C. ... QUI A PRÉCÉDÉ L'ADOPTION DU VOLET LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

Le volet législatif de la réforme a été finalisé début 2022, alors que le processus de consultation mené par les conseils de la LFP était dans sa seconde phase. S'il était acquis que le dispositif devait bénéficier en premier lieu au football, les parlementaires ne disposaient que d'une information très sommaire sur les négociations en cours.

1. Le Sénat plaide pour un renforcement des contrôles

La réforme engagée par la LFP était en cours de finalisation au moment de l'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, qui détermine les conditions dans lesquelles une ligue de sport professionnel peut créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation des compétitions qu'elle organise.

Cette disposition a été introduite dans la proposition de loi26(*) par un amendement de notre collègue député Cédric Roussel, adopté en séance à l'Assemblée nationale le 19 mars 2021, ce qui a permis de sécuriser juridiquement le projet en cours de mise en oeuvre par la LFP.

L'amendement27(*) de Cédric Roussel autorisait les ligues à créer une société commerciale pour la commercialisation de leurs droits audiovisuels (à l'exclusion de leurs autres droits d'exploitation).

Cet amendement prévoyait les garde-fous suivants :

Ø une approbation des statuts de ladite société par arrêté du ministre chargé des sports après avis de la fédération concernée ;

Ø une participation minimale de la ligue de 80 % dans la société ;

Ø un rappel des principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur ;

Ø un décret déterminant les catégories de personnes physiques et morales exclues du capital de la société.

Avant l'examen du texte au Sénat, la commission a auditionné Vincent Labrune, le 8 décembre 2021. Le président de la LFP a alors communiqué à la commission les informations suivantes :

« Nous avons lancé un process avec un certain nombre de conseils. Nous aurons les premières offres indicatives la semaine prochaine. Si nous n'obtenons pas une valorisation qui répond à l'ambition de notre projet et à la place que nous souhaitons donner au football français à l'international, nous n'avancerons pas. En revanche, si la valorisation est juste et qu'elle nous permet de sauver notre système et de faire bénéficier ces fonds au monde amateur, nous nous poserons sérieusement la question d'avancer.

Nous avons reçu une soixantaine d'appels de sociétés intéressées. Nous en avons sélectionné la moitié. Parmi cette trentaine de sociétés candidates, 80 % sont des sociétés anglo-saxonnes. Elles ont pignon sur rue et réalisent déjà de nombreuses opérations en Europe occidentale et en France. Le process est très sérieux et encadré. Il n'est pas question de rééditer les erreurs du passé.

Nous avons tous les contrôles. L'idée n'est absolument pas de céder 20 %. Par contre, pour maximiser la valorisation, nous avons besoin de dire que nous pourrons céder 20 %. Limiter le pourcentage disponible n'aurait pas de sens. En revanche, nous n'avons pas la volonté de céder 20 % tout de suite. Nous sommes plus sur une dizaine de pourcent. Nous aurions 85 à 90 % des droits. Nous tiendrions compte de la volonté du partenaire, mais ce n'est pas lui qui contrôlerait ».

En réponse à une question du rapporteur, concernant un renforcement éventuel du poids de la fédération dans le dispositif, le président de la LFP indiquait : « Je vais être clair : renforcer le poids de la Fédération n'a pas de sens (...). Nous avons davantage besoin de souplesse que d'un contrôle renforcé ».

Lors de son examen en commission au Sénat, le 5 janvier 2022, le rapporteur28(*) a proposé plusieurs modifications au texte de Cédric Roussel, qui ont été adoptées, dans l'objectif de mieux sécuriser la conformité du dispositif au modèle sportif français, tel qu'il résulte du code du sport :

Ø la commission proposait que la ligue ne puisse céder que 10 % du capital au lieu de 20 % dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Cette réduction à 10 % de la part susceptible d'être cédée à un investisseur n'aurait pas permis à la LFP de lever 1,5 Md€. Cet objectif n'avait toutefois pas été communiqué aux parlementaires ;

Ø la commission souhaitait que la fédération bénéficie d'un siège avec voix délibérative au conseil d'administration de la société avec un droit de veto sur les décisions qui iraient à l'encontre de la délégation de service public dont elle bénéficie ;

Ø la commission proposait que les statuts de la société commerciale soient approuvés par l'assemblée générale de la fédération délégataire et par le ministre chargé des sports.

Le 19 janvier 2022, après avoir échangé avec la LFP et avec la FFF, mais toujours sans connaître le détail de l'opération en cours de finalisation par la LFP, le Sénat a adopté les modifications suivantes, proposées par la commission :

Ø le Sénat a souhaité que les décisions de la société commerciale ne puissent être contraires à la délégation mentionnée à l'article L. 131-14 du code du sport ni porter atteinte à l'objet de la ligue professionnelle et aux compétences que la fédération lui a subdéléguées en application du même article ;

Ø compte tenu des garanties ainsi apportées à la FFF, il était admis que les statuts de la société commerciale prévoient la présence d'un représentant de la fédération sportive délégataire dans les instances dirigeantes de la société commerciale avec voix consultative afin de favoriser la fluidité des échanges entre la fédération et la ligue ;

Ø la part cessible du capital et des droits de vote était augmentée de 10 à 15 % ;

Ø enfin, il était précisé que les produits de la commercialisation des droits d'exploitation perçus par la société commerciale, ainsi que les sommes de toutes natures versées à cette société au titre des financements et des apports en capital effectués à son profit seraient répartis entre cette société, la fédération sportive délégataire, la ligue et les sociétés sportives.

Par la suite, la commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à un accord sur cette proposition de loi, l'Assemblée nationale l'a examinée en nouvelle lecture, en procédant à plusieurs modifications du futur article 51 :

Ø l'Assemblée nationale a rétabli son dispositif, s'agissant de la part de capital de la société détenue obligatoirement par la ligue (80 % au lieu de 85 % dans le texte du Sénat) ;

Ø la disposition adoptée au Sénat, concernant la répartition des produits de la commercialisation et sommes de toute nature versée à la société a été supprimée. Ce point subsistait à l'article L. 333-3 du code du sport, mais uniquement pour la répartition des produits de la commercialisation des droits d'exploitation et non pour les sommes versées au titre des financements et des apports en capital ;

Ø un amendement important du gouvernement complétait le dispositif dans deux directions :

o il permettait aux ligues professionnelles des disciplines au sein desquelles les clubs ne détiennent pas la propriété de leurs droits audiovisuels de constituer une société commerciale pour la gestion et la commercialisation de ces droits ;

o il permettait, en outre, d'étendre ce dispositif au-delà des seuls droits d'exploitation audiovisuelle des manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, au sein d'un périmètre qu'il reviendrait à la fédération et à la ligue de déterminer conjointement. Dans ce cadre, le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs était toutefois exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à une société commerciale.

Le texte final de la loi est donc sensiblement différent de ce qui était proposé par le Sénat.

Les dispositions de la loi du 2 mars 2022 sont codifiées aux articles L. 333-1 (pour les droits d'exploitation) et L. 333-2-1 (pour les droits audiovisuels cédés aux sociétés sportives) du code du sport.

Les garde-fous fixés par la loi du 2 mars 2022

- La création de la société commerciale doit être approuvée par la fédération sportive délégataire ;

- Le champ d'action de la société commerciale ne peut excéder celui concédé à la ligue ;

- Le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à une société commerciale ;

- Les droits audiovisuels sont commercialisés dans le respect du droit en vigueur c'est-à-dire avec constitution de lots, pour une durée limitée et dans le respect des règles de la concurrence ;

- La société commerciale ne peut déléguer, transférer ou céder tout ou partie des activités qui lui sont confiées ;

- Les statuts de la société et leurs modifications sont approuvés par l'assemblée générale de la fédération sportive délégataire et par le ministre des sports (à l'initiative du Sénat) ;

- Les statuts de la société commerciale précisent les décisions qui ne peuvent être prises sans l'accord des associés ou actionnaires minoritaires ;

- Les statuts précisent les modalités permettant de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur ;

- Les décisions de la société commerciale ne peuvent être contraires à la délégation (du ministère en charge des sports à la fédération) ni porter atteinte à l'objet de la ligue et aux compétences que la fédération lui a subdéléguées (à l'initiative du Sénat) ;

- Les statuts de la société prévoient la présence d'un représentant de la fédération sportive délégataire dans les instances dirigeantes avec voix consultative (la commission avait envisagé sa présence avec voix délibérative et droit de veto avant de revenir en Séance sur ce point, suite aux échanges menés avec la LFP et avec la FFF) ;

- La ligue ne peut détenir moins de 80 % du capital et des droits de vote de la société (la commission avait envisagé 90 % puis 85 %).

2. Une réflexion inaboutie sur le cadre concurrentiel

La loi dispose qu'un décret en Conseil d'État détermine les catégories de personnes ne pouvant pas détenir de participation au capital ni de droits de vote de la société commerciale.

Ces catégories sont listées par le décret n° 2022-747 du 28 avril 2022, intervenu très rapidement après la promulgation de la loi.

Ne peuvent détenir de droits de vote ni de participation au capital de la société commerciale :

Ø les clubs participant aux manifestations et compétitions dont la société commercialise et gère les droits ainsi que les personnes contrôlant ou exerçant une influence notable sur ces clubs ;

Ø les dirigeants et salariés, sportifs professionnels, entraîneurs professionnels, directeurs sportifs de la discipline ;

Ø les agents sportifs ;

Ø les organisations professionnelles de la discipline, leurs dirigeants et salariés ;

Ø les opérateurs de paris sportifs ;

Ø les attributaires des droits (notamment les diffuseurs) ainsi que les personnes qui les contrôlent ou exercent sur eux une influence notable ;

Ø les personnes physiques ou morales établies dans un État ou territoire non coopératif (article 238-0 A du code général des impôts29(*)) ainsi que les personnes morales qu'elles contrôlent ou sur lesquelles elles exercent une influence notable.

La loi dispose par ailleurs qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions et limites de la commercialisation des droits par la société commerciale, permettant notamment le respect des règles de la concurrence.

Un premier décret30(*) du 20 juillet 2023 impose à la société commerciale d'établir chaque année un rapport relatif au respect des règles de la concurrence. Ce décret fut précédé d'un avis de l'Autorité de la concurrence en date du 20 avril 2023.

Ce rapport, prévu par l'article R. 333-3-3 du code du sport, n'a pas été produit à ce jour31(*) par LFP Media. Il doit être communiqué à la LFP, à la FFF et au ministre chargé des sports.

Un second décret32(*), en date du 8 septembre 2023, a porté la durée des contrats conclus pour la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle de quatre à cinq ans. Cette modification était souhaitée par la LFP et par sa filiale, dans la perspective de l'attribution des droits audiovisuels du cycle 2024-2029. L'allongement d'un an de la durée des contrats avait pour objectif d'optimiser la rentabilisation des droits, donc de stimuler la concurrence en rendant le produit proposé plus attractif.

Ce décret prévoit également que, comme c'était le cas pour la ligue, la société commerciale doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui seraient assorties d'un complément de prix.

Le décret du 8 septembre 2023 fut précédé d'un avis33(*) de l'Autorité de la concurrence (ADLC) du 26 juillet 2023. Dans cet avis, l'ADLC souligne que l'allongement de la durée d'exploitation n'est pas une condition nécessaire et suffisante à l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. L'augmentation de la durée peut, notamment, entraîner une augmentation du prix. Néanmoins, l'Autorité n'a « pas mis en lumière de risque déterminant d'atteinte à la structure du marché (éviction de diffuseurs) ou au bien-être du consommateur (augmentation du prix des abonnements) ».

L'ADLC considère toutefois qu'une réflexion plus globale est nécessaire sur le cadre ainsi posé car « en modifiant seulement l'une de ces dispositions, sans s'interroger plus largement sur l'impact d'une telle modification sur le fonctionnement de l'ensemble du dispositif, l'équilibre que cherche à atteindre l'article R. 333-3 peut être remis en cause ».

Cette réflexion pourrait être partagée dans le cadre de la nouvelle feuille de route du contrat de la filière sport, coadministré par les ministères en charge des sports, de l'économie et du commerce extérieur. Créée en 2016, la filière sport compte environ 600 membres, entreprises, acteurs du mouvement sportif et acteurs publics. Un contrat de filière rénové a été signé le 13 mars 2024.

Le cadre fixé par le code du sport pour la commercialisation des droits audiovisuels

Lorsque les droits d'exploitation audiovisuelle ont été cédés par la fédération aux sociétés sportives, ce qui est le cas s'agissant des compétitions organisées par la LFP, la ligue ou sa société commerciale commercialise à titre exclusif les droits de retransmission des matchs et compétitions. Toutefois, la fédération et la ligue conservent la possibilité d'utiliser librement toute image en vue de la réalisation de leurs missions d'intérêt général (article R333-2 du code du sport).

La commercialisation est réalisée selon une procédure d'appel à candidatures publique et non discriminatoire. Les droits sont offerts en plusieurs lots distincts dont le nombre et la constitution doivent tenir compte des caractéristiques objectives des marchés sur lesquels ils sont proposés à l'achat. Chaque lot est attribué au candidat dont la proposition est jugée la meilleure au regard de critères préalablement définis dans l'avis d'appel à candidatures. Les contrats sont conclus pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. La ligue ou sa société commerciale doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui sont assorties d'un complément de prix (article R333-3 du code du sport).


* 26 Proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, n° 3808, déposée le mardi 26 janvier 2021, de Céline Calvez et plusieurs de ses collègues.

* 27 L'amendement de Cédric Roussel est disponible ici :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3980/AN/445

* 28 Rapport n° 319 (2021-2022) de M. Michel Savin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 5 janvier 2022 : https://www.senat.fr/rap/l21-319/l21-319.html

* 29 Cette liste est fixée par un arrêté des ministres chargés de l'économie et du budget après avis du ministre des affaires étrangères.

* 30 Décret n° 2023-648 du 20 juillet 2023 relatif à la commercialisation des droits d'exploitation des manifestations et compétitions sportives par la société commerciale des articles L. 333-1 et L. 333-2-1 du code du sport.

* 31 Au 7 octobre 2024.

* 32 Décret n° 2023-864 du 8 septembre 2023 relatif à la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle mentionnés à l'article L. 333-2 du code du sport.

* 33 Avis 23-A-12 du 26 juillet 2023.

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