux portant sur le Turpe ou sur les missions de ces gestionnaires est le suivant :
- les amendements prévoyant une diminution voire une exonération de Turpe pour une catégorie d'utilisateurs du réseau sont analysés comme des amendements diminuant une recette publique, qui devrait théoriquement être compensé par un gage. Toutefois, les règles de fonctionnement du Turpe incluent une forme de gage « automatique ». En effet, le rendement du Turpe, ajusté chaque année par la CRE, doit permettre de couvrir l'ensemble des charges réellement constatées par les gestionnaires de réseau. Ainsi, toute diminution ou exonération du Turpe pour une catégorie d'utilisateurs serait automatiquement répercutée sur les autres utilisateurs. Dès lors, ce type d'amendements est recevable sans gage ;
- les amendements prévoyant d'élargir, au-delà de la « charge de gestion », les missions de service public des gestionnaires de réseaux financées par le Turpe, constituent une aggravation de charge publique et sont en conséquence irrecevables.
Il convient de noter que persiste ici une divergence d'interprétation entre le Sénat et l'Assemblée nationale, pour partie liée au fait que le statut de la CSPE est longtemps resté incertain. L'Assemblée nationale a donc considéré que ni la CSPE ni le Turpe n'étaient des ressources publiques. Les éléments présentés ci-dessus tendent cependant à soutenir la position visant à considérer le Turpe comme une ressource publique.
(b) Les entreprises de distribution et le cas des tarifs réglementés
S'ils relèvent d'obligations de service public au sens des dispositions du code de l'énergie, les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe), exclusivement commercialisés par la société EDF et par les entreprises locales de distribution (ELD), ne font intervenir aucun financement public. La méthodologie de leur construction et leur validité juridique au sens du droit de l'Union européenne excluent même explicitement toute subvention publique. En effet, les TRVe doivent être « contestables », c'est-à-dire réplicables par les autres fournisseurs d'électricité. Ces derniers doivent pouvoir proposer des offres de fourniture à des prix équivalents ou inférieurs à ces tarifs réglementés.
Pour cette raison, les amendements visant à étendre le périmètre des tarifs réglementés sans en modifier les critères d'élaboration sont recevables au regard de l'article 40. C'est d'ailleurs pour cette même raison que ces amendements, qui n'auraient pas d'effet sur les dépenses ou les ressources publiques, sont irrecevables en lois de finances (cf. infra).
Le « bouclier tarifaire » et
ses conséquences sur l'examen
de la recevabilité
financière des amendements portant sur les TRVe
En réponse à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021, l'État a mis en place à compter de l'année 2022 un dispositif dit de « bouclier tarifaire », qui avait pour objectif de limiter les effets de la hausse des prix de l'électricité sur les factures de certains consommateurs. Le bénéfice de ce dispositif, financé par le budget général de l'État au titre du système des compensations des charges du service public de l'énergie, était lié à l'éligibilité des consommateurs aux TRVe.
Aussi, de façon conjoncturelle, dans ce contexte particulier, la question de la recevabilité financière des amendements visant à étendre le périmètre d'éligibilité aux TRVe a-t-elle dû être réexaminée.
Lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à la nationalisation du groupe EDF, plusieurs amendements avaient ainsi été déposés pour élargir l'éligibilité de certaines catégories d'utilisateurs aux TRVe. Ces amendements avaient été déclarés recevables par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Sans invoquer l'article 40 en séance, le Gouvernement avait critiqué cette analyse, arguant que l'extension des TRVe avait un impact direct sur le coût du bouclier tarifaire et aggravait donc une charge publique. Au Sénat, le président de la commission des finances a également déclaré des amendements similaires recevables au regard de l'article 40.
Les décisions convergentes des présidents des commissions des finances des deux assemblées se justifient par le fait que les dispositions régissant le bouclier tarifaire étaient rédigées de telle façon qu'un élargissement de l'éligibilité aux TRVe n'emportait pas une extension du dispositif du « bouclier tarifaire » ; pour ce faire, une disposition explicite aurait dû être prise en complément.
Source : commission des finances
c) Les personnes qui ne relèvent pas de l'article 40
Enfin, il est utile de préciser que, bien qu'ils puissent accomplir des missions s'apparentant à un service public, certains organismes sont hors du champ de l'article 40, car leurs modalités de financement ou de gestion les rattachent au secteur privé.
Les ordres professionnels, les organisations syndicales ou patronales ou encore les groupements de producteurs ne sont pas dans le champ de l'article 40 car les contributions volontaires obligatoires (CVO) qui les financent ne sont pas considérées comme des ressources publiques.
Bien qu'obligatoires, ces dernières reposent en effet sur un principe d'adhésion, souvent volontaire, à un organisme. Cette analyse est corroborée par le Conseil constitutionnel, qui a estimé dans une décision du 17 février 2012 qu'il ne s'agit pas d'impositions de toutes natures dans la mesure où elles « sont perçues par des organismes de droit privé, qu'elles tendent au financement d'activités menées en faveur de leurs membres et dans le cadre défini par le législateur, par les organisations professionnelles [et qu'elles] sont acquittées par les membres de ces organisations »52(*). De même, le juge de l'Union européenne ne qualifie pas de « ressource d'État » les ressources qui sont en permanence gérées et contrôlées par des entités privées53(*).
En conséquence, a été déclaré recevable sans gage un amendement déposé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relatif au volontariat des sapeurs-pompiers et visant à exempter de cotisations ordinales les associations agrées de sécurité civile. De même, des amendements confiant à l'ordre des médecins le soin d'organiser des consultations de médecine générale ou de répartir les médecins dans les zones peu denses ont été déclarés recevables.
Pour résumer Les personnes entrant dans le champ d'application
· L'ensemble des administrations publiques entrent par principe dans le périmètre d'application de l'article 40. Il s'agit : - de l'État et de ses démembrements (administrations de l'État, opérateurs de l'État, établissements publics administratifs, autorités indépendantes) ; - des administrations publiques locales, y compris les structures gérées par des collectivités locales et leurs démembrements ; - des administrations de sécurité sociale. · D'autres personnes publiques sont intégrées au champ de l'article 40, que ce soit en raison de leurs missions, de leur financement ou des garanties publiques dont elles bénéficient. C'est le cas par exemple des institutions financières à statut particulier ou de certains établissements publics industriels et commerciaux. · L'article 40 peut également s'appliquer aux initiatives parlementaires portant sur des personnes privées lorsque ces dernières exercent des missions de service public et que ces missions font l'objet d'un financement public (gestionnaires de réseaux d'électricité, offices publics de l'habitat, etc.). Ne sont irrecevables que les amendements qui portent sur ces missions ou sur leurs modalités de financement. |
C. LES BASES DE RÉFÉRENCE UTILISÉES POUR L'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
La recevabilité financière d'un amendement parlementaire ou d'une proposition de loi s'apprécie nécessairement à partir d'un point de comparaison. Dans un souci de favoriser l'initiative parlementaire, plusieurs bases de référence sont utilisées. Celles-ci peuvent être regroupées en deux grandes catégories :
- le droit existant, constitué par la législation, les textes réglementaires, les traités et les accords internationaux en vigueur, la jurisprudence, voire, dans de rares cas et sous conditions, les situations de fait ;
- le droit proposé, qui comprend le texte de loi en discussion et les propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires. Les intentions du Gouvernement peuvent également, sous certaines conditions, être utilisées comme base de référence.
Suivant une pratique constante, la base de référence la plus favorable à l'initiative parlementaire est systématiquement choisie.
1. La gamme du « droit existant »
Le droit existant constitue la base de référence la plus usitée. Une conception extensive du droit existant est retenue par le juge de la recevabilité financière afin de donner une plus grande latitude à l'initiative parlementaire. Cinq niveaux de normes sont ainsi considérés comme faisant partie du droit existant.
a) La législation en vigueur
Le droit existant inclut en premier lieu les textes législatifs en vigueur au moment où s'engage la discussion parlementaire, qu'ils résultent d'une loi ou d'une ordonnance, même non ratifiée.
Un amendement parlementaire proposant la suppression de dispositions d'un projet de loi en cours de discussion, dans le but de maintenir la législation en vigueur, est toujours recevable au regard de l'article 40. Ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, tous les amendements supprimant strictement les dispositions prévoyant de décaler l'âge de départ à la retraite à 64 ans ont été déclarés recevables.
Dans un sens favorable à l'initiative parlementaire, le « droit à venir », c'est-à-dire le texte de loi promulgué mais dont l'entrée en vigueur n'est pas immédiate, a pu également être considéré comme base de référence au titre du droit existant.
b) La règlementation en vigueur
Pour l'examen de la recevabilité financière, un texte résultant du pouvoir réglementaire (décret ou arrêté) peut constituer une base de droit existant permettant à un amendement d'être recevable, sous réserve que son auteur fasse référence à cette réglementation dans son objet. De plus, pour qu'un tel amendement « crantant » au niveau législatif une disposition règlementaire coûteuse soit recevable, les conditions cumulatives suivantes doivent être respectées :
- la disposition règlementaire doit être conforme à la législation en vigueur, ce qui signifie, d'une part, que le texte règlementaire ne doit pas être dépourvu de base légale et que, d'autre part, si une disposition législative et la disposition règlementaire se contredisent, la première prime, conformément à la hiérarchie des normes ;
- le dispositif de l'amendement ne doit pas aggraver la charge publique par rapport au texte réglementaire et doit donc reprendre uniquement le texte existant ;
- le texte réglementaire de référence est contraignant. En conséquence, une circulaire ne peut servir de base de référence au titre du droit existant.
Par ailleurs, la recevabilité financière d'un tel amendement n'exclut en rien la possibilité d'invoquer l'article 41 de la Constitution, afin d'opposer, le cas échéant, une irrecevabilité tirée d'un « empiètement » du pouvoir législatif sur le champ réglementaire.
c) Le droit international et de l'Union européenne régulièrement applicable
Un texte de droit international remplissant les conditions d'applicabilité prévues par l'article 55 de la Constitution - à savoir l'approbation ou la ratification régulière, la publication et la réciprocité - peut servir de base de référence pour l'examen de la recevabilité financière.
S'agissant en particulier du droit dérivé de l'Union européenne, il convient de préciser que seules les normes présentant un caractère obligatoire, c'est-à-dire les règlements, les directives et les décisions, entrent dans le champ du droit existant considéré par le juge de la recevabilité. De surcroît, pour les directives, seules les dispositions précises et inconditionnelles peuvent servir de base de référence, et non celles qui laissent aux États membres d'importantes marges d'interprétation.
Ainsi, une initiative parlementaire reprenant une disposition inconditionnelle et suffisamment précise d'un traité déjà ratifié, transposant une disposition d'une directive de l'Union européenne ou reprenant54(*) les dispositions d'un règlement européen serait conforme à l'article 40, même si cette disposition s'avérait coûteuse, et à la condition que cette disposition soit entrée en application55(*).
Par conséquent, un amendement qui anticiperait l'entrée en application d'une disposition d'un texte européen (directive ou règlement) serait irrecevable56(*). En revanche, serait recevable un amendement qui transposerait une disposition coûteuse d'une directive qui n'aurait pas encore été transposée, à la condition que le délai de transposition ait été dépassé et que la disposition soit précise et inconditionnelle.
Enfin, le droit de l'Union européenne peut également permettre de caractériser l'extension d'une charge publique. Ainsi, un amendement prévoyant que seules les entreprises en difficulté au sens du droit français, et non au sens du droit de l'Union européenne, étaient exclues du bénéfice des garanties octroyées par Bpifrance, alors que la règlementation européenne relative aux aides d'État interdit les aides telles que ces garanties aux entreprises en difficulté, a été déclaré irrecevable en ce qu'il constituait un élargissement des bénéficiaires de ces dispositifs de soutien public.
d) La jurisprudence nationale et internationale
Cherchant à préserver l'initiative parlementaire, le juge de la recevabilité peut également utiliser comme base de référence, au titre du droit existant, des décisions de justice. Néanmoins, seules des décisions définitives, précises, interprétant le droit et s'imposant à tous peuvent être retenues. Entrent ainsi dans cette catégorie :
- le contentieux pour excès de pouvoir ; les décisions d'annulation prononcées par le juge administratif ont alors un effet erga omnes : toute personne peut s'en prévaloir et elles sont opposables à tous ;
- le plein contentieux objectif - notamment le contentieux fiscal - où le juge tend à trancher un point de droit, c'est-à-dire à établir le droit, législatif ou réglementaire, applicable ;
- le contentieux par voie d'exception, dès lors que le juge administratif y est amené, de façon incidente, à se prononcer sur la légalité d'un acte réglementaire ;
- le contentieux porté devant le juge constitutionnel, sous réserve des critères précédemment évoqués.
S'agissant de la jurisprudence internationale, les arrêts en annulation et les arrêts en manquement de la Cour de justice de l'Union européenne peuvent également servir de base de référence, car ces derniers ont un effet erga omnes et viennent ainsi s'insérer dans la jurisprudence nationale. Pour autant, les critères précédemment évoqués continuent de s'appliquer, les effets de la décision devant être directs et clairement identifiés pour le droit français comme pour les nouveaux moyens à mobiliers. Sous les mêmes réserves, le raisonnement est identique pour les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Dans tous les cas, eu égard au volume de jurisprudence considéré et aux délais restreints dans lesquels s'exerce le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires, les auteurs sont invités à faire connaître dans l'objet de leur amendement ou dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi l'existence d'une décision de justice pouvant faire office de base de référence au titre du droit existant.
Enfin, les décisions du Conseil constitutionnel doivent nécessairement être prises en compte dans l'appréciation de la recevabilité financière. En effet, en vertu du dernier alinéa de l'article 62 de la Constitution, ses décisions « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Dès lors, il peut arriver que des décisions conduisent à modifier la jurisprudence établie par la commission des finances. Deux exemples récents l'illustrent :
- les amendements élargissant le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle sont systématiquement déclarés irrecevables. Toutefois, dans une décision QPC du 28 mai 202457(*), le juge constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions restreignant l'aide juridictionnelle aux seules personnes résidant régulièrement sur le territoire français. Dès lors, tout amendement sénatorial visant à élargir le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux étrangers, même en situation irrégulière, serait désormais déclaré recevable ;
- les amendements élargissant la protection fonctionnelle octroyée aux agents publics sont également déclarés irrecevables. Or, dans une décision QPC du 4 juillet 202458(*), le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait lieu de juger « jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou jusqu'à la date de l'abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, [que] la collectivité publique est tenue d'accorder sa protection à l'agent public entendu sous le régime de l'audition libre à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions ». Dès lors, un amendement sénatorial étendant la protection fonctionnelle aux agents publics entendus sous le régime de l'audition libre serait désormais déclaré recevable.
Là-encore seules les décisions du Conseil constitutionnel ayant un effet direct, immédiat, clairement identifié et modifiant directement le droit peuvent être utilisées comme base de droit existant.
e) La coutume
À titre exceptionnel, certains éléments de fait peuvent être intégrés dans la base de référence au regard de l'article 40. Des situations existantes et coûteuses peuvent ainsi être légalisées par une initiative parlementaire. Cette possibilité est néanmoins soumise à deux conditions, appréciées de façon stricte :
- la situation de fait considérée doit être constitutive d'une coutume, c'est-à-dire qu'elle doit correspondre à une pratique constante et continue, partagée par l'ensemble des acteurs concernés. La mise en oeuvre d'une pratique spécifique par une partie seulement des structures ciblées ne saurait donc constituer une coutume dès lors que son application n'est pas généralisée ;
- la pratique coutumière doit être conforme à la législation en vigueur.
Une initiative parlementaire ne saurait régulariser une situation de fait coûteuse et contra legem. Ainsi, a été déclaré irrecevable un amendement sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie59(*), visant à permettre au conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon de participer au financement des dépenses de fonctionnement des établissements d'enseignement privé du premier degré. Le fait que le conseil territorial ait, dans la pratique, financé ces écoles ne pouvait constituer une base de référence étant donné qu'il s'agissait d'une pratique contraire à l'article R. 442-44 du code de l'éducation nationale, qui prévoit que ces dépenses relèvent de l'échelon communal.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dit « 3DS »), un amendement qui prévoyait que les grandes collectivités mettent à disposition, dans l'espace public, des points d'eau potable a été déclaré irrecevable. Quand bien même cette pratique existait déjà dans une partie de ces collectivités, il ne s'agissait ni d'une obligation ni d'une pratique commune à l'ensemble des collectivités concernées.
f) La temporalité, une dimension essentielle du droit existant
Au-delà des différents niveaux de normes, la notion de droit existant doit être correctement appréciée dans le temps. En la matière, il convient d'appeler l'attention sur deux points.
D'une part, le droit existant ne correspond pas au droit qui a existé. Au contraire des initiatives parlementaires proposant le retour à l'état du droit en vigueur par rapport au texte en discussion, les amendements proposant le retour à un ancien état du droit ne sont pas recevables s'ils créent une charge publique ou diminuent sans compensation des ressources publiques. Après que le Gouvernement a invoqué en séance publique une exception d'irrecevabilité sur le fondement de l'article 40 de la Constitution, a ainsi été déclaré irrecevable par la commission des finances du Sénat une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans60(*).
D'autre part, les amendements visant à pérenniser ou à proroger des dispositifs existants mais limités dans le temps sont irrecevables du point de vue de l'article 40, dès lors que ces dispositifs comportent un coût pour les finances publiques. En effet, de semblables amendements constituent ipso facto la création d'une charge.
Bien entendu, il est toujours possible pour les parlementaires de s'opposer à la reconduction d'une mesure limitée dans le temps ou de proposer l'abrogation d'un dispositif coûteux.
2. La référence au droit proposé
Si le droit en vigueur constitue la base de référence la plus souvent retenue pour l'application de l'article 40, la recevabilité financière des initiatives parlementaires peut également être appréciée par rapport au droit proposé lorsque les dispositions du texte discuté tendent soit à une diminution de ressources publiques, soit à la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Cette pratique est avalisée de longue date par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 20 janvier 196161(*), ce dernier a considéré qu'un amendement de réécriture d'une disposition coûteuse ne pouvait être considéré comme aggravant la charge publique qui eut résulté de l'adoption du projet de loi initial et que, partant, il ne « tombait pas sous le coup de l'irrecevabilité prévue par l'article 40 de la Constitution ».
La référence au droit proposé confère donc une plus grande latitude à l'initiative parlementaire. De surcroît, à l'instar du droit existant, le droit proposé est apprécié de façon large.
Quelle que soit la base de référence de droit proposé retenue, il est primordial que les auteurs de l'amendement l'indiquent dans l'objet de leur dispositif : les délais laissés à l'examen de la recevabilité financière sont bien trop contraints pour que le juge de la recevabilité recherche une décision de justice, une proposition de loi adoptée par l'autre chambre ou encore une déclaration du Gouvernement qui pourraient assurer la recevabilité de l'amendement déposé.
a) Les textes en discussion
Selon le stade de la discussion du texte, plusieurs versions peuvent servir de base de référence pour l'examen de la recevabilité financière des amendements déposés sur ce même texte :
- soit le projet de loi déposé par le Gouvernement, auquel l'article 40 n'est pas opposable ;
- soit le texte de la proposition de loi en discussion tel qu'inscrit à l'ordre du jour ;
- soit le texte adopté par la commission saisie au fond62(*) dudit projet de loi ou de ladite proposition de loi au sein de chaque chambre. Il convient toutefois de noter que l'invocation de l'article 40 à l'encontre de dispositions du texte de la commission qui seraient irrecevables demeure possible. Le cas échéant, l'irrecevabilité qui en découlerait entraînerait la disparition de la base de référence ;
- soit les textes transmis d'une assemblée à l'autre au cours de la navette parlementaire, dans la rédaction transmise au bureau de l'autre chambre saisie63(*).
Dès la première législature de la Ve République, il a été admis qu'il n'y avait pas, devant la deuxième assemblée saisie, de contrôle de recevabilité des textes adoptés par l'autre assemblée. À cet égard, il est possible de se référer à la prise de parole d'Henri Rochereau, ministre de l'agriculture, devant l'Assemblée nationale le 23 novembre 196064(*) :
La commission des finances du Sénat a estimé que l'article 40 de la Constitution ne s'appliquait pas. J'ai alors réservé la position du Gouvernement en déclarant qu'il saisirait le Conseil constitutionnel du conflit surgi entre le Sénat et le Gouvernement sur l'application de l'article 40 en présence d'un accroissement des charges publiques.
C'est pourquoi je me suis permis de préciser aujourd'hui, devant votre assemblée, qu'il n'était plus possible d'invoquer l'article 40 de la Constitution, puisque vous étiez appelés à vous prononcer en deuxième lecture sur un texte adopté par le Sénat.
Telle est la thèse constamment soutenue par le Gouvernement.
Au fil de l'examen du texte et de la navette parlementaire, le nombre de bases de référence de droit proposé s'accroît. Cette situation peut, dans certains cas, compliquer l'exercice du contrôle de la recevabilité financière. Le président de la commission des finances s'efforce néanmoins systématiquement de rechercher et de retenir la base de référence la plus favorable à l'initiative parlementaire.
En revanche, les différents stades de droit proposé ne peuvent pas être cumulés. Ainsi, un amendement au projet de loi relatif à l'accélération d'énergies renouvelables étendant le bénéfice du partage territorial de la valeur65(*) aux clients finals et aux communes a été considéré comme irrecevable : quand bien même les précédentes versions du texte visaient alternativement l'une ou l'autre de ces catégories, aucune version du texte ne prévoyait un cumul des deux. L'amendement revenait donc à accroître une charge publique par rapport aux diverses bases de droit proposé.
b) Les propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors de la législature en cours
Au titre du droit proposé, une proposition de loi adoptée par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors de la législature en cours peut également constituer une base de référence valable pour l'appréciation de la recevabilité financière. L'amendement parlementaire doit toutefois se borner à reprendre les dispositions de la proposition de loi adoptée, sans en aggraver le caractère coûteux.
Lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, un amendement créant un Haut conseil à la simplification pour les entreprises, chargé d'évaluer l'impact des normes sur ces dernières, a été déclaré recevable sur le fondement qu'il reprenait strictement les dispositions d'une proposition de loi précédemment adoptée par le Sénat, au cours de la même législature.
En revanche, et dans ce cadre, ne peuvent constituer une base de référence au titre du droit proposé :
- une proposition ou un projet de loi adopté par l'une des chambres du Parlement lors d'une précédente législature66(*). En d'autres termes, un amendement créant une charge ou diminuant sans gage les ressources publiques, même s'il se borne à reprendre des mesures adoptées par le Sénat ou par l'Assemblée nationale au cours d'une précédente législature, demeure irrecevable. Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement déposé sur le projet de loi de finances pour 2024 et instituant un dispositif de soutien à l'investissement des communes, dispositif déjà adopté par le Sénat en 2017, sous une précédente législature ;
- une proposition de loi déposée mais non adoptée, qu'elle ait été rejetée ou qu'elle n'ait jamais été inscrite à l'ordre du jour dans la chambre dans laquelle elle a été déposée.
Selon la même logique, un amendement examiné mais non adopté dans l'une des chambres ne peut servir de base de référence pour assurer la recevabilité d'un amendement identique dans l'une ou l'autre chambre. Chaque assemblée assure en effet de manière autonome le contrôle de la recevabilité financière ; la jurisprudence de chaque assemblée peut différer sur certains points et les conditions d'examen de la recevabilité sont de plus en plus difficiles67(*).
c) La prise en compte des intentions du Gouvernement
Enfin, l'intention du Gouvernement peut servir de base de référence afin de déclarer recevable un amendement ou une proposition de loi au regard de l'article 40.
De manière à éviter toute dérive, d'autant qu'il s'agit d'une pratique très libérale destinée à favoriser l'initiative parlementaire68(*), l'expression de cette intention doit respecter des formes strictes. Aussi, seules sont susceptibles d'être retenues comme base de référence les intentions exprimées de façon formelle par :
- le dispositif, l'exposé des motifs ou l'étude d'impact de tout projet de loi déposé par le Gouvernement. Par exemple, de nombreux amendements au projet de loi relatif à la création de la Banque publique d'investissement ont été acceptés en ce qu'ils visaient à introduire des missions que l'exposé des motifs ou l'étude d'impact du projet de loi se proposaient d'assigner à la future Bpifrance ;
- un amendement du Gouvernement rejeté par l'une des assemblées au cours de la navette parlementaire, à la stricte condition que l'amendement n'ait pas été retiré ;
- un amendement du Gouvernement déposé au Sénat et maintenu jusqu'à la discussion des amendements sénatoriaux identiques. Par conséquent, le retrait de l'amendement gouvernemental avant la discussion des amendements sénatoriaux entraîne leur irrecevabilité ;
- un soutien explicite du Gouvernement à des amendements sénatoriaux lors de la discussion générale du texte sur lesquels ils sont déposés, dès lors que ces amendements sont précisément désignés ;
- plus largement, un membre du Gouvernement s'exprimant au nom du Gouvernement - et non seulement en son nom propre - devant l'Assemblée nationale ou le Sénat ou bien devant une commission de l'une des deux assemblées et dont les propos ont été repris dans un compte rendu officiel. Peuvent également être prises en compte les réponses des ministres aux questions écrites des parlementaires, publiées au Journal officiel. En revanche, les déclarations de presse ne sont pas admises dès lors qu'il n'appartient pas au président de la commission des finances d'analyser la portée des intentions exprimées par les membres du Gouvernement par voie médiatique.
Dans tous les cas, et pour éviter toute ambiguïté, l'intention du Gouvernement doit avoir été exprimée en termes suffisamment clairs et précis - y compris dans une étude d'impact ou dans l'exposé des motifs d'un projet de loi. De surcroît, l'amendement ou la proposition ne doit pas aller plus loin que ce à quoi le Gouvernement s'est expressément engagé.
Ces différents cas doivent être distingués du simple avis favorable du Gouvernement à une proposition ou à un amendement d'origine parlementaire, qui n'empêche pas l'application de l'article 4069(*). La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne laisse pas planer de doute à cet égard, celui-ci ayant ainsi censuré au titre de l'irrecevabilité financière la loi complémentaire à la loi du 2 août 1960 et relative aux rapports entre l'État et l'enseignement agricole privé, pourtant issue d'une proposition de loi à l'égard de laquelle le Gouvernement avait manifesté son approbation en l'inscrivant à l'ordre du jour prioritaire des deux assemblées70(*).
Cette distinction répond à la logique suivante :
- dans le cas d'une intention du Gouvernement, l'initiative parlementaire rejoint, sans la dépasser, celle du Gouvernement. D'un strict point de vue juridique (et non politique), l'amendement ou la proposition peut être considéré comme un véhicule traduisant une initiative gouvernementale, qui est donc recevable ;
- à l'inverse, dans le cas d'un avis favorable du Gouvernement sur un amendement, l'initiative de la mesure coûteuse émane véritablement du Parlement et l'accord du Gouvernement ne saurait retirer au dispositif son caractère irrecevable.
3. Les limites de la combinaison entre droit existant et droit proposé
La base de référence choisie pour l'examen de la recevabilité financière est toujours celle qui est la plus favorable à l'initiative parlementaire. Toutefois, la possibilité d'une option entre le droit proposé et le droit existant ne peut être interprétée comme autorisant une initiative parlementaire à combiner les éléments les plus favorables de dispositifs issus de deux bases de référence possibles.
Cette règle trouve par exemple à s'appliquer lorsque le texte en discussion propose un aménagement dont certains aspects sont coûteux et d'autres impliquent une moindre dépense publique. Un amendement qui s'opposerait à la mesure restrictive, au nom du droit en vigueur, tout en laissant s'appliquer la mesure extensive, au nom du droit proposé, se traduirait par une dégradation des finances publiques au regard de chacune des deux bases de comparaison possibles. Celui-ci devrait alors être considéré comme irrecevable au regard de l'article 40.
Cette situation s'est par exemple présentée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2014. Un amendement proposait de supprimer deux alinéas correspondant à l'abaissement du plafond du quotient familial, tout en maintenant deux alinéas visant à neutraliser l'effet de ladite baisse pour certains publics spécifiques. Dans la mesure où cet amendement aurait entraîné une perte de recettes pour le budget de l'État, il a dû être gagé pour être déclaré recevable.
Le même raisonnement s'applique pour la création ou l'aggravation d'une charge publique. Par exemple, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à moderniser et à faciliter la procédure d'expropriation de biens en état d'abandon manifeste, le président de la commission a déclaré irrecevable un amendement :
- rétablissant la possibilité pour le conseil municipal de désigner un département en tant qu'acquéreur d'un bien abandonné, ce qui était prévu par le droit existant mais supprimé par le droit proposé ;
- et rétablissant dans le même temps la possibilité pour les départements d'acquérir ces biens, une faculté proposée par le texte examiné.
Au final, cet amendement aggravait une charge publique à la fois par rapport au droit proposé et par rapport au droit existant.
La limitation de la combinaison entre le droit existant et le droit proposé correspond à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En réponse à la saisine de députés sur la loi supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle, le Conseil constitutionnel a considéré que « l'institution par ladite loi de la taxe professionnelle doit être regardée non comme la création d'une ressource fiscale entièrement nouvelle, mais seulement comme la substitution de cette taxe professionnelle à la contribution des patentes »71(*). Dans cette configuration, des amendements parlementaires non gagés mais aboutissant pourtant à une réduction du produit de la taxe professionnelle à un niveau inférieur à la fois à celui résultant du projet de loi et à celui de la patente préexistante avaient, à juste titre, été déclarés irrecevables.
Pour résumer La base de référence utilisée
pour apprécier la recevabilité financière · Pour apprécier la recevabilité d'un amendement, son dispositif est comparé soit au droit existant, soit au droit proposé. L'amendement est recevable s'il n'entraîne pas de charge supplémentaire ou de baisse de recettes par rapport à l'une ou l'autre des bases de référence. · Le droit existant regroupe la législation en vigueur ou à venir, les textes réglementaires, les traités et les accords internationaux dont les dispositions sont entrées en application, la jurisprudence française et internationale - sous conditions -, et enfin, exceptionnellement, les situations de fait. · Le droit proposé comprend les différentes étapes du texte de loi en discussion ainsi que les propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires sous la législature en cours. N'entrent en revanche pas dans cette catégorie les textes déposés mais non discutés ou les textes rejetés par l'une ou l'autre chambre. · Des amendements qui ne relèvent ni du droit proposé ni du droit existant peuvent être recevables même s'ils sont coûteux s'ils reprennent une intention du Gouvernement. Ils ne peuvent en aucun cas aller plus loin que cette intention exprimée. · La base de référence choisie est celle qui est la plus favorable à l'initiative parlementaire. Les sénateurs sont invités à indiquer la base retenue dans l'objet de leurs amendements. |
II. L'EXERCICE DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
La rédaction retenue par le constituant pour l'article 40 traite distinctement les « ressources publiques », au pluriel, et la « charge publique », au singulier. Loin d'être anecdotique, cette distinction emporte des conséquences juridiques concrètes s'agissant, d'une part, des initiatives parlementaires créant ou aggravant une charge publique et, d'autre part, de celles diminuant des ressources publiques.
En effet, si l'emploi du mot « charge » au singulier prohibe les créations ou les aggravations de charge - même compensées par la baisse d'une autre charge ou par l'augmentation des ressources publiques -, l'emploi du mot « ressources » au pluriel permet, quant à lui, la diminution ou la suppression d'une ressource publique, dès lors qu'elle est compensée par un surcroît de recettes, le principe étant de maintenir inchangé le niveau global des ressources publiques.
Ce traitement différencié des charges et des ressources publiques, conforme à la volonté des auteurs de la Constitution du 4 octobre 1958, a également été validé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans une décision du 28 décembre 1985, le juge constitutionnel a ainsi rappelé « qu'il résulte des termes mêmes [de l'article 40 de la Constitution] qu'il fait obstacle à toute initiative se traduisant par l'aggravation d'une charge, fut-elle compensée par la diminution d'une autre charge ou par une augmentation des ressources publiques »72(*).
En reprenant la jurisprudence développée par la commission des finances du Sénat, les développements suivants visent à expliciter les notions de « charge publique » et de « ressources publiques », qui peuvent revêtir diverses formes.
A. L'INTERDICTION DE CRÉER OU D'AGGRAVER UNE CHARGE PUBLIQUE
L'interdiction de créer ou d'aggraver une charge publique par le biais d'une initiative parlementaire est absolue et, comme cela a été rappelé, il est impossible de compenser la création ou l'aggravation d'une charge publique. Il convient d'y voir là la volonté du constituant d'éviter le retour des « opérations compensées ».
Dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette interdiction absolue est appliquée de manière stricte par le président de la commission des finances. Ainsi, un amendement instaurant une souscription nationale pour permettre aux particuliers et aux entreprises de contribuer, sous la forme de dons, aux travaux publics de conservation et de rénovation d'un site patrimonial a-t-il été déclaré irrecevable. Les dons ne pouvaient permettre de compenser la création de la charge publique représentés par ces travaux.
De la même façon, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement visant à restreindre l'accès au cumul emploi-retraite pour les médecins (diminution d'une charge publique) en le conditionnant à la réalisation d'une visite médicale, prise en charge par l'assurance maladie (création d'une charge publique).
1. Qu'est-ce qu'une charge publique ?
La notion de charge publique recouvre une réalité plus large que celle des dépenses stricto sensu imputées aux personnes publiques. En effet, elle comprend également les droits que des tiers détiennent sur ces personnes ou les compétences qu'elles exercent et les missions dont elles s'acquittent.
La charge publique est, avant tout, une notion juridique : elle est constituée dès lors qu'une initiative parlementaire en ouvre la possibilité juridique - en accordant, par exemple, la possibilité d'exercer une compétence nouvelle, ou en ouvrant un nouveau « droit de dépenser ». Par conséquent, ne sont pas opposables les raisonnements faisant valoir le caractère facultatif du dispositif proposé, impliquant que la personne concernée puisse ne pas faire usage de ce droit nouveau.
Les paragraphes qui suivent s'attachent à expliciter les critères établis par le juge de la recevabilité financière pour identifier la constitution d'une charge publique, sur le fondement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
a) La charge doit être directe et certaine
Une charge publique est constituée au sens de l'article 40 de la Constitution dès lors qu'elle est directe ou certaine. Par exemple, dans sa décision du 24 juillet 200373(*), le Conseil constitutionnel avait clairement laissé entendre qu'auraient dû être déclarés irrecevables des dispositions prévoyant une « augmentation du nombre de sénateurs » dans la mesure où « celle-ci [avait] une incidence directe et certaine sur les dépenses du Sénat, lesquelles font partie des charges de l'État ».
Dans une décision du 5 janvier 198274(*), le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que c'était à bon droit qu'avait été opposé l'article 40 de la Constitution à des amendements portant des mesures qui « constituaient [...] une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique ».
Par suite, la lecture combinée de ces deux décisions semble indiquer que les critères précités - charge directe et certaine - ne sont pas cumulatifs. Dans ces conditions, un amendement proposant la création d'une charge certaine mais indirecte devrait être déclaré irrecevable ; tout comme la création d'une charge facultative (incertaine de ce point de vue) mais directe.
Le fait de figer un niveau de dépenses publiques (ou « crantage de la dépense ») constitue ainsi une charge certaine, dans la mesure où cela conduit à priver la personne publique de la possibilité de réduire les moyens consacrés. Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements tendant à conditionner la fermeture de classes dans des écoles rurales à l'avis du conseil municipal ou des associations de parents d'élèves, dans la mesure où de tels amendements limitent les marges de manoeuvre de l'État dans la gestion des établissements scolaires.
Pour autant, rechercher les conséquences les plus infimes pour les finances publiques d'une initiative parlementaire est hors de la portée du juge de la recevabilité financière. Par conséquent, le lien entre la charge et le dispositif doit présenter une certaine évidence pour que l'amendement qui le propose se voie opposer l'exception d'irrecevabilité.
Par conséquent, si la création ou l'aggravation d'une charge publique ne constitue qu'une conséquence trop indirecte du dispositif proposé, l'initiative doit être déclarée recevable. À titre d'exemple, lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer le service civique, le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement plafonnant la durée hebdomadaire du service civique à 35 heures, contre 48 heures en l'état du droit. La conséquence éventuelle, à savoir le recrutement de davantage de volontaires pour couvrir le même nombre de missions, et la charge qui en découlerait pour l'État, présentait en effet un lien trop indirect avec l'initiative proposée.
En outre, quand il existe un doute quant aux conséquences financières d'un amendement, ce dernier est considéré comme recevable, conformément au principe fondamental selon lequel le doute profite à l'auteur de l'amendement.
Pour autant, et comme expliqué précédemment, cet effet « incertain » ne doit pas être confondu avec le caractère facultatif de la charge publique. La question n'est pas de savoir s'il est certain que l'initiative aura pour conséquence d'aggraver une charge publique, mais plutôt de déterminer s'il est certain que celle-ci peut entraîner une aggravation de charge - étant entendu qu'il est indifférent qu'elle se réalise ou non. C'est selon la même logique que sont déclarés irrecevables des amendements qui créent une charge future, tels ceux qui allongent les délais de demandes d'indemnisation. La charge publique, à savoir un nombre plus important de personnes indemnisées, est caractérisée quand bien même elle pourrait n'être constatée que dans le futur.
Par conséquent, il n'y a doute que lorsqu'il n'est pas certain que l'amendement puisse aggraver une charge publique.
Par exemple, le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 tendant, pour l'éligibilité des femmes enceintes éloignées d'une maternité à la prestation d'hébergement non médicalisé, à remplacer le critère temporel par un critère lié aux « circonstances locales ». En effet, au regard des données disponibles, rien ne permettait d'affirmer que l'amendement aurait conduit à une hausse de la dépense liée au versement de cette prestation : l'existence d'un doute a donc plaidé en faveur de la recevabilité de l'amendement.
L'application du caractère
« certain » aux amendements
portant sur la
procédure de passation des marchés publics
De nombreux amendements portent sur les procédures de passation des marchés publics, et notamment sur les critères d'attribution de ces marchés ainsi que sur les critères utilisés pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse.
De jurisprudence constante, le président de la commission des finances considère recevables les amendements qui modulent, précisent ou complètent ces critères, au regard de leurs effets incertains. Il est en effet impossible pour le juge de la recevabilité financière de qualifier juridiquement la charge supplémentaire qui résulterait ou non, pour la personne publique ayant passé le marché, de la modification d'un critère. Ont ainsi été déclarés recevables des amendements qui incluaient un critère géographique de proximité des soumissionnaires ou un critère écologique.
En revanche, la charge publique est caractérisée lorsqu'un amendement parlementaire entend instaurer un prix plancher pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. En effet, dans ce cas, l'acheteur public s'impose lui-même un montant minimal de dépenses. La charge publique étant certaine, un amendement en ce sens a été déclaré irrecevable.
Source : commission des finances
Enfin, la nature juridique de l'analyse de la création ou de l'aggravation de la charge publique signifie que le juge de la recevabilité financière ne s'attache pas à son montant. Que l'amendement entraîne une dépense supplémentaire de plusieurs dizaines de milliers d'euros ou de plusieurs milliards d'euros n'a pas d'importance pour l'examen de la recevabilité financière75(*).
b) La charge peut n'être qu'éventuelle ou facultative
Ainsi qu'expliqué précédemment, dans la mesure où la charge publique est une notion essentiellement juridique, celle-ci est constituée à partir du moment où une initiative parlementaire en ouvre la possibilité juridique. Il en résulte que les initiatives parlementaires proposant la création ou l'aggravation d'une charge éventuelle ou facultative sont également irrecevables.
Une charge publique est qualifiée d'éventuelle si sa réalisation dépend de l'intervention d'évènements futurs aléatoires. Il s'agit, par exemple, des mécanismes d'indexation de prestations servies par une administration publique ou encore de l'octroi d'une garantie publique76(*). Le Conseil constitutionnel a ainsi validé la censure par la commission des finances de l'Assemblée nationale d'un amendement tendant à garantir un taux minimum de 11 % par an pour les intérêts attachés aux obligations données en échange des actions des sociétés nouvellement nationalisées77(*). Dans une application plus récente de cette jurisprudence, à l'occasion de l'examen du projet de loi pour le plein emploi, le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement prévoyant une indexation des traitements de la fonction publique sur l'indice des prix à la consommation dans les cas où celui-ci évoluerait de plus de 2 % par an.
Une charge publique est qualifiée de facultative lorsque sa réalisation dépend de la décision d'une personne entrant dans le périmètre de l'article 40 de la Constitution ; c'est-à-dire lorsque cette personne a été autorisée à prendre une décision coûteuse (versement d'une subvention ou d'une prestation, exercice d'une nouvelle compétence ou mission) sans y être obligée. Ainsi, un amendement à la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, qui visait à permettre aux autorités organisatrices de transports collectifs de personnes de se doter - si elles le souhaitaient - de services internes de sécurité, créant un « droit à dépenser » pour celles-ci, a été jugé irrecevable. Il en va de même des amendements qui proposent, à la discrétion de la collectivité territoriale concernée, d'opter pour obtenir le transfert d'une compétence exercée par une autre personne publique, telle que l'État.
2. Les cas d'irrecevabilité caractérisée
En application des principes qui viennent d'être explicités, il est proposé d'établir, à l'usage des auteurs d'amendements ou de propositions de loi, une « typologie » des cas les plus répandus d'irrecevabilité prononcée sur le fondement de la création ou de l'aggravation d'une charge publique78(*).
a) Les dotations et les subventions publiques
(1) Principe général
Parmi les cas d'irrecevabilité les plus aisément décelables figurent tout d'abord les amendements visant les dotations et les subventions attribuées par une personne publique, qui se traduisent nécessairement par une dépense supplémentaire.
Sont ainsi contraires à l'article 40 de la Constitution les initiatives parlementaires :
- augmentant des dépenses existantes - à l'instar d'amendements visant à augmenter une dotation budgétaire, à étendre le bénéfice du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides aux victimes de contamination par des médicaments vétérinaires ou encore à élargir l'accès à la dotation de coordination versée aux services qui réalisent des prestations d'aide et de soins à domicile ;
- ou instituant une dotation ou une subvention nouvelle, en prévoyant par exemple la création par l'État d'un fonds de soutien aux clubs de sport ou la création d'un fonds d'urgence pour les entrepreneurs français établis à l'étranger. La création d'un fonds public, destiné à dépenser, est donc par nature irrecevable (cf. infra).
(2) Enveloppe fermée et enveloppe ouverte
Il convient toutefois de noter que les amendements élargissant l'éligibilité à une dotation ou à un fonds sont recevables lorsque la dotation ou le fonds constitue une « enveloppe fermée ». Derrière ce qui peut apparaître comme un « raffinement » du contrôle de la recevabilité financière, c'est bien la volonté de préserver l'initiative parlementaire qui prévaut : cette distinction a conduit, dans le respect des exigences de l'article 40 et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à déclarer recevables de nombreuses initiatives sénatoriales.
La distinction enveloppe « ouverte » / enveloppe « fermée »
Une enveloppe fermée est une enveloppe dont le montant est défini a priori et constitue dès lors un plafond de dépense. Les crédits sont donc limitatifs : s'ils sont épuisés avant la fin de l'exercice budgétaire, il n'est pas possible de continuer à dépenser. Un élargissement des conditions d'éligibilité à une telle enveloppe n'aggrave donc pas une charge publique, mais présente pour seul risque un plus grand « saupoudrage » des crédits - ce qui relève d'une appréciation politique, et non de celle du juge de la recevabilité financière.
Une enveloppe ouverte est une enveloppe dont le montant ne peut pas être connu a priori, en fonction de ses caractéristiques (modalités d'octroi, automaticité ou sélection de projets, nombre de bénéficiaires, nombre d'activités éligibles). Le cas échéant, les crédits inscrits en loi de finances au titre des dispositifs concernés sont donc uniquement évaluatifs. Au sein des enveloppes ouvertes, deux situations doivent être distinguées. Il y a d'une part les dépenses dites de guichet : si les droits octroyés excèdent les crédits ouverts, ces derniers sont rehaussés. Les dépenses sociales telles que le revenu de solidarité active (RSA), l'aide personnalisée au logement (APL), la prime d'activité ou encore l'allocation adulte handicapé (AAH) en sont les principaux exemples. C'est également le cas des aides de type « Ma Prime Rénov' ». Sont d'autre part qualifiées d'ouvertes les enveloppes dont le montant total des crédits est défini après avoir tenu compte des modifications législatives ou règlementaires relatives à ses modalités de fonctionnement.
Dans le cas d'une enveloppe ouverte, un élargissement des conditions d'éligibilité aggrave une charge publique, puisque le montant des crédits ouverts ne constitue pas une limite de dépenses et devra impérativement être ajusté en conséquence, par exemple dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion.
L'image, peut-être simpliste, la plus fréquemment utilisée est celle du gâteau : dans une enveloppe fermée, le gâteau à partager reste le même, que quatre ou douze personnes soient conviées. Dans une enveloppe ouverte, le gâteau s'élargit avec le nombre de convives.
Source : commission des finances
Les dotations de l'État en soutien à l'investissement des collectivités locales79(*) constituent des exemples d'enveloppes fermées : les subventions versées au titre de ces dotations sont limitées par la disponibilité des crédits. Ainsi, toutes les collectivités remplissant les conditions d'éligibilité ne peuvent pas toujours bénéficier de subventions à ce titre. Dans ces conditions, élargir les critères d'éligibilité à ces dotations revient à diluer la dotation entre un nombre plus important de bénéficiaires potentiels, mais n'aggrave pas une charge publique. Ont ainsi été déclarées recevables des initiatives visant à élargir l'éligibilité à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) aux communes nouvelles dont l'une des communes fondatrices était déjà éligible.
Dans le domaine de la santé, a été déclaré recevable un amendement prévoyant que certains produits de santé pouvaient faire l'objet d'un financement par la dotation nationale de financement des missions d'intérêt général. Il s'agit en effet d'une enveloppe fermée dont le montant est fixé par l'État en fonction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, et non en fonction des dépenses éligibles.
A contrario, le fonds d'intervention régional (FIR) constitue une enveloppe ouverte, dans la mesure où son montant est fixé par arrêté, pris chaque année après l'adoption définitive de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), qui définit les modalités de fonctionnement du FIR. Ainsi, un élargissement des missions financées par le FIR dans la LFSS peut en pratique conduire à l'octroi d'une enveloppe de crédits plus importante par arrêté. Sont en revanche recevables les amendements prévoyant que le FIR peut financer des actions ou des structures se rattachant à ses missions actuelles, de tels amendements ayant simplement valeur de précision.
Enfin, il convient de souligner que la caractérisation d'une enveloppe d'ouverte ou de fermée peut évoluer, par exemple si l'un de ses paramètres (financement, automaticité de l'accès aux fonds) est modifié. Le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », en constitue un exemple. Depuis 2021, ce fonds est un dispositif budgétaire, dont les crédits limitatifs sont portés par le programme 181 de la mission « Écologie ». Plusieurs paramètres de ce dispositif en font, dans ses règles de fonctionnement actuelles, une enveloppe fermée :
- les dispositions législatives et réglementaires du code de l'environnement ne prévoient pas de « droits acquis » aux financements issus du fonds, qui échappe alors à une logique « de guichet » ;
- le versement des financements attribués par le fonds est conditionné à une décision explicite d'attribution prise par le préfet après instruction d'un dossier déposé par le porteur de projet ;
- le financement par le fonds de mesures individuelles au profit de particuliers est anecdotique, l'essentiel des financements concernant à ce jour les collectivités territoriales.
Par suite, tout amendement visant à étendre le champ d'intervention du fonds Barnier est recevable, à la condition qu'il ne créée pas un « droit acquis », dans une logique de guichet, qui remettrait en cause le caractère d'enveloppe fermée du fonds. Ce raisonnement s'applique aux autres fonds : à partir du moment où l'accès aux financements portés par le fonds devient automatique, dès lors que les conditions d'éligibilité sont respectées, le fonds ne peut plus être qualifié d'enveloppe fermée80(*). Une telle initiative parlementaire serait dès lors irrecevable.
b) Les droits détenus par les administrés sur une personne publique
La notion de charge publique intègre également les droits que les administrés peuvent détenir sur une personne publique, en particulier les droits à diverses prestations ou allocations. Plusieurs cas peuvent être distingués.
(1) L'ouverture de droits nouveaux
Sont irrecevables les ouvertures de droits nouveaux. Lors de l'examen de la proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France, un amendement permettant à ces derniers de bénéficier de l'aide personnalisée au logement à leur retour en France, dans des conditions dérogatoires au droit commun, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.
Instituer un droit nouveau ou en préciser
le contenu : l'exemple de la formation
L'instauration de formations financées par une personne publique constitue la création d'une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution. Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements prévoyant l'organisation, par les services de l'État, d'actions de sensibilisation des élus locaux aux risques d'ingérences étrangères. De telles formations ne sont en effet aujourd'hui pas prévues dans le cadre du droit à la formation des élus locaux81(*). Sont également irrecevables les amendements qui rehaussent le plafond du montant maximal des droits à la formation détenus par chaque élu local.
Toutefois, les amendements qui se bornent à préciser le contenu de formations existantes n'aggravent pas une charge publique. Un amendement précisant que la formation obligatoire des élus ayant reçu une délégation du maire comprend un volet sur les finances publiques, les marchés publics, les ressources humaines et l'organisation du service public local a ainsi été déclaré recevable. Il n'élargit pas le champ des bénéficiaires de ce droit à la formation (cf. infra) et n'instaure pas une formation nouvelle.
Source : commission des finances
Il convient en outre d'être attentif au fait que sont irrecevables les amendements tendant à élargir l'assiette des cotisations sociales dans le but d'améliorer les droits à prestations des assurés. En application de ce principe, ont par exemple été déclarés irrecevables, lors de l'examen de la réforme des retraites de 202382(*), des amendements permettant aux élus locaux, dont les indemnités de fonction ne sont en principe pas soumises à cotisations, de cotiser au régime général pour se prémunir du risque vieillesse. Il s'agit là, par ailleurs, de l'application stricte du texte constitutionnel, aux termes duquel il est impossible de compenser l'aggravation d'une charge (la couverture du risque vieillesse) par l'augmentation d'une ressource (les cotisations). A contrario, un amendement augmentant le taux ou élargissant l'assiette d'une cotisation sociale sans création de droits nouveaux est recevable.
Enfin, la création de droits peut revêtir des formes plus difficiles à déceler, par exemple celle d'un transfert de droits acquis. Ainsi le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement autorisant la cession de tout ou partie du compte personnel de formation entre membres d'une même famille, le dispositif ayant pour effet de créer ou d'accroître les droits à la formation de la personne bénéficiaire de la cession.
(2) L'élargissement du champ des bénéficiaires
Sont également irrecevables les amendements élargissant le champ des bénéficiaires d'une prestation. Plusieurs amendements visant par exemple à ouvrir l'accès au revenu de solidarité active (RSA) aux adultes de moins de 25 ans ont été déclarés irrecevables, tout comme des amendements ouvrant le droit à la formation des élus locaux, financée par des fonds publics, à l'ensemble des citoyens participant à des instances de délibération publique.
Sont également irrecevables des amendements qui ont pour effet d'assouplir les conditions d'accès à une prestation ou à une allocation, dès lors que leur effet est identique à l'ouverture de droits à de nouvelles catégories de bénéficiaires. En effet, de tels amendements conduisent mécaniquement à élargir l'accès au dispositif coûteux et donc à en renchérir le coût. Lors de l'examen du projet de loi relatif aux outils de gestion des risques climatiques en agriculture, les amendements visant à assouplir les conditions d'éligibilité des exploitants agricoles à l'indemnisation publique versées en cas de perte de récoltes due à la réalisation d'un risque climatique ont été déclarés irrecevables.
Le degré d'assouplissement n'est pas pris en compte par le juge de la recevabilité financière : l'analyse n'est pas économique mais juridique, dès lors qu'un critère est plus souple que celui prévu par le droit existant ou par le droit proposé, la charge est caractérisée83(*).
(3) L'accroissement des droits détenus par les administrés
Selon la même logique, les amendements augmentant les droits détenus par les administrés sur une personne publique sont irrecevables. Tout amendement ayant pour effet d'accroître le montant de la prestation versée est ainsi contraire aux dispositions de l'article 40. Par le passé, ont donc dû être déclarés irrecevables par le président de la commission des finances les amendements prévoyant la déconjugalisation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), d'autant que cette nouvelle modalité de calcul conduisait également à accroître le nombre de bénéficiaires. Il en fut de même pour un amendement qui étendait la durée du congé maternité pour les femmes élevant seules leurs enfants.
Dans ce qui constitue une évolution récente des pratiques, de plus en plus d'amendements sénatoriaux portent sur la revalorisation des droits des administrés : en lieu et place d'augmenter frontalement les droits des administrés, les dispositifs modifient le niveau de revalorisation ou les indicateurs utilisés à cet effet. Dans la majorité des cas, ces amendements conduisent à aggraver une charge publique au sens de l'article 40.
Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements ouvrant la possibilité de revaloriser semestriellement, et non plus annuellement, les pensions d'invalidité ou encore prévoyant une application rétroactive de la majoration de 10 % du montant de la pension pour trois enfants pour les professions libérales et les exploitants agricoles.
Un certain nombre d'amendements déposés chaque année, notamment à l'occasion de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, porte sur les indicateurs retenus pour calculer l'évolution annuelle des droits des administrés. Il convient ici de distinguer les amendements portant des dispositifs de revalorisation des amendements modifiant simplement l'indicateur retenu pour l'évolution du montant des prestations versées.
Si elle peut apparaître subtile, cette distinction découle directement du fait que la notion de charge publique est une notion juridique. C'est sur ce fondement que le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement prévoyant d'indexer les pensions de vieillesse sur l'évolution moyenne des salaires et non plus sur l'inflation. Il était en effet impossible, pour le juge de la recevabilité financière, de juger en droit si l'indexation sur l'évolution des salaires était plus coûteuse que l'indexation sur l'inflation. Outre que cela peut varier d'une année sur l'autre, la logique sous-jacente à ce raisonnement aurait été économique, et non juridique.
Pour résumer, tout amendement modifiant les modalités de calcul de l'évolution d'une prestation est recevable dès lors que les effets de cette modification sont incertains. En revanche, lorsque le dispositif est rédigé de telle sorte à induire nécessairement une revalorisation des droits, il est irrecevable.
c) Les créations de structures ayant vocation à dépenser
Les créations de structures publiques nouvelles auxquelles sont confiées des missions et des moyens sont aussi irrecevables. D'une part, parce que cette création peut, en elle-même, être coûteuse. D'autre part, parce que les structures ainsi créées auront inévitablement vocation à dépenser (dépenses de fonctionnement, rémunération des personnels, crédits consacrés à la mission confiée à la structure).
Sont ainsi concernés les amendements créant des établissements publics administratifs, des autorités administratives indépendantes, des groupements d'intérêt public (GIP), des agences ou encore des fonds, dès lors que leur nature publique est constituée.
(1) Les fonds et les structures publiques
Le cas le plus fréquemment rencontré par le juge de la recevabilité financière est celui des fonds. Qu'ils aient ou non la personnalité juridique, les fonds disposent nécessairement d'une autonomie budgétaire qui suppose l'existence, même formelle, de recettes et de dépenses. Ils ont vocation à dépenser et l'existence de recettes en contrepartie ne peut permettre d'assurer la recevabilité d'initiatives parlementaires tendant à la création de ces fonds, toute compensation d'une charge publique étant interdite.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, le président de la commission des finances a donc déclaré irrecevable un amendement prévoyant la création d'un fonds pour le financement de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux. Il en a été de même, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, d'un amendement créant un fonds pour la transition énergétique et écologique du système de santé.
Ainsi qu'indiqué précédemment, il n'est cependant pas nécessaire que la structure publique prenne la forme d'un fonds pour que sa création soit constitutive d'une charge publique. La création d'une structure publique emporte en elle-même la création d'une charge publique au sens de l'article 40. Un amendement au projet de loi relatif à la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes a été déclaré irrecevable au motif qu'il proposait la création d'un organisme de suivi postérieurement au démantèlement de sites nucléaires, organisme public qui aurait eu un coût direct et certain pour l'État. Il en a été de même pour des amendements proposant de créer un secrétaire général à l'intelligence économique, doté d'un secrétariat placé auprès des services du Premier ministre ou de créer une fondation pour la mémoire des harkis, chargée de favoriser la recherche historique dans ce domaine ainsi que de contribuer à la formation des enseignants.
La seule exception a trait à la composition des commissions ou des comités consultatifs. Sont admis les amendements qui élargissent la composition de ces comités ou qui incluent de nouvelles catégories de personnes (parlementaires, élus locaux, etc.), à la condition qu'il soit précisé que ces personnes ne peuvent être rémunérées pour leurs fonctions et qu'elles y sont nommées ès-qualité. Cependant, lorsque le droit en vigueur ou les statuts d'un comité existant prévoit de couvrir les frais engagés par ses membres au titre des fonctions exercées au sein de ce comité, un amendement parlementaire ne pourra pas proposer d'en élargir la composition. Plus généralement, les procédures de participation et de consultation du public, au niveau local notamment, sont considérées comme recevables.
En revanche, la tolérance précédemment énoncée ne peut s'appliquer à la création de structures pérennes, qui, pour assurer leurs missions engageront des dépenses de fonctionnement et de personnel ; il en va ainsi de l'instauration d'un conseil social, économique et écologique dans chacune des régions ou de la création d'un comité de suivi et d'évaluation du référentiel national d'évaluation des situations de risque pour la protection de l'enfance.
(2) Un assouplissement de la jurisprudence : la fusion de plusieurs structures publiques dans un objectif de rationalisation budgétaire
Depuis les évolutions apportées à la jurisprudence en matière de contrôle de la recevabilité financière au mois de juillet 2020 par Vincent Éblé, alors président de la commission des finances, une initiative parlementaire visant à fusionner plusieurs structures publiques, à des fins de rationalisation fonctionnelle ou budgétaire, est jugée recevable au titre de l'article 40 de la Constitution.
Une telle fusion, sous la condition énoncée, est désormais considérée comme une réorganisation de charges publiques existantes, et non plus comme la création d'une nouvelle charge publique. Cette évolution jurisprudentielle s'inscrit dans le cadre d'un travail d'harmonisation engagé avec le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, aux fins de limiter les divergences d'interprétation entre les deux chambres.
C'est sur le fondement de cette évolution jurisprudentielle qu'a été déclaré recevable, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique, un amendement prévoyant de fusionner diverses structures (secrétariat général à la planification économique, commissariat général à la stratégie et à la prospective, secrétariat général pour l'investissement, Haut-commissariat au plan) au sein d'une nouvelle commission nationale à la planification. Les auteurs de l'amendement avaient par ailleurs clairement indiqué dans leur objet que cette fusion répondait à un souci de rationalisation du paysage administratif et d'efficacité de la dépense publique.
d) L'élargissement des compétences d'une personne publique
(1) L'octroi ou l'extension de compétences d'une personne publique
Sont incluses dans la notion de charge publique les compétences des personnes entrant dans le champ de l'article 40 de la Constitution. Aucun amendement parlementaire ne saurait donc attribuer des compétences nouvelles à une personne publique, que ces compétences soient générales ou prennent la forme d'une mission ponctuelle.
Sur ce fondement, le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement attribuant à l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection une mission de sensibilisation du public scolaire et universitaire à l'énergie nucléaire et à son développement. Cette mission aurait été manifestement nouvelle pour l'Autorité et aurait donc aggravé une charge publique.
Pas davantage qu'elles ne peuvent être créées, les compétences d'une personne publique ne peuvent être élargies, que ce soit matériellement ou géographiquement. A ainsi été déclaré irrecevable un amendement étendant les missions de la plateforme Pharos84(*) à la lutte contre la diffusion d'images d'actes de torture, de barbarie et de viol, en plus de la lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques85(*) (extension matérielle). Le président de la commission des finances a également opposé l'irrecevabilité à un amendement élargissant le périmètre géographique du droit de préemption des communes (extension géographique).
N'est toutefois pas considérée comme une aggravation de charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution l'extension du champ matériel ou territorial des compétences d'une personne publique dès lors que cette extension remplit deux conditions cumulatives :
- d'une part, l'extension du champ matériel ou territorial doit pouvoir se rattacher aux missions existantes confiées à l'entité, y compris en en précisant le contenu. Elle ne peut être assimilable à une compétence nouvelle ;
- d'autre part, l'extension de son champ de compétences doit pouvoir être assurée à moyens constants par l'organisme et n'excède donc pas la charge de gestion (cf. infra).
À titre d'exemple, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, a été jugé recevable un amendement étendant la compétence matérielle et territoriale du pôle dédié au traitement des crimes sériels et non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre aux faits d'atteintes aux personnes graves non résolus commis sur des ressortissants français à l'étranger.
(2) L'attribution d'une recette à l'exercice de sa compétence par une personne publique
Par ailleurs, et toujours selon le principe constitutionnel selon lequel une création ou une aggravation de charge publique ne peut être compensée, tout amendement visant à orienter une partie des ressources d'une personne publique ou à contraindre cette dernière à consacrer une fraction déterminée de ses ressources à une compétence identifiée est irrecevable.
Le « fléchage » d'une ressource publique vers le financement d'une compétence spécifique doit en effet être analysé comme une aggravation de charge publique dès lors qu'il comporte, selon les termes du juge constitutionnel, « l'établissement d'une corrélation entre une recette de l'État et une dépense incombant à celui-ci »86(*). En d'autres termes, l'augmentation des recettes affectée à une personne publique a pour effet de renforcer sa capacité à dépenser, dans son champ de compétences. C'est pour cette raison qu'un amendement au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour les années 2023-2027, qui prévoyait d'orienter les recettes de la contribution pour la justice économique vers le financement du fonctionnement des tribunaux de commerce, a été déclaré irrecevable.
Il convient toutefois de distinguer ces dispositifs de ceux ayant strictement pour objet d'augmenter les ressources d'une personne publique dotée de la personnalité morale, sans orienter ces ressources vers une compétence identifiée ou vers une dépense spécifique. Depuis les assouplissements intervenus à l'été 2020, dans l'objectif de limiter les divergences d'interprétation avec l'Assemblée nationale, de telles initiatives sont désormais recevables. Ont ainsi été déclarés recevables des amendements instituant une contribution sur les boissons alcoolisées au profit de la Caisse nationale d'assurance maladie sans orienter ces nouvelles recettes vers le financement d'activités spécifiques. Dans ce dernier cas, le fait que les auteurs de l'amendement aient indiqué dans son objet des investissements susceptibles d'être financés par cette nouvelle recette est resté sans incidence sur la recevabilité de cette initiative.
e) Les expérimentations
Les expérimentations constituent un autre cas fréquent d'irrecevabilité financière.
Le cadre constitutionnel des expérimentations
L'article 37-1 de la Constitution dispose que la « loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».
L'article 72 de la Constitution prévoit quant à lui que, dans certaines conditions, « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences ».
Source : Constitution du 4 octobre 1958
Si les articles 37-1 et 72 de la Constitution disposent que le législateur peut prévoir des expérimentations, il n'en demeure pas moins que cette faculté doit être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles, et notamment celle de la recevabilité financière. La jurisprudence sénatoriale en matière de recevabilité financière a toujours considéré irrecevables les amendements autorisant l'État ou les collectivités territoriales à procéder à des expérimentations coûteuses, et ce quand bien même la création ou l'aggravation de la charge publique ne serait que temporaire. Aucune décision du juge constitutionnel ne laisse entendre que le caractère temporaire, facultatif ou réversible d'une charge publique serait de nature à écarter l'application de l'article 40. Dès lors, un amendement prévoyant, à titre expérimental, la création d'un chèque alimentaire et nutritionnel a été déclaré irrecevable, tout comme un amendement prévoyant, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la prise en charge par l'assurance maladie des activités sportives prescrites par un professionnel de santé.
Le raisonnement est le même pour les amendements élargissant le périmètre d'expérimentations existantes : dès lors que l'expérimentation est coûteuse pour une personne publique, toute extension de cette expérimentation conduit nécessairement à aggraver une charge publique. Cette extension peut être matérielle (champ de l'expérimentation, champ des personnes publiques concernées), géographique ou temporelle.
Figurait par exemple dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 une expérimentation autorisant les infirmiers à signer les certificats de décès, expérimentation financée par le Fonds d'intervention régional (FIR), une enveloppe ouverte (cf. supra). Tous les amendements visant, soit à étendre la durée de l'expérimentation d'un an à trois ans, soit à l'étendre à toutes les régions, ont été déclarés irrecevables.
Il convient de noter que les expérimentations constituent l'un des derniers points de divergence entre les jurisprudences de l'Assemblée nationale et du Sénat. Néanmoins, le président Éric Woerth, considérant que la faculté donnée aux députés de déposer un amendement proposant une expérimentation coûteuse constituait « une tolérance audacieuse »87(*), a rappelé que la recevabilité financière de tels amendements était soumise à des critères cumulatifs stricts, « chaque expérimentation [étant] examinée au cas par cas »88(*).
f) Les transferts de charge entre personnes publiques
Dès lors que l'article 40 de la Constitution prohibe la compensation de la création ou de l'aggravation d'une charge publique par la diminution d'une autre charge publique, il ne saurait être possible, pour une initiative parlementaire, de procéder à un transfert de compétence entre personnes publiques. Ce transfert de compétence se traduirait en effet par une création de charge pour la personne destinataire.
Ce principe s'applique sans exception, entre personnes publiques de catégories égales ou différentes, et quand bien même l'auteur de l'amendement ferait valoir qu'un tel transfert permettrait au nouveau titulaire de la charge de l'assumer à moindre coût.
Ont par exemple été déclarés irrecevables les amendements tendant à transférer à l'État la prise en charge des mineurs non accompagnés, compétence qui relève aujourd'hui des départements au titre de l'aide sociale à l'enfance. Le même raisonnement s'appliquerait aux initiatives parlementaires qui viseraient à transférer une charge ou une compétence d'un établissement public à un autre ou d'un opérateur à un autre.
Le cas particulier des transferts de compétence au sein de l'État
S'agissant des transferts au sein même de l'État, en particulier entre ministères ou administrations89(*), le principe demeure le même, à savoir l'impossibilité de compenser l'aggravation d'une charge publique par la diminution d'une autre charge publique ; et les initiatives parlementaires procédant à de tels transferts ne sauraient être toutes considérées comme neutres pour les finances publiques.
Sont dès lors irrecevables les amendements transférant des charges entre le budget général de l'État, les budgets annexes et les comptes spéciaux, en raison de leur autonomie comptable. Toutefois, afin de favoriser l'initiative parlementaire, le président de la commission des finances a déclaré recevables des amendements transférant une compétence entre administrations relevant de la même mission budgétaire. Ce raisonnement se fonde sur un parallélisme des formes avec l'examen des crédits lors des projets de loi de finances90(*).
Par suite, des amendements transférant un contentieux des juridictions administratives aux juridictions de l'ordre judiciaire ont été déclarés irrecevables ; les crédits des premières étant portés par la mission budgétaire « Conseil et contrôle de l'État », les crédits des secondes par la mission « Justice ».
Source : commission des finances
Par ailleurs, en application d'une jurisprudence favorable à l'initiative parlementaire, la création ou l'aggravation d'une charge publique n'est pas constituée lorsque le transfert de compétence se borne à redistribuer le poids d'une même charge entre différentes personnes publiques relevant de la même catégorie de collectivités territoriales - soit appartenant à un même « bloc » de collectivités. Dès lors, un amendement modifiant la répartition entre communes d'une charge qui leur incombait déjà, ou entre des communes et un établissement public de coopération intercommunal (EPCI), est recevable en raison du rattachement de ces personnes au « bloc communal »91(*). Ce ne serait en revanche pas le cas d'un amendement transférant une compétence entre une commune et un département, ou entre un département et une région.
En outre, ne constituent pas un transfert de compétence les simples délégations de compétence entre collectivités territoriales relevant de catégories différentes, dans la mesure où la compétence demeure, juridiquement, celle de la collectivité délégante. De plus, la collectivité qui reçoit la délégation n'engage pas ses propres deniers, mais agit pour le compte du délégant. Il convient seulement de se demander si elle pourra raisonnablement exercer cette charge sans nouveaux moyens humains, ce qui revient à se demander si la délégation de compétence peut être considérée comme une « charge de gestion » (cf. infra).
g) Les dispositions intéressant l'emploi public
(1) Le recrutement d'agents publics
Tout recrutement opéré par une personne publique, qu'il concerne des agents titulaires ou non, est constitutif d'une création de charge. À tout emploi s'attachent en effet des dépenses - liées notamment aux rémunérations - et des droits détenus par l'agent public sur son employeur, en particulier des droits à pension. Par conséquent, un amendement parlementaire autorisant le contrôleur général des lieux de privation de liberté à recruter des collaborateurs pour former son cabinet ou des fonctionnaires et contractuels pour les services placés sous son autorité est irrecevable. En revanche, le président de la commission des finances déclare recevables les amendements se bornant à prévoir qu'une personne publique désigne, au sein de son personnel, des « référents » (par exemple pour le harcèlement ou pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles), à condition que cette désignation ne conduise pas à l'attribution d'une nouvelle compétence pour cette personne publique.
Par ailleurs, et selon une jurisprudence développée pour soutenir l'initiative parlementaire, les amendements qui se bornent à élargir le vivier de recrutement sur des emplois publics sont considérés comme recevables, dès lors qu'ils n'entraînent pas d'obligation pour la personne publique de recruter davantage mais qu'ils lui offrent la possibilité de choisir entre un plus grand nombre de candidats. Ainsi, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi pour le statut de l'élu local, un amendement élargissant les profils de candidats admis sur liste d'aptitudes qui peuvent être nommés à des emplois de catégorie B de la fonction publique territoriale a été déclaré recevable. Cet amendement n'avait pas d'effet sur le nombre d'emplois offerts par la collectivité territoriale mais sur son vivier de recrutement. Tout assouplissement d'un critère de recrutement (âge, qualification) est donc recevable tant qu'il ne conduit à rehausser ni le nombre d'agents publics recrutés, ni leur rémunération. Il convient toutefois de noter, ainsi que cela sera développé dans la quatrième partie, qu'eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette tolérance dite du « vivier de recrutement » ne s'applique pas aux personnels de santé, dans la mesure où ceux-ci disposent du droit de prescription92(*).
Sont également irrecevables les initiatives parlementaires impliquant nécessairement des recrutements pour la personne publique concernée. À titre d'exemple, lors de l'examen du projet de loi 3DS, un amendement tendant à augmenter le volume hebdomadaire d'enseignement dispensé en langue régionale, qui aurait automatiquement rendu nécessaire le recrutement de nouveaux enseignants, a été déclaré irrecevable.
Le même raisonnement prévaut pour déclarer irrecevables les amendements parlementaires fixant des ratios d'accompagnement ou d'encadrement dans les structures gérées et financées par des personnes publiques. De tels ratios supposent en effet a minima le maintien d'agents en poste, contraignant ainsi les organismes publics concernés à un certain niveau de dépenses de personnel, voire le recrutement de personnels supplémentaires pour satisfaire à ces exigences. Ont donc été déclarés irrecevables des amendements instaurant un ratio maximal de demandeurs d'emploi par conseiller référent de France Travail ou encore un ratio maximal d'encadrement des résidents par le personnel soignant des Ehpad.
Dans le prolongement de cette logique, les amendements qui élargissent les règles de mobilité des agents publics, notamment en cas de détachement dans une autre fonction publique, sont déclarés irrecevables dès lors que leur remplacement implique le recrutement d'agents supplémentaires par l'employeur public concerné et que leur rémunération fait l'objet, le cas échéant, d'un transfert de charges entre deux personnes publiques, par exemple entre l'État et une collectivité territoriale.
De même, les amendements qui allongent la durée d'études obligatoire au sein d'un cycle de formation sont irrecevables, dès lors qu'ils supposent de recruter davantage de personnels enseignants. Ces amendements sont a fortiori irrecevables lorsqu'ils visent plus spécifiquement les études de médecine, et notamment les internes, qui bénéficient d'une rémunération publique. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement qui prévoyait d'ajouter une quatrième année au troisième cycle des études odontologiques. Cette approche retenue pour les études de médecine a été confirmée indirectement par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que les dispositifs relatifs à la réforme des études de santé avaient bien leur place dans un PLFSS « eu égard au nombre d'étudiants concernés par cette mesure dont la rémunération est assurée au moyen de crédits de l'assurance maladie »93(*).
S'agissant toujours des études de santé, il convient de préciser que lorsque le numerus clausus s'appliquait, les initiatives parlementaires le supprimant étaient déclarées irrecevables ; puisque cette suppression aurait eu pour effet de contraindre les établissements à accroître leurs capacités de formation (personnel enseignant, immobilier, frais de fonctionnement). C'est également sur ce fondement que, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi sur l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, a été déclaré irrecevable un amendement prévoyant que les capacités d'accueil des formations en deuxième et troisième années de premier cycle des études de médecine soient déterminées sans tenir compte des capacités de formation des établissements. La prise en compte de ces capacités de formation est en effet aujourd'hui un élément déterminant pour définir les capacités d'accueil : le retirer aurait certainement et directement contribué à obliger les universités à accroître leurs capacités de formation. En revanche, les amendements qui prévoient d'élargir le nombre d'étudiants pouvant s'inscrire dans certaines formations sont recevables, dès lors que les dispositifs ne créent pas un « droit à la formation » et préservent l'autonomie des universités dans la définition de leurs capacités d'accueil.
Si ces distinctions et aménagements peuvent de prime abord apparaître complexes, ils ont été développés par le juge de la recevabilité financière pour concilier au mieux les exigences constitutionnelles de l'article 40 et le droit d'initiative des parlementaires. Les évolutions intervenues ces dernières années ont eu pour objectif d'assouplir la jurisprudence en matière de recrutement des agents publics, dans un sens favorable aux initiatives des sénateurs.
(2) La rémunération et la carrière des agents publics
Les amendements parlementaires ayant pour conséquence d'augmenter la rémunération des agents publics sont également contraires à l'article 40. Ils peuvent revêtir diverses formes : augmentation directe du traitement perçu par les agents publics, requalification des agents dans une catégorie supérieure - par exemple un passage de la catégorie C à la catégorie B -, assouplissement des conditions de versement ou d'accès à une prime, application d'un régime de rémunération ou de promotion plus favorable94(*) ou encore accélération de l'avancement en grade.
À titre d'exemple, respectivement sur la proposition de loi destinée à revaloriser le métier de secrétaire de mairie et sur le projet de loi relatif à la simplification économique, ont été déclarés irrecevables un amendement prévoyant de reclasser des agents territoriaux de la catégorie B à la catégorie A et un amendement prévoyant de supprimer la condition de la double mobilité pour l'accès des magistrats administratifs au grade de premier conseiller95(*).
Enfin, un amendement parlementaire ne peut prévoir la titularisation d'agents contractuels, les droits attachés au statut de fonctionnaire titulaire étant plus étendus que ceux des agents non titulaires. Le président de la commission des finances a donc dû déclarer irrecevable un amendement rendant automatique la titularisation des agents contractuels occupant la fonction de secrétaire de mairie.
h) Les charges de trésorerie
Pour une personne publique, les charges de trésorerie correspondent aux charges associées au fait d'anticiper la réalisation d'une charge publique ou de différer la perception d'une ressource publique.
Par principe, un amendement ayant pour effet de créer une charge de trésorerie pour une personne publique s'analysera comme une aggravation de charge au sens de l'article 40 de la Constitution, dans la mesure où il pèsera, même momentanément, sur sa capacité de décaissement. Par ailleurs, une charge de trésorerie est susceptible de créer un besoin de financement pour l'organisme concerné, besoin généralement comblé par un recours à l'emprunt ou par la mobilisation de ressources financières supplémentaires auprès de la personne publique tutélaire ou garante, l'État le plus souvent.
Bien qu'elle puisse apparaître moins intuitive, cette forme de charge publique avait été envisagée dès la rédaction de la Constitution : lors de la réunion de la commission constitutionnelle du Conseil d'État des 25 et 26 août 1958, Gilbert Devaux avait inscrit « les dépenses [...] de trésorerie » dans le champ des charges publiques. Dans la droite ligne de la volonté exprimée par le constituant, le Conseil constitutionnel a lui aussi intégré cette déclinaison de la charge publique dans sa jurisprudence en validant la censure, par la commission des finances de l'Assemblée nationale, d'un amendement diminuant la durée d'amortissement des obligations données en échange des actions des sociétés nationalisées en vertu de la loi du 11 février 198296(*).
Toutefois, une nuance a été apportée au caractère absolu de l'irrecevabilité des charges de trésorerie. Certaines d'entre elles peuvent en effet être regardées comme des « charges de gestion » pour les organismes concernés, à la stricte condition qu'elles présentent à la fois un caractère infra-annuel et non massif. Lorsque ces deux conditions sont cumulativement remplies, les charges de trésorerie concernées ne sont pas constitutives d'une aggravation de charge publique au sens de l'article 40.
En application de cette grille de lecture :
- un amendement au projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 ayant pour objet d'anticiper le versement mensuel de la rémunération des chargés d'enseignement vacataires a été déclaré recevable ;
- en revanche, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ayant pour objet de neutraliser le délai d'entrée en vigueur de six mois pour l'application de mesures conventionnelles visant à revaloriser les tarifs des honoraires, des rémunérations et des frais accessoires en matière de santé a été déclaré irrecevable, la charge de trésorerie étant massive pour les organismes de sécurité sociale. De même, un amendement avançant d'un an la contemporanéisation du crédit d'impôt relatif aux activités de garde d'enfant à domicile a été déclaré irrecevable, la charge de trésorerie pour l'État étant à la fois supra-annuelle et massive.
Cet assouplissement fait partie des trois évolutions présentées au mois de juillet 2020 par Vincent Éblé, alors président de la commission des finances du Sénat. Il s'agissait là encore de se rapprocher de la jurisprudence appliquée à l'Assemblée nationale en retenant une application plus souple du principe de l'irrecevabilité des charges de trésorerie, qui comporte néanmoins indéniablement un risque au regard de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel.
i) Les autres cas d'irrecevabilité
Enfin, et toujours sans prétendre à l'exhaustivité, il peut être utile de présenter certains cas d'irrecevabilité spécifiques, tant parce qu'ils présentent un intérêt particulier que parce que le juge de la recevabilité financière y est régulièrement confronté.
(1) Nationalisation, expropriation et droit de préemption
Bien qu'elles aient pour finalité d'augmenter les ressources ou le patrimoine des personnes publiques, les initiatives parlementaires qui prévoient la nationalisation d'entreprises ou qui, plus généralement, ouvrent ou étendent une possibilité d'expropriation doivent être considérées comme irrecevables.
En effet, conformément à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen97(*), les personnes privées de leur propriété doivent impérativement faire l'objet « d'une juste et préalable indemnité », principe constamment réaffirmé par le Conseil constitutionnel98(*).
Dans ces conditions, de telles opérations impliquent nécessairement une indemnisation des personnes privées de leur propriété et donc l'aggravation d'une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution. De surcroît, étendre une procédure d'expropriation constitue également une incitation à dépenser pour les personnes publiques titulaires de ce droit, dans la mesure où leur est donnée juridiquement la faculté d'acquérir de nouveaux éléments de patrimoine, l'acquisition et l'entretien de biens constituant des charges certaines et directes.
Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements créant de nouvelles catégories de biens en état d'abandon manifeste, en ce qu'ils conduisaient à étendre le périmètre des biens sur lesquels les communes pouvaient exercer leur droit d'expropriation. Il en a été de même pour les amendements réduisant la durée au terme de laquelle une succession non réglée est considérée comme un bien sans maître, au motif qu'ils avaient pour conséquence d'étendre le droit d'appropriation des communes et constituaient donc une incitation à dépenser.
Dans la même logique, se voient également opposer l'article 40 de la Constitution les amendements créant ou étendant des droits de préemption qui s'apparentent là-aussi, d'un point de vue juridique, à une autorisation d'acheter un bien - à laquelle est donc associé un « droit de dépenser ». Ainsi, les amendements parlementaires visant à créer un droit de préemption environnemental des communes sur le foncier non bâti, à étendre le droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) aux cessions en nue-propriété de biens à vocation agricole ou encore à étendre le droit de préemption des communes aux copropriétés dégradées ont été déclarés irrecevables. Il convient de rappeler ici que la charge est constituée dès lors que l'amendement parlementaire en donne la possibilité juridique, peu importe qu'il ne s'agisse que d'une faculté et non d'une obligation.
(2) L'engagement de la responsabilité d'une personne publique
Peuvent ensuite être évoquées les initiatives ayant pour effet d'assouplir les conditions d'engagement de la responsabilité d'une personne relevant du champ d'application de l'article 40 de la Constitution. En effet, l'engagement de la responsabilité d'une telle personne est susceptible de se traduire par le versement d'une indemnité, venant ainsi aggraver une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution. Cette lecture a d'ailleurs été récemment reconfirmée par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que l'extension du bénéfice du régime de la responsabilité administrative aux médecins assurant la régulation des appels du service d'accès aux soins dans le cadre d'un exercice libéral avait une « incidence sur les dépenses d'assurance maladie »99(*), ce qui justifiait d'ailleurs l'inscription de cette disposition dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Ainsi, lors de l'examen du projet de loi relatif au plein emploi, un amendement prévoyant l'engagement de la responsabilité pour faute de Pôle emploi (remplacé par France Travail) en cas de carences dans l'exercice de ses missions d'accompagnement personnalisé a été jugé irrecevable. Ce fut également le cas pour un amendement déposé au projet de loi 3DS prévoyant d'étendre le champ de la responsabilité pénale des collectivités territoriales au-delà des seules infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de délégations de service public.
3. Les cas dans lesquels l'irrecevabilité n'est pas constituée
La création ou l'aggravation d'une charge publique n'est naturellement pas constituée lorsqu'elle est totalement étrangère au dispositif de l'amendement ou lorsqu'elle n'en constitue qu'une conséquence très indirecte. Peu d'amendements seraient en effet susceptibles d'échapper à la déclaration d'irrecevabilité s'ils étaient évalués à l'aune de leurs implications ultimes sur la dépense publique.
Par ailleurs, il est d'usage de considérer qu'en matière de recevabilité financière, le doute profite à l'auteur de l'amendement. Dès lors que le juge de la recevabilité ne peut établir de façon certaine que l'amendement est constitutif d'une création ou d'une aggravation de charge publique, cet amendement sera déclaré recevable.
Hormis ces cas de recevabilité « manifeste », il existe également d'autres situations bien établies dans lesquelles des amendements situés « à la lisière » de l'irrecevabilité financière peuvent être admis. Les paragraphes suivants s'attachent à retracer la jurisprudence développée en la matière, en constante évolution.
a) Les amendements non normatifs
Ainsi que cela a déjà été indiqué, une charge publique est constituée au sens de l'article 40 de la Constitution dès lors qu'est ouverte une possibilité juridique de créer ou d'aggraver une charge. Par conséquent, une initiative parlementaire sans portée normative ne saurait être déclarée irrecevable.
L'absence de portée normative doit être clairement établie. Le caractère non normatif d'un amendement affichant l'intention de créer ou d'aggraver une charge peut tout d'abord résulter de la rédaction de l'amendement. Une initiative parlementaire peut ainsi davantage s'apparenter à une déclaration d'intention ou à un « voeux pieux » et présenter une dimension plus politique que juridique, en affirmant des principes ou des droits généraux. Ont ainsi été déclarés recevables des amendements prévoyant que la France se donne pour objectif de mettre en place une stratégie de recyclage des métaux et des terres rares employés dans l'industrie ou encore que la Nation se fixe pour objectif que le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) soit supérieur au seuil de 60 % du revenu médian.
En outre, dans le cadre des lois de programmation, les amendements parlementaires bénéficient d'une présomption de recevabilité dès lors qu'ils modifient les dispositions non normatives de ces projets de loi, sous réserve de ne pas présenter eux-mêmes un caractère normatif100(*). Bien que ces projets de loi aient vocation à accueillir des dispositions fixant des orientations politiques et, éventuellement, une projection pluriannuelle des moyens financiers consacrés à ces orientations, celles-ci sont dépourvues de portée normative.
Par ailleurs, le contrôle de la recevabilité financière ne porte que sur le dispositif des initiatives parlementaires et non sur leurs motivations (exposé des motifs de la proposition de loi ou objet de l'amendement). Si ces dernières peuvent éclairer le juge de la recevabilité financière quant aux intentions de l'auteur et à la portée du dispositif proposé, elles ne sauraient constituer l'objet de son contrôle.
Pour en donner un exemple, il a été précédemment expliqué que, depuis une évolution de jurisprudence intervenue au mois de juillet 2020, les amendements sénatoriaux affectant une nouvelle recette à une personne publique dotée de la personnalité morale sont recevables, sous réserve de ne pas flécher son utilisation vers une action spécifique. Il est toutefois loisible à l'auteur de l'amendement d'indiquer, dans son objet, l'action ou la mission qu'il souhaiterait voir être financée par cette nouvelle recette (plan d'investissement, soutien aux personnes précaires, etc.), sans que cette intention n'ait d'incidence sur la recevabilité financière de cette initiative.
Enfin, il convient de préciser que n'entrent pas dans la catégorie des amendements non normatifs les amendements parlementaires qui délégueraient au Gouvernement le soin de créer ou d'aggraver une charge publique. La souplesse introduite dans la jurisprudence au profit des dispositions non normatives ne saurait en effet se traduire par l'ouverture d'une voie de contournement de la recevabilité financière : si l'initiative parlementaire ne se borne pas à exprimer une intention politique mais prévoit expressément que le Gouvernement prenne une décision ayant pour effet d'aggraver une charge publique, le renvoi au niveau règlementaire ne peut faire écran à l'application de l'article 40 à l'initiative parlementaire et ne saurait neutraliser le contrôle de la recevabilité financière.
La charge étant de nature juridique, en prévoir le fondement en droit suffit à la caractériser au sens de l'article 40 de la Constitution : que le Gouvernement prenne ou non les dispositions règlementaires matérialisant véritablement la charge publique ne relève pas de la compétence du juge de la recevabilité financière.
C'est en application de ce raisonnement qu'un amendement prévoyant qu'un décret fixe les critères d'éligibilité des patients à la prescription et au remboursement par l'assurance maladie des activités physiques adaptées, alors que ces dernières ne font pas l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie, a été déclaré irrecevable, tout comme un amendement disposant qu'un décret devait garantir la prise en compte d'un facteur de nature à accroître l'indemnisation publique des agriculteurs en cas d'aléa climatique ainsi que le subventionnement public de leurs primes et cotisations.
Sont en revanche recevables les amendements parlementaires qui se bornent à renvoyer au niveau règlementaire la définition de certaines modalités de mise en oeuvre d'un dispositif - à la condition donc de n'imposer aucun contenu de nature à aggraver une charge publique ou que les effets soient incertains.
Pour illustrer cette distinction, deux exemples d'amendements déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 peuvent être utilisés :
- un amendement prévoyant qu'un décret détermine le nombre de lits nécessaires en soins palliatifs au regard des besoins de la population a été déclaré recevable, le Gouvernement ayant toute latitude pour définir un nombre de lits inférieur ou égal au nombre de lits existants ;
- a contrario, un amendement prévoyant qu'un décret devait être pris après avis de la Haute Autorité de la santé pour garantir l'accès aux soins palliatifs, en définissant un nombre de lits et d'équipes mobiles médicales minimal, a été déclaré irrecevable.
b) Les charges de gestion
Les initiatives parlementaires dont les effets n'excèdent pas la charge de gestion sont recevables. Entrent dans ce champ les charges si minimes qu'une personne relevant du champ de l'article 40 de la Constitution pourrait y faire face par la mobilisation des moyens existants dont elle dispose dans le cadre de son activité normale.
Cette jurisprudence, issue d'une pratique parlementaire ancienne, a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999, ce dernier ayant jugé que c'était à bon droit que l'article 40 de la Constitution n'avait pas été opposé à la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (PACS) dès lors que « l'augmentation des dépenses pouvant résulter, pour les services compétents, des tâches de gestion imposées par la proposition de loi n'était ni directe, ni certaine »101(*).
Une fois de plus, s'il serait impossible d'être exhaustif dans la description des formes que peuvent prendre les charges de gestion, quelques critères permettent d'en définir les principales catégories.
(1) Les rapports, schémas et délais de traitement
Constituent, au premier chef, d'emblématiques charges de gestion les demandes de rapport, dont l'élaboration, la rédaction et l'impression sont, selon toute vraisemblance, réalisées à moyens constants par les services qui en ont la charge.
De même, les amendements prévoyant la création ou l'extension d'un schéma territorial ou d'un plan d'action sont considérés comme n'emportant pas de charge financière, leur élaboration étant généralement absorbable à moyens constants par les administrations. Ont ainsi été déclarés recevables des amendements élargissant le contenu des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ou le nombre de communes tenues d'élaborer un plan d'action pluriannuel pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. N'est ici concernée que l'élaboration des schémas : un amendement déposé au projet de loi 3DS ouvrant la possibilité aux régions de conventionner avec les départements pour que ces derniers puissent participer financièrement à la mise en oeuvre des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SDREII) a été déclaré irrecevable.
Dans la plupart des cas, relèvent également de la charge de gestion les amendements prévoyant d'imposer à une personne publique un délai de traitement des demandes formulées par un administré ou par une collectivité ou encore de réduire les délais prévus par le droit existant. Ce principe ne vaut que sous réserve que le délai proposé ne conduise pas la personne publique concernée à devoir accroître les moyens mobilisés pour le traitement de ces demandes ou que l'absence de réponse ne soit pas créatrice d'un droit au profit du demandeur.
Les délais de traitement : une nécessaire clarification de la jurisprudence applicable en matière de contrôle de la recevabilité financière
Au regard du nombre croissant d'amendements sénatoriaux portant sur les délais octroyés aux personnes publiques pour traiter les demandes qui leur sont adressées et des interrogations qui ont pu être soulevées à cet égard, la jurisprudence applicable en matière de contrôle de la recevabilité financière a dû être affinée.
Du point de vue de l'article 40 de la Constitution, deux questions se posent et guident le juge de la recevabilité financière dans son appréciation du dispositif proposé : (1) quelles sont les conséquences du non-respect de ce délai pour l'administration et pour le demandeur et (2) quels sont les moyens que l'administration devra mobiliser pour respecter ce délai.
Il convient alors de distinguer les amendements qui limitent le délai de réponse de l'administration de ceux qui encadrent le délai dont dispose une juridiction pour statuer sur un dossier.
S'agissant des premiers, le caractère recevable de l'amendement dépend en premier lieu des conséquences des décisions de l'administration. Lorsqu'elles sont coûteuses, le plus souvent parce qu'elles sont créatrices de droits, la réduction du délai de traitement dont dispose l'administration peut entraîner, à moyens constants, une réduction du nombre de dossiers traités. Or, en vertu du principe général selon lequel « silence vaut acceptation », l'absence de traitement du dossier peut conduire à l'ouverture de droits, et donc à l'aggravation d'une charge publique.
Le deuxième critère pris en compte, de manière alternative ou cumulative selon les cas, est celui du nombre de dossiers à traiter dans le délai proposé. Sont considérés comme recevables les amendements portant sur une procédure peu usitée ou limitée. Aussi le président de la commission des finances a-t-il déclaré recevable un amendement limitant à neuf mois le délai d'instruction et de délivrance des autorisations d'installation d'éoliennes en mer. A contrario, un amendement prévoyant de réduire à deux mois le délai dont disposent les préfectures pour répondre aux demandes de modification ou d'extension de travaux soumis à une évaluation environnementale a été jugé irrecevable, les auteurs ayant par ailleurs indiqué que la procédure prenait aujourd'hui entre deux et cinq ans. Il a en été de même pour un amendement imposant à France Travail de faire recevoir par un conseiller toute personne en faisant la demande dans un délai maximal d'un mois, délai qui aurait nécessité, pour être respecté, le recrutement de nouveaux conseillers.
S'agissant des amendements portant sur les délais dont dispose une juridiction pour statuer sur un dossier, sont par principe considérés comme irrecevables, dès lors que le non-respect de ce délai peut engager la responsabilité de l'État, et que l'imposition d'un tel délai peut par ailleurs supposer un accroissement considérable des moyens alloués à la juridiction. A ainsi été déclaré irrecevable un amendement au projet de loi pour la simplification de la vie économique prévoyant de plafonner à un an le délai de traitement des contentieux environnementaux par la juridiction administrative.
Source : commission des finances
(2) L'aménagement limité des compétences d'une personne publique
Sur un autre sujet, appartiennent également à la catégorie des charges de gestion les amendements aménageant de façon limitée les missions d'une personne entrant dans le champ de l'article 40. À titre d'exemple, dans le cadre du projet de loi 3DS, le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement visant à créer, au sein de la métropole de Lyon, un service ayant pour mission d'enregistrer et de répondre aux demandes des maires concernant les domaines de compétence de la métropole. En revanche, un amendement visant à permettre aux communes de créer et de gérer un service au public dans un domaine ne relevant pas de leur compétence a été déclaré irrecevable, s'agissant dans ce cas véritablement de l'octroi d'une compétence nouvelle, constitutive d'une charge publique au sens de l'article 40 (cf. supra).
(3) Les dépenses informatiques
La jurisprudence développée en matière de projets informatiques tend à considérer comme recevables les amendements parlementaires qui n'ont pas pour effet d'imposer aux personnes publiques de se doter de nouvelles infrastructures numériques, d'adapter significativement un système informatique ou de développer un nouveau traitement informatique, par définition consommateur de ressources humaines et de crédits de fonctionnement et d'investissement. Sont ainsi recevables les amendements qui se bornent à proposer la mise en place d'un traitement à partir de données numériques existantes dans le système d'information de la personne publique concernée. Par exemple, la proposition, par un parlementaire, d'envoyer un mail automatique à l'ensemble des assurés d'un même régime social est recevable.
En revanche, ont été déclarés irrecevables des amendements prévoyant de rendre interopérables les systèmes informatiques de l'État et des collectivités territoriales pour ce qui concerne les données relatives à l'artificialisation des sols, de mettre en place un système informatique de suivi des situations à risque au sein des cours d'appel ou encore de créer une plateforme numérique de formation et d'information à destination des candidats à une élection locale.
(4) La création de structures « légères »
Enfin, la création de certaines structures légères peut également relever, sous conditions, de la catégorie des charges de gestion. Une telle initiative parlementaire est d'autant plus susceptible d'être recevable :
- que ladite structure sera dépourvue de personnalité juridique ;
- qu'elle sera dotée d'attributions limitées, à vocation notamment informative, consultative ou prospective, et par principe peu coûteuses à exercer ;
- et que l'amendement ne prévoira aucun moyen de fonctionnement ou aucun recrutement d'agents pour en assurer le fonctionnement.
S'inscrivent dans cette catégorie la plupart des comités ou instances consultatives : ont été déclarés recevables des amendements instituant un comité consultatif d'allocation des ressources auprès des Agences régionales de santé (ARS), un conseil de service aux usagers auprès de Voies navigables de France ou encore un comité d'évaluation du dispositif d'encadrement des loyers. Pour assurer la pleine recevabilité de ces initiatives, le président de la commission des finances peut demander aux auteurs de rectifier leur dispositif afin de prévoir que les membres de ces instances ne sont pas rémunérés ou que leurs frais ne sont pas pris en charge.
À l'inverse, ainsi qu'expliqué précédemment, cette tolérance ne peut s'appliquer à la création de structures impliquant par définition que des ressources soient mobilisées pour leur permettre d'assurer leurs missions.
c) La jurisprudence de l'« État employeur »
Sont toujours recevables les amendements de portée générale, qui auraient pour effet de créer ou d'aggraver une charge tant pour les personnes privées que pour les personnes publiques. Il en va ainsi des amendements portant sur la législation du travail et qui imposeraient des mesures coûteuses à l'ensemble des entreprises, mais également aux personnes inscrites dans le champ de l'article 40 de la Constitution qui emploient des salariés relevant du droit privé, parmi lesquels figurent notamment l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics. Ces derniers ne sont pas visés en tant que tels par l'initiative parlementaire mais de manière incidente, au titre de leur fonction d'employeur.
Seule la portée générale du dispositif, qui s'appliquerait indifféremment aux personnes publiques et aux personnes privées, peut faire écran à l'application de l'article 40. Par suite, les dispositifs qui créent une charge spécifique pour les personnes publiques sont toujours déclarés irrecevables. Lors de l'examen des projets de loi relatifs à l'état d'urgence sanitaire, plusieurs amendements parlementaires ont été déposés pour modifier les dispositions qui avaient instauré une obligation vaccinale pour les soignants. Dès lors que le dispositif visait les établissements publics comme privés, il était recevable. En revanche, un amendement visant à réintégrer spécifiquement le personnel soignant public a été déclaré irrecevable. De même, un amendement prévoyant un maintien de rémunération pour les assistants familiaux a été déclaré irrecevable, au motif que la quasi-totalité des assistants familiaux sont employés par les départements ou les établissements publics sociaux ou médico-sociaux.
Si ce principe jurisprudentiel a été développé à l'occasion d'examen d'amendements portant sur le droit du travail, d'où le nom de « jurisprudence État employeur », il trouve à s'appliquer dans d'autres domaines. Par exemple, un amendement prévoyant de soumettre l'ensemble des personnes publiques et privées à une contribution annuelle sur leurs émissions de gaz à effet de serre serait recevable. À l'inverse, un amendement prévoyant de supprimer l'exonération de taxe d'enlèvement des ordures ménagères, dont bénéficient spécifiquement l'État, les départements, les communes et certains établissements publics102(*), a été déclaré irrecevable, puisqu'il était créateur d'une charge spécifique pour les personnes publiques.
d) La jurisprudence « démocratie »
En application de la jurisprudence « démocratie », les initiatives parlementaires visant à permettre ou à améliorer l'exercice de la démocratie par les citoyens font l'objet, au Sénat, d'une certaine tolérance dans le cadre du contrôle de leur recevabilité financière, afin de ne pas entraver l'expression de la volonté populaire. Pour ces amendements, le coût éventuel du dispositif proposé n'est qu'une conséquence accessoire.
Il ne saurait toutefois être réservé à cette jurisprudence, favorable à l'initiative parlementaire, une interprétation trop large, qui pourrait conduire à accepter toutes les initiatives ayant trait à l'organisation des institutions démocratiques, et dès lors à contourner les règles de la recevabilité financière.
La jurisprudence établie par les présidents successifs de la commission des finances tend donc à distinguer :
- les initiatives ayant pour objet l'expression de la souveraineté populaire, qui sont recevables, dans la mesure où elles n'ont pas pour objet direct l'aggravation d'une charge publique. Sont ainsi recevables des amendements prévoyant la mise à disposition de bulletins blancs ou augmentant la fréquence des élections. Dans le cadre du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, le président de la commission des finances a également déclaré recevable un amendement autorisant les personnes qui ne pouvaient se déplacer en raison de l'épidémie de covid-19 à demander à ce que des officiers ou des agents de police judiciaire habilités se déplacent à leur domicile pour établir une procuration ;
- les initiatives concernant le fonctionnement des institutions démocratiques, auxquelles l'article 40 s'applique de façon classique. Un amendement prévoyant que les citoyens tirés au sort pour participer aux travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) perçoivent une indemnité a ainsi été déclaré irrecevable. Par ailleurs, ne sont pas recevables au titre de la jurisprudence « démocratie » les initiatives parlementaires relatives au nombre ou à la rémunération des élus. Ont donc dû être déclarés irrecevables des amendements majorant le plafond des indemnités maximales votées par les conseils municipaux pour l'exercice des fonctions de maire et de président de délégation spéciale.
À cet égard, il convient de noter que le Conseil constitutionnel a confirmé que l'augmentation du nombre d'élus se traduisait par l'aggravation d'une charge publique, le juge constitutionnel ayant considéré que « l'augmentation du nombre de sénateurs [avait] une incidence directe et certaine sur les dépenses du Sénat, lesquelles font partie des charges de l'État »103(*).
e) Les évolutions intervenues au mois de juillet 2020
Dans une communication présentée à la commission des finances104(*) puis à l'ensemble des sénateurs au mois de juillet 2020105(*), Vincent Éblé, alors président de la commission des finances, a annoncé trois évolutions jurisprudentielles favorables à l'initiative parlementaire. Présentées précédemment, elles sont rappelées ici pour davantage de clarté. Sont désormais recevables :
- les initiatives sénatoriales ayant pour effet de repousser dans le temps la perception d'une ressource publique ou d'anticiper le versement d'une dépense publique, sous réserve que leur effet présente un caractère infra-annuel et non massif sur la trésorerie de la personne publique concernée106(*) ;
- les initiatives visant à fusionner plusieurs personnes publiques existantes à des fins de rationalisation fonctionnelle ou budgétaire107(*) ;
- les initiatives affectant de nouvelles recettes à une personne publique disposant de la personnalité morale, sous réserve de ne pas flécher leur utilisation vers une dépense ou vers une action spécifique108(*).
Ces évolutions ont constitué d'importants assouplissements dans l'application de l'article 40 de la Constitution au Sénat et ont permis de procéder à un rapprochement majeur d'avec la jurisprudence applicable à l'Assemblée nationale.
Pour résumer Les charges publiques · Constitue une charge publique au sens de l'article 40 une charge directe ou certaine, notamment toute dépense supplémentaire pour une personne publique, quel que soit son montant, y compris le recrutement de personnels, l'extension ou la création de droits envers une personne publique, l'ajout d'une compétence nouvelle ou l'extension d'une compétence déjà exercée par une personne publique, dès lors qu'elle suppose la mobilisation de moyens supplémentaires. · Le transfert d'une charge d'une personne publique à une autre est également irrecevable. Ce n'est cependant pas le cas pour les transferts opérés à l'intérieur d'une même strate de collectivités territoriales. · Une charge publique peut n'être qu'éventuelle. Elle peut aussi être facultative : il suffit qu'une personne publique ait la possibilité d'augmenter une dépense pour que les dispositions parlementaires soient irrecevables. · Une charge publique est également constituée lorsqu'une structure publique est incitée à dépenser. Le fléchage d'une ressource publique vers une mission spécifique est également irrecevable : l'accroissement de la dépense ne peut pas être « compensée » par l'attribution d'une ressource. · L'extension ou la pérennisation d'une expérimentation coûteuse est assimilée une charge publique. · En revanche, une charge publique n'est pas caractérisée lorsque l'initiative parlementaire est faiblement normative ou lorsque la « charge » peut être réalisée par la personne publique à moyens constants (charge de gestion). · Des évolutions récentes ont permis de renforcer l'initiative parlementaire : fusion de structures publiques, autorisation sous condition de la création d'une charge de trésorerie, octroi d'une nouvelle ressource à une personne publique sans fléchage vers une dépense spécifique, précisions jurisprudentielles (schémas, comités, etc.). |
B. LA POSSIBILITÉ DE GAGER LES DIMINUTIONS DE RESSOURCES PUBLIQUES
Si l'article 40 de la Constitution proscrit toute création ou aggravation d'une charge publique par la voie d'une initiative parlementaire, de sorte qu'une dépense ne peut être compensée par un gage, il autorise en revanche la compensation des diminutions de ressources publiques, sous certaines conditions. Aussi, la diminution doit être intégralement compensée par la création d'une ressource nouvelle ou par le relèvement d'une ressource existante à due concurrence, ce mécanisme étant communément désigné sous le terme de gage.
1. Les gages, un contenu encadré par le Conseil constitutionnel
Bien que certains gages soient très fréquents, sinon systématiques - à l'instar des gages dits « tabac »109(*) -, toute compensation n'est a priori recevable que si elle remplit les trois critères cumulatifs suivants : la suffisance, la conséquence et l'immédiateté.
Ces critères ont été posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1976 : « les dispositions [...] ne sont contraires ni à l'article 40, ni à aucune autre disposition de la Constitution pour autant, toutefois, que la ressource destinée à compenser la diminution d'une ressource publique soit réelle, qu'elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui a fait l'objet d'une diminution et que la compensation soit immédiate »110(*).
Des exemples de gage sont présentés en annexe au présent rapport111(*). Il convient de noter que, lorsqu'un gage ne respecte pas les critères précités, une rectification est systématiquement proposée aux auteurs d'amendements.
a) Le gage doit être suffisant et réel
Le gage proposé doit être réel par rapport à la perte de ressources induite par le dispositif de l'amendement : le juge de la recevabilité apprécie, au cas par cas, les assiettes et les rendements respectifs des ressources concernées pour évaluer le caractère suffisant ou non du gage proposé. Sans qu'il soit attendu des auteurs d'amendements un calcul à l'euro près, ceux-ci doivent veiller à ce que la compensation soit réaliste112(*), quand bien même elle ne serait jamais mise en oeuvre...
Le juge de la recevabilité financière serait donc amené à déclarer irrecevable un amendement pour lequel la compensation serait manifestement bien en-deçà de la perte de recettes induite par le dispositif. Par exemple, un amendement parlementaire qui gagerait une diminution de plusieurs points du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont le rendement net en 2023 s'est établi à plus de 200 milliards d'euros, par une augmentation, même « à due concurrence », de la taxe sur les transactions financières (TTF), dont le rendement était d'un peu moins de deux milliards d'euros en 2023, ne pourrait être recevable. En effet, au regard de l'assiette de la TTF, aucune augmentation de son taux ne pourrait permettre de compenser réellement la perte de recettes proposée.
L'obligation de réalité signifie également que le gage doit prendre la forme d'une ressource publique pour laquelle le législateur est compétent.
b) Le gage doit être immédiat
La suffisance du gage s'apprécie également dans le temps, au sens où la compensation introduite par le gage doit être immédiate ou, à tout le moins, concomitante de la perte de recettes induite par le dispositif de l'amendement.
c) Le gage doit être établi au profit de la personne publique qui connait la perte de recettes
Pour être budgétairement neutre, la recette publique que le gage propose d'augmenter doit être affectée à la personne affectataire de la recette que l'amendement diminue. Par exemple, il n'est pas possible de gager la diminution d'un impôt perçu par l'État par l'augmentation d'une cotisation sociale, perçue par les caisses de sécurité sociale. De la même manière, au sein de l'État, la diminution d'une recette qui vient abonder un compte spécifique - compte d'affectation spéciale ou budget annexe - doit être gagée par une augmentation de ressources au bénéfice du même compte.
Il arrive également qu'un amendement ait pour conséquence de diminuer les recettes de plusieurs personnes publiques : il convient, dans ce cas, de prévoir un gage pour chacune des catégories concernées. Ainsi, les amendements visant à étendre le périmètre de l'ancien dispositif des zones de revitalisation rurale113(*) n'ont été déclarés recevables qu'avec un gage multiple visant à la fois l'État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociales, dans la mesure où le dispositif incluait à la fois des réductions d'impôts nationaux et locaux mais également des baisses de contributions et de cotisations sociales.
Une exception à ce principe concerne les amendements qui portent sur des recettes « démembrées », c'est-à-dire affectées à plusieurs personnes publiques. Dans ce cas, un gage établi au seul profit de l'État suffit si ce dernier en est le principal affectataire. Le cas le plus fréquent est celui des diminutions des recettes de la TVA : un seul gage État suffit, quand bien même cette ressource est désormais affectée à d'autres personnes publiques (collectivités territoriales, administrations de sécurité sociale, audiovisuel public).
Pour autant, la diminution d'une ressource affectée à une personne publique peut être gagée par la création d'une taxe additionnelle à un impôt d'État qui lui serait affecté. Dans ce cas, la taxe additionnelle est établie au profit de la personne publique concernée (opérateur de l'État, collectivité territoriale, administration de sécurité sociale), qui en est donc la principale affectataire. C'est le cas du gage « tabac », qui repose sur une taxe additionnelle à un impôt d'État, ensuite affectée à la personne publique qui connait la perte de recettes.
Dans le cas où l'amendement parlementaire affecte les recettes perçues par les collectivités territoriales, il est fréquent que le gage consiste en une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Dans ce cas, la perte de recettes qui en découle pour l'État doit elle-même être compensée. Il s'agit d'un gage « en cascade »114(*).
2. Les critères d'une perte de recettes au sens de l'article 40
a) La perte de recettes s'analyse au sens juridique
À l'instar de la création ou de l'aggravation d'une charge publique, la diminution de ressources publiques s'analyse de manière abstraite et juridique. Les raisonnements de nature économique, ayant trait, par exemple, à l'adaptation des comportements en réponse à une baisse d'impôts, ne sont pas pris en compte.
Il arrive ainsi que les auteurs d'amendements justifient la création ou l'élargissement d'une dépense fiscale par l'idée selon laquelle l'incitation économique qui en découlera sera créatrice de richesses ou aura un effet dynamique sur l'assiette de l'impôt, rehaussant in fine les recettes de l'État. Ces raisonnements sont impossibles à vérifier et ne sauraient être retenus par le juge de la recevabilité financière, qui analyse la perte de recettes uniquement d'un point de vue juridique.
En conséquence, sont irrecevables, en l'absence de compensation, les initiatives parlementaires visant à réduire soit le taux, soit l'assiette d'une taxe. Le Conseil constitutionnel a confirmé cette analyse dans une décision du 23 juillet 1975, en estimant qu'étaient bien « justiciables des dispositions de l'article 40 » les « mesures d'exonération, de déduction, de réduction, d'abattement ou d'octroi de primes », en ce qu'elles atteignaient « la substance de la matière imposable, entraînant l'obligation corrélative, pour rétablir le niveau de la ressource, de variations d'autres éléments, de taux ou d'assiette, de l'impôt en cause »115(*).
Cette analyse juridique de la perte de recettes implique également que doit être gagée toute initiative qui oblige ou qui permet à une personne publique de diminuer ses recettes : la perte de recettes peut n'être qu'hypothétique ou facultative (cf. infra). Ainsi, n'a été déclaré recevable que gagé pour les collectivités territoriales un amendement au projet de loi de finances pour 2024 visant à permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale d'exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties les établissements d'enseignement supérieur d'intérêt général.
Bien entendu, toute augmentation du taux ou toute extension de l'assiette d'une ressource publique est recevable sans gage, indépendamment d'éventuelles conséquences sur le rendement global de l'impôt.
b) La perte de recettes doit être directe
Pour constituer une diminution des ressources publiques au sens de l'article 40 de la Constitution, la perte de recettes doit, comme la création ou l'aggravation d'une charge, être directe.
La location de sa résidence principale par un particulier est assujettie à plusieurs impôts (impôt sur le revenu, cotisation foncière des entreprises). Néanmoins un amendement visant à encadrer la possibilité pour les particuliers de proposer leur résidence principale à la location, en interdisant par exemple que la durée totale de location excède 60 jours, a un effet trop indirect sur les recettes publiques pour être considéré comme une diminution des ressources publiques nécessitant l'ajout d'un gage. Le raisonnement permettant de considérer comme recevables sans gage des amendements de « procédure fiscale » est le même, par exemple la suppression de certains justificatifs établis au profit de l'administration fiscale ou le renforcement des droits des contribuables dans le cadre d'un contrôle fiscal.
Pour autant, ce double critère de l'effet direct et certain ne signifie pas que seules les initiatives parlementaires abaissant le taux ou restreignant l'assiette d'un impôt doivent être gagées pour être recevables. Constituent également des pertes de recettes directes et certaines, bien que non immédiates, les initiatives qui élargissent un dispositif bénéficiant d'une fiscalité avantageuse. En d'autres termes, tout élargissement ou création d'une dépense fiscale n'est recevable que gagé116(*).
Ainsi, le président de la commission des finances n'a accepté que gagés des amendements élargissant le zonage du dispositif d'incitation à l'investissement locatif Pinel, qui permet de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu, ou la liste des organismes pour lesquels les dons des particuliers ou des entreprises sont éligibles à la réduction d'impôt sur le revenu et sur les sociétés.
c) La perte éventuelle de recettes doit être gagée
La diminution des ressources publiques doit être certaine, c'est-à-dire découler nécessairement de l'initiative du parlementaire. Comme pour les charges publiques, incertain ne signifie pas facultatif ou futur. Le caractère incertain provient de l'impossibilité, pour le juge de la recevabilité financière, de savoir si le dispositif proposé par le parlementaire peut conduire à une perte de ressources publiques, que ce soit par rapport au droit existant ou par rapport au droit proposé.
Ainsi, les amendements déposés lors de l'examen des projets de loi de finances et prévoyant d'entièrement réformer l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière ou encore de créer un nouveau barème pour l'impôt sur le revenu sont recevables sans gage, leurs effets étant considérés comme incertains.
Les modifications proposées ne doivent cependant pas avoir manifestement pour effet de diminuer des ressources publiques117(*). Si les conséquences d'un dispositif peuvent parfois être difficiles à apprécier, il convient de noter qu'en cas de doute raisonnable quant aux effets d'une initiative parlementaire sur les recettes, et si les auteurs de l'initiative ne peuvent pas a minima garantir une stabilité fiscale, une compensation doit être prévue. Cette jurisprudence stricte vise à garantir qu'aucune initiative parlementaire non gagée ne soit examinée alors qu'il s'avérerait finalement qu'elle diminue les ressources publiques.
d) La perte de recettes peut se réaliser à quelque moment que ce soit
Les initiatives parlementaires entraînant une diminution des ressources doivent être compensées, que cette diminution soit rétroactive (par exemple une baisse d'impôt), immédiate ou uniquement à échéance de plusieurs années.
Aussi, une initiative parlementaire qui, sans modifier le régime juridique d'une ressource, en décale la perception par la personne publique affectataire doit s'analyser comme une perte de recettes publiques et être gagée.
3. Le cas spécifique des pertes de recettes non fiscales
L'article 40 de la Constitution, en interdisant la diminution des « ressources publiques », vise également, au-delà des impositions de toute nature, les recettes non fiscales, qu'il s'agisse des dividendes tirés des participations de l'État, des produits tirés du domaine public, des produits de la vente de biens ou de services, des intérêts des prêts accordés par des personnes publiques, des rémunérations de garanties de l'État ou encore des redevances des usagers pour les services publics opérés en régie.
Deux grandes catégories de recettes non fiscales font l'objet d'initiatives parlementaires nombreuses et donnent lieu à une jurisprudence différente : les ressources tirées du patrimoine des personnes publiques d'une part, et celles issues des amendes et des sanctions prononcées par une autorité publique d'autre part.
a) Les ressources tirées du patrimoine des personnes publiques entrent dans le champ de l'article 40
Toute diminution de ressources tirées du patrimoine public doit être gagée.
Il peut s'agir tout d'abord du patrimoine immobilier des personnes publiques. Sont alors recevables, s'ils sont gagés, les amendements parlementaires autorisant la cession des biens immobiliers des personnes publiques à titre gratuit ou à vil prix : une telle cession constitue une perte de recettes pour le cédant par rapport à une vente au prix du marché. Ont donc dû être gagés des amendements prévoyant la possibilité pour les collectivités territoriales de céder des éléments de leur patrimoine à vil prix en contrepartie de leur rénovation. Il en va de même pour les revenus tirés de ce patrimoine immobilier : un amendement prévoyant d'étendre les conditions dans lesquelles certaines personnes privées peuvent être exonérées de redevance d'occupation du domaine public est recevable dès lors qu'il est gagé.
Le patrimoine public est également composé du patrimoine immatériel des personnes publiques, par exemple des données recueillies dans l'exercice de leurs prérogatives. Pour reprendre un exemple plus ancien, n'a été déclaré recevable que gagé un amendement au projet de loi de finances pour 2014 interdisant la vente par l'État des fichiers nominatifs issus des certificats d'immatriculation automobile.
La notion de patrimoine public recouvre enfin les dividendes tirés des entreprises dont l'État est actionnaire. Ainsi, des amendements visant à diminuer ou à supprimer le versement de dividendes au profit de l'État sont recevables à la condition d'être gagés.
b) Les sanctions sont exclues du champ de l'article 40
Le produit des amendes perçu par les personnes publiques à la suite d'une sanction pénale, administrative ou disciplinaire constitue également une ressource, parfois importante, pour la personne publique concernée. Toutefois, en vertu d'une jurisprudence constante de la commission des finances, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ce produit ne constitue pas une ressource publique au sens de l'article 40 de la Constitution. Il n'est en effet que la conséquence indirecte et, par définition, incertaine, de la violation des dispositions législatives et réglementaires par les administrés, violation que le juge de la recevabilité ne saurait présumer.
Lorsque le législateur instaure une sanction financière, il ne poursuit pas une logique lucrative mais une logique dissuasive. En d'autres termes, et idéalement, le produit de ces amendes devrait être nul si chacun respectait les normes en vigueur. Il est donc possible de supprimer ou de diminuer sans gage le montant d'une pénalité dont le produit est recouvré par une personne publique, tout comme il est possible de modifier, sans gage, la répartition du produit des amendes entre les différentes personnes publiques affectataires.
Ainsi, le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement déposé sur le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022 prévoyant de réviser, au sein du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routier » (dit « CAS Radars »), la clé d'affectation des recettes du CAS au profit des collectivités territoriales et au détriment du désendettement de l'État.
Par conséquent, cela signifie aussi qu'il est possible de créer ou d'aggraver une pénalité ou une amende à la charge d'une personne publique, puisque cette pénalité ne peut pas être associée à une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution.
Un amendement qui augmente les pénalités résultant du non-respect, par les collectivités territoriales, du pourcentage de logements sociaux imposés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU »118(*), est donc recevable. Ce raisonnement favorable à l'initiative parlementaire ne s'applique toutefois qu'aux amendes, pénalités et sanctions strictement entendues. A ainsi été déclaré irrecevable un amendement déposé lors de l'examen du projet de loi 3DS visant à rehausser, dans le cadre des contrats de mixité, le pourcentage obligatoire de logements sociaux dans les communes concernées. Il s'agissait, en l'espèce, d'une véritable obligation de faire pour ces collectivités, par définition coûteuse, et qui n'aurait su être confondue avec une pénalité, dont le but est essentiellement dissuasif ou incitatif.
Pour résumer La diminution de ressources publiques · Si l'article 40 proscrit toute augmentation d'une charge publique, il autorise la diminution de ressources publiques, à la condition que cette diminution soit intégralement compensée par la hausse d'une autre recette publique. Cette compensation est communément désignée sous le terme de « gage ». · Les gages doivent répondre à des exigences de crédibilité et compenser immédiatement et directement la personne publique qui subit la perte de recettes. Différents types de gages sont alors utilisés. · Une perte de recettes doit être gagée même si elle n'est qu'éventuelle ou facultative. La possibilité pour une personne publique de diminuer ses ressources doit ainsi être gagée. · Toute diminution des ressources tirées du patrimoine public doit également être gagée. · Les sanctions et les amendes perçues par les personnes publiques ne constituent pas une ressource publique au sens de l'article 40 de la Constitution et peuvent donc être modifiées sans gage. · Le juge de la recevabilité financière rectifie systématiquement les amendements qui ne sont pas correctement gagés (ajout ou modification du gage). |
C. LES OPÉRATIONS SE SITUANT À LA FRONTIÈRE DES RECETTES ET DES DÉPENSES PUBLIQUES
Certaines opérations présentent un caractère ambigu car elles se situent à la frontière entre recettes et dépenses et donc, pour reprendre les termes de l'article 40, à la frontière entre diminution de recettes publiques (qui peut être gagée) et création ou aggravation d'une charge publique (proscrite).
La jurisprudence établie par la commission des finances s'est donc attachée à distinguer ces opérations au regard des exigences de l'article 40.
1. Les prélèvements directs sur recettes en faveur des collectivités territoriales ou de l'Union européenne
a) Les prélèvements sur recettes, principe et définition
Le prélèvement sur recettes (PSR) est un outil budgétaire qui se situe à la frontière entre recettes et dépenses dans la mesure où il permet à des opérations a priori assimilables à des dépenses, car donnant lieu à des décaissements, d'être traitées comme des opérations sur recettes. D'ailleurs, d'un point de vue budgétaire, les montants des PSR sont déduits de l'ensemble des recettes de l'État et n'apparaissent pas dans la partie dépenses.
Ce mécanisme a été créé en 1969 pour compenser la suppression d'impôts locaux, puis repris en 1971 pour la mise en oeuvre de la contribution de la France aux Communautés européennes. Recourir à ce dispositif permet d'éviter de comptabiliser dans les charges de l'État des sommes qui constituent en fait des charges des collectivités territoriales et de l'Union européenne.
La conformité des
prélèvements sur recettes
aux principes budgétaires de
non-contraction et de non-affectation
Le mécanisme du PSR a pu être analysé comme permettant de contrevenir aux règles de non-contraction des dépenses et des recettes et de non-affectation des recettes. La Cour des comptes avait ainsi relevé, en 1999, que « tous les concours de l'État aux collectivités territoriales qui, à l'évidence, ne peuvent s'analyser comme la rétrocession d'une recette que l'État aurait, en quelque sorte, encaissée indûment [devraient être] inscrits dans la loi de finances, en subvention »119(*), tandis que le Conseil d'État estimait dans un avis du 21 décembre 2000 que « les concours apportés par l'État aux collectivités territoriales [...] ne sont pas différents des autres dotations »120(*).
Cette technique budgétaire a toutefois été validée par le Conseil constitutionnel, et ceci dès 1982121(*). Il a tout d'abord considéré que « le mécanisme des prélèvements sur recettes répond[ait]à des nécessités pratiques », sans contrevenir aux principes de non-contraction des recettes et des dépenses, puisque « l'état A énumère et évalue la totalité, avant prélèvement, des recettes de l'État, puis désigne et évalue chacun des prélèvements opérés, dont le total est, ensuite, déduit du montant brut de l'ensemble des recettes ; [dès lors] cette présentation ne conduit pas à dissimuler une recette ou une fraction de recette de l'État non plus qu'à occulter une charge ».
Il a ensuite ajouté que les PSR n'étaient pas non plus contraire au principe de non-affectation des recettes, puisque « le mécanisme de ces prélèvements ne comporte pas, comme l'impliquerait un système d'affectation, l'établissement d'une corrélation entre une recette de l'État et une dépense incombant à celui-ci. [Il s'analyse donc] en une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes de l'État au profit des collectivités locales ou des communautés européennes en vue de couvrir des charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l'État et qu'il ne saurait, dans ces conditions, donner lieu à une ouverture de crédits dans les comptes des dépenses du budget de l'État ».
Source : commission des finances
Lors de l'examen du projet de loi organique relative aux lois de finances (LOLF)122(*) comme de sa réforme123(*), le législateur organique a souhaité s'inscrire dans la continuité de la jurisprudence du juge constitutionnel.
La définition organique des prélèvements sur recettes
Les quatrième et cinquième alinéas de l'article 6 de la LOLF disposent qu'« un montant déterminé de recettes de l'État peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou l'Union européenne » et que « ces prélèvements sur recettes de l'État sont, dans leur montant, évalués de façon précise et distincte dans la loi de finances. Ils sont institués par une loi de finances, qui précise l'objet du prélèvement ainsi que les catégories de collectivités territoriales qui en sont bénéficiaires ».
Source : article 6 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances
Les prélèvements sur les recettes de l'État sont retracés dans le tome I de l'Évaluation des voies et moyens, annexée à chaque projet de loi de finances initiale124(*). Selon les données annexées au projet de loi de finances pour 2024, le total des PSR établis au profit des collectivités territoriales s'élevait à 45,1 milliards d'euros, contre 21,6 milliards d'euros pour le PSR au profit de l'Union européenne (PSRUE).
Avec un montant de 27,2 milliards d'euros en 2024, la dotation globale de fonctionnement (DGF) constitue le principal PSR (40,9 % du montant total des PSR, 60,5 % de celui des PSR établis au profit des collectivités territoriales). Relèvent également de cette catégorie, à titre d'exemples, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle ou encore la dotation « élu local ».
b) Les conséquences en termes de recevabilité financière
Juridiquement, les PSR sont considérés comme des recettes et non comme des dépenses. Le Conseil constitutionnel l'a clairement réaffirmé lorsqu'il a jugé, dans la lignée de sa décision précitée du 29 décembre 1982, que la DGF, en tant que PSR, n'avait pas le caractère d'une dépense de l'État125(*).
Les conséquences en matière de recevabilité financière sont simples : dès lors que les PSR s'apparentent à des pertes de recettes pour l'État, leur augmentation peut être compensée par l'augmentation d'une autre recette au profit de l'État, pour un montant identique. Ainsi, les amendements augmentant le montant global de la DGF ou ayant pour conséquence de l'augmenter sont recevables, à condition d'être correctement gagés par l'augmentation d'une recette établie au profit de l'État126(*). Symétriquement, la diminution des PSR au profit des collectivités doit être gagée à leur profit.
De même, il est loisible à un parlementaire de créer un PSR au profit des collectivités territoriales, à la double condition que l'amendement soit gagé et qu'il soit déposé dans le cadre d'une loi de finances. La création d'un PSR relève en effet désormais exclusivement du domaine de la première partie des lois de finances et ne peut être portée dans un autre texte de loi ordinaire, que ce soit par le Gouvernement ou par un parlementaire127(*).
Le président de la commission des finances a ainsi déclaré recevable un amendement gagé, déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 et proposant la création, sous la forme d'un PSR, d'une dotation de soutien exceptionnelle aux départements confrontés à une forte dégradation de leur situation financière.
Il convient toutefois de noter que la rédaction de l'article 6 de la LOLF interdit la création de PSR au profit d'autres personnes que les collectivités territoriales ou l'Union européenne, qui en sont les bénéficiaires limitativement énumérés. Dès lors, le président de la commission des finances a déclaré irrecevables des amendements créant des PSR au profit des organismes de sécurité sociale ou des établissements publics de coopération culturelle128(*).
2. Les taxes affectées
a) Une évolution jurisprudentielle favorable à l'initiative parlementaire
Les impositions de toute nature établies au profit de l'État peuvent être affectées, totalement ou partiellement, à une autre personne morale que l'État129(*). Depuis l'évolution jurisprudentielle intervenue au mois de juillet 2020 dans un sens favorable à l'initiative parlementaire (cf. supra), la recevabilité financière des dispositifs parlementaires portant sur les taxes affectées s'examine à l'aune de deux critères cumulatifs :
- la personne affectataire de la taxe ;
- le lien que le dispositif établit (ou non) entre, d'une part, la taxe affectée et, d'autre part, les missions, les dépenses ou les compétences de la personne publique affectataire. Ou, autrement dit, entre les ressources publiques affectées à la personne publique et les charges publiques qu'elle assume.
La recevabilité des initiatives parlementaires ayant pour objet de créer, de modifier ou de rehausser le montant d'une taxe affectée implique que ces initiatives ne se traduisent ni par un contournement de l'impossibilité de compenser la création ou l'aggravation d'une charge publique par l'attribution d'une nouvelle ressource, ni par une incitation à dépenser pour la personne publique.
Dès lors, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, pour être recevable, une initiative parlementaire portant sur une taxe affectée doit d'une part, affecter une nouvelle recette à une entité dotée de la personnalité morale et, d'autre part, ne pas flécher cette nouvelle ressource vers une dépense particulière ou vers l'exercice d'une compétence spécifique.
b) La recevabilité des taxes affectées aux collectivités territoriales
La recevabilité des amendements tendant à créer de nouvelles taxes locales ou à affecter le produit d'un impôt aux collectivités territoriales a toujours été admise. L'article 72-2 de la Constitution dispose en effet que les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine ».
De plus, tout comme celui de l'État, le budget des collectivités répond au principe d'universalité budgétaire. Dès lors, il ne saurait être établi de lien entre l'augmentation de recettes envisagée et l'augmentation d'une charge déterminée.
De ce fait, d'un point de vue juridique et budgétaire, une initiative parlementaire qui aurait pour objet d'accroître les recettes des collectivités territoriales, sans orienter ces recettes vers des dépenses spécifiques, ne ferait qu'augmenter les ressources publiques, ce qui ne soulève aucune difficulté au regard de l'article 40 de la Constitution. À l'inverse, si l'amendement parlementaire flèche ces recettes vers une action en particulier, il doit être analysé comme aggravant une charge publique et déclaré irrecevable. Le principe d'universalité budgétaire, non plus que le principe d'équilibre du budget des collectivités, ne sauraient en effet revenir sur l'interdiction absolue de compenser une charge par une autre.
c) Les taxes affectées aux opérateurs de l'État et aux autres organismes
Le raisonnement est le même pour les taxes affectées aux opérateurs de l'État et aux autres organismes : les deux critères d'analyse précités - personnalité morale et absence de fléchage - s'appliquent130(*).
La principale conséquence est que les initiatives parlementaires tendant à augmenter les ressources affectées à des fonds sans personnalité juridique sont irrecevables. De tels véhicules ont en effet été créés pour financer une action publique ou pour accomplir une mission spécifique ; il y a dès lors corrélation entre augmentation de leurs ressources publiques et aggravation de leurs dépenses, et donc d'une charge publique.
À titre d'exemple, la grille d'analyse issue de l'évolution jurisprudentielle entérinée par la commission des finances a conduit à ce que :
- un amendement au projet de loi de finances pour 2024 ayant pour objet de relever le plafond d'affectation des recettes de la taxe annuelle sur les engins maritimes à usage personnel au profit du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres soit déclaré recevable. Le Conservatoire du littoral est un établissement public à caractère administratif, donc doté de la personnalité morale, et le relèvement du plafond ne conduit pas à affecter les ressources supplémentaires qui en résultent à une action spécifique ;
- un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ayant pour objet d'affecter de nouvelles ressources au fonds de lutte contre les addictions soit déclaré irrecevable. Ce fonds, instrument d'intervention de la Caisse nationale d'assurance maladie, est dépourvu de la personnalité morale et a pour objet exclusif de financer des actions en faveur de la lutte contre les addictions.
3. Les dégrèvements et les crédits d'impôt
Les avantages fiscaux accordés aux contribuables ont a priori le caractère d'une perte de recettes, qui peut donc être gagée. C'est ainsi que les amendements parlementaires proposant ou étendant une dépense fiscale (exonération, réduction ou déduction d'impôt) sont recevables au titre de l'article 40 de la Constitution, à condition d'être gagés au profit de la personne publique subissant cette perte de recettes.
Néanmoins, deux sortes d'avantages fiscaux soulèvent des interrogations particulières quant à l'application de l'article 40 : les dégrèvements et les crédits d'impôt.
a) Les dégrèvements d'impôt
Le montant des dégrèvements d'impôt apparait à l'article d'équilibre du projet de loi de finances en minoration des recettes fiscales brutes, mais également en crédits - évaluatifs131(*) - sur la mission « Remboursements et dégrèvements », traduisant ainsi leur positionnement à la frontière des recettes et des dépenses.
Les effets des dégrèvements en termes de trésorerie varient selon qu'ils portent sur des impôts d'État ou sur des impôts locaux. Dans le premier cas, ils constituent une perte de recettes pour l'État ; dans le second, ils signifient une perte de recettes pour les collectivités territoriales132(*), mais qui est automatiquement compensée par l'État133(*).
Les dégrèvements d'impôts d'État sont donc par définition recevables s'ils sont gagés. En revanche, pour les dégrèvements d'impôts locaux, la question qui intéresse le juge de la recevabilité a trait à la nature de la compensation versée par l'État : faut-il l'interpréter comme une diminution de recettes (qui peut être gagée) ou comme une charge (proscrite) ?
La jurisprudence de la commission des finances considère que l'intention du parlementaire qui propose la création ou l'extension d'un dégrèvement sur un impôt local est bien de réduire l'impôt dû par le contribuable et non de créer une dépense nouvelle à la charge de l'État, qui n'en constitue qu'un effet indirect. Dès lors, les initiatives parlementaires en ce sens sont considérées comme des opérations sur les recettes et sont, tout comme les dégrèvements d'impôts d'État, recevables à la condition d'être gagées.
b) Les crédits d'impôt
Les crédits d'impôt se trouvent également dans une situation particulière, entre recettes et dépenses, puisqu'ils constituent des « dépenses fiscales » qui, d'un point de vue budgétaire, viennent minorer les ressources de l'État. Ils se distinguent toutefois des dégrèvements par le fait qu'ils peuvent donner lieu à un décaissement.
En effet, tant que le montant du crédit d'impôt reste inférieur à l'impôt dû, ils fonctionnent comme une réduction d'impôt et peuvent donc être assimilés à une perte de recettes, qui peut être gagée. En revanche, si le montant du crédit d'impôt est supérieur à l'impôt dû, il appartiendra au Trésor de verser la différence au contribuable, ce qui constitue dès lors une charge publique. Le choix du crédit d'impôt, en lieu et place d'une réduction d'impôt, répond bien à une intention coûteuse : l'objectif est généralement de permettre à des foyers fiscaux peu ou pas imposés de bénéficier de dépenses fiscales134(*).
Si l'extension ou la création d'un crédit d'impôt constitue une charge, il est systématiquement proposé aux auteurs de modifier leur amendement afin de le rendre recevable, et ce afin de défendre l'initiative parlementaire. Cette rectification, assimilable à un gage « crédit d'impôt », consiste en l'ajout d'une phrase précisant que le crédit d'impôt « ne s'applique qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû ».
Certes, cette précision modifie le sens de l'amendement puisqu'il revient à transformer le crédit d'impôt en réduction d'impôt. Toutefois, en assurant la recevabilité de l'amendement, le gage « crédit d'impôt » permet à son auteur de le défendre en séance publique et de demander au Gouvernement de lever ce « quasi-gage ».
4. Les « bonus-malus »
Les dispositifs dits de « bonus-malus » renvoient aux mécanismes dans lesquels certains modes de consommation, considérés comme « vertueux », bénéficient d'une subvention ou d'une remise financière tandis que d'autres, considérés comme « nuisibles », sont pénalisés financièrement.
L'analyse de la recevabilité financière de ces mécanismes, lorsqu'ils sont publics, découle de leur caractère dual135(*) :
- le bonus constitue une charge publique (par exemple, le versement d'une subvention par une personne publique) ;
- le malus constitue une recette publique (par exemple, le versement d'une taxe spécifique au profit d'une personne publique).
Au terme de cette analyse, confirmée par le juge constitutionnel, il apparaît que les dispositifs de bonus-malus ne doivent pas être appréhendés comme un tout indissociable mais comme la juxtaposition de deux dispositifs distincts. Dès lors, un amendement parlementaire ayant pour conséquence de diminuer le produit d'un malus doit être gagé, tandis qu'un amendement parlementaire créant ou augmentant un bonus doit être déclaré irrecevable. Ainsi, si un amendement crée un dispositif de bonus-malus, soit il est rectifié pour ne conserver que le malus - ce qui conduit à en modifier considérablement le sens -, soit il est déclaré irrecevable par le juge de la recevabilité financière.
Pour résumer Les opérations se situant à la frontière entre recettes et dépenses · Les prélèvements sur recettes - PSR (article 6 de la LOLF) peuvent être assimilés à une perte de recettes pour l'État. En conséquence, les amendements qui créent un PSR (ce qui n'est possible qu'en loi de finances) ou qui augmentent le montant d'un PSR doivent être gagés. · L'affectation d'une taxe ne peut permettre de contourner l'interdiction de compenser la création d'une charge par l'octroi d'une nouvelle recette. Pour être recevable, l'affectation d'une recette publique doit respecter deux conditions cumulatives : être affectée à une entité dotée de la personnalité morale et ne pas être fléchée vers une dépense particulière ou vers l'exercice d'une compétence spécifique. · Toutes les dépenses fiscales doivent être gagées pour être recevables. Le cas des crédits d'impôt, assimilables à une dépense, impose un traitement spécifique par l'ajout d'un gage dit « crédit d'impôt ». |
III. LA PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
Procédure parlementaire, le contrôle de la recevabilité financière voit ses modalités déterminées librement par chaque assemblée. Le Conseil constitutionnel a rappelé dès 1978 qu'il « appartient à chaque assemblée parlementaire de déterminer les modalités d'exercice de ce premier contrôle [de la recevabilité] et, notamment, l'autorité chargée de l'exercer »136(*).
Cependant, c'est bien sous l'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le Sénat a fait évoluer sa procédure d'examen de la recevabilité financière des initiatives parlementaires et institué, à compter de 2007, un contrôle de la recevabilité des amendements préalable à leur dépôt (contrôle a priori). Le contrôle sur invocation de la recevabilité financière n'a pour autant pas disparu et trouve à s'appliquer aux amendements, aux propositions de loi ainsi qu'aux textes établis par les commissions saisies au fond.
A. UN CONTRÔLE A PRIORI ET SUR INVOCATION
Le contrôle de la recevabilité financière s'opère de façon systématique et a priori au stade du dépôt des amendements et des propositions de loi. Il mobilise, selon les cas, le Bureau du Sénat, la commission saisie au fond ou la commission des finances. Ce contrôle a priori se double d'un contrôle sur invocation, de la compétence exclusive de la commission des finances.
L'article 45 du Règlement du Sénat dispose ainsi que :
1. - Le président de la commission des finances contrôle la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des amendements déposés en vue de la séance publique. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution.
2. - Après l'adoption du texte de la commission mentionnée à l'article 17 bis, la commission des finances est compétente pour contrôler la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies.
3. - Le président de la commission des affaires sociales est compétent pour examiner la recevabilité des amendements déposés en vue de la séance publique au regard des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.
4. - Tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution, sur la loi organique relative aux lois de finances ou sur l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. L'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée selon le cas par la commission des finances ou la commission des affaires sociales.
5. - Lorsque la commission n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité d'un amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, si la commission ne fait pas connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, l'irrecevabilité sera admise tacitement.
1. Le contrôle a priori, au stade du dépôt
a) Le contrôle a priori des amendements
(1) L'établissement du texte de la commission saisie au fond
L'une des principales innovations de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008137(*) a consisté à faire en sorte que les assemblées délibèrent, pour les projets de loi comme pour les propositions de loi, sur le texte établi par la commission saisie au fond138(*). Cette modification a logiquement impliqué la mise en oeuvre d'un contrôle de la recevabilité financière des amendements au stade de l'élaboration du texte en commission.
Dans sa version issue de la résolution du 2 juin 2009139(*), le Règlement du Sénat prévoyait que les amendements seraient, au stade de cet examen en commission, « mis en distribution auprès des membres de la commission et transmis, le cas échéant, à la commission des finances ou à la commission des affaires sociales qui rendent un avis écrit. Le président de la commission se prononce sur leur recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution ou de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale ».
Dans sa décision du 25 juin 2009140(*), le Conseil constitutionnel a toutefois censuré ces dispositions, estimant « que chaque assemblée doit avoir mis en oeuvre un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt des amendements y compris auprès de la commission saisie au fond ». Il a ainsi considéré que la procédure permettant de déposer et de mettre en distribution des amendements « sans exiger un examen préalable de recevabilité » était contraire à la Constitution.
L'article 17 bis du Règlement du Sénat est désormais ainsi rédigé :
2. - Le président de la commission contrôle la recevabilité des amendements et sous-amendements au regard de l'article 40 de la Constitution et des dispositions organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Les amendements peuvent être communiqués au président de la commission des finances, qui rend un avis écrit sur leur recevabilité financière. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution. La commission est compétente pour se prononcer sur les autres irrecevabilités, à l'exception de celle fondée sur l'article 41 de la Constitution.
Dans sa décision sur la résolution ayant conduit à cette modification, le Conseil constitutionnel a toutefois formulé la réserve selon laquelle ces dispositions « ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de faire obstacle à ce que l'irrecevabilité financière des amendements et des propositions de loi puisse être soulevée à tout moment lors de leur examen en commission »141(*).
La possibilité, pour le président de la commission saisie au fond, de demander l'avis du président de la commission des finances vise à éviter l'apparition de divergences jurisprudentielles entre les différentes commissions, sur des problématiques parfois particulièrement complexes. Le président de la commission des finances rend alors un avis écrit, qui n'est toutefois pas contraignant, le président de la commission au fond conservant la compétence pour statuer sur la recevabilité des amendements déposés en vue de l'établissement du texte de commission.
Dès lors, le contrôle de la recevabilité relevant de deux instances différentes au stade de l'examen en commission et au stade de l'examen en séance publique, il peut arriver qu'un amendement déclaré recevable en commission soit déclaré irrecevable par le président de la commission des finances lors de son dépôt en vue de la séance plénière. La possibilité de saisir le président de la commission des finances pour lui demander conseil vise à remédier à ces situations, qui peuvent être sources d'incompréhensions.
(2) Les amendements déposés en vue et au cours de la séance plénière
En application de l'article 45 du Règlement du Sénat, le président de la commission des finances est compétent pour contrôler la recevabilité des amendements déposés en vue de la séance plénière et au cours de celle-ci.
Depuis le 1er juillet 2007, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007142(*), ce contrôle s'opère de manière systématique et a priori, de sorte que les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution.
La mise en place de cette procédure, qui a conduit à la modification de l'article 45 du Règlement du Sénat, a rompu avec une pratique sénatoriale ancienne143(*), selon laquelle le contrôle de recevabilité financière des amendements prenait la forme d'une instruction systématique par la commission des finances, mais n'aboutissait à la censure des amendements irrecevables que sur invocation expresse de l'article 40 par le Gouvernement ou les sénateurs à l'encontre de ces amendements.
Dans sa décision du 14 décembre 2006 précitée, le Conseil constitutionnel a en effet fermement rappelé son interprétation de l'article 40 de la Constitution, aux termes de laquelle devait être mis en oeuvre « un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de[s] amendements ». Le juge constitutionnel a également considéré qu'en l'absence d'une telle procédure au Sénat, il ne serait plus lié par la règle dite du « préalable parlementaire », en application de laquelle il n'examine la conformité de la procédure législative à l'article 40 et la recevabilité financière qu'en « appel », c'est-à-dire que si la question de la recevabilité de la proposition de loi ou de l'amendement a été soulevée devant la première assemblée saisie.
Le message pour le Sénat était clair. Selon le Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel accompagnant la décision144(*) :
Désormais, et tant que le Sénat n'aura pas répondu positivement à l'invitation du Conseil, celui-ci pourra donc connaître directement de la méconnaissance, par les amendements sénatoriaux, de l'article 40 de la Constitution (autrement dit comme juge de premier et dernier ressort), alors que l'invocation de l'article 40 de la Constitution à l'encontre des amendements des députés continuera de n'être possible devant le Conseil que si l'irrecevabilité financière a été soulevée à l'Assemblée nationale.
Considérant que la décision du Conseil constitutionnel faisait peser un risque supplémentaire d'inconstitutionnalité sur les initiatives du Sénat145(*), la Conférence des présidents du 20 juin 2007 a décidé, sur proposition de la commission des finances, de mettre en place un contrôle a priori systématique de la recevabilité des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution.
b) Les propositions de loi
Le Bureau du Sénat est compétent pour statuer sur la recevabilité des propositions de loi en application des dispositions de l'article 24 du Règlement du Sénat. Il est d'usage, dans les deux assemblées, que les propositions de loi au sein desquelles certaines dispositions constituent une création ou une aggravation de charge et sont assorties d'une compensation soient admises.
Pour citer Éric Woerth, ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale : « conformément à une tradition établie et favorable à l'initiative parlementaire, la délégation du Bureau tolère l'inscription à l'ordre du jour de propositions de loi dont l'adoption aurait pour conséquence une violation des dispositions de l'article 40 de la Constitution en aggravant une charge publique. Pour cela, il suffit que la proposition de loi considérée comporte un gage de charge, manifestant que le fait que la charge qu'elle comporte a été repérée, mais tolérée »146(*).
Pour autant, l'invocation de l'article 40 par le Gouvernement et les sénateurs reste possible à l'encontre des dispositions irrecevables d'une proposition de loi, conformément à la jurisprudence du juge constitutionnel, ainsi que cela sera précisé dans les développements qui suivent.
Le cas particulier du référendum d'initiative partagée
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l'article 11 de la Constitution prévoit qu'un référendum « peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Il y est également précisé que cette « initiative prend la forme d'une proposition de loi ».
Les conditions de la présentation de ces propositions de loi et celles dans lesquelles elles sont transmises au Conseil constitutionnel sont précisées par la loi organique du 6 décembre 2013147(*). Dans sa décision sur la loi organique148(*), le Conseil constitutionnel a saisi cette occasion pour préciser que « la transmission de la proposition de loi au Conseil constitutionnel a pour effet de suspendre la procédure parlementaire d'examen de la proposition de loi ; que, par suite, le Conseil constitutionnel sera appelé à se prononcer, dans les conditions fixées par l'article 2 de la présente loi organique, sur la conformité à la Constitution d'une telle proposition de loi avant toute discussion devant les assemblées ; qu'il lui appartiendra d'examiner à ce stade sa conformité à l'article 40 de la Constitution même si la question de sa recevabilité financière n'a pas été soulevée au préalable ».
Source : commission des finances
2. Le maintien d'un contrôle sur invocation
a) L'invocation d'une exception d'irrecevabilité en séance plénière
Les procédures de contrôle a priori qui accompagnent le dépôt des amendements et des propositions de loi minimisent, en principe, le risque d'examen et d'adoption en séance plénière d'amendements ou de propositions irrecevables.
L'irrecevabilité financière revêtant un caractère absolu, le quatrième alinéa de l'article 45 du Règlement du Sénat maintient néanmoins la possibilité, pour tout sénateur ou le Gouvernement, de « soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution [ou] sur une des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ».
Dans ce cas, « l'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances [...]. Lorsque la commission n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité de l'amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement qui dispose de la parole durant cinq minutes. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, si la commission ne fait pas connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, l'irrecevabilité sera admise tacitement ».
L'invocation de l'irrecevabilité financière consiste, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 janvier 1994149(*), à contester formellement la décision des instances parlementaires chargées du contrôle a priori - qu'il s'agisse du Bureau du Sénat, de la commission des finances ou encore de la commission saisie au fond. Par contre, si l'irrecevabilité est seulement mentionnée durant le débat - l'on parle alors de simple « évocation » -, il n'y a pas lieu pour la commission des finances d'examiner la recevabilité financière de l'initiative concernée et le juge constitutionnel, en vertu du principe du « préalable parlementaire », ne se prononcera pas, en cas de saisine, sur la régularité de la procédure au regard de l'article 40 de la Constitution.
Ainsi le contrôle sur invocation peut concerner :
- les amendements et les sous-amendements examinés en séance, bien qu'ils aient déjà fait l'objet d'un examen de recevabilité lors de leur dépôt par la commission des finances ;
- les modifications apportées au texte par les commissions saisies au fond. En effet, dans sa décision précitée du 25 juin 2009150(*), le Conseil constitutionnel a précisé que le respect de l'article 40 de la Constitution impose « que l'irrecevabilité financière puisse être soulevée à tout moment non seulement à l'encontre des amendements, mais également à l'encontre des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies ». Aussi la commission des finances a-t-elle été amenée à prononcer l'irrecevabilité d'un article inséré par la commission saisie au fond du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière, l'exception d'irrecevabilité ayant été soulevée par un sénateur à l'encontre de la disposition, aux termes de laquelle l'État aurait eu la charge de la mise en place d'un système d'identification et de traçabilité des tabacs151(*) ;
- tout ou partie des dispositions d'une proposition de loi sénatoriale examinée en première lecture, le Conseil constitutionnel ayant rappelé, dans sa décision du 14 juin 1978, la nécessité que « puisse être constatée, au cours de la procédure législative, l'irrecevabilité des propositions qui auraient, à tort, été déclarées recevables au moment où elles étaient formulées »152(*).
Dans le cas où l'exception d'irrecevabilité est soulevée à l'encontre d'une proposition de loi examinée en séance publique, trois cas de figure peuvent être envisagés :
- les dispositions de la proposition de loi sont recevables et la discussion se poursuit en séance publique ;
- la commission des finances déclare irrecevable l'ensemble des dispositions de la proposition de loi ou la proposition de loi si elle est constituée d'un article unique. Ainsi, la commission des finances a-t-elle déclarée irrecevable, à la suite de l'invocation de l'article 40 par le Gouvernement, la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans, constitué d'un article unique abrogeant la réforme des retraites153(*) ;
- la commission des finances déclare irrecevables certaines dispositions d'une proposition de loi. Ce fut le cas à la suite de l'invocation de l'article 40 par le Gouvernement à l'encontre de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans154(*), la commission des finances ayant déclaré irrecevables deux des trois articles155(*). En effet, l'existence de dispositions irrecevables au sein d'une proposition de loi n'a pas pour conséquence de vicier l'ensemble du texte concerné, dans la mesure où l'exception d'irrecevabilité ne saurait concerner que les dispositions irrecevables. Le Conseil constitutionnel s'était prononcé en ce sens en laissant entendre, dans une décision du 18 janvier 1978, que les dispositions « séparables » de celles frappées d'irrecevabilité n'ont pas être jugées contraires à l'article 40.
b) Le cas des commissions mixtes paritaires
(1) Au cours de la commission mixte paritaire
Le contrôle de la recevabilité financière des amendements sur invocation peut également, le cas échéant, trouver à s'appliquer dans le cadre d'une commission mixte paritaire (CMP). Dans ce cas, le président de la CMP est compétent pour se prononcer sur la recevabilité financière des propositions de rédaction au regard de l'article 40 de la Constitution.
Bien que les propositions de rédaction examinées par les CMP pour élaborer un texte commun sur les articles restant en discussion ne constituent pas formellement des amendements, leur exclusion du champ d'application de l'article 40 de la Constitution conduirait à amoindrir substantiellement la portée de la recevabilité financière, en offrant aux parlementaires un moyen de contourner l'interdiction de créer ou d'aggraver une charge publique ou de diminuer sans gage les ressources publiques, interdiction dont le caractère est pourtant absolu.
Si l'invocation de l'article 40 en commission mixte paritaire est rare, elle n'est en rien théorique. Par exemple, lors de la réunion de la CMP sur le projet de loi de modernisation de l'économie, le président de la CMP, Patrick Ollier, a déclaré irrecevable une proposition de l'un de nos collègues députés tendant à accroître les ressources du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac)156(*).
(2) Au cours de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire
Le troisième alinéa de l'article 45 de la Constitution disposant qu'« aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement », les amendements présentés lors de la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire doivent nécessairement être regardés comme recevables, dès lors qu'ils sont supposés couverts par une intention du Gouvernement.
Source : commission des finances du Sénat
B. RECEVABILITÉ FINANCIÈRE ET INITIATIVE PARLEMENTAIRE
Si l'irrecevabilité prévue par l'article 40 de la Constitution présente un « caractère absolu » selon le Conseil constitutionnel, il n'en demeure pas moins qu'elle doit être conciliée avec l'initiative parlementaire - qui s'exprime à travers l'initiative des lois et le droit d'amendement.
Ce souci de conciliation a toujours guidé le Sénat et, la commission des finances en particulier, dans la mise en oeuvre du contrôle de la recevabilité des amendements parlementaires et des propositions de loi. C'est la raison pour laquelle ont été élaborées une jurisprudence et des pratiques qui permettent de respecter, autant que faire se peut, l'initiative des sénateurs.
1. Le « caractère absolu » de l'irrecevabilité financière
Dans sa décision du 14 juin 1978157(*), le Conseil constitutionnel a souligné le « caractère absolu » de l'irrecevabilité prévue par l'article 40 de la Constitution, dont il a déduit l'exigence selon laquelle les initiatives parlementaires devaient faire l'objet d'un « contrôle de recevabilité effectif et systématique »158(*).
Dans ces conditions, le plein exercice du contrôle de la recevabilité financière des amendements parlementaires et des propositions de loi vient limiter les risques d'inconstitutionnalité susceptibles de peser sur ces derniers. Comme l'indiquait Jean-Louis Pezant, devenu par la suite secrétaire général de l'Assemblée nationale et membre du Conseil constitutionnel, « le Conseil [constitutionnel] intervient comme juge d'appel en dernier ressort des décisions des organes parlementaires compétents en matière de recevabilité »159(*).
Par conséquent, une initiative parlementaire irrecevable qui n'aurait pas été censurée au cours de la procédure législative pourrait être sanctionnée par le juge constitutionnel. Toutefois, conformément au principe du « préalable parlementaire », celui-ci n'examine la conformité de la procédure législative à l'article 40 de la Constitution que si l'exception d'irrecevabilité a été soulevée devant la première assemblée qui en a été saisie. Ainsi que cela a été rappelé, le principe du préalable parlementaire n'est pas absolu : si le Conseil constitutionnel estime que la procédure mise en place dans l'une des chambres parlementaires ne permet pas un contrôle systématique et a priori des initiatives parlementaires au regard de leur recevabilité financière, alors le principe du préalable parlementaire ne saurait lui être opposé (cf. supra)160(*).
Les textes considérés comme
adoptés en application
de l'article 49, alinéa 3 de
la Constitution
Dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023161(*), le Conseil constitutionnel a confirmé l'application de la règle du préalable parlementaire, y compris lorsque le Gouvernement a recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution avant même que le contrôle a priori de la recevabilité des amendements déposés ait pu être effectué.
Si les sénateurs requérants considéraient qu'une disposition avait été adoptée en méconnaissance de l'article 40, sans que cette irrecevabilité n'ait pu être invoquée en temps utile en raison de la mise en oeuvre du troisième alinéa de l'article 49, le Conseil constitutionnel s'en est tenu au préalable parlementaire, en rappelant que « la question de la recevabilité financière d'un amendement d'origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que le Conseil constitutionnel puisse en examiner la conformité à l'article 40 de la Constitution. »
Dans ce cas, il n'y a donc pas de contrôle de la recevabilité dans la première assemblée saisie. Dès lors, le juge de la recevabilité financière pourrait théoriquement, au Sénat, opérer un contrôle de la recevabilité des initiatives des députés. Toutefois, le fait que ces initiatives aient été retenues dans le texte présenté par le Gouvernement en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, constitue une expression claire de la volonté du Gouvernement, qui peut servir de base de référence (cf. infra).
Pour autant, dans la mesure où l'irrecevabilité prévue à l'article 40 de la Constitution apporte une limitation tant à l'initiative des lois - qui, aux termes de l'article 39, appartient concurremment aux membres du Parlement et au Premier ministre - qu'au droit d'amendement de ces derniers, consacré à l'article 44, cette limitation doit faire l'objet d'une application mesurée, conciliant des exigences constitutionnelles contradictoires. Avant l'instauration d'un contrôle systématique dans les assemblées, le Conseil constitutionnel s'était ainsi déclaré compétent pour contrôler que l'irrecevabilité financière n'était pas appliquée de manière abusive162(*).
2. Préserver, autant que possible, l'initiative parlementaire
C'est dans ce même esprit, tendant à concilier l'irrecevabilité financière et l'initiative parlementaire, que la commission des finances du Sénat et son président appliquent l'article 40 de la Constitution. Plusieurs principes « guident » ainsi leur approche de l'examen de la recevabilité financière.
a) Le doute profite toujours à l'auteur de l'amendement
L'article 40 de la Constitution interdit strictement les initiatives parlementaires ayant pour effet de créer ou d'aggraver une charge publique. Toutefois, dans certains cas, une incertitude peut exister s'agissant des conséquences financières de l'amendement ou de la proposition de loi, soit parce que plusieurs interprétations peuvent être faites de l'initiative concernée, soit parce ce que son caractère coûteux n'est pas évident.
Dans de tels cas, il est d'usage que la solution retenue par le juge de la recevabilité financière soit la plus favorable à l'auteur de l'initiative. Aussi, lorsque cela est possible, seule est admise l'interprétation plaidant en faveur de la recevabilité de l'initiative et, en cas de doute quant aux conséquences financières de celle-ci, la recevabilité est considérée comme acquise, conformément au principe selon lequel le doute profite à l'auteur de l'amendement.
b) La base de référence du contrôle de la recevabilité
En outre, suivant une pratique constante pour l'application de l'article 40 de la Constitution, l'incidence financière de l'initiative parlementaire s'apprécie par rapport à la base de référence la plus favorable à cette initiative.
Il peut s'agir, selon les cas, du droit existant - lui-même largement entendu - ou du droit proposé à la discussion parlementaire, qui peut également intégrer les intentions formelles du Gouvernement (cf. supra).
c) L'ajout du gage dans un amendement réduisant les ressources publiques
L'article 40 de la Constitution prohibe toute diminution des ressources publiques. Néanmoins, à la différence de la création ou de l'aggravation d'une charge publique, cette diminution peut être « gagée » par l'affectation d'une recette nouvelle afin de la compenser.
En principe, l'absence de gage a pour conséquence d'entraîner l'irrecevabilité d'une initiative parlementaire tendant à réduire les ressources publiques. Toutefois, afin de favoriser l'initiative sénatoriale, le président de la commission des finances s'attache, au moment du dépôt de l'amendement, à ajouter le gage nécessaire pour assurer la recevabilité de l'amendement. De même, si le gage retenu par l'auteur de l'amendement n'est pas approprié, par exemple lorsqu'il n'est pas affecté à la personne publique dont il est proposé de diminuer les ressources, le président de la commission des finances le corrige.
Ces deux procédures permettent à de nombreux amendements ne pas être déclarés irrecevables, préservant ainsi l'initiative sénatoriale. Il convient d'ailleurs de noter qu'il s'agit d'un point de divergence avec l'Assemblée nationale, où, au regard des conditions d'examen de la recevabilité financière et du nombre d'amendements déposés, la rectification ou l'ajout d'un gage n'est pas systématique.
d) Le rôle de conseil et d'assistance de la commission des finances
De manière à se prémunir contre une déclaration d'irrecevabilité de leurs amendements, les sénateurs ont la possibilité, en amont du dépôt, de consulter le président de la commission des finances, qui intervient alors en tant que conseil.
En pratique, les sénateurs peuvent prendre attache avec le service de la commission des finances en charge de l'instruction de la recevabilité financière ; ce dernier est à leur disposition pour expliciter les conditions et les principes du contrôle de la recevabilité financière, voire pour les assister dans l'élaboration d'une rédaction de leur initiative conforme à l'article 40 de la Constitution.
e) La possibilité de « faire appel »
Enfin, tout sénateur dont l'un des amendements a été déclaré irrecevable dispose de la possibilité de contester la décision ou de demander au président de la commission des finances des informations complémentaires à la motivation qui accompagne toujours chaque décision d'irrecevabilité. Informé de nouveaux éléments, par exemple que le dispositif est couvert par une intention du Gouvernement ou par une proposition de loi adoptée au cours de la même législature, le président de la commission des finances peut être amené à modifier sa décision première.
Par ailleurs, le président de la commission des finances, lors du contrôle des amendements déposés au stade de la séance plénière, s'attache toujours, dans la mesure du possible et selon les conditions d'examen de la recevabilité, à proposer des rectifications. Le calendrier très contraint de nombreux textes rend malheureusement impossible de systématiser de telles propositions. Mieux vaut dès lors, pour le sénateur qui aurait un doute quant à la recevabilité de son amendement, consulter le président de la commission des finances en amont du dépôt.
3. Un taux d'irrecevabilité modéré
Les statistiques mettent en évidence un taux modéré d'irrecevabilité des amendements sénatoriaux, aussi bien au regard de l'article 40 que de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF, cf. infra).
Ainsi, entre 2013 et 2024, sur un total de 106 833 amendements sénatoriaux déposés :
- 5 927 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, soit un taux d'irrecevabilité de 5,5 % ;
- 1 331 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de la LOLF, soit un taux d'irrecevabilité de 1,2 %.
Le taux d'irrecevabilité annuel moyen de la dernière législature est de l'ordre de 6 %, même si certains textes, davantage propices aux mesures coûteuses, tirent cette moyenne à la hausse. À titre d'exemple, un peu moins de 25 % des amendements déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ont été déclarés irrecevables au regard de l'article 40 et de la LOLF. Sur cette même session 2023-2024, le taux d'irrecevabilité a été particulièrement élevé pour la proposition de loi portant création du statut de l'élu local (33 %) ainsi que pour la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l'autonomie (16 %).
Pour résumer L'exercice du contrôle de la recevabilité financière · Le contrôle de la recevabilité financière s'attache à concilier diverses exigences constitutionnelles, entre caractère absolu de l'irrecevabilité financière (article 40) et préservation de l'initiative parlementaire (articles 39 et 44). · Entre 2013 et 2024, 5,5 % des amendements déposés au Sénat ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 et 1,2 % au titre de la loi organique relative aux lois de finances. · La commission des finances mobilise différents leviers pour favoriser l'initiative parlementaire : rôle de conseil et d'assistance, ajout automatique des gages manquants, proposition de rectification, bénéfice du doute systématiquement accordé aux auteurs des amendements, etc. |
DEUXIÈME PARTIE
LE
CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
1. Une « protection » des textes financiers
L'article 47 de la Constitution dispose que « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Le traitement spécifique des projets de loi de finances - partagé avec les projets de loi de financement de la sécurité sociale163(*) - s'explique par la nature particulière des lois de finances.
Ces dernières constituent la traduction du principe juridique du consentement à l'impôt, consacré à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen164(*). Aussi comportent-elles des dispositions autorisant le prélèvement de l'impôt, l'engagement de dépenses, le recours à l'emprunt ainsi que des normes définissant les caractéristiques des impositions de toute nature. Des lois de finances dépendent donc le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité des services publics. Elles ont en outre acquis une importance économique considérable et constituent le vecteur privilégié de la réponse de l'État en période de crise.
Dans ces conditions, la Constitution a strictement encadré les délais dans lesquels le Parlement vote les projets de loi de finances. L'article 47 de la Constitution prévoit que, lors de l'examen du projet de loi de finances, la procédure accélérée s'applique de droit165(*). Il précise que « Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours » et prévoit également que « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».
Les dispositions précitées visent donc à ce que l'examen et l'adoption du budget se fassent dans des délais resserrés. Pour cette raison, il a été nécessaire de sanctuariser le domaine des lois de finances, de manière à éviter qu'y soient insérées toutes sortes de dispositions, sans lien avec le budget, à la seule fin de bénéficier d'un véhicule législatif rapide ; ces dernières sont désignées sous le vocable de « cavaliers budgétaires » qui doivent, au risque d'être censurés par le Conseil constitutionnel, être déclarés irrecevables lorsqu'ils sont présentés sous la forme d'amendements, d'initiative parlementaire comme gouvernementale.
À l'inverse, parce que les lois de finances traduisent le principe du consentement à l'impôt - qui impose que le Parlement dispose d'une vision synthétique de la situation financière de l'État -, les éléments relevant de leur domaine exclusif ne peuvent figurer dans une loi « ordinaire »166(*). Par conséquent, la « protection » du domaine exclusif des lois de finances justifie de déclarer irrecevable toute initiative parlementaire - proposition de loi comme amendement - et tout amendement gouvernemental tendant à introduire dans une loi ordinaire des dispositions relevant du domaine exclusif des lois de finances.
En outre, du fait de la nature particulière des lois de finances, la loi organique précise la structure de ces dernières : le principe de la bipartition - soit la division de la loi de finances en deux parties - permet d'organiser la discussion budgétaire autour d'un équilibre qui, fixant en fin de première partie l'évaluation des recettes et le montant du solde budgétaire, définit un plafond de dépenses que la seconde partie doit respecter167(*). Ce principe, instauré dans une logique de protection des finances publiques, impose que l'irrecevabilité soit opposée aux amendements parlementaires tendant à introduire des dispositions relevant de la seconde partie dans la première partie et inversement.
Le respect des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)168(*) - qui s'impose aussi au Gouvernement - fait l'objet d'un contrôle strict par le Conseil constitutionnel ; en particulier, celui-ci contrôle la conformité des initiatives aux dispositions organiques sans qu'il soit nécessaire que la question de leur recevabilité ait été préalablement soulevée, écartant ainsi le principe du « préalable parlementaire » qui s'applique en matière de recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution.
2. La recevabilité organique, un champ d'application plus large que les seuls projets de loi de finances
Le contrôle de la recevabilité organique porte, au premier chef, sur les amendements aux projets de loi de finances déposés en vue de la séance publique et au cours de celle-ci. Conformément à l'article 1er de la LOLF169(*), la notion de loi de finances intègre la loi de finances de l'année, mais également les lois de finances rectificatives, la loi de finances de fin de gestion ainsi que la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année170(*).
Toutefois, la protection du domaine exclusif des lois de finances implique qu'il soit aussi procédé à un examen de la recevabilité au regard de la LOLF des propositions de loi et des amendements parlementaires aux lois « ordinaires ». À cet égard, il faut rappeler que dans une décision du 3 mars 2009171(*), le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi relative à la communication audiovisuelle résultant d'un amendement sénatorial au motif que celle-ci modifiait l'affectation de la redevance audiovisuelle, et ce alors même que l'article 34 de la LOLF réservait à un texte de loi de finances l'édiction de toute disposition relative aux affectations de recettes au sein du budget de l'État.
Pour résumer L'étendue et les fondements du contrôle de la recevabilité organique · Les initiatives parlementaires et gouvernementales doivent respecter les dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) - même lorsqu'elles ne portent pas sur des textes financiers (lois de finances initiale, rectificative, de fin de gestion, de règlement et d'approbation des comptes). · La LOLF définit un domaine exclusif, obligatoire et partagé des lois de finances : certaines dispositions ne peuvent être discutées hors des textes financiers, tandis que d'autres ne peuvent pas y être examinées (cavaliers budgétaires). · Au sein des textes financiers, la LOLF fixe la répartition entre la première partie du projet de loi, qui concerne essentiellement les recettes, et la seconde partie, qui a trait aux dépenses (principe de bipartition). |
B. LA PARTICULARITÉ DES AMENDEMENTS DE CRÉDITS
Bien que le projet de loi de finances demeure largement à la main du Gouvernement, l'adoption de la LOLF, « constitution financière de la France », a conduit à accroître le rôle du Parlement. Alors que, sous l'empire de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959172(*), les parlementaires ne disposaient de quasiment aucune marge de manoeuvre pour modifier le volet « dépenses » du budget de l'État, ils peuvent désormais modifier la répartition des crédits entre programmes d'une même mission173(*).
Il s'agit d'une dérogation majeure à l'article 40 - puisque l'augmentation d'une charge sur un programme peut être compensée par la diminution de la charge sur un autre programme. Cette tolérance, favorable à l'initiative parlementaire, ne vaut que pour les programmes au sein d'une même mission : le volume total des crédits d'une mission ainsi que la répartition des crédits par action174(*) ne peuvent être modifiés par le biais d'une initiative parlementaire.
L'article 47 de la LOLF précise ainsi les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'amender les projets de loi de finances, pour la partie « dépenses » :
Au sens des articles 34 et 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission.
Tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.
Les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables.
Par suite, trois exigences ressortent des dispositions précitées.
1. Le cas général : gager des amendements de crédits déposés en loi de finances initiale
a) Un gage crédible et sincère
Premièrement, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances, la notion de charge publique, au sens de l'article 40 de la Constitution, s'apprécie à l'échelle de la mission budgétaire175(*). Dès lors, la création ou l'aggravation d'une charge publique n'est constituée que lorsque l'amendement parlementaire a pour conséquence d'augmenter le montant des crédits de la mission. Les parlementaires peuvent, par conséquent, procéder à une majoration des crédits d'un programme si celle-ci est compensée par une minoration des crédits d'un autre programme, au sein de la même mission. Il s'agit d'un mécanisme de gage propre aux amendements de crédits.
Ainsi, de même que pour les amendements dits « de lettres », l'examen de la recevabilité financière des amendements de crédits s'attache à contrôler les gages. Ce contrôle répond à la nécessité de s'assurer que le gage est crédible et sincère, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La crédibilité et la sincérité du gage des amendements de crédits sont appréciées à l'aune du montant des crédits qui peuvent être modifiés sans remettre en cause les engagements préalables du Gouvernement (dépenses de personnel, dépenses « de guichet »). Les crédits qui sont « pilotables » sur chacun des programmes budgétaires sont ceux que le parlementaire auteur de l'amendement peut, de manière crédible, utiliser pour « gager » l'augmentation des crédits d'un autre programme ou la création d'un nouveau programme au sein de la mission.
Sont considérées comme « non pilotables » par nature les dépenses de personnel, dans la mesure où le Gouvernement est tenu d'assurer les rémunérations des agents publics, et les dépenses dites « de guichet » (prestations, subventions), dès lors que leur niveau est contraint par le nombre de personnes bénéficiant des droits ouverts par les textes existants.
Les dépenses d'investissement et, dans une large mesure, les dépenses de fonctionnement sont quant à elles considérées comme pilotables. Surtout, le niveau de dépenses pilotables est apprécié avec une certaine souplesse, ce qui emporte deux conséquences :
- d'une part, le président de la commission des finances propose systématiquement aux auteurs de rectifier leurs amendements s'ils sont gagés sur des dépenses non pilotables ou si le montant global des crédits gagés est trop élevé à l'échelle des dépenses pilotables de la mission ;
- d'autre part, des amendements gagés sur des dépenses non pilotables ont été déclarés recevables, dans la mesure où l'impact sur ces dépenses n'était que très marginal au regard du volume total des crédits demandés. Ainsi, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 et de la mission « Agriculture », un amendement gagé sur un programme destiné à compenser des exonérations de cotisations sociales a été considéré comme recevable dès lors que le faible montant du gage s'inscrivait dans la marge d'erreur de l'exécution budgétaire annuelle.
Enfin, dans le traitement des amendements de crédits, il est impératif de distinguer les minorations résultant d'un gage - pour lequel les dépenses sont diminuées sur un programme dans un seul objectif de compensation - de celles découlant d'amendements dont l'objet même est de procéder à une minoration des crédits, notamment des dépenses de personnel. Par principe, ces derniers sont toujours recevables, dans la mesure où il n'y a pas de « gage » dont la crédibilité et la sincérité doivent être contrôlées. Surtout, ainsi que rappelé précédemment (cf. la règle de l'unité de vote), il est loisible aux parlementaires de rejeter les crédits d'une mission. Dès lors, un amendement sénatorial visant à minorer les crédits d'un programme ne peut se voir opposer l'irrecevabilité.
b) Une exigence particulière de motivation de l'amendement
Deuxièmement, les amendements aux projets de loi de finances doivent être motivés et accompagnés des développements des moyens qui les justifient. Ceci permet, ainsi que l'indique la décision précitée du Conseil constitutionnel du 25 juillet 2001, « dans le cadre des procédures d'examen de la recevabilité financière, de vérifier la réalité de la compensation »176(*), c'est-à-dire de s'assurer que la hausse des crédits d'un programme est bien gagée par la réduction des crédits d'un autre programme.
Aussi un amendement insuffisamment motivé est-il, en principe, irrecevable. Une rectification est toutefois systématiquement proposée aux auteurs d'amendements afin de leur permettre de préciser leurs motivations.
c) Une conformité à la LOLF
Enfin, les amendements non conformes aux dispositions de la LOLF sont irrecevables. Cette formulation générale vise à ce que le contrôle de la recevabilité organique soit réalisé sur la base de l'ensemble des dispositions de la LOLF, quelles qu'elles soient, cette exigence n'étant pas propre aux seuls amendements de crédits.
Par exemple, les amendements déposés sur les missions budgétaires ne doivent pas conduire, en supprimant un programme, à ce que la mission ou le compte d'affectation spéciale (CAS) ne soit plus composé que d'un seul programme - la LOLF disposant qu'une mission ou qu'un CAS se compose au minimum de deux programmes.
2. Les amendements de crédits en loi de finances rectificative
Si les amendements de crédits déposés sur les projets de lois de finances « modificatives » (projets de loi de finances rectificative - PLFR et projets de loi de finances de fin de gestion - PLFG)177(*) sont soumis aux mêmes exigences de motivation, de crédibilité et de sincérité des gages que les amendements à un projet de loi de finances initiale, ils doivent de surcroît respecter des règles spécifiques. Le fait que leur examen intervienne en cours de gestion, alors qu'une partie des crédits a déjà été exécutée, emporte en effet des conséquences sur leur recevabilité financière.
Ces conséquences ne sont pas les mêmes selon que l'amendement a pour intention une minoration ou une majoration des crédits. Par souci de simplification, les diverses hypothèses sont présentées ci-après.
Cas d'usage 1 : le Gouvernement annule des crédits sur un programme budgétaire. Dans ce cas :
- si le parlementaire souhaite maintenir les crédits sur ce programme budgétaire, il procède par minoration de l'annulation. Un tel amendement n'a pas besoin d'être gagé, tant que le montant de la minoration est égal ou inférieur au montant de l'annulation. Il s'agit en effet d'un retour au « droit existant », assimilé dans ce cas au montant de crédits voté en loi de finances initiale ;
- si le parlementaire souhaite a contrario ouvrir des crédits sur le programme, l'amendement doit être gagé. Le parlementaire doit donc s'assurer que les autres programmes de la mission disposent d'un montant suffisant de crédits pilotables pour gager leur amendement. Le gage peut prendre la forme soit d'une minoration d'ouverture sur un autre programme de la mission, soit d'une majoration d'annulation sur un autre programme de la mission, soit d'un gage crédits « classique ». Dans les deux derniers cas, il doit respecter les règles décrites infra ;
- si le parlementaire souhaite annuler un montant plus élevé de crédits que celui proposé par le Gouvernement, il doit déposer un amendement de crédits sous la forme d'une majoration d'annulation. Cette dernière doit toutefois tenir compte des montants de crédits effectivement disponibles et donc de l'exécution des crédits en cours d'année. Lors de l'examen du projet de loi de fin de gestion, ou plus largement d'un PLFR intervenant tardivement dans l'année, il ne serait pas crédible d'annuler l'intégralité des crédits prévus en début d'année, dans la mesure où une large partie en aura déjà été consommée. Les annulations prévues ne peuvent donc atteindre des montants trop importants. En revanche, en début d'année, il demeure possible d'annuler des montants plus élevés, sous réserve de ne pas diminuer des dépenses non pilotables.
Cas d'usage 2 : le Gouvernement ouvre des crédits sur un programme budgétaire. Dans ce cas :
- si le parlementaire souhaite supprimer ou minorer cette ouverture de crédits, il doit déposer un amendement de crédits consistant en une minoration d'ouverture. Un tel amendement n'a, par définition, pas besoin d'être gagé ;
- si le parlementaire souhaite diminuer les crédits du programme par rapport à la loi de finances initiale, le montant de l'amendement de minoration d'ouverture doit être supérieur au montant des crédits que le Gouvernement propose d'ouvrir sur le programme. Si cet amendement n'a pas besoin d'être gagé, les règles précitées en matière d'annulation de crédits s'appliquent ;
- si le parlementaire souhaite ouvrir encore davantage de crédits, il peut déposer un amendement de crédits, mais ce dernier devra être gagé. Le parlementaire doit donc s'assurer que les autres programmes de la mission disposent d'un montant suffisant de crédits pilotables pour gager la majoration d'ouverture portée par l'amendement sénatorial.
Cas d'usage 3 : le Gouvernement ne modifie pas les crédits portés par un programme budgétaire. Dans ce cas :
- si le parlementaire souhaite en augmenter les crédits, l'amendement d'ouverture de crédits devra être gagé, donc en tenant compte des dépenses pilotables restantes sur les autres programmes de la mission (cf. supra) ;
- si le parlementaire souhaite annuler des crédits, l'amendement de minoration des crédits, qui n'a pas besoin d'être gagé, doit respecter les règles précitées en matière d'annulation de crédits.
Il importe par ailleurs de tenir compte des modifications de crédits intervenues par voie réglementaire (décrets d'avance et décrets d'annulation178(*)). Ainsi, les annulations de crédits prises par décret diminuent d'autant les crédits disponibles, le PLFR ou le PLFG en tirant simplement les conséquences. Les ouvertures de crédits par décret d'avance augmentent à l'inverse les crédits couverts par le droit existant.
En tout état de cause, le juge de la recevabilité financière n'est pas en mesure d'effectuer un suivi fin des crédits consommés en cours d'année, pour des raisons à la fois technique et pratique, afin de préserver la possibilité pour les parlementaires de prévoir des redéploiements de crédits en cours de gestion. Il se contente d'examiner le caractère crédible des montants envisagés, en conciliant les exigences de l'article 40 de la Constitution et le champ le plus large possible de l'initiative parlementaire.
Pour résumer Les amendements de crédits · Par dérogation à l'article 40, l'augmentation d'une charge sur un programme budgétaire, y compris la création d'un nouveau programme, peut être compensée par la diminution de la charge sur un autre programme. Cette compensation ne peut avoir lieu qu'au sein d'une même mission budgétaire. · Le gage doit être crédible. Il doit donc porter sur des dépenses dites « pilotables ». Des règles particulières s'appliquent pour les amendements de crédits déposés lors de l'examen d'un projet de loi de finances rectificative. · Ne constituent pas des dépenses pilotables des dépenses de personnels (rémunérations) ou des dépenses de guichet (prestations, subventions). Les dépenses d'investissement ou de fonctionnement sont en revanche pilotables. · Les amendements déposés sur un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de finances de fin de gestion doivent de surcroît respecter des règles spécifiques, afin de tenir compte du moment de l'année où intervient leur examen. |
II. LE DOMAINE ET LA STRUCTURE DES LOIS DE FINANCES
Comme rappelé précédemment, la LOLF, et en particulier le chapitre II du titre III (articles 34 à 37), définit le contenu des lois de finances - en distinguant les domaines obligatoire, exclusif et partagé - ainsi que leur structure, en vertu du principe de bipartition. Ces dispositions ont fait l'objet d'importantes modifications en 2021179(*), entrées en vigueur à compter des lois de finances afférentes à l'année 2023180(*).
A. LE DOMAINE DES LOIS DE FINANCES
Il est d'usage de distinguer trois domaines pour les lois de finances : un domaine obligatoire, un domaine exclusif et un domaine partagé ; à savoir les dispositions qui doivent figurer dans une loi de finances, les dispositions qui ne peuvent que figurer dans une loi et les dispositions qui peuvent indifféremment figurer dans une loi de finances ou dans une loi ordinaire. Cette distinction a été entérinée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 2001181(*).
L'examen de la recevabilité des amendements au regard du domaine des lois de finances répond aux deux principes suivants :
- les amendements aux projets de loi de finances doivent obligatoirement s'inscrire dans l'un des trois domaines des lois de finances - obligatoire, exclusif ou partagé. Par conséquent, si une initiative ne se rattache pas à l'une des dispositions de l'article 34 de la LOLF s'agissant des projets de loi de finances de l'année, de son article 35 pour les projets de loi de finances rectificative et les projets de loi de finances de fin de gestion et de son article 37 pour les projets de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année, elle devra être déclarée irrecevable182(*) ;
- les amendements aux projets de loi « ordinaire » ne peuvent porter sur des éléments relevant des domaines obligatoire ou exclusif des lois de finances, sauf à être déclarés irrecevables. Toutefois, s'ils se rapportent à des éléments qui relèvent du domaine partagé des lois de finances, ils sont recevables.
B. LE PRINCIPE DE BIPARTITION DES LOIS DE FINANCES
Le principe de bipartition vise à ce que la discussion budgétaire soit organisée autour d'un équilibre qui, fixant en fin de première partie l'évaluation des recettes et le montant du solde budgétaire, définit un plafond de dépenses que la seconde partie doit respecter.
En conséquence, un amendement à un projet de loi de finances doit s'inscrire dans la bonne partie sous peine d'être déclaré irrecevable. Il convient de noter ici que la réforme de la LOLF a considérablement simplifié la répartition des dispositions entre la première et la seconde partie, dès lors qu'il n'est plus nécessaire, pour qu'une disposition en recettes figure en première partie, qu'elle ait un impact sur l'équilibre budgétaire de l'année en cours183(*). Mécaniquement, le taux d'irrecevabilité organique a baissé lors de l'examen des projets de loi de finances ; étant précisé que le président de la commission des finances indique toujours à l'auteur d'un amendement irrecevable en première partie si ce dernier peut être redéposé en seconde partie.
Dans la première partie d'une loi de finances, figurent donc, pour l'essentiel, l'autorisation de percevoir les impôts, les dispositions fiscales, les dispositions relatives aux ressources affectées, les dispositions relatives à l'institution et à l'évaluation des prélèvements sur recettes, les dispositions affectant à une autre personne morale que l'État, une ressource établie à son profit ainsi que diverses autorisations et dispositions liées aux emprunts et à la trésorerie de l'État.
Dans la seconde partie de la loi de finances, figurent d'abord l'ensemble des dispositions visant à définir, pour chaque mission, chaque budget annexe et chaque compte spécial, le montant des crédits (en autorisations d'engagement et en crédits de paiement) et des emplois autorisés. Par suite, elle comprend également les dispositions qui affectent directement les dépenses budgétaires, soit de l'année, soit de l'année et d'une ou plusieurs années ultérieures184(*), la définition des modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales qui leur sont affectées ainsi que les dispositions autorisant le transfert de données fiscales, lorsque ce transfert permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État.
Enfin, la seconde partie peut comprendre diverses mesures qui n'affectent pas directement l'équilibre budgétaire mais qui concourent à la bonne gestion des finances publiques, telles que les dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou les dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.
C. L'APPLICATION AUX TEXTES FINANCIERS
1. Les lois de finances de l'année
Le domaine des lois de finances de l'année ainsi que la répartition des dispositions entre la première et la seconde partie sont principalement définis par l'article 34 de la LOLF. Ils sont retracés en détail dans le tableau figurant à la fin de la présente partie et présentés ci-après, en distinguant, dans chaque domaine, ce qui relève de la première ou de la seconde partie de la loi de finances.
a) Le domaine obligatoire
Toute loi de finances initiale doit impérativement comporter certaines dispositions qui, par ailleurs, ne peuvent figurer dans aucun autre texte185(*). Il s'agit du domaine obligatoire186(*).
Il comprend, pour l'essentiel, des dispositions proprement budgétaires, à savoir :
- pour la première partie, celles relatives à l'autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature, à l'évaluation des ressources budgétaires, à la détermination des plafonds de dépenses et des autorisations d'emplois rémunérés par l'État ainsi qu'à l'équilibre financier (ressources et charges de trésorerie, plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État) ;
- pour la seconde partie, celles relatives à la fixation du montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement, des autorisations d'emplois, des objectifs et indicateurs de performance ainsi que celles retraçant l'ensemble des moyens attribués à une politique publique financée par une mission.
Par conséquent, un amendement à un projet de loi « ordinaire » qui viserait à modifier la répartition des crédits entre les programmes d'une mission serait irrecevable au regard des dispositions de la LOLF. Un tel amendement est exclusivement recevable lors de la discussion d'un projet de loi de finances, en seconde partie.
b) Le domaine exclusif
Le domaine exclusif désigne les dispositions qui, sans être obligatoires, ne peuvent figurer que dans une loi de finances. Sont concernées, à titre principal :
- pour ce qui concerne la première partie, les dispositions relatives aux affectations de recettes au sein du budget de l'État, les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État, l'institution d'un prélèvement sur recettes, les affectations à une autre personne morale d'une ressource perçue au profit de l'État (article 2) ;
L'affectation à une autre personne morale
d'une recette établie au profit de l'État
L'article 3 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques abroge, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, l'article 36 de la LOLF. Ce dernier dispose que « L'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances. »
Toutefois, ces dispositions ne disparaissent pas. Conformément à l'article 3 précité, elles sont réintégrées au sein de l'article 2 de la LOLF. À compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, ce dernier dispose :
- que les impositions de toute nature peuvent être directement affectées aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux organismes de sécurité sociale ;
- que les impositions de toute nature ne peuvent pas être affectées à un tiers autres que ceux précités et leur affectation ne peut être maintenue que si ce tiers est doté de la personnalité morale et que si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. La réforme de la LOLF a donc conduit à conditionner l'affectation des impositions de toutes natures à certains tiers ;
- que l'affectation, totale ou partielle, à un tiers d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition d'une loi de finances. Il s'agit là d'une reprise des dispositions de l'article 36 de la LOLF, dans sa version avant l'entrée en vigueur de l'article 3 de la loi organique précitée.
Source : commission des finances
- pour ce qui concerne la seconde partie, l'octroi de garantie de l'État et la définition de leur régime, la prise en charge de dettes de tiers, la création d'une annexe générale au projet de loi de finances, c'est-à-dire d'un « jaune » budgétaire ou d'un document de politique transversale (article 51) ou encore la modification du dispositif de performance figurant à l'état G, qui regroupe l'ensemble des objectifs et des indicateurs présentés dans les projets annuels de performance, pour chacune des missions du budget général. Cette faculté, introduite par la réforme de la LOLF, ne permet aux parlementaires que de modifier les indicateurs : la définition et la modification des cibles associées relèvent exclusivement de la prérogative du Gouvernement.
c) Le domaine partagé
Le domaine partagé comprend les dispositions qui peuvent figurer en loi de finances, sans pour autant que ces dernières en aient le monopole187(*). Par conséquent, celles-ci peuvent également être inscrites dans une loi ordinaire.
(1) Les mesures relatives aux impositions de toute nature
Les « dispositions relatives aux ressources de l'État » et les « dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à personne morale autre que l'État » relèvent du domaine partagé.
Selon le Conseil constitutionnel, entre dans le champ des impositions de toute nature tout prélèvement qui ne répond pas au critère de la redevance pour service rendu, ni à celui de la cotisation sociale ; sont donc inclus les impôts, taxes et autres prélèvements fiscaux proprement dit, de même que de nombreux autres prélèvements, dont, par exemple :
- les frais d'assiette et de recouvrement des impôts locaux, prélevés au titre de l'article 1641 du code général des impôts188(*) ;
- le versement destiné au financement des transports en commun189(*) ;
- les redevances perçues par les agences de l'eau190(*) ;
- la contribution pour la collecte, la valorisation et l'élimination des déchets due par les entreprises et organismes de distribution gratuite d'imprimés et de prospectus191(*) ;
- la redevance d'archéologie préventive192(*).
Ainsi, un amendement parlementaire portant sur une imposition de toute nature pourrait être déposé indifféremment dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de finances ou d'un autre projet de loi, financier ou non - à la condition, toutefois, qu'il soit gagé s'il prévoit une diminution des ressources publiques.
À l'inverse, dans la mesure où l'article 34 de la LOLF ne mentionne, pour le domaine exclusif comme pour le domaine partagé des lois de finances, que les impositions de toute nature, les amendements parlementaires portant sur d'autres catégories de ressources ne seraient pas recevables dans le cadre d'un projet de loi de finances. À titre d'exemple, les mesures relatives aux cotisations volontaires obligatoires (CVO) ne trouvent pas leur place en loi de finances. Ne sont pas non plus recevables en loi de finances les dispositions portant sur le régime d'affectation des amendes ni sur la répartition du produit des forfaits post-stationnement entre les collectivités territoriales, ni encore sur le quantum des amendes administratives prononcées par l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, ces recettes ne constituant pas une imposition de toute nature.
Ainsi que rappelé précédemment, la réforme de la LOLF a fortement simplifié la définition du domaine partagé des lois de finances. En effet, avant le projet de loi de finances pour 2023, devaient impérativement figurer en première partie de la loi de finances les dispositions relatives aux ressources de l'État « qui affectent l'équilibre budgétaire de l'année concernée ». Désormais, ces dispositions, qu'elles affectent ou non l'équilibre budgétaire de l'année en cours, relèvent du domaine partagé193(*). Une nuance doit toutefois être apportée : le Conseil constitutionnel a par le passé estimé que toute mesure qui conduirait l'équilibre initial à « s'écart[er] sensiblement des prévisions » ne pourrait avoir sa place que dans une loi de finances rectificative194(*).
Enfin, il peut être rappelé que plusieurs initiatives ont tendu à défendre, sinon en droit mais dans les faits, un « monopole » des lois de finances en matière d'impositions de toute nature, et ce afin de limiter la dispersion des dispositions fiscales et d'accroître la lisibilité de notre droit.
(2) Les dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année
Relèvent également du domaine partagé les dispositions affectant directement les dépenses budgétaires, soit de l'année, soit de l'année et d'une ou de plusieurs années ultérieures (seconde partie).
Selon le Conseil constitutionnel, pour figurer en loi de finances, de telles dispositions doivent néanmoins avoir une « incidence directe sur les charges de l'État »195(*) ou « concern[er] la détermination » de ces charges196(*). Le juge constitutionnel a toutefois pu admettre en loi de finances des « éléments indivisibles d'un dispositif financier qui a pour objet d'alléger les charges de l'État »197(*).
(3) Les modalités de répartition des concours aux collectivités territoriales
Le domaine partagé intègre également les dispositions définissant les « modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ». Il s'agit des mesures relatives aux dotations qui sont sans influence sur le montant global à attribuer et, en particulier, celles modifiant leur ventilation entre les ayants-droits.
Doivent être déposés en seconde partie des projets de loi de finances les amendements qui modifient les critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF), alors que ceux relatifs au montant global de la DGF doivent figurer en première partie.
(4) L'information et le contrôle du Parlement sur les finances publiques
À n'en pas douter, la définition du champ des « dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques » est délicate. En effet, souvent, le e du 7° de l'article 34 de la LOLF offre une base juridique aux parlementaires qui souhaitent inscrire dans une loi de finances une demande de rapport au Gouvernement leur permettant de s'exprimer, notamment en séance publique, sur un sujet coûteux sans que puisse leur être opposé l'article 40 de la Constitution.
Les inscriptions de demandes de rapport dans les lois de finances font néanmoins l'objet d'un contrôle de plus en plus sévère de la part du Conseil constitutionnel et ces dispositions constituent une grande partie des cavaliers budgétaires censurés chaque année par le juge constitutionnel. Il a ainsi jugé que n'étaient pas relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques les dispositions portant demandes de rapport :
- sur l'opportunité de réviser les capacités d'emprunt de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ;
- sur l'activité d'accompagnement et d'insertion des étudiants ultramarins par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité ;
- sur les moyens d'encourager les dépenses de partenariat sportif des entreprises dans la perspective de l'accueil des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ;
- sur les moyens mis en oeuvre pour surveiller les flux financiers avec les établissements situés dans les « paradis fiscaux » ;
- sur la gestion des ressources humaines dans les établissements publics muséaux nationaux ;
- sur les conditions d'éligibilité des personnes morales au bonus-malus accordé lors de l'achat de véhicules hybrides.
Pour tenir compte du contrôle accru du Conseil constitutionnel, le président de la commission des finances a lui aussi renforcé sa vigilance, en tenant compte de l'abondante jurisprudence du Conseil en la matière. Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements demandant des rapports sur le chèque alimentaire ou sur la péréquation financière entre les services départementaux d'incendie et de secours.
Les décisions du Conseil constitutionnel laissent supposer que le juge constitutionnel se livre à un contrôle des « cavaliers budgétaires » classique, consistant à s'assurer que l'objet des rapports demandés se rattache bien au domaine des lois de finances. Il englobe en effet les demandes de rapport dans les dispositions censurées au motif et selon le considérant de principe, qu'elles ne « concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties de l'État, ni la comptabilité publique. Elles n'ont pas trait à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État. Elles n'ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d'approuver des conventions financières. Elles ne sont pas relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Elles ne portent pas sur le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État. »198(*)
Cette restriction du champ des dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur les finances publiques peut paraître rigoureuse, voire sévère. La notion de « finances publiques » recouvre en effet les finances de l'État, des collectivités territoriales, de la sécurité sociale et de tous les établissements qui leur sont liés.
Il n'en demeure pas moins que l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine invite nécessairement le juge de la recevabilité organique à se montrer plus attentif aux amendements tendant à inscrire des demandes de rapport dans les lois de finances. Pour être recevable en loi de finances, l'objet du rapport doit porter sur une disposition relevant du domaine des lois de finances (évaluation d'un dispositif fiscal ou d'une mesure de soutien budgétaire par exemple) et non sur une politique publique ou sur un organisme public de manière générale. Par ailleurs, et à l'exception des demandes de rapport portant directement sur des dispositions inscrites en première partie, les amendements portant de telles demandes doivent être déposés en seconde partie.
Cependant, en matière de contrôle des finances publiques, une évolution favorable à l'initiative parlementaire est intervenue avec la réforme de la LOLF. Appartiennent désormais au domaine partagé des lois de finances, et peuvent donc figurer dans ces textes, les dispositions relatives à la comptabilité publique (seconde partie). Auparavant, relevaient seulement du domaine partagé des lois de finances les dispositions relatives à la comptabilité de l'État, alors même que le champ de la loi de finances excède celui du seul budget de l'État.
(5) Les conventions financières et le transfert de données fiscales
L'approbation des conventions financières, qui doivent être distinguées des conventions fiscales199(*), appartient au domaine partagé des lois de finances. Depuis la réforme de la LOLF, y figurent également les dispositions autorisant le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État. Ces dispositions relèvent toutes de la seconde partie.
Avant cette modification de l'article 34, de telles dispositions encourraient le risque d'être censurées par le Conseil constitutionnel au titre des « cavaliers budgétaires », selon l'analyse que pouvait faire le juge constitutionnel de leurs effets directs sur le budget de l'État, avec parfois quelques divergences d'interprétation.
Domaine et structure des lois de finances de
l'année
(article 34 de la LOLF)
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Première partie |
|||
Autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État (1° du I) |
× |
× |
|
Dispositions relatives aux ressources de l'État (2° du I) |
× |
||
Affectations de recettes au sein du budget de l'État (3° du I) |
× |
||
Dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une personne morale autre que l'État (3° bis du I) |
× |
||
Institution et évaluation des prélèvements sur recettes (4° du I) |
× |
||
Évaluation de chacune des recettes budgétaires (5° du I) |
× |
× |
|
Présentation de la liste et du produit prévisionnel de l'ensemble des impositions de toutes natures dont le produit est affecté à une personne morale autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale et décision d'attribuer totalement ou partiellement ce produit à l'État (5° bis du I) |
× |
||
Fixation des plafonds de dépenses du budget général et de chaque budget annexe, des plafonds des charges de chaque catégorie de comptes spéciaux ainsi que des plafonds des autorisations des emplois rémunérés par l'État (6° du I) |
× |
× |
|
Données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre (7° du I) |
× |
× |
|
Autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État et évaluation des ressources et des charges de trésorerie concourant à la réalisation de l'équilibre financier (tableau de financement) (8° du I) |
× |
× |
|
Fixation du plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État et, pour chaque budget annexe, du plafond de l'encours total de dette autorisé (9° du I) |
× |
× |
|
Fixation des modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations initiales, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'État (10° du I) |
× |
||
Affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État200(*) |
× |
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Seconde partie |
|||
Fixation, pour le budget général, des autorisations d'engagement et des crédits de paiement par mission (1° du II) |
× |
× |
|
Fixation des autorisations d'emplois par ministère et par budget annexe (2° du II) |
× |
× |
|
Fixation du plafond des autorisations des emplois des opérateurs de l'État, des établissements à autonomie financière et des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale (2° bis du II) |
× |
||
Fixation, par budget annexe et par compte spécial, du montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement (3° du II) |
× |
× |
Fixation du plafond des reports (4° du II) |
× |
||
Définition des objectifs de performance et des indicateurs associés à ces objectifs (4° bis du II) |
× |
× |
|
Présentation, pour chaque mission, du montant des crédits de paiement (en distinguant les dépenses d'investissement) et des montants des dépenses fiscales, des ressources affectées, des prélèvements sur recettes et des crédits des comptes spéciaux qui concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques financées par la mission (4° ter du II) |
× |
× |
|
Autorisation de l'octroi des garanties de l'État et fixation de leur régime (5° du II) |
× |
||
Autorisation de prise en charge des dettes de tiers et fixation de leur régime (6° du II) |
× |
||
Dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ou de l'année et d'une ou plusieurs années ultérieures (b du 7° du II) |
× |
||
Définition des modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales qui leur sont affectées (c du 7° du II) |
× |
||
Approbation des conventions financières (d du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques (e du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics (f du 7° du II) |
× |
||
Dispositions autorisant le transfert de données fiscales lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État (g du 7° du II) |
× |
||
Création d'annexes générales destinées à l'information du Parlement (7° de l'article 51) |
× |
Source : commission des finances du Sénat
2. Les lois de finances « modificatives »
Le Gouvernement peut prendre l'initiative de modifier, en cours d'année, les équilibres définis dans la loi de finances initiale. Pour ces lois de finances « modificatives », les mêmes principes de bipartition et de domaines obligatoire, exclusif et partagé s'appliquent pour examiner la recevabilité organique des amendements déposés à l'occasion de leur examen. Deux textes peuvent être distingués : les lois de finances rectificatives et les lois de finances de fin de gestion.
a) Les lois de finances rectificatives
Le contenu des lois de finances rectificatives est défini par l'article 35 de la LOLF, et retracé en détail dans le tableau ci-après.
Les règles en matière de bipartition et de domaine sont similaires à celles applicables aux lois de finances initiales, sous réserve d'ajustements pour ce qui relève du domaine obligatoire. Ce dernier est en effet plus restreint et ne comprend que la fixation des plafonds de dépenses et des autorisations d'emplois, de même que les données générales de l'équilibre budgétaire.
Le domaine exclusif est identique, puisque seules des dispositions d'une loi de finances rectificative peuvent modifier les dispositions relevant des domaines obligatoire et exclusif de la loi de finances initiale. Le domaine partagé est également le même.
Comme pour les projets de loi de finances, les amendements parlementaires aux projets de loi de finances rectificative ne sont recevables que s'ils relèvent de l'un des trois domaines précités - obligatoire, exclusif ou partagé - et qu'ils respectent les règles de bipartition.
Domaine et structure des lois de finances
rectificatives
(article 35 de la LOLF)
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Première partie |
|||
Autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État (1° du I) |
× |
||
Dispositions relatives aux ressources de l'État (2° du I) |
× |
||
Affectations de recettes au sein du budget de l'État (3° du I) |
× |
||
Dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une personne morale autre que l'État (3° bis du I) |
× |
||
Institution et évaluation des prélèvements sur recettes (4° du I) |
× |
||
Évaluation de chacune des recettes budgétaires (5° du I) |
× |
Présentation de la liste et du produit prévisionnel de l'ensemble des impositions de toutes natures dont le produit est affecté à une personne morale autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale et décision d'attribuer totalement ou partiellement ce produit à l'État (5° bis du I) |
× |
||
Fixation des plafonds de dépenses du budget général et de chaque budget annexe, des plafonds des charges de chaque catégorie de comptes spéciaux ainsi que des plafonds des autorisations des emplois rémunérés par l'État (6° du I) |
× |
× |
|
Données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre (7° du I) |
× |
× |
|
Autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État et évaluation des ressources et des charges de trésorerie concourant à la réalisation de l'équilibre financier (tableau de financement) (8° du I) |
× |
||
Fixation du plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État et, pour chaque budget annexe, du plafond de l'encours total de dette autorisé (9° du I) |
× |
||
Fixation des modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations initiales, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'État (10° du I) |
× |
||
Affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État201(*) |
× |
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Seconde partie |
|||
Fixation, pour le budget général, des autorisations d'engagement et des crédits de paiement par mission (1° du II) |
× |
||
Fixation des autorisations d'emplois par ministère et par budget annexe (2° du II) |
× |
||
Fixation du plafond des autorisations des emplois des opérateurs de l'État, des établissements à autonomie financière et des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale (2° bis du II) |
× |
||
Fixation, par budget annexe et par compte spécial, du montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement (3° du II) |
× |
Fixation du plafond des reports (4° du II) |
× |
||
Définition des objectifs de performance et des indicateurs associés à ces objectifs (4° bis du II) |
× |
||
Présentation, pour chaque mission, du montant des crédits de paiement (en distinguant les dépenses d'investissement) et des montants des dépenses fiscales, des ressources affectées, des prélèvements sur recettes et des crédits des comptes spéciaux qui concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques financées par la mission (4° ter du II) |
× |
||
Autorisation de l'octroi des garanties de l'État et fixation de leur régime (5° du II) |
× |
||
Autorisation de prise en charge des dettes de tiers et fixation de leur régime (6° du II) |
× |
||
Dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ou de l'année et d'une ou plusieurs années ultérieures (b du 7° du II) |
× |
||
Définition des modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales qui leur sont affectées (c du 7° du II) |
× |
||
Approbation des conventions financières (d du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques (e du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics (f du 7° du II) |
× |
||
Dispositions autorisant le transfert de données fiscales lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État (g du 7° du II) |
× |
||
Création d'annexes générales destinées à l'information du Parlement (7° de l'article 51) |
× |
Source : commission des finances du Sénat
b) La particularité des lois de finances de fin de gestion
À l'initiative du Parlement, la réforme de la LOLF par la loi organique précitée du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a conduit à la création d'une nouvelle catégorie de lois de finances, la loi de finances de fin de gestion.
Elle vise à consacrer la pratique d'une loi de finances rectificative de fin d'année limitée aux seules mesures de gestion. La commission des finances avait soutenu la création de la loi de finances de fin de gestion en arguant que la restriction de son périmètre pouvait permettre d'assurer « une meilleure cohérence des débats » et d'améliorer « la lisibilité des débats »202(*).
Par suite, le domaine des lois de finances de fin de gestion est plus restreint que celui des lois de finances rectificatives. Elles ne peuvent en particulier comporter aucune mesure fiscale et doivent « se limiter, pour l'essentiel, au schéma de fin de gestion, c'est-à-dire à l'ajustement, en fin d'exercice, des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires »203(*).
La clarté et la lisibilité qui en résultent, au moment où le Parlement examine en parallèle le projet de loi de finances pour l'année à venir, se traduisent toutefois par une restriction du champ de l'initiative parlementaire, dans le sens où des amendements auparavant recevables dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative de fin d'année ne le sont plus si le Gouvernement a choisi de recourir au véhicule du projet de loi de finances de fin de gestion.
Dans le tableau ci-après, sont ainsi grisées les dispositions qui ne peuvent pas figurer dans une loi de finances de fin de gestion, alors qu'elles peuvent figurer dans une loi de finances initiale ou dans une loi de finances rectificative.
Domaine et structure des lois de finances de fin
de gestion
(article 35 de la LOLF)
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Première partie |
|||
Autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État (1° du I) |
× |
||
Dispositions relatives aux ressources de l'État (2° du I) |
|||
Affectations de recettes au sein du budget de l'État (3° du I) |
× |
||
Dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une personne morale autre que l'État (3° bis du I) |
|||
Institution et évaluation des prélèvements sur recettes (4° du I) |
× |
||
Évaluation de chacune des recettes budgétaires (5° du I) |
× |
||
Présentation de la liste et du produit prévisionnel de l'ensemble des impositions de toutes natures dont le produit est affecté à une personne morale autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale et décision d'attribuer totalement ou partiellement ce produit à l'État (5° bis du I) |
× |
||
Fixation des plafonds de dépenses du budget général et de chaque budget annexe, des plafonds des charges de chaque catégorie de comptes spéciaux ainsi que des plafonds des autorisations des emplois rémunérés par l'État (6° du I) |
× |
× |
|
Données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre (7° du I) |
× |
× |
|
Autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État et évaluation des ressources et des charges de trésorerie concourant à la réalisation de l'équilibre financier (tableau de financement) (8° du I) |
× |
||
Fixation du plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État et, pour chaque budget annexe, du plafond de l'encours total de dette autorisé (9° du I) |
× |
||
Fixation des modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations initiales, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'État (10° du I) |
× |
||
Affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État204(*) |
× |
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Seconde partie |
|||
Fixation, pour le budget général, des autorisations d'engagement et des crédits de paiement par mission (1° du II) |
× |
||
Fixation des autorisations d'emplois par ministère et par budget annexe (2° du II) |
× |
||
Fixation du plafond des autorisations des emplois des opérateurs de l'État, des établissements à autonomie financière et des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale (2° bis du II) |
× |
||
Fixation, par budget annexe et par compte spécial, du montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement (3° du II) |
× |
Fixation du plafond des reports (4° du II) |
× |
||
Définition des objectifs de performance et des indicateurs associés à ces objectifs (4° bis du II) |
× |
||
Présentation, pour chaque mission, du montant des crédits de paiement (en distinguant les dépenses d'investissement) et des montants des dépenses fiscales, des ressources affectées, des prélèvements sur recettes et des crédits des comptes spéciaux qui concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques financées par la mission (4° ter du II) |
× |
||
Autorisation de l'octroi des garanties de l'État et fixation de leur régime (5° du II) |
× |
||
Autorisation de prise en charge des dettes de tiers et fixation de leur régime (6° du II) |
× |
||
Dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ou de l'année et d'une ou plusieurs années ultérieures (b du 7° du II) |
× |
||
Définition des modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales qui leur sont affectées (c du 7° du II) |
|||
Approbation des conventions financières (d du 7° du II) |
|||
Dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques (e du 7° du II) |
|||
Dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics (f du 7° du II) |
|||
Dispositions autorisant le transfert de données fiscales lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État (g du 7° du II) |
|||
Création d'annexes générales destinées à l'information du Parlement (7° de l'article 51) |
× |
Source : commission des finances du Sénat
III. LA PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
La procédure mise en place au Sénat pour contrôler la recevabilité des amendements et des propositions de loi au regard des dispositions de la LOLF est identique à celle précédemment décrite pour le contrôle de la recevabilité financière.
L'article 45 du Règlement du Sénat prévoit en effet qu'il « est procédé selon les mêmes règles à l'encontre d'un amendement contraire à l'une des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances » qu'à l'encontre d'un amendement contraire aux dispositions de l'article 40.
Dès lors, le contrôle de la recevabilité organique des amendements s'effectue à la fois a priori et sur invocation d'un sénateur ou du Gouvernement. Il relève de la compétence du président de la commission saisie au fond pour les amendements déposés au stade de l'examen du texte en commission et de la compétence du président de la commission des finances pour les amendements déposés en vue de la séance publique. Les mêmes principes s'appliquent : la préservation de l'initiative parlementaire dans les limites de ce que permet le texte organique, le doute qui profite à l'auteur, le rôle de conseil du président de la commission des finances.
Il convient ici de noter qu'au stade de la séance, le président de la commission des finances est exclusivement chargé du contrôle de la recevabilité financière et de la recevabilité au regard de la LOLF. L'examen de la recevabilité des amendements au regard des dispositions organiques du code de la sécurité sociale relève du président de la commission des affaires sociales205(*).
TROISIÈME PARTIE
LA RECEVABILITÉ
FINANCIÈRE ET ORGANIQUE DES INITIATIVES AYANT TRAIT AUX
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Si le contrôle de la recevabilité financière et organique des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales obéit à la jurisprudence exposée précédemment206(*), comme l'illustrent les nombreux exemples mobilisés à cet effet, il présente également des spécificités, liées aux caractéristiques de ces personnes publiques.
Ainsi que l'avait déjà proposé Philippe Marini, une partie du présent rapport est donc dédiée aux questions jurisprudentielles les plus courantes concernant les collectivités territoriales. En la matière, les initiatives parlementaires sont en effet nombreuses et doivent être conciliées avec les exigences de l'article 40 de la Constitution et les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
En tant que sous-secteur des administrations publiques207(*), les collectivités territoriales se trouvent dans le champ de l'article 40. Sont concernés les trois niveaux de collectivités - régions, départements et communes -, les collectivités à statut particulier208(*), les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution209(*) et la Nouvelle-Calédonie. Sont également inclus dans le champ de l'article 40 les groupements et les organes des collectivités territoriales210(*) ainsi que les établissements publics locaux.
A. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE LA JURISPRUDENCE EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
La jurisprudence exposée précédemment en matière de recevabilité financière s'applique de plein droit aux initiatives parlementaires ayant trait aux collectivités territoriales.
Toute création ou toute aggravation d'une charge publique est donc irrecevable dès lors qu'elle est certaine et directe, et ce même si la concrétisation de la charge peut n'être qu'éventuelle ou facultative, dans le sens où elle dépendrait par exemple d'une décision de la collectivité. Est ainsi irrecevable un amendement assouplissant les conditions de participation des collectivités territoriales au capital de sociétés commerciales, dans la mesure où il crée pour ces personnes publiques une charge potentielle. De même, il est impossible de compenser une charge publique par une nouvelle ressource. L'obligation faite aux collectivités d'établir un budget à l'équilibre (« règle d'or », cf. infra) ne saurait permettre de contourner cette impossibilité.
A contrario, une initiative parlementaire peut diminuer les ressources publiques des collectivités territoriales, à la condition qu'elle soit correctement gagée.
Cette application « classique » de l'article 40 de la Constitution est présentée ci-après à travers quelques-unes des catégories les plus fréquentes d'amendements examinés par le juge de la recevabilité financière211(*).
1. L'augmentation des charges de personnel
Premier poste de dépenses des collectivités territoriales, les dépenses de personnel sont un champ d'application courant de l'irrecevabilité financière212(*).
Sont donc irrecevables tous les amendements parlementaires ayant pour effet d'augmenter le nombre d'emplois à la charge des collectivités, le niveau de rémunération de leurs agents ou la prise en charge de leur coût (par exemple en élargissant les possibilités de détachement au sein d'une collectivité).
Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement autorisant les collectivités locales à fixer un régime indemnitaire plus favorable pour les fonctionnaires territoriaux que celui prévu pour les fonctionnaires de l'État, ce dernier servant de base de référence aux régimes indemnitaires de la plupart des cadres d'emplois territoriaux.
2. L'augmentation des contributions pesant sur les collectivités
Constitue également une aggravation de charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution une augmentation des contributions, fiscales ou non, que les collectivités territoriales sont contraintes d'acquitter213(*).
Ont donc été déclarés irrecevables des amendements visant à assujettir les communes à un impôt sur les plus-values immobilières ou à augmenter le niveau de leur contribution aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Il en est de même pour les amendements qui relèvent le niveau de la cotisation obligatoire versée par les collectivités territoriales au Centre national de la fonction publique territoriale au titre de la formation de leurs agents.
Deux nuances doivent toutefois être apportées - et résultent là encore de l'application classique de la jurisprudence en matière de recevabilité financière :
- d'une part, si l'initiative parlementaire instaure une contribution visant indifféremment les personnes privées et publiques, elle est recevable au titre de la jurisprudence dite « État employeur » ;
- d'autre part, les sanctions (amendes, pénalités) n'entrent pas dans le champ des ressources et des charges publiques au sens de l'article 40 de la Constitution214(*). Des amendements augmentant les intérêts moratoires ou l'indemnité forfaitaire dus par les collectivités territoriales en cas de paiement tardif dans le cadre d'un marché public seraient ainsi recevables. Ils ne pourraient cependant pas être déposés sur un projet de loi de finances.
3. La création de structures coûteuses
Le champ des collectivités territoriales est également fertile en matière d'amendements créant des structures nouvelles ou accroissant la participation des collectivités à des structures coûteuses215(*). Ces initiatives peuvent revêtir diverses formes.
Il peut tout d'abord s'agir de la création de structures publiques à la charge des collectivités territoriales, à l'exception des simples comités consultatifs. Ont ainsi été déclarés irrecevables, car engendrant une charge publique locale nouvelle, des amendements autorisant la création d'un conseil économique, social et environnemental dans chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Le dispositif prévoyait en effet que les collectivités territoriales devaient prendre en charge les moyens d'ingénierie de ces structures et garantirait le soutien financier nécessaire à leur fonctionnement. De même, un amendement déposé sur le projet de loi 3DS a été déclaré irrecevable parce qu'il prévoyait la création d'un service territorial d'incendie et de secours par la collectivité de Saint-Martin, ce qui aurait directement impliqué, pour cette collectivité, d'acquérir les biens immobiliers et matériels ainsi que d'engager le personnel nécessaire à son fonctionnement216(*).
La création de nouvelles catégories de collectivités est a fortiori proscrite par l'article 40 de la Constitution : une nouvelle catégorie de collectivité est assimilable à une nouvelle structure publique qui a vocation à dépenser, à disposer de biens immobiliers et à rémunérer ses élus et ses agents publics. De même, anticiper la création d'une collectivité est irrecevable ; ce fut le cas d'un amendement qui habilitait la Collectivité européenne d'Alsace, avant sa création formelle, à négocier et à conclure un accord portant sur la création d'une agence de coopération transfrontalière du Rhin supérieur.
Sont également contraires à l'article 40 les initiatives parlementaires qui donnent la possibilité aux collectivités territoriales d'adhérer à une structure coûteuse ou ayant vocation à dépenser. Un amendement parlementaire ne peut donc par exemple pas autoriser une collectivité à adhérer à un groupement européen de coopération territoriale ayant pour objet d'exécuter des missions de service public de transport transfrontalier.
Trois exceptions à l'ensemble de ces règles doivent toutefois être mentionnées217(*) :
- les dispositifs qui relèvent de la charge de gestion pour les entités existantes. Un amendement prévoyant de créer une commission des finances pour examiner les délibérations affectant les finances de la commune a ainsi été déclaré recevable. La création de simples structures de coordination, au sein d'une collectivité ou entre collectivités, est également admise, à la condition que ces structures aient strictement vocation à coordonner les actions de leurs membres, qu'elles ne disposent pas de pouvoir propre et que les personnes qui y siègent soient nommées ès-qualité, sans percevoir d'indemnité. Dès lors, le président de la commission des finances a dû déclarer irrecevable un amendement parlementaire dotant les « conseils de territoire » de la personnalité juridique : s'il ne créait pas en lui-même cette structure, échelon intermédiaire entre une métropole et ses communes membres, l'amendement la transformait en structure autonome et coûteuse.
- l'abaissement du seuil de création d'une catégorie d'EPCI (communautés d'agglomération, communautés urbaines), étant donné que cet abaissement ne consiste pas à créer une personne publique mais à assouplir les conditions dans lesquelles une collectivité peut changer de statut, de surcroît au sein de la même strate de collectivités territoriales (bloc communal en l'espèce) ;
- la fusion de personnes publiques locales, dans un objectif de rationalisation budgétaire.
4. Les incitations à dépenser et l'octroi de nouvelles ressources
Dans le cadre du contrôle de la recevabilité financière, une distinction doit être opérée entre :
- d'une part, les initiatives parlementaires qui ont pour objet d'inciter les collectivités territoriales à dépenser, de les autoriser à dépenser (par exemple par l'octroi d'une nouvelle compétence) ou encore de flécher une recette vers une dépense spécifique218(*). Ces initiatives sont irrecevables, même lorsqu'elles ne sont que facultatives et qu'elles n'imposent aucune obligation à la collectivité. Ainsi, un amendement déposé lors de l'examen du projet de loi 3DS autorisant les départements à verser des aides en cas d'urgence, même en l'absence de déclaration de l'état de catastrophe naturelle, a été déclaré irrecevable ;
- d'autre part, les initiatives qui ont pour objet d'augmenter les ressources octroyées aux collectivités territoriales mais sans flécher leur emploi (principe d'université budgétaire). De telles initiatives sont recevables.
La distinction opérée par le juge de la recevabilité financière repose sur l'existence ou non d'un « fléchage », autrement dit sur l'orientation ou non des ressources supplémentaires allouées à la collectivité territoriale vers une dépense spécifique. Une telle initiative reviendrait en effet à compenser la création ou l'aggravation d'une charge publique par l'augmentation d'une recette publique, ce qui est strictement prohibé par l'article 40 de la Constitution.
Le président de la commission des finances a donc dû déclarer irrecevable un amendement déposé sur le projet de loi « Climat et résilience » qui créait une taxe annuelle sur les surfaces de stationnement au profit des communes qui avaient institué la gratuité des transports en commun, dans la mesure où le produit de cette taxe était exclusivement fléché vers le financement des transports en commun.
À l'inverse, et en application du principe d'universalité budgétaire, les amendements parlementaires ayant strictement pour objet d'augmenter le montant d'une taxe affectée au budget des collectivités territoriales, sans fléchage vers une dépense spécifique, ont été déclarés recevables. Dans ce cas, l'accroissement des recettes d'une collectivité ne peut pas être considérée comme une incitation à dépenser.
5. La recevabilité des initiatives consacrant le droit existant, précisant le droit proposé ou créant des « charges de gestion »
Les amendements qui ont pour effet de consacrer la législation existante ou de préciser le droit proposé sont recevables.
Par exemple, le président de la commission des finances a déclaré recevable un amendement déposé lors de l'examen de la proposition de loi relative au statut de l'élu local qui permettait au président du conseil de Guyane ainsi qu'au président de l'assemblée et au président du conseil exécutif de Martinique de bénéficier du remboursement des frais de représentation. Cet amendement revenait à clarifier une disposition du texte proposé, qui prévoyait que ces frais puissent être pris en charge pour les présidents des exécutifs régionaux et départementaux219(*). En revanche, un amendement déposé sur le même texte prévoyant d'étendre le droit au remboursement des frais de représentation aux élus qui remplacent, par délégation, les présidents de conseils départementaux et régionaux dans leur mission de représentation, a été déclaré irrecevable. Il excédait en effet le droit proposé.
De même, les amendements mettant à la charge d'une collectivité une charge dite « de gestion » sont recevables220(*). Un amendement au projet de loi 3DS qui prévoyait la mise en place, dans l'administration de la métropole de Lyon, d'un service chargé de répondre aux questions des maires sur les compétences de la métropole a été jugé recevable. La mise en place de ce service apparaissait en effet absorbable à moyens constants.
6. La jurisprudence « démocratie » et ses limites
En application de la jurisprudence « démocratie », sont examinées avec une certaine tolérance les initiatives ayant trait à la vie démocratique française, dans la mesure où elles ne visent pas directement à créer une charge supplémentaire221(*).
Si cette jurisprudence s'applique aux initiatives parlementaires concernant l'exercice du pouvoir de suffrage des citoyens, elle ne saurait pour autant s'appliquer à celles qui portent sur le fonctionnement des institutions démocratiques ou sur les élus locaux. Ainsi, tandis que des amendements modifiant les modes de scrutin applicables aux élections locales ou augmentant la fréquence des scrutins ont été déclarés recevables, ce n'est pas le cas de ceux qui avaient pour conséquence d'aggraver directement la charge publique que constitue pour les collectivités territoriales la rémunération des élus - par exemple en augmentant leur nombre ou en majorant le plafond des indemnités maximales qui peuvent leur être versées.
L'augmentation de la rémunération des élus locaux peut revêtir diverses formes, toutes proscrites par l'article 40 lorsqu'elles sont d'initiative parlementaire. Ainsi, le président de la commission des finances a déclaré irrecevables des amendements qui augmentaient le plafond des indemnités versées aux maires des communes de moins de 1 000 habitants, qui autorisaient le conseil municipal à appliquer, pour le calcul de la rémunération du maire, le taux indiciaire correspondant à la strate démographique supérieure ou qui donnaient la possibilité au conseil régional d'attribuer une indemnité forfaitaire de résidence au président du conseil régional, lorsque celui-ci ne disposait pas d'un logement de fonction.
Au-delà des indemnités, sont également irrecevables les amendements parlementaires qui créent ou qui élargissent les avantages octroyés aux élus, par exemple en instaurant un remboursement des frais de garde pour l'ensemble des membres du conseil municipal, au lieu du maire et de ses adjoints seulement.
Deux exceptions doivent toutefois être signalées :
- les amendements parlementaires qui modifient les modalités de répartition des indemnités des élus locaux au sein de l'enveloppe indemnitaire globale, sans affecter le montant de cette dernière, sont recevables, lorsque ce montant est plafonné par le droit existant222(*) ;
- les amendements qui majorent la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL), dite dotation « élu local », octroyée aux petites communes pour les aider à prendre en charge les dépenses attachés aux élus locaux (indemnités, protection fonctionnelle, formation). La dotation « élu local » est en effet un prélèvement sur recettes. Une initiative parlementaire peut donc en augmenter le montant, à condition que le dispositif soit gagé (cf. infra).
7. La compensation des pertes de recettes publiques pour les collectivités territoriales
En application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la compensation d'une perte de recettes publiques doit bénéficier à la même personne publique, être certaine et immédiate. Ce principe du « gage », rappelé précédemment223(*), est applicable aux collectivités territoriales.
Toutefois, en matière de finances locales, le respect de ces règles peut être plus difficile que pour l'État. En particulier, recourir à une hausse de la fiscalité locale se heurte au principe de libre administration des collectivités locales : le législateur peut encadrer mais ne peut pas relever le taux d'une imposition locale, cette prérogative appartenant aux organes délibérants des collectivités.
C'est pourquoi le gage le plus courant consiste, dans un premier temps, à compenser la perte de recettes affectant des collectivités par une majoration à due concurrence d'une ressource non fiscale perçue par l'ensemble des collectivités, en l'occurrence la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cependant, n'importe quel prélèvement sur les recettes de l'État (PSR) pourrait être utilisé, à condition d'être effectivement perçu par les collectivités concernées224(*). Dans un second temps, cette majoration de la DGF - ou d'un autre PSR - est gagée pour l'État, traditionnellement par le biais d'un gage « tabac ».
Ce double gage est qualifié de gage « en cascade »225(*).
Pour résumer Une application
« classique » des règles de recevabilité
· Les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics sont soumis aux règles de l'article 40 au même titre que les autres personnes publiques. · Il n'est donc pas possible d'augmenter par un amendement parlementaire une charge pesant sur une collectivité territoriale, même si cette charge n'est que facultative ou potentielle. La charge peut prendre la forme d'une nouvelle dépense, y compris de personnel, d'une compétence ou encore d'une incitation à dépenser. · L'octroi d'une nouvelle ressource à une collectivité n'est possible que si son emploi n'est pas fléché vers une dépense, une compétence ou un usage spécifique. · Des amendements qui ont pour effet de consacrer le droit existant ou de préciser le droit proposé sont recevables. · Il est également possible pour un parlementaire de diminuer les recettes d'une collectivité territoriale, à condition de compenser cette diminution par l'augmentation d'une autre recette locale (gage dit « en cascade »). |
B. LES TRANSFERTS DE CHARGES ET LA MODIFICATION DES COMPÉTENCES
Sous réserve des quelques exceptions présentées précédemment, les transferts de charges et la modification des compétences d'une personne publique font partie des cas « classiques » d'irrecevabilité226(*). Toutefois, les aménagements qui ont pu être apportés concernant les collectivités territoriales ainsi que le nombre d'initiatives parlementaires les concernant justifient de leur consacrer un développement particulier.
1. L'irrecevabilité des transferts de charges
De nombreuses initiatives parlementaires ayant trait aux collectivités territoriales prévoient des transferts de charges, que ce soit entre l'État et les collectivités ou entre différentes strates de collectivités.
Au regard de la recevabilité financière, un transfert de charge ne consiste en effet pas en une modification de la répartition d'une charge mais en la création d'une charge pour une personne publique, compensée par la diminution d'une autre charge pour l'autre personne publique concernée. Or, la rédaction de l'article 40 de la Constitution prohibe cette compensation et prohibe toute création ou aggravation d'une charge publique. Cette dernière s'apprécie en effet à l'échelle de chaque personne publique, en l'espèce de chaque strate de collectivités territoriales, et non « toutes administrations publiques confondues ».
Dès lors, les initiatives parlementaires prévoyant de tels transferts sont en principe irrecevables, selon une jurisprudence constante à l'Assemblée nationale comme au Sénat, sous réserve des quelques exceptions jurisprudentielles développées par les commissions des finances des deux chambres afin de favoriser l'initiative parlementaire, dans le respect des exigences constitutionnelles.
a) Les transferts de charges entre l'État et les collectivités territoriales
En application du principe énoncé ci-dessus, les amendements transférant le financement d'une dépense de l'État - ou des administrations de sécurité sociale - aux collectivités territoriales sont irrecevables. C'est sur ce fondement qu'ont été déclarés irrecevables des amendements prévoyant que les agents de la fonction publique hospitalière nommés dans des fonctions de directeur d'établissements d'aide sociale à l'enfance soient automatiquement détachés dans des cadres d'emplois équivalents de la fonction publique territoriale, ce qui revenait à transférer la rémunération de ces personnels aux collectivités. Que ces amendements prévoient une compensation par l'État ne change rien à la création de la charge qui en résulte pour les collectivités.
Symétriquement, les amendements transférant à l'État une charge publique incombant aux collectivités territoriales sont irrecevables. Tel fut le cas, par exemple, d'un amendement prévoyant que l'État prenne en charge le coût des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sur l'ensemble du temps périscolaire, alors que cette prise en charge relevait alors des communes227(*). De même, des amendements parlementaires prévoyant de transférer le financement du revenu de solidarité active (RSA) d'un département à l'État ont été déclaré irrecevables.
Le transfert de charges peut également prendre une forme moins visible, celle du transfert d'une structure coûteuse, c'est-à-dire la création d'une structure au sein d'une collectivité « compensée » par la suppression d'une structure aux missions identiques au sein de l'État, ou inversement. Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement proposant, pour la défense contre les incendies, de substituer au Centre national de la propriété forestière, qui était un établissement public de l'État, les associations syndicales autorisées, auxquelles peuvent participer des collectivités territoriales.
b) Les transferts de charges entre collectivités territoriales
Ces règles trouvent également à s'appliquer aux transferts de charges entre catégories de collectivités territoriales. À l'instar du raisonnement retenu pour les transferts entre l'État et les collectivités territoriales, ces initiatives ne sont pas analysées comme une modification de la « répartition » de la charge mais comme la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Cette règle trouve son fondement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans une décision de 1976228(*), celui-ci indique que la ressource destinée à compenser la diminution d'une ressource publique doit, en particulier, « bénéficie[r] aux mêmes collectivités [...] que [celles] au profit [desquelles] est perçue la ressource qui fait l'objet d'une diminution ». Si la compensation ne peut se faire au niveau des collectivités dans leur ensemble, c'est bien que l'article 40 doit s'apprécier à un niveau inférieur, pour la perte de recettes publiques comme pour la création ou l'aggravation d'une charge publique.
En revanche, la jurisprudence de la commission des finances229(*) considère que la charge - ou la perte de recettes - n'a pas à être appréciée collectivité par collectivité, ce qui serait dans les faits souvent impossible, mais par strates de collectivités : régions, départements et bloc communal. Ce raisonnement par strate se justifie notamment par le fait que les collectivités de même catégorie bénéficient des mêmes recettes et des mêmes charges et sont donc, d'un point de vue juridique, affectées de la même manière par une initiative parlementaire.
Dès lors, en application de cette jurisprudence favorable à l'initiative parlementaire, les transferts de charge ne sont irrecevables au regard de l'article 40 que s'ils interviennent entre des collectivités appartenant à des strates différentes et non au sein d'une même strate de collectivités.
Ont ainsi été déclarés irrecevables des amendements ouvrant, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, la possibilité de prendre en charge la rémunération des sapeurs-pompiers volontaires en arrêt de travail, en lieu et place des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Une telle faculté revenait en effet à transférer aux communes une charge supportée par les SDIS, lesquels sont principalement financés par des contributions départementales. À l'inverse, un amendement prévoyant un transfert de personnel entre des communes et des EPCI a été déclaré recevable.
Concernant les structures de coopération locale - qu'il s'agisse des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), des syndicats de communes, des syndicats interdépartementaux ou des syndicats mixtes -, elles s'analysent comme des démembrements des collectivités qui en sont membres. La commission des finances estime donc que ces structures doivent être considérées comme relevant de la strate de collectivités qui les composent. Il en découle l'existence d'un « bloc régional », d'un « bloc départemental » et d'un « bloc communal » - ce dernier regroupant communes et EPCI - au sein desquels les transferts de charges sont admis. À l'inverse, lorsqu'un syndicat mixte regroupe des collectivités de strate différente, les transferts de charges entre un tel syndicat et ses membres sont irrecevables.
C'est ainsi que le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement parlementaire permettant aux syndicats mixtes ouverts de verser des fonds de concours à leurs membres pour financer le développement d'équipements publics locaux de distribution d'électricité, puisque cela revenait, pour les régions membres titulaires de la compétence, à faire porter une partie des charges publiques qui en découlent aux autres membres, dont des départements et des blocs communaux.
Distinction entre syndicat mixte ouverts et fermés
Lorsqu'il examine une initiative parlementaire portant sur des syndicats mixtes, le juge de la recevabilité financière prête une attention particulière à son fonctionnement.
Au sein des syndicats mixtes, il convient de distinguer ceux dont la composition est limitée à des collectivités du seul bloc communal (syndicats mixtes « fermés ») et ceux qui sont également « ouverts » à des collectivités territoriales ou à leurs groupements d'autres strates, voire à d'autres établissements publics (y compris les chambres de commerce et d'industrie territoriales, d'agriculture, de métiers, etc.).
Les syndicats mixtes fermés (article L. 5711-1 du code général des collectivités territoriales [CGCT]) sont soumis aux dispositions applicables aux syndicats de communes. Le régime applicable aux syndicats mixtes ouverts est quant à lui défini aux articles L. 5721-2 et suivants du CGCT.
Source : commission des finances
2. Un traitement différencié des modifications des compétences des collectivités
Les compétences sont analysées comme des charges pour les personnes publiques - État comme collectivités - auxquelles elles sont attribuées230(*). Dès lors, les règles « classiques » de la recevabilité financière sont applicables de plein droit aux initiatives parlementaires ayant trait aux collectivités territoriales.
a) La création de compétences
De manière récurrente, les amendements octroyant ou étendant les compétences des collectivités territoriales sont considérés comme irrecevables, puisqu'ils créent ou aggravent une charge publique.
Un amendement prévoyant de permettre à toutes les collectivités territoriales de pouvoir participer au financement des établissements publics et privés d'enseignement du premier et du second degré est donc irrecevable, dans la mesure où les compétences « école élémentaire » et « école secondaire » sont aujourd'hui clairement réparties, entre les communes (premier degré), les départements (collège) et les régions (lycée).
Il convient de noter que le fait qu'une compétence a pu, par le passé, être attribuée à une strate de collectivités ne rend pas recevables les amendements parlementaires visant à rétablir l'exercice de cette compétence par les collectivités concernées. C'est ainsi que le président de la commission des finances a dû déclarer irrecevables de nombreux amendements déposés lors de l'examen du projet de loi 3DS prévoyant soit d'abroger la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi « NOTRe »)231(*), soit de rétablir la clause générale de compétence pour les départements et les régions232(*).
Seuls peuvent être considérés comme recevables les amendements se bornant à préciser une compétence déjà exercée par une collectivité ou, pour le bloc communal, déjà exercée dans le cadre de la clause générale de compétence. Avant que la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) ait été attribuée aux intercommunalités233(*), le juge de la recevabilité financière avait ainsi déclaré recevable un amendement attribuant cette compétence aux EPCI. Cette appréciation s'était appuyée sur plusieurs critères : la compétence n'était alors attribuée à aucune catégorie de collectivité, le bloc communal disposait de la compétence générale et, dans les faits, les ouvrages étaient principalement entretenus par les communes et les EPCI.
b) Les transferts de compétences
Par analogie avec les règles précédemment exposées sur les transferts de charges, les transferts de compétences entre l'État et les collectivités territoriales sont par principe irrecevables, quel qu'en soit le sens.
À l'instar d'une charge, un transfert de compétences s'apprécie juridiquement à l'échelle de la personne publique qui la reçoit, peu important si, en contrepartie, elle reçoit une compensation ou ne verse plus de dotation compensatrice. Dès lors, sont irrecevables les amendements qui visent à transférer à l'État la prise en charge des mineurs non accompagnés, alors que cette compétence relève aujourd'hui des départements, au titre de l'aide sociale à l'enfance. Symétriquement, le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement ouvrant la possibilité aux départements de demander à exercer la compétence « médecine scolaire », exercée par l'État.
Les transferts de compétences entre collectivités sont également irrecevables. Toutefois, selon le même principe qu'évoqué précédemment, et dans une logique favorable à l'initiative parlementaire, le juge de la recevabilité financière considère là-aussi comme recevables des amendements prévoyant un transfert de compétences au sein d'une même strate de collectivités. Ainsi :
- un amendement prévoyant de revenir sur le transfert obligatoire de la compétence « eau et assainissement » des communes à certains EPCI a été déclaré recevable, le transfert se déroulant à l'intérieur du bloc communal ;
- un amendement prévoyant que certains conseils départementaux exercent la compétence de promotion du développement économique en lieu et place des régions a été déclaré irrecevable. Le transfert de compétences proposé avait en effet lieu entre deux strates de collectivités.
Il convient de noter que des amendements qui s'affranchissent de la logique des « blocs » de collectivités constituent également des transferts de compétences. Sont donc contraires à l'article 40 de la Constitution les amendements qui proposent :
- que les collectivités soient libres de se répartir entre elles leurs compétences ;
- que l'ensemble des compétences soient transférées à l'échelon inférieur, sauf dessaisissement de la collectivité concernée (clause de subsidiarité générale) ;
- ou encore que toutes les collectivités puissent devenir des collectivités à statut particulier, pour exercer des compétences relevant aujourd'hui de plusieurs strates.
Les transferts de compétences entre collectivités peuvent revêtir des formes moins évidentes, notamment lorsqu'ils se produisent par l'intermédiaire d'une structure commune ou par la fusion de plusieurs collectivités de différents niveaux. Plusieurs cas peuvent être distingués :
- un amendement autorisant une région et des départements à intégrer une métropole. Les métropoles sont en effet une forme d'EPCI et elles exercent de plein droit des compétences relevant des communes membres. L'intégration d'un département dans une métropole revient donc à confier à ce dernier des compétences rattachées au bloc communal, ce qui rend l'amendement irrecevable ;
- un amendement parlementaire fusionnant une métropole et des départements est également irrecevable, suivant la même logique. En revanche, et depuis l'évolution jurisprudentielle intervenue au mois de juillet 2020, il est loisible au législateur de fusionner plusieurs départements par exemple, dans un objectif de rationalisation budgétaire ;
- enfin, un amendement prévoyant de transférer des compétences entre membres d'un syndicat mixte ouvert est irrecevable. Le raisonnement est le même que pour le transfert de charges, le juge de la recevabilité s'attachant à regarder si le syndicat mixte est fermé ou ouvert (cf. supra).
c) Les délégations de compétences
La délégation de compétences se distingue du transfert de compétences dans la mesure où la compétence relève toujours, juridiquement, de la collectivité délégante. De plus, la collectivité qui reçoit la délégation n'engage pas ses propres deniers, mais agit pour le compte du délégant.
Pour le juge de la recevabilité financière, il convient dès lors simplement de se demander si la collectivité délégataire pourra raisonnablement exercer cette charge sans moyens supplémentaires, ce qui revient à apprécier la délégation de compétence à l'aune des critères retenus pour apprécier une « charge de gestion »234(*).
A ainsi été déclaré irrecevable un amendement prévoyant que la Collectivité de Corse puisse déléguer à des EPCI l'ensemble des compétences qui relevaient jusqu'alors du département. Au regard de l'étendue de la délégation, celle-ci aurait nécessairement impliqué la mobilisation de moyens supplémentaires par les EPCI et se serait traduite par l'aggravation d'une charge publique pour le bloc communal.
S'agissant d'une délégation de compétence de l'État à une collectivité territoriale235(*), elle serait recevable sous les deux conditions cumulatives suivantes :
- être prévue par le droit existant. Il ne serait dès lors pas possible d'excéder le champ des délégations permises par la loi. Pour mémoire, toute délégation de compétences ne peut habiliter les collectivités territoriales à déroger à des règles relevant du domaine de la loi ou du règlement, et aucune délégation ne peut relever « de la nationalité, des droits civiques, des garanties des libertés publiques, de l'état et de la capacité des personnes, de l'organisation de la justice, du droit pénal, de la procédure pénale, de la politique étrangère, de la défense, de la sécurité et de l'ordre publics, de la monnaie, du crédit et des changes ainsi que du droit électoral »236(*) ;
- relever de la charge de gestion, c'est-à-dire pouvoir être exercée à moyens constants par la collectivité délégataire.
Pour résumer Une irrecevabilité, sauf exceptions, des
initiatives transférant · Les amendements transférant le financement d'une dépense de l'État aux collectivités territoriales ou à leurs groupements sont irrecevables, et inversement. · Les transferts de charges entre strates de collectivités sont également irrecevables au titre de l'article 40, à l'exception des transferts au sein d'un même niveau de collectivité, notamment au sein du bloc communal, entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. · L'attribution d'une nouvelle compétence est assimilable à une charge et ne peut donc être opérée par la voie parlementaire. Le transfert d'une compétence d'une collectivité à une autre est également contraire à l'article 40, sauf s'il a lieu au sein d'une même strate de collectivités. · Les délégations de compétences entre collectivités sont autorisées à condition que la collectivité délégataire n'ait pas à mobiliser de moyens supplémentaires pour les exercer. Il en va de même pour une délégation entre l'État et une collectivité, à condition de surcroit d'en respecter le cadre légal. |
C. LES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
En 2024, les transferts financiers entre l'État et les collectivités représenteraient près de 106 milliards d'euros.
Ces transferts revêtent diverses formes, qui répondent à des logiques différentes. Pour apprécier la recevabilité financière des initiatives parlementaires qui les affectent, il convient de distinguer les dotations budgétaires - portées par la mission « Relations avec les collectivités territoriales », mais également par d'autres missions -, les prélèvements sur recettes (PSR), les dégrèvements d'impôts locaux et la fiscalité transférée.
1. Les transferts financiers entre l'État et les collectivités territoriales
a) Les dotations et les fonds financés par l'État
Les initiatives parlementaires visant à créer un fonds financé par des crédits budgétaires de l'État à destination des collectivités territoriales, à élargir les bénéficiaires d'un tel fonds ou encore à augmenter son montant sont irrecevables237(*). De telles initiatives conduiraient en effet à aggraver la charge supportée par l'État.
Les dotations budgétaires de l'État à destination des collectivités territoriales représentent dès lors une charge pour l'État. Ce sont des enveloppes fermées238(*) et il n'est donc pas possible d'augmenter leur montant autrement que sous la forme d'un amendement de crédits déposé sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales »239(*). Entrent dans la catégorie des dotations budgétaires l'ensemble des dotations de soutien à l'investissement (dotation d'équipement des territoires ruraux - DETR ; dotation de soutien à l'investissement local - DSIL ; dotation politique de la ville - DPV), ainsi que les dotations générales de décentralisation et les dotations spécifiques (dotation dite « biodiversité »240(*), dotation titres sécurisés - DTS, etc.).
Il est toutefois possible de modifier leur répartition. Un amendement parlementaire « en lettres » augmentant le montant de la dotation de développement urbain serait donc irrecevable. En revanche, un amendement modifiant les modalités de répartition de cette même dotation serait déclaré recevable, à la condition qu'il n'en modifie pas le montant en parallèle.
La création d'une dotation est a fortiori irrecevable. L'article 40 de la Constitution a ainsi été opposé à un amendement qui créait une dotation de soutien parlementaire à l'investissement des communes et de leurs groupements, en reprenant les modalités de fonctionnement de l'ancienne « réserve parlementaire », notamment un financement par crédits budgétaires.
De même, les initiatives tendant à garantir l'octroi de dotations sur plusieurs exercices ou suite à un changement de circonstances de droit ou de fait concernant ses bénéficiaires sont également irrecevables241(*). Ainsi, un amendement parlementaire ne peut pas imposer à l'État d'octroyer aux collectivités territoriales toutes les dotations et les subventions qu'il avait accordées à un établissement public foncier que la loi supprimait. Il ne peut y avoir non plus un changement d'affectataire ; cela reviendrait à considérer que la charge publique pour l'État - au titre de la dotation versée à une telle catégorie de collectivités - pourrait être compensée par la suppression d'une autre charge - la dotation initiale -, ce que ne permet pas l'article 40.
Enfin, il convient de noter que l'existence d'un encadrement de l'évolution des concours financiers de l'État, par exemple par une enveloppe normée définie en loi de programmation des finances publiques ou dans un « contrat » avec une collectivité, ne constitue pas une base de référence permettant, par un amendement parlementaire, d'augmenter les dotations budgétaires. Non seulement ces règles ont une faible portée normative mais ces amendements impliqueraient nécessairement, pour rester sous l'enveloppe globale, de compenser l'aggravation du montant d'une dotation par la diminution d'une autre.
b) Les prélèvements sur recettes
(1) La nature des prélèvements sur recettes au regard de la recevabilité financière
Opérations situées à la frontière entre dépenses et recettes, les prélèvements sur recettes (PSR) ont fait plus tôt l'objet d'une description détaillée242(*).
Pour mémoire, les PSR sont considérés comme une perte de recettes publiques pour l'État : une initiative parlementaire peut donc en augmenter le montant, à condition qu'elle soit correctement gagée. Symétriquement, toute diminution d'un PSR doit être compensée au profit des collectivités territoriales. En outre, s'il est également possible pour un parlementaire de créer un PSR, deux conditions s'appliquent :
- une telle initiative n'est recevable qu'en loi de finances (domaine exclusif, cf. supra) et gagée ;
- l'institution du PSR ne doit pas créer de nouvelles compétences pour les collectivités, ce qui serait un contournement de l'article 40 et de l'interdiction de créer ou d'aggraver une charge publique.
L'ensemble des PSR est retracé dans le tome I de l'Évaluation des voies et moyens, annexé au projet de loi de finances ainsi que dans un article de la loi de finances. À titre indicatif, la liste des PSR en 2024 est présentée ci-après.
Prélèvements sur les recettes de
l'État au profit
des collectivités territoriales dans la loi
de finances pour 2024
(en milliers d'euros)
Dotation globale de fonctionnement |
27 245 046 362 |
Dotation spéciale pour le logement des instituteurs |
4 753 232 |
Dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements |
30 000 000 |
Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) |
7 104 000 000 |
Compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale |
664 114 745 |
Dotation pour transferts de compensations d'exonérations de fiscalité directe locale |
378 003 970 |
Dotation élu local |
123 506 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité de Corse |
42 946 742 |
Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion |
431 738 376 |
Dotation départementale d'équipement des collèges |
326 317 000 |
Dotation régionale d'équipement scolaire |
661 186 000 |
Dotation globale de construction et d'équipement scolaire |
2 686 000 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
4 000 000 |
Dotation de compensation liée au processus de départementalisation de Mayotte |
107 000 000 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (communes) |
239 658 133 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (établissements publics de coopération intercommunale) |
890 110 332 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (départements) |
1 243 315 500 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (régions) |
467 129 770 |
Dotation de garantie des reversements des fonds départementaux de taxe professionnelle |
272 278 000 |
Fonds de compensation des nuisances aéroportuaires |
6 822 000 |
Compensation des pertes de recettes liées au relèvement du seuil d'assujettissement des entreprises au versement transport |
48 020 650 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité territoriale de Guyane |
27 000 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit des régions au titre de la neutralisation financière de la réforme de l'apprentissage |
122 559 085 |
Dotation globale d'autonomie de la Polynésie française |
90 552 000 |
Compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises des locaux industriels |
4 016 619 586 |
Compensation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale contributeurs au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) subissant une perte de base de cotisation foncière des entreprises |
3 000 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au titre du soutien exceptionnel, au titre de l'année 2023, pour les collectivités territoriales face à la croissance des prix de l'énergie |
400 000 000 |
Compensation de la réforme de 2023 de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
24 700 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État en faveur des communes nouvelles |
17 600 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État visant à abonder le fonds de sauvegarde des départements pour l'année 2024 |
52 862 037 |
Compensation et du lissage des pertes exceptionnelles de recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties |
3 300 000 |
Compensation les pertes de recettes résultant de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties |
7 000 000 |
Prélèvements sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales |
45 057 825 520 |
Source : article 137 de la loi de finances pour 2024
Avec un montant de 27,2 milliards d'euros en 2024, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est le principal PSR et représente plus de 60 % du montant des PSR établis au profit des collectivités territoriales. C'est également à travers la DGF que le Conseil constitutionnel a expressément affirmé que les PSR ne constituaient pas des dépenses de l'État243(*).
À ce titre, et parce que la DGF fait l'objet de nombreuses initiatives parlementaires, il est proposé d'y consacrer un développement spécifique.
(2) Les initiatives parlementaires ayant trait à la dotation globale de fonctionnement
Depuis 2018 et la suppression de la DGF des régions, la dotation globale de fonctionnement se décompose en deux DGF « catégorielles » - une pour les départements, l'autre pour le bloc communal -, elles-mêmes composées de plusieurs dotations. Le montant global de la DGF est fixé en loi de finances initiale.
La dotation globale de fonctionnement,
un
système de « vases communicants »
Le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) est fixé chaque année par la loi de finances. Ainsi, la DGF étant un prélèvement sur les recettes de l'État, une initiative parlementaire tendant à relever son montant doit être gagée au profit de l'État.
La DGF se décompose en une DGF des départements et une DGF du bloc communal, qui bénéficie aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le montant de la DGF des départements est égal au montant réparti l'année précédente, sous réserve des minorations prévues par la loi (article L. 3334-1 du code général des collectivités territoriales [CGCT]). La DGF du bloc communal, est obtenue en retranchant la DGF des départements du montant global de la DGF (article L. 2334-1 du CGCT). Ainsi, comme rappelé précédemment, une initiative parlementaire tendant à relever le montant de la DGF des départements n'a pas besoin d'être gagée au profit de l'État (car elle est financée à l'intérieur de l'enveloppe fermée) mais doit être gagée au profit des communes et EPCI (qui n'appartiennent pas à la même strate), et inversement.
Pour chaque strate, la DGF comporte une part forfaitaire et une part péréquatrice. Schématiquement et par principe, dans les deux cas, le montant des composantes péréquatrices est obtenue par le retranchement des composantes forfaitaires, dont les modalités de calcul sont définies par la loi. Cependant, les augmentations des composantes péréquatrices régulièrement décidées par le législateur ou par le comité des finances locales, tant pour le bloc communal que pour les départements, sont automatiquement financées par minoration des composantes forfaitaires de la DGF de la strate concernée (articles L. 2334-7-1 et L. 3334-4du CGCT).
Ainsi, une initiative parlementaire tendant à augmenter une dotation de péréquation au sein de la DGF (telle que la dotation de péréquation des départements ou, s'agissant des communes, la dotation de solidarité rurale et la dotation de solidarité urbaine), n'a besoin d'être gagée ni au profit de l'État (car cette hausse est financée à l'intérieur de l'enveloppe fermée) ni au profit des collectivités affectées par les minorations des composantes forfaitaires (car celles-ci appartiennent à la même strate que celles bénéficiant de la hausse de leurs dotations de péréquation).
Source : commission des finances et, pour le schéma, direction générale des collectivités locales, « Guide pratique - La dotation globale de fonctionnement », mars 2024.
Il résulte de cette répartition « par vases communicants » plusieurs conséquences sur la recevabilité financière des amendements portant sur les composantes de la DGF. En effet, dans certains cas, cette architecture aboutit à une compensation automatique, au sein de la DGF, de l'augmentation de certaines de ses composantes - au détriment des autres244(*).
Ainsi, tout amendement parlementaire visant à majorer la DGF des départements aura pour effet de minorer le montant de la DGF du bloc communal. Il doit donc être gagé au profit des collectivités « perdantes », c'est-à-dire celles du bloc communal.
En revanche, si un amendement porte sur l'une des composantes de la DGF des départements, par exemple en augmentant la dotation forfaitaire des départements, il n'a pas besoin d'être gagé. En effet, si l'augmentation de la dotation se traduira mécaniquement par la diminution de la dotation de péréquation, la strate de collectivités affectée est la même. Or, pour mémoire, la perte de recettes, tout comme la charge, ne s'apprécie pas au niveau de chacune des collectivités mais au niveau de chaque strate de collectivités. S'il est donc indéniable qu'un tel amendement diminue les ressources de certains départements, le montant des recettes allouées à l'ensemble des départements demeure le même.
Le raisonnement est identique pour les amendements portant sur les composantes de la DGF du bloc communal. La hausse de la dotation d'aménagement - qui comprend les dotations de péréquation, est par exemple automatiquement compensée par une minoration de la dotation forfaitaire des communes. Un tel amendement n'a pas besoin d'être gagé : si certaines communes perdront des recettes, le montant global des recettes alloué au bloc communal n'est pas affecté. La logique d'approche par strate apparaît en ce sens très favorable à l'initiative parlementaire.
Pour résumer, tout amendement affectant la répartition de la DGF entre départements et bloc communal doit être gagé au profit de la strate de collectivités affectée, tandis que tout amendement portant sur les composantes de chacune des catégories de la DGF n'a pas besoin d'être gagé - s'il n'augmente pas en parallèle le montant total de la DGF.
c) Les exonérations et dégrèvements de fiscalité locale
Les initiatives parlementaires prévoyant ou élargissant des exonérations ou des dégrèvements de fiscalité locale sont par principe recevables si elles sont correctement gagées.
Doivent dès lors être distingués les exonérations de fiscalité locale, qui doivent être gagées au profit des collectivités territoriales qui perçoivent la recette publique concernée, et les dégrèvements d'impôts locaux, qui doivent être gagés au profit de l'État245(*). Comme pour l'ensemble des amendements, la commission des finances s'efforce de proposer systématiquement une rectification des gages incorrects.
2. Les règles ayant trait à l'encadrement des finances des collectivités territoriales
Le législateur peut prévoir la mise en place de règles contraignantes pour encadrer le niveau des dépenses d'une personne publique. En revanche, supprimer ou assouplir ces règles revient à autoriser la personne publique à dépenser plus et constitue donc une incitation à dépenser, irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Que la personne publique saisisse ou non cette opportunité ne rentre pas dans l'analyse du juge de la recevabilité financière, qui se contente d'analyser la portée juridique du dispositif.
La loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022246(*) prévoyait par exemple la mise en place des « contrats de Cahors », un dispositif visant à encadrer, à peine de sanction financière, l'évolution des dépenses des plus grandes collectivités territoriales entre 2018 et 2020. Dès lors, le président de la commission des finances a dû déclarer irrecevable des amendements supprimant ce dispositif. Depuis 2020, l'évolution des dépenses des collectivités territoriales ne fait plus l'objet d'aucun dispositif légal d'encadrement. Si le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 entendait, dans sa version initiale, reconduire un dispositif d'encadrement d'inspiration comparable aux contrats de Cahors, les parlementaires ont pu supprimer ce dispositif par amendement, le droit existant ne comportant plus de dispositif d'encadrement des finances des collectivités locales.
Le raisonnement est similaire pour les initiatives parlementaires visant à supprimer ou à assouplir la « règle d'or » budgétaire des collectivités, aux termes de laquelle une collectivité doit obligatoirement adopter un budget dans lequel la section de fonctionnement et la section d'investissement sont à l'équilibre247(*), l'investissement étant par ailleurs la seule section pour laquelle la collectivité peut recourir à l'emprunt pour couvrir une partie de ses besoins.
Supprimer cette règle d'or ou le principe des deux sections, ou en modifier le périmètre, revient donc à permettre aux collectivités territoriales soit de dépenser plus, soit de financer des dépenses de fonctionnement par de l'emprunt, ce qui est coûteux. Dans les deux cas, il s'agit d'une autorisation à dépenser et donc d'une aggravation de charge publique au sens de l'article 40.
Des amendements déposés lors de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » et prévoyant la création d'une section « transition environnementale » au sein du budget des collectivités territoriales, en plus des sections de fonctionnement et d'investissement, ont donc été considérés comme une tentative de contourner la règle d'or et l'encadrement des dépenses des collectivités territoriales. En effet, des dépenses relevant du fonctionnement mais ayant trait à la transition environnementale auraient pu être inscrites dans cette nouvelle section mais financées par de l'emprunt, ce qui est contraire à la règle selon laquelle seules les dépenses d'investissement peuvent être pour partie couvertes par de la dette.
3. Les relations financières entre collectivités
Les initiatives parlementaires relatives aux modalités de répartition des dotations ou des fonds de péréquation sont recevables, sous la condition qu'elles n'impliquent des transferts de charges qu'au sein de la même strate de collectivités.
Les amendements relatifs aux divers fonds de péréquation sont donc par principe recevables sans gage, dès lors que ces fonds sont dédiés à une strate de collectivité donnée. Il est donc possible, pour un dispositif parlementaire, de modifier sans gage les critères de répartition du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) : l'amendement entraînera certes des pertes pour une partie des communes ou des EPCI, mais aucune à l'échelle du bloc communal. Une initiative parlementaire tendant à créer un fonds de péréquation serait également recevable.
Suivant le même raisonnement que pour les fonds de péréquation, il est possible pour un parlementaire de modifier les règles de calcul (ou modalités de répartition) des attributions de compensation, qui viennent tirer les conséquences de transferts de compétences entre les EPCI et les communes membres ; et ce tant que le dispositif ne conduit pas à modifier la répartition des compétences entre deux strates de collectivités différentes.
Pour résumer La recevabilité des initiatives
parlementaires portant sur les relations · L'augmentation d'une dotation budgétaire de l'État aux collectivités territoriales ne peut que prendre la forme d'un amendement de crédits déposé lors de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances. Les dotations constituant des enveloppes fermées, il est en revanche possible de modifier leur répartition, sans en augmenter le montant global. · Une initiative parlementaire peut augmenter le montant d'un prélèvement sur recettes de l'État à destination des collectivités territoriales, y compris la dotation globale de fonctionnement, à la condition que le dispositif soit gagé afin de compenser la perte de recettes pour l'État. · De même, les initiatives parlementaires prévoyant ou élargissant des exonérations ou des dégrèvements de fiscalité locale sont recevables si elles sont correctement gagées. · Les amendements relatifs aux modalités de répartition des dotations entre collectivités ou des fonds de péréquation horizontale sont recevables, sous réserve qu'ils n'impliquent des transferts de charges qu'au sein de la même strate de collectivités. |
II. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES
La recevabilité des amendements s'examine également au regard des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), et notamment de son article 34248(*).
Selon une application classique du contrôle de la recevabilité au titre de la LOLF, les initiatives249(*) ayant trait aux collectivités territoriales doivent respecter deux principes pour être recevables : appartenir au domaine des lois de finances (domaine exclusif, obligatoire ou partagé) et être déposées dans la bonne partie de la loi de finances (principe de bipartition).
S'agissant du premier point, les finances locales se distinguent par le fait que les amendements ne relèvent pas, en grande majorité, du champ exclusif des lois de finances et peuvent donc être examinés dans le cadre d'autres textes. La principale exception concerne la création d'un prélèvement sur recettes, qui relève du domaine exclusif des lois de finances (articles 6 et 34 de la LOLF).
S'agissant du second point, la réforme de la LOLF250(*) a considérablement simplifié les règles applicables à la bipartition. Pour les prélèvements sur recettes et la fiscalité locale, le principe est le suivant : les modalités de calcul relèvent de la première partie, les modalités de répartition de la seconde.
L'application de la recevabilité organique - domaine des lois de finances et bipartition - aux initiatives ayant trait aux collectivités territoriales est détaillée ci-après, en retenant quelques grandes catégories qui font l'objet de nombreux amendements lors de l'examen des lois de finances.
A. LES AMENDEMENTS RELATIFS À LA FISCALITÉ LOCALE
Avant la réforme de la LOLF251(*), la première partie de la loi de finances ne pouvait comporter que des dispositions relatives aux ressources de l'État susceptibles d'affecter son équilibre budgétaire. Dès lors, aucun dispositif ni aucun amendement portant sur la fiscalité locale ne pouvaient relever de la première partie, puisqu'ils n'avaient par définition aucun impact sur le solde budgétaire de l'État. Ils devaient donc être déposés en seconde partie.
Depuis le projet de loi de finances pour 2023, la première partie de la loi de finances « peut comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à une personne morale autre que l'État »252(*), ce qui inclut les impositions affectées aux collectivités territoriales. Ainsi rédigée, cette disposition de l'article 34 implique que les initiatives ayant trait au calcul et au recouvrement des impôts locaux :
- relèvent du domaine partagé des lois de finances. Elles peuvent donc également être déposées sur un projet de loi ordinaire ;
- relèvent le cas échéant de la première partie de la loi de finances. Pour être recevable au titre de la LOLF, tout amendement créant une exonération, un dégrèvement ou un abattement de fiscalité locale ou encore modifiant l'encadrement des taux d'imposition ensuite fixés par les collectivités territoriales doit donc être déposé en première partie.
En revanche, l'article 34 de la LOLF dispose également que la seconde partie de la loi de finances « peut [...] définir les modalités de répartition [...] des recettes fiscales affectées à ces dernières et à leurs établissements publics ». Cette disposition implique que toute initiative, parlementaire ou gouvernementale, tendant à modifier la répartition des recettes fiscales affectées aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics :
- relève du domaine partagé des lois de finances. Une disposition d'une loi ordinaire peut donc modifier la répartition d'une recette fiscale ;
- relève obligatoirement de la seconde partie de la loi de finances.
Le président de la commission des finances a donc dû déclarer irrecevables au titre de la LOLF des amendements déposés lors de l'examen de la première partie de la loi de finances prévoyant de modifier les modalités de répartition de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) entre les communes et les ECPI. Il avait toutefois indiqué aux auteurs, ainsi que cela est fait systématiquement s'agissant du contrôle du respect du principe de bipartition, que ces amendements pourraient être redéposés pour l'examen de la seconde partie de la loi de finances.
Il convient enfin de noter que relèvent du domaine exclusif des lois de finances les initiatives affectant totalement ou partiellement à une autre personne morale que l'État les ressources établies à son profit (article 2 de la LOLF).
Affecter une nouvelle ressource à une collectivité territoriale hors d'une loi de finances est donc contraire à la LOLF et n'est pas recevable. Consulté par un président de commission lors de l'examen du projet de loi « Climat et résilience », le président de la commission des finances avait indiqué qu'un amendement prévoyant d'affecter une part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) aux collectivités ayant conclu un plan climat-air-énergie était irrecevable au titre de la LOLF.
Pour résumer La recevabilité organique des initiatives
portant · Les initiatives ayant trait à la fiscalité locale relèvent du domaine partagé des lois de finances. Elles peuvent donc également être examinées dans le cadre de textes « ordinaires ». · Les amendements portant sur les modalités de calcul (taux et assiette) et le recouvrement des impôts locaux doivent être placés en première partie de la loi de finances. A contrario, les amendements tendant à modifier la répartition des recettes fiscales affectées aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics doivent être placés en seconde partie. · En revanche, relèvent du domaine exclusif des lois de finances l'affectation aux collectivités de recettes établies au profit de l'État, tout comme la création d'un prélèvement sur les recettes de l'État établi au profit des collectivités territoriales. |
B. LES AMENDEMENTS RELATIFS AUX CONCOURS DE L'ÉTAT
La recevabilité organique des amendements portant sur les concours de l'État aux collectivités s'apprécie selon le dispositif proposé. Trois situations peuvent être distinguées : la création, le montant et la répartition du concours de l'État.
La question se pose tout particulièrement pour les prélèvements sur recettes (PSR), qui sont le sujet des initiatives parlementaires les plus fréquentes et qui font donc l'objet, à ce titre, d'une attention particulière dans les développements suivants.
1. La création d'un concours de l'État
Ainsi que cela a été rappelé précédemment, depuis la réforme de la LOLF et le projet de loi de finances pour 2023, l'institution d'un PSR relève du domaine exclusif des lois de finances (articles 6 et 34 de la LOLF) et de la première partie.
Il n'est donc plus possible, pour un parlementaire ou pour le Gouvernement, d'instaurer un PSR dans un texte non financier. Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable au regard de la LOLF un amendement déposé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative au statut de l'élu local et instituant un PSR pour la prise en charge des indemnités des maires. Il en a été de même pour un amendement déposé lors de l'examen du projet de loi relatif à la construction de nouvelles installations nucléaires et créant un PSR en faveur des collectivités locales impliquées dans l'accueil de projets de réacteurs électronucléaires.
2. Le montant des concours de l'État
Lorsque le concours de l'État prend la forme d'une dotation, portée par une mission budgétaire, les amendements parlementaires visant à modifier le montant doivent être déposés en seconde partie, lors de l'examen des missions budgétaires, et en respectant les règles relatives à la recevabilité des amendements de crédits253(*).
L'appréciation de la recevabilité organique des amendements portant sur les modalités de calcul des prélèvements sur recettes soulève davantage de difficultés. L'article 34 de la LOLF dispose en effet que « dans la première partie, la loi de finances de l'année [...] institue et évalue chacun des prélèvements [sur recettes] ».
Le cas le plus simple a trait aux amendements qui ont un impact sur le niveau des PSR et qui doivent donc être déposés en première partie de la loi de finances. Le montant global de la DGF est par exemple déterminé en première partie et les amendements visant à en indexer le montant sur l'inflation ne sont également recevables qu'en première partie.
Ces initiatives ne relèvent toutefois pas du domaine exclusif des lois de finances. Il est dès lors tout à fait possible pour un parlementaire ou pour le Gouvernement de modifier le montant d'un PSR dans un texte ordinaire ; c'est ainsi qu'ont été déclarés recevables des amendements à la proposition de loi relative au statut de l'élu local et visant à augmenter le montant de la dotation « élu local », un PSR254(*).
Les amendements tendant à définir
les modalités
de calcul d'un prélèvement sur
recettes
Si les règles de la loi organique relative aux lois de finances sont claires s'agissant de l'application du principe de bipartition aux amendements instituant un PSR (première partie) ou en modifiant les modalités de répartition (seconde partie), elles sont silencieuses sur les initiatives portant sur les modalités de calcul du PSR.
Un cas concret s'est posé à la commission des finances lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024. Le Gouvernement a institué en première partie de la loi de finances un nouveau PSR au profit des communes nouvelles, prenant la forme d'une part d'amorçage destinée à accompagner la création de communes nouvelles et d'une part de garantie destinée à compenser, pour les communes nouvelles, une éventuelle baisse des attributions perçues au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Il a complété ce dispositif par un article en seconde partie, qui définissait les modalités de calcul de ces deux parts. Contrairement à un PSR tel que la DGF, ces règles ne visaient pas à répartir une enveloppe fermée dont le montant était fixé de façon ferme en première partie mais à déterminer le droit à un financement de toute commune nouvelle qui remplirait les conditions posées.
Lors de l'examen du texte, la commission des finances a considéré qu'un tel dispositif gagnait en clarté à être rapatrié en première partie de la loi de finances, et ce pour deux raisons : l'initiative parlementaire et le respect de la lettre de la LOLF. En effet, en le laissant en seconde partie, il aurait été impossible pour un parlementaire de modifier les modalités de calcul, en rehaussant le montant de la dotation d'amorçage par exemple : une telle augmentation aurait eu pour effet d'augmenter le montant global du PSR, ce qui n'est recevable qu'en première partie.
Toutefois, le Conseil constitutionnel ne s'étant pas prononcé sur cette question dans sa décision sur la loi de finances pour 2024, un amendement tendant à prévoir les modalités de calcul d'un PSR en seconde partie ne serait pas déclaré irrecevable.
Source : Commission des finances du Sénat
Aux termes de l'article 34 de la LOLF, « dans la seconde partie, la loi de finances de l'année [...] peut définir les modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales », ce qui implique que de telles initiatives, à l'instar de celles portant sur la répartition des recettes fiscales locales :
- relèvent du domaine partagé des lois de finances. Ainsi, une initiative parlementaire ou gouvernementale peut modifier la répartition des concours de l'État dans le cadre d'une loi ordinaire ;
- relèvent obligatoirement de la seconde partie de la loi de finances.
De telles initiatives peuvent par exemple concerner les modalités de répartition de la DGF ou encore les règles d'éligibilité aux dotations d'investissement de l'État, telles que la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
Il convient toutefois de noter que la rédaction de l'article 34, en retenant la notion de « concours de l'État », exclut du domaine des lois de finances les modalités de répartition des fonds ou des subventions versées entre collectivités, par exemple entre un EPCI et ses communes membres, ou entre un département et le bloc communal au titre des compétences transférées aux métropoles. De telles initiatives seraient dès lors irrecevables en loi de finances. Ces « concours financiers » doivent être distinguées des fonds de péréquation horizontaux.
3. La répartition des fonds de péréquation
La question de la recevabilité en loi de finances des initiatives tendant à modifier les fonds de péréquation horizontaux pourrait se poser. Contrairement aux mécanismes de péréquation verticale, financés par l'État, les fonds de péréquation horizontaux sont financés par les collectivités elles-mêmes et ne peuvent donc pas être qualifiés de « concours de l'État ».
Cependant, force est de constater que les projets de loi de finances comportent fréquemment, parfois dès leur dépôt, des articles relatifs aux fonds de péréquation horizontaux, que ce soit pour en créer ou pour en modifier le fonctionnement, notamment par le biais des indicateurs financiers.
Si le silence du Conseil constitutionnel ne vaut pas acceptation, il convient de noter que, dans sa décision sur la loi de finances pour 2010, le juge constitutionnel avait déclaré d'office irrecevables trois dispositifs considérés comme des « cavaliers budgétaires », c'est-à-dire comme ne relevant d'aucun des domaines des lois de finances. Or, la mise en place de deux fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'en faisait pas partie255(*).
De plus, depuis la réforme de la LOLF, sont expressément recevables en seconde partie les amendements portant sur la répartition des recettes fiscales affectées aux collectivités territoriales, ce qui peut donc couvrir certains dispositifs de péréquation256(*).
Dès lors, le président de la commission des finances tend à considérer comme recevables en loi des finances des initiatives portant sur la péréquation horizontale, à la condition qu'elles soient déposées en seconde partie. Il a donc dû déclarer irrecevable un amendement déposé sur la première partie et modifiant les modalités de répartition du FPIC, tout en indiquant à ses auteurs qu'il pourrait être redéposé en seconde partie.
C. LES CAVALIERS BUDGÉTAIRES
Enfin, certaines dispositions ayant trait aux collectivités territoriales ne trouvent pas leur place en loi de finances. Elles sont définies par la négative : toutes les initiatives ne pouvant être rattachées à l'une des dispositions des articles 6, 34 et 36 de la LOLF (cf. tableau infra) sont irrecevables en lois de finances.
Parmi les cas les plus récents de censure de cavaliers budgétaires par le Conseil constitutionnel figurent l'élargissement des missions au titre desquelles un établissement public territorial de bassin peut remplacer la contribution budgétaire de ses membres par une contribution assise sur le produit de la fiscalité locale ou encore la définition des modalités de versement des fonds de concours entre les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris et les communes qui en sont membres.
S'agissant enfin des demandes de rapport, il convient de rappeler que leur recevabilité organique fait l'objet d'un contrôle très strict du Conseil constitutionnel : quand bien même la seconde partie de la loi de finances peut comporter des dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, ce qui inclut les collectivités territoriales, le contenu du rapport doit pouvoir être rattaché à une autre disposition recevable en loi de finances. Par exemple, un rapport portant sur les relations financières entre un EPCI et ses communes membres serait très probablement considéré comme un cavalier budgétaire.
Domaine et structure des lois de finances de
l'année
- dispositions ayant trait aux collectivités
territoriales257(*)
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Première partie |
|||
Autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État (1° du I) |
× |
× |
|
Dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une personne morale autre que l'État (3° bis du I) |
× |
||
Institution et évaluation des prélèvements sur recettes (4° du I) - ce qui inclut la création d'un PSR et la modification de son montant |
× |
||
Évaluation de chacune des recettes budgétaires (5° du I) |
× |
× |
|
Données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre (tableau d'équilibre) (7° du I) |
× |
× |
|
Affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État258(*) |
× |
Domaine obligatoire |
Domaine exclusif |
Domaine partagé |
|
Seconde partie |
|||
Définition des objectifs de performance et des indicateurs associés à ces objectifs (4° bis du II), par exemple ceux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » |
× |
× |
|
Présentation, pour chaque mission, du montant des crédits de paiement (en distinguant les dépenses d'investissement) et des montants des dépenses fiscales, des ressources affectées, des prélèvements sur recettes et des crédits des comptes spéciaux qui concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques financées par la mission (4° ter du II) |
× |
× |
|
Autorisation de l'octroi des garanties de l'État et fixation de leur régime (5° du II) |
× |
||
Autorisation de prise en charge des dettes de tiers et fixation de leur régime (6° du II) |
× |
||
Définition des modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales qui leur sont affectées (c du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques (e du 7° du II) |
× |
||
Dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics (f du 7° du II) |
× |
||
Création d'annexes générales destinées à l'information du Parlement (7° de l'article 51) |
× |
Source : commission des finances
QUATRIÈME PARTIE
LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
ET
ORGANIQUE DES INITIATIVES AYANT TRAIT
AUX ADMINISTRATIONS DE
SÉCURITÉ SOCIALE
La recevabilité financière et organique des amendements concernant les administrations de sécurité sociale est examinée selon les mêmes règles et la même jurisprudence que celles exposées précédemment259(*), comme l'illustrent les exemples déjà mobilisés à cet effet.
Toutefois, certaines spécificités de ce secteur institutionnel, le nombre important d'amendements déposés chaque année sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et la fréquence des textes « sociaux » justifient de rassembler les questions de recevabilité les plus courantes dans une partie dédiée.
I. LA RECEVABILITÉ AU TITRE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 40 EN MATIÈRE SOCIALE
Les règles de recevabilité financière des amendements s'appliquent à l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), soit à un périmètre plus large que celui des seuls organismes relevant des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).
1. Le périmètre des administrations de sécurité sociale
a) Un périmètre large, qui excède le champ de la protection sociale
Au sens de la comptabilité nationale260(*), les ASSO regroupent :
- les régimes d'assurance sociale, qui comprennent :
* le régime général de la sécurité sociale, ce qui recouvre la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Plus communément, le régime général est décrit par ses branches, au nombre de six : famille, maladie, accidents du travail - maladies professionnelles, retraite, autonomie et recouvrement ;
* les fonds spéciaux, qui versent des prestations sociales et sont financés par des quotes-parts de cotisations provenant des caisses de sécurité sociale ou qui répartissent les recettes affectées entre les différentes caisses. Sont notamment visés le Fonds commun pour les accidents du travail (FCAT), le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), le Service social d'allocation aux personnes âgées (SASPA), le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ou encore le Fonds de compensation des organismes de sécurité sociale (FCOSS) ;
* les autres régimes de base des salariés (régimes spéciaux d'entreprises et d'établissements publics, salariés agricoles etc.) ;
* les régimes des non-salariés (dont la mutualité sociale agricole, pour les exploitants agricoles) ;
* les régimes complémentaires d'assurance vieillesse des salariés (Agirc-Arrco par exemple) ;
* la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ;
* le fonds de réserve des retraites (FRR).
- l'assurance chômage ;
- les organismes dépendant des assurances sociales (ODASS), qui regroupent les hôpitaux de l'assistance publique, les hôpitaux privés financés par la dotation globale hospitalière ainsi que les oeuvres sociales intégrées aux organismes de sécurité sociale261(*).
Certains de ces régimes et organismes relèvent également du domaine des LFSS. Objets de nombreux amendements, ils sont par conséquent décrits plus précisément dans un second temps.
b) Le cas particulier du régime d'indemnisation du chômage et des régimes complémentaires
Sans qu'ils fassent partie du champ des lois de financement de sécurité sociale, appartiennent aux ASSO et entrent donc dans le champ d'application de l'article 40 de la Constitution :
- le régime d'indemnisation du chômage, soit l'Unedic et France Travail (anciennement Pôle Emploi262(*)) ;
- les régimes d'assurance vieillesse complémentaire obligatoires, principalement la retraite complémentaire des salariés de l'agriculture, du commerce, de l'industrie et des services (Agirc-Arrco) et l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec).
(1) L'Unedic, une pleine intégration au champ de l'article 40
L'intégration du régime d'indemnisation du chômage dans le champ de l'article 40 de la Constitution est désormais admise. Si le caractère paritaire et privé de la gestion du régime par l'Unedic a pu conduire, dans un premier temps, à l'exclure du champ d'application de l'article 40, la garantie financière « inconditionnelle et irrévocable » accordée par l'État263(*) à ce régime depuis 2012 explique désormais qu'il soit pleinement intégré dans le champ du contrôle de la recevabilité financière. En loi de finances pour 2024, cette garantie a été octroyée, à titre gratuit, pour les emprunts obligataires contractés par l'Unedic dans la limite d'un plafond global en principal d'un milliard d'euros264(*).
(2) Les régimes complémentaires
La question de l'inclusion dans le champ de l'article 40 de la Constitution des régimes complémentaires est plus délicate et implique de distinguer leur caractère obligatoire ou facultatif.
Par principe, les régimes de retraite complémentaires obligatoires sont inclus dans le champ de l'article 40. Le caractère paritaire et privé de la gestion de ces régimes ne peut en effet justifier à lui seul leur exclusion du contrôle de la recevabilité financière. Ces régimes, principalement composés de l'Agirc-Arrco et de l'Ircantec sont considérés comme des administrations de sécurité sociale au sens de la comptabilité nationale : leurs déficits et leurs dettes sont pris en compte dans le calcul du solde des administrations publiques. Ils entrent donc dans le champ d'application de l'article 40, une lecture partagée par l'Assemblée nationale.
Pour les régimes complémentaires en matière de santé, la jurisprudence les a longtemps exclus du champ du contrôle de la recevabilité financière. Toutefois, les évolutions constatées ces dernières années ont obligé le juge de la recevabilité financière à réviser cette analyse. Par exemple, la complémentaire santé solidaire (CSS) est financée par la Caisse nationale d'assurance maladie via le produit de la taxe de solidarité annuelle ; c'est donc un régime public, financé par l'État. C'est ainsi que le président de la commission des finances a déclaré irrecevable, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, un amendement élargissant les conditions d'accès à la CSS, puisqu'il aggravait une charge publique.
Il convient de noter que l'Assemblée nationale a elle aussi ouvert la voie à un changement de sa jurisprudence, en reconnaissant que « les frontières entre les régimes de base et les complémentaires en matière de santé sont de plus en plus poreuses - en atteste la création de la complémentaire santé solidaire (CSS), ou du « 100 % santé » dans le domaine de l'optique, du dentaire et de l'audiologie - ce qui pourrait conduire, à l'avenir, à réviser cette jurisprudence. »265(*)
En revanche, n'entrent pas dans le champ des ASSO et ne relèvent donc pas de l'article 40 de la Constitution les régimes complémentaires facultatifs (santé et assurance vieillesse). À la différence de certains régimes obligatoires, ces régimes d'assurance sociale privée autonomes sont classés parmi les sociétés financières (compagnies d'assurance, instituts de prévoyance, mutuelles).
2. Les dispositions et les organismes relevant du champ des lois de financement de la sécurité sociale
Le champ des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) est plus restreint que celui des ASSO. Autrement dit, le périmètre des organismes entrant dans le champ de l'article 40 est plus large que celui des organismes relevant du domaine des LOFSS.
Aux termes des articles L.O. 1111-3-2 à L.O. 1111-3-8 du code de la sécurité sociale, qui définissent le domaine des LFSS, ce dernier comprend :
- les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ainsi que les organismes concourant au financement de ces régimes, dont le FSV par exemple ;
- les dispositions relatives à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de l'ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que ses sous-objectifs ;
- les organismes chargés de l'amortissement de la dette des régimes obligations de base et des organismes concourant à leur financement, dont la Cades. Le FRR relève également du champ des LFSS dans la mesure où celles-ci doivent obligatoirement comprendre les prévisions de recettes affectées aux fins de mise en réserve, au profit des régimes et organismes précités ;
- les établissements de santé relevant du service public hospitalier ainsi que les établissements médico-sociaux publics et privés à but non lucratif financés tout ou en partie par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et soumis à un objectif de dépenses.
a) Les régimes obligatoires de base
Un document présentant la liste des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) est annexé chaque année au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Le tableau ci-après reprend, à titre indicatif, la liste des ROBSS en 2022, telle que communiquée en annexe au PLFSS pour 2024.
Les 32 régimes obligatoires de base de la sécurité sociale
Régime général (1) |
Population couverte : salariés du secteur privé, employés de maison, agents non titulaires des fonctions publiques d'État, territoriale et hospitalière, artistes auteurs, professions artisanales, industrielles et commerciales, fonctionnaires civils, ouvriers de l'État et fonctionnaires de La Poste et France Télécom, agents titulaires des collectivités locales et hospitalières, professions libérales (hors artistes auteurs et avocats), étudiants, agents titulaires des industries électriques et gazières, frontaliers suisses, rentiers, etc. |
Régimes agricoles (2) |
Régime des exploitants agricoles |
Régime des salariés agricoles |
Régimes des non-salariés - non agricoles (2) |
Caisse autonome d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) |
Caisse nationale du barreau français (CNBF) |
Régimes spéciaux et assimilés (11) |
Régime des fonctionnaires civils et militaires de l'État |
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) |
Fonds d'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales (FATIACL) |
Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la société nationale des chemins de fer français (SNCF) Régime spécial des agents de la SNCF |
Caisse de retraite du personnel de la régie autonome des transports parisiens (RATP) Régime spécial de la RATP |
Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) |
Régime spécial des industries électriques et gazières (IEG) |
Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM) |
Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) |
Établissement national des invalides de la marine (ENIM) |
Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et des employés de notaires (CRPCEN) |
Autres régimes spéciaux (16) |
Caisse d'assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC) |
Assemblée nationale |
Sénat |
Service d'allocation spéciale aux personnes âgées (SASPAV) |
Banque de France |
Rentes accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM) |
SEITA (employés de l'industrie des tabacs et allumettes) |
Opéra de Paris |
Préfecture du Haut-Rhin |
Régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels (RISP) |
Comédie française |
Mairie de Paris |
Assistance publique de Paris |
Département de Paris |
CRCFE (agents des chemins de fer d'Éthiopie) |
CRRFOM (agents des chemins de fer d'outre-mer |
*Les cases en gris correspondent aux régimes en extinction.
Source : commission des finances, d'après l'annexe n° 1 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024
b) Les organismes participant au financement des régimes de base
Ainsi qu'énoncé précédemment, relèvent également du champ des LFSS les organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit, et les organismes finançant et gérant des dépenses relevant de l'Ondam. L'annexe n° 2 au PLFSS en dresse une liste non exhaustive266(*), parmi lesquels :
- le fonds de solidarité vieillesse (FSV) ;
- le fonds de réserve pour les retraites (FRR) ;
- la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ;
- les fonds « amiante », à savoir le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) ;
- les fonds « médicaux et hospitaliers », tels que le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS) ;
- certaines agences de « sécurité sanitaire », qui bénéficient d'une dotation de l'assurance maladie, parfois en complément d'une subvention pour charge de service public retracée dans la mission « Santé » - l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), la Haute autorité de santé (HAS), l'Établissement français du sang (EFS), l'Agence de biomédecine (ABM) ou encore l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ;
- d'autres établissements publics bénéficiant d'une subvention de l'assurance maladie, tels que les agences régionales de santé (ARS), l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) et le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) ;
- des groupements d'intérêt public dont les ressources comprennent des dotations versées par l'État et les organismes de sécurité sociale, à l'instar de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ou l'Agence du numérique en santé.
c) Les établissements de santé et les structures sociales et médico-sociales
Les établissements de santé relevant du service public hospitalier ainsi que les établissements médico-sociaux publics et privés à but non lucratif financés en tout ou partie par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et soumis à un objectif de dépenses appartiennent également au champ des LFSS. Ils recouvrent :
- au titre du sous-objectif de l'Ondam « établissement de santé », les établissements publics de santé, les établissements privés de santé d'intérêt collectif (Espic), les groupements de coopération sanitaire (GCS) ainsi que les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ;
- au titre du sous-objectif « autres prises en charge », les centres de cures ambulatoires en alcoologie (CCAA), les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (Caarud), les appartements de coordination thérapeutique (ACT) ou les lits « Halte soins santé » (LHSS) ;
- au titre des sous-objectifs « établissements et services pour personnes âgées » et « établissements et services pour personnes handicapées », les établissements et services sociaux et médico-sociaux énumérés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. Il s'agit notamment des établissements participant à l'aide sociale à l'enfance, des établissements accueillant des personnes handicapées, des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).
Enfin, il convient de noter que d'autres entités relevant du secteur médico-social peuvent bénéficier de dotations versées par l'État - notamment retracées sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - et relèvent donc également du champ de l'article 40 de la Constitution. Il s'agit par exemple des établissements et des services d'aide par le travail (ESAT), des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), des centres régionaux d'études, d'actions et d'informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) ou encore des instituts nationaux de jeunes aveugles (INJA) et de jeunes sourds (INJS).
Pour résumer · L'ensemble des administrations de sécurité sociale entrent dans le champ d'application de l'article 40. Ce périmètre est donc plus large que le domaine des lois de financement de la sécurité sociale. · Entrent par exemple à ce titre dans le périmètre de l'article 40 le régime d'indemnisation du chômage ou encore certains régimes complémentaires de santé et de retraite. |
B. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE LA JURISPRUDENCE EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
La jurisprudence exposée précédemment en matière de recevabilité financière s'applique de plein droit aux initiatives parlementaires ayant trait aux administrations de sécurité sociale.
Toute création ou toute aggravation d'une charge publique est donc irrecevable dès lors qu'elle est certaine et directe, et ce même si la concrétisation de la charge peut n'être qu'éventuelle ou facultative. Il est également impossible, comme le proposent de nombreuses initiatives parlementaires, de compenser une charge publique pour la sécurité sociale par une nouvelle ressource.
A contrario, une initiative parlementaire peut diminuer les ressources publiques des organismes de sécurité sociale, à la condition qu'elle soit correctement gagée267(*).
Cette application « classique » de l'article 40 de la Constitution est présentée ci-après à travers quelques-unes des catégories d'amendements les plus fréquemment rencontrées par le juge de la recevabilité financière268(*).
1. Les cas d'irrecevabilité caractérisée
a) L'élargissement des droits détenus par les administrés
La notion de charge publique englobe les droits que les administrés peuvent détenir sur une personne publique269(*), et notamment les droits à diverses prestations ou allocations.
(1) Les ouvertures de droits nouveaux
Par conséquent, sont irrecevables les initiatives parlementaires tendant à créer ou à ouvrir de nouveaux droits. Ainsi, le président de la commission des finances a été amenée à déclarer irrecevables les amendements qui prévoyaient :
- de créer un congé sabbatique d'un an financé par l'assurance vieillesse ;
- de bonifier d'un cinquième les droits à la retraite des agents de tous grades ayant accompli des services de sapeurs-pompiers ;
- d'instaurer des consultations médicales obligatoires, prises en charge par l'assurance maladie ;
- d'assurer la prise en charge intégrale, par l'assurance maladie, des activités physiques prescrites par les médecins.
(2) L'élargissement du champ des bénéficiaires ou l'assouplissement des conditions d'application de certains dispositifs créateurs de droits
Constituent également une aggravation de charge publique les amendements parlementaires qui élargissent le champ des bénéficiaires d'un dispositif créateur de droit ou qui en assouplissent les conditions d'accès ou d'application. Ont ainsi été déclarés irrecevables les amendements prévoyant :
- d'ouvrir des droits à une retraite anticipée aux personnes justifiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ;
- d'exclure les revenus professionnels du montant des ressources retenues pour le calcul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ce qui aurait mécaniquement eu pour effet, d'une part, de majorer le montant de l'AAH versée aux élus locaux en l'espèce, et, d'autre part, d'élargir le nombre de bénéficiaires de l'allocation270(*) ;
- de supprimer une dérogation à l'application du droit de refus aux transferts des salariés, ce qui ouvre la possibilité pour ces salariés d'être considérés comme licenciés et donc de bénéficier de droits à l'assurance chômage ;
- d'étendre le champ des allocations cumulables avec l'allocation journalière du proche aidant ou d'étendre le champ des personnes pouvant bénéficier de ce congé, pris en charge par l'assurance maladie.
(3) L'extension d'un dispositif créateur de droits, dans son montant ou dans sa durée
Sont également irrecevables les amendements tendant à augmenter la durée d'application ou les avantages octroyées par des dispositifs existants créateurs de droits pour les administrés. C'est sur ce fondement qu'ont été déclarés irrecevables des amendements parlementaires visant à :
- supprimer la limite d'âge des six ans de l'enfant pour le versement du complément de libre choix du mode de garde, ce qui conduisait à étendre la durée du versement de cette prestation ;
- allonger la durée du congé maternité ou du congé paternité ou prévoir le versement d'une indemnité plus élevée pour le congé parental ;
- allonger d'un à trois ans la durée d'affiliation gratuite et obligatoire des aidants au régime général d'assurance vieillesse, ce qui était créateur de droits supplémentaires à pension.
(4) L'élargissement de l'assiette des cotisations sociales ouvrant un droit à prestations
Le président de la commission des finances a également été amené à considérer irrecevables des amendements tendant à élargir l'assiette des cotisations sociales dans le but d'améliorer les droits à prestation des assurés - en vertu du principe selon lequel, aux termes de l'article 40 de la Constitution, la charge qui en résulte pour le régime obligatoire ne peut être compensée par la hausse de ses recettes.
Ont ainsi été déclarés irrecevables les amendements :
- soumettant les sommes versées au titre de l'intéressement et de la participation au versement de cotisations à l'assurance vieillesse, en contrepartie du rehaussement des droits à la retraite ;
- permettant aux élus locaux dont les indemnités de fonction ne sont pas assujetties aux cotisations de cotiser au régime général pour se prémunir du risque vieillesse ;
- assouplissant les conditions dans lesquelles des trimestres peuvent être rachetés pour les droits à pension.
Aux termes de l'article 40, la hausse des ressources ne pouvait être invoquée pour contourner la charge que faisait peser sur le régime d'assurance vieillesse l'extension des droits au versement d'une pension de retraite.
b) L'extension du droit de prescription
Le droit de prescription désigne la liberté, pour un professionnel de santé, de prescrire un soin, un acte ou un traitement à un patient, qui bénéficie à ce titre, dans la très grande majorité des cas, d'un remboursement partiel ou total de l'assurance maladie. Ce remboursement est constitutif d'une charge publique au regard de l'article 40 de la Constitution.
En la matière, la jurisprudence en matière de contrôle de la recevabilité financière a fait l'objet d'une profonde inflexion au début de l'année 2022, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Antérieurement, le président de la commission des finances considérait comme recevables les amendements ayant pour objet d'étendre un droit de prescription à de nouvelles catégories de professionnels de santé. Avait ainsi été déclaré recevable un amendement octroyant aux kinésithérapeutes la faculté de renouveler des prescriptions initiales d'actes de kinésithérapie. Le raisonnement, favorable à l'initiative parlementaire, était le suivant : accroître le nombre de prescripteurs ne pouvait juridiquement avoir qu'un effet indirect sur le nombre d'actes, de médicaments ou de soins prescrits et ne pouvait être considéré ni comme créateur d'une « demande » par les patients271(*) ni comme ayant un effet direct sur l'évolution des diagnostics médicaux. Dès lors, tant qu'une initiative parlementaire se contentait d'étendre le nombre de prescripteurs, sans relever le montant de la prise en charge par l'assurance maladie, elle était jugée conforme aux exigences de l'article 40. Cette approche était partagée par l'Assemblée nationale.
Or, le Conseil constitutionnel a mis un « coup d'arrêt » à cette lecture favorable des deux assemblées. Dans sa décision du 16 décembre 2021 sur la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022272(*), le Conseil constitutionnel a expressément considéré qu'un dispositif autorisant les orthoptistes à réaliser « certains actes et à établir certaines prescriptions », en l'espèce un bilan visuel et le renouvellement d'une prescription de verres correcteurs ou de lentilles de contact oculaire, avait sa place en LFSS, « au regard de leur incidence attendue sur les dépenses d'assurance maladie ». Dans la même décision, et sur le même fondement, le juge constitutionnel a confirmé que l'autorisation donnée à certains professionnels de santé d'exercer leur art sans prescription médicale, en l'espèce les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes, relevait bien du domaine des LFSS - impliquant que cette disposition aurait été irrecevable si elle avait été introduite par un amendement d'initiative parlementaire.
Dès lors, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le juge de la recevabilité financière n'a pas eu d'autre choix que de tirer les conséquences de cette décision et de déclarer irrecevables, à compter des textes suivants, les amendements étendant le droit de prescription des professionnels de santé ou autorisant la délivrance de médicaments ou de traitements sans prescription préalable.
Si ce changement de jurisprudence, opéré sous l'impulsion du Conseil constitutionnel, a pu susciter quelques incompréhensions parmi les parlementaires, le juge constitutionnel a pourtant confirmé cette analyse dans sa décision sur la LFSS pour 2023. Il a en effet expressément considéré qu'un dispositif autorisant à titre expérimental les infirmiers en pratique avancée à prendre en charge directement des patients (c'est-à-dire sans prescription préalable) était « de nature à avoir un effet à la hausse sur les dépenses » de la branche maladie273(*).
Une autre conséquence de cette analyse du droit de prescription comme créateur d'une charge publique est l'absence d'application de la jurisprudence « vivier de recrutement »274(*) aux professionnels de santé, là-encore sous l'impulsion du juge constitutionnel.
Lors de l'examen de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels de santé, le président de la commission des finances a déclaré recevables plusieurs amendements tendant à assouplir le régime d'autorisation d'exercice des praticiens. Il avait considéré que ces amendements, qui n'affectent ni les droits à bénéficier d'un remboursement pour les patients ni le droit de prescription en tant que tel, dans la mesure où ils n'étendent pas les catégories de professionnels de santé autorisés à prescrire, n'étaient pas de nature à aggraver une charge publique au plan juridique.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a retenu une approche différente. Dans sa décision précitée sur la LFSS pour 2023275(*), le juge constitutionnel a considéré qu'une disposition reportant la date à laquelle prenait fin le dispositif dérogatoire d'autorisation d'exercice de certains praticiens diplômés hors de l'Union européenne avait, « au regard du nombre de praticiens concernés par cette mesure et des dépenses de remboursement des soins réalisés par ces professionnels », « une incidence sur les dépenses d'assurance maladie ». C'est sur ce même fondement qu'il a également considéré que le dispositif prolongeant jusqu'en 2035 la possibilité pour certains médecins et infirmiers de cumuler un emploi avec le versement d'une retraite relevait du domaine de la LFSS.
Pour résumer, sont désormais irrecevables les initiatives parlementaires :
- permettant à divers professionnels de santé, y compris des pharmaciens, de prescrire de nouvelles catégories d'actes ou de dispositifs médicaux ainsi que de renouveler des prescriptions initiales ;
- étendant le champ des actes médicaux sans prescription pris en charge par l'assurance maladie ;
- assouplissant les conditions d'exercice des professionnels de santé, et notamment l'octroi des autorisations d'exercice.
Le cas particulier de la permanence des soins
Composante de la politique publique d'offre de soins, l'organisation de la permanence des soins est une mission de service public relevant des agences régionales de santé (ARS), qui donne lieu à des obligations incombant aux professionnels de santé d'un territoire, notamment sous la forme d'astreintes. Ces dernières font l'objet d'une rémunération forfaitaire, sur fonds publics.
Dans sa décision sur la LFSS pour 2023276(*), le Conseil constitutionnel a censuré comme cavalier social, c'est-à-dire comme dispositif ne relevant pas des lois de financement de la sécurité sociale, un article prévoyant que les chirurgiens-dentistes, les sage-femmes et les infirmiers avaient vocation à concourir à la permanence des soins. Il a en effet considéré que cette mesure n'avait pas d'effet direct sur les comptes de l'assurance maladie.
Le juge de la recevabilité financière en a tiré les conclusions qui s'imposaient : si le dispositif n'a pas d'effet direct sur les dépenses de l'assurance maladie, il n'est pas constitutif d'une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution. Par suite, ont donc été déclarés recevables des amendements qui étendaient la participation à la permanence des soins aux médecins libéraux et aux cabinets et structures membres d'une communauté professionnelle territoriale de santé.
Il convient toutefois de noter que si une initiative parlementaire avait pour objectif de renforcer la politique publique de permanence des soins, par exemple en faisant peser de nouvelles obligations sur les professionnels de santé, obligations pour lesquelles ces derniers bénéficieraient d'un droit à la rémunération, alors la jurisprudence « permanence des soins » ne pourrait trouver à s'appliquer. Dans ce cas en effet, la création de la charge publique est directe et certaine, en l'espèce sous la forme d'une indemnisation des professionnels de santé.
Source : commission des finances
c) Les dotations publiques et les fonds de concours
Parmi les cas d'irrecevabilité caractérisés, figurent également les amendements instituant une dotation ou une subvention nouvelle au profit des ASSO - versée par l'État ou par un organisme relevant des ASSO à un autre - ou en augmentant le montant277(*). Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevables :
- l'instauration d'une dotation pour financer une équipe dédiée à la prévention au sein de chaque groupement hospitalier de territoire (GHT) ;
- le financement des mesures d'optimisation de l'organisation et de la qualité des soins ainsi que des actions de prévention des établissements et services médico-sociaux via le forfait global de soins versé à ces établissements par les organismes d'assurance maladie, ce qui aurait nécessairement conduit à en augmenter le montant ;
- le financement des actions de prévention des centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie par le versement d'une nouvelle dotation annuelle au sein de l'Ondam « médico-social » ;
- l'automaticité de la création ou de l'extension des établissements accueillant des personnes âgées, alors que ces derniers bénéficient d'une subvention publique.
Sont également irrecevables les amendements parlementaires instituant des fonds de concours, qui se traduisent concrètement par un décaissement d'un régime de base au profit d'un autre organisme. Ce fut le cas d'un amendement entendant affecter le produit de la taxe sur les complémentaires santé à l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) par le biais d'un rattachement par voie de fonds de concours.
d) La création de nouvelles structures publiques ou l'élargissement des compétences de structures existantes
Comme pour l'État et ses opérateurs, un amendement créant une structure publique ou financée par des fonds publics est irrecevable au regard de l'article 40 de la Constitution, dans la mesure où cette création est en elle-même coûteuse et où la structure aura inévitablement vocation à dépenser une fois créée278(*).
Ont ainsi été déclarés irrecevables :
- la création d'un fonds d'investissement financé par les économies générées par les établissements publics de santé ;
- la création d'un pôle public du médicament.
Plus largement, le fait de fixer un nombre minimal de structures sur un territoire donné ou de limiter la possibilité de procéder à la fermeture de structures publiques constitue une charge au sens de l'article 40. A ainsi été déclaré irrecevable un amendement prévoyant la création d'au moins une maison de naissance par département.
Selon une logique similaire, sont également irrecevables les amendements élargissant les compétences de structures publiques existantes ou des fonds qui ne sont pas dotés de la personnalité juridique279(*).
Le président de la commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement tendant à élargir le périmètre d'intervention du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière au financement d'actions de prévention de l'usure professionnelle. Il s'agissait en effet d'une compétence nouvelle.
Par conséquent, les amendements parlementaires qui se limitent à préciser les compétences d'une structure ou d'un fonds existant sont recevables. Ainsi, s'il n'est pas possible, pour un parlementaire, d'élargir les missions ou de prolonger les expérimentations financées par le Fonds d'intervention régional (FIR), qui n'est pas une enveloppe fermée280(*), il lui est en revanche permis de préciser le contenu de ses missions. En d'autres termes, le dispositif qu'il est proposé de financer par le FIR doit pouvoir être rattaché à l'une de ses missions préexistantes. Ainsi :
- un amendement prévoyant que le FIR puisse financer une expérimentation limitée d'un an relative à l'utilisation par les pharmaciens de certains tests Covid a été déclaré recevable - les missions du FIR, définies à l'article L. 1435-8 du code de la santé publique, incluant la prévention des maladies ;
- un amendement prévoyant le financement par le FIR d'une prime de revalorisation salariale a été déclaré irrecevable, puisque le dispositif proposé ne pouvait être directement rattaché à aucune des missions du fonds.
e) La suppression d'un « verrou » à la dépense publique
Le juge de la recevabilité financière est confronté à un autre cas fréquent d'irrecevabilité : les initiatives parlementaires qui tendent à supprimer des « verrous » à la dépense publique. Les conséquences de tels dispositifs sont à la fois directes et certaines pour le régime concerné, soit en se traduisant par un niveau de prise en charge plus élevée, soit en assouplissant les conditions d'accès à un droit ou à un remboursement. Ont par exemple été déclarés irrecevables des amendements :
- créant une autorisation de mise sur le marché « prévention » pour certains produits naturels de santé, qui se serait traduite, pour les industriels commercialisant ces produits, par le droit de demander leur inscription sur la liste des produits remboursables ;
- assouplissant les conditions permettant à des médicaments ne disposant pas encore d'une autorisation de mise sur le marché de bénéficier d'un accès précoce281(*), et donc à ce titre d'une prise en charge par l'assurance maladie ;
- interdisant que l'évolution annuelle des dépenses allouées à la psychiatrie soit inférieure à l'évolution globale de l'Ondam ;
- supprimant les coefficients de minoration tarifaire pour certains établissements282(*), alors que ces coefficients, qui visent à réguler l'activité des établissements de santé, a pour objectif de garantir le respect de l'Ondam ;
- supprimant les conditions aux termes desquelles un assuré peut bénéficier de nouveaux droits à la retraite dans le cadre d'un cumul emploi-retraite.
f) Les études de santé
Ainsi que rappelé en première partie283(*), les initiatives parlementaires relatives aux études de santé font l'objet d'un traitement particulier dans le cadre du contrôle de leur recevabilité financière.
Les internes en médecine bénéficient par exemple d'une rémunération publique : dès lors, tout amendement qui allonge la durée de l'internat ou qui impose de nouveaux stages est déclaré irrecevable. Le Conseil constitutionnel a confirmé ce raisonnement en considérant que relevait bien du domaine des lois de financement de la sécurité sociale une disposition réformant les études de santé, « eu égard au nombre d'étudiants concernés par cette mesure dont la rémunération est assurée au moyen de crédits de l'assurance maladie »284(*). En l'espèce, il s'agissait de porter à quatre années la durée du troisième cycle des études de médecine pour la spécialité de médecine générale et de prévoir que la dernière année était effectuée sous forme de stage.
2. Les cas où la création où l'aggravation de charge publique n'est pas constituée
a) Les amendements non normatifs
Comme pour le volet « État » ou « collectivités territoriales », les amendements dépourvus de portée normative ou revêtant un caractère de « voeux pieux », sont par définition recevables, quand bien même les intentions de leurs auteurs seraient coûteuses285(*).
Aussi, lors de l'examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, le président de la commission des finances a-t-il considéré qu'entraient dans cette catégorie des amendements prévoyant que tous les moyens soient mis en oeuvre pour organiser des campagnes de vaccination contre le Covid-19 spécifiques aux lycéens et aux étudiants.
b) Les effets indéterminés et la théorie de la « modulation »
Selon une interprétation favorable à l'initiative parlementaire, le président de la commission des finances a déclaré recevables les amendements ayant un effet indéterminé sur les dépenses publiques ou dont l'impact à la hausse ou à la baisse n'est pas explicite.
Par exemple, ont été déclarés recevables des amendements prévoyant de reporter d'un an la réforme du ticket modérateur, d'interdire toute possibilité d'adapter l'indemnisation versée par l'assurance chômage au lieu de résidence du salarié concerné ou encore de tenir compte, dans la mise en place du parcours coordonné renforcé, des problématiques relatives à la continuité territoriale des collectivités d'outre-mer.
Pour éviter tout contournement de l'article 40, le juge de la recevabilité financière a toutefois opéré une distinction entre les initiatives « modulant » et « revalorisant » des dispositifs coûteux. Elle trouve notamment à s'appliquer pour les coefficients correcteurs géographiques appliqués aux plafonds de la Sécurité sociale.
Si un parlementaire peut prévoir que ces coefficients soient modulés pour tenir compte de facteurs spécifiques, y compris les coûts supportés par les établissements ou leur situation géographique, il ne peut pas, aux termes de l'article 40, rehausser ces coefficients ou imposer leur revalorisation. Dans le premier cas, l'effet sur le niveau des coefficients est indirect et la charge incertaine. Dans le second, le dispositif proposé impliquerait nécessairement une hausse des remboursements pris en charge par l'assurance maladie.
c) Les redéploiements en projet de loi de financement de la sécurité sociale
Le IV de l'article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale autorise certains redéploiements en matière de loi de financement de la sécurité sociale, s'agissant spécifiquement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Il dispose, en effet, que « au sens de l'article 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s'appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ».
Concrètement, cette disposition signifie que les membres du Parlement peuvent proposer des redéploiements entre les sous-objectifs de l'Ondam, sous réserve que le montant global de ce dernier ne soit pas majoré. Le président de la commission des finances déclare par conséquent recevables les amendements qui, sans modifier le montant global de l'Ondam, opèrent des redéploiements de crédits entre ses sous-objectifs.
Toutefois, comme l'avait souligné le Conseil constitutionnel286(*), ces dispositions doivent être combinées avec celles de l'article L.O. 111-3-5 du code de la sécurité sociale, qui disposent que la liste des sous-objectifs et le périmètre de chacun d'entre eux sont définis par le Gouvernement. Il est donc impossible pour un parlementaire de créer un sous-objectif ou d'en élargir le périmètre, et ce quand bien même le montant global de l'Ondam ne serait pas augmenté. Étant en outre contraires aux dispositions de l'article L.O. 111-3-5 du code de la sécurité sociale, de tels amendements seraient également susceptibles d'être déclarés irrecevables par le président de la commission des affaires sociales.
Enfin, il convient de noter que l'aménagement apporté à l'application de l'article 40 de la Constitution s'agissant des sous-objectifs de l'Ondam est d'interprétation stricte. Un amendement parlementaire prévoyant qu'à chaque fin d'année, les crédits non-consommés sur l'un des sous-objectifs de l'Ondam soient alloués aux établissements de santé a été déclaré irrecevable.
3. L'appréciation stricte de la notion de « recettes publiques » et ses effets sur la recevabilité financière
a) Une « neutralisation » au niveau de la sécurité sociale des pertes de recettes résultant d'exonérations de cotisations sociales
(1) La possibilité de « gager » une perte de cotisations sociales pour les organismes de sécurité sociale
La très grande majorité des exonérations de cotisations sociales est compensée par l'État par le biais d'affectation de recettes fiscales (« paniers fiscaux ») ou de crédits budgétaires. L'annexe 4 au PLFSS présente l'ensemble des mesures compensées ou non compensées et, le cas échéant, leurs modalités de compensation.
En principe, les exonérations de cotisations sociales dites à vocation générale (les heures supplémentaires et, avant 2011, les allègements généraux) sont compensées par des recettes fiscales, alors que les mesures dites ciblées (sur des publics, des secteurs d'activité ou des zones géographiques spécifiques) sont compensées par des crédits budgétaires.
Selon une interprétation favorable à l'initiative parlementaire, le président de la commission des finances considère que la création ou que l'élargissement d'exonérations de cotisations sociales peuvent être recevables si gagées, même si ces exonérations sont compensées par l'État, et ce quelle que soit la forme de cette compensation.
Le gage permet de « neutraliser » les pertes de recettes au niveau de la sécurité sociale. Ainsi, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, un amendement parlementaire pérennisant une exonération de cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi a été déclaré recevable. Le gage « organismes de sécurité sociale » suffisait, quand bien même une compensation par l'État est prévue pour cette exonération, via la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Une interprétation plus rigoureuse, mais aussi plus défavorable à l'initiative parlementaire, aurait pu consister à distinguer :
- d'une part, les exonérations compensées par des « paniers fiscaux », recevables sous réserve d'un gage « État », dans la mesure où ces dispositifs conduisent in fine à une perte de recettes pour l'État ;
- d'autre part, les exonérations compensées par des crédits budgétaires, irrecevables, car conduisant à des charges supplémentaires pour l'État.
Le choix a été fait, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, d'apprécier la diminution des cotisations sociales comme une perte de recettes publiques pour la Sécurité sociale, qui peut être gagée.
Il convient toutefois de noter qu'une autre limitation s'impose depuis l'adoption de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale287(*) : l'article L.O. 111-3-16 du code de la sécurité sociale dispose que relèvent désormais du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale la création ou la modification « des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale » lorsqu'elles sont « établies pour une durée égale ou supérieure à trois ans ». Sont donc irrecevables toutes les initiatives, parlementaires ou gouvernementales, qui créeraient de telles mesures hors d'un texte de financement de la sécurité sociale, initial ou rectificatif.
Il convient toutefois de souligner que le juge de la recevabilité propose dans ce cas aux auteurs de l'amendement de le rectifier afin de le « gager », c'est-à-dire de limiter à moins de trois ans la durée du dispositif proposé.
(2) L'interdiction d'instaurer ou d'étendre les compensations budgétaires versées par l'État aux organismes de sécurité sociale
Si la compensation de la perte de recettes publiques que représente une mesure d'exonération de cotisations sociales pour les organismes de sécurité sociale est conforme à la lettre de l'article 40 de la Constitution, tel n'est pas le cas d'un dispositif qui imposerait à l'État de compenser budgétairement cette mesure d'exonération.
Dans ce cas, l'initiative revient simplement à créer une charge pour l'État, et ce quand bien même l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale prévoit une « compensation intégrale » de toute mesure de réduction ou d'exonération de cotisations de sécurité sociale instituée après la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale288(*).
Ont ainsi été déclarés irrecevables, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 :
- un amendement prévoyant la compensation par l'État d'un dispositif exonérant de cotisations sociales les entreprises agricoles, cette compensation n'étant pas déjà prévue par le droit existant ;
- un amendement prévoyant une compensation intégrale par le budget de l'État de l'exonération des cotisations retraite des médecins en cumul retraite-activité libérale, cette mesure ne faisant pas déjà l'objet d'une compensation.
Par ailleurs, un amendement en LFSS prévoyant une compensation d'exonérations de cotisations par l'État via l'affectation de recettes fiscales établies au profit de l'État serait contraire à la recevabilité organique, une telle affectation relevant du domaine exclusif des lois de finances289(*).
b) L'irrecevabilité des mesures qui ne peuvent être assimilées à des pertes de recettes pour les organismes de sécurité sociale
Certains amendements ont été déclarés irrecevables par le président de la commission des finances car ils ne pouvaient être considérés comme des pertes de recettes pouvant faire l'objet d'un gage.
Les franchises médicales ne sont ainsi pas assimilées à une recette de la sécurité sociale, mais à de moindres remboursements pour l'assurance maladie. La franchise médicale n'est en effet pas versée par l'assuré, mais « retenue » sur le montant total des remboursements effectués par l'assurance maladie.
La définition du contenu des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) par le législateur organique appuie cette analyse. Par exemple, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, les dispositions relatives aux franchises sur les médicaments, sur les actes paramédicaux et sur les transports sanitaires ont été introduites dans la troisième partie de la LFSS, relative aux dépenses pour l'année à venir, et non dans la deuxième partie, relative aux recettes.
Dès lors, tout amendement parlementaire tendant à supprimer les franchises médicales ou à en exonérer certains publics est irrecevable, en ce qu'il aggrave une charge publique pour l'assurance maladie.
Un raisonnement similaire s'applique aux suppressions et aux exonérations de participations forfaitaires ou de tickets modérateurs : sans participation de l'assuré, l'assurance maladie devrait nécessairement couvrir le coût de la consultation ou du traitement auprès des professionnels de santé. Il en résulterait donc, là-aussi, une aggravation de charge publique pour les organismes de sécurité sociale.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, le président de la commission des finances a donc dû déclarer irrecevables des amendements supprimant les franchises médicales et les participations forfaitaires, en exonérant les personnes atteintes d'une affection grave ou encore élargissant la liste des personnes dispensées du paiement du ticket modérateur.
Les « droits de timbre », c'est-à-dire les dispositifs qui conditionnent l'accès à la prise en charge par un organisme de sécurité sociale, sont également considérés comme une aggravation de charge publique et non comme une perte de recettes. Ils constituent en effet une condition d'admission à un dispositif coûteux. Dès lors, des amendements supprimant ou exonérant des publics de tels dispositifs, même résiduels, seraient considérés comme irrecevables290(*).
À l'inverse, il convient de noter que les amendements portant sur la clause de sauvegarde291(*) doivent bien quant à eux être déposés dans la deuxième partie de la LFSS, même si le Gouvernement soustrait parfois son montant de celui défini par l'Ondam, en la considérant comme une moindre dépense. Or, le versement de cette contribution par les laboratoires pharmaceutiques est considéré comme une imposition de toute nature, et donc comme une recette.
Pour résumer Une application
« classique » des règles de recevabilité
financière · L'article 40 s'applique aux administrations de sécurité sociale de la même façon qu'aux autres personnes publiques. Sont donc irrecevables des amendements parlementaires prévoyant de créer une nouvelle structure publique, d'attribuer une nouvelle compétence ou encore d'augmenter une dotation versée par une personne publique. · Toute ouverture ou toute extension de droits constitue une charge, quand bien même des cotisations seraient versées par les bénéficiaires. Une initiative parlementaire ne peut donc pas, au regard de l'article 40 de la Constitution, accroître le nombre de bénéficiaires d'une prestation sociale, étendre la durée d'application d'un dispositif créateur de droits ou encore augmenter le montant de la prestation. · À la suite d'une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, toute extension du droit de prescription des professionnels de santé est considérée comme une aggravation de charge publique. · Il est possible de diminuer le montant des cotisations sociales, à la double condition que le dispositif parlementaire soit gagé et qu'il n'impose pas à l'État de compenser budgétairement cette mesure. |
C. LE CAS PARTICULIER DES TRANSFERTS DE CHARGES
Les transferts de charges entre personnes publiques292(*) ainsi qu'entre personnes publiques relevant de la « sphère sociale » (entre branches ou régimes de sécurité sociale par exemple) constituent des cas d'irrecevabilité.
1. Les transferts de charges entre la sécurité sociale, l'État et les collectivités territoriales
Les transferts de charges entre la sécurité sociale et l'État ou la sécurité sociale et les collectivités territoriales ne sont pas recevables. Comme cela a été rappelé, l'article 40 de la Constitution ne permet pas de compenser la création d'une charge pour une personne publique par la suppression d'une charge pour une autre personne publique. La recevabilité financière s'apprécie à l'échelle de chaque personne publique.
Ainsi, a été déclaré irrecevable un amendement abaissant la part minimale des ressources issues de l'assurance chômage pour le financement de France Travail, ce qui aurait mécaniquement induit une hausse de la contribution de l'État via la subvention pour charges de service public versée à cet opérateur, et donc un transfert entre une administration de sécurité sociale et l'État.
2. Les transferts de charges entre personnes publiques relevant de la « sphère sociale »
a) Le transfert de charges entre régimes de sécurité sociale et entre branches du régime général
Le transfert de charges entre régimes de sécurité sociale ainsi qu'entre branches du régime général est également irrecevable.
En effet, les régimes de sécurité sociale sont pilotés par des caisses nationales distinctes, dotée chacune de la personnalité juridique. Elles constituent donc des personnes publiques distinctes au sens de l'article 40 de la Constitution. Par exemple, le régime de retraite des agriculteurs est géré par la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), tandis que celui des professions libérales est géré par la Caisse autonome d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL).
A ainsi été déclaré irrecevable un amendement prévoyant d'affilier au régime général d'assurance vieillesse des salariés rattachés à un régime spécial.
S'agissant des six branches du régime général, elles sont également distinctement identifiées sur le plan comptable et financier et sont gérées par cinq caisses nationales toutes dotées de la personnalité juridique : la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), l'Urssaf-caisse nationale pour le recouvrement et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) - qui gère deux branches distinctes, la branche « maladie » et la branche « accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) »293(*).
Le président de la commission des finances a donc déclaré irrecevable un amendement prévoyant que les Ehpad puissent recevoir un financement complémentaire financé par un versement de la branche « maladie » à la branche « autonomie » ainsi qu'un amendement prévoyant que la branche » AT-MP » contribue au financement de la prise en charge par la branche « maladie » des dépenses engagées en cas de diagnostic de saturnisme.
b) Le transfert de charges entre autres organismes relevant de la sphère sociale
Le transfert de charges entre les autres organismes relevant des administrations de sécurité sociale est également irrecevable.
Un amendement prévoyant que l'assurance maladie prenne en charge les médicaments bénéficiant du régime de l'accès précoce a ainsi été déclaré irrecevable, puisque cette prise en charge relève des établissements de santé. Il y aurait donc eu un transfert de charges entre deux administrations de sécurité sociale distinctes.
c) Le cas des organismes locaux et régionaux
Les organismes locaux et régionaux (caisses primaires d'assurance maladie, caisses régionales d'assurance vieillesse, caisses d'allocations familiales, caisses d'assurance retraite et de la santé au travail)294(*) sont considérés comme des organismes privés chargés d'une mission de service public et bénéficiant à ce titre de concours publics. Ils sont donc inclus dans le champ de l'article 40.
Tout transfert de charges entre ces organismes et les caisses nationales ou toute autre personne publique est donc irrecevable. Ainsi, le président de la commission des finances a déclaré irrecevable un amendement qui transférait le service des prestations maladie en espèces des professionnels libéraux aux caisses de leur régime invalidité-décès, alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoyait que ce service soit assuré par les caisses primaires d'assurance maladie.
Pour résumer L'irrecevabilité de tout transfert de charges des administrations de sécurité sociale vers une personne publique ou entre administrations de sécurité sociale · Tout transfert de charges ou de compétences entre administrations publiques est irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, ce qui inclut donc les administrations de sécurité sociale. · L'irrecevabilité s'impose même aux initiatives parlementaires qui transfèrent une charge entre deux administrations de sécurité sociale, y compris entre régimes de sécurité sociale et, à l'intérieur du régime général, entre les différentes branches qui le composent. |
II. LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
Comme exposé précédemment, la recevabilité des amendements s'examine également au regard des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Ainsi, les amendements aux projets de loi de finances doivent respecter le domaine et la structure de ces textes.
Peu d'amendements du champ « social » relèvent du domaine exclusif ou même du domaine partagé des lois de finances : les cavaliers budgétaires sont fréquents dans ce domaine. Dès 1976, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition d'une loi de finances rectificative relative à la couverture financière du nouveau régime de sécurité sociale des artistes, au motif que cette dernière n'avait pas sa place en loi de finances295(*).
En outre, les administrations de sécurité sociale présentent la spécificité d'avoir leurs propres lois de financement. Au-delà des domaines et de la bipartition des lois de finances, il convient donc de veiller également au respect du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale. Il convient de noter qu'au Sénat, le contrôle de la recevabilité des amendements déposés au stade de la séance publique au regard des dispositions organiques du code la sécurité sociale est une compétence du président de la commission des affaires sociales.
A. LES AMENDEMENTS « SOCIAUX » POUVANT FIGURER EN LOI DE FINANCES
1. Sur le volet « recettes »
Conformément à l'article 34 de la LOLF, la première partie de la loi de finances de l'année peut comporter des « dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une autre personne morale que l'État ».
Sont donc recevables en première partie des amendements qui modifient le taux ou l'assiette d'une imposition de toute nature affectée partiellement ou en totalité à la sécurité sociale - telle que la contribution sociale généralisée (CSG). Toutefois, ces amendements ne peuvent pas avoir pour effet de modifier les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale - de tels dispositifs relevant du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale (cf. infra).
Ont dès lors été admis des amendements prolongeant ou élargissant le nombre de bénéficiaires de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat versée par les employeurs à leurs salariés, cette prime étant exonérée de tout impôt sur le revenu et de toutes cotisations ou contributions sociales. De même, un amendement gagé, déposé en première partie du projet de loi de finances pour 2024 et prévoyant d'étendre aux fonds de dotation un abattement de taxe sur les salaires a été déclaré recevable, quand bien même son produit est entièrement affecté à la sécurité sociale296(*).
La taxe sur les salaires : loi de finances
ou loi de financement de la sécurité
sociale ?
Dans sa décision du 21 décembre 2023 relative à la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024297(*), le Conseil constitutionnel a estimé que ne relevait pas du domaine des LFSS une disposition prévoyant d'exonérer de taxe sur les salaires certaines rémunérations versées par un employeur membre d'un assujetti unique. Cette disposition visait à tirer les conséquences de la création du « groupe TVA »298(*) au 1er janvier 2022.
Il est possible d'en conclure que toute disposition portant sur la taxe sur les salaires ne relève pas automatiquement du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En l'espèce, la commission des affaires sociales du Sénat avait bien indiqué que, selon l'administration fiscale, la disposition serait sans incidence sur les recettes des caisses percevant la taxe sur les salaires. En revanche, dans la même décision, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré la disposition prévoyant d'étendre l'exonération de taxe sur les salaires aux établissements publics de coopération environnementale. L'appartenance au domaine des LFSS se justifierait donc par l'effet de la mesure sur les recettes de la sécurité sociale.
Toutefois, le fait que certaines dispositions relatives à la taxe sur les salaires puissent figurer dans une LFSS n'empêchent pas qu'elles figurent également dans une loi de finances. Plusieurs dispositions inscrites en loi de finances sont ainsi venues modifier les paramètres de la taxe sur les salaires. Cela s'explique par le fait que cette dernière est considérée comme une imposition de toute nature299(*).
Cette caractérisation a une autre conséquence : depuis l'adoption de la nouvelle loi organique relative aux LFSS300(*), l'article L.O. 111-3-16 du code de la sécurité sociale dispose que seules les LFSS peuvent créer ou modifier des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions affectées aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. La taxe sur les salaires est donc exclue de l'application de cette disposition, s'agissant d'une imposition de toute nature.
Source : commission des finances
En revanche, ne sont pas recevables en loi de finances des dispositions qui modifieraient l'assiette ou les conditions de liquidation des cotisations sociales. Ces dernières relèvent d'une catégorie distincte des impositions de toute nature.
Il convient enfin de noter que relève du domaine exclusif et de la première partie des lois de finances l'affectation aux organismes de sécurité sociale d'une ressource établie au profit de l'État (article 2 de la LOLF). Le président de la commission des finances a donc déclaré irrecevable un amendement déposé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoyant d'affecter une fraction des recettes des droits de mutation à titre gratuit à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
2. Sur le volet « dépenses »
Les amendements du « champ social » relevant de dépenses portées par les missions du budget de l'État doivent impérativement être déposés en lois de finances, par exemple pour modifier les crédits de fonctionnement versés par l'État aux agences régionales de santé.
A contrario, des amendements portant sur le niveau des tarifs de remboursement par l'assurance maladie constitueraient des cavaliers budgétaires301(*).
B. LE CHAMP EXCLUSIF DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
L'article 45 du règlement du Sénat prévoit que « le président de la commission des affaires sociales est compétent pour examiner la recevabilité des amendements déposés en vue de la séance publique au regard des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale »302(*). Depuis l'adoption de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS)303(*), le contenu des LFSS est défini par les articles L.O. 111-3 à L.O. 111-3-18 du code de la sécurité sociale.
Le président de la commission des finances peut toutefois être amené à procéder à un contrôle de la recevabilité des amendements au regard des dispositions organiques relatives aux LFSS dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur les amendements déposés lors de l'examen des projets de loi de finances : une lecture croisée de l'article 34 de la LOLF et des dispositions organiques précitées du code de la sécurité sociale conduit en effet à déclarer irrecevable tout amendement relevant du domaine exclusif des LFSS.
Le champ exclusif des lois de financement recouvre :
- dans sa partie obligatoire, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale (ROBSS), à savoir :
* les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, par branche, l'Ondam et les charges prévisionnelles des organismes concourant au financement des ROBSS ;
* les prévisions de recettes des ROBSS et des organismes concourant à leur financement ainsi que de ceux chargés de procéder à des mises en réserve au profit des ROBSS ;
* la liste des ROBSS et des organismes précités habilités à recourir à des ressources non permanentes et leurs plafonds d'emprunt ;
* l'objectif d'amortissement de la dette sociale.
- dans sa partie facultative, plusieurs dispositions affectant les recettes de la sécurité sociale, telles que :
* l'affectation à un tiers de recettes établies au profit de la sécurité sociale. Cela signifie que même si la CSG est une imposition de toute nature, une disposition de loi de finances ne pourrait pas conduire à en affecter une partie aux départements par exemple, étant donné que son produit est entièrement affecté à la sécurité sociale ;
* la répartition de ressources attribuées par l'État à la sécurité sociale ;
* les allègements sociaux non compensés ou d'une durée égale ou supérieure à trois ans (cf. supra).
Le domaine partagé des LFSS comprend principalement les autres dispositions relatives aux recettes ou aux dépenses des régimes de la sécurité sociale, à la gestion, la trésorerie et la comptabilité de la sécurité sociale, à la dette de certains établissements de santé ou médico-sociaux, si elles ont pour effet de modifier les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, ainsi que les dispositions relatives à l'information du Parlement sur les LFSS.
Par conséquent, toute disposition qui ne peut être rattachée au domaine exclusif ou au domaine partagé des LFSS encourt le risque d'être considérée par le Conseil constitutionnel comme un « cavalier social » - pendant des « cavaliers budgétaires » - et d'être censurée sur ce fondement.
Pour résumer L'application de la recevabilité organique aux initiatives ayant trait aux administrations de sécurité sociale · Le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale est défini par les dispositions organiques du code de la sécurité sociale. Il comprend un domaine exclusif, obligatoire ou facultatif, ainsi qu'un domaine partagé. Les initiatives, parlementaires ou gouvernementales, qui ne peuvent se rattacher à aucun de ces domaines sont des « cavaliers sociaux », irrecevables en loi de financement de la sécurité sociale. Le contrôle du respect de ces dispositions organiques est du ressort principal du président de la commission des affaires sociales. · Des amendements qui modifient le taux ou l'assiette d'une imposition de toute nature affectée partiellement ou en totalité à la sécurité sociale - telle que la contribution sociale généralisée (CSG) - sont recevables en première partie de la loi de finances, à condition qu'ils ne modifient pas les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. En revanche, ne sont pas recevables en loi de finances des dispositions qui modifieraient l'assiette ou les conditions de liquidation des cotisations sociales. · Les amendements du « champ social » relevant de dépenses portées par les missions du budget de l'État doivent impérativement être déposés en seconde partie de la loi de finances, en respectant les contraintes liées à la recevabilité des amendements de crédits. |
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 30 octobre 2024, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Raynal, président, sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, s'il y a un sujet qui concerne l'ensemble de nos collègues dans leur travail parlementaire et qui peut parfois être source d'incompréhensions, c'est bien le contrôle de la recevabilité financière de leurs amendements.
J'y suis particulièrement confronté : en tant que président de la commission des finances, il m'appartient d'examiner la recevabilité de l'intégralité des amendements déposés par les sénateurs en vue de leur discussion en séance publique. Il me revient également, à leur demande, de conseiller les présidents de commission, chargés de contrôler la recevabilité des amendements déposés lors de l'examen du texte en commission.
Or le dernier ouvrage consacré dans notre assemblée à la jurisprudence relative à la recevabilité financière a été rédigé voilà plus de dix ans par notre collègue Philippe Marini. Le temps était donc venu de vous présenter une nouvelle synthèse de l'application au Sénat de la recevabilité financière, qui comprend à la fois la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et la recevabilité au regard des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Ces travaux s'inscrivent dans la continuité de ceux de mes prédécesseurs et je n'entends pas réinventer la discipline. Néanmoins, une réactualisation était devenue indispensable, notamment au regard des décisions du Conseil constitutionnel et pour tenir compte de la révision de la LOLF.
Cette actualisation prend la forme d'un nouveau rapport qui a été envoyé à tous les sénateurs. L'objectif est d'offrir à l'ensemble de nos collègues une information claire, lisible et rassemblée en un seul document, appuyé sur les exemples les plus récents.
Je suis conscient que l'application de la recevabilité financière suscite des interrogations et des doutes, pour ne pas dire des critiques. Je sais également à quel point il peut être frustrant pour un parlementaire de voir ses marges de manoeuvre réduites. Néanmoins, nous sommes contraints par la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui impose aux deux assemblées de s'assurer que les amendements et les propositions de loi respectent bien l'article 40 de la Constitution dès le stade de leur dépôt.
La conséquence de cette décision est claire : si nous n'examinions pas nous-mêmes a priori la recevabilité financière, le Conseil constitutionnel s'en chargerait. Je me permets d'indiquer que je ne suis pas certain que l'initiative parlementaire en retirerait des bénéfices. Quelques-uns des assouplissements que nous avons apportés au fil du temps pourraient ainsi être remis en cause, au détriment des parlementaires.
J'ai parlé du contrôle des amendements déposés en commission et en séance. La recevabilité des propositions de loi est, quant à elle, examinée par le Bureau du Sénat. Vous le savez, l'usage permet de discuter de ces textes susceptibles de contenir certaines dispositions qui constituent une charge. Pour autant, le contrôle sur invocation par le Gouvernement demeure possible à l'encontre de tout ou partie des dispositions de la proposition de loi. C'est d'ailleurs arrivé au mois d'avril dernier, à l'encontre de la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites - c'était la première fois depuis 2011.
L'article 40 est très bref : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »
Cette rédaction interdit à un parlementaire de créer ou d'aggraver une charge publique. Il en découle également l'impossibilité de compenser une nouvelle charge publique par la diminution d'une autre charge ou par l'augmentation d'une recette. À l'inverse, une perte de recettes publiques peut être gagée.
Partant de ce point de départ, les assemblées parlementaires ont progressivement dégagé des principes détaillés permettant l'élaboration d'une véritable jurisprudence. Ceux-ci répondent à un impératif : concilier des exigences constitutionnelles contradictoires, à savoir, d'une part, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution et, d'autre part, la protection de l'initiative parlementaire.
Les décisions prises en matière de recevabilité financière ne découlent en aucune façon du contenu des amendements. Le raisonnement à l'oeuvre est exclusivement juridique. Il ne repose donc ni sur une lecture politique - et c'est heureux ! -, ni sur une base économique. Croyez bien qu'à titre personnel je pourrais être favorable à de nombreuses initiatives sénatoriales que je suis pourtant contraint de déclarer irrecevables. C'est vrai pour moi comme cela l'était pour mes prédécesseurs.
Le juge de la recevabilité financière s'attache exclusivement à une analyse juridique de la notion de charge. Cela explique notamment que des amendements soient irrecevables quand bien même la charge publique qui en découlerait ne serait que facultative ou hypothétique.
En revanche, toutes les décisions sont guidées par la volonté de favoriser l'initiative des parlementaires. Le principe cardinal que les présidents successifs se sont attachés à suivre est le suivant : lorsqu'il existe un doute sur le caractère coûteux d'un amendement, ce doute bénéficie systématiquement aux auteurs.
Je signale d'ailleurs que le traitement des amendements se fait dans des conditions toujours plus difficiles, alors que le nombre d'amendements examinés en séance publique a augmenté de 300 % entre 2016 et 2023. Une erreur est donc toujours possible. Il arrive d'ailleurs que je sois conduit à revenir sur une décision lorsque des collègues me font parvenir des éléments dont je n'avais pas connaissance.
En conséquence, je vous invite, ainsi que l'ensemble de nos collègues, à être explicites dans la rédaction des objets de vos amendements, par exemple lorsque la recevabilité de votre amendement est « couverte » par une disposition déjà adoptée par l'une des chambres.
J'en terminerai avec les évolutions qui sont intervenues ces dernières années et qui ont motivé la rédaction de ce nouveau rapport.
Premièrement, des assouplissements majeurs ont été introduits en 2020 par mon prédécesseur, Vincent Éblé. Trois principaux changements sont intervenus sous sa présidence.
D'abord, les amendements ayant pour seule conséquence une charge de trésorerie sont désormais recevables, sous réserve que leur effet présente un caractère infra-annuel et non massif sur la trésorerie de la personne publique concernée.
Ensuite, il est désormais possible de fusionner plusieurs personnes publiques existantes à des fins de rationalisation.
Enfin, et sous réserve des dispositions de la LOLF, des amendements affectant de nouvelles recettes à une personne publique sont recevables si celle-ci dispose de la personnalité morale et sous réserve de ne pas flécher leur utilisation vers une dépense spécifique. Il est possible de l'évoquer dans l'objet, mais cela ne doit pas apparaître dans le dispositif.
Ces évolutions ont contribué au rapprochement de nos jurisprudences avec celles de l'Assemblée nationale. Si chaque chambre reste bien entendu libre d'élaborer ses propres analyses, les divergences qui demeurent sont désormais résiduelles. Celles-ci sont d'ailleurs mentionnées dans le rapport.
Deuxièmement, au cours des années, de nouvelles thématiques sont apparues, qui ne figurent pas dans le rapport de Philippe Marini, ou qui y figuraient, mais dont le mode de financement a évolué. Je peux mentionner, à titre d'exemple, les amendements ayant trait aux dépenses informatiques, aux marchés publics ou encore à la formation professionnelle et au logement social.
Troisièmement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous a parfois contraints à faire évoluer notre analyse, dans un sens, je dois le dire, le plus souvent défavorable à l'initiative parlementaire. À titre d'exemple, nous avons longtemps considéré comme recevables les amendements qui étendaient la possibilité pour des professionnels de santé de prescrire des produits ou des dispositifs médicaux. Je me dois désormais de déclarer irrecevables de tels amendements, afin d'être conforme à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Enfin, la recevabilité des amendements est également examinée au regard des dispositions de la LOLF. Sa révision, en 2021, a considérablement simplifié l'examen de la recevabilité organique des amendements, notamment au regard du principe de bipartition des lois de finances, c'est-à-dire du placement des amendements en première ou en seconde partie de la loi de finances.
Je n'entrerai pas davantage dans les détails de ce rapport. J'espère que ce document, comme les précédents, servira de guide pour la rédaction des amendements. J'ai d'ailleurs tenu à conserver deux parties distinctes sur la recevabilité des amendements qui ont trait aux collectivités territoriales et aux administrations de sécurité sociale. J'ai ainsi souhaité tenir compte du volume d'amendements déposés dans ces deux domaines.
Pour conclure, et j'insiste, le président de la commission des finances exerce un rôle de conseil en amont du dépôt des amendements. C'est extrêmement important : les sénateurs peuvent me contacter ou prendre attache avec le service de la commission des finances chargé de l'instruction de la recevabilité financière pour disposer de conseils. De même, je m'attache à proposer des rectifications, quand cela est possible, pour rendre recevable un amendement et je suis toujours prêt à revoir ma décision ou à apporter des éclaircissements supplémentaires sur les motivations qui m'ont conduit à déclarer irrecevable un amendement. Je précise que les amendements mal gagés sont automatiquement corrigés afin d'assurer leur recevabilité.
Je tiens à remercier les administrateurs de la commission des finances, notamment ceux qui, au fil des ans, ont composé la « cellule article 40 », bien souvent sous pression. Ils ont effectué un travail lourd et minutieux pour la rédaction de ce rapport.
La recevabilité financière peut apparaître comme une matière complexe, pour ne pas dire opaque. Cette complexité découle des très nombreux aménagements qui doivent permettre de concilier au mieux les exigences constitutionnelles, entre, d'une part l'article 40 et, d'autre part, le droit d'initiative des parlementaires. À ce titre, le rapport que je vous présente se veut aussi une oeuvre de transparence.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail réalisé par notre président. Certes, il peut y avoir une certaine souplesse dans l'appréciation de la recevabilité financière, mais le cadre demeure contraint, notamment par les décisions du Conseil constitutionnel qui s'imposent à nous.
Monsieur le président, vous êtes le garant de ce cadre ; on le sait, certains seraient tentés de prendre quelques libertés, à coups de dérogations ou d'expérimentations. Je relève par ailleurs que la rigueur de ce cadre, qui ne s'impose pas au Gouvernement, n'évite pas la dérive budgétaire, on le constate actuellement...
Certains de nos collègues font encore valoir des jurisprudences divergentes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, elles sont désormais limitées et j'en remercie les présidents successifs de notre commission et de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
J'espère enfin que ce travail utile débouchera sur une plus grande rigueur dans le dépôt des amendements, notamment pour le tout prochain projet de loi de finances.
M. Claude Raynal, président. - À la suite de ce travail et de celui qui a été réalisé sous la présidence de Vincent Eblé, les divergences d'analyse entre le Sénat et l'Assemblée nationale ont en effet presque toutes disparu. L'Assemblée nationale tend à se rapprocher de nos positions sur deux derniers points et nous espérons donc nous acheminer vers une analyse totalement homogène.
Je le redis, le dépôt d'un amendement n'est pas la seule façon pour un parlementaire de traiter un sujet. Si le Gouvernement est hostile à une disposition dans le cadre du projet de loi de finances, elle a peu de chances d'être adoptée. Il faut donc rechercher un compromis préalable avec le Gouvernement. Bien sûr, certains amendements relèvent d'un positionnement politique, et leurs auteurs savent bien qu'il n'y a aucune chance que le Gouvernement les accepte. Mais si l'on souhaite qu'un amendement prospère, mieux vaut en discuter en amont avec le ministère.
N'oubliez pas que le Gouvernement peut aussi faire une ouverture lors de la discussion générale, ce qui permet de déclarer l'amendement recevable, car « couvert » par une intention du Gouvernement. Nous pouvons sensibiliser nos groupes parlementaires respectifs à cette possibilité.
M. Victorin Lurel. - L'article 40 confère une certaine tonalité à notre Ve République. Nous ne sommes pas dans une démocratie très épanouie, car le Gouvernement a le dernier mot quoi que l'on fasse.
Monsieur le Rapporteur général, permettez-moi de souligner que depuis 1958, les dérives ne sont pas le fait des parlementaires. Sous la IVe République, tout était permis et cela pouvait constituer un écueil, mais c'est tellement corseté aujourd'hui ! Et d'ailleurs, même sans majorité à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a les moyens de s'imposer avec comme arme ultime la procédure du 49.3.
Le débat sur l'orientation des finances publiques que nous aurons aujourd'hui en séance publique ne servira à rien. C'est kafkaïen !
Vous nous présentez la jurisprudence de l'application de l'article 40, et c'est votre rôle. Je pense toutefois qu'il nous faut réfléchir sérieusement à une réforme, sans retomber dans les travers de la IVe République. D'autres modalités de fonctionnement sont possibles. Je suis d'accord pour améliorer le travail parlementaire, mais c'est insuffisant et même frustrant. Le parlementaire élu doit pouvoir travailler, sans pour autant se montrer irresponsable dans la gestion des fonds publics.
M. Claude Raynal, président. - Le contrôle de la recevabilité financière des amendements déposés sur les projets de loi de finances n'a en effet pas empêché l'État de se retrouver en difficulté...
La commission a adopté le rapport d'information et en a autorisé la publication.
ANNEXE
1
TABLEAU DES GAGES
La présente annexe propose aux auteurs d'amendements et de propositions de loi des rédactions de gage, correspondant aux types d'amendements et aux types de personnes publiques subissant la perte de recettes. Ces rédactions reposent sur le « gage tabac » classique, étant entendu qu'il demeure loisible aux auteurs de choisir de majorer une autre imposition, sous réserve du respect des critères énoncés au sein du présent rapport.
I. LES AMENDEMENTS PORTANT ARTICLE ADDITIONNEL OU PROPOSANT UNE NOUVELLE RÉDACTION POUR L'ENSEMBLE D'UN ARTICLE
Gage |
... - La perte de recettes résultant pour l'État du ... (viser l'alinéa, le paragraphe ou la mesure) est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage |
... - La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du [...] est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage « cascade » collectivités territoriales |
... - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du [...] est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Crédit d'impôt |
.... - Le ... (viser l'alinéa ou le paragraphe) ne s'applique qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
II. LES AMENDEMENTS PORTANT MODIFICATION PONCTUELLE AU SEIN D'UN ARTICLE
Gage |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé : ... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé : ... - La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage « cascade » collectivités territoriales |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés : ... - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Crédit d'impôt |
... - Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés : .... - Le ... (viser l'alinéa ou le paragraphe) ne s'applique qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
III. LES SOUS-AMENDEMENTS
Gage |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé : ... - La perte de recettes résultant pour l'État de l'alinéa [...] est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé : ... - La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de l'alinéa [...] est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Gage « cascade » collectivités territoriales |
... - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet amendement par deux paragraphes ainsi rédigés : ... - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales de l'alinéa [...] est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
Crédit d'impôt |
... - Compléter cet amendement par deux paragraphes ainsi rédigés : .... - Le ... (viser l'alinéa ou le paragraphe) ne s'applique qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû. ... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. |
ANNEXE 2
PRINCIPALES DISPOSITIONS RELATIVES À LA RECEVABILITÉ
FINANCIÈRE
CONSTITUTION
Article 40
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (LOLF)
Article 2
I. - Les ressources et les charges de l'État comprennent les ressources et les charges budgétaires ainsi que les ressources et les charges de trésorerie.
II. - Les impositions de toutes natures peuvent être directement affectées aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux organismes de sécurité sociale, sous les réserves prévues au III du présent article et aux articles 34 et 51.
Les impositions de toutes natures ne peuvent, sous les mêmes réserves, être affectées à un tiers autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent II et leur affectation ne peut être maintenue que si ce tiers est doté de la personnalité morale et si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées.
III. - L'affectation, totale ou partielle, à un tiers d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition d'une loi de finances.
IV. - L'affectation du produit d'une imposition de toute nature à un tiers ne peut résulter que d'une disposition d'une loi de finances. Le présent IV ne s'applique pas aux impositions affectées aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux organismes de sécurité sociale, à l'exception des impositions dont le produit est, en tout ou partie, affecté au budget de l'État.
Article 34
Outre l'article liminaire mentionné à l'article 1er H, la loi de finances de l'année comprend deux parties distinctes.
I. - Dans la première partie, la loi de finances de l'année :
1° Autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État ;
2° Comporte les dispositions relatives aux ressources de l'État qui affectent l'équilibre budgétaire ;
3° Comporte toutes dispositions relatives aux affectations de recettes au sein du budget de l'État ;
3° bis Peut comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux, à l'affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à une personne morale autre que l'État ;
4° Institue et évalue chacun des prélèvements mentionnés à l'article 6 ;
5° Comporte l'évaluation de chacune des recettes budgétaires ;
5° bis Présente la liste et le produit prévisionnel de l'ensemble des impositions de toutes natures dont le produit est affecté à une personne morale autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale et décide, le cas échéant, d'attribuer totalement ou partiellement ce produit à l'État ;
6° Fixe les plafonds des dépenses du budget général et de chaque budget annexe, les plafonds des charges de chaque catégorie de comptes spéciaux ainsi que le plafond d'autorisation des emplois rémunérés par l'État ;
7° Arrête les données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre. Ce tableau distingue également les ressources de fonctionnement et d'investissement et les charges de fonctionnement et d'investissement prévues par le projet de loi de finances. Les ressources de fonctionnement sont constituées des ressources mentionnées aux 1° à 3°, 4° et 7° de l'article 3, déduction faite des prélèvements sur recettes mentionnés aux quatrième et avant-dernier alinéas de l'article 6. Les ressources d'investissement sont constituées des ressources mentionnées aux 3° bis, 5° et 6° de l'article 3 ainsi que des émissions de dette à moyen et long terme nettes des rachats. Les charges de fonctionnement sont constituées des charges mentionnées aux 1° à 4° et 6° du I de l'article 5. Les charges d'investissement sont constituées des charges mentionnées aux 5° et 7° du même I ;
8° Comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État prévues à l'article 26 et évalue les ressources et les charges de trésorerie qui concourent à la réalisation de l'équilibre financier, présentées dans un tableau de financement ;
9° Fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année, de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an ainsi que, pour chaque budget annexe, le plafond de l'encours total de dette autorisé ;
10° Arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'État.
II. - Dans la seconde partie, la loi de finances de l'année :
1° Fixe, pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ;
2° Fixe, par ministère et par budget annexe, le plafond des autorisations d'emplois ;
2° bis Fixe le plafond d'autorisation des emplois des opérateurs de l'Etat par mission, le plafond d'autorisation des emplois des établissements à autonomie financière mentionnés à l'article 66 de la loi de finances pour 1974 (n° 73-1150 du 27 décembre 1973) ainsi que le plafond d'autorisation des emplois des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale ;
3° Fixe, par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés ;
4° Fixe, pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux, par programme, le montant du plafond des reports prévu au 2° du II de l'article 15 de la présente loi organique ;
4° bis Définit, pour chaque mission du budget général, chaque budget annexe et chaque compte spécial, des objectifs de performance et des indicateurs associés à ces objectifs ;
4° ter Récapitule, pour chaque mission du budget général, d'une part, le montant des crédits de paiement de la mission, en distinguant les crédits de subventions aux opérateurs et ceux finançant des dépenses d'investissement au sens du 5° du I de l'article 5 et, d'autre part, les montants respectifs des dépenses fiscales, des ressources affectées, des prélèvements sur recettes mentionnés aux quatrième et avant-dernier alinéas de l'article 6 et des crédits des comptes spéciaux qui concourent à la mise en oeuvre des politiques publiques financées par cette mission ;
5° Autorise l'octroi des garanties de l'État et fixe leur régime ;
6° Autorise l'État à prendre en charge les dettes de tiers, à constituer tout autre engagement correspondant à une reconnaissance unilatérale de dette, et fixe le régime de cette prise en charge ou de cet engagement ;
7° Peut :
a) (Abrogé)
b) Comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires :
- soit de l'année ;
- soit de l'année et d'une ou de plusieurs années ultérieures.
c) Définir les modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales ou des recettes fiscales affectées à ces dernières et à leurs établissements publics ;
d) Approuver des conventions financières ;
e) Comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;
f) Comporter toutes dispositions relatives à la comptabilité publique et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.
g) Comporter des dispositions autorisant le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d'accroître les ressources de l'État.
III. - La loi de finances de l'année doit comporter les dispositions prévues aux 1°, 5°, 6°, 7°, 8° et 9° du I ainsi qu'aux 1°, 2°,3°, 4° bis et 4° ter du II.
Article 35
Sous réserve des exceptions prévues par la présente loi organique, seules les lois de finances rectificatives et les lois de finances de fin de gestion peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année prévues aux 1°, 3° et 4° à 10° du I et au 1° à 6° du II de l'article 34.
Le cas échéant, les lois de finances rectificatives et les lois de finances de fin de gestion ratifient les modifications apportées par décret d'avance aux crédits ouverts par la dernière loi de finances.
Les lois de finances rectificatives doivent comporter les dispositions prévues aux 6° et 7° du I de l'article 34.
Les lois de finances de fin de gestion ne peuvent comporter les dispositions prévues aux 2° et 3° bis du I et au 7° du II du même article 34, à l'exception de celles prévues au b du même 7° lorsque les dispositions affectent directement les dépenses budgétaires de l'année. Elles peuvent toutefois comporter des dispositions tendant à modifier, pour l'année en cours, l'affectation d'impositions de toutes natures.
Les lois de finances rectificatives et les lois de finances de fin de gestion sont présentées en partie ou en totalité dans les mêmes formes que la loi de finances de l'année. Les dispositions de l'article 55 leur sont applicables.
Article 47
Au sens des articles 34 et 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission.
Tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.
Les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables.
RÈGLEMENT DU SÉNAT
Article 17 bis
2. - Le président de la commission contrôle la recevabilité des amendements et sous-amendements au regard de l'article 40 de la Constitution et des dispositions organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Les amendements peuvent être communiqués au président de la commission des finances, qui rend un avis écrit sur leur recevabilité financière. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution. La commission est compétente pour se prononcer sur les autres irrecevabilités, à l'exception de celle fondée sur l'article 41 de la Constitution.
Article 24
1. - Le dépôt des projets de loi, des propositions de loi transmises par l'Assemblée nationale ainsi que des propositions de loi ou de résolution présentées par les sénateurs est enregistré à la Présidence. Il fait l'objet d'une insertion au Journal officiel. Les projets et propositions sont envoyés à la commission compétente sous réserve de la constitution d'une commission spéciale. Ils sont publiés. Leur mise en ligne sur le site internet du Sénat fait l'objet d'une insertion au Journal officiel.
2. - Les propositions de loi ont trait aux matières déterminées par la Constitution et les lois organiques. Si elles sont présentées par les sénateurs, elles ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit la diminution d'une ressource publique non compensée par une autre ressource, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
3. - Les propositions de résolution ont trait aux décisions relevant de la compétence exclusive du Sénat. Elles sont irrecevables dans tous les autres cas, hormis ceux prévus par les textes constitutionnels et organiques.
4. - Le Bureau du Sénat ou certains de ses membres désignés par lui à cet effet sont juges de la recevabilité des propositions de loi ou de résolution.
Article 45
1. Le président de la commission des finances contrôle la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des amendements déposés en vue de la séance publique. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution.
2. Après l'adoption du texte de la commission mentionnée à l'article 17 bis, la commission des finances est compétente pour contrôler la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies.
3. Le président de la commission des affaires sociales est compétent pour examiner la recevabilité des amendements déposés en vue de la séance publique au regard des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.
4. Tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution, sur la loi organique relative aux lois de finances ou sur l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. L'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée selon le cas par la commission des finances ou la commission des affaires sociales.
5. Lorsque la commission n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions su l'irrecevabilité d'un amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, si la commission ne fait pas connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, l'irrecevabilité sera admise tacitement.
6. Le président de la commission saisie au fond adresse au Président du Sénat, avant leur examen en séance publique, la liste des propositions ou des amendements dont la commission estime qu'ils ne relèvent manifestement pas du domaine de la loi ou qu'ils sont contraires à une délégation accordée en vertu de l'article 38 de la Constitution.
7. L'irrecevabilité tirée du premier alinéa de l'article 41 de la Constitution peut être opposée par le Gouvernement ou par le Président du Sénat à une proposition ou à un amendement avant le début de sa discussion en séance publique. Lorsqu'elle est opposée à une proposition par le Gouvernement ou par le Président du Sénat en séance publique, la séance est suspendue jusqu'à ce que le Président du Sénat ou, selon le cas, le Gouvernement ait statué. Lorsqu'elle est opposée à un amendement, la discussion de celui-ci et, le cas échéant, celle de l'article sur lequel il porte est réservée jusqu'à ce que le Président du Sénat ou, selon le cas, le Gouvernement ait statué.
8. Dans les cas prévus à l'alinéa précédent, il n'y a pas lieu à débat. L'irrecevabilité est admise de droit lorsqu'elle est confirmée par le Président du Sénat ou, selon le cas, par le Gouvernement. S'il y a désaccord entre le Président du Sénat et le Gouvernement, le Conseil constitutionnel est saisi à la demande de l'un ou de l'autre et la discussion est suspendue jusqu'à la notification de la décision du Conseil constitutionnel, laquelle est communiquée sans délai au Sénat par le Président.
ANNEXE 3
LA
PROCÉDURE D'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE À
L'ASSEMBLÉE NATIONALE
La procédure d'examen de la recevabilité financière de l'Assemblée nationale, définie par l'article 89 du Règlement de l'Assemblée nationale, présente de nombreux points communs avec celle du Sénat.
- lors du dépôt d'une proposition de loi par un député, le contrôle de la recevabilité financière est effectué par le Bureau de l'Assemblée ou par une délégation du Bureau désignée à cet effet ;
- lors de l'examen d'un projet ou proposition de loi en commission, c'est le président de la commission saisie au fond qui est compétent pour se prononcer sur la recevabilité d'un amendement déposé par un député. Il peut toutefois demander un avis non contraignant au président de la commission des finances, ou au rapporteur général de la commission des finances, ou encore à un « membre [du] bureau [de la commission des finances] désigné à cet effet », avant l'examen du texte ;
- lors de l'examen d'un texte en séance, « la recevabilité des amendements déposés sur le bureau de l'Assemblée est appréciée par le Président. (...) En cas de doute, le Président décide après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet ; à défaut d'avis, le Président peut saisir le Bureau de l'Assemblée. »
L'irrecevabilité de tout ou partie d'une proposition de loi ou d'un amendement peut être soulevée « à tout moment » au cours de son examen, par le Gouvernement ou par un député. Le président de la commission des finances, ou le rapporteur général de la commission des finances, ou encore un « membre [du] bureau [de la commission des finances] désigné à cet effet », est alors compétent pour apprécier la recevabilité financière des dispositions de la proposition de loi ou de l'amendement pour lesquelles l'article 40 de la Constitution a été invoqué. L'invocation de l'article 40 n'est toutefois pas possible pour un texte d'origine sénatoriale, les textes transmis au cours de la navette étant réputés conformes à l'article 40 de la Constitution.
* 1 Rapport d'information n° 263 (2013-2014) de M. Philippe MARINI, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 janvier 2014.
* 2 Irrecevabilité législative. L'article 41 dispose que « s'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut opposer l'irrecevabilité ».
* 3 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.
* 4 Rapport d'information n° 401 (2007-2008) de M. Jean ARTHUIS, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 juin 2008.
* 5 Outre Jean CHARBONNEL (1971), Robert-André VIVIEN (1980), Christian GOUX (1982 et 1983), Jacques BARROT (1994), Pierre MÉHAIGNERIE (2006), Jérôme CAHUZAC (2012), Gilles CARREZ (2017) et Éric WOERTH (2022) ont rédigé de tels rapports.
* 6 Compte-rendu de la commission des finances du Sénat du 8 juillet 2020, Communication du président Vincent Éblé sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires.
* 7 « L'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique ».
* 8 John Hatsell, Precedents of Proceedings in the House of Commons, 1818.
* 9 Joachim Wehner, Effective Financial Scrutiny: The Role of Parliament in Public Finance, World Bank Parliamentary Staff, 2008.
* 10 Standing Orders of the House of Commons (2024), n° 48.
* 11 Cet article résultait de l'adoption d'un amendement déposé à l'initiative de Lionel de Tinguy du Pouët, député de la Vendée.
* 12 Article 16 de la loi n° 48-1974 du 31 décembre 1948 fixant l'évaluation des voies et moyens du budget de l'exercice 1949 et relative à diverses dispositions d'ordre financier. Journal officiel du 1er janvier 1949, pages 3 et 4.
* 13 Réunion du Comité consultatif constitutionnel du matin du 8 août 1958.
* 14 Aussi divers moyens étaient-ils utilisés par les membres de l'Assemblée nationale afin de contourner la limite posée au second alinéa de l'article 17 de la Constitution de 1946, notamment celui consistant à exercer des pressions sur le Gouvernement ou, à partir du vote du budget de 1952, à subordonner le vote du budget au dépôt, par le Gouvernement, d'une lettre rectificative portant augmentation des dotations de certains chapitres budgétaires : le Gouvernement était ainsi contraint à prendre l'initiative des dépenses nouvelles souhaitées par les parlementaires.
* 15 Journal officiel du 20 juin 1956, page 5634.
* 16 Réunion de la commission constitutionnelle du Conseil d'État des 25 et 26 août 1958.
* 17 Telles que modifiées par la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale et par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 18 Conseil constitutionnel, décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, Loi d'orientation autorisant le Gouvernement par application de l'article 38 de la Constitution à prendre des mesures d'ordre social, considérants n° 1 et 2.
* 19 Conseil constitutionnel, décision n° 59-2 DC du 24 juin 1959, Règlement de l'Assemblée nationale.
* 20 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du mardi 2 juin 1959, pages 146 à 150.
* 21 Cf. projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, n° 820 (XIIIe législature), enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 avril 2008.
* 22 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du jeudi 4 juin 1959, page 174.
* 23 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.
* 24 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005, Loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique.
* 25 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
* 26 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances telle que modifiée par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 27 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
* 28 Conseil constitutionnel, décision n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, Loi relative aux assurances maladie, invalidité et maternité des exploitants agricoles et des membres non-salariés de leur famille.
* 29 Conseil constitutionnel, décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, Loi supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle.
* 30 Ces règles sont également utilisées pour appliquer les normes maastrichtiennes en matière de dette et de déficit publics.
* 31 Définition figurant dans le règlement (UE) n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne.
* 32 Annexe au projet de loi de finances pour 2024, « Opérateurs de l'État «, 17 octobre 2023.
* 33 Leurs établissements nationaux sont également dans le champ de l'article 40, à l'instar de CCI France par exemple.
* 34 Pour une description détaillée de ces administrations, le lecteur est invité à se reporter à la quatrième partie du rapport, consacré à l'application de la recevabilité financière et organique aux administrations de sécurité sociale.
* 35 Loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement.
* 36 Les crédits correspondant à la rémunération de cette mission sont portés par le programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie ».
* 37 Conseil d'État, n° 243781, 19 février 2003, CTIFL.
* 38 Article 6 de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.
* 39 Conseil d'État, n° 43834, 28 juin 1963, Sieur Narcy.
* 40 Conseil d'État, n° 264541, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI).
* 41 Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom.
* 42 Ce cas doit être distingué de l'affectation d'une ressource publique à une personne publique dotée de la personne morale, sans fléchage de cette ressource vers une dépense précise ; cas qui serait abordé ultérieurement.
* 43 En deux étapes en 2020 puis en 2022.
* 44 Article L. 221-5 du code monétaire et financier.
* 45 Le Conseil d'État avait également considéré que les sociétés anonymes d'habitation à loyer modéré remplissaient une mission de service public ( arrêt n° 422569, 7 juin 2019, SA HLM Antin Résidences).
* 46 Rapport d'information n° 5107, déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale, présenté par M. Éric Woerth, 23 février 2022.
* 47 L'agrément étant subordonné à l'adoption de statuts comportant certaines dispositions obligatoires, de nature à permettre aux fédérations sportives de participer à l'exécution d'une mission de service public.
* 48 La Cour des comptes a pu qualifier ce système de « financement administré » de la haute performance, dans son rapport du mois de juillet 2022 sur l'Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport.
* 49 Article R. 411-1 du code du sport.
* 50 Cour de justice de l'Union européenne, 19 décembre 2013, « Vent de colère ! » ( affaire C 262/12).
* 51 Conseil constitutionnel, décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014, Société Praxair SAS.
* 52 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-221 QPC du 17 février 2012, Société Chaudet et Fille et autres.
* 53 Cour de justice de l'Union européenne, 30 mai 2013, « Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-AREE » (affaire C-677/11). Il s'agissait en l'espèce de cotisations obligatoires d'entreprises à des organisations interprofessionnelles.
* 54 Les règlements européens étant d'application directe. Sont donc par définition inclues dans cette catégorie les mesures adaptant le droit national au droit européen.
* 55 En droit de l'Union européenne, il convient en effet de distinguer l'entrée en vigueur d'un texte, suivant sa publication au Journal officiel de l'Union européenne, et l'entrée en application des dispositions de ce texte, selon un calendrier généralement plus long.
* 56 Autrement dit, une initiative sénatoriale qui transposerait une disposition d'une directive avant que le délai laissé à l'État pour le faire ne soit expiré serait contraire à l'article 40 de la Constitution.
* 57 Conseil constitutionnel, décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024, M. Diabe S. et autres.
* 58 Conseil constitutionnel, décision n° 2024-1098 QPC du 4 juillet 2024, M. Sébastien L.
* 59 Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
* 60 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
* 61 Conseil constitutionnel, décision n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, op. cit.
* 62 En effet, en application de l'article 42 de la Constitution, tel que modifié par la révision constitutionnelle de 2008, « la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie ».
* 63 Ce qui exclut donc, lors de l'examen au Sénat, le texte adopté en commission à l'Assemblée nationale.
* 64 Compte-rendu intégral de la deuxième séance du 23 novembre 1960.
* 65 Le régime de partage territorial de la valeur mis en place par la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables consiste en une remise sur la facture d'électricité acquittée par les clients finals ou les communes à proximité d'installations de production d'énergies renouvelables.
* 66 Une nouvelle législature est ouverte à l'issue de chaque élection législative, que celle-ci intervienne selon le calendrier ordinaire ou à l'issue d'une dissolution.
* 67 Autrement dit, l'examen de la recevabilité financière d'un amendement dans l'une des chambres ne lui confère une garantie de recevabilité dans l'autre chambre.
* 68 Pratique en vigueur à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
* 69 De la même façon, la circonstance que le Gouvernement ait donné un avis favorable à un amendement n'emporte pas la recevabilité d'un amendement identique déposé ultérieurement sur un autre texte.
* 70 Conseil constitutionnel, décision n° 77-91 DC du 18 janvier 1978, Loi complémentaire à la loi du 2 août 1960 et relative aux rapports entre l'État et l'enseignement agricole privé.
* 71 Conseil constitutionnel, décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, op. cit.
* 72 Conseil constitutionnel, décision n° 85-203 DC du 28 décembre 1985, Loi de finances rectificative pour 1985.
* 73 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003, Loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.
* 74 Conseil constitutionnel, décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, op. cit.
* 75 Dès lors, comme cela sera décrit plus bas, que cette charge ne puisse pas être considérée comme une charge de gestion, absorbable par l'organisme concerné.
* 76 Par ailleurs du domaine exclusif des lois de finances (cf. deuxième partie sur la recevabilité organique).
* 77 Conseil constitutionnel, décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation.
* 78 Étant précisé que les initiatives parlementaires portant sur les collectivités territoriales et sur les administrations de sécurité sociale font l'objet d'un traitement spécifique dans les troisième et quatrième parties du rapport.
* 79 La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID).
* 80 Cela vaut pour des fonds dont l'accès serait ouvert aux particuliers. Il ne saurait être opposé à une personne individuelle qui respecterait les critères d'éligibilité au fonds une logique de « premier arrivé premier servi », l'épuisement des crédits ne pouvant justifier de lui refuser le bénéfice de la subvention à laquelle il aurait par ailleurs droit.
* 81 Section 2 du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales.
* 82 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
* 83 Situation qu'il revient de distinguer, comme cela a été expliqué précédemment, de l'effet incertain d'un remplacement d'un critère par un autre. L'assouplissement d'un critère d'éligibilité a un effet certain sur le niveau de la charge publique.
* 84 Portail officiel de signalement des contenus illicites de l'Internet.
* 85 L'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, en charge de la plateforme Pharos, avait en outre indiqué qu'une telle extension supposerait une augmentation significative de ses moyens.
* 86 Conseil constitutionnel, décision n°82-154 DC du 29 décembre 1982, Loi de finances pour 1983.
* 87 Rapport d'information n° 5107, déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale, présenté par M. Éric Woerth, 23 février 2022.
* 88 Ibid. Ces critères sont les suivants : l'expérimentation doit être à la main de l'État, elle doit être limitée dans le temps, elle doit faire l'objet d'une délimitation géographique, elle doit être réversible et l'objet de l'expérimentation doit être défini, réalisable et précis. Le président de la commission des finances écarte également les expérimentations dont l'intérêt serait déjà démontré. Enfin, toute modification d'une expérimentation existante doit se conformer aux critères de l'expérimentation.
* 89 Les opérateurs de l'État constituant, comme vu précédemment, des personnes publiques à part entière, entrant à ce titre dans le champ d'application de l'article 40 de la Constitution, tout transfert de compétences entre deux opérateurs est irrecevable.
* 90 Sur ce point, le lecteur est invité à se reporter à la deuxième partie, consacrée à la recevabilité des amendements au regard des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances.
* 91 Sur ce point, le lecteur est invité à se reporter à la troisième partie, consacré à l'examen de la recevabilité financière des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales.
* 92 Comme cela sera explicité dans la quatrième partie, le Conseil constitutionnel considère que tout élargissement du droit de prescription a un impact sur les dépenses d'assurance maladie.
* 93 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
* 94 Dans la fonction publique, les régimes de rémunération ne sont pas unifiés et peuvent varier, d'un ministère à l'autre par exemple. Dès lors, tout amendement parlementaire visant à soumettre les agents d'un ministère à un régime de rémunération d'un autre ministère est irrecevable si ce régime est plus favorable.
* 95 En l'espèce, la jurisprudence dite du « vivier de recrutement », décrite plus haut, ne peut pas s'appliquer, puisqu'il ne s'agit pas d'élargir le vivier de recrutement à volume d'agents recrutés égal, mais de promouvoir plus facilement certains agents publics, avec un effet direct et certain sur leurs rémunérations.
* 96 Conseil constitutionnel, décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation.
* 97 L'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
* 98 À titre d'exemple, dans sa décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que « la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée ; que la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ; que, pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ».
* 99 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, op. cit.
* 100 Pour davantage de détails sur l'application de l'article 40 de la Constitution aux lois de programmation, le lecteur est invité à se reporter au I. de la première partie.
* 101 Conseil constitutionnel, décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité.
* 102 Plus spécifiquement, aux termes de l'article 1521 du code général des impôts, sont visés « les locaux sans caractère industriel ou commercial loués par l'État, les départements, les communes et les établissements publics, scientifiques, d'enseignement et d'assistance et affectés à un service public ».
* 103 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003, Loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.
* 104 Compte-rendu de la commission des finances du Sénat du 8 juillet 2020, Communication du président Vincent Éblé sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires.
* 105 Courrier de M. Vincent Éblé à l'adresse de Mmes et MM. les Sénatrices et Sénateurs, en date du 10 juillet 2020.
* 106 Pour davantage de détails, le lecteur est invité à se reporter à la partie consacrée aux charges de trésorerie.
* 107 Pour davantage de détails, le lecteur est invité à se reporter à la partie consacrée à la création de structures ayant vocation à dépenser.
* 108 Pour davantage de détails, le lecteur est invité à se reporter à la partie consacrée à l'élargissement des compétences d'une personne publique ainsi qu'aux taxes affectées.
* 109 Le gage « tabac » consiste en une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs.
* 110 Conseil constitutionnel, décision n° 76-64 DC du 2 juin 1976, Résolution tendant à modifier et à compléter certains articles du règlement du Sénat.
* 111 Annexe 1, « Tableau des gages ».
* 112 Il est rappelé que cette appréciation s'évalue au regard du seul dispositif de l'amendement, et non de l'ensemble du texte. Quant à la réalité de la possibilité, pour une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs, de compenser l'ensemble des amendements adoptés au cours de l'examen d'un texte et diminuant les recettes publiques, cela ne relève pas du juge de la recevabilité financière...
* 113 Désormais remplacé par le dispositif France revitalisation rurale (FRR).
* 114 Pour des exemples, se référer à l'annexe 1.
* 115 Conseil constitutionnel, décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, op. cit.
* 116 Le traitement des crédits d'impôt fait l'objet d'un développement particulier (cf. infra).
* 117 Pour reprendre l'exemple du barème de l'impôt sur le revenu, ce serait le cas pour un amendement parlementaire remplaçant le barème actuel de cinq tranches par un barème de trois tranches, avec des taux inférieurs à ceux du barème actuel.
* 118 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
* 119 Cour des comptes, Rapport sur l'exécution du budget 1998.
* 120 Conseil d'État, avis n° 365546 du 21 décembre 2000 sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances.
* 121 Conseil constitutionnel, décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982, op. cit.
* 122 Loi organique n° 2021-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 123 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 124 La liste des prélèvements sur recettes est donnée, à titre indicatif, dans la troisième partie relative à la recevabilité des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales.
* 125 Conseil constitutionnel, décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990.
* 126 Le gage visant à compenser pour l'État une hausse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ne doit pas être confondu avec le gage « cascade » décrit supra, qui compense la baisse d'une recette établie au profit des collectivités par une augmentation de la DGF. Dans ce dernier cas, la hausse de la DGF doit elle-même être gagée au profit de l'État dans un deuxième temps.
* 127 Pour davantage de détails sur la recevabilité des amendements au regard des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, le lecteur est invité à se reporter à la deuxième partie.
* 128 Ibid.
* 129 Il convient de noter qu'aux termes de l'article 2 de la loi organique n° 2021-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, seule une disposition de loi de finances peut prévoir d'affecter totalement ou partiellement à une autre personne morale une ressource établie au profit de l'État.
* 130 L'affectation de nouvelles taxes établies au profit de l'État à d'autres organismes que les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes de sécurité sociale relève du domaine exclusif des lois de finances (voir supra).
* 131 Les crédits évaluatifs, prévus à l'article 10 de la loi organique relative aux lois de finances, ont pour particularité que les dépenses auxquelles ils s'appliquent s'imputent, si nécessaire, au-delà des crédits ouverts.
* 132 Pour la très grande majorité des impôts et des taxes, c'est-à-dire pour ceux donnant lieu à un prélèvement pour frais de non-valeurs au profit de l'État.
* 133 En application de l'article 1960 du code général des impôts.
* 134 Par définition, un foyer fiscal non soumis à l'impôt sur le revenu ne bénéficiera pas d'une réduction d'impôt. Il peut en revanche bénéficier d'un crédit d'impôt, avec un décaissement du montant dû par l'État.
* 135 Cette lecture a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013 relative à la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes. Le juge constitutionnel a censuré le dispositif de tarification progressive de l'électricité, qui fonctionnait selon un mécanisme de bonus-malus, au motif qu'il ne respectait pas le principe d'égalité devant les charges publiques, ce qui signifiait, d'une part, que le malus était bien considéré comme une imposition de toute nature et que, d'autre part, le bonus s'apparentait à une charge publique, financée par cette imposition de toute nature.
* 136 Conseil constitutionnel, décision n° 78-94 DC du 14 juin 1978, op. cit.
* 137 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 28 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
* 138 L'article 42 de la Constitution prévoit une série d'exceptions à cette règle, concernant les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, dont la discussion porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.
* 139 Résolution du 2 juin 2009 tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat.
* 140 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme et rénover les méthodes de travail du Sénat.
* 141 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-712 DC du 11 juin 2015, Résolution réformant les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d'amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace
* 142 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.
* 143 Cette pratique était formalisée dans l'ancienne rédaction du premier alinéa de l'article 45 du Règlement du Sénat, validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 63-22 DC du 11 juin 1963, dont les termes étaient les suivants : « Tout amendement dont l'adoption aurait pour conséquence, soit la diminution d'une ressource publique non compensée par une autre ressource, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique peut faire l'objet d'une exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la commission des finances, la commission saisie au fond ou tout sénateur. [...] L'amendement est mis en discussion lorsque la commission des finances ne reconnaît pas l'irrecevabilité. »
* 144 Les Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier n° 22, « Commentaire de la décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006. Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 «.
* 145 Le Commentaire de la décision n° 2006-544 précisait ainsi que dans le cas de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, cette « inflexion de la jurisprudence entraînerait en l'espèce la censure d'une bonne vingtaine d'articles si les dispositions en cause avaient subi d'office le test de l'article 40 ».
* 146 Rapport d'information n° 5107, déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale, présenté par M. Éric Woerth, 23 février 2022.
* 147 Loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la Constitution.
* 148 Conseil constitutionnel, décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013, Loi organique portant application de l'article 11 de la Constitution.
* 149 Conseil constitutionnel, décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, Loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales.
* 150 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, op. cit.
* 151 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du jeudi 18 juillet 2013, pages 7459 et 7460.
* 152 Conseil constitutionnel, décision n° 78-94 DC du 14 juin 1978, Résolution tendant à modifier les articles 24, 39, 42, 44, 45 et 60 bis du règlement du Sénat.
* 153 Compte-rendu intégral de la séance au Sénat du 10 avril 2024 et compte-rendu de la réunion de la commission des finances du Sénat du 10 avril 2024 relative à l'examen de la recevabilité financière de la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans.
* 154 Compte-rendu de la réunion de la commission des finances du Sénat le 26 octobre 2011.
* 155 Parmi les deux dispositions censurées par la commission des finances, l'une d'entre elles avait été insérée par la commission saisie au fond.
* 156 Compte-rendu de la commission mixte paritaire sur la loi de modernisation de l'économie du 17 juillet 2008.
* 157 Conseil constitutionnel, décision n° 78-94 DC du 14 juin 1978, op. cit.
* 158 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, op. cit.
* 159 Jean-Louis Pezant, « Le contrôle de la recevabilité des initiatives parlementaires. Éléments pour un bilan », Revue française de science politique, n° 1, 1981.
* 160 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, op. cit.
* 161 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
* 162Conseil constitutionnel, décision n° 75-57 DC du 23 juillet 1975, op. cit.
* 163 Conformément à l'article 47-1 de la Constitution, les projets de loi de financement de la sécurité sociale sont également votés dans les conditions prévues par une loi organique.
* 164 L'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
* 165 Les conditions d'application de la procédure accélérée sont précisées à l'article 45 de la Constitution.
* 166 Dans le présent rapport, l'expression « loi ordinaire » ne correspond pas à une catégorie juridique mais est simplement utilisé pour distinguer les lois de finances des autres lois, dites « ordinaires ».
* 167 À cet égard, il convient de rappeler que, dans sa décision n° 79-110 DC du 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi de finances pour 1980 au motif que l'Assemblée nationale avait procédé à l'examen de la seconde partie sans avoir préalablement adopté l'article d'équilibre, violant de ce fait un « principe fondamental [...] tend[ant] à garantir qu'il ne sera pas porté atteinte, lors de l'examen des dépenses, aux grandes lignes de l'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été arrêté par le Parlement ». Ce principe s'applique également aux lois de finances rectificatives (Conseil constitutionnel, décision n° 92-309 DC du 9 juin 1992, Résolution modifiant l'article 47 bis du Sénat).
* 168 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 169 Telle que modifiée par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 170 Anciennement loi de règlement du budget et d'approbation des comptes.
* 171 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
* 172 Ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
* 173 Une possibilité que le Conseil constitutionnel a qualifié de « faculté nouvelle » dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 relative à la loi organique relative aux lois de finances. Une mission regroupe un ensemble de politiques publiques cohérent et ne recouvre pas nécessairement le périmètre d'un ministère (Économie, Culture, Justice, Défense, Enseignement scolaire, etc.).
* 174 Les actions relèvent du niveau règlementaire.
* 175 Ou, le cas échéant, du compte d'affectation spéciale ou du compte de concours financiers.
* 176 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, op. cit.
* 177 Pour davantage d'information sur les projets de lois de finances modificatives, se reporter au 2 du C. du II.
* 178 Articles 13 et 14 de la LOLF.
* 179 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 180 Les informations présentées ci-après intègrent donc toutes les modifications apportées par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021.
* 181 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, op. cit.
* 182 Néanmoins, l'irrecevabilité ne saurait être opposée à un amendement parlementaire portant sur un dispositif introduit dans le texte initial ou au cours de la navette et qui n'aurait pas sa place en loi de finances. Le dispositif, même modifié par le Parlement, encourt toutefois toujours la censure du Conseil constitutionnel.
* 183 Avant la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, cela supposait que tous les amendements créant des crédits ou des réductions d'impôts, régularisés en année n + 1, figurent en seconde partie de la loi de finances.
* 184 Dès lors, par définition, un amendement n'ayant un effet sur les dépenses qu'en année n + 1, voire ultérieurement, sera irrecevable.
* 185 Le périmètre de ces dispositions est précisé au III de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances.
* 186 Le Conseil constitutionnel le qualifie de domaine « obligatoire et exclusif » ( décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, op. cit.).
* 187 Le champ des dispositions relevant du domaine partagé est précisé par le 3° bis du I et par le 7° du II de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances.
* 188 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-585 DC du 6 août 2009, Loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008.
* 189 Conseil constitutionnel, décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales.
* 190 Conseil constitutionnel, décision n° 82-124 L du 23 juin 1982, Nature juridique des dispositions du premier alinéa de l'article 13 et du deuxième alinéa de l'article 14 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.
* 191 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-488 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003.
* 192 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003, Loi relative à l'archéologie préventive.
* 193 Et de la première partie de la loi de finances, même si elles produisent leurs effets plusieurs années après l'année concernée par la loi de finances initiale.
* 194 Conseil constitutionnel, décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.
* 195 Conseil constitutionnel, décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993, Loi de finances pour 1994.
* 196 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-457 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances rectificative pour 2001.
* 197 Conseil constitutionnel, décision n° 85-201 DC du 28 décembre 1985, Loi de finances pour 1986.
* 198 Considérant de principe. Repris par exemple par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023 relative à la loi de finances pour 2024.
* 199 L'approbation d'une convention fiscale internationale ne relève pas du domaine des lois de finances.
* 200 Article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, article 2 de la LOLF.
* 201 Article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, article 2 de la LOLF.
* 202 Rapport n° 831 (2020-2021) de MM. Jean-François HUSSON et Claude RAYNAL sur la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 septembre 2021.
* 203 Ibid.
* 204 Article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, article 2 de la LOLF.
* 205 À l'Assemblée nationale, ce contrôle est également assuré par le président de la commission des finances.
* 206 La jurisprudence en matière de recevabilité financière ne sera pas systématiquement redétaillée, mais il pourra être procédé par renvoi.
* 207 Et tel qu'avalisé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, op. cit.
* 208 Les collectivités territoriales à statut particulier, dont les dispositions spécifiques sont regroupées dans le titre IV du code général des collectivités territoriales, recouvrent la Ville de Paris, le département de Mayotte, la métropole de Lyon, les collectivités territoriales uniques de Martinique et de Guyane, la collectivité de Corse.
* 209 Il s'agit de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Wallis et Futuna, de la Polynésie française, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
* 210 Aux termes de l'article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales, « forment la catégorie des groupements de collectivités territoriales les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes, les pôles métropolitains, les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, les agences départementales, les institutions ou organismes interdépartementaux et les ententes interrégionales ».
* 211 Pour davantage de détails sur la définition d'une charge publique et sur ce que recouvre les notions de « création » et « d'aggravation » d'une charge publique, le lecteur est invité à se reporter à la première partie du présent rapport.
* 212 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.g de la première partie.
* 213 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.i et au II.A.3.c de la première partie.
* 214 Pour davantage de détails, se reporter au II.C.3.b de la première partie.
* 215 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.c de la première partie.
* 216 L'irrecevabilité de cet amendement est antérieure à la création du service territorial d'incendie et de secours de Saint Martin, autorisée par la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.
* 217 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.3.b et e de la première partie.
* 218 Ce qui serait un contournement de l'interdiction de compenser la création ou l'aggravation d'une charge publique par l'octroi d'une nouvelle recette.
* 219 Le code général des collectivités territoriales dispose en effet que les présidents du Conseil de Guyane, de l'assemblée et du conseil exécutif de Martinique bénéficient des mêmes attributions et des mêmes statuts que les présidents des autres exécutifs régionaux et départementaux. L'amendement était donc déjà satisfait par le dispositif proposé et venait préciser la rédaction de la norme législative.
* 220 Pour davantage de détails sur la notion de « charge de gestion », se reporter au II.A.3. b de la première partie.
* 221 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.3.d de la première partie.
* 222 L'article L. 5211-2 du code général des collectivités territoriales encadre par exemple le montant maximal de l'indemnité qui peut être octroyée au président et aux vice-présidents d'établissements publics de coopération intercommunale. Ces règles peuvent être assouplies, par exemple pour certains vice-présidents, à condition que l'enveloppe indemnitaire globale ne soit pas modifiée.
* 223 Pour davantage de détails, se reporter au II.B.1 de la première partie.
* 224 Et à la condition, également, de ne pas créer un nouveau prélèvement sur recettes par l'intermédiaire du gage. La création d'un PSR relève en effet du domaine exclusif des lois de finances.
* 225 Des exemples de gage sont présentés en annexe 1.
* 226 Pour la jurisprudence de portée générale, se reporter au II.A.2.d et f de la première partie.
* 227 Cette prise en charge a depuis été transférée à l'État par la loi n° 2024-475 du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne.
* 228 Conseil constitutionnel, décision n° 76-64 DC du 2 juin 1976, op. cit.
* 229 Au Sénat comme à l'Assemblée nationale.
* 230 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2. d de la première partie.
* 231 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. L'adoption de cette loi a par exemple conduit à transférer la compétence « transports » des départements aux régions.
* 232 La clause générale de compétence est un principe selon lequel une collectivité territoriale dispose d'une capacité d'intervention générale dès lors qu'il existe un intérêt public local et qu'elle n'empiète pas sur une compétence exclusive de l'État ou d'une autre collectivité territoriale. La clause générale de compétence a été abrogée pour les régions et les départements par la loi précitée n° 2015-991 du 7 août 2015.
* 233 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.
* 234 Pour davantage de détails, se reporter au II. A.3.b de la première partie.
* 235 Le cadre général des délégations de compétences entre l'État et les collectivités territoriales est défini par l'article L. 1111-8-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Des délégations spécifiques sont également prévues pour les métropoles (article L. 5217-2 du CGCT) et pour la métropole du Grand Paris (article L. 5219-1 du CGCT).
* 236 Article L. 1111-8-1 du code général des collectivités territoriales.
* 237 Moins spécifiques aux collectivités territoriales que les dotations publiques, les fonds ont été abordés en détail au II.A.2.c de la première partie.
* 238 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.a de la première partie.
* 239 Pour davantage de détails sur les règles relatives à la recevabilité des amendements de crédits, se reporter au I.B. de la deuxième partie.
* 240 Dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales.
* 241 De surcroît, les crédits budgétaires ne sont votés que pour une seule année. Maintenir une dotation supposerait l'ouverture de nouveaux crédits.
* 242 Pour davantage de détails, se reporter au II.C. de la première partie.
* 243 Conseil constitutionnel, décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, op. cit.
* 244 En l'absence de relèvement de son montant, la dotation globale de fonctionnement s'apparente en la matière à une enveloppe fermée.
* 245 Pour davantage de détails sur les dégrèvements, se reporter au II.C.3. de la première partie.
* 246 Article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
* 247 Article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales.
* 248 Pour davantage de détails sur la recevabilité au regard des dispositions de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, se reporter à la deuxième partie.
* 249 Parlementaires comme gouvernementales.
* 250 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 251 Ibid.
* 252 Article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 253 Pour davantage de détails, se reporter au I.B. de la deuxième partie.
* 254 Il appartiendra le cas échéant à la prochaine loi de finances d'en tirer les conséquences pour l'évaluation du montant du PSR, conformément au 5° du I de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances.
* 255 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010.
* 256 Par exemple le fonds de solidarité régionale, qui est adossé à la fraction de taxe sur la valeur ajoutée attribuée aux régions en compensation de la perte de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
* 257 Pour la recevabilité organique des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales dans le cadre des lois de finances rectificatives et des lois de finances de fin de gestion, le lecteur est invité, par comparaison avec le présent tableau, à se reporter aux tableaux figurant au II de la deuxième partie.
* 258 Article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, article 2 de la LOLF.
* 259 La jurisprudence en matière de recevabilité financière ne sera pas systématiquement redétaillée, mais il pourra être procédé par renvoi
* 260 Insee, Administrations publiques en 2018 - Définition des administrations de sécurité sociale, mars 2020.
* 261 L'Insee donne en exemple les oeuvres sociales de la Caisse nationale des allocations familiales ainsi que les écoles d'infirmières.
* 262 Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.
* 263 Article 80 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.
* 264 Article 183 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 265 Rapport d'information n° 5107, déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale, présenté par M. Éric Woerth, 23 février 2022.
* 266 Annexe n° 2 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 267 Des exemples de gages sont présentés en annexe.
* 268 Pour davantage de détails sur la définition d'une charge publique et sur ce que recouvre les notions de « création » et « d'aggravation » d'une charge publique, le lecteur est invité à se reporter à la première partie du présent rapport.
* 269 Pour davantage de détails, se reporter au II. A. 2. b de la première partie.
* 270 Dès lors que les revenus tirés d'une activité professionnelle ne sont pas pris en compte dans le calcul des ressources, davantage de personnes se retrouvent en-deçà du plafond et peuvent donc bénéficier de l'allocation concernée.
* 271 Autrement dit, le raisonnement était le suivant : si un patient a besoin d'un traitement, peu importe qu'il aille voir tel ou tel professionnel, le traitement et le remboursement seront les mêmes. L'extension du droit de prescription ne crée pas de « nouveaux patients ».
* 272 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-832 DC du 16 décembre 2021. Loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
* 273 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022. Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
* 274 Pour davantage de détails sur cette jurisprudence, se reporter au II.A.2.g de la première partie.
* 275 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, op. cit.
* 276 Ibid.
* 277 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.a de la première partie.
* 278 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.c. de la première partie.
* 279 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.d. de la première partie.
* 280 Le Fonds d'intervention régional a fait l'objet d'un développement spécifique dans le II.A.2.a de la première partie.
* 281 Selon la Haute autorité de la santé, l'accès précoce est un dispositif qui permet à des patients en impasse thérapeutique de bénéficier, à titre exceptionnel et temporaire, de médicaments non autorisés dans une indication thérapeutique précise.
* 282 Une partie de ce dispositif est désormais placé en extinction.
* 283 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.g de la première partie.
* 284 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, op. cit.
* 285 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.3.a de la première partie.
* 286 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005, Loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 287 Article 1er de la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 288 Loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale.
* 289 Voir le b du 1 du C du II de la deuxième partie.
* 290 Avant son abrogation, le président de la commission des finances avait déclaré irrecevable un amendement parlementaire qui supprimait le droit de timbre conditionnant l'accès à l'aide médicale d'État (article 968 E du code général des impôts, désormais abrogé).
* 291 Le mécanisme des clauses de sauvegarde désigne le versement par les entreprises vendant des médicaments et des dispositifs médicaux d'une contribution à l'assurance maladie lorsque leur chiffre d'affaires dépasse en croissance un niveau fixé par la LFSS.
* 292 Pour davantage de détails, se reporter au II.A.2.f de la première partie.
* 293 Chacune de ces branches dispose d'un mode de financement et de gestion distinct, même si elles sont désormais regroupées sous l'égide de la Caisse nationale d'assurance maladie.
* 294 Articles L. 211-1 à L. 217-8 du code de la sécurité sociale.
* 295 Conseil constitutionnel, décision n° 76-74 DC du 28 décembre 1976, Loi de finances rectificative pour 1976 et notamment ses articles 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 22. Cette censure s'est exercée en application de l'article 42 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
* 296 La taxe sur les salaires constitue en effet une imposition de toute nature. Pour davantage de détails sur ce point, se reporter au II.C de la deuxième partie.
* 297 Conseil constitutionnel, décision n° 2023-860 DC du 21 décembre 2023, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 298 Ce terme désigne la possibilité, pour différentes entités étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation de devenir un assujetti unique à la TVA.
* 299 Ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État dans sa décision n° 460386 du 13 juillet 2022.
* 300 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 301 Pour davantage de détails sur les cavaliers budgétaires, se reporter aux II.A et II.C de la deuxième partie.
* 302 À l'Assemblée nationale, cette compétence revient à la commission des finances.
* 303 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.