L'ESSENTIEL

Depuis un an, le feuilleton à rebondissements de l'attribution des droits audiovisuels du championnat français de football n'a cessé de défrayer la chronique. Ce feuilleton n'est pas terminé. À l'été, les présidents de club ont sans doute espéré inverser le cours du match dans le temps additionnel, grâce au talent d'un seul. Mais ce miracle, qui se réalise parfois sur les terrains de football, n'a pas eu lieu. Alors que des droits proches d'un milliard d'euros étaient espérés, les négociations menées, après un appel d'offres infructueux, ont conduit à un montant de droits domestiques annuels d'environ 450 M€ en moyenne sur cinq saisons, dont une partie est toujours en négociation avec l'un des deux diffuseurs. Quant aux droits internationaux, leur montant, évalué à 140 M€ environ, reste à confirmer.

Pourtant, en 2022, la Ligue de football professionnel (LFP) a lancé un plan de développement du championnat dans le cadre d'un accord avec le fonds d'investissement CVC Capital partners. En échange d'une participation de 13 % dans la filiale créée par la LFP, CVC a apporté 1,5 Md€ au football français, valorisant ainsi le championnat 11,5 Md€. Mis en difficulté en 2020 par la pandémie de covid-19, puis par le départ de leur diffuseur Mediapro, les clubs ont accueilli cette opération comme une bouée de sauvetage. Peu avant la conclusion du partenariat, la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, a fixé les conditions dans lesquelles une ligue de sport professionnel peut créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation des compétitions qu'elle organise. Or deux ans plus tard, l'objectif de rattrapage des quatre plus grands championnats européens s'éloigne. Les clubs subissent une forte baisse des montants qu'ils se répartissent chaque année au titre des droits audiovisuels dont ils sont propriétaires depuis que la Fédération française de football (FFF) les leur a cédés en 2004.

Comment en est-on arrivé là ? C'est la première question que s'est posée la mission d'information.

Celle-ci s'est également intéressée à l'intervention des fonds d'investissement au niveau des clubs. La pandémie de covid a en effet accéléré la croissance des investissements étrangers dans le football européen. Compte tenu des difficultés que va engendrer la baisse des droits pour les clubs français et en l'absence de nouvelle « solution-miracle », le risque existe de voir des propriétaires mettre la clef sous la porte, au profit de fonds d'investissement internationaux. Ces investisseurs apportent des capitaux indispensables pour financer un sport de plus en plus coûteux, mais ils n'ont pas vocation à s'attacher à long terme à un club ni à s'implanter dans un territoire. Les fonds arrivent et repartent en fonction d'arbitrages financiers au niveau mondial. Le risque est non seulement financier mais aussi sportif : pour créer des synergies et diversifier leurs risques, ces propriétaires possèdent souvent plusieurs clubs. L'équité des compétitions risque ainsi d'être mise à mal. Bien que la création de ligues fermées ne soit pas envisagée pour le moment, le football européen semble évoluer vers un modèle à plusieurs vitesses, avec potentiellement, à l'avenir, des équipes de clubs dont certains dominants et d'autres voués aux seconds rôles. Cette évolution entre en contradiction avec le modèle sportif européen, fondé sur le système de promotion-relégation. Ce modèle permet à toute équipe professionnelle d'espérer jouer un jour la compétition reine qu'est la Ligue des champions. Mais c'est un modèle risqué pour un investisseur compte tenu du risque de relégation, inconnu des ligues fermées du sport professionnel américain.

Au sein de ce modèle européen, le modèle français se distingue par une organisation pyramidale fondée sur la notion de délégation de service public. Dans ce schéma, des fédérations sportives reçoivent délégation de l'État et peuvent subdéléguer à une ligue professionnelle des missions de service public relatives à la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel de la discipline concernée. Dans leur activité, les ligues sont garantes de l'intérêt général et des principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur. Elles appliquent, par ailleurs, un principe de mutualisation entre clubs des produits qui leur reviennent. L'État joue un rôle central pour superviser ce dispositif et assurer sa cohérence.

La mission est attachée à ce modèle français qui met l'accent sur la solidarité et sur la redistribution, tout en garantissant des compétitions équitables et attractives jusqu'au plus haut niveau. Le sport amateur doit pouvoir compter sur le sport professionnel, d'autant que le recul des budgets publics menace de remettre en cause le financement des politiques publiques sportives. Un renforcement de la régulation doit permettre d'adapter le modèle français aux enjeux économiques actuels, tout en préservant ses principes fondamentaux.

A. MEDIAPRO : UNE ÉQUATION ÉCONOMIQUE INTROUVABLE

En mars-avril 2020, le gouvernement décide de suspendre, puis d'interrompre le championnat de France de football à cause du covid. A posteriori, cette décision a souvent été jugée prématurée, alors que tous les autres grands championnats européens ont repris par la suite. La LFP refuse toute négociation du montant des droits audiovisuels de la saison suivante avec la société Mediapro Sports France, titulaire des droits, qui est placée, à l'automne 2020, sous le régime de la conciliation.

Pouvait-on sauver Mediapro ? Probablement pas, tant les difficultés structurelles étaient grandes. Aucun accord n'avait été trouvé avec Canal+. Mediapro ne comptait que 530 000 abonnés alors qu'il lui en aurait fallu 2,8 millions pour atteindre l'équilibre. Elle disposait de 4 500 euros sur ses comptes bancaires et n'avait pas démontré sa viabilité économique. Ses demandes étaient sans commune mesure avec le préjudice qu'elle subissait. Enfin, les ordonnances prises pour sauvegarder les entreprises pendant la pandémie lui permettaient de neutraliser toute action en justice de la LFP.

La Ligue avait précédemment sélectionné un diffuseur à la réputation discutable, sans garantie opérationnelle et adossé à un actionnaire chinois aux intentions floues. Elle a fait les frais de ce choix en 2020.

B. AMAZON : LE DIVORCE ACTÉ AVEC CANAL+

Après le départ de Mediapro, un rapprochement avec Canal+ paraît possible, début 2021. Ce n'est pas la voie suivie par la LFP. Les dirigeants des clubs ont préféré parier sur les GAFA et diviser au passage les audiences du championnat par 5.

Ce choix a reposé sur une présentation en conseil d'administration de la Ligue qui interpelle, s'agissant des deux offres concurrentes : celle de Canal+ et beIN Sports d'une part, et celle d'Amazon d'autre part. L'accent a en effet été mis sur la part variable proposée par Canal+, considérée comme un risque majeur, sans véritable évaluation de la capacité à atteindre les objectifs associés à cette part variable. La prudence l'a emporté sur l'ambition. Pour Amazon, la Ligue 1 représentait un produit d'appel dans son offre globale. L'entreprise a subi des pertes importantes et s'est retirée après seulement trois saisons.

Le manque à gagner pour le football français est alors considérable, de l'ordre de 530 M€ par an. Les nouveaux droits de la Ligue 1 sont inférieurs de 46 % aux 1,154 Md€ anticipés avec Mediapro.

C. LA SOCIÉTÉ COMMERCIALE, NOUVEL ELDORADO DU FOOTBALL

L'État a pris en charge l'essentiel des effets immédiats de la pandémie : aides à la billetterie (75 M€), réductions de charges (520 M€), prêts garantis par l'État pour les clubs (550 M€) et pour la LFP (225 M€). Mais il n'était pas tenu de compenser le départ du diffuseur ni le déficit d'exploitation structurel des clubs. Or les clubs avaient, imprudemment, commencé à engager des dépenses, anticipant le début d'une ère nouvelle pour le football français. Entre 2020 et 2023, ils ont subi 1,6 Md€ de pertes cumulées.

La Ligue et les clubs se sont, dès la fin 2020, lancés dans une quête d'« argent frais ». La possibilité de recourir au moins partiellement à l'endettement a été rapidement écartée au bénéfice d'une levée de fonds issue de la cession d'une partie du capital d'une société commerciale restant à créer et de l'éventuelle distribution de généreux bonus pour les dirigeants de la Ligue. Ce qui pose questions, c'est que les dirigeants de la LFP avaient objectivement un intérêt personnel à choisir de recourir à une solution reposant à 100 % sur une levée de capital, compte tenu des bonus importants qu'ils ont perçus suite au succès de l'opération.

La LFP a, dès lors, engagé un processus de consultation de fonds d'investissement, qui a abouti à la sélection de CVC. La loi du 2 mars 2022 est intervenue pour sécuriser juridiquement ce processus, en autorisant les ligues à créer une société commerciale pour la gestion et la commercialisation de leurs droits d'exploitation. Le Sénat a plaidé pour un renforcement des contrôles. Les parlementaires ne disposaient, alors, que d'informations sommaires sur le projet, pourtant très avancé, de la LFP.

D. DES PRÉSIDENTS SUR LE BANC DE TOUCHE

Après la promulgation du texte, une véritable course contre la montre s'est engagée. La guerre en Ukraine a servi à justifier une accélération du processus. Une assemblée générale décisive a eu lieu en avril 2022. Les présidents de clubs ont reçu, 48 heures avant cette réunion, les statuts et le pacte d'associés de la nouvelle société. Ils ne pouvaient objectivement pas appréhender tous les enjeux du contrat dans ces délais, d'autant que certaines pièces, importantes pour la compréhension de l'accord, étaient manquantes. Le plan d'affaires n'a été transmis ni aux présidents de clubs ni au ministère des sports avant l'approbation du partenariat, ce qui pose un grave problème de principe.

Plusieurs présidents ont confirmé ne pas avoir pris connaissance des documents. La perspective de la distribution de fonds l'a emporté sur toute autre considération. Cette opération a été accueillie comme une bouée de sauvetage. Au total, trois semaines se sont écoulées entre la remise des offres par les fonds d'investissement candidats et l'approbation de l'accord par les instances du football français.

E. CVC, UN ACTIONNAIRE PAS COMME LES AUTRES

Les enjeux du partenariat avec CVC ont été sous-estimés, y compris au niveau de la fédération et du ministère des sports. Les approbations prévues par la loi n'ont pas réellement permis de questionner les accords.

La durée illimitée (99 ans) de ce partenariat pose, en particulier, question. Cette durée est, en effet, peu conciliable avec le code du sport qui prévoit des contrats de délégation et de subdélégation avec les fédérations et les ligues de durées limitées.

Par ailleurs, CVC n'est pas un actionnaire comme un autre. Ses actions lui donnent des droits privilégiés sur les revenus du football français. Son dividende, d'un taux de 13 %, est assis sur un résultat retraité, qui ressemble davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat. Il englobe l'ensemble des recettes audiovisuelles et commerciales du championnat. Cette assiette inclut les revenus des paris sportifs, ce qui est probablement conforme à la lettre de la loi du 2 mars 2022, mais contraire à son esprit. Les actions de CVC seront pleinement valorisées lors de leur revente à un nouvel actionnaire ; lequel n'aura, lui, rien apporté directement au football français.

Lors d'opérations similaires, la Liga espagnole et la fédération française de rugby dans le cadre du tournoi des six nations ont opté pour une durée de 50 ans.

F. UNE DISTRIBUTION CONTESTABLE DES RESSOURCES

Répartition de l'apport de CVC (M€)

Clubs évoluant en L1 au cours de la saison 2021-2022

1 080

Clubs évoluant en L2 ou en National au cours de la saison 2021-2022 

90

Remboursement PGE (prêt garanti par l'État)

169

Lancement LFP Media

40

Fonds de réserve

63,5

Fédération française de football (FFF)

20

Honoraires et frais des conseils

29

Prime et augmentation de la rémunération du président pendant 2 ans, primes du directeur général et de quelques salariés

8,5

Total

1 500

· Un championnat à plusieurs vitesses 

Pour distribuer les fonds de CVC aux clubs, la LFP a choisi une clef de répartition spécifique, favorable aux grands clubs. Au même moment, une nouvelle répartition des revenus audiovisuels favorisait aussi les « locomotives ». Certains clubs ont été traités de manière surprenante : bien qu'accédant à la Ligue 1, le Havre Athletic Club (HAC) a perçu vingt fois moins que ses concurrents. Il subira pourtant le prélèvement de CVC comme les autres. Quant au Red Star, accédant à la Ligue 2, il subira aussi ce prélèvement sans avoir reçu aucune aide. Les versements ayant été réalisés en trois tranches, une répartition évolutive, recalibrée lors de chaque versement, aurait pu être imaginée. L'écart croissant entre clubs, concevable dans un contexte de revenus en augmentation, risque de mettre en difficulté nombre d'entre eux dans un contexte de recul des recettes audiovisuelles.

· Des banques d'affaires généreusement rémunérées

L'attention de la mission s'est portée sur une enveloppe de 37,5 M€ consacrée, non pas au développement des clubs, mais à la rémunération des conseils et des dirigeants de la LFP. Ce montant est conséquent, supérieur à celui perçu par la plupart des clubs de Ligue 1 (33 M€) et par la FFF (20 M€). Les banques d'affaires, proactives dans le montage du projet, ont perçu des honoraires (24 M€ sur les 29 M€ qui sont revenus aux conseils) qui représentent 1,6 % du montant de la transaction, en haut de la fourchette applicable pour un « méga-deal » tel que celui-ci.

· Des dirigeants très intéressés

Dans cette opération, le président de la LFP a touché un bonus de 3 M€. Il a également triplé son salaire (1,2 M€) pendant deux ans. Des bonus peuvent se concevoir dans l'exercice par la Ligue de son coeur de métier, la commercialisation des droits. Ces bonus sont beaucoup plus discutables dans le cadre d'une augmentation de capital. Cela pose une question de conflit d'intérêts. En effet, si l'utilité à long terme de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, compte tenu du dividende à payer à vie, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie future.

Au même moment, la Ligue a acquis un nouveau siège pour 131 millions d'euros, alors même que les droits audiovisuels du prochain cycle n'avaient pas encore été négociés. Les frais du président de la LFP ont augmenté de 30 % en deux ans, pour atteindre près de 200 000 euros annuels.

G. UNE UTILISATION DES FONDS CVC INSUFFISAMMENT ENCADRÉE

Les fonds CVC ont été fléchés de façon souple, contrairement à ce qui a prévalu en Espagne, où 70 % des fonds de CVC ont été fléchés vers l'investissement, dès la conclusion de l'accord « LaLiga Impulso ». De fait, en France, la majorité des fonds a été allouée aux salaires et aux transferts, ainsi qu'au désendettement, tandis que 40 % seulement ont été consacrés aux infrastructures et au développement.

LIGUE 1 : AFFECTATION DES FONDS CVC (AU 30 SEPTEMBRE 2024)

H. LFP / LFP MEDIA : UNE GOUVERNANCE À REVOIR

· Le président de la LFP monopolise le jeu, alors même qu'une filiale commerciale a été créée pour gérer la négociation des droits. Les deux entités doivent être clairement séparées.

· La question des conflits d'intérêts est insuffisamment traitée. Le président de beIN Media Group, maison-mère de beIN Sports France, a participé à l'attribution des droits dont beIN Sports France est partiellement titulaire (conseil d'administration du 14 juillet 2024).

· Le mode d'association des présidents de clubs à la gouvernance pose question. Les démarches et actions de communication des différents acteurs sont peu coordonnées. Certaines décisions des présidents sont surprenantes (ainsi, l'insertion d'une clause de sortie au bout de deux ans dans le contrat de DAZN).

· La gouvernance de la LFP ne permet pas l'émergence de projets alternatifs. Elle n'associe pas de représentants des supporters, alors que de nombreuses questions ne peuvent être traitées qu'avec eux.

I. UNE ÉCONOMIE À RÉINVENTER

· Développer de nouvelles recettes et diminuer les charges

La baisse des droits audiovisuels implique de trouver de nouvelles recettes : développement des recettes commerciales, investissement dans les infrastructures et dans le digital, fusion du sport et du divertissement (sportainment). L'amélioration de l'image du football est une condition indispensable pour développer l'intérêt du grand public et restaurer la confiance des investisseurs et partenaires.

La diminution des charges implique une gestion plus équilibrée des effectifs et des salaires. Une vigilance particulière s'impose quant aux conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'affaire « Lassana Diarra », compte tenu du rôle essentiel que jouent les transferts de joueurs dans l'équilibre financier des clubs français.

· Réformer les appels d'offres et lutter contre le piratage

Le cadre juridique doit être rénové : d'une part, la réglementation des appels d'offres ne permet pas d'optimiser l'attribution des droits pour le consommateur, obligé de multiplier les abonnements. D'autre part, la banalisation du piratage constitue une menace existentielle pour l'économie du football, ce qui implique d'adapter les dispositifs existants, en visant, non pas le consommateur final, mais ceux qui publient des contenus illicites.

J. UN MODÈLE EUROPÉEN MENACÉ ?

· Une vague d'investissements étrangers

Les difficultés financières des clubs risquent de les inciter à se tourner, davantage encore qu'aujourd'hui, vers de nouveaux investisseurs. Depuis la pandémie de covid, le football européen a connu une vague d'investissements étrangers. Le risque est de voir des propriétaires historiques mettre la clef sous la porte, au profit de fonds qui arrivent et repartent en fonction d'arbitrages financiers au niveau mondial. Les clubs restent une valeur sûre, du fait de leur unicité. Ils drainent des milliers, voire des millions de fans et des quantités considérables de données qui sont également une source de valeur économique.

· L'essor de la multipropriété

Dix clubs de Ligue 1 sont aujourd'hui intégrés dans des structures multipropriétaires, généralement en seconde ligne par rapport à des clubs majeurs en Europe. En 2023 et 2024, l'UEFA a autorisé les clubs de Toulouse puis de Nice à participer à ses compétitions malgré la présence d'autres clubs issus de la même structure. Mais qu'en sera-t-il demain ? Les groupes multipropriétaires pourraient militer pour des ligues de plus en plus fermées, moins risquées pour un investisseur. Préserver notre modèle sportif implique de continuer à travailler avec les instances internationales à la mise en place de règles adaptées.

Les clubs participent à la vitalité économique de nos territoires et à leur identité. Ils doivent rester au centre d'un écosystème avant tout local.

LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

I. CONSOLIDER L'EXERCICE DES MISSIONS RÉGALIENNES DANS LA GESTION DU SPORT PROFESSIONNEL

A. Clarifier et mieux contrôler la subdélégation dont bénéficient les ligues professionnelles

Recommandation n° 1 : Préciser dans le code du sport que les ligues professionnelles exercent une subdélégation de service public dans l'ensemble de leurs domaines de compétence, y compris la gestion et la commercialisation des droits sportifs qui doit s'inscrire dans le cadre du respect de l'intérêt général de la discipline et du principe de solidarité.

Recommandation n° 2 : Imposer aux ligues professionnelles l'obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de leur subdélégation à la fédération et à l'État dans le cadre d'un rapport annuel.

Recommandation n° 3 : Consacrer au niveau législatif le pouvoir de contrôle et de réforme par la fédération des actes de la ligue professionnelle et prévoir la possibilité pour la fédération et pour l'État de retirer à tout moment tout ou partie de la subdélégation en cas de non-respect de la convention liant la ligue à la fédération ou de manquement à l'intérêt général de la discipline.

Recommandation n° 4 : Clarifier les relations fédération-ligue : harmoniser les durées de la délégation (4 ans) et de la subdélégation (5 ans), prévoir l'intervention du ministre chargé des sports pour résoudre les conflits éventuels entre une fédération et une ligue, procéder aux adaptations juridiques nécessaires au développement du sport professionnel féminin.

B. Renforcer le contrôle et le suivi des budgets des clubs et des ligues professionnelles

Recommandation n° 5 : Rattacher l'organe de contrôle prévu par l'article L. 132-2 du code du sport à la fédération sportive délégataire avec des moyens adaptés.

Recommandation n° 6 : Donner à cet organe de contrôle des missions de suivi renforcées sur les comptes des clubs, y compris après la période des transferts.

Recommandation n° 7 : Donner aux fédérations et au ministère chargé des sports un rôle de suivi des préconisations de l'organe de contrôle.

Recommandation n° 8 : Donner à l'organe de contrôle et à la Cour des comptes la mission de contrôler les comptes des ligues professionnelles et de leurs filiales commerciales dans le cadre de la mise en oeuvre de la subdélégation.

C. Réaffirmer les principes d'unité, de solidarité et de mutualisation

Recommandation n° 9 : Faire bénéficier le ministère des sports et l'Agence nationale du sport du dynamisme des recettes fiscales issues des paris sportifs en ligne, au moyen d'un relèvement du plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

Recommandation n° 10 : Renforcer le principe de mutualisation des produits revenant aux sociétés sportives (art. L. 333-3 du code du sport) en veillant à une répartition équitable des ressources afin de garantir la viabilité à long terme du championnat, grâce à la fixation d'un ratio maximal de distribution de 1 à 3 des revenus entre clubs professionnels.

Recommandation n° 11 : Envisager une consolidation de la taxe « Buffet » par un élargissement de son assiette selon des modalités à déterminer pour tenir compte de la diversification nécessaire des ressources des clubs.

II. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES FONCTIONS COMMERCIALES

A. Renforcer les contrôles sur la création d'une société commerciale par une ligue

Recommandation n° 12 : Prévoir l'approbation des statuts de la société commerciale, du pacte d'associés, du protocole d'investissement, de l'ensemble de leurs annexes et de leurs modifications par l'assemblée générale de la fédération et par arrêté du ministre chargé des sports.

Recommandation n° 13 : Encadrer la répartition de l'apport d'un fonds d'investissement à une ligue professionnelle et prévoir une approbation de cette répartition par l'assemblée générale de la fédération et par le ministère des sports, notamment au regard des principes d'unité, de solidarité et de mutualisation ; confier à l'organe de contrôle la mission de contrôler l'emploi des fonds ainsi distribués.

Recommandation n° 14 : Clarifier l'article L. 333-1 du code du sport, s'agissant des revenus issus des paris sportifs qui ne sauraient être intégrés à l'assiette servant au calcul du dividende de l'investisseur.

B. Améliorer la gouvernance de la filiale commerciale

Recommandation n° 15 : Opérer une distinction nette entre les activités des ligues professionnelles et celles de leurs sociétés commerciales en séparant clairement la ligue de sa filiale d'un point de vue organique (des services, personnels et dirigeants distincts) et financier (des budgets bien différenciés), la ligue devant assumer un rôle de coordination entre l'intérêt général, les intérêts des clubs et ceux de la société commerciale.

Recommandation n° 16 : Donner au représentant de la fédération délégataire une voix délibérative au sein de l'instance dirigeante de la société commerciale.

Recommandation n° 17 : Associer les dirigeants des sociétés sportives à la gouvernance de la société commerciale créée par une ligue, en prévoyant qu'ils soient représentés au sein d'un comité stratégique consultatif, prévu par les statuts de la société commerciale, chargé d'évaluer la stratégie et de formuler des propositions d'orientations pour la commercialisation et la gestion des droits.

Recommandation n° 18 : Promouvoir la signature d'une charte de gouvernance qui responsabilise les représentants des clubs au sein de la ligue, ses dirigeants et ceux de la société commerciale dans l'exercice de leurs fonctions.

III. RENFORCER LES EXIGENCES EN MATIÈRE D'ÉTHIQUE, DE BONNE GESTION ET DE DÉMOCRATIE

A. Renforcer l'éthique

Recommandation n° 19 : Instaurer un plafond des rémunérations des présidents de ligues professionnelles, semblable à celui existant pour les entreprises publiques (450 000 €) et limiter le montant de leurs indemnités de départ à six mois de salaire hors primes.

Recommandation n° 20 : Préciser dans la loi que la fonction de président de la filiale commerciale d'une ligue professionnelle n'est pas rémunérée lorsqu'elle est exercée par un représentant de la Ligue. Dans le cas contraire, plafonner cette rémunération comme préconisé au paragraphe précédent.

Recommandation n° 21 : Compléter les dispositions applicables en matière de transparence de la vie publique en instituant une obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale à la HATVP pour les directeurs généraux des ligues.

B. Instaurer des pratiques de bonne gestion et prévenir les conflits d'intérêts

Recommandation n° 22 : Instaurer obligatoirement un comité d'audit et un comité des rémunérations, incluant des administrateurs indépendants, au sein des instances dirigeantes des ligues professionnelles afin d'améliorer la transparence et de promouvoir les bonnes pratiques, en particulier s'agissant des modalités d'attribution des rémunérations et des frais de mission.

Recommandation n° 23 : Instituer, pour les administrateurs des ligues professionnelles et de leurs sociétés commerciales, une obligation de déclaration des conflits d'intérêts et une obligation de déport sur les décisions mettant en jeu de tels conflits.

Recommandation n° 24 : Introduire une incompatibilité entre la fonction de membre du conseil d'administration d'une ligue professionnelle ou de sa société commerciale et la détention d'intérêts ou l'exercice de fonctions au sein d'une entreprise de diffusion audiovisuelle.

C. Instaurer une gouvernance plus démocratique des ligues

Recommandation n° 25 : Prévoir un minimum de cinq administrateurs qualifiés indépendants au sein des ligues professionnelles.

Recommandation n° 26 : Prévoir la présence d'un représentant des supporters avec voix consultative au sein de l'assemblée générale et du conseil d'administration des ligues.

IV. LE FOOTBALL-SPECTACLE : UNE ÉCONOMIE À RÉINVENTER

A. Revoir les règles des appels d'offres

Recommandation n° 27 : Compte tenu de la montée en puissance de compétitions concurrentes de la Ligue 1, qui reconfigure le marché des droits sportifs, repenser la réglementation des appels d'offres dans l'intérêt du consommateur, en facilitant l'attribution des droits à un diffuseur unique et en tenant compte de la généralisation de nouveaux modes de diffusion.

B. Lutter contre le piratage

Recommandation n° 28 : Créer un délit de piratage dans le domaine sportif, semblable à celui prévu par le code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon de droits d'auteur et de droits voisins, ne visant pas le consommateur final, mais les personnes qui publient des contenus sportifs de façon illicite.

Recommandation n° 29 : Permettre un traitement en temps réel des adresses IP à bloquer, par des agents habilités et assermentés éventuellement externes à l'Arcom, mais sous son contrôle pour la validation a priori et a posteriori des procédures et outils mis en oeuvre.

Recommandation n° 30 : Faciliter la mise en oeuvre des accords volontaires avec les fournisseurs de DNS alternatifs et de VPN en permettant à l'Arcom de notifier à leurs signataires la liste des services à bloquer.

C. Encourager une gestion plus équilibrée du football professionnel

Recommandation n° 31 : Faire de la santé des joueurs une priorité en freinant l'augmentation du nombre de compétitions, en s'opposant au projet de « coupe du monde des clubs » de la FIFA et en limitant le nombre annuel de matchs par joueur professionnel.

Recommandation n° 32 : Limiter l'effectif des équipes professionnelles de football en instituant un nombre maximum de 30 contrats de joueurs professionnels par club de Ligue 1 ou de Ligue 2.

Recommandation n° 33 : Limiter la part de la rémunération du personnel en diminuant le ratio de masse salariale, fixé depuis 2022 à 70 % des recettes des clubs par le règlement de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).

Recommandation n° 34 : Renforcer le contrôle de la DNCG sur les reprises de clubs en instituant un pouvoir de blocage (L. 132-2 du code du sport).

Recommandation n° 35 : Mieux limiter et contrôler la multipropriété en lien avec l'UEFA et la FIFA pour préserver l'équité des compétitions sportives et protéger le modèle sportif européen.

1RE PARTIE : DU MIRAGE À LA DÉSILLUSION,
UN FOOTBALL PROFESSIONNEL FRANÇAIS QUI VIT AU-DESSUS DE SES MOYENS

Cette première partie vise à tirer un certain nombre d'enseignements d'événements qui ont conduit le football professionnel français de la désillusion, après le départ de son diffuseur principal en 2020, au déclassement, après une négociation difficile qui a abouti à une baisse durable des droits TV en 2024. Entre ces deux événements, la conclusion d'un partenariat avec le fonds d'investissement CVC a permis à la Ligue de football professionnelle (LFP) et aux clubs de maintenir leur train de vie comme si rien n'avait changé.

I. L'APRÈS MEDIAPRO : UN RETOUR BRUTAL À LA RÉALITÉ

Si la création d'une société commerciale était envisagée depuis de nombreuses années, sa mise en oeuvre, en partenariat avec un fonds d'investissement, a été accélérée par la défaillance du diffuseur officiel du championnat, grand vainqueur de l'appel d'offres sur les droits audiovisuels lancé par la LFP en 2018.

Événement majeur pour l'économie du football professionnel français, le départ de Mediapro a en effet entraîné un manque à gagner considérable pour les clubs. Les conditions de ce départ du diffuseur de la Ligue 1, alors que le championnat démarrait à peine, ont été examinées par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives1(*), qui ne disposait pas de pouvoirs d'enquête.

En conclusion de leurs travaux, les députés ont notamment préconisé d'autoriser la LFP à créer une société commerciale afin de permettre une diversification des sources de financement du football et de créer les conditions d'une commercialisation plus professionnelle des droits audiovisuels. Par la suite, le rapporteur de la mission, notre collègue député Cédric Roussel, fut à l'origine de l'amendement qui a introduit dans la loi du 2 mars 2022 la possibilité d'une telle société commerciale.

Pour toutes ces raisons, afin de comprendre la genèse du projet de société commerciale, la mission d'information du Sénat a jugé utile de revenir sur cet épisode crucial que constitue la rupture entre la LFP et Mediapro, dans le contexte de la crise du covid.

A. MEDIAPRO : UN RÉSULTAT INESPÉRÉ

Si le championnat vit, depuis 2018, au-dessus de ses moyens, c'est parce que ses principaux acteurs ne se sont que très peu remis en cause après le départ de Mediapro, imputant au diffuseur la responsabilité pleine et entière de son échec. L'idée que le championnat français valait peu ou prou « un milliard » d'euros par an, comme ses homologues du « big five » en Europe, est restée ancrée dans les esprits.

1. Un appel d'offres très - trop ? - sophistiqué

Depuis le 20 novembre 1984, date de diffusion du premier match en direct sur son antenne, Canal+ a joué un rôle majeur dans la diffusion du football, l'un des piliers de son offre avec le cinéma. Dans la deuxième moitié des années 1990, l'émergence de la concurrence face au diffuseur historique a entraîné une forte augmentation des prix, qui ont atteint environ 600 millions d'euros en 2004. Les cinq plus grosses ligues européennes disposaient alors encore de revenus télévisuels à peu près équivalents. La Premier League anglaise (EPL) s'est ensuite démarquée par une croissance particulièrement forte de ses revenus. L'EPL est, en 2024, la deuxième compétition sportive la plus lucrative au monde en termes de droits de diffusion télévisuels, avec 3,9 Md€ de recettes annuelles (dont plus de la moitié générée par les droits internationaux), après la ligue de football américain (NFL) qui a conclu des contrats de diffusion s'élevant à 10 Md$ par an (essentiellement dans un cadre domestique).

En vingt ans, les droits de la Ligue 1 ont connu, pour leur part, une augmentation modérée. Entre 2016 et 2020, Canal+ et beIN Sports se sont partagés la diffusion du championnat contre 748 millions d'euros par saison. Lors de l'appel d'offres lancé en 2018, les clubs espéraient, légitimement, combler au moins partiellement le fossé qui s'était creusé entre la Ligue 1 et les quatre plus grandes ligues européennes.

L'appel d'offres a été monté selon une ingénierie sophistiquée, afin d'en maximiser le résultat, quitte à risquer d'encourir la « malédiction du vainqueur », le vainqueur d'un appel d'offres étant par construction l'acteur le plus optimiste, à défaut d'être le plus lucide.

L'appel d'offres portait sur les saisons 2020-2021 à 2023-2024. Il comportait sept lots, remportés respectivement par Mediapro (lots n° s 1, 2, 4, 5 et 7), beIN Sports (lot n° 3) et Free (lot n° 6). La possibilité d'une sous-licence ayant été inscrite dans le contrat, le lot n° 3, d'un montant de 332 M€, a par la suite été sous-licencié par son attributaire, beIN Sports, au Groupe Canal+, dans le cadre plus large d'un accord de distribution exclusive signé entre les deux parties en février 2020.

DROITS DE LA LIGUE 1

2018

Lot n° 1

38 matchs : 1 match par journée dont le top10 et 28 matchs de choix 3

Mediapro

780 M€

Lot n° 2 + sous-lots B et D

76 matchs : 2 matchs par journée

Mediapro

Lot n° 7

Magazines

Mediapro (de gré à gré)

Lot n° 5

3 multiplex, trophée des champions, 2 barrages

Mediapro (de gré à gré)

Lot n° 3 + sous-lots A et C

76 matchs : 2 matchs par journée

beIN Sports
Lot sous-licencié à Canal+ (Fév. 2020)

332 M€

Lot n° 6

Extraits en quasi-direct

Free

42 M€

TOTAL

1,154 Md€

Le 29 mai 2018, Mediapro est sorti grand gagnant de l'appel d'offres de la LFP pour les droits TV de la Ligue 1 en remportant une part substantielle de ces droits, pour 780 millions d'euros. Quelques mois plus tard, le groupe a acquis une partie des droits de la Ligue 2, pour 34 millions d'euros.

Pour les clubs, le résultat atteint était presque inespéré, puisque les droits totaux de la Ligue 1 étaient ainsi voués à dépasser le milliard d'euros (1,15 Md€), en augmentation de 56 % par rapport au cycle 2016-2020.

Les candidats n'ayant eu accès à aucune information au cours de la procédure, le résultat de l'appel d'offres fut aussi une surprise pour eux. Parmi les multiples subtilités de la procédure d'enchères mise en place par la LFP, décrite par l'Autorité de la concurrence dans sa décision du 11 juin 2021, on retiendra que les enchères sur les lots n° 2 et n° 3, portant sur des créneaux horaires, étaient complétées par une procédure de sous-enchère avec mises à prix, afin de déterminer le type de matchs attribué (de choix 1 à 6). Cette sous-enchère comportait la possibilité d'une attribution automatique du sous-lot au candidat ayant la note qualitative la plus élevée, dans l'hypothèse où aucun candidat ne présenterait une offre supérieure ou égale à la mise à prix.

Dans le cadre de cette sous-enchère, beIN Sports a remporté les groupes de matchs A et C, qui étaient les plus onéreux, tandis que Mediapro se voyait attribuer les groupes de matchs B et D. S'étant retrouvé bénéficiaire du sous-lot A (180 M€), le groupe beIN Sports a dépensé plus que ce qu'il avait anticipé, ce qui l'a poussé à conclure une alliance avec Canal+.

Cette alliance a permis au diffuseur historique de revenir dans le jeu dont l'appel d'offres l'avait exclu. D'après les termes de l'accord entre Canal+ et beIN, signé en février 2020, le groupe Canal+ est devenu le distributeur exclusif de beIN. Il restait, en outre, diffuseur de la Ligue 1, au moyen d'une sous-licence, au prix obtenu par la chaîne qatarie en 2018. Parallèlement, Canal+ a progressivement diversifié son offre pour réduire sa dépendance à la Ligue 1, en acquérant les droits de la Premier League et ceux des compétitions européennes, dont la Ligue des champions.

Le partenariat entre Canal+ et beIN Sports a été renouvelé à l'été 2024, et court désormais jusqu'à 2030. Le nouvel accord inclut, outre la prolongation de l'accord de distribution exclusive, la diffusion du match en direct obtenu par beIN Sports dans le cadre des négociations portant sur le cycle 2024-2029, sans surcoût pour les abonnés à l'offre « sport » de Canal+, contrairement aux matchs diffusés par DAZN. Le lien entre la Ligue 1 et son diffuseur historique est désormais plus ténu que jamais.

2. Qui était vraiment Mediapro ?

En 2018, Mediapro est une entreprise relativement méconnue en France. Lors de son audition, M. Jaume Roures a estimé que Mediapro avait été stigmatisé dès son arrivée, en tant que groupe non français, ce qui aurait accentué ses difficultés (« notre proposition a été rejetée parce que c'était nous »). L'entreprise n'a toutefois pas contribué à se faire mieux connaître dans les mois qui ont suivi l'attribution des droits, au point que ses intentions n'étaient pas plus claires en 2020 qu'elles ne l'étaient en 2018. Un doute a longtemps persisté sur la nature de l'engagement de Mediapro en France : négociant de droits ou distributeur de contenus ? L'entreprise exerçait, de fait, ces deux activités. Son activité passée en Espagne en faisait un acteur sérieux, contrairement à ce qu'on a parfois pu entendre, avec un chiffre d'affaires de 1,8 milliard d'euros en 2019.

D'après Pierre Maes2(*), « Mediapro est une agence qui n'a jamais voulu créer une chaîne ici ». Revendre les droits acquis en 2018 faisait en effet partie des options possibles. L'appel d'offres le permettait. Mediapro est un groupe expert en la matière puisqu'il commercialise, notamment, les droits internationaux de la Liga espagnole. Avant la crise du covid, cette activité d'agence de droits connaissait un contexte porteur, dopé par les fonds d'investissement chinois, à l'instar de la société Orient Hontai Capital qui a pris le contrôle de Mediapro début 2018.

Jean-Michel Roussier, ancien directeur conseil délégué sur l'antenne et les programmes de Mediapro Sport France, a toutefois rappelé à la mission d'information que Mediapro, loin de n'être qu'une agence, était aussi l'un des acteurs mondiaux majeurs de la production audiovisuelle (qui emploie à ce jour plus de 7 000 salariés) : « Non, Mediapro est certes un broker, mais c'est aussi une des plus grosses sociétés de production européennes, tant en matière de sport - elle est toujours prestataire de la FIFA et de l'UEFA et dispose pour la captation d'un parc de cars régie et de moyens techniques considérables - qu'en matière de contenus de fiction, réalisés essentiellement en Espagne - Casa de Papel fait notamment partie de son catalogue, parmi beaucoup d'autres oeuvres »3(*).

À partir de la mi-2000, le groupe Mediapro est devenu un acteur majeur de la diffusion des matchs de la Liga espagnole, notamment avec sa chaîne Gol Television créée en 2008. Jusqu'en 2015, les droits TV de la Liga espagnole étaient vendus individuellement par chaque club. Entre 2015 et 2019, ces droits ont été principalement détenus par Mediapro (via beIN Sports) et Movistar+ (chaîne issue de la vente de Canal+ Espagne à Telefonica). Mediapro a ensuite perdu, en 2019, l'appel d'offres grâce auquel Movistar+ a acquis les droits exclusifs de diffusion des matchs. Le groupe catalan ne conservait alors que les droits de diffusion domestique de la Liga dans les bars, secteur qui subira de plein fouet la pandémie de covid-19.

Depuis 2022, Movistar+ partage les droits de diffusion de la Liga avec DAZN. Par ailleurs, Mediapro commercialise toujours les droits internationaux du championnat espagnol, selon un accord renouvelé en 2023 et prolongé jusqu'en 2029. La chaîne Gol diffuse des matchs de la Liga de moindre importance, de deuxième division, de la Coupe du Roi et parfois de compétitions internationales et de football féminin. La chaîne est connue pour rendre le football accessible au grand public grâce à ses diffusions en clair.

Quoique méconnue en France, l'entreprise y était déjà présente puisqu'elle avait contribué depuis 2012 à la distribution et à la production des contenus de la chaîne beIN Sports sur le territoire français.

Si Mediapro a pu susciter la méfiance lors de son arrivée sur le marché français, ce n'est pas parce que cette entreprise venait d'au-delà des Pyrénées, mais en raison d'une certaine opacité. Joseph Oughourlian, président du RC Lens, a fait allusion, lors de son audition, à la réputation qui était déjà celle du groupe catalan en 2018 : « [En tant que dirigeant du groupe Prisa], je connais très bien la réputation de Mediapro en Espagne. Ce n'était pas une bonne idée de donner 80 % des droits à un groupe qui n'a pas une bonne réputation, qui n'offre pas de garanties et qui n'est pas solide financièrement ».

De fait, Mediapro avait connu des difficultés financières et judiciaires en Espagne, notamment dans le cadre de sa rivalité avec le groupe Prisa, ancien propriétaire de Canal+ Espagne (revendu en 2014 à Telefonica). Par ailleurs, au plan international, des dirigeants de Mediapro ont été mis en cause dans le scandale de corruption de la FIFA, qui a éclaté en 2015. En 2018, comme évoqué précédemment, le groupe était en perte de vitesse en Espagne, face à la concurrence de Telefonica. Sa maison-mère, Joye Media, était cotée « B1 » (valeur très spéculative, niveau de risque de crédit élevé) par l'agence Moody's.

En Italie, quelques jours avant l'attribution des droits français, l'offre de Mediapro, supérieure au milliard d'euros, était rejetée à la suite d'une décision du tribunal de Milan, fondée sur le non-respect des règles antitrust et l'insuffisance des garanties financières.

Par ailleurs, en février 2018, le groupe Mediapro a été racheté par un fonds d'investissement chinois, par l'intermédiaire d'une nébuleuse de sociétés : Mediapro était la propriété d'Imagina Media, elle-même propriété de la holding Joye Media, rachetée majoritairement par le fonds Orient Hontai capital (OHC), qui d'après certaines sources (non vérifiées) serait contrôlé par la municipalité de Shanghai. Ce montage financier laissait planer un doute sur l'identité des détenteurs ultimes de la société, et sur la réalité de leur implication en cas de difficultés de la filiale française. Par ailleurs, les actionnaires minoritaires de Mediapro étaient alors l'agence de publicité britannique WPP et les deux fondateurs historiques de l'entreprise, Jaume Roures et Taxto Benet.

En 2023, le fonds d'investissement Southwind Group, basé à Hong Kong, a repris à OHC le contrôle de l'entreprise. Southwind détient maintenant environ 80 % de Mediapro, dont WPP demeure actionnaire minoritaire.

Le choix de Mediapro était donc risqué, ce dont la dimension qualitative de l'appel d'offres de 2018 n'est pas parvenue à rendre compte, l'accent ayant été mis en priorité sur les prix proposés.

B. LE DÉPART DE MEDIAPRO : UNE RUPTURE INÉVITABLE ?

1. Des ambitions percutées par le covid

La défaillance de Mediapro est intervenue dans le prolongement de la pandémie de covid, dont les conséquences étaient déjà désastreuses pour les clubs puisqu'elle les avait privés de recettes audiovisuelles, mais aussi de billetterie, de contrats de sponsoring et de recettes de transferts.

Suspendue le 13 mars 2020, la saison 2019-2020 a été définitivement interrompue après l'annonce faite par le Premier ministre Édouard Philippe à l'Assemblée nationale le 28 avril 2020 dans le cadre de la présentation de la stratégie du gouvernement pour procéder au déconfinement de la population française : « La saison 2019-2020 de sports professionnels, notamment celle de football, ne pourra pas (...) reprendre ». Deux jours plus tard, le conseil d'administration de la LFP actait cette décision en prononçant l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019-2020.

Contestée par des clubs qui s'estimaient lésés par cette décision (Lyon, Amiens, Ajaccio et Troyes), la décision de la LFP a été validée par le Conseil d'État, d'abord en référé (juin 2020), puis au fond (octobre 2020). Quoique remise en cause par certains, cette décision a été bien accueillie par d'autres clubs, car elle avait le mérite de clarifier la situation et de permettre une reprise de la saison suivante en août 2020, comme c'est l'usage et comme le demandait l'UEFA.

À la suite de la déclaration d'Édouard Philippe, la LFP s'est trouvée dans l'obligation d'arrêter le championnat en cours. Sa prolongation au-delà de l'été aurait sans nul doute engendré de nombreuses autres difficultés.

L'arrêt du championnat a conduit le groupe Canal+ à notifier à la LFP la résiliation de ses contrats de diffusion de la Ligue 1 et de la Ligue 2, pour cause de force majeure, le 30 avril 2020. Ces contrats ne pouvaient en effet plus être mis en oeuvre. beIN Sports a pris une mesure similaire. Les deux chaînes avaient déjà suspendu leurs paiements d'avril 2020.

A posteriori, on peut juger que la décision du gouvernement d'arrêter le championnat était probablement prématurée.

Quelques jours après une décision similaire prise aux Pays-Bas, la France était le deuxième pays européen à annoncer une telle interruption définitive. Les autres grands championnats européens ont repris, quant à eux, à huis clos, à la fin du premier semestre 2020, notamment au Royaume-Uni (Premier League), en Allemagne (Bundesliga), en Espagne (Liga) et en Italie (Serie A).

En définitive, en Europe, seules la France, la Belgique, les Pays-Bas et l'Écosse ont définitivement arrêté leur championnat 2019-2020 en raison du covid.

Pour compenser le déficit de droits TV, le 4 mai 2020, l'assemblée générale de la LFP a autorisé la conclusion d'un prêt garanti par l'État (PGE) de 224,5 millions d'euros, qui a permis de verser aux clubs l'intégralité des sommes qu'ils auraient dû percevoir au titre des droits audiovisuels de la saison 2019-2020. Ce prêt était conclu aux conditions suivantes :

- taux de la garantie de l'État : 0,5 %, soit 1,1 M€ par an ;

- taux du crédit : 0 % sur les 12 premiers mois ;

- aucune garantie donnée par la LFP : garantie de l'État à hauteur de 90 %.

Malgré des conditions avantageuses, le PGE constitue bien un crédit à rembourser. Il le sera, en 2022, pour le reliquat de remboursement, par la société commerciale créée par la LFP. Pour les clubs, l'arrêt du championnat n'était donc que provisoirement indolore.

Alors que les droits TV du championnat français avaient été obtenus en 2018, Mediapro n'a lancé sa chaîne Téléfoot que quelques semaines avant le début de la saison 2020-2021, au moment où la pandémie de covid connaissait un paroxysme lors du confinement décrété de mars à mai 2020.

Le nouveau diffuseur n'était pas impacté par l'arrêt du championnat 2019-2020, dont il n'était pas le diffuseur, puisque son contrat prenait effet au début de la saison suivante. Mais il estime avoir subi un préjudice du fait de la jauge maximale de 5000 spectateurs imposée jusqu'au 30 octobre 2020, suivie d'une obligation de jouer les matchs à huis clos.

Par ailleurs, l'UEFA ayant reprogrammé les demi-finales et la finale de la Ligue des champions fin août 2020, deux matchs de la première journée du championnat, impliquant respectivement l'Olympique lyonnais et le Paris Saint-Germain, ont dû être reportés. Un troisième l'était à cause du covid. Étant dans l'attente de la décision définitive du Conseil d'État sur la décision d'arrêter la saison précédente, la LFP n'a pas accédé à la demande de Mediapro de décaler la reprise de la Ligue 1.

Jaume Roures a indiqué à la mission : « Nous avons demandé à la Ligue de renégocier les termes du contrat comme tous les acteurs économiques, dans le football, dans le sport comme dans tous les secteurs. La Ligue a refusé toute négociation (...). Nous avons demandé une renégociation pour passer de 814 à 650 millions d'euros (...). Nous avons renégocié nos contrats avec l'UEFA et plusieurs ligues. J'ai même renégocié les montants versés à la Ligue espagnole par les opérateurs étrangers avec des rabais de 8 à 15 %. »

L'ancien président de Mediapro n'a toutefois pas pu préciser à la mission si ces rabais obtenus auprès d'autres ligues portaient sur la saison 2019-2020 ou sur la saison 2020-2021, qui a pu suivre son cours malgré la pandémie.

Il est notable que, dès juin 2020, Mediapro avait, par ailleurs, engagé des négociations avec le ministère des finances pour l'obtention d'un prêt garanti par l'État (PGE).

La situation du début de saison 2020-2021, décrite ci-dessus, pouvait, dans une certaine mesure, justifier une demande de rabais sur la première année du contrat de Mediapro.

Une telle demande a été adressée par le président de Mediapro, auprès de la LFP, comme l'a précisé Jean-Michel Roussier lors de son audition : « Début juillet 2020, M. Jaume Roures, le président de Mediapro, rencontre Mme Nathalie Boy de la Tour, qui était à l'époque la présidente de la LFP, M. Didier Quillot, son directeur général, et M. Mathieu Ficot, son directeur en charge des médias, pour demander une remise d'un montant de 200 millions d'euros sur la première saison (...). La Ligue temporise, un nouveau président devant être élu au mois de septembre, tandis que Mediapro fait nommer un mandataire ad hoc pour s'assurer de la préservation des droits dont il dispose ».

La LFP a refusé toute négociation sur le montant des droits, tant en juillet, alors que la Ligue était en période électorale, qu'un peu plus tard, après l'élection de Vincent Labrune à sa présidence.

Toutefois :

- Le rabais évoqué en audition, de l'ordre de 200 millions d'euros, paraît élevé : le championnat avait vocation à suivre son cours, malgré de possibles perturbations. En outre, une telle négociation aurait nécessairement impliqué l'ensemble des diffuseurs du championnat.

Après l'ouverture de la période de conciliation au profit de Mediapro, le 19 octobre 2020, la négociation d'un rabais pouvait conduire la LFP sur une pente dangereuse. D'une part, la LFP n'était plus en position favorable pour négocier compte tenu du cadre juridique mis en place pour protéger les entreprises en difficulté pendant la pandémie de covid-19. D'autre part, en l'absence de démonstration par Mediapro Sport France de la viabilité économique de son projet, la LFP et les clubs pouvaient légitimement craindre que l'octroi d'un report ou d'un rabais ne soit le prélude à d'autres demandes du même type.

2. Une rupture amiable

Ce qui fut un succès en 2018, tant pour la LFP que pour Mediapro, s'est ainsi transformé, deux ans plus tard, en l'un des échecs financiers les plus retentissants du football français.

Les engagements de Mediapro Sport France étaient demeurés longtemps virtuels, puisque la LFP ne lui avait demandé aucun acompte entre 2018 et le démarrage effectif du contrat en 2020.

Le 6 août 2020, Mediapro Sport France a payé la première échéance de ses droits, soit 172 millions d'euros, après plusieurs mois de spéculations médiatiques quant à la capacité de l'entreprise à remplir ses engagements compte tenu du contexte économique et sanitaire.

Le 24 septembre 2020, Mediapro a adressé un courrier à la LFP sollicitant le report de ses échéances de paiement du 1er et du 5 octobre 2020, d'un montant de 172 M€ (qui n'ont, de fait, pas été payées).

Sollicité par Mediapro Sport France, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de mandat ad hoc au profit de cette entreprise, par ordonnance du 28 septembre 2020, désignant Me Marc Sénéchal en tant que mandataire ad hoc. Par la suite, celui-ci en est devenu le conciliateur puis le liquidateur.

Peu après sa désignation, le mandataire ad hoc a sollicité une période de standstill, c'est-à-dire qu'il a demandé à la LFP de sursoir au paiement des échéances d'octobre 2020, jusqu'au 6 novembre 2020, afin de faire un point sur la situation.

La LFP n'a pas refusé ce sursis, mais, pour continuer à percevoir des recettes au titre des matchs que continuait à diffuser la chaîne Téléfoot, et ne pas priver les clubs de leurs quotes-parts d'octobre 2020, elle a exigé, en contrepartie, le paiement de 64 millions d'euros par Mediapro. Ce montant, calculé par la LFP, correspondait au prorata des droits exploités par la chaîne jusqu'au 6 novembre 2020.

À ce sujet, Jean-Michel Roussier a indiqué à la mission : « Début octobre, la société [Mediapro] propose de payer immédiatement 64 millions d'euros à la Ligue, à la seule condition d'un statu quo jusqu'à mi-novembre, le temps de mener des négociations sur la première année. La Ligue refuse ce versement et l'éventualité de ce statu quo »4(*).

Le diffuseur n'était prêt à accepter le paiement de 64 millions d'euros au 14 octobre, demandé par la LFP, qu'en échange d'une période de sursis plus longue, jusqu'au 13 novembre 2020.

La LFP a refusé cette proposition. Elle a préféré emprunter, dès le 14 octobre 2020, 120 millions d'euros à court terme auprès d'une banque, plutôt que de sécuriser les 64 millions d'euros précédemment évoqués.

Parallèlement, la LFP a sollicité des mesures et engagé les voies d'exécution à sa disposition :

Ø elle a obtenu deux décisions à l'encontre de Joye Media, maison mère de Mediapro : une injonction de payer européenne et une ordonnance européenne de saisie conservatoire de comptes bancaires délivrées par le tribunal de commerce de Paris le 14 octobre 2020. Des voies d'exécution ont été engagées en Espagne, ce qui nécessitait d'identifier au préalable les actifs de Joye Media ;

Ø des ordonnances de saisies conservatoires de comptes bancaires et de saisies de créances ont été rendues par le tribunal de commerce de Bobigny à cette même date, sans que cela ne permette de geler de sommes substantielles... le solde des comptes bancaires de Mediapro Sport France s'élevant à 4 500 euros environ.

Compte tenu du défaut de paiement de Mediapro, le président du tribunal de commerce de Nanterre a clôturé la procédure de mandat ad hoc et ouvert une procédure de conciliation, par ordonnance du 19 octobre 2020.

Sous le régime de la conciliation, et en application des règles dérogatoires instituées pour faire face à la crise économique induite par la pandémie, la LFP était placée dans une position défavorable et ses options devenaient fortement limitées.

En effet, en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 20205(*) portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l'épidémie de covid-19, l'ouverture d'une procédure de conciliation permettait la neutralisation de toute action en justice :

« Lorsqu'un créancier appelé à la conciliation n'accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du tribunal ayant ouvert cette procédure, qui statue par ordonnance sur requête :

« 1° D'interrompre ou d'interdire toute action en justice de la part de ce créancier et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;

« 2° D'arrêter ou d'interdire toute procédure d'exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant la demande ;

3° De reporter ou d'échelonner le paiement des sommes dues. »

Par ailleurs, cette procédure de conciliation concernant Mediapro pouvait également être étendue à sa maison-mère Joye Media, qui aurait dès lors bénéficié de la même protection.

Une fois la procédure de conciliation ouverte, la LFP n'avait guère d'autre option que d'accepter le sursis demandé par le conciliateur jusqu'au 4 décembre 2020. Le 5 décembre 2020, la troisième échéance due par Mediapro n'était pas non plus payée.

La négociation s'est dès lors orientée vers une sortie anticipée de Mediapro et la restitution de ses droits à la LFP.

Ce processus a abouti à un protocole d'accord homologué par le tribunal de commerce le 22 décembre 2020. Les principaux points de cet accord étaient les suivants :

- résiliation anticipée, à l'amiable, du contrat entre Mediapro et la LFP ;

- versement d'une indemnité de 100 millions d'euros (hors taxes) par Mediapro à la LFP en deux temps : 64 M€ au moment de l'homologation du protocole de conciliation ; puis 36 M€ dans le cadre de trois échéances complémentaires ultérieures.

Le 11 décembre 2020, le Conseil d'administration de la LFP a approuvé les modalités de cet accord. La LFP récupérait ainsi les droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 exploités par Mediapro.

3. Une équation économique introuvable

La négociation entre Mediapro et la LFP a-t-elle échoué en raison d'un désaccord sur un délai de sursis d'une semaine ? Il est permis d'en douter.

À l'automne 2020, en effet, l'équilibre économique du projet de Mediapro était fortement incertain. Il y a tout lieu de croire que les difficultés structurelles l'emportaient sur les difficultés conjoncturelles. De fait, après la proposition émise en juillet, alors que les conséquences de la pandémie étaient connues, aucune autre proposition concrète de rabais n'a été émise par Mediapro. Le diffuseur restait peu transparent sur l'évolution de son plan d'affaires et sur le nombre réel de ses abonnés, malgré les demandes formulées par la LFP.

Dans ses projections, Mediapro devait être bénéficiaire à partir de la deuxième saison. Compte tenu du montant des droits à payer (780 M€), et du tarif des différentes offres d'abonnement à la chaîne Téléfoot (270 €/an), la chaîne devait compter sur environ 2,8 millions d'abonnés pour atteindre l'équilibre. À l'automne 2020, cet équilibre était encore un horizon lointain : Téléfoot comptait environ 530 000 abonnés, dont 380 000 par le biais des fournisseurs d'accès à internet avec lesquels Mediapro avait trouvé un accord.

L'équilibre économique de Mediapro dépendait largement de sa capacité à trouver un accord de distribution avec Canal+. Cet accord était certainement nécessaire, néanmoins peut-être pas suffisant. Mais, tandis que beIN sports a obtenu un accord de distribution exclusive avec Canal+ en février 2020, Mediapro n'y est pas parvenu. Le groupe d'origine catalane a néanmoins signé un accord avec Altice (SFR), Orange, Free et Bouygues Telecom.

Dans le cadre de son accord avec SFR, Mediapro a obtenu la co-diffusion sur deux antennes (RMC Sport et Téléfoot) des matchs de la Ligue des champions de la saison 2020-2021. Le groupe comptait sur cette compétition pour compléter son offre et conquérir un socle d'abonnés durables. Candidate à l'appel d'offres de l'UEFA pour 2021-2024, Mediapro a toutefois échoué à obtenir les droits de ce nouveau cycle, ce qui a contribué à fragiliser l'entreprise. L'accord de co-diffusion, auquel Jaume Roures a fait allusion lors de son audition, ne valait que pour une saison. L'échec de Mediapro à obtenir les droits des saisons suivantes est l'une des explications de la non-viabilité à terme de la chaîne Téléfoot.

Dans ce contexte difficile, Mediapro n'a pas bénéficié du soutien de son actionnaire. Si celui-ci a permis le versement à l'été 2020 d'une première échéance, il n'a plus donné signe de vie par la suite. La garantie obtenue par la LFP consistait en une caution bancaire de la société Joye Media à la LFP. Le fonds chinois OHC n'était donc pas directement impliqué par cette garantie.

La Chine a commencé, dès 2018, à retirer les fonds qu'elle avait engagés dans le football européen, le gouvernement chinois ayant mis en place des mesures destinées à mettre fin à des investissements jugés irrationnels. Ainsi, en février 2018, le groupe Wanda a revendu la participation acquise en 2015 dans l'Atlético de Madrid. En juillet 2018, l'agence MP & Silva, qui avait été rachetée en 2016 par deux sociétés chinoises, a été mise en défaut de paiement. Suite à une requête de la Fédération française de tennis (FFT), qui en était créancière, cette agence a été mise en liquidation.

En avril 2020, Joye Media était décotée par l'agence Moody's, passant de B1 à B3 (spéculatif haut risque crédit).

Ces différents « signaux faibles » n'ont pas été pris en compte. Entre 2018 et 2020, aucun acompte n'a été demandé à Mediapro, dont l'engagement demeurait virtuel. L'engouement des dirigeants du football français pour le « milliard d'euros » a empêché toute évaluation rationnelle des risques.

En définitive, une demande de rabais raisonnable pouvait se justifier ; la LFP aurait pu l'accepter dans l'optique de construire des relations de confiance avec son principal partenaire, tout en accordant nécessairement le même type d'avantage à ses autres diffuseurs (lesquels ne se sont, à la connaissance de la mission, pas manifestés en ce sens).

Mais les demandes formulées par Mediapro en juillet 2020, et le préjudice causé au football français par son défaut de paiement en octobre puis en décembre, étaient sans commune mesure avec les justifications formulées par le diffuseur. Le covid n'a entraîné qu'un seul report de match sur les sept premières journées de championnat. La jauge de présence dans les stades et le démarrage de la Ligue 1 concomitant de la finale de la Ligue des champions n'ont pas empêché les matchs de se jouer.

Par ailleurs, il n'apparaît pas que des difficultés d'une telle ampleur aient été constatées chez les diffuseurs d'autres ligues européennes, au cours de cette saison 2020-2021, même si des rabais ont pu être accordés, essentiellement d'ailleurs sur la saison précédente, beaucoup plus impactée par la pandémie.

Par la suite, la LFP n'a pas donné suite à la demande d'enquête formulée par le président du Paris Saint-Germain sur les circonstances du fiasco Mediapro, enquête qui aurait été bienvenue.

En décembre 2020, l'ancien directeur général de la Ligue, Didier Quillot, a annoncé rendre le bonus qu'il avait perçu à l'occasion du contrat signé avec Mediapro (soit 500 000 euros). Didier Quillot a, en outre, perçu 1,5 million d'euros d'indemnité de départ après l'élection de Vincent Labrune, en application du contrat de travail qu'il avait signé avec la LFP en 2016, soit 24 mois de salaire, calculés à partir de la rémunération perçue sur les douze derniers mois, incluant une partie de la rémunération complémentaire exceptionnelle liée aux résultats de l'appel d'offres des droits audiovisuels, et ce malgré la résiliation amiable, in fine, du contrat entre la Ligue et Mediapro.

C. LE CHOIX D'AMAZON : NOUVEAU PARI, NOUVEAUX RISQUES

1. Un manque à gagner considérable

En février 2021, le conseil d'administration de la LFP a attribué les droits précédemment détenus par Mediapro sur la fin de la saison en cours (2020-2021) à Canal+, pour 35 M€. Cette solution a été préférée à une reprise de l'activité de la chaîne Téléfoot en direct par la LFP. À ce sujet, Jean-Pierre Caillot, président du collège de Ligue 1 et du Stade de Reims, a affirmé : « nous avons accepté de brader à 35 millions d'euros la fin du championnat, pour redonner une chance à Canal+ et repartir sur des bases saines de négociation »6(*).

Néanmoins, une consultation de marché avait été lancée en janvier 2021 pour réattribuer les lots rendus par Mediapro en décembre 2020, et ces lots seulement, pour les trois saisons ultérieures.

Un rapprochement avec Canal+ était alors possible, mais ce n'est pas la voie qui a été suivie par la LFP.

Canal+ n'avait pas émis de proposition formelle de reprise des droits pendant la période de conciliation entre Mediapro et la LFP, en novembre-décembre 2020. Le groupe sollicitait l'organisation d'un nouvel appel d'offres global.

Lors du conseil d'administration de la LFP du 18 décembre 2020, Vincent Labrune indiquait que « malgré les difficultés, s'il faut se réjouir du dialogue apaisé, serein et constructif mis en place avec Canal+, il n'en demeure pas moins que les négociations futures seront extrêmement complexes avec les opérateurs intéressés ».

Le groupe Canal payait en effet très cher sa part de droits repris à beIN Sports (332 M€) et qui portait sur 20 % des matchs seulement. Le groupe jugeait cette situation inéquitable et manifestant un abus de position dominante de la part de la LFP, qui aurait dû, selon lui, résilier le contrat portant sur le lot 3. Le principal enchérisseur à l'appel d'offres de 2018 n'ayant pu tenir ses engagements, le déroulement de cet appel d'offres et son issue paraissaient, pour Canal+, pouvoir être remis en cause. Canal+ souhaitait que la LFP lance un nouvel appel d'offres global sur l'intégralité des droits, incluant le lot 3 racheté à beIN Sports.

La LFP n'a pas souhaité récupérer ce lot attribué trois ans plus tôt contre un montant de droits devenu particulièrement bienvenu pour soutenir les clubs dans les circonstances nouvelles.

L'Autorité de la concurrence a rejeté la saisine de Canal+ et validé l'approche de la LFP, considérant que le contrat portant sur le lot 3 était régulièrement formé et parfaitement exécuté7(*). Cette décision de l'Autorité de la concurrence a été confirmée en appel8(*). Canal+ a persisté dans ce que la LFP estime être une stratégie de harcèlement judiciaire, qui a abouti à 12 décisions au fond et en référé, rendues notamment par le Tribunal de commerce de Paris, l'Autorité de la concurrence, la Cour d'appel de Paris et le Tribunal judiciaire de Paris (concluant toutes au bien-fondé de la position de la LFP).

Le volet judiciaire du conflit entre Canal+ et la LFP, s'agissant de l'attribution des droits de la Ligue 1 à Amazon le 11 juin 2021, n'est pas éteint.

Le 25 septembre 2024, la Cour de cassation a en effet rendu deux arrêts :

Ø Le premier arrêt9(*) est défavorable à Canal+. Il porte sur le litige initié par Canal+ auprès de l'Autorité de la concurrence.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de Canal+ contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2022, qui avait confirmé le rejet par l'Autorité de la concurrence des demandes de Canal+ ;

Ø Le second arrêt10(*) est, lui, favorable à Canal+ et à beIN Sports. Il porte sur le litige initié par ces deux sociétés auprès du tribunal de commerce de Paris.

La Cour de cassation annule l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 février 2023, qui avait confirmé le rejet par le tribunal de commerce des demandes de Canal+ et de beIN.

Elle reproche à la cour d'appel de Paris de s'être appuyée sur la décision précitée du 30 juin 2022, qui portait sur une décision de l'Autorité de la concurrence. D'après la Haute juridiction, « pour motiver sa décision, le juge ne peut se borner à se référer à une décision antérieure, intervenue dans une autre cause ». « L'Autorité [de la concurrence] s'étant, par sa décision, bornée à rejeter sa saisine faute d'éléments suffisamment probants, il n'en résultait aucune présomption, fût-elle-même seulement réfragable, que l'attribution de gré à gré à la société Amazon des lots restitués par la société Mediapro n'était pas constitutive d'un abus de position dominante sur le marché aval des droits de diffusion télévisuelle ». Par conséquent, il appartenait à la cour d'appel « d'examiner elle-même l'existence d'une discrimination tarifaire ».

Cet arrêt porte par définition sur des questions de droit et non sur les faits en cause. Ses motifs ne sauraient toutefois être assimilés à de simples « raisons de technique procédurale » comme le fait la LFP dans son communiqué du 27 septembre 2024.

La Cour d'appel de Paris devra en effet statuer de nouveau, sans pouvoir s'appuyer sur les décisions de sa chambre de régulation économique ni sur celle de l'Autorité de la concurrence.

Un nouvel arrêt d'appel, s'il était défavorable à la LFP, pourrait avoir des effets désastreux pour le football professionnel. Le groupe Canal+ évalue, en effet, son préjudice à environ deux tiers des montants acquittés pour le lot n° 3 pendant trois saisons (soit environ 670 M€).

Canal+ vs LFP : un feuilleton sur plusieurs saisons

Ø 19 janvier 2021 : lancement par la LFP d'une consultation de marché, à laquelle participeront Amazon, Discovery et DAZN, mais qui sera déclarée infructueuse en raison de la non-atteinte des prix de réserve fixés par la LFP.

Ø 26 janvier 2021 : saisine par Canal+ du tribunal de commerce de Paris. Rejet des demandes de Canal+ par jugement du 11 mars 2021. Confirmation de ce jugement par la cour d'appel de Paris le 3 février 2023. Annulation de la décision de la cour d'appel de Paris par un arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2024.

Ø 29 janvier 2021 : saisine par Canal+ de l'Autorité de la concurrence. Rejet des demandes de Canal+ le 11 juin 2021. Confirmation de la décision de l'Autorité de la concurrence par la cour d'appel de Paris le 30 juin 2022. Rejet du pourvoi de Canal+ par un arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2024.

Ø 11 juin 2021 : attribution à Amazon (de gré à gré) de 8 matchs hebdomadaires pour 250 M€ alors que Canal+ diffuse 2 matchs pour 332 M€ en vertu de l'appel d'offres de 2018.

Ø 2 novembre et 24 décembre 2021 : nouvelle saisine de l'Autorité de la concurrence sur l'attribution des droits à Amazon. Rejet le 30 novembre 2022. Pas d'appel.

Dans ce contexte conflictuel avec Canal+, la consultation lancée début 2021 a été infructueuse, les prix de réserve fixés par la LFP n'ayant pas été atteints. Ni Canal+ ni beIN Sports n'ont participé à cette consultation.

À la suite d'une procédure de négociation de gré à gré, les anciens lots de Mediapro ont été attribués par la LFP à Amazon le 11 juin 2021, pour 259 M€, dont 250 M€ pour la Ligue 1 et 9 M€ pour la Ligue 2. Amazon s'engageait, en outre, à payer les coûts de production des matchs (25 M€).

Par rapport au contrat signé quelques années plus tôt avec Mediapro, le manque à gagner pour le football français était considérable, de l'ordre de 530 M€ par an. Les droits domestiques s'élevaient, dès lors, à 663 M€ annuels, dont 624 M€ pour la Ligue 1. Ce montant était en baisse de 46 %, par rapport aux 1,154 Md€ anticipés par les clubs.

DROITS DOMESTIQUES ANNUELS (2019 À 2024)

Titulaire

Montant (M€)

Ligue 1 

 

Canal+ (via beIN Sports)

332

Amazon

250

Free

42

Total Ligue 1

624 M€

Ligue 2

 

beIN Sports

30

Amazon

9

Total Ligue 2

39 M€

Total Ligue 1 + Ligue 2

663 M€

2. Un pari sur les GAFA qui n'a pas porté ses fruits

Avec Amazon, la LFP choisissait, de nouveau, une solution inédite. Après Mediapro, le football français se tournait vers les GAFA11(*).

Amazon avait déjà manifesté son intérêt pour les droits sportifs français en achetant les matchs du soir du tournoi de Roland Garros en 2021 pour 15 M€, afin de les proposer dans le cadre de son service de streaming Amazon Prime video. À l'étranger, Amazon détenait déjà des matchs de NFL (football américain), de Premier League (en Angleterre) et de Ligue des champions (en Allemagne et en Italie).

Le montant du contrat obtenu par la LFP était loin de ce que les dirigeants de clubs estimaient être la valeur à long terme du football français. Certains d'entre eux faisaient toutefois le pari que l'arrivée des géants d'internet sur le marché des droits sportifs français permettrait d'en relancer la dynamique, la présence durable sur ce marché du diffuseur historique, Canal+, étant considérée comme acquise :

« C'est là où la solution proposée par Vincent Labrune est formidable. Elle permet d'associer le leader de demain tout en ayant la possibilité d'avoir Canal pour faire la transition », affirmait Jean-Michel Aulas, alors président de l'Olympique Lyonnais12(*). Attirer Amazon devait permettre d'élargir le nombre de téléspectateurs potentiels, grâce à un socle d'abonnés substantiel.

Jean-Michel Aulas a développé cette vision lors de son audition par la mission d'information : « Il faut dépasser l'histoire et plutôt partir des technologies, passer d'un système linéaire à une approche fondée sur internet, où chacun peut avoir accès à de multiples offres. La valeur est déterminée à un instant donné par le nombre d'utilisateurs potentiels d'un certain nombre de droits. Elle n'est évidemment pas du tout la même quand on parle de 1 million ou de 100 millions d'abonnés potentiels ».13(*)

En choisissant Amazon, les présidents de clubs ont vu une opportunité d'attirer les GAFA sur le marché des droits sportifs français. Ils ont minimisé le risque que la Ligue 1 ne soit pour Amazon qu'un produit accessoire, lui servant pendant quelques années à promouvoir en France son activité principale, à savoir la livraison gratuite, associée à un service de streaming (Prime video). Ils ont aussi probablement voulu sanctionner, ou au moins challenger Canal+, tout en sous-estimant la capacité du diffuseur historique à rebondir en proposant d'autres contenus. Ils n'ont pas pleinement mesuré que le football français pourrait avoir davantage besoin de Canal+, à long terme, que l'inverse.

Lorsqu'Amazon était titulaire des droits du football, les matchs étaient accessibles aux abonnés Prime (7 €/mois ou 70 €/an), moyennant un coût supplémentaire (le « pass Ligue 1 » à 15 €/mois ou 99 €/an). Le parc d'abonnés aurait atteint 1,8 million.

Amazon espérait consolider son implantation en France en popularisant les services Prime grâce à la Ligue 1. Cette approche limitait les perspectives de partenariat de long terme, d'autant que l'exploitation de la Ligue 1 s'est révélée déficitaire. Le cabinet NPA Conseil estime que la diffusion de la Ligue 1 a engendré, pour Amazon, des pertes directes de l'ordre de 250 M€ sur deux saisons. Le « pass Ligue 1 » n'a pas démontré de capacité à attirer en nombre de nouveaux abonnés vers Amazon Prime14(*). Le géant américain du commerce en ligne s'est retiré après trois saisons.

La couverture de la Ligue 1 par Amazon a été jugée plutôt positivement en raison de sa relative accessibilité financière, mais aussi de sa qualité technique et éditoriale. Force est de constater, toutefois, qu'Amazon n'était pas le partenaire de long terme dont le football avait besoin.

D'après Cyril Linette, « en passant de Canal à Prime Video, les audiences avaient déjà été divisées par 5 ». Par la suite, « en passant de Prime Video à DAZN, elles sont devenues marginales »15(*).

La visibilité de la Ligue 1 auprès du public ne semble pas constituer une priorité pour les présidents de club. La valeur du produit à moyen terme en dépend pourtant.

3. Un divorce acté avec Canal+

L'offre d'Amazon était préférée à une offre conjointe de Canal+ et de beIN Sports. Dès l'annonce de l'attribution des droits, le 11 juin 2021, Canal+ a annoncé se retirer de la diffusion de la Ligue 1, démentant ainsi la possibilité d'un nouvel écosystème concurrentiel fructueux pour le football français qui aurait associé le principal acteur historique et les géants internationaux du numérique.

Vincent Labrune a affirmé devant la mission d'information que ce choix était d'abord celui des présidents de club : « Un président de la Ligue ne dirige pas seul (...) j'ai été confronté à un (...) principe de réalité : la panique des présidents de club, qui ont tout de suite priorisé le montant garanti »16(*).

Ø On peut toutefois regretter que le choix d'Amazon ait reposé sur une présentation peu équilibrée des deux offres concurrentes par la LFP, lors de la réunion du conseil d'administration au cours de laquelle cette décision a été prise. Dans cette présentation : les montants fixes proposés par Canal+ et beIN Sports étaient présentés comme conditionnés à des objectifs ;

Ø l'offre d'Amazon était comparée, non à l'offre globale de ses concurrents, mais uniquement à la part fixe de cette offre.

L'offre d'Amazon permettait d'atteindre, en cumulant l'ensemble des droits, un montant de 663 M€ annuel. Ce montant était comparé par la Ligue à celui obtenu grâce à la seule part fixe de l'offre Canal+/beIN (595 M€). Or l'offre Canal+/beIN comportait aussi une part variable, permettant d'espérer un montant de droits de 673 M€ en moyenne chaque année sur trois ans.

Considérer l'offre d'Amazon comme mieux-disante était donc discutable d'autant que le prix n'est pas le seul paramètre à considérer dans une telle négociation.

Échaudés par l'affaire Mediapro, les présidents de clubs ont considéré la part variable comme un risque majeur, une nouvelle épée de Damoclès pour le championnat français.

Le principe même d'une part variable a été rejeté. Aucune discussion approfondie n'a eu lieu à ce sujet17(*), notamment quant à la capacité à réaliser les objectifs qui conditionnaient le versement de la part variable.

Cette part variable s'établissait ainsi :

Ø 35 M€ la première année (2021-2022), si un parc moyen cible de 2,3 millions d'abonnés était atteint ;

Ø 96 M€ la deuxième année (2022-2023), pour un parc moyen cible de 3,9 millions d'abonnés ;

Ø 103 M€ la troisième année (2023-2024), pour un parc moyen cible de 4,2 millions d'abonnés. Ce nombre correspondait au parc d'abonnés de beIN Sports en 2018, année où la chaîne a diffusé la Coupe du monde de football.

Dans l'hypothèse où les objectifs étaient atteints, l'offre de Canal+/beIN assurait une large visibilité au championnat français et lui permettait de percevoir près de 700 M€ de droits en fin de cycle. Les objectifs étaient ambitieux, notamment la troisième année, mais pas inatteignables puisque beIN Sports comptait alors plus de 4 millions d'abonnés.

La prudence l'a emporté sur l'ambition.

Comme le note le procès-verbal du conseil d'administration de la LFP du 11 juin 2021, l'offre proposée par Canal+/beIN offrait « une exposition très qualitative de la Ligue 1 et de la Ligue 2 » tandis que celle d'Amazon était « à ce jour, à construire », à partir d'un parc d'environ 9 à 10 millions d'abonnés au service « Prime » d'Amazon, sans que les modalités du futur « pass Ligue 1 » ne soient très claires.

Pour reprendre les mots de Pierre Maes lors de son audition :

« Quand un acteur domine dans votre pays, vous faites en sorte que la relation commerciale soit fluide, ce qui n'exclut pas, bien sûr, quelques couacs ; mais on ne peut pas se mettre à dos l'opérateur principal qui, en plus d'être la principale chaîne de télévision payante, est incontournable dans la distribution (...). L'attribution des droits à Amazon a été une autre de ces décisions absurdes. On a lu qu'il aurait fallu être fou pour refuser Amazon, mais ce n'était pas le cas dès lors qu'Amazon payait le tiers du prix que s'était engagé à payer Mediapro ! Donc, entre 2018 et 2021, en trois ans, il a été acté que les droits valaient trois fois moins. On avançait qu'Amazon était un laboratoire, la Ligue 1 lui servant de test avant d'investir massivement. Aujourd'hui, on n'en entend même plus parler dans l'attribution des droits qui est en cours ».18(*)

II. LA SOCIÉTÉ COMMERCIALE, NOUVEL ELDORADO DU FOOTBALL

La création d'une société commerciale est présentée par la LFP comme une opération de sauvetage des clubs après la pandémie de covid et la restitution de ses droits par Mediapro. L'ouverture à un fonds d'investissement a en effet permis de compenser, au moins temporairement, le manque à gagner engendré par la baisse des droits TV par rapport aux prévisions budgétaires construites à partir des montants de droits promis par Mediapro, les clubs ayant imprudemment commencé à indexer leurs dépenses sur leurs prévisions de recettes futures.

A. UNE OPÉRATION DE SAUVETAGE DES CLUBS

Le départ de Mediapro a entraîné un manque à gagner considérable pour la LFP, qui est venu s'ajouter à celui subi directement du fait de la pandémie de covid-19, la France étant le seul grand championnat où la compétition a été interrompue en cours de saison.

1. Des clubs en péril ?

La défaillance d'un diffuseur est un événement rare. Quelques précédents existent, notamment en Angleterre, où le groupe ITV Digital, qui avait acheté les droits de l'English football League (c'est-à-dire des divisions inférieures à la Premier League) en 2002 a, par la suite, fait défaut, entraînant la faillite de quatorze clubs professionnels. On peut aussi citer les cas de Setanta Sports en 2009 (au Royaume-Uni) ou encore de Kirch Media en 2002 (en Allemagne).

En France, la saison 2019-2020 a subi le choc de l'arrêt du championnat et de l'arrêt subséquent des versements de droits TV, de recettes matchs, etc.

L'État a alors mis en place plusieurs dispositifs de compensation :

Ø des aides à la billetterie, estimées à 75 millions d'euros sur trois exercices (soit 36 % des compensations billetterie) ;

Ø un dispositif de réduction de charges, incluant le chômage partiel, l'exonération de charges et l'aide aux coûts fixes, représentant en tout environ 520 millions d'euros ;

Ø un recours de la plupart des clubs à un PGE (Prêt Garanti par l'État) pour plus de 550 millions d'euros au total ;

Ø le recours de la LFP à un PGE en mai 2020 (225 millions d'euros) pour compenser l'absence de versement de droits TV.

L'État a donc pris en charge l'essentiel des effets immédiats de la pandémie. Cependant, il n'était pas tenu de compenser les conséquences du retrait du diffuseur, d'autant que ce départ s'expliquait par des raisons plus structurelles que conjoncturelles, la justification par le covid étant insuffisante. Pour faire face aux impayés de Mediapro, la LFP a souscrit un emprunt à court terme de 120 M€ auprès de la banque JP Morgan.

Or, après la défection de Mediapro, les droits audiovisuels ont sensiblement baissé par rapport à ce qu'ils étaient au cours du cycle précédent (663 M€ contre 748 M€). L'impact de cette baisse non négligeable a été amplifié par le fait que les clubs avaient prévu des revenus dépassant le milliard d'euros et qu'ils avaient commencé à engager les dépenses correspondantes pour la saison 2020-2021, qui devait être la première saison d'une ère nouvelle pour le football français.

Comme l'a indiqué Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), lors de son audition, la survie des clubs était en jeu : « les déficits cumulés des saisons 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022 s'élèvent à 1,6 milliard d'euros. C'est pourquoi je parle de « survie ». Pour la saison 2019-2020, les pertes s'élèvent à 270 millions d'euros, pour 2020-2021, elles atteignent 685 millions d'euros, et pour 2021-2022, elles sont de 601 millions d'euros. Ces chiffres tiennent compte des aides d'État, des droits de substitution et des abandons de comptes courants significatifs réalisés par les actionnaires de l'époque »19(*).

De fait, le football français a connu deux saisons très difficiles. Une forte baisse du résultat net total de la Ligue 1 et de la Ligue 2, après opérations de mutation, a été observée. La conjoncture a exacerbé une situation où la majorité des clubs présentent de toute façon structurellement un déficit d'exploitation, plus ou moins compensé, chaque année, par les revenus provenant des opérations de mutation, c'est-à-dire des transferts de joueurs.

Ainsi, en 2019-2020, le résultat net cumulé Ligue 1+Ligue 2 (-270 M€) correspond à un résultat hors mutations de -1,2 Md€. En 2020-2021, ce résultat net (-685 M€) correspond à un résultat hors mutations de -1,3 Md€.

Les clubs produisent ainsi structurellement un déficit d'exploitation de l'ordre de 1,2 Md€ chaque année.

RÉSULTAT NET (LIGUE 1 + LIGUE 2), M€

Source des données : DNCG (résultat net y compris mutations)

La pandémie et le départ de Mediapro ont eu, pour les clubs professionnels, quatre conséquences majeures :

- des pertes cumulées de 1,6 Md€ sur trois ans ;

- un doublement de l'endettement qui est passé d'environ 500 millions d'euros à plus d'un milliard d'euros ;

- une division par deux des fonds propres ;

- un manque à gagner de 530 M€ par an pour les clubs de Ligue 1, compte tenu de l'accord avec Amazon par rapport à ce qui était prévu avec Mediapro.

Compte tenu du déficit d'exploitation structurel des clubs, les actionnaires jouent un rôle crucial dans le modèle économique du football professionnel.

On observera toutefois que les apports d'actionnaires (capitaux propres et comptes courants d'actionnaires) ont baissé au cours des saisons 2020-2021 puis 2021-2022, par rapport à leurs niveaux élevés des trois saisons précédentes. Ces apports ont à nouveau augmenté en 2022-2023.

En définitive, la situation post-2020 n'a pas entraîné de faillites de clubs. Les clubs de football sont-ils « too big to fail » (trop gros pour faire faillite), ou plutôt, « too small to fail » (trop petits pour faire faillite)20(*) ? Un club de football peut-il faire faillite, compte tenu de son importance socio-économique, considérée au regard des montants financiers relativement modestes en jeu ?

Entre 1975 et 2019, on recense 45 faillites de clubs professionnels, ayant entraîné la rétrogradation et la perte du statut professionnel, dont seulement deux en Ligue 1 : s'agissant du Stade Brestois en 1991 et du SC Bastia en 2017. Les clubs relégués finissent généralement par remonter dans les divisions supérieures, comme ce fut le cas pour les clubs de Brest, de Bastia, mais aussi de Strasbourg et de Grenoble (après des dépôts de bilan en 2011 pour ces deux clubs).

Compte tenu de l'importance historique des Girondins de Bordeaux, on peut espérer une trajectoire similaire, à la suite du dépôt de bilan récent (juillet 2024), et ce malgré l'échec de la revente de ce club au groupe américain Fenway.

Certes, les clubs ne meurent jamais, ou très rarement, mais leur survie peut avoir un coût important pour la collectivité et se faire au prix de transformations profondes, au risque d'une perte d'identité, en cas de reprise par des fonds internationaux ou d'intégration à un groupe multipropriétaire.

2. Une quête d'« argent frais »

Au moment de la crise de la fin 2020, l'idée de recourir à la création d'une société commerciale n'était pas nouvelle. Elle était en circulation depuis un moment.

Cette idée n'impliquait pas nécessairement une levée de capital auprès d'un fonds d'investissement :

Ø Premier League, la société commerciale responsable de la gestion du championnat de première division anglais, n'a pas ouvert son capital à un investisseur financier. Seuls les clubs en sont actionnaires, sous le contrôle de la fédération anglaise (Football association) ;

Ø En Allemagne, DFL e.V (Deutsche Fussball Liga e.V) est une association qui regroupe les clubs de première et deuxième division, dont la branche commerciale est constituée sous forme de société à responsabilité limitée (DFL GmbH). Tout comme Premier League, cette société n'a pas ouvert son capital à un investisseur financier.

En France, le départ de Mediapro a créé l'opportunité de mettre en oeuvre ce projet dans une double dimension : création d'une société commerciale et partenariat avec un investisseur financier.

Afin de permettre à la LFP d'accroître ses ressources, le rapport de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Claude Kern sur la gouvernance du football professionnel21(*) de 2017 proposait de « permettre à la LFP, si elle le souhaite, de créer une filiale sous forme de société commerciale pour négocier les droits audiovisuels et les autres recettes commerciales, la ligue restant compétente pour répartir le produit des ventes et exercer ses compétences régaliennes ».

Ce projet était principalement motivé par le souci de simplifier la gouvernance de la Ligue :

« La structure associative de la Ligue peut, à cet égard, constituer un inconvénient puisque la gouvernance associative rend souvent difficile la prise de décision et que le secret des délibérés dans ce type de structures n'est pas nécessairement respecté par tous les acteurs ».

Le rapport de nos collègues préconisait, dès lors, une évolution sur le modèle du championnat allemand, avec la création d'une filiale chargée de négocier les droits commerciaux.

Le rapport précité de notre collègue député Cédric Roussel aboutissait, en 2021, à une proposition un peu différente, cohérente avec le texte de la proposition de loi pour « démocratiser le sport en France » adoptée à l'Assemblée nationale en mars 2021. Cette proposition était, ici, explicitement motivée par une possible entrée d'« argent frais » :

« Lors de l'ensemble de nos auditions liées à cette mission d'information, nous avons chaque fois interrogé nos interlocuteurs sur les intérêts et les objectifs recherchés par la création d'une société commerciale par la Ligue en vue de l'exploitation et la gestion des droits.

La réponse majoritairement reçue a été d'une part un meilleur cadre organisationnel rendant plus efficace la commercialisation des droits TV sportifs et d'autre part l'opportunité, à l'occasion de cette création, d'ouvrir le capital à des investisseurs privés en échange d'une rentrée d'argent « frais » - comme précisé par Javier Tebas, Président de la Liga - permettant d'accompagner davantage les clubs professionnels de football dans leur structuration et leur professionnalisation et, à terme, leur attractivité et leur compétitivité. »22(*)

Fin 2021, le championnat espagnol a en effet conclu un partenariat avec le fonds d'investissement CVC.

En France, l'appel à un fonds d'investissement est apparu comme une nécessité pour sauver le football français : « si tout allait bien, ce ne serait pas nécessaire »23(*), affirmait Vincent Labrune au Sénat en décembre 2021, lors d'une audition préalable à l'examen de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

D'après Jean-Marc Mickeler, président de la DNCG, « les aides de l'État ont été substantielles et ont joué un rôle crucial dans la survie des clubs. Cependant, ces aides n'auraient pas été suffisantes sans l'intervention des actionnaires existants notamment les fonds d'investissement déjà présents au capital d'un certain nombre de clubs, mais également sans la création de la société commerciale par la Ligue »24(*).

Les clubs n'avaient en effet pas attendu les premiers versements de Mediapro pour augmenter leurs dépenses. Avant même la signature définitive du contrat avec Mediapro, la masse salariale des clubs français avait augmenté de 400 millions d'euros. Par la suite, malgré les mises en garde de la DNCG, les clubs ont bâti leurs budgets sur les perspectives offertes par l'appel d'offres de 2018, sans garantie des recettes correspondantes. Le « milliard » d'euros de droits restait pourtant virtuel.

L'attribution des droits à Amazon a conduit à un manque à gagner de plus de 500 M€ euros par an pendant trois ans, soit environ 1,5 milliard d'euros : c'est précisément le montant levé, un an plus tard, auprès de CVC. L'objectif était de passer ainsi un cap difficile en attendant le retour à une normalité supposée.

S'il était concevable que le départ de Mediapro soit un accident, il était plus risqué de considérer que le montant obtenu auprès d'Amazon, quelques mois plus tard, l'était aussi.

C'est pourtant ce qu'a fait la LFP dans le plan d'affaires bâti pour monter l'opération avec CVC. Grâce aux fonds apportés par CVC, les clubs ont pu continuer à vivre sur l'illusion d'une ligue valant « un milliard », dans l'attente de l'appel d'offres de 2023, qui devait, d'après Vincent Labrune, et dans l'esprit de nombreux présidents de clubs, confirmer cette estimation.

3. Capital ou dette : une voie toute tracée

Le 10 décembre 2020, alors qu'une solution de sortie amiable était sur le point d'être trouvée, dans le cadre de la conciliation avec Mediapro, l'Assemblée générale de la LFP a adopté des modifications statutaires pour permettre la création d'une filiale commerciale. La LFP s'arrogeait ainsi la compétence d'« effectuer, directement ou indirectement, le cas échéant par le biais de structures tierces desquelles elle pourrait être membre ou associée, toutes opérations juridiques, financières ou commerciales en rapport avec son objet ». Conformément à l'article R.132-8 du code du sport, cette modification a été approuvée par un arrêté ministériel en date du 21 mai 2021, malgré les questions juridiques posées par l'introduction d'une telle « structure tierce », dont la forme juridique n'était pas précisée, au sein de l'architecture prévue par le code du sport et compte tenu de la subdélégation de service public de la Ligue.

Suite à l'élection de Vincent Labrune à sa présidence, la LFP avait été contactée par les banques d'affaires Lazard Frères et Centerview Partners France, qui lui ont proposé leur assistance dans l'étude des modalités d'une opération de levée de fonds pour faire face aux difficultés rencontrées.

D'après Jean-Michel Roussier, la banque Rothschild avait déjà étudié ce sujet de la société commerciale, avant l'arrivée de Vincent Labrune à la présidence de la LFP. Une étude aurait été remise en août 2020. Didier Quillot, ancien directeur général de la LFP, n'a pas confirmé cette information à la mission. Rothschild fut, un peu plus tard, conseil de CVC dans la réalisation du partenariat avec la LFP.

Les deux banques d'affaires ont d'abord travaillé séparément, à l'automne 2020, avant de joindre leurs efforts à compter de janvier 2021. Début 2021, la LFP a mandaté le cabinet Darrois Villey Maillot Brochier pour l'accompagner dans sa réflexion sur le plan juridique.

Pour combler son besoin de financement, la société commerciale de la LFP pouvait recourir à de la dette, à une augmentation de capital ou à une combinaison de ces deux options. La première option n'impliquait pas nécessairement la création d'une société commerciale, contrairement à la deuxième option.

Les deux options (dette ou capital) ont été maintenues ouvertes, au moins en apparence, jusqu'à l'automne 2021.

CAPITAL VS DETTE : AVANTAGES (+) ET INCONVÉNIENTS (-)

Capital

Dette

- Durée illimitée

+ Durée limitée

- Partage gouvernance et stratégie

+ Contrôle gouvernance et stratégie

+ Alignement des intérêts des partenaires

- Risque si baisse des revenus

- Risque si hausse des taux d'intérêt

+ Pas de capital à rembourser

- Remboursement capital et intérêts

+ Opération considérée comme positive

- Opération perçue négativement

Toutefois, aucun établissement bancaire n'a été sollicité et aucun ne s'est manifesté pour fournir le 1,5 milliard d'euros recherché. Par la suite, CVC a néanmoins financé la moitié de son apport à l'opération avec la LFP par recours à l'endettement.

Présenter l'hypothèse d'un financement à 100 % par la dette était le meilleur moyen d'éliminer cette possibilité. Compte tenu du niveau d'endettement de la LFP et des clubs, l'hypothèse d'un recours à l'endettement, à hauteur de 1,5 milliard d'euros paraissait, légitimement, aberrante. La LFP s'était déjà endettée de 345 millions d'euros en 2020, après avoir souscrit un PGE pour faire face à l'arrêt du championnat (225 M€) et un emprunt à court terme auprès de l'établissement JP Morgan pour faire face au départ de Mediapro (120 M€).

Néanmoins, une solution aurait pu consister à monter un financement combinant endettement et apport en capital, afin de limiter la dilution subie par les clubs au capital de la société commerciale. Une telle combinaison aurait mérité d'être étudiée de façon approfondie, avec différents acteurs bancaires et financiers, afin d'être présentée en toute objectivité aux clubs.

Le 20 octobre 2021, une présentation à sens unique est faite au collège de Ligue 1 : la voie du recours à l'emprunt y est très rapidement évoquée, pour être écartée. La réflexion sur le calendrier et les modalités de l'opération de création d'une MediaCo en partenariat avec un fonds d'investissement est alors déjà très avancée. C'était déjà le sens de la modification de ses statuts par la LFP en décembre 2020.

En l'absence d'étude approfondie d'une solution mixte combinant dette et capital, un doute légitime subsiste sur les motivations du choix de recourir exclusivement à une augmentation de capital. Les dirigeants de la LFP avaient, objectivement, un intérêt personnel à ce choix qu'ils ont proposé par la suite au conseil d'administration, sans proposer d'alternative crédible. L'opération d'ouverture du capital à CVC a en effet justifié des bonus importants, qui auraient été probablement moindres si cette opération s'était accompagnée d'une augmentation de l'endettement de la Ligue.

B. UN MONTAGE JURIDIQUE ET FINANCIER...

1. Deux phases...

Sur la base d'un besoin déterminé, d'un montant de 1,5 Md€, les conseils de la LFP ont lancé fin octobre 2021 une procédure de consultation des fonds d'investissement. Cette procédure s'est déroulée en deux phases :

Ø une première phase, au cours de laquelle des offres indicatives étaient sollicitées ;

Ø une seconde phase, conduisant à la remise d'offres fermes.

Le processus était encadré par des « lettres de process » préparées par les conseils financiers et envoyées aux candidats investisseurs pour le compte de la LFP.

Cette procédure a été lancée fin octobre 2021, après la présentation du projet au collège de Ligue 1 le 20 octobre 2021. Le 9 novembre 2021, les conseils ont présenté le projet de création d'une filiale commerciale au conseil d'administration de la LFP qui a « pris note » de la poursuite des travaux engagés un an plus tôt avec la réforme des statuts de la LFP. Le 15 novembre 2021, cette présentation a été effectuée devant le collège de Ligue 2.

Au cours de la phase 1 (de novembre à décembre 2021), des sollicitations ont été adressées par la LFP à 25 investisseurs internationaux. Une dizaine de candidats ont adressé des offres indicatives. Quatre d'entre eux ont été invités par la LFP à participer à la seconde phase de la procédure.

Au cours de la phase 2 (de janvier à mars 2022), ces quatre candidats ont été invités à soumettre une offre engageante. Sur la base du montant recherché de 1,5 Md€, les investisseurs étaient invités à présenter une offre portant, d'une part, sur le pourcentage du capital de la société sollicité et, d'autre part, sur les conditions juridiques envisagées. Au cours de cette phase, les quatre investisseurs potentiels ont procédé aux diligences usuelles. La documentation contractuelle relative à l'opération faisait l'objet d'une négociation parallèle avec le conseil juridique de la Ligue.

2. ...et trois offres

À l'issue de cette procédure, en mars 2022, la LFP a reçu trois offres engageantes (« binding offers »), transmises respectivement par les fonds d'investissement CVC, Oaktree et Silverlake.

CVC était le fonds qui proposait la participation la plus faible dans la société commerciale (13,04 %) contre l'apport demandé (1,5 Md€), soit le niveau de valorisation de la société le plus élevé (11,5 Md€), représentant près de 15 fois le chiffre d'affaires de la saison 2021-2022 (774 M€).

Dans le cadre de cette offre, CVC demandait à ce que sa part puisse augmenter de 1,25 point, à 14,29 %, si, à la sortie du fonds, l'EBITDA25(*) réalisé était inférieur de 15 % à celui prévu par le plan d'affaires de la Ligue. Cette part serait portée à 13,66 % si la sous-performance était de 7,5 %.

Oaktree et Silverlake proposaient des valorisations moins élevées que CVC. Le choix de CVC a également pris en considération les termes juridiques de l'offre, notamment les droits demandés par le fonds d'investissement, sur la gouvernance de la société, d'une part, et sur la liquidité de l'investissement, d'autre part.

Au cours du processus de sélection mené par la LFP et par ses conseils, CVC est devenu, fin 2021, partenaire du championnat espagnol. Ce partenariat s'est fait par l'acquisition d'une part minoritaire d'une nouvelle société (joint-venture), responsable de la commercialisation des droits d'exploitation domestiques et internationaux de la Liga. CVC soulignait l'absence totale de lien entre les gouvernances des deux MediaCo, et indiquait, par ailleurs, que les membres de CVC France ne siégeraient pas au conseil d'autres fonds CVC acteurs du football, ce qui aurait pu soulever un conflit d'intérêts.

Oaktree a confirmé à la mission avoir soumis une offre engageante, proposant 1,5 Md€ pour 13,25 % du capital, valorisant la MediaCo à 11,3 Md€, soit une valorisation légèrement inférieure à celle proposée par CVC. L'offre incluait également la possibilité pour Oaktree d'augmenter sa participation jusqu'à 20 % du capital au moment de la vente de ses parts (sans coût supplémentaire pour Oaktree) si le rendement financier annuel de l'investissement d'Oaktree dans la MediaCo était inférieur à 8,5 % par an.

La question pouvait se poser d'un éventuel conflit d'intérêts de ce fonds d'investissement, dans la mesure où il était alors actionnaire majoritaire du club de Caen depuis janvier 2020. Oaktree indiquait toutefois ne pas détenir de parts, ni dans des ligues sportives ni dans le domaine des droits sportifs. Quant à son investissement dans le SM Caen, il était précisé que le capital fourni dans le cadre de l'opération avec la LFP proviendrait d'un fonds différent. En outre, dans le cadre du partenariat envisagé, la relation avec les clubs avait vocation à être gérée par la LFP. Néanmoins, Oaktree indiquait être disponible pour travailler avec la LFP et prendre les mesures nécessaires notamment dans le domaine de la gouvernance et des droits économiques pour éviter toute ambiguïté à ce sujet.

Silverlake a soumis une offre engageante qui comportait deux options, proposant 1,5 Md€ pour 14 % à 14,5 % du capital, soit une valeur d'entreprise de 10,3 Md€ à 10,7 Md€, significativement moins élevée que les valeurs proposées respectivement par CVC et par Oaktree. Silverlake était alors actionnaire minoritaire du City football group, propriétaire du club de Troyes. Silverlake détenait également des participations dans deux MediaCo (ligue de football professionnel australienne et All blacks) ne paraissant pas entrer en concurrence avec le football français.

Si l'offre de Silverlake était bien une « offre engageante », de nombreux sujets, arrivés tard dans la discussion, demeuraient bloquants. L'un des sujets en discussion avec la LFP portait sur le pouvoir qu'aurait le fonds de remplacer les dirigeants de la société, dans l'hypothèse où le plan d'affaires ne serait pas tenu. Silverlake aurait souhaité que la ventilation de l'apport d'1,5 Md€ soit plus aboutie, de même que le contrat de prestation de service entre la Ligue et la société commerciale. Si l'offre soumise à la LFP par Silverlake était engageante, elle n'était pas directement exécutable.

Le fonds Hellman & Friedman a renoncé, pour sa part, à transmettre une telle offre, la LFP invoquant les incertitudes liées au déclenchement de la guerre en Ukraine le 20 février 2022 pour expliquer ce désistement.

C. ... QUI A PRÉCÉDÉ L'ADOPTION DU VOLET LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

Le volet législatif de la réforme a été finalisé début 2022, alors que le processus de consultation mené par les conseils de la LFP était dans sa seconde phase. S'il était acquis que le dispositif devait bénéficier en premier lieu au football, les parlementaires ne disposaient que d'une information très sommaire sur les négociations en cours.

1. Le Sénat plaide pour un renforcement des contrôles

La réforme engagée par la LFP était en cours de finalisation au moment de l'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, qui détermine les conditions dans lesquelles une ligue de sport professionnel peut créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation des compétitions qu'elle organise.

Cette disposition a été introduite dans la proposition de loi26(*) par un amendement de notre collègue député Cédric Roussel, adopté en séance à l'Assemblée nationale le 19 mars 2021, ce qui a permis de sécuriser juridiquement le projet en cours de mise en oeuvre par la LFP.

L'amendement27(*) de Cédric Roussel autorisait les ligues à créer une société commerciale pour la commercialisation de leurs droits audiovisuels (à l'exclusion de leurs autres droits d'exploitation).

Cet amendement prévoyait les garde-fous suivants :

Ø une approbation des statuts de ladite société par arrêté du ministre chargé des sports après avis de la fédération concernée ;

Ø une participation minimale de la ligue de 80 % dans la société ;

Ø un rappel des principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur ;

Ø un décret déterminant les catégories de personnes physiques et morales exclues du capital de la société.

Avant l'examen du texte au Sénat, la commission a auditionné Vincent Labrune, le 8 décembre 2021. Le président de la LFP a alors communiqué à la commission les informations suivantes :

« Nous avons lancé un process avec un certain nombre de conseils. Nous aurons les premières offres indicatives la semaine prochaine. Si nous n'obtenons pas une valorisation qui répond à l'ambition de notre projet et à la place que nous souhaitons donner au football français à l'international, nous n'avancerons pas. En revanche, si la valorisation est juste et qu'elle nous permet de sauver notre système et de faire bénéficier ces fonds au monde amateur, nous nous poserons sérieusement la question d'avancer.

Nous avons reçu une soixantaine d'appels de sociétés intéressées. Nous en avons sélectionné la moitié. Parmi cette trentaine de sociétés candidates, 80 % sont des sociétés anglo-saxonnes. Elles ont pignon sur rue et réalisent déjà de nombreuses opérations en Europe occidentale et en France. Le process est très sérieux et encadré. Il n'est pas question de rééditer les erreurs du passé.

Nous avons tous les contrôles. L'idée n'est absolument pas de céder 20 %. Par contre, pour maximiser la valorisation, nous avons besoin de dire que nous pourrons céder 20 %. Limiter le pourcentage disponible n'aurait pas de sens. En revanche, nous n'avons pas la volonté de céder 20 % tout de suite. Nous sommes plus sur une dizaine de pourcent. Nous aurions 85 à 90 % des droits. Nous tiendrions compte de la volonté du partenaire, mais ce n'est pas lui qui contrôlerait ».

En réponse à une question du rapporteur, concernant un renforcement éventuel du poids de la fédération dans le dispositif, le président de la LFP indiquait : « Je vais être clair : renforcer le poids de la Fédération n'a pas de sens (...). Nous avons davantage besoin de souplesse que d'un contrôle renforcé ».

Lors de son examen en commission au Sénat, le 5 janvier 2022, le rapporteur28(*) a proposé plusieurs modifications au texte de Cédric Roussel, qui ont été adoptées, dans l'objectif de mieux sécuriser la conformité du dispositif au modèle sportif français, tel qu'il résulte du code du sport :

Ø la commission proposait que la ligue ne puisse céder que 10 % du capital au lieu de 20 % dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Cette réduction à 10 % de la part susceptible d'être cédée à un investisseur n'aurait pas permis à la LFP de lever 1,5 Md€. Cet objectif n'avait toutefois pas été communiqué aux parlementaires ;

Ø la commission souhaitait que la fédération bénéficie d'un siège avec voix délibérative au conseil d'administration de la société avec un droit de veto sur les décisions qui iraient à l'encontre de la délégation de service public dont elle bénéficie ;

Ø la commission proposait que les statuts de la société commerciale soient approuvés par l'assemblée générale de la fédération délégataire et par le ministre chargé des sports.

Le 19 janvier 2022, après avoir échangé avec la LFP et avec la FFF, mais toujours sans connaître le détail de l'opération en cours de finalisation par la LFP, le Sénat a adopté les modifications suivantes, proposées par la commission :

Ø le Sénat a souhaité que les décisions de la société commerciale ne puissent être contraires à la délégation mentionnée à l'article L. 131-14 du code du sport ni porter atteinte à l'objet de la ligue professionnelle et aux compétences que la fédération lui a subdéléguées en application du même article ;

Ø compte tenu des garanties ainsi apportées à la FFF, il était admis que les statuts de la société commerciale prévoient la présence d'un représentant de la fédération sportive délégataire dans les instances dirigeantes de la société commerciale avec voix consultative afin de favoriser la fluidité des échanges entre la fédération et la ligue ;

Ø la part cessible du capital et des droits de vote était augmentée de 10 à 15 % ;

Ø enfin, il était précisé que les produits de la commercialisation des droits d'exploitation perçus par la société commerciale, ainsi que les sommes de toutes natures versées à cette société au titre des financements et des apports en capital effectués à son profit seraient répartis entre cette société, la fédération sportive délégataire, la ligue et les sociétés sportives.

Par la suite, la commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à un accord sur cette proposition de loi, l'Assemblée nationale l'a examinée en nouvelle lecture, en procédant à plusieurs modifications du futur article 51 :

Ø l'Assemblée nationale a rétabli son dispositif, s'agissant de la part de capital de la société détenue obligatoirement par la ligue (80 % au lieu de 85 % dans le texte du Sénat) ;

Ø la disposition adoptée au Sénat, concernant la répartition des produits de la commercialisation et sommes de toute nature versée à la société a été supprimée. Ce point subsistait à l'article L. 333-3 du code du sport, mais uniquement pour la répartition des produits de la commercialisation des droits d'exploitation et non pour les sommes versées au titre des financements et des apports en capital ;

Ø un amendement important du gouvernement complétait le dispositif dans deux directions :

o il permettait aux ligues professionnelles des disciplines au sein desquelles les clubs ne détiennent pas la propriété de leurs droits audiovisuels de constituer une société commerciale pour la gestion et la commercialisation de ces droits ;

o il permettait, en outre, d'étendre ce dispositif au-delà des seuls droits d'exploitation audiovisuelle des manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, au sein d'un périmètre qu'il reviendrait à la fédération et à la ligue de déterminer conjointement. Dans ce cadre, le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs était toutefois exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à une société commerciale.

Le texte final de la loi est donc sensiblement différent de ce qui était proposé par le Sénat.

Les dispositions de la loi du 2 mars 2022 sont codifiées aux articles L. 333-1 (pour les droits d'exploitation) et L. 333-2-1 (pour les droits audiovisuels cédés aux sociétés sportives) du code du sport.

Les garde-fous fixés par la loi du 2 mars 2022

- La création de la société commerciale doit être approuvée par la fédération sportive délégataire ;

- Le champ d'action de la société commerciale ne peut excéder celui concédé à la ligue ;

- Le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à une société commerciale ;

- Les droits audiovisuels sont commercialisés dans le respect du droit en vigueur c'est-à-dire avec constitution de lots, pour une durée limitée et dans le respect des règles de la concurrence ;

- La société commerciale ne peut déléguer, transférer ou céder tout ou partie des activités qui lui sont confiées ;

- Les statuts de la société et leurs modifications sont approuvés par l'assemblée générale de la fédération sportive délégataire et par le ministre des sports (à l'initiative du Sénat) ;

- Les statuts de la société commerciale précisent les décisions qui ne peuvent être prises sans l'accord des associés ou actionnaires minoritaires ;

- Les statuts précisent les modalités permettant de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur ;

- Les décisions de la société commerciale ne peuvent être contraires à la délégation (du ministère en charge des sports à la fédération) ni porter atteinte à l'objet de la ligue et aux compétences que la fédération lui a subdéléguées (à l'initiative du Sénat) ;

- Les statuts de la société prévoient la présence d'un représentant de la fédération sportive délégataire dans les instances dirigeantes avec voix consultative (la commission avait envisagé sa présence avec voix délibérative et droit de veto avant de revenir en Séance sur ce point, suite aux échanges menés avec la LFP et avec la FFF) ;

- La ligue ne peut détenir moins de 80 % du capital et des droits de vote de la société (la commission avait envisagé 90 % puis 85 %).

2. Une réflexion inaboutie sur le cadre concurrentiel

La loi dispose qu'un décret en Conseil d'État détermine les catégories de personnes ne pouvant pas détenir de participation au capital ni de droits de vote de la société commerciale.

Ces catégories sont listées par le décret n° 2022-747 du 28 avril 2022, intervenu très rapidement après la promulgation de la loi.

Ne peuvent détenir de droits de vote ni de participation au capital de la société commerciale :

Ø les clubs participant aux manifestations et compétitions dont la société commercialise et gère les droits ainsi que les personnes contrôlant ou exerçant une influence notable sur ces clubs ;

Ø les dirigeants et salariés, sportifs professionnels, entraîneurs professionnels, directeurs sportifs de la discipline ;

Ø les agents sportifs ;

Ø les organisations professionnelles de la discipline, leurs dirigeants et salariés ;

Ø les opérateurs de paris sportifs ;

Ø les attributaires des droits (notamment les diffuseurs) ainsi que les personnes qui les contrôlent ou exercent sur eux une influence notable ;

Ø les personnes physiques ou morales établies dans un État ou territoire non coopératif (article 238-0 A du code général des impôts29(*)) ainsi que les personnes morales qu'elles contrôlent ou sur lesquelles elles exercent une influence notable.

La loi dispose par ailleurs qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions et limites de la commercialisation des droits par la société commerciale, permettant notamment le respect des règles de la concurrence.

Un premier décret30(*) du 20 juillet 2023 impose à la société commerciale d'établir chaque année un rapport relatif au respect des règles de la concurrence. Ce décret fut précédé d'un avis de l'Autorité de la concurrence en date du 20 avril 2023.

Ce rapport, prévu par l'article R. 333-3-3 du code du sport, n'a pas été produit à ce jour31(*) par LFP Media. Il doit être communiqué à la LFP, à la FFF et au ministre chargé des sports.

Un second décret32(*), en date du 8 septembre 2023, a porté la durée des contrats conclus pour la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle de quatre à cinq ans. Cette modification était souhaitée par la LFP et par sa filiale, dans la perspective de l'attribution des droits audiovisuels du cycle 2024-2029. L'allongement d'un an de la durée des contrats avait pour objectif d'optimiser la rentabilisation des droits, donc de stimuler la concurrence en rendant le produit proposé plus attractif.

Ce décret prévoit également que, comme c'était le cas pour la ligue, la société commerciale doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui seraient assorties d'un complément de prix.

Le décret du 8 septembre 2023 fut précédé d'un avis33(*) de l'Autorité de la concurrence (ADLC) du 26 juillet 2023. Dans cet avis, l'ADLC souligne que l'allongement de la durée d'exploitation n'est pas une condition nécessaire et suffisante à l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. L'augmentation de la durée peut, notamment, entraîner une augmentation du prix. Néanmoins, l'Autorité n'a « pas mis en lumière de risque déterminant d'atteinte à la structure du marché (éviction de diffuseurs) ou au bien-être du consommateur (augmentation du prix des abonnements) ».

L'ADLC considère toutefois qu'une réflexion plus globale est nécessaire sur le cadre ainsi posé car « en modifiant seulement l'une de ces dispositions, sans s'interroger plus largement sur l'impact d'une telle modification sur le fonctionnement de l'ensemble du dispositif, l'équilibre que cherche à atteindre l'article R. 333-3 peut être remis en cause ».

Cette réflexion pourrait être partagée dans le cadre de la nouvelle feuille de route du contrat de la filière sport, coadministré par les ministères en charge des sports, de l'économie et du commerce extérieur. Créée en 2016, la filière sport compte environ 600 membres, entreprises, acteurs du mouvement sportif et acteurs publics. Un contrat de filière rénové a été signé le 13 mars 2024.

Le cadre fixé par le code du sport pour la commercialisation des droits audiovisuels

Lorsque les droits d'exploitation audiovisuelle ont été cédés par la fédération aux sociétés sportives, ce qui est le cas s'agissant des compétitions organisées par la LFP, la ligue ou sa société commerciale commercialise à titre exclusif les droits de retransmission des matchs et compétitions. Toutefois, la fédération et la ligue conservent la possibilité d'utiliser librement toute image en vue de la réalisation de leurs missions d'intérêt général (article R333-2 du code du sport).

La commercialisation est réalisée selon une procédure d'appel à candidatures publique et non discriminatoire. Les droits sont offerts en plusieurs lots distincts dont le nombre et la constitution doivent tenir compte des caractéristiques objectives des marchés sur lesquels ils sont proposés à l'achat. Chaque lot est attribué au candidat dont la proposition est jugée la meilleure au regard de critères préalablement définis dans l'avis d'appel à candidatures. Les contrats sont conclus pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. La ligue ou sa société commerciale doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui sont assorties d'un complément de prix (article R333-3 du code du sport).

D. UNE OPÉRATION BOUCLÉE DANS L'URGENCE

Les responsables de la LFP se sont appuyés sur le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, pour accélérer le processus, au détriment de la bonne information des dirigeants de clubs.

1. Une course contre la montre

Plusieurs présidents de clubs ont déploré devant la mission une information insuffisante sur les modalités du partenariat avec CVC, au moment de sa conclusion : « non, les clubs ne disposaient pas de l'information utile pour se prononcer sur l'accord CVC » a ainsi affirmé Jean-Michel Roussier, président du Havre Athletic Club (HAC), ajoutant : « En mars 2022, tout s'accélère brutalement : en deux semaines à peine, M. Vincent Labrune réunit deux fois le conseil d'administration de la Ligue et convoque une assemblée générale en visioconférence pour faire adopter en toute hâte, en appelant à l'unanimité, des décisions sur des sujets complexes et à fort enjeu que les présidents de club découvrent seulement, le tout sans débat et sans que les documents essentiels soient transmis ».

La promulgation de la loi du 2 mars 2022 a permis d'aller très vite dans la finalisation du projet. Le 18 mars 2022, le conseil d'administration de la LFP a décidé d'entrer en négociation exclusive avec CVC. Le 1er avril 2022, le partenariat avec CVC a été approuvé par l'assemblée générale.

Le calendrier détaillé fut le suivant :

Ø 9 mars 2022 : remise de leurs offres par les trois fonds candidats ;

Ø 15 mars 2022 : Vincent Labrune adresse un mail aux présidents de clubs leur indiquant avoir reçu « quatre propositions », ajoutant que « le contexte international nous impose désormais de sécuriser rapidement ces offres en accélérant le calendrier des procédures que nous avions imaginé ». Un conseil d'administration est convoqué trois jours plus tard.

Ø 18 mars 2022 : les conseils présentent les offres obtenues au conseil d'administration qui décide d'entrer en négociation exclusive avec CVC.

Ø 24 mars 2022 : le collège de Ligue 1 approuve à l'unanimité les modalités de distribution de l'apport initial de CVC ainsi que des revenus récurrents.

Ø 25 mars 2022 : le conseil d'administration adopte ces mêmes modalités. Vincent Labrune insiste pour expliquer à quel point l'unanimité des clubs est « un élément fondamental pour CVC ». Le conseil « prend note des remarques formulées » par les représentants de la Ligue 2 dont le collège doit se tenir plus tard dans l'après-midi. Une assemblée générale est convoquée le 1er avril. Son ordre du jour porte sur :

o la modification des statuts de la LFP (AG extraordinaire) ;

o la modification de la convention FFF/LFP et du protocole financier FFF/LFP ;

o l'adoption des statuts de la filiale commerciale de la LFP.

Ø 28 mars 2022 : Vincent Labrune adresse aux présidents de clubs les projets de statuts de la LFP, de convention FFF/LFP et de protocole financier FFF/LFP en prévision de l'assemblée générale.

Ø 30 mars 2022 : Vincent Labrune adresse aux présidents de clubs les statuts et le pacte d'associés conclus avec CVC. Il leur indique que seuls les statuts feront l'objet d'un vote.

Ø 1er avril 2022 : la réunion de l'AG se déroule en visioconférence. Les représentants de CVC présentent le projet puis quittent la réunion. L'assemblée générale adopte les modifications proposées aux statuts de la LFP. Elle décide à l'unanimité, avec deux abstentions (AS Nancy Lorraine et Toulouse FC) :

o d'approuver la création de la société commerciale, ses statuts, et le pacte d'associés ;

o d'adopter les modifications de la convention et du protocole entre la FFF et la LFP ainsi que les modalités de distribution de l'apport de l'investisseur : modalités de distribution aux clubs de ligue 1 et de ligue 2, remboursement du PGE, versement de 20 M€ à la FFF, le solde étant réservé au « développement de la société commerciale » et à « l'amorçage d'un fonds de réserve » ;

o d'autoriser l'acquisition d'un nouveau siège social pour la LFP et sa société commerciale ;

o enfin, l'assemblée générale « prend note de la proposition de Vincent Labrune de désigner Marc Sénéchal en tant qu'expert indépendant, pour négocier les honoraires des conseils de la LFP selon les règles habituelles de la profession pour ce genre d'accord industriel ».

Marc Sénéchal était, 18 mois plus tôt, le conciliateur désigné par le tribunal de commerce dans l'affaire Mediapro. Sa désignation comme expert paraît quelque peu surprenante. Quelques mois plus tard, en décembre 2022, une PME de la Haute-Vienne, appartenant à la famille de Marc Sénéchal a nommé Vincent Labrune (dont la famille est aussi originaire de cette région) en qualité de membre du conseil administration, sans rémunération ni fonction exécutive.

Si Marc Sénéchal est en effet un expert reconnu, c'est comme mandataire judiciaire, plutôt que dans le domaine de la négociation d'honoraires. Marc Sénéchal s'est vu confier la mission de négocier des honoraires dont une partie est revenue in fine à Vincent Labrune, après réalisation d'une étude par le cabinet Egon Zehnder. Sur un total de 37,5 M€ destinés aux honoraires, 8,5 M€ ont servi à rémunérer quelques salariés de la LFP, dont 3 M€ de bonus versés à Vincent Labrune, ainsi que 1,4 M€ de hausse salariale (cf. ci-après).

2. Des présidents sur le banc de touche

Les dirigeants du football professionnel ont donc eu moins de 48 heures pour prendre connaissance des documents clefs déterminant les conditions d'un partenariat de durée illimitée de la ligue avec un fonds d'investissement.

La durée du partenariat et les modalités de calcul du dividende de CVC ont été peu discutées. Elles n'apparaissent clairement ni dans les documents transmis aux présidents ni dans le procès-verbal de la réunion du 1er avril 2022.

Aucun président de club n'a évidemment pu expertiser, ou faire expertiser les documents transmis dans le délai imparti. Tous s'en sont donc remis à l'expertise de la Ligue, qui appelait à approuver le partenariat à l'unanimité, à la demande de CVC. Le fonds d'investissement ne souhaitait en effet pas se retrouver dans une situation telle que celle existant en Espagne où seul un accord partiel a été conclu avec la Liga, faute d'accord de la part de plusieurs grands clubs de première division (le Real de Madrid, le FC Barcelone et l'Athletic Bilbao). En ouverture du conseil d'administration du 25 mars 2022, le procès-verbal rapporte que « Vincent Labrune insiste pour expliquer à quel point cette unanimité est un élément fondamental pour CVC compte tenu des précédents observés dans d'autres pays européens pour des opérations similaires. La grande force du football professionnel français dans ce dossier réside dans son unité, ce qui confère à l'ensemble des acteurs une grande crédibilité vis-à-vis de l'investisseur. Vincent Labrune termine son introduction par des remerciements adressés aux clubs de Ligue 1 pour leur unité et invite les membres du conseil d'administration à poursuivre dans cette voie qui est la seule possible pour que ce projet aboutisse »34(*).

Dans ces conditions, compte tenu du contexte économique qui était celui du football, si un club s'était élevé contre le partenariat projeté, il serait apparu automatiquement comme le « fossoyeur du football français ». Les clubs, qui ont divers sujets de négociation avec la Ligue, n'ont pas intérêt à s'opposer, ni même à se démarquer, comme l'a montré l'élection récente à la présidence de la Ligue. Comme l'a dit un dirigeant de club à la mission : « celui qui sort du bois se fait laminer ».

Il apparaît, au surplus, que les documents transmis aux présidents de club, fin mars 2022, omettaient des informations essentielles, comme l'a indiqué Jean-Michel Roussier à la mission. Les documents dont l'absence a été soulignée par le dirigeant havrais sont les suivants :

Ø S'agissant des statuts :

o L'annexe 1 « termes et conditions des AdP A » sur les caractéristiques des actions à dividende prioritaire de CVC.

Ø S'agissant du pacte d'associés :

o L'article 2.5.3 concernant la désignation du président de la société commerciale.

D'un point de vue formel, la société commerciale est présidée par la LFP en tant que personne morale, représentée par Vincent Labrune. Dans l'hypothèse d'un désaccord entre CVC et la LFP, s'agissant de la désignation du successeur de Vincent Labrune, la LFP s'est engagée à démissionner de ses fonctions à la présidence dans un délai de quinze jours. Un nouveau président serait alors désigné, selon une procédure au terme de laquelle la LFP est « partie choisissant », c'est-à-dire qu'elle a le dernier mot, après intervention d'un cabinet de recrutement et possibilité pour CVC d'écarter un candidat.

o L'annexe 1.1a exposant le plan d'affaires de la filiale.

Le plan d'affaires est un document extrêmement important pour comprendre la mécanique du partenariat. Il expose les projections économiques sur lesquelles se fonde ce partenariat, ainsi que le mode de calcul du résultat net retraité auquel s'applique le dividende de CVC.

En l'absence de l'annexe 1 des statuts et du plan d'affaires, et dans les délais impartis, il devenait difficile pour les présidents de club d'appréhender pleinement la portée du partenariat conclu.

À propos des actions de préférence de CVC, le procès-verbal de l'AG du 1er avril 2022 rapporte qu'elles « permettent d'appréhender 13,04 % », mais rien n'indique à quoi s'applique ce taux. Le même PV indique que ce taux peut monter à 14,29 % en cas de non-atteinte du plan d'affaires, lequel n'a pas été transmis préalablement aux membres de l'AG.

Le 23 novembre 2023, à la suite d'une assignation du Havre Athletic club (HAC), une nouvelle assemblée générale s'est tenue en visioconférence pour régulariser « en tant que de besoin » les décisions prises le 1er avril 2022, « afin d'éviter un débat juridique sur la contestation soulevée par le HAC et sécuriser juridiquement la répartition et le versement de l'apport CVC ». Cette régularisation a été adoptée à une quasi-unanimité par les clubs. Les présidents de club avaient reçu, en amont, les statuts et le pacte d'associés. L'annexe des statuts concernant les actions à dividende prioritaire figurait, cette fois, dans l'envoi. En revanche, l'article 2.5.3 du pacte d'associés et le plan d'affaires étaient toujours manquants.

Lors de leur audition35(*), Laurent Nicollin, président de Foot Unis, président du club de Montpellier, et Waldemar Kita, président du club de Nantes, alors membres du conseil d'administration de la LFP, ont indiqué ne pas avoir consulté le pacte d'associés au moment de la conclusion de l'accord.

D'une part, les deux présidents de club avaient toute confiance en la Ligue et ses conseils : « Non, nous n'avons pas demandé à voir le pacte. Il y avait eu le groupe de travail, avec les avocats de la Ligue, nous avions confiance dans leur travail - qu'aurions-nous eu à corriger dans le pacte ? » (Waldemar Kita). « Ces documents sont confidentiels, on n'allait pas repartir avec pour les faire analyser par d'autres avocats... » (Laurent Nicollin).

D'autre part, l'opération a principalement été envisagée sous l'angle de la distribution de liquidités à court et moyen terme, dans une période difficile pour le football professionnel français. Ses conséquences à long terme n'ont pas été analysées. La perspective de la distribution d'« argent frais » a pris le dessus sur toute autre considération :

« Nous avons peut-être été naïfs, mais nous avons fait confiance aux équipes de la LFP, dans une période difficile. Et il y a eu des contreparties : à Montpellier, j'ai reçu deux fois 16 millions d'euros, cela nous a sorti la tête de l'eau. Sans cela, nous aurions eu des difficultés financières. Il faut reconnaitre l'utilité de cet apport. Alors ensuite, c'est vrai que cela a un coût : nous sommes passés à un championnat à 18 clubs au lieu de 20 clubs, c'était une consigne de CVC et cette diminution correspond à la rémunération du fonds d'investissement. Donc nous aurions certainement aimé avoir plus, mais on a pris ce qu'on nous a donné parce que nous en avions besoin, ceci malgré les aides de l'État, les prêts garantis - nous avons besoin de plus de moyens pour rester compétitifs, c'est malheureux, mais l'argent est le nerf de la guerre ». (Laurent Nicollin)

2E PARTIE : DE LA DÉSILLUSION AU DÉCLASSEMENT,
UN FOOTBALL QUI RISQUE LA RELÉGATION
AU NIVEAU EUROPÉEN

Si l'opération de levée de fonds peut être considérée comme un succès pour la LFP, celui-ci n'a de sens que s'il permet d'enrichir à long terme le football professionnel français et d'en développer les capacités afin de le rendre plus attractif vis-à-vis des championnats homologues européens. Or l'écart entre clubs se creuse. Alors que les championnats européens viennent concurrencer dangereusement les ligues nationales, la hausse attendue des droits audiovisuels de la Ligue 1 ne s'est pas concrétisée. Les seuls gagnants certains de l'opération de création d'une société commerciale sont, à ce jour, l'ensemble des intermédiaires que cette opération a permis de rémunérer de façon généreuse.

I. UN PARTENARIAT DE LONG TERME DONT LES ENJEUX ONT ÉTÉ SOUS-ÉVALUÉS

A. UN ACCORD PEU QUESTIONNÉ MALGRÉ LE PRÉCÉDENT DU RUGBY

La mission s'est intéressée au partenariat de CVC avec le rugby, dont Vincent Labrune affirme qu'il était l'objet de ses premiers contacts avec le fonds d'investissement. Manifestement, peu d'enseignements ont été tirés de cette collaboration pourtant controversée.

1. Un précédent dont peu d'enseignements ont été tirés

CVC a eu de premiers contacts avec la LFP au moment où le fonds d'investissement était en négociation avec le Tournoi des six nations.

Le fonds d'investissement CVC a manifesté un intérêt pour la LFP dès juillet 2020, en rencontrant Didier Quillot, son directeur général. Avant d'être président de la Ligue, Vincent Labrune avait également rencontré CVC, avec Mathieu Ficot, alors en charge des activités médias et marketing, sur le partenariat envisagé entre CVC et le tournoi des six nations de rugby :

« Si vous voulez savoir si j'ai eu des relations avec le groupe CVC avant le lancement du projet, je vous indique que j'avais alors rencontré Édouard Conques en tout et pour tout une fois dans ma vie. C'était à sa demande, et cela concernait le rugby. Il m'avait demandé si je connaissais quelqu'un qui pouvait l'éclairer sur l'évolution théorique des contrats du tournoi des six nations sur le marché français. J'avais demandé à Mathieu Ficot de m'accompagner à ce rendez-vous. À aucun moment, nous n'avons parlé d'autre chose que de rugby »36(*).

Le fonds d'investissement CVC Capital partners est présent en France depuis 1986. Il est coté à la bourse d'Amsterdam depuis avril 2024. CVC possède 29 bureaux dans le monde qui suivent des participations dans près de 125 sociétés. Son premier investissement dans le sport date de 1998, avec le Moto GP. Par la suite, CVC a investi dans la Formule 1 en 2006. Il en a possédé une part majoritaire, acquise pour environ 2 Md$, et revendue à Liberty Media dix ans plus tard, en 2016, pour environ 8 Md$. CVC a également investi dans le rugby en 2018 au Royaume-Uni puis, en 2021, en partenariat avec le Tournoi des six nations. Le fonds est partenaire de la Fédération internationale de volleyball depuis 2021. Enfin, il a investi dans le tennis féminin, en 2023, dans le cadre d'un accord avec le circuit WTA.

En 2020, lorsque CVC entre en contact avec la LFP, le fonds est connu pour son opération très profitable sur la Formule 1. En outre, il avait racheté en 2018 une part minoritaire (environ 30 %) de la ligue professionnelle de rugby anglaise (Premiership rugby).

CVC était, par ailleurs, toujours en discussion avec le Tournoi des six nations avec qui un accord de principe avait été trouvé, pendant la pandémie de covid.

Cet accord a été confirmé en mars 2021, un an avant la création de la filiale de la LFP.

La financiarisation du rugby

En 2021, CVC a acquis une participation minoritaire dans le Tournoi des six Nations pour environ 365 M£ (environ 430 M€), obtenant ainsi 14,3 % des parts du tournoi. Ce partenariat avec les fédérations nationales de rugby visait à accroître les revenus commerciaux de la compétition grâce une gestion professionnalisée des droits de diffusion, des parrainages et de la commercialisation du tournoi dans le monde.

En tant que fédération partenaire, la fédération française de rugby (FFR) a bénéficié d'un apport financier destiné à soutenir son activité après les perturbations liées à la pandémie de covid. Or les fonds de CVC auraient dû servir à financer des investissements, non à combler des déficits. Des inquiétudes persistent quant à l'impact à long terme de ce partenariat, alors que les revenus tirés par la FFR du Tournoi des six nations stagnent. La France a obtenu des conditions particulières dans ce contrat, limité à 50 ans, alors qu'il est de durée illimitée pour les autres nations.

Le Tournoi des six nations a généré 178 M$ de droits médias en 2024, répartis entre les six fédérations et le fonds d'investissement CVC.

Dans le cadre de l'accord avec la FFR, il a été estimé que les spécificités du modèle sportif français justifiaient de limiter l'accord avec CVC à une durée de 50 ans.

Peu avant la conclusion du partenariat entre CVC et le rugby, un collectif de neuf élus fédéraux, mené par Florian Grill, a adressé un courrier à la ministre Roxana Maracineanu. Ce courrier, en date du 17 janvier 2021, est resté sans réponse. Il visait à attirer l'attention de la ministre sur les conséquences du partenariat en cours de négociation. Les élus y regrettaient notamment avoir « reçu en tout et pour tout, 200 pages de contrats, avec une traduction approximative, sans les annexes, et la mention d'une myriade de sociétés, dont certaines à Jersey, tout ceci sans le moindre schéma explicatif ou guide de lecture ». Ils déploraient que, pour des raisons de confidentialité, les membres du comité directeur aient été privés de la possibilité d'informer convenablement les clubs sur ce partenariat.

Ce courrier soulignait notamment :

Ø un conflit d'intérêts : le partenariat donne à CVC un droit de veto sur l'adhésion d'une fédération au tournoi des six nations. Or CVC a d'autres participations dans le domaine du rugby : non seulement dans Premiership rugby mais aussi dans le championnat de Pro1437(*) et au sein de l'EPCR38(*) ;

Ø un possible danger pour l'attractivité du Top 14 : le contrat autorise CVC à introduire en bourse une structure dans laquelle on trouverait l'ensemble de ses investissements dans le rugby ;

Ø une disproportion dans la répartition des droits qui serait favorable à la fédération anglaise et défavorable à la fédération française ;

Ø des projections très optimistes, prévoyant un quasi-doublement des droits à dix ans.

Un an avant la création par la LFP de sa filiale commerciale, tous les éléments étaient donc déjà réunis, au moins au niveau du ministère des sports, pour appeler à une vigilance particulière dans le cadre du partenariat en préparation pour le football.

2. Des approbations prévues par la loi qui n'ont pas permis de questionner les accords

Conformément à l'article 51 de la loi du 2 mars 2022, la création de la société commerciale et ses statuts ont été approuvés successivement par la FFF et par le ministère chargé des sports : « Les statuts de la société commerciale ainsi que leurs modifications sont approuvés par l'assemblée générale de la fédération sportive délégataire concernée et par le ministre chargé des sports ».

Ces approbations ont bien eu lieu, mais elles n'ont pas permis de questionner les modalités des accords conclus entre la Ligue et CVC.

Devant l'assemblée fédérale de la FFF, après une présentation du projet par Vincent Labrune, les statuts de la société ont été adoptés à une très large majorité (92 %), sans être discutés, dans le cadre d'une assemblée générale très dense, le 18 juin 2022 à Nice : « Je vais être rapide pour plusieurs raisons. D'abord parce que comme ces textes concernent uniquement la LFP, ils ont bien évidemment été étudiés, discutés à la LFP avec tous les clubs pros et tous ces textes ont été eux aussi votés à la dernière AG de la LFP le 8 juin dernier et à l'unanimité. On est donc en total consensus là-dessus »39(*). À cette occasion, la FFF a approuvé conjointement : des modifications des statuts de la LFP (y compris la réforme de sa gouvernance incluant la réduction du nombre de membres du conseil d'administration), des modifications de la convention et du protocole d'accord financier entre la FFF et la LFP, la création ainsi que les statuts de la société commerciale. Pour mémoire, la FFF a, par la suite, perçu 20 M€ issus de l'apport de CVC répartis sur les exercices 2022-2023 et 2023-2024.

Du côté du ministère des sports, les statuts de la société commerciale n'ont pas été approuvés directement par la ministre, comme le prévoit pourtant la loi, mais par la direction des sports agissant par délégation, le 28 juin 2022, après plusieurs échanges avec la LFP qui ont abouti à des ajustements du texte.

Cette approbation a pris la forme d'un courrier adressé par l'adjointe au directeur des sports à Vincent Labrune. La loi n'impose pas une approbation par arrêté ministériel. La direction des sports vérifie simplement la conformité des statuts aux dispositions législatives et réglementaires du code du sport. « Cette signature s'est faite dans le cadre de l'exercice du contrôle de légalité, où une autorité administrative peut être valablement représentée », a indiqué l'ancienne ministre Amélie Oudéa-Castéra à la mission.

La direction des sports a, par ailleurs, reçu le pacte d'associés le 9 juin 2022. Le document transmis comprenait bien l'article 2.5.3, sur la désignation à la présidence de la société, qui ne figurait pas dans le document transmis aux dirigeants de clubs. En revanche, l'annexe 1.1a ne figurait pas dans l'envoi, ce qui signifie que le plan d'affaires n'a pas été transmis au ministère des sports. Le ministère a indiqué à la mission que ce dernier ne lui avait pas été transmis non plus par la suite. Un élément déterminant dans l'interprétation des accords manquait donc. Le plan d'affaires permet en effet de connaître les projections économiques de la Ligue et les conditions dans lesquelles CVC est susceptible de monter au capital de la société commerciale (jusqu'à 14,29 %).

Lors de son audition40(*), Amélie Oudéa-Castéra a confirmé ne pas avoir directement pris connaissance de ces documents et de leur contenu. Selon elle, et en dépit d'une opération accessoire à une subdélégation de service public, « il ne revenait à l'État de se prononcer ni sur l'opportunité des discussions entre la Ligue et d'éventuels investisseurs, ni sur le choix de CVC, ni sur le pacte d'associés liant les deux parties ».

B. CVC, UN ACTIONNAIRE PAS COMME LES AUTRES

1. Un montage financier complexe

CVC Capital Partners est une société cotée, introduite en bourse à Amsterdam depuis avril 2024.

Lors de leur audition, Jean-Christophe Germani et Édouard Conques, qui représentent CVC en France, ont apporté à la mission les précisions suivantes sur l'origine des fonds :

« Nous levons des fonds d'investissement qui sont comme des poches de capital dans lesquelles investissent des centaines de sociétés, lesquelles sont pour la plupart des organismes de gestion, des sociétés d'épargne, des compagnies d'assurance et, parfois, des fonds souverains. Ce sont des investisseurs passifs dans ces poches de capital ; nous avons le contrôle sur l'investissement (...). Vous avez posé une question spécifique sur un investisseur saoudien41(*) : il s'agit d'un investisseur très minoritaire dans une poche de capital ; ce n'est pas un actionnaire de notre société »42(*).

S'agissant du fonds qui a investi dans LFP Media : « Dans ce fonds, plus de 500 investisseurs nous ont confié leur capital dans ce que j'ai appelé un fonds commun de placement ; ils sont donc très nombreux, et aucun d'entre eux n'en représente une part significative (...). »43(*)

CVC a investi dans LFP Media via une chaîne de quatre sociétés holdings détenues à 100 % du capital et des droits de vote :

Ø Renaissance TopCo SARL (société de droit luxembourgeois intégralement détenue par les fonds CVC) ;

Ø Renaissance Luxembourg SARL (société de droit luxembourgeois intégralement détenue par Renaissance TopCo) ;

Ø Renaissance Financière SAS (société de droit français intégralement détenue par Renaissance Luxembourg) ;

Ø Renaissance Investissement SAS (société de droit français intégralement détenue par Renaissance Financière).

Les dividendes versés à CVC par LFP Media sont perçus par la société Renaissance Investissement SAS.

Par ailleurs, Renaissance Investissement et Renaissance Financière ont souscrit un crédit pour financer 50 % de leur investissement dans LFP Media. Si la LFP n'a jamais réellement envisagé de recourir au crédit pour financer tout ou partie de ses besoins, c'est en revanche ainsi que CVC a procédé, grâce à un crédit adossé sur les revenus futurs du football professionnel français. Les dividendes perçus au titre de LFP Media sont affectés prioritairement au remboursement de ce crédit.

Les investisseurs finaux des fonds CVC ont vocation à percevoir l'essentiel de la rémunération de leur investissement au moment de la cession par les entités CVC de leur participation dans LFP Media.

2. Un plan d'affaires très optimiste

La LFP et CVC ont fondé leur accord sur un plan d'affaires qui se révèle très optimiste, s'agissant des droits domestiques. Celui-ci a été contredit par le premier appel d'offres qui a suivi l'entrée du fonds d'investissement dans le championnat français. À l'été 2024, en effet, les droits domestiques de la Ligue 1 ont été attribués à DAZN et à beIN Sports pour moins de 500 M€.

Le plan d'affaires de LFP Media prévoit une multiplication par 2,3 des revenus du football professionnel à l'horizon 2031-2032, avec une croissance plus marquée pour les droits internationaux que pour les droits domestiques, et une progression notable des revenus digitaux au cours de la décennie.

REVENUS PROJETÉS DE LA MEDIACO À L'HORIZON 2032

M. Pierre Maes44(*), à qui la mission d'information a demandé s'il trouvait ce plan d'affaires réaliste, a indiqué :

« Non. Et ce pour plusieurs raisons. J'ai parlé du piratage, qui est un fléau dont les acteurs essayent de cacher le développement, mais qui est très présent. Par ailleurs, on compte de moins en moins d'aventuriers de type Mediapro, Altice, BT en Angleterre, etc. Donc il y a de moins en moins de cowboys. Les Gafa, dont les ligues attendaient énormément, sont extrêmement prudents. Amazon, qui est celui qui investit le plus dans le foot européen, est très radin et très intelligent. DAZN, qui est finalement le seul acteur ambitieux qu'il reste au niveau européen, a cumulé 6 milliards de dollars de pertes. Les ligues qui passent des accords avec lui le font en tremblant : sa survie ne tient qu'à la volonté de son propriétaire, M. Len Blavatnik, l'un des trois hommes les plus riches d'Angleterre. Le jour où celui-ci décidera de ne plus remettre au pot, c'en sera fini de DAZN ».

Pour CVC, le résultat obtenu en 2024 sur les droits domestiques signifie que cet investissement devra être rentabilisé sur une durée plus longue que prévue.

Pour les clubs, le dividende de CVC sera d'autant plus pénalisant que l'arrivée du fonds d'investissement n'a, pour le moment, pas enclenché la dynamique souhaitée sur les droits domestiques, qui continueront à représenter une part très majoritaire des revenus au cours de la prochaine décennie. La croissance différenciée des droits internationaux et domestiques est notable, alors que la réforme de la distribution des droits récurrents conduit à réserver les droits internationaux aux clubs jouant les compétitions européennes. Si cette croissance différenciée des droits se concrétise, l'écart entre clubs au sein du championnat ne fera que s'accentuer.

Le plan d'affaires de la filiale détaille par ailleurs le mode de calcul du dividende de CVC et permet de comprendre toute la mécanique de l'accord entre la LFP et le fonds d'investissement. Comme souligné précédemment, ce plan d'affaires n'a pas été transmis aux présidents de clubs ni au ministère des sports avant l'approbation du partenariat, ce qui pose un grave problème de principe.

3. Une part qui peut monter jusqu'à 20 %

En application des accords passés entre CVC et la LFP, CVC est monté au capital de LFP Media en trois étapes :

- Renaissance Investissement a souscrit le 26 juillet 2022 à la première augmentation de capital prévue par les accords avec la LFP, soit 610 M€, au terme de laquelle CVC détenait 5,75 % du capital de LFP Media (LFP : 94,25 %) ;

- En juin 2023, une deuxième augmentation de capital, d'un montant de 450 M€, a fait passer Renaissance investissement à 9,58 % du capital (LFP : 90,42 %) ;

- En juin 2024, la troisième et dernière augmentation de capital (440 M€) a fait passer Renaissance investissement à 13,04 % du capital (LFP : 86,96 %).

Au terme de ces trois augmentations de capital, CVC a donc apporté 1,5 Md€ de capitaux à la filiale commerciale de la LFP.

La loi permet à CVC de monter jusqu'à 20 % au capital de LFP Media.

Selon les accords entre la LFP et CVC, la part de CVC peut être portée à un maximum de 14,29 % au dénouement de l'investissement de CVC.

Cette augmentation se produirait dans l'hypothèse où le résultat net retraité de LFP Media au titre du dernier exercice précédant la cession par CVC de sa participation serait inférieur à celui figurant dans le plan d'affaires agréé : le passage à 14,29 % correspond à un cas de sous-performance de 15 % ou plus par rapport au résultat net retraité figurant dans le plan d'affaires. Le passage à un maximum de 14,29 % s'effectue alors uniquement au dénouement de l'investissement de CVC. Ce point est notable compte-tenu de la sous-performance observée dans l'attribution des droits pour les cinq prochaines saisons.

Les accords entre la LFP et CVC permettent, en outre, de protéger l'investisseur dans quatre hypothèses de « changements majeurs ». Ces mécanismes de protection incluent un possible rehaussement du ratio d'attribution déterminant le montant du dividende de l'investisseur, de 13 % à 20 % maximum.

Ø Changement majeur n° 1 : retrait, résiliation ou non-renouvellement de la subdélégation consentie par la FFF à la LFP en vertu de l'article L.131-14 du code du sport ou de la convention visée au même article.

Ø Changement majeur n° 2 : ce cas recouvre 4 hypothèses distinctes.

o Un changement important dans la réglementation applicable à la société ou à la LFP ;

o Un changement important dans le format ou l'organisation des compétitions organisées par la LFP auquel l'investisseur se serait opposé ;

o Un jugement ou une décision administrative ou judiciaire qui affecterait de manière directe et significative la société ou les droits financiers de l'investisseur ;

o Un changement dans la subdélégation ou dans la convention FFF/LFP qui aurait pour effet de réduire significativement le champ de compétence de la LFP ou de la société commerciale.

Ø Changement majeur n° 3 : Contestation ou remise en cause de la quote-part revenant à la société commerciale des produits de droits d'exploitation.

Ø Changement majeur n° 4 : sortie d'un club figurant parmi les sept premiers en termes d'allocation de droits audiovisuels (en moyenne sur trois saisons) pour une autre compétition.

Afin d'éviter la survenance d'un changement majeur, la LFP s'engage à solliciter, à satisfaire les conditions et à obtenir le renouvellement de la subdélégation de la FFF et de la convention correspondante.

La LFP a pris ici un engagement qui la dépasse puisque le maintien du schéma prévu par le code du sport relève non seulement de la Ligue, de la fédération et du pouvoir exécutif (qui ont approuvé l'accord), mais aussi du législateur. En vertu des accords passés entre la LFP et CVC, ceux-ci ne sauraient modifier le cadre existant sans conséquences financières pour le football français.

En cas de survenance d'un changement majeur, deux dispositifs d'indemnisation de l'investisseur sont, en effet, prévus :

Ø en cas de changement majeur n° 1 ou n° 3, la LFP garantit et s'engage à indemniser et à tenir quitte l'investisseur contre toutes les conséquences financières subies. Il s'agit d'une indemnisation directe ;

Ø en cas de changement majeur n° 1, n° 2 ou n° 4, une indemnisation indirecte est, en outre, possible via un rehaussement des droits financiers de l'investisseur (c'est-à-dire du ratio appliqué au résultat net retraité pour calculer son dividende), éventuellement en recourant à un expert désigné. Ce rehaussement est limité à 20 % du résultat net retraité de la société commerciale.

Les deux dispositifs d'indemnisation peuvent être combinés en cas de changement majeur n° 1, dans la limite du montant du préjudice.

4. Une durée illimitée qui pose de nombreuses questions

Plusieurs dirigeants de clubs ont jugé parfaitement normal que des actions de la filiale commerciale soient vendues pour une durée illimitée, ou plus exactement pour la durée de vie de l'entreprise qui est de 99 ans.

Une action est, en effet, un titre de propriété représentant une fraction du capital d'une société, donnant droit à des dividendes et à des droits de vote, contrairement à une dette qui implique un remboursement en intérêts et en capital sur une durée fixée à l'avance : « Nous avons vendu les actions d'une société ; nous avons dilué notre capital. C'est la vie quotidienne des affaires », a affirmé Joseph Oughourlian, président du RC Lens45(*), tandis que Laurent Nicollin, président de Foot Unis et du club de Montpellier46(*), confirmait ne pas s'être interrogé à ce sujet : « Alors c'est vrai qu'il ne m'est pas venu à l'esprit de m'interroger sur la durée de l'accord passé avec CVC - d'ailleurs, comme chef d'entreprise, si j'achète des parts d'une autre entreprise, je ne me pose pas la question de la durée de l'accord, j'achète pour développer et pour revendre éventuellement ».

La question de la durée ne se pose généralement pas lors de l'achat de parts de sociétés.

Elle se pose néanmoins ici pour deux raisons.

a) D'une part, car les actions détenues par CVC lui donnent des droits préférentiels qui ne sont pas ceux d'un actionnaire ordinaire.

En cas de cession de ses parts par CVC, le nouvel actionnaire conservera ces droits préférentiels, décrits ci-après, sans avoir jamais rien apporté directement au football français.

Les droits financiers privilégiés obtenus par CVC sont en effet attachés aux actions et suivent le titre dans quelque main qu'il passe. Ce ne serait pas le cas si ces dispositions ne figuraient que dans le pacte d'associés qui lie spécifiquement la LFP et CVC (Renaissance Investissement) pour la durée de leur association. Mais elles sont partie intégrante des statuts de la filiale LFP 1.

Ces dispositions permettront à CVC de céder des titres qui présentent une valeur supérieure à une action classique. Ces titres confèrent en effet à leur détenteur un droit préférentiel sur les revenus du football français.

Il ne semble pas que le mode de calcul du dividende de CVC ait été expliqué très clairement aux présidents de clubs. Le dividende de CVC est calculé à partir d'un résultat net retraité qui s'apparente davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat.

Pour les clubs, en revanche, ce prélèvement au profit d'actionnaires extérieurs sera un fardeau à porter pendant de nombreuses années.

S'agissant de CVC, les accords avec la LFP prévoient une possibilité de cession à compter du 4ème anniversaire (juillet 2026), et une possibilité d'introduction en bourse à partir du 6ème anniversaire (juillet 2028). La LFP dispose d'un droit de première offre. Lors de son audition, Édouard Conques, senior managing director du fonds d'investissement, a indiqué qu' « au regard du prisme des investissements faits par CVC, il me semble que le projet de la Ligue est un investissement de long terme », soit « au moins six ou sept ans ». Jean-Christophe Germani, managing partner a ajouté : « Il n'est pas inhabituel pour nous de rester investis dans des sociétés sur de longues périodes. Nous avons ainsi des parts dans deux sociétés, dans lesquelles nous avons investi depuis respectivement sept ans et demi et dix ans. J'ai évoqué notre investissement dans la Formule 1 : nous l'avons conservé pendant quinze ans. Dans le capital-investissement, il faut savoir être patient. Nous fixons des objectifs, nous donnons aux entreprises les moyens de les atteindre, et lorsque nous estimons que le moment est venu ou opportun, nous envisageons de sortir. En aucun cas, nous ne prédéterminons notre date de sortie à l'avance ».

Comme indiqué précédemment, c'est essentiellement lorsque CVC sortira de LFP Media que le fonds valorisera son investissement. L'évolution des droits d'exploitation impacte le montant de son dividende et, à cet égard, la baisse des droits audiovisuels n'est pas une bonne nouvelle pour CVC, d'autant que son opération a été financée, au moins partiellement, par de la dette.

Mais il y aura toujours une Ligue 1 dans dix ans, avec un marché conséquent, au moins en France ; et, si ce n'était pas le cas, l'investisseur a prévu les protections nécessaires dans le pacte d'associés conclu avec la LFP.

Dans la durée, le risque de l'opération pour CVC paraît donc limité.

b) D'autre part, au regard des schémas prévus par le code du sport.

La durée de 99 ans prévue par les statuts de la société commerciale est aussi problématique au regard de l'architecture du modèle sportif français.

Conformément à la loi, la LFP a apporté à sa filiale son activité commerciale et, d'un point de vue organique, son département du développement économique. La loi dispose en effet que la ligue peut créer une société commerciale « pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation ». Cela ne signifie pas que les droits d'exploitation soient cédés à la société commerciale. Ceux-ci restent, en effet, propriété des clubs et de la fédération :

o S'agissant des droits d'exploitation audiovisuelle, ils sont la propriété des clubs. En application de l'article L333-1 du code du sport, une décision de l'assemblée fédérale de la FFF en date du 10 juillet 2004 leur a en effet cédé, à titre gratuit, la propriété des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions de la LFP. Ces droits cédés aux sociétés sportives sont commercialisés par la LFP, en application de l'article L333-2.

o S'agissant des autres droits d'exploitation, ils appartiennent à la fédération, en vertu de l'article L333-1.

La LFP n'est donc pas propriétaire des droits.

Au surplus, si la LFP est chargée de la gestion et de la commercialisation des droits, éventuellement via une filiale commerciale, c'est pour une durée qui est limitée, dans le cadre d'une convention conclue pour une durée de cinq ans avec la FFF. L'article L. 131-14 du code du sport organise en effet les relations entre les fédérations délégataires et les ligues professionnelles dans le cadre d'une convention de subdélégation d'une durée maximale de cinq ans (article R. 132-9).

La convention qui lie la FFF à la LFP dispose, en son article 2 : « pour les compétitions qu'elle organise et pour la durée de la présente convention, la LFP gère et commercialise les droits d'exploitation qui lui sont concédés par la FFF soit en vertu de l'article L333-1 du code du sport, soit par l'application de l'article L. 333-2 du même code ».

CVC a obtenu des assurances sur cette question de la durée, grâce au renouvellement de cette convention au 1er juillet 2022. La convention entre la FFF et la LFP court désormais jusqu'à la fin de la saison 2026-2027.

La fédération est, elle-même, titulaire d'une délégation de service public, qui constitue un monopole légal que l'État lui attribue, en vertu d'un contrat de délégation (article L. 131-14 du code du sport) d'une durée de quatre ans, accordée à compter du 1er janvier de la deuxième année qui suit celle des jeux Olympiques ou Paralympiques d'été. Le contrat de délégation en cours de la FFF porte sur la période 2022-2025.

Cette durée de quatre ans n'est pas cohérente avec la durée de cinq ans de la convention entre la FFF et la LFP. La subdélégation va actuellement au-delà de la délégation elle-même.

La durée limitée des contrats de délégation et de subdélégation n'est, elle-même, pas cohérente avec la création d'une société commerciale de durée illimitée.

Comme évoqué précédemment, s'agissant du partenariat avec le Tournoi des six nations, une durée illimitée a été jugée incompatible avec le modèle sportif français. La France a obtenu que ce contrat soit limité, pour ce qui la concerne, à cinquante ans.

L'accord de CVC avec le championnat espagnol est également limité à cinquante ans. Dans le cadre de cet accord, l'apport de CVC s'élève à 1 994 M€ contre 8,2 % des parts de la société LaLiga Impulso. Cet accord présente trois différences majeures avec l'accord français :

Ø il n'engage pas l'ensemble des clubs, n'ayant été adopté que par 37 clubs sur 42. Cinq clubs ont refusé d'adhérer au projet, dont le Real de Madrid, le FC Barcelone et l'Athletico Bilbao ;

Ø sa durée est limitée à cinquante ans ;

Ø les fonds versés aux clubs ont été fléchés d'emblée à 70 % vers les infrastructures et l'investissement, 15 % pouvant être consacré au remboursement de la dette et 15 % à l'acquisition de joueurs.

5. Des droits financiers privilégiés

Dans le cadre de la société par actions simplifiée « filiale LFP 1 » (ou LFP Media), CVC détient des actions de préférence dites de catégorie A (AdP A), prévues par l'article L. 228-11 du code de commerce (« Lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent »).

Comme indiqué précédemment, ces droits sont attachés à ces actions spécifiques et non à CVC (Renaissance investissement).

Conformément aux dispositions applicables du code de commerce, les AdP A ont été expertisées par un commissaire aux apports chargé d'apprécier les avantages particuliers.

Les principaux droits financiers attachés aux AdP A sont les suivants :

Ø un dividende préciputaire et cumulatif, c'est-à-dire payé en priorité avant tout dividende versé aux autres actionnaires, et qui s'accumule s'il n'est pas payé.

Ø un dividende calculé sur la base d'un résultat retraité, correspondant au résultat net comptable de l'exercice avant impôt sur les sociétés (mais après imputation de la taxe « Buffet »), majoré :

o du montant des versements aux clubs au titre des droits d'exploitation audiovisuels et des autres droits d'exploitation ;

o du montant versé à la FFF ;

o du montant versé à la LFP pour lui permettre de fonctionner ;

o du chiffre d'affaires des paris sportifs.

Ce résultat est donc majoré des charges principales de LFP Media. Il s'apparente davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat.

L'attention de la mission s'est portée, en particulier, sur l'intégration du chiffre d'affaires des paris sportifs au résultat retraité. En effet, l'article 51 de la loi du 2 mars 2022 dispose que « le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, prévu à l'article L. 333-1-1, est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à la société commerciale ».

Si les droits sur les paris sportifs continuent d'être gérés par la LFP, les revenus issus de ces droits sont néanmoins intégrés pour le calcul du dividende de CVC. Le fonds d'investissement est donc directement intéressé à l'évolution de ces droits. Il s'agit d'un détournement de la loi, probablement conforme à sa lettre, mais contraire à son esprit.

Ø un droit prioritaire sur l'actif net de liquidation ;

Ø un accès à deux catégories de bons de souscription d'actions (BSA) :

o une première catégorie, dont l'objet était de protéger l'investisseur dans le cas où la LFP ou sa filiale n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour permettre l'émission des trois tranches d'AdP A ;

o une seconde catégorie, des BSA dits de rattrapage (« catch-up warrants »), exerçables une seule fois, dont l'objet est de compenser une sous-performance de la société par rapport à son plan d'affaires, via un mécanisme relutif pour l'investisseur.

L'opération a été indolore à court terme pour le football professionnel puisque CVC a accepté de ne récupérer le dividende des deux premières saisons qu'à partir de 2024-2025. L'augmentation des droits audiovisuels devait amortir l'impact de ce différé. Les accords entre CVC et la Ligue permettent à celle-ci d'étendre le paiement de ce dividende sur une, deux ou trois années, avec, dans tous les cas, un paiement de 50 % du montant total la première année, c'est-à-dire en 2024-2025.

Le montant dû à ce titre à partir de cette année s'élève à 105 M€, dont 39 M€ au titre de 2022-2023 et 66 M€ au titre de 2023-2024.

Le dividende prévisionnel de CVC, compte tenu du montant des droits cédés à DAZN et à beIN, est estimé à 121 M€ pour 2024-2025, y compris le rattrapage de 50 % du dividende différé.

6. Des droits bloquants en termes de gouvernance

En application de ses statuts, la société commerciale est pilotée par un comité de supervision qui comprend six membres dont trois sont nommés par la LFP et deux par les porteurs d'AdP A, c'est-à-dire par CVC. Conformément à la disposition introduite par le Sénat dans la loi du 2 mars 2022, le président de la FFF y est également présent, en qualité de censeur, avec voix consultative. Les statuts de la filiale prévoient, par ailleurs, la nomination d'un comité stratégique consultatif constitué de huit membres dont trois représentants des porteurs d'AdP A.

La Présidence de la société est confiée à la LFP en tant que personne morale, représentée par Vincent Labrune.

En vertu des accords entre la LFP et CVC, CVC a la possibilité d'obtenir la révocation des membres de l'équipe de direction de la société en cas de sous-performance significative (- 25 % par rapport au plan d'affaires cible pendant deux ans). Dans une telle hypothèse, ou pour tout autre cas de vacance de la présidence de LFP Media, à défaut d'accord entre la LFP et CVC pour désigner un successeur, un cabinet de recrutement est mandaté pour constituer une liste de candidats, parmi lesquels la LFP en sélectionne trois, dont un peut être écarté par CVC. La LFP sélectionnera le nouveau président parmi les deux autres candidats. La LFP a donc le dernier mot pour la désignation du président de la société et, de même, pour la désignation des autres membres de l'équipe de direction à l'exception de deux d'entre eux. C'est CVC qui a, en effet, le dernier mot s'agissant du directeur financier et du directeur des opérations.

Le fonds d'investissement dispose, en outre, d'un droit de regard sur l'identité du représentant de la LFP. Une disposition lui permet d'obtenir la démission de la LFP de ses fonctions de présidente de la société commerciale, en cas de désaccord. En effet, si la LFP souhaite changer de représentant ou que celui-ci cesse ses fonctions pour quelque cause que ce soit, à défaut d'accord entre la LFP et CVC, la LFP s'est engagée à démissionner de ses fonctions de président. Dans ce cas, la procédure décrite au paragraphe précédent est mise en oeuvre afin de désigner un nouveau président. Comme l'a souligné Jean-Michel Roussier devant la mission, cette disposition particulière n'a pas été portée à la connaissance des présidents de club avant l'assemblée générale de la LFP du 1er avril 2022, qui a entériné le partenariat avec CVC.

Le comité de supervision se prononce soit à la majorité simple de ses membres (pour les « décisions importantes »), soit à la majorité simple comprenant le vote favorable d'au moins un représentant de l'investisseur (pour les « décisions réservées »). Ces dernières doivent donc être validées par CVC : « Il s'agit par exemple de décisions relatives à la réalisation d'un emprunt significatif ou d'un investissement très important, ou plus généralement de toute décision qui sort du cours ordinaire des affaires. Dans ce cas, nous pouvons exercer un droit de veto, mais cela ne s'est encore jamais produit. »47(*)

CVC peut notamment s'opposer au budget prévisionnel annuel de la filiale, s'il dévie de plus de 10 % du plan d'affaires en vigueur. L'investisseur peut également s'opposer à un nouveau plan d'affaires, sous la même condition. À ce sujet, les représentants de CVC se sont voulus rassurants : « Il y a les écrits et il y a la philosophie ! Ce n'est pas parce que l'on a un droit qu'on l'exerce automatiquement. Lorsqu'on est actionnaire minoritaire, il est important de s'entendre avec l'actionnaire majoritaire. La Ligue, en réalité, a le contrôle en tant qu'actionnaire majoritaire. »48(*)

Si la Ligue conserve le contrôle, CVC dispose néanmoins d'un pouvoir de blocage important dans la gouvernance de la filiale.

C. UNE DISTRIBUTION CONTESTABLE DES RESSOURCES

L'accord de la LFP avec CVC comportait deux volets, approuvés à une quasi-unanimité par les clubs en assemblée générale de la Ligue : d'une part, la création de la société commerciale et, d'autre part, une répartition de l'apport du fonds d'investissement à la société. Cet apport était destiné prioritairement au développement des clubs afin de créer une dynamique de rattrapage des championnats européens les plus riches. Ce volet s'est accompagné d'une nouvelle répartition des revenus récurrents entre clubs, favorisant les « locomotives » du championnat afin d'optimiser les résultats au niveau des compétitions européennes.

L'apport de CVC, qui s'élève à 1,5 Md€, a permis à la LFP de rembourser le reliquat du PGE souscrit au printemps 2020, à hauteur de 169 M€. Il a également permis de constituer le socle d'un fonds de réserve, à hauteur de 63,5 M€, et de lancer LFP Media, laquelle a acquis, peu de temps après sa constitution, la société Fantaleague, éditrice du jeu de fantasy football « Mon Petit Gazon » (MPG).

RÉPARTITION DE L'APPORT DE CVC (M€)

Clubs évoluant en L1 au cours de la saison 2021-2022

1 080

Clubs évoluant en L2 ou en National au cours de la saison 2021-2022 

90

Remboursement PGE

169

Lancement MediaCo

40

Fonds de réserve

63,5

FFF (Fédération française de football)

20

Honoraires et frais des conseils

29

Prime et augmentation de la rémunération du président pendant 2 ans, primes du directeur général et de quelques salariés

8,5

Total

1 500

1. La répartition des revenus entre les clubs
a) Des aides exceptionnelles versées aux clubs

Sur 1,5 Md€ d'apport de CVC, ce sont près de 1,2 Md€ qui sont versés aux clubs, dont 1,1 Md€ pour la Ligue 1, sur trois saisons, selon une clef de répartition approuvée par eux le 1er avril 2022, après examen par les collèges de Ligue 1 et de Ligue 2 ainsi qu'en conseil d'administration, puis à nouveau en assemblée générale le 23 novembre 2023.

La répartition des aides exceptionnelles versées aux clubs n'a pas suivi les critères habituels de répartition mis en oeuvre pour les revenus récurrents. La répartition des revenus récurrents comporte en effet une part fixe et des parts variables, en fonction de la notoriété et du classement sportif des clubs. Au titre des droits audiovisuels, pour la saison 2022-2023, la Ligue 1 percevait 86 % des droits sur cette saison (81 % jusqu'à 500 M€ de droits domestiques). L'apport de CVC aux clubs est revenu pour 92 % de son montant à la Ligue 1. Quant au PSG, il a touché 11 % des droits audiovisuels 2022-2023, mais 17 % du montant de l'apport de CVC aux clubs.

AIDES EXCEPTIONNELLES VERSÉES AUX CLUBS
QUI ÉVOLUAIENT EN LIGUE 1 EN 2021-2022 
(M€)

Clubs

Versement n° 1 
(par club)

Versement n° 2 
(par club)

Versement n° 3 
(par club)

Total versé
(par club)

Total versé (pour tous les clubs de la catégorie)

Paris SG

16,5

50

133,5

200

200

Marseille, Lyon

16,5

23,5

50

90

180

Lille, Monaco,

Nice, Rennes

16,5

17,5

46

80

320

10 clubs49(*)

16,5

16,5

 

33

330

3 clubs relégués50(*)

8,25

8,25

 

16,5

49,5

Total Ligue 1  1 079,5

Plutôt que d'adopter une clef de répartition similaire à celle existant pour les revenus récurrents, issus des droits d'exploitation, les clubs ont choisi des modalités de répartition spécifiques, plus favorables aux grands clubs et notamment au PSG.

L'objectif des aides exceptionnelles était défini ainsi : « faire face aux conséquences de la covid-19, développer le produit football, améliorer le niveau des championnats en particulier celui de Ligue 1, améliorer son attractivité en France et à l'international et, par conséquent, augmenter les revenus commerciaux de la filiale »51(*).

Comment la répartition de ces aides a-t-elle été calculée ? D'après la LFP, à partir de « données sourcées et incontestables »52(*) portant sur cinq critères de performance, pondérés de manière égale :

Ø des critères de notoriété :

o les audiences domestiques : sur Amazon Prime video en 2021-2022 ;

o les audiences internationales : d'après Global MMK sur trois saisons entre 2019 et 2022 ;

o les audiences digitales : nombre de fans cumulés sur les réseaux sociaux ;

Ø des critères sportifs :

o les performances domestiques : somme des points remportés en compétitions domestiques sur trois saisons de 2019 à 2022 ;

o les performances européennes : somme des points remportés en compétitions européennes sur trois saisons (de 2019 à 2022).

La notoriété, dont dépendent trois critères, a donc été surpondérée par rapport aux résultats sportifs, dont dépendent deux critères. Un classement des clubs a été établi pour chacune de ces données, puis un classement moyen, qui a donné les résultats figurant dans le tableau ci-dessous. Au moment où les quatre groupes ci-dessous ont été établis à partir de ce classement moyen, les résultats de la saison 2021-2022 n'étaient pas connus.

RÉPARTITION DES AIDES EXCEPTIONNELLES ISSUES DE CVC

Club

Classement moyen

Groupes

Paris SG

1

Groupe A

200 M€

Marseille

3

Groupe B1

90 M€

Lyon

3,6

Lille

3,6

Groupe B2

80 M€

Monaco

5

Rennes

7

Nice

7

Saint-Etienne

8,8

Groupe C

33 M€ pour les clubs se maintenant en L1

16,5 M€ pour les clubs relégués en L2

(fin 2021-2022)

Nantes

10,6

Bordeaux

11,4

Montpellier

11,8

Lens

12,4

Reims

12,8

Brest

13,2

Strasbourg

13,4

Angers

14,8

Metz

15,8

Clermont

17,6

Lorient

17,8

Troyes

19,2

Ce classement, approuvé à l'unanimité par le collège de L1, pose de multiples questions.

Il est évident que le classement souhaité pouvait être obtenu en adaptant les indicateurs ou en arrêtant les compteurs au bon moment. La négociation de cette répartition est intervenue au même moment que celle portant sur la distribution des revenus récurrents.

CVC et le président de la Ligue ayant souhaité un soutien unanime des clubs au projet, la répartition a été étonnamment peu discutée.

Le partenariat avec CVC et la répartition des revenus formaient un tout, à prendre ou à laisser. « L'unique aménagement a concerné l'Olympique lyonnais et l'Olympique de Marseille : ces clubs ont obtenu 10 millions d'euros de plus que les nouveaux clubs qui, tels que le Losc, le Stade rennais ou l'OGC Nice, atteignaient leur niveau. Cela a été la seule discussion »53(*). Étant donné la situation économique, les clubs ont été amenés à accepter les conditions proposées.

Lyon et Lille, qui obtiennent le même classement moyen, ne sont pas traités de la même manière : Lille est traité comme Nice, dont les performances dans le classement moyen sont bien moindres, les participations de Lens et Toulouse à l'Europa League ne sont pas prises en compte, etc.

À tout le moins aurait-on pu imaginer une répartition évolutive, recalibrée lors de chaque versement.

Lors de son audition, Christophe Bouchet s'est étonné de la place de l'Olympique de Marseille, loin du PSG, alors que la rivalité entre ces deux clubs est l'un des moteurs du championnat français :

« La répartition entre les clubs est-elle équitable ? Non, elle est très singulière, si l'on se réfère à la valeur économique des clubs. En fait, entre les deux-tiers et les trois-quarts de la valeur économique du championnat français tiennent à deux clubs : le PSG et l'OM - c'est malheureux, parce que cela ne coïncide pas avec la valeur sportive, mais c'est une réalité économique. Or, sur 1,1 milliard d'euros à répartir, l'OM ne se voit attribuer que 90 millions d'euros, un montant proche de celui de clubs de bien moindre audience comme Rennes ou Nice, c'est incompréhensible - d'autres clubs comme Bordeaux, Nantes ou Saint-Etienne se voient également accorder des parts pour le moins étonnantes »54(*).

Seul le club du Havre a contesté cette répartition par la suite.

Le traitement du Havre Athletic club (HAC) est en effet pour le moins surprenant.

Si les clubs de Ligue 2 bénéficient d'une aide de 3 M€, c'est seulement à condition d'être toujours en L2 au moment du troisième versement. Étant monté en Ligue 1 à l'issue de la saison 2022-2023, le HAC n'a pas rempli cette condition et n'a donc perçu que 1,5 M€, soit la moitié de ce qu'a perçu un club de L2, et vingt fois moins que ce qu'ont perçu la majorité des clubs concurrents du HAC en L1. Le HAC a perçu une aide exceptionnelle de même montant que celle dont ont bénéficié les quatre clubs relégués en championnat National au moment où il accédait à la L1. Pourtant, le Havre subira au même titre que les autres clubs de L1 le prélèvement de CVC sur les droits. S'il s'agit d'une erreur, pourquoi n'a-t-elle pas été corrigée par la suite ?

Le cas du Red Star doit également être mentionné puisque ce club, qui a accédé à la L2 cette année, subira aussi le prélèvement sur les droits sans avoir reçu d'aide exceptionnelle au moment de l'arrivée de CVC et sans avoir participé à la décision sur ce partenariat.

AIDES EXCEPTIONNELLES AUX CLUBS
QUI ÉVOLUAIENT EN L2 OU EN NATIONAL EN 2021-2022 
(M€)

Clubs

Versement 1

Pour chaque club (août 2022)

Versement 2

Pour chaque club (juin 2023)

Versement 3

Pour chaque club (juin 2024)

Total versé

(pour chaque club)

Total

Toulouse, Ajaccio, Auxerre (accédants L1)

8,25

8,25

 

16,5

49,5

10 clubs55(*)

0,75

0,75

1,5

3

30

5 clubs

(qui ne sont plus en L2 au moment du versement n° 3)56(*)

0,75

0,75

 

1,5

7,5

2 clubs57(*) (relégués en National)

0,375

0,375

 

0,75

1,5

2 clubs de National58(*) (accédant en L2 à la fin de la saison 2021-2022)

0,375

0,375

 

0,75

1,5

Total Ligue 2 (dont accédants L1) : 90

Total Ligue 2 (hors accédants L1) : 40,5

Enfin, sur le montant d'1,5 Md€ versé par CVC, 20 M€ sont revenus à la FFF, en application du principe de solidarité et « afin de soutenir le plan de développement de la Fédération au sortir de la crise sanitaire »59(*) : 10 M€ ont été versés sur la deuxième tranche d'apport de CVC (2023) et 10 M€ sur la troisième tranche (2024).

b) Une nouvelle répartition des revenus récurrents

Le partenariat avec CVC est le pilier central d'un projet plus vaste, assumé par la Ligue, visant à renforcer les « locomotives » du championnat pour redynamiser les droits, notamment internationaux, grâce à de bonnes performances européennes.

Cette stratégie a été approuvée par le conseil d'administration de la ligue le 25 mars 2022, sur la base d'une proposition du collège de Ligue 1. Les principaux changements sont les suivants :

Ø pour les droits médias et commerciaux domestiques : une nouvelle répartition, ne comportant pas de part fixe, a été adoptée pour les droits compris entre 700 M€ et 1 Md€. Cette nouvelle répartition dépend uniquement de critères sportifs et de notoriété ;

Ø les droits médias et commerciaux internationaux seront répartis en fonction des résultats obtenus dans les compétitions de l'UEFA, sur quatre saisons (jusqu'en 2023-2024) puis sur trois saisons seulement. Seuls les clubs jouant ces compétitions bénéficieront de ces droits (qui s'ajoutent à ceux versés par l'UEFA elle-même). La part de chaque club dépend de son coefficient UEFA, c'est-à-dire de ses résultats dans les trois compétitions européennes sur cinq saisons ;

Ø les droits digitaux collectifs seront désormais répartis au prorata de la répartition individuelle des droits domestiques.

L'augmentation des recettes issues de l'UEFA est un facteur supplémentaire de différenciation entre clubs de L1. Les recettes totales issues de l'UEFA, pour les clubs européens, ont été stables en 2022 et 2023 (2,4 Md€), mais elles devraient augmenter à partir de 2024 et la mise en oeuvre du nouveau format des compétitions, ouvrant un nouveau cycle de droits de diffusion.

Ces recettes seront de plus en plus essentielles, compte tenu de la baisse des droits domestiques. En 2022-2023, 48 % des droits audiovisuels perçus par les clubs français qualifiés en coupes d'Europe provenaient des compétitions européennes ; cette proportion est supérieure à 50 % pour les clubs jouant en Ligue des champions (61 % pour le PSG).

Ces recettes demeurent néanmoins deux fois inférieures à celles perçues respectivement par les clubs anglais et par les clubs espagnols qui dominent la scène européenne, suivis de près par les clubs allemands.

À terme il existe évidemment une corrélation entre l'évolution des droits domestiques et internationaux des championnats et les performances, donc les droits perçus au niveau européen. Les deux dynamiques se renforcent mutuellement.

RECETTES DES CLUBS PROVENANT DE L'UEFA EN 2022 (M€)

En 2022, six clubs français ont perçu 231 M€ provenant de l'UEFA, sur 2,9 Md€ au total pour l'ensemble des clubs européens.

RÉPARTITION DES DROITS MÉDIAS UEFA ENTRE CLUBS FRANÇAIS (2023-2024)

L'écart croissant entre clubs peut fonctionner si les revenus sont en croissance, mais elle risque de mettre un certain nombre de clubs en grande difficulté dans un contexte de recul des recettes audiovisuelles. Elle pose question au regard du principe de mutualisation et de la nécessité de maintenir l'attractivité d'un championnat français qui ne soit pas à deux - ou trois vitesses (PSG, clubs « européens », autres clubs).

2. Des aides exceptionnelles insuffisamment encadrées

Le bon emploi par les clubs des fonds issus de l'apport de CVC est un paramètre essentiel de la réussite du projet « LFP Media », un projet de relance par l'investissement. Il s'agit de générer des revenus permettant ensuite de financer de façon quasi-indolore le dividende de l'investisseur car « mieux vaut posséder un petit pourcentage d'un ensemble en expansion qu'un fort pourcentage d'un ensemble qui stagne ou décline »60(*).

L'expertise du fonds était présentée dès le départ comme l'un des leviers du succès, au-delà de la seule dimension financière de l'accord. Mais il revenait en premier lieu aux clubs de développer leurs capacités à générer des ressources.

« L'investisseur n'a pas vocation à venir se substituer aux actionnaires des clubs. Le projet porté par la LFP et CVC est en effet un « plan de développement » et non un « plan de sauvegarde » du football professionnel. »61(*)

Lors de la conclusion du partenariat entre CVC et le championnat espagnol, il a été précisé d'emblée aux clubs signataires que les fonds apportés par CVC devraient être employés à 70 % pour l'investissement (infrastructures, digital, communication, international...). Les clubs peuvent consacrer le reste de l'apport, à hauteur de 15 %, au remboursement de la dette et, pour les 15 % restants, à l'acquisition de joueurs.

La conclusion du partenariat avec la LFP n'a donné lieu à aucun fléchage de ce type, ce qui a laissé planer une ambiguïté, dans la mesure où l'opération était conçue comme une opération de sauvetage des clubs après la pandémie et le départ de Mediapro. La seule précision apportée lors du conseil d'administration du 25 mars 2022 était que « la question des fonds propres [serait] un élément central de l'analyse pour prétendre à la perception de la totalité de la somme pour laquelle un club est éligible ».

En mars 2022, les clubs se sont donc répartis près de 1,2 Md€ sans s'accorder d'emblée sur des modalités d'emploi alors que la réflexion sur ce projet avait démarré plus d'un an auparavant.

En mai 2022, une commission d'octroi des aides a été créée, composée du président de la DNCG, du président de la commission Licence club et du président de la LFP. Cette commission a eu pour mission d'examiner les plans d'utilisation des fonds transmis par les clubs, affectant ces fonds à « différentes catégories de projets, notamment les infrastructures, la formation, obtenir + 500 points à la licence clubs, le digital, le développement de la marque, l'international, la sécurité dans les stades, le renforcement du niveau sportif et la conservation ou l'arrivée de talents, ou autre projet en lien avec les objectifs du projet CVC »62(*).

Trois conditions préalables à l'octroi des aides ont été posées :

Ø le dépôt d'un plan d'utilisation des fonds auprès de la commission d'octroi ;

Ø la justification de fonds propres positifs au 30 juin, avant intégration des aides (à l'exception de la première aide) ;

Ø le passage devant la DNCG en début de chaque saison pour valider les critères d'éligibilité.

Ces conditions préalables relevaient davantage de la forme que du fond. D'après Jean-Michel Roussier, « pour résumer, le seul critère d'attribution de la commission d'octroi est la possession de capitaux propres. Si le club dispose de fonds propres positifs, la subvention lui est acquise ; sinon, il n'y a pas droit. Si le club concerné est européen, il a le droit d'améliorer sa compétitivité, donc son effectif ; sinon, il faut consacrer les dépenses aux infrastructures, à la formation, etc. À ma connaissance, néanmoins, aucun contrôle ne s'exerce vraiment, à la différence de la situation qui règne en Espagne. »63(*)

De fait, la mission a constaté que certains présidents de clubs n'étaient pas en mesure de préciser spontanément l'emploi détaillé des fonds de CVC au sein de leur club, dans la mesure où les aides issues de l'apport de CVC sont intégrées au budget global du club au même titre que les autres revenus. Plusieurs présidents ont également indiqué avoir ainsi remboursé le PGE du club.

Certaines réponses témoignent, par ailleurs, d'une part de l'investissement inférieure à 70 %, loin du modèle de ventilation des ressources retenu en Espagne : « Concrètement, nous avons investi environ la moitié de l'argent que nous avons reçu dans les infrastructures, dans le développement de la formation et celui de notre centre de formation (...). Le reste de ce que nous avons reçu est allé dans le quotidien de nos dépenses, c'est-à-dire dans la masse salariale, le développement et l'amélioration de l'équipe première, en renforçant les staffs, ou, à la marge, vers d'autres domaines, tel le digital. »64(*)

La dernière tranche d'aide issue de l'apport de CVC ayant été versée en juin 2024, l'allocation des aides est connue a posteriori, à défaut d'avoir été fléchée a priori.

Les plans d'utilisation déposés par les clubs de Ligue 1 auprès de la commission d'octroi montrent que la majorité des fonds a été allouée au « sportif » c'est-à-dire aux salaires des joueurs et aux transferts, afin d'améliorer la compétitivité du club, tandis que 40 % seulement ont été consacrés aux infrastructures et au développement.

LIGUE 1 : AFFECTATION DES AIDES EXCEPTIONNELLES

(Affectation des aides au 30 septembre 2024, 96 M€ restant à attribuer.)

En Ligue 2, 66 % des fonds ont été consacrés à l'investissement.

LIGUE 2 : AFFECTATION DES AIDES EXCEPTIONNELLES

Les clubs « européens » étaient autorisés à allouer davantage à la compétitivité sportive. De fait, la part consacrée à l'investissement est très variable en fonction des clubs, de 2 % pour Lyon et 7 % pour Monaco à 95 % pour Angers.

PART DE L'AIDE CVC CONSACRÉE AUX INFRASTRUCTURES ET AU DÉVELOPPEMENT

L'allocation des fonds aurait dû être fléchée de façon contraignante dès la conclusion de l'accord avec CVC en mars 2022, et vérifiée a posteriori « sur factures » pour clarifier les objectifs du partenariat, « plan de développement » et non « plan de sauvegarde ».

3. Des intermédiaires largement rétribués

L'attention de la mission s'est portée sur l'enveloppe de 37,5 M€ consacrée, non pas au développement des clubs ou au lancement de la société commerciale, mais à la rémunération des conseils et des dirigeants de la LFP pour le rôle qu'ils ont joué dans la conclusion du partenariat avec CVC.

Ce montant correspond à un pourcentage de 2,5 % appliqué au montant sollicité par la LFP de 1,5 milliard d'euros. Il n'était pas précisé, au départ, que cette enveloppe servirait à financer non seulement les conseils, mais aussi des salariés de la LFP.

Le montant en jeu (37,5 M€) est conséquent, supérieur à celui perçu par la majorité des clubs de Ligue 1 (33 M€) et par la FFF (20 M€).

RÉPARTITION DE L'ENVELOPPE DE 37,5 M€

Rémunération des conseils

29

Banque Lazard Frères

12

Banque Centerview Partners France

12

Cabinet Darrois Villey Maillot Brochier

5

Rémunération des dirigeants de la LFP

8,5

Bonus Vincent Labrune

3

Hausse rémunération Vincent Labrune pendant 2 ans

1,4

Bonus Arnaud Rouger

1

Bonus salariés LFP

0,25

Bonus salariés LFP Media

0,35

Charges patronales

2,5

Total

37,5

a) Des banques d'affaires généreusement rémunérées

Les banques d'affaires ont contacté séparément, et proactivement, la LFP à l'automne 2020, afin de proposer leur assistance dans la recherche de fonds. Elles ont commencé à travailler conjointement à partir du début de l'année 2021. Le cabinet Darrois a été associé à ce travail pour apporter son expertise juridique, à partir de janvier 2021, après la résolution du dossier Mediapro.

Les honoraires des deux banques d'affaires ont consisté en une rémunération au succès, c'est-à-dire payable lors du closing, uniquement en cas de réalisation de l'opération. Le fait de retenir deux banques d'affaires plutôt qu'une seule n'a sans doute pas constitué un facteur d'économies. Le cabinet Darrois n'a, pour sa part, pas été rémunéré au succès, mais, plus classiquement, en fonction des diligences réalisées, qui auraient été minorées d'une décote si l'opération ne s'était pas réalisée.

Les deux banques d'affaires Lazard et Centerview se sont partagé 24 M€ à la signature du contrat. Ces honoraires représentent 1,6 % du montant total, ce qui, d'après plusieurs spécialistes interrogés par la mission, est en haut de la fourchette applicable pour un contrat d'un tel montant. Une fourchette comprise entre 0,5 % à 1,5 % est généralement évoquée pour un « méga-deal » supérieur à 1 milliard d'euros.

b) Des dirigeants très intéressés

Par ailleurs, une partie de l'enveloppe de 37,5 M€ a été utilisée pour rémunérer des salariés de la Ligue, ce qui n'est pas exactement l'usage dans le cadre d'une subdélégation de service public.

Le 1er avril 2022, l'assemblée générale de la LFP « prend note de la proposition de Vincent Labrune de désigner Marc Sénéchal en tant qu'expert indépendant, pour négocier les honoraires des conseils de la LFP ». Il n'était pas question, alors, de rémunérer les dirigeants de la LFP dans ce cadre.

L'ancien mandataire judiciaire de Mediapro a rendu compte de sa mission d'expertise en matière de rémunérations et gratifications, lors du conseil d'administration du 30 septembre 2022, auquel la plupart des participants ont assisté en visioconférence. Le procès-verbal de cette réunion, adopté le 9 novembre par les membres du CA, ne rend pas compte de cet échange ni des décisions prises.

Ce conseil d'administration du 30 septembre a pourtant adopté, à l'unanimité des suffrages exprimés - les sept représentants des « familles » ne participant pas au vote - les propositions de Marc Sénéchal concernant notamment la rémunération de Vincent Labrune.

Les honoraires et gratifications qui ont été attribués aux dirigeants de la LFP sont les suivants :

Ø pour Vincent Labrune, président de la LFP :

o un bonus exceptionnel de 3 M€ versé en deux échéances égales en octobre 2022 et octobre 2023 ;

o une augmentation de rémunération fixe annuelle brute : cette rémunération, fixée publiquement à 420 000 € par le conseil d'administration du 15 octobre 2020, est alors portée à 1,2 M€.

Ø pour Arnaud Rouger, directeur général de la LFP :

o un bonus exceptionnel de 1 M€ versé en deux échéances ;

o une augmentation de rémunération fixe annuelle brute pour la porter à 430 000 € (non imputée sur les fonds de CVC).

Il fut par ailleurs question, lors de cette réunion du conseil d'administration de septembre 2022, d'autres bonus « fixes » et « variables », dont les montants devaient être déterminés plus tard, conformément aux standards observés dans les principales ligues européennes. Ces bonus n'ont pas été mis en oeuvre.

Les gratifications votées en septembre 2022 n'ont pu être accordées qu'en profitant d'un abaissement des honoraires des conseils, tel que proposé par Marc Sénéchal. Les trois conseils affirment toutefois ne pas avoir été consultés ou impliqués d'aucune manière dans la détermination du montant des sommes versées aux collaborateurs de la LFP, dont ils n'avaient pas connaissance au moment où leur propre rémunération a été fixée puis payée. Le montant de 37,5 M€ ne correspond pas, selon eux, à une somme négociée en amont pour leur rémunération.

Pour la détermination des montants des gratifications, Marc Sénéchal a travaillé avec le cabinet Egon Zehnder, cabinet de conseil en recrutement de dirigeants, mandaté pour fournir des éléments de comparaison avec des ligues étrangères. Ce type de « benchmarking » a généralement pour effet (et même pour objet) d'entraîner une inflation des salaires des dirigeants, ce qui s'est vérifié en l'espèce.

Le cabinet Egon Zehnder a fourni des comparaisons avec des ligues beaucoup plus puissantes, telles que la Premier League, la Liga espagnole, ou encore avec l'UEFA et la FIFA, mais aucune donnée ne concernait des ligues plus modestes au niveau européen.

Les dirigeants des grandes ligues européennes ont généralement une rémunération structurée en trois parties : une base fixe, un « bonus fixe » conditionné à la bonne marche de la ligue et un « bonus variable » en fonction des résultats obtenus lors de la commercialisation des droits audiovisuels.

L'attribution d'un bonus à la faveur d'une augmentation de capital n'a pas de précédent. Rien n'indique, en effet, que le président de la ligue espagnole ait été rémunéré sur l'opération conclue par la Liga avec CVC.

Si bonus il doit y avoir, c'est éventuellement dans le cadre de l'exercice par la Ligue de son coeur de métier, c'est-à-dire la gestion et la commercialisation des droits. Un tel mode de rémunération est beaucoup plus discutable dans le cadre d'une augmentation de capital réalisée avec le concours de banques d'affaires déjà largement rétribuées.

Cette pratique pose une question évidente de conflit d'intérêts : en effet, si l'intérêt de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, compte tenu du dividende à payer ensuite ad vitam, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie future.

On comprend, dans ce contexte, que la répartition entre endettement (0 %) et capital (100 %) ait pu être rapidement arbitrée.

On n'imagine pas qu'un dirigeant puisse percevoir une rémunération sur l'endettement souscrit par sa société. C'est pourtant, fondamentalement, ce qui s'est passé dans le cadre de la conclusion du partenariat avec CVC.

Cette pratique est d'autant plus problématique que la conclusion de l'opération avec CVC a donné lieu non seulement à des bonus ponctuels, mais aussi à une augmentation de la rémunération fixe de Vincent Labrune.

Une confusion apparaît ici entre l'objectif de récompenser une « performance » et celui d'ajuster la rémunération en fonction d'un étalonnage basé sur les standards européens.

L'augmentation de la rémunération de Vincent Labrune a, en effet, été prise en charge pendant deux ans par les fonds de CVC. Cette augmentation, décidée à la faveur de l'opération, a permis au président de la Ligue de présenter le salaire qui lui a été alloué en octobre 2024 comme résultant d'un effort d'économie.

Or, le salaire du président de la LFP a, en réalité, doublé depuis sa prise de fonction en septembre 2020, et ce malgré les résultats discutables décrits dans le présent rapport.

RÉMUNÉRATION DES PRÉSIDENTS DES PRINCIPALES LIGUES EUROPÉENNES

 

Part fixe

Part variable

(en fonction
des résultats
sur les droits TV)

Total

Premier League

CEO

2, 5 M£

1 M£

3,5 M£

LaLiga

Président

2,6 M€

885 000 €

3,485 M€

DFL65(*)

CEO

1,5 M€

 ?

1,5 M€

Série A

Président

CEO

100 000 €

960 000 €

0

3 M€

100 000 €

3,960 M€

La mission s'est intéressée, en outre, à l'indemnité de départ de Vincent Labrune, dont le premier mandat arrivait à échéance en septembre 2024. En octobre 2020, le conseil d'administration de la LFP avait décidé que le président percevrait une indemnité forfaitaire de fin de mandat, due dans tous les cas, y compris en cas de révocation, de non-renouvellement ou de non-candidature, ou encore en cas de démission liée à un conflit de gouvernance. Cette indemnité s'élevait à deux ans de rémunération, sur la base de la rémunération perçue au cours des douze derniers mois à quelque titre que ce soit y compris d'éventuelles primes. Compte tenu d'une rémunération annuelle de 1,2 M€ à laquelle il faut ajouter le bonus de 1,5 M€ perçu en octobre 2023, cette indemnité pouvait atteindre 5,4 M€.

Sous la pression de la mission d'information, lors de son audition le 26 juin 2024, Vincent Labrune a toutefois renoncé à cette indemnité de départ. Le procès-verbal du conseil d'administration de la LFP du 25 juillet 2024 confirme cette renonciation, rapportant que : « Vincent Labrune considère que la rémunération et le bonus qu'il a obtenu à la suite de la création de la filiale commerciale de la LFP et l'entrée de CVC au capital de celle-ci étaient des éléments exceptionnels au sens littéral du terme et qu'il n'est pas question qu'ils puissent servir de base de calcul à l'indemnité de fin de mandat préalablement prévue et votée. Pour plus de clarté, Vincent Labrune va même plus loin en expliquant qu'il renonce purement et simplement au principe de l'indemnité prévue le 15 octobre 2020 dans l'hypothèse où son mandat ne se poursuivrait pas pour quelque raison que ce soit ».

Lors du conseil d'administration du 2 octobre 2024, la rémunération du président de la LFP a été fixée à 840 000 €, soit le double du montant fixé en octobre 2020. Ce conseil d'administration a, par ailleurs, acté que le président et les mandataires sociaux de la LFP ne bénéficieraient d'aucune indemnité de fin de mandat ni d'aucune assurance spécifique à ce titre.

4. Un emballement du train de vie de la Ligue

D'après Amélie Oudéa-Castéra66(*), ancienne ministre chargée des sports : « Il est incontestable que le train de vie de la LFP s'est quelque peu emballé avant même que les droits TV pour le cycle 2024-2029 aient été négociés. On a pour ainsi dire mis la charrue avant les boeufs ».

En premier lieu, les frais du président de la LFP ont augmenté de 30 % en deux ans. Une certaine confusion règne entre les fonctions exercées par Vincent Labrune en tant que président de la LFP et celles exercées en tant que président de LFP Media (ou plus exactement en tant que représentant de la LFP, personne morale présidant LFP Media), s'agissant des frais comme du salaire de Vincent Labrune, partiellement refacturé à la filiale, sans que CVC n'en ait connaissance.

FRAIS DU PRÉSIDENT DE LA LFP / LFP MEDIA (EN €)

 

Frais président LFP

Frais président
LFP Media

Total

2020-2021

152 891

 

152 891

2021-2022

159 259

 

159 259

2022-2023

91 032

108 050

199 082

Au moment où elle a conclu l'opération avec CVC, la LFP a également acquis un nouveau siège de 3 560 mètres carrés dans le dix-septième arrondissement de Paris, par crédit-bail pendant 12 ans, selon des modalités validées en assemblée générale le 8 juin 2022. Le crédit-bail s'élève à 123,4 M€, dont 3,4 M€ de frais. Ce montant inclut 20 M€ de travaux, auxquels il faut ajouter 8 M€ de travaux d'aménagement intérieur.

Le coût total de cette opération immobilière est donc de 131,4 M€.

L'avance-preneur payée par la LFP aux crédits-bailleurs s'élève à 31 M€ dont 15 M€ payés sur fonds propres et 16 M€ empruntés. Le loyer annuel s'élève à 7,3 M€ par an, en partie refacturés à LFP Media qui occupe les mêmes locaux. L'ancien siège est, parallèlement, loué par la LFP à son nouvel occupant, la société M2DG, pour 1,1 M€ par an.

Cette opération a été conclue alors même que le football professionnel français connaissait une baisse de ses droits audiovisuels, suite à l'attribution des droits à Amazon. Il aurait été prudent d'attendre le résultat de la vente des droits sur le cycle démarrant en 2024, avant de se lancer dans une telle opération, coûteuse pour les comptes de la Ligue et donc pour les clubs.

II. UNE ÉCONOMIE À RÉINVENTER FACE AUX DÉFIS DES FONDS D'INVESTISSEMENT ET DE LA MULTIPROPRIÉTÉ

Le football professionnel français dépend toujours très largement des revenus issus des droits audiovisuels. La récente baisse de ces droits appelle toutefois à une diversification des sources de financement des clubs, pour assurer la pérennité du championnat français, tout en veillant à préserver son identité.

DROITS DE DIFFUSION 2023-2024 DES PRINCIPALES LIGUES EUROPÉENNES (M€)

Droits audiovisuels 2023-2024 domestiques et internationaux des championnats de première division, en millions d'euros (source : UEFA)

A. UN MODÈLE DE FINANCEMENT MENACÉ

1. Des droits audiovisuels décevants
a) Un feuilleton sans « happy end »

En 2018-2019, les droits audiovisuels représentaient 35 % des recettes des clubs, mutations comprises, et 48 % hors mutations67(*). Pour certains clubs, la part des droits audiovisuels allait même bien au-delà.

RECETTES (LIGUE 1 + LIGUE 2), M€

Source : DNCG

DISTRIBUTION DES DROITS AUDIOVISUELS EN LIGUE 1 EN 2023-2024, M€

La récente attribution des droits à DAZN et à beIN Sports préfigure une baisse des revenus des clubs français, pour le prochain cycle de cinq saisons.

La LFP a d'abord attribué, le 7 juillet 2024, les droits de la Ligue 2 à beIN Sports, seul candidat à l'appel d'offres, pour 40 M€.

Ces droits étaient associés à une grille de diffusion constituée de trois matchs le samedi à 15 h, le dimanche à 13h et le lundi soir, le reste étant diffusé en multiplex le samedi à 19h. Cette grille a été bouleversée par la suite, après l'attribution des droits de la Ligue 1. Le 31 juillet 2024, la LFP a décidé, à la demande de beIN, de faire passer le multiplex au vendredi à 20h et d'y intégrer le match initialement prévu le dimanche à 13h. La mise en oeuvre de l'assistance vidéo à l'arbitrage (VAR) en Ligue 2 a, par ailleurs, été reportée en conséquence du plan d'économies décidé par la Ligue, du fait de la baisse des revenus audiovisuels.

La décision de reprogrammer les matchs de Ligue 2 a été prise unilatéralement, sans y associer les supporters, informés tardivement, alors que nombre d'entre eux avaient déjà renouvelé leurs abonnements. Ceux-ci ont finalement été reçus par la LFP et par beIN, à l'initiative de la ministre chargée des sports, après le redémarrage du championnat, alors que plusieurs incidents violents avaient eu lieu, notamment lors d'un match Lorient-Grenoble le 24 août 2024. La mission d'information a reçu des représentants des supporters. Pour remédier au défaut de communication constaté, il serait utile de mieux associer les supporters à la gouvernance du football.

S'agissant de la Ligue 1, la négociation s'est faite de gré à gré, suite à un appel d'offres infructueux lancé à l'automne 2023.

Cet appel d'offres a été lancé trop tard, avec des mises à prix trop élevées, s'élevant à 825 M€ au total répartis en cinq lots. Le calendrier et le choix de ces mises à prix (non négociables) sont discutables. Surtout, la procédure d'appel d'offres, telle que prévue par le code du sport, paraît inadaptée. Après la consultation infructueuse lancée en janvier 2021 pour trouver un successeur à Mediapro, cette procédure a, de nouveau, échoué en 2023 à désigner un ou plusieurs titulaires des droits.

Le 14 juillet 2024, sur proposition du collège de Ligue 1, la LFP est entrée en négociations exclusives avec DAZN et beIN Sports pour l'attribution des droits audiovisuels de la Ligue 1. Cette combinaison a été préférée à un projet de chaîne dédiée à la Ligue 1, associée à Warner Bros Discovery, lancé par LFP Media en février 2024. Une première tranche d'investissement, d'un montant de 7,5 M€, avait été approuvée à cette date pour financer l'achat et la configuration de matériels par Mediawan.

Le contrat avec DAZN porte sur huit matchs sur neuf en direct et en exclusivité, le neuvième match étant diffusé en différé, quelques heures après sa diffusion par beIN Sports. Le diffuseur devra acquitter, en contrepartie, 400 M€ en moyenne par saison, mais seulement 350 M€ en 2024-2025 (et 450 M€, en revanche, en 2028-2029). En outre, la production (25 M€) est à la charge de LFP Media. Le montant des droits, hors frais de production, dus par DAZN en 2024-2025 est donc de 325 M€.

L'offre de DAZN a été acceptée par la Ligue à deux conditions :

Ø un renforcement des garanties prévues au contrat, qui a été négocié directement par un groupe de présidents de Ligue 1 auprès d'Access industries, la société du propriétaire de DAZN Len Blavatnik.

Cette garantie renforcée ne constitue toutefois pas une garantie à première demande. Elle laisse donc entière la question des délais de procédure, à mener au Royaume-Uni et aux États-Unis, dans l'hypothèse où elle devrait être mise en oeuvre.

La garantie d'Access Industries (États-Unis) n'est appelable que dans l'hypothèse où la société mère de DAZN (Royaume-Uni) ne paierait pas. Cette garantie porte sur un an glissant de contrat (400 M€) ;

Ø l'insertion d'une clause de sortie au bout de deux ans, qui est, de façon étonnante, une demande des présidents de clubs (et non une contrepartie de la garantie renforcée).

Cette clause de sortie fait peser une incertitude sur le financement futur des clubs, d'autant que le démarrage de DAZN est difficile, en raison de tarifs de lancement élevés (supérieurs à ceux pratiqués précédemment par Amazon) et de la banalisation du piratage.

La clause de sortie est réciproque : chacune des parties, Ligue ou DAZN, peut choisir de sortir du contrat à la fin de la saison 2025-2026, en le notifiant à l'autre partie avant le 15 janvier 2026, si le nombre d'abonnés n'a pas atteint 1,5 million (à un prix d'au moins 20 € par mois).

Quant au contrat avec beIN Sports, il n'était toujours pas signé à la fin du mois d'octobre 2024. La chaîne diffuse pour le moment « gratuitement » son match hebdomadaire - gratuitement pour elle, aucun paiement n'ayant été acquitté, mais pas pour ses abonnés68(*).

beIn Sports achèterait un match en direct par semaine contre 78,5 M€. La chaîne a promis, en outre, 20 M€ de ressources publicitaires. LFP Media est chargée, à ce titre, d'inventorier les espaces disponibles auprès des clubs pour valoriser notamment les marques beIN et Qatar Tourism. Pour les clubs, ces ressources viennent nécessairement se substituer à d'autres.

Ce contrat appelle quatre remarques :

Ø le montant des droits audiovisuels à payer par beIN Sports s'élève à 78,5 M€. Le montant de 20 M€ de ressources publicitaires n'est pas intégré au guide de répartition des droits audiovisuels, qui met en oeuvre la distribution des revenus récurrents selon les principes agréés par la LFP en 2022. Une répartition spécifique doit être définie pour les ressources issues du « sponsoring » ;

Ø cette formule, dans laquelle la commercialisation d'espaces publicitaires passe par LFP Media, et non directement par les clubs, ne permet pas d'exonérer les revenus qui en sont issus du dividende de CVC, qui est calculé sur l'ensemble des revenus commerciaux.

En août, Waldemar Kita, président du FC Nantes, a demandé que CVC renonce à son dividende sur la part « sponsoring », dans le prolongement de son audition au Sénat au cours de laquelle il avait indiqué qu'il faudrait « se mettre autour d'une table avec CVC pour voir comment on pourrait changer certaines choses » 69(*).

Si ces espaces publicitaires étaient commercialisés directement par les clubs, ils ne subiraient en effet pas ce prélèvement ;

Ø la conversion de droits TV en recettes publicitaires sort 20 M€ de l'assiette de la taxe « Buffet » qui n'est due que sur les droits audiovisuels ;

Ø de la même façon, l'enveloppe de 20 M€ échappe théoriquement au prélèvement de la FFF. La LFP s'est toutefois engagée à assurer une part de 2,5 % à la FFF et de 1,09 % à l'UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels).

Au terme de cette négociation, les droits audiovisuels sont en baisse et les charges applicables en hausse, compte tenu notamment du mode de calcul du dividende de CVC, auquel s'ajoute pour la saison en cours 50 % du dividende différé des deux saisons précédentes. En incluant ce rattrapage, le montant total de dividende CVC sur la saison 2024-2025 s'élève à 121 M€.

À date, les droits audiovisuels sont en forte baisse, même si des compléments sont attendus de la finalisation des droits internationaux.

Les droits domestiques s'élèveront, en 2024-2025, à 403,5 M€ (dont 325 M€ de DAZN et 78,5 M€ de beIN Sports), en baisse de 35 %, en partie compensée par l'apport de fonds CVC en juin 2024 (mais seulement pour les clubs les mieux dotés).

À partir de l'an prochain, selon le contrat conclu avec DAZN, les droits domestiques seront plus élevés (453,5 M€). Si l'on suppose un montant de 140 M€ de droits internationaux, la baisse des droits sera de 14 % par rapport au cycle précédent (sans complément issu des fonds de CVC, à l'avenir, puisque la dernière tranche a été versée en juin 2024).

MONTANT DES DROITS AUDIOVISUELS (M€)

 

2023-2024

2024-2025 (provisoire)

Droits domestiques L1

Amazon

beIN/Canal+

Free

Total

250

331

42

623

DAZN

beIN

Total

325

78,5

403,5

Droits domestiques L2

 

39

 

40

Droits internationaux

 

72,5

 

57,870(*)

Total droits audiovisuels

 

734,5

 

501,3

Quant aux charges applicables avant répartition aux clubs, elles passent de 156 M€ en 2023-2024 à 272,5 M€ (+ 74 %). La LFP et LFP Media ont engagé un plan d'économies de 26 M€ (qui porte essentiellement sur LFP Media) pour réduire ces charges.

En conséquence, le solde à répartir entre les clubs diminue de 60 %.

SOLDE À RÉPARTIR ENTRE LES CLUBS (M€)

 

2023-2024

2024-2025

Évolution

Ligue 1

495

189,8

- 62 %

Ligue 2

83,5

39

- 53 %

Total

578,5

228,8

- 60 %

D'autres revenus évoluent, eux, positivement :

- LFP Media a en effet conclu en mars 2024 un accord de nommage de la Ligue 1 avec McDonald's pour 30 M€ par saison de 2024-2025 à 2026-2027, en augmentation de 87 % par rapport au précédent contrat, passé avec Uber Eats.

- Les droits internationaux devraient quasiment doubler et atteindre 140 M€ en moyenne par saison (non complètement confirmés pour le moment).

Pour 2024-2025, la diminution des droits audiovisuels est en partie compensée par la distribution de la troisième tranche de l'apport de CVC. Cette troisième tranche s'élève à 417,5 M€ destinés aux sept clubs les mieux lotis de Ligue 1 (auxquels il faut ajouter 1,5 M€ pour chaque club de Ligue 2 satisfaisant tous les critères). Tous les clubs ne subissent donc pas la baisse des droits audiovisuels de la même façon.

La baisse des droits audiovisuels n'affecte pas seulement les clubs professionnels. Elle aura aussi un impact sur le sport amateur :

Ø d'une part, la baisse des droits audiovisuels affecte le produit de la taxe « Buffet » (art. 302 bis ZE du code général des impôts). Le football contribue en effet à hauteur de 77 % au produit de cette taxe, dont le taux est de 5 % sur les droits de diffusion. Pour mémoire, le produit de cette taxe est affecté à l'Agence nationale du sport, qui est chargée de développer la pratique sportive et de favoriser la haute performance ;

Ø d'autre part, la LFP contribue au financement du football amateur en versant chaque saison à la FFF une contribution à hauteur de 2,5 % des droits audiovisuels (nets de la taxe « Buffet ») et des recettes sur les paris sportifs, avec un minimum garanti de 14 260 000 €.

b) Une gouvernance inefficace

Le résultat de l'attribution des droits audiovisuels est, par conséquent, très éloigné de ce qui était espéré un an plus tôt lors de la formulation de l'appel d'offres, et de ce qui figurait au plan d'affaires de la société commerciale lors de la conclusion du partenariat entre la LFP et CVC.

Sans « refaire le match », le rapporteur souhaite souligner deux points.

(i) Des erreurs ont été commises dans le cadre d'une gouvernance qui connaît de graves dysfonctionnements.

Le 15 juillet 2024, c'est-à-dire le lendemain de la décision du conseil d'administration de la LFP d'entrer en négociations exclusives avec DAZN et beIN, au cours d'une réunion du comité de supervision de LFP Media, les représentants de CVC ont regretté avoir « constaté au cours des derniers jours des manquements graves à la gouvernance et à la transparence des échanges. Nous avons été induits en erreur et nous sommes consternés de la tournure des discussions dont nous avons été témoins dimanche, et des représentations qui ont été faites par certains et qui sont absolument contraires à la réalité des faits et au discours que M. Vincent Labrune nous a tenu jusqu'aux dernières heures précédant les réunions de dimanche ».

Le rapporteur partage cette consternation, au vu des faits rapportés par les représentants de CVC au cours de cette réunion :

« Au cours des 6 derniers mois, Vincent Labrune nous a toujours répété qu'il s'en remettait personnellement complètement à beIN Sports et qu'il remettait son destin entre leurs mains, et a toujours affirmé qu'il avait un deal avec beIN Sports qui ferait une offre de €700m pour l'ensemble des droits domestiques.

« À ce titre, Vincent Labrune a délibérément empêché toute initiative des équipes pour développer des options alternatives (que ce soit sur les droits domestiques et internationaux) afin de ne pas froisser beIN Sports, et ce depuis des mois.

« S'agissant de DAZN notamment, Vincent a toujours refusé de les considérer allant jusqu'à affirmer que beIN Sports ne ferait jamais rien avec eux.

« Hier les présidents ont déploré le manque de transparence dans la gestion du processus d'attribution des droits média et plus généralement, dans la gouvernance, et se sont émus d'avoir été si peu informés et que les solutions émergent si tard. Nous comprenons ce sentiment que nous partageons.

« Nous souhaitons rappeler que si les équipes n'avaient pas pris les initiatives de discussions avec [HBO] Max, et si CVC n'avait pas avec M. Benjamin Morel71(*) et PEAK fait revenir DAZN, aujourd'hui il n'y aurait rien sur la table et en tout état de cause aucun environnement concurrentiel n'aurait été construit.

(...)

« Jusqu'aux dernières heures, Vincent Labrune nous a affirmé, par écrit même, que l'offre de 100 millions de beIN Sports était inacceptable et qu'elle n'avait aucun sens en vue de la réussite du deal DAZN, et qu'il affirmerait pendant le collège l'impérieuse nécessité de privilégier une offre où l'ensemble des matchs seraient sur la même plateforme.

« Lors du Collège, à notre grande surprise Vincent Labrune n'a rien dit de tout cela et s'est contenté de remercier beIN Sports.

« Il nous avait été dit que si DAZN était retenu, un processus transparent et compétitif serait conduit pour le package B entre beIN Sports, C+ et Amazon afin de faire émerger la meilleure offre possible.

« Or pendant le Collège il a été recommandé d'accepter l'offre de beIN Sports alors même qu'elle est incompatible avec la proposition de DAZN. Décider une exclusivité avec beIN Sports, et rendre publique cette décision, est une faute de gestion contraire aux intérêts de la LFP Media. 

« Nous regrettons les très nombreux conflits d'intérêts évidents et les intimidations répétées pendant ces échanges.

« Il nous semble que les intérêts de la Ligue sont mis à mal par des initiatives politiques ou conflits d'intérêts que certains clubs ne perçoivent pas ou mal. »

Outre les questions évidentes posées par les interférences du président de la LFP dans l'activité de LFP Media, on note ici au passage la présence inattendue d'un intermédiaire dans la négociation avec DAZN (PEAK). Alors que la création d'une filiale avait pour objet même de professionnaliser la gestion des droits, il semble que cet aspect du partenariat soit encore perfectible.

(ii) Une gestion insatisfaisante des conflits d'intérêts

Le propos rapporté ci-dessus met en évidence les effets délétères des conflits d'intérêts dans la gestion de la LFP.

Concrètement, la présence du président du Paris Saint-Germain, également président de beIN Media Group, et de l'association européenne des clubs (ECA) est un problème dans l'exercice par LFP Media de son activité et pour la transparence et l'efficience du processus décisionnel de la LFP.

La présence du président de beIN Media Group, lors du conseil d'administration du 14 juillet 2024, qui a décidé l'entrée en négociations exclusives avec DAZN et beIN Sports France, est pour le moins surprenante.

Le rôle joué par Nasser Al-Khelaïfi pose question dans le contexte de l'acceptation d'une offre de beIN Sports, peu compatible avec celle de DAZN, de la gestion du conflit qui en découle avec beIN, du non-paiement des matchs par ce diffuseur ou encore de la modification de la grille horaire de la Ligue 2 qui n'est plus celle qui était prévue par l'appel d'offres.

L'entrée en négociations exclusives avec beIN Sports, le 14 juillet dernier, offrait à LFP Media peu de leviers de négociation, alors même que de nombreux points restaient à clarifier. Cette situation est d'autant plus dommageable qu'un autre diffuseur a manifesté cet été un intérêt pour le neuvième match.

Sollicité par la mission d'information, Nasser Al-Khelaïfi n'a pas donné suite à la demande d'audition qui lui a été adressée.

2. Des débuts difficiles sous la pression du piratage

Ce qui a été exposé précédemment montre que la question des droits audiovisuels pour la période 2024-2029 est loin d'être réglée.

a) Une négociation qui joue les prolongations

La négociation avec beIN Sports sur les droits de la Ligue 1 se prolonge de façon préoccupante.

Tandis que les négociations avec DAZN ont progressé rapidement au cours de l'été, les échanges avec beIN n'ont toujours pas permis de finaliser le contrat. Un premier versement de 70 M€ a été effectué par DAZN en août, pendant que beIN diffuse toujours ses matchs sans être parvenu à un accord avec la LFP. Le préjudice se prolonge pour les clubs, alors que DAZN doit procéder prochainement à un second versement. En août 2024, ce préjudice a représenté entre 15 et 20 M€ manquants lors de la répartition de droits aux clubs. En outre, beIN Sports devait alors encore 36 M€ à LFP Media sur les droits audiovisuels du cycle précédent.

LFP Media a, aujourd'hui, d'autant moins de leviers de négociation que la retransmission des matchs se poursuit.

Le partenariat avec beIN Sports est contesté par certains clubs, notamment par le directeur général de l'Olympique lyonnais qui le considère comme « nul et non avenu », d'après un courrier publié récemment dans la presse. Le volet publicitaire pose de nombreuses questions juridiques et donne une mainmise aux marques qataries sur le sponsoring de LFP Media.

b) Des diffuseurs confrontés à la banalisation du piratage

D'autre part, DAZN connaît un début de saison difficile.

L'objectif de 1,5 million d'abonnés paraît ambitieux, compte tenu d'un tarif de lancement plus élevé que celui pratiqué par Amazon, ce qui a engendré une publicité négative sur les réseaux sociaux lors du redémarrage du championnat.

L'offre commerciale évolutive de DAZN a pu dérouter les consommateurs : 30 €/mois ou 25 €/mois avec engagement, ramenés ensuite à 20 €/mois, 30 €/mois pour deux connexions, 15 €/mois pour un match par journée... Cette question du tarif d'abonnement a malheureusement été éludée par la Ligue, qui s'est concentrée, dans ses négociations, sur le montant des droits. Or le prix de l'abonnement est un paramètre essentiel pour la visibilité du championnat et sa viabilité financière à long terme.

DAZN est une plateforme digitale avant d'être un diffuseur. Son approche est la suivante : la plateforme souhaite construire un nouvel écosystème rassemblant des communautés de fans autour d'un ensemble de produits payants et gratuits accessibles depuis une application. Ce modèle, qui mise sur la proximité et sur la jeunesse, rompt avec l'approche linéaire afin de multiplier les interactions avec les abonnés et d'ancrer ainsi une relation de long terme. La possibilité de s'abonner pour un match par journée laisse la possibilité aux fans de suivre une équipe en particulier sans payer pour la totalité des matchs, ce qui répond à une demande forte.

La demande des clubs d'insérer une clause de sortie au bout de deux ans est difficilement compréhensible. Les contrats de DAZN et beIN risquent ainsi d'être désynchronisés, reportant la perspective d'avoir enfin un diffuseur unique pour la Ligue 1.

Les clubs doivent désormais prendre en compte la sortie éventuelle de DAZN au bout de deux ans dans les décisions qu'ils prennent sur le plan budgétaire. Ils doivent aussi tout mettre en oeuvre pour écarter cette hypothèse et construire une relation de long terme avec leurs diffuseurs, afin de créer une spirale vertueuse. Les changements réguliers de diffuseur ont des effets déstabilisateurs.

Surtout, pour les clubs, comme pour les diffuseurs, l'une des principales sources d'inquiétude est la progression du piratage, qui représente une menace existentielle sur le financement du sport professionnel, particulièrement celui du football, et sur le rendement de la taxe « Buffet ».

L'ampleur du piratage est confirmée par une étude publiée par l'Arcom en avril 2024, d'après laquelle 35 % des Français ont recours à un VPN ou à un DNS alternatif72(*). 46 % des utilisateurs de VPN et 54 % des utilisateurs de DNS alternatifs sont des consommateurs illégaux de biens dématérialisés. Au total, 24 % de la population internaute française déclare avoir consommé au moins un contenu de manière illégale au cours de l'année qui a précédé cette étude. La première raison invoquée par ces internautes est relative au prix des abonnements, jugé trop élevé. Les détenteurs de VPN payants ont un abonnement qui s'élève à 4 € ou 5 € par mois en moyenne...

À l'initiative du Sénat, la loi du 25 octobre 202173(*) a introduit aux articles L. 333-10 et L. 333-11 du code du sport un dispositif de protection des droits sportifs dont la mise en oeuvre est confiée à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), en collaboration avec les fournisseurs d'accès à internet (FAI). La loi donne à l'Arcom la possibilité de bloquer les sites retransmettant illégalement des événements sportifs, sur le fondement d'une ordonnance du président du tribunal judiciaire. Depuis 2022, près de 5 000 sites sportifs illicites ont ainsi été bloqués à l'initiative de l'Arcom. L'audience illicite globale a baissé de 27 % entre 2021 et 2023.

L'Arcom est, toutefois, confrontée au développement de nouveaux modes de diffusion tels que la télévision par internet (IPTV), la diffusion de contenus via les réseaux sociaux et, plus généralement la pratique du « live-streaming ».

L'Arcom est, en outre, confrontée au défi de traiter en temps réel les demandes de blocage, afin d'assurer l'efficacité de son action, avec des moyens limités. C'est pourquoi une adaptation des dispositifs existants est nécessaire.

Il s'agit :

Ø de responsabiliser les acteurs, grâce à la création d'un délit de piratage dans le domaine sportif ;

Ø de permettre le blocage des sites en temps réel par des acteurs externes à l'Arcom, sous le contrôle de celle-ci ;

Ø et d'inciter les fournisseurs de VPN et de DNS alternatifs à bloquer les contenus pirates de façon volontaire.

Plusieurs pays européens ont mis en oeuvre des dispositifs s'inspirant de ces principes. La Commission européenne a publié une recommandation74(*), également en ce sens. Elle préconise de permettre aux titulaires de droits de transmission en direct de manifestations sportives de demander des injonctions qui puissent être étendues à des services qui n'étaient pas identifiés au moment de la demande d'injonction, lorsqu'ils concernent la même manifestation sportive. La Commission européenne invite aussi les États membres à favoriser la coopération volontaire avec les fournisseurs de services intermédiaires ainsi que des prestataires de services de publicité (dont les moteurs de recherche) et de paiement, afin qu'ils ne facilitent pas ce type d'activités illicites.

Les dispositions du code du sport, en matière de piratage, doivent être modifiées en coordination avec la loi du 2 mars 2022 qui a donné la possibilité aux ligues professionnelles de confier la gestion et la commercialisation des droits audiovisuels à une société commerciale.

B. LE FOOTBALL AU DÉFI DE RECONFIGURER SON MODÈLE DE FINANCEMENT

1. Le sport à l'ère du divertissement

Source : Statista (au 23 juillet 2024)

La Ligue 1 n'est pas la seule concernée en Europe par le recul des droits audiovisuels, même si les deux plus grandes ligues européennes sont épargnées. La Premier League, surtout, est mondialement connue et suivie, à l'image des sports professionnels américains. Mais les autres ligues rencontrent des difficultés. Le championnat italien (Série A) a du mal à vendre ses droits internationaux. Il n'a pas encore trouvé de diffuseur en France pour la saison qui a démarré.

Les consommateurs, notamment les jeunes, sont de moins en moins enclins à payer plus cher pour le football que pour la musique (Spotify, Deezer...) ou les séries TV (Netflix...). L'offre audiovisuelle dans le domaine sportif doit être considérée dans le contexte d'une offre de divertissement croissante sur des supports numériques diversifiés. La notion de « télévision » (et donc de « droits TV ») s'est profondément transformée.

Le football, trop souvent associé à une actualité connotée négativement, n'a pas su prendre le tournant du « storytelling ». De nombreux sports ont créé une offre audiovisuelle attractive, avec un narratif fort et positif couplé à des séries TV sous forme de documentaires dramatisés, par exemple dans la Formule 1 ou dans le cyclisme.

Depuis cette année, les ligues nationales subissent la concurrence accrue de compétitions européennes qui ont été transformées et occupent de plus en plus le devant de la scène médiatique, du moins tant que les équipes nationales y sont présentes et performantes.

Face à la diminution de leur principale source de revenus, les clubs sont poussés à investir pour développer de nouvelles sources de financement.

C'est précisément ce à quoi les fonds de CVC auraient dû être alloués de manière plus explicite et plus massive.

Le match hebdomadaire n'est qu'un moment dans la relation du club avec sa communauté de fans et de supporters. Cette relation ne se résume pas à une victoire ou à une défaite. D'autres activités peuvent être envisagées, autour des matchs, dans une logique de développement de l'entertainment.

Pour parvenir à cette diversification nécessaire des ressources, plusieurs objectifs peuvent être poursuivis :

- le développement des infrastructures et l'optimisation des recettes qui en sont tirées. C'est l'un des axes principaux du projet LaLiga Impulso en Espagne, dans lequel les clubs ont reçu de CVC des fonds qu'ils doivent affecter spécifiquement au développement de leurs infrastructures. En France, cet axe de développement se heurte toutefois au nombre limité de clubs propriétaires de leur stade.

Alors que de nombreux grands clubs européens sont propriétaires de leur stade, ce n'est pas le cas du Paris Saint-Germain, qui a un bail emphytéotique, régulièrement source de tensions avec la ville de Paris. Avec l'AJ Auxerre, l'Olympique lyonnais fait figure d'exception en Ligue 1, depuis qu'il est devenu propriétaire du Groupama Stadium. Alors qu'en Angleterre, une forte majorité de clubs sont propriétaires de leurs enceintes, la plupart des équipes françaises les louent auprès des collectivités locales ou de bailleurs privés ;

- l'amélioration de l'expérience au stade, grâce au développement des services, de l'accueil, des activités, de l'événementiel, mais aussi en développant les hospitalités, les visites de stades, les offres touristiques globales, etc. Des marges existent pour accroître les recettes ;

- le développement des recettes commerciales issues du sponsoring, des partenariats, des produits dérivés ;

- l'investissement dans le digital, sites internet et réseaux sociaux, avec des contenus améliorés pour consolider la base de fans au plan local, mais aussi à l'international ;

- plus généralement, l'amélioration de l'image du football est une condition indispensable à son développement. Cela implique des actions de responsabilité sociale et environnementale, des initiatives locales, ou encore en direction des familles.

Lutter contre la violence, le racisme et les discriminations, promouvoir les valeurs sportives doit devenir les piliers d'une stratégie pour améliorer l'image du football, développer l'intérêt du grand public et restaurer la confiance des partenaires et investisseurs potentiels.

2. Un football moins coûteux est-il possible ?

Depuis les années 1980, et surtout les années 1990, après l'arrêt « Bosman » qui a mis fin aux quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens, la croissance des salaires des footballeurs semble ne pas connaître de limite. Les écarts sont importants entre joueurs, avec des salaires qui sont montés en France jusqu'à 6 M€ mensuels en 2024 pour Kylian Mbappé, d'après L'Équipe. Néanmoins, 45 % des joueurs professionnels dans le monde gagnent moins de 1000 dollars par mois75(*).

Le modèle français est particulièrement dépendant des transferts de joueurs, qui permettent de renflouer les comptes des clubs chaque année. En 2022-2023, le résultat des mutations représentait 620 M€ dans les comptes des clubs de L1, soit 21 % de leurs produits. L'excellence des centres de formation français profite ainsi aux plus grands championnats européens. L'Ile-de-France constitue aujourd'hui avec la région de Sao Paulo au Brésil le plus grand bassin de jeunes footballeurs de talent.

D'après Cyril Linette, « Le football français n'a pas le choix. D'ici quelques années, il devra avoir bâti un projet moins coûteux et surtout moins dépendant des droits TV et des transferts de joueurs, dont il dépend à 80 %, voire à 90 %. Il doit le faire le plus rapidement possible, sous peine de marginalisation - j'insiste sur ce point - face aux grandes ligues européennes, qui, contrairement aux idées répandues, ont déjà commencé ce travail d'assainissement, à l'image de la Liga, en Espagne, qui contrôle la masse salariale de ses clubs et flèche intelligemment l'argent versé par CVC. L'Allemagne et l'Angleterre ont, de même, commencé à modérer les montants des transferts »76(*).

La Liga espagnole communique deux fois par an sur les plafonds de masse salariale imposés aux clubs (en valeur absolue), avec des écarts considérables entre les clubs (de 755 M€ pour le Real Madrid à 2,5 M€ pour Séville en septembre 2024).

En France, la DNCG met en oeuvre, depuis 2022, un ratio de masse salariale de 70 %, examiné conjointement avec un ratio de fonds propres, afin d'évaluer la viabilité financière des clubs.

Le ratio de masse salariale

L'article 11 du règlement de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) énonce que le contrôle de la situation financière des clubs s'exerce notamment au regard de deux indicateurs : un ratio de fonds propres et un ratio de masse salariale.

L'examen du ratio de masse salariale consiste à vérifier que la part de la rémunération du personnel et des indemnités de mutations de joueurs n'excède pas 70 % des recettes.

En cas de dépassement, pour ne pas encourir de sanctions, il est vérifié que les fonds propres permettent de couvrir la part excédant 70 % et que l'indicateur de fonds propres est respecté c'est-à-dire que les fonds propres ne sont pas inférieurs au passif.

Le ratio de masse salariale est calculé ainsi :

- au numérateur : rémunération des joueurs professionnels et de l'entraîneur principal, amortissement des indemnités de mutations de joueurs et honoraires d'intermédiaires sportifs ;

- au dénominateur : produits d'exploitation et plus-values sur mutations de joueurs.

En 2022, les salaires des joueurs des clubs de première division en Europe ont progressé de 4,7 % par rapport à 2021 et de 13 % par rapport à 2019. En moyenne, ils ont absorbé 54 % des recettes totales des clubs. L'UEFA désigne la France parmi les quatre « mauvais élèves » en Europe, indiquant que « en moyenne, les salaires des joueurs des clubs belges, français, italiens et turcs ont absorbé entre 68 % et 77 % des recettes totales. En comparaison, la moyenne des clubs danois, russes, suédois et suisses était inférieure à 40 % »77(*).

En 2023, toutefois, la croissance des salaires des joueurs serait inférieure à 1 % en Europe, en net ralentissement. Les clubs s'efforceraient de se conformer aux nouvelles règles édictées par l'UEFA. Celle-ci a défini un « ratio des frais liés à l'équipe » pour les clubs dont les frais de personnel sont supérieurs à 30 M€. Ce ratio est fixé au maximum à 70 %78(*) avec une mise en oeuvre progressive.

Un renforcement de cet encadrement est nécessaire, afin de préserver l'équité des compétitions et la viabilité financière des clubs. Les honoraires des agents doivent également être mieux encadrés et contrôlés.

Ce modèle économique subira les effets de l'arrêt79(*) récent de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire « Diarra », qui impose de revoir les règles des transferts. La CJUE a en effet jugé que les règles de la FIFA, association de droit privé, entravent la liberté de circulation des footballeurs professionnels et restreignent la concurrence transfrontalière entre les clubs. La Cour ne rejette pas la possibilité pour la FIFA d'établir des règles destinées à assurer la régularité des compétitions en maintenant un certain degré de stabilité dans les effectifs, mais seulement à condition d'avoir démontré la nécessité et la proportionnalité des mesures prises.

La mise en oeuvre de cet arrêt facilitera vraisemblablement les changements de club et entraînera une plus grande mobilité des joueurs, avec des effets économiques dont seul l'avenir dira s'ils sont comparables à ceux qu'avait eu, en son temps, l'arrêt « Bosman ».

Les conséquences en seront d'autant plus grandes, pour les clubs français, que les transferts de joueurs jouent un rôle essentiel dans leur équilibre financier. Une vigilance particulière s'impose donc quant à la façon dont cette jurisprudence sera mise en oeuvre.

C. UN MODÈLE EUROPÉEN MENACÉ ?

Les difficultés financières des clubs, accentuées par la baisse des droits audiovisuels, risquent de les inciter à se tourner, davantage encore qu'aujourd'hui vers de nouveaux investisseurs, au risque d'une perte d'identité. Or les clubs de football participent à la vitalité des territoires. Ils doivent rester au centre d'un écosystème avant tout local, plutôt que mondialisé. Cet impératif doit être concilié avec la nécessité de trouver des capitaux pour se développer à long terme.

1. Une vague d'investissements étrangers

En 2023, 37 des 96 clubs des ligues majeures de football européennes sont adossés à des investisseurs privés80(*), soit plus d'un tiers.

C'est le cas de :

Ø 13 clubs de Premier League (Angleterre) ;

Ø 8 clubs de Ligue 1 ;

Ø 8 clubs de Liga (Espagne) ;

Ø 7 clubs de Série A (Italie) ;

Ø 1 seul club allemand, le RB Leipzig, qui appartient à Red Bull. La règle « 50 + 1 », appliquée en Bundesliga, empêche en effet les investisseurs privés de prendre le contrôle d'un club.

La règle « 50+ 1 »

La règle dite du « 50 + 1 » en Bundesliga stipule que l'association initiale, à laquelle un club est adossé, doit détenir au moins 50 % des votes plus une voix, assurant ainsi le contrôle majoritaire des décisions par les supporters. Cela empêche les investisseurs privés de prendre le contrôle total d'un club. La règle vise à préserver l'identité des clubs. Elle comporte des exceptions lorsqu'une personne ou une société a investi régulièrement dans un club pendant une période continue d'au moins vingt ans (c'est le cas pour le Bayer Leverkusen et le VfL Wolfsburg).

Le RB Leipzig a pu s'adosser à l'entreprise Red Bull, en adaptant la règle afin de permettre à l'investisseur de disposer d'une influence substantielle sur la gestion du club.

Les fonds liés à des États manifestent un fort intérêt pour le football européen, vecteur de softpower : non seulement le Qatar (PSG), mais aussi l'Arabie saoudite (Newcastle) ou encore les Émirats arabes unis (Manchester City). Des investisseurs chinois sont également présents (Auxerre).

En Ligue 1, des investisseurs étrangers ont fait plusieurs acquisitions majeures au cours des années récentes, en particulier des investisseurs provenant des États-Unis : à Lyon (Eagle football Group) - seul club français coté en bourse - mais aussi à Marseille (Franck McCourt), Le Havre (Vincent Volpe), Toulouse (Redbird capital partners) ou encore, de façon minoritaire, au PSG (Arctos Partners).

Sept clubs de Ligue 1 appartiennent néanmoins toujours à un actionnaire français. Plusieurs d'entre eux ont fait part de leur inquiétude à la mission d'information, s'agissant de l'arrivée des fonds d'investissement. Laurent Nicollin, président et propriétaire du club de Montpellier, a notamment déclaré :

« Je pense que c'est le sens de l'histoire, mais ce n'est pas mon football, et cela fait déjà un bon moment que je me sens en décalage (...). Je résiste encore, à Montpellier, mais je ne sais pas pour combien de temps. On nous pousse à vendre et je comprends que certains vendent, comme cela a été le cas à Strasbourg. De notre côté, nous tenons, avec mon frère, bien que nous ayons perdu près de 30 millions d'euros depuis 2020. Nous verrons combien de temps nous pouvons continuer. Compte tenu de la situation des droits de télévision et s'il faut mettre 20 millions d'euros chaque année, nous n'aurons pas la structure pour tenir... »81(*)

D'après l'UEFA, en 2023, 23 clubs européens ont changé d'actionnaire majoritaire, dont 15 rachats par des investisseurs étrangers et 8 rachats nationaux. Les investisseurs américains sont particulièrement actifs en Europe. Sept des quinze rachats étrangers de clubs européens en 2023 leur sont imputables. Les Américains prennent également des participations minoritaires, comme l'illustre l'acquisition par le fonds Arctos de 12,5 % du Paris Saint-Germain en 2023.

Un volume record de transactions a été enregistré après la pandémie, soutenu par l'accès à des dettes peu coûteuses et par les pertes financières subies par les clubs. Cette vague d'investissement ralentit désormais, dans les premières divisions du football professionnel européen, en raison d'une perception plus aiguë des risques de la part des investisseurs, notamment du fait de la stagnation des droits audiovisuels. Les investisseurs se tournent vers les ligues 2 ou vers des prises de participation minoritaire.

S'agissant plus spécifiquement des fonds d'investissement, ceux-ci se sont tournés de façon croissante depuis vingt ans vers le secteur sportif, comme cela a été mentionné précédemment, à propos de CVC. Ce mouvement a suivi le déplacement de la valeur économique de la distribution vers les contenus, grâce à l'évolution technologique. Le fonds Silver Lake dispose, par exemple d'une participation minoritaire dans le City football group, qui est le modèle pionnier et emblématique de la multipropriété. Il avait auparavant investi dans des agences du secteur sportif (Endeavor, IMG).

Si les comptes d'exploitation des clubs de football professionnels peuvent inquiéter les fonds, ils restent néanmoins une valeur sûre, à la revente, du fait de leur rareté et même de leur unicité.

Par ailleurs, les clubs drainent des milliers, voire des millions de fans, et des quantités considérables de données qui sont également sources de valeur économique.

Si les fonds étrangers sont de plus en plus présents, c'est aussi en raison du faible engagement des investisseurs nationaux et des grandes entreprises françaises, en termes de participation au capital, mais aussi de sponsoring des clubs. En comparaison, les grandes entreprises allemandes investissent beaucoup plus dans les clubs, malgré la règle du 50+ 1, et sont surtout très présentes dans le cadre de partenariats (Audi, Deutsche Telekom, Volkswagen...).

L'annonce du rachat du Paris FC par la holding de Bernard Arnault (en partenariat avec Red Bull), est, à cet égard, une évolution positive à souligner.

2. L'essor de la multipropriété

La percée des gros investisseurs étrangers coïncide, logiquement, avec le développement de la multipropriété.

La mission d'information a auditionné plusieurs dirigeants de clubs confrontés à cette problématique :

- le Red Star, qui vient d'accéder à la Ligue 2, était détenu par le fonds américain 777 Partners depuis 2022. 777 Partners est également propriétaire de plusieurs clubs européens dont Gênes, Séville FC et le Standard de Liège. La faillite récente de ce fonds d'investissement, objet de nombreuses plaintes devant la justice américaine, illustre les risques encourus. Elle a fait passer le Red Star sous le contrôle d'une société d'assurances américaine, créancière du fonds d'investissement, actuellement en négociation avec un repreneur américain pour le club ;

- le RC Strasbourg, qui évolue en Ligue 1, appartient à BlueCo depuis 2023. BlueCo est le consortium formé en 2022 pour racheter le club anglais de Chelsea ;

- l'Estac de Troyes, club de Ligue 2, appartient au City football group, qui possède différents clubs liés à Manchester City, notamment le FC Gérone en Espagne. Gérone, comme Manchester City, jouent en Ligue des champions, ce qui pose question en termes d'équité sportive. Le rôle d'un club de Ligue 2 français dans cette « galaxie » mondiale du football est sujet à interrogations ;

- le Toulouse FC a été racheté par le fonds Redbird à l'été 2020, avec succès sur le plan sportif (accession en Ligue 1 et victoire en Coupe de France). Ce succès est parfois attribué à une utilisation particulièrement fine de la data, selon des méthodes éprouvées dans les ligues sportives professionnelles américaines. Redbird possède également le Milan AC depuis août 2022.

Ces clubs ont donc en commun d'évoluer au sein de groupes possédant d'autres clubs, dont certains sont majeurs en Europe. Cette situation illustre une tendance lourde puisque, d'après l'UEFA, 105 clubs européens de première division, soit 13 % de tous les clubs, entretiennent des relations de propriété croisée avec un ou plusieurs autres clubs. En France, 10 clubs de Ligue 1 sont intégrés dans des structures d'investissement multi-clubs, soit la majorité, ainsi que 7 clubs de Ligue 2.

Dans le monde, 230 clubs font partie d'une structure d'investissement multi-clubs, contre moins de 100 il y a cinq ans et moins de 40 en 2012. Ce qui était autrefois l'exception est presque devenu la norme. Disposer de plusieurs clubs permet en effet de créer des synergies, d'avoir une masse critique de ressources et de mutualiser les risques économiques et sportifs.

Les supporters des clubs précités sont généralement inquiets pour l'indépendance, l'identité et la compétitivité de leur club. Certains clubs pourraient, de fait, être privés de toute perspective d'accès aux compétitions européennes. La multipropriété fait craindre que les ressources des clubs « filiales » soient mises au service de plus gros compétiteurs. La constitution d'équipes de clubs constituerait une transformation profonde pour le football européen. De fait, les clubs français sont rarement leaders dans leur groupe multipropriétaire. Le risque est qu'ils soient considérés comme l'antichambre d'équipes premières concentrant l'essentiel des efforts au sein du groupe, au risque de compromettre leurs résultats sportifs. Cette situation peut aussi engendrer des distorsions sur le marché des transferts, du fait de transferts au sein de groupes multipropriétaires.

Ce modèle est difficilement compatible avec celui d'un football ancré dans les territoires. Il pourrait compromettre l'intégrité des compétitions et favoriser l'émergence de superligues, plus fermées que les ligues actuelles, ce qui mettrait en péril le modèle sportif européen.

Plusieurs situations doivent être distinguées : « la multipropriété de clubs est définie comme une situation dans laquelle une partie exerce le contrôle et/ou une influence décisive sur plusieurs clubs de football, tandis que l'investissement multi-clubs se réfère à une situation dans laquelle une partie a un intérêt financier dans plusieurs clubs (sans exercer ni contrôle ni influence » (UEFA). »

En France, l'article L. 122-7 du code du sport interdit à une même personne privée de contrôler de manière exclusive ou conjointe plusieurs sociétés sportives d'une même discipline, ou d'exercer sur elles une influence notable (sauf s'il s'agit de deux sociétés sportives gérant respectivement les activités sportives féminines et masculines). Cette interdiction se limite au territoire national et n'interdit donc pas la multipropriété de sociétés sportives, dès lors que seule l'une d'entre elles est rattachée au territoire national.

Au niveau européen, l'UEFA a également établi des règles afin d'assurer l'intégrité de ses compétitions (article 5 du règlement de l'UEFA Champions League). Elle interdit qu'une même entité contrôle directement ou indirectement deux clubs participants. Les clubs doivent donc, pour pouvoir participer à une même compétition, prouver qu'ils sont indépendants les uns des autres ou modifier leur organisation pour atteindre cet objectif.

Les décisions prises par l'UEFA sont pragmatiques. De fait, l'accès de certains clubs français aux coupes d'Europe pourrait être menacé par une application trop stricte de l'article 5 précité.

À l'été 2023, l'UEFA a admis six clubs, dont l'AC Milan et le Toulouse FC, dans ses compétitions pour la saison 2023-2024, « à la suite de la mise en place de changements significatifs par les clubs et leurs investisseurs », concernant la structure de propriété, de gouvernance et de financement des clubs concernés. Les clubs ont aussi accepté de ne pas transférer de joueurs entre eux jusqu'en septembre 2024, de ne conclure aucun accord de coopération et de n'utiliser aucune base de données commune concernant le recrutement ou les joueurs. À l'été 2024, de la même façon, l'UEFA a autorisé l'OGC Nice et Manchester United (Ineos) à participer à une même compétition. Elle a également validé la participation de Manchester City et de Gérone à la Ligue des champions, toujours en raison des « changements significatifs » mis en place par leurs investisseurs. Les deux propriétaires ont transféré leurs parts dans le FC Gérone et l'OGC Nice à deux fonds fiduciaires sans droit de regard, établis sous la supervision de l'Instance de contrôle financier des clubs (ICFC), pour ne conserver le contrôle direct que de Manchester City et de Manchester United.

Préserver le modèle sportif européen implique de continuer à travailler avec l'UEFA et la FIFA à la mise en place d'un cadre de règles adaptées.

3E PARTIE : LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
POUR UN RENFORCEMENT DE LA RÉGULATION

À l'issue de six mois de travaux et après avoir auditionné une soixantaine d'acteurs, la mission d'information, dotée de pouvoirs d'enquête, sur la financiarisation du football formule 35 recommandations en vue d'améliorer la gouvernance et de renforcer la régulation du football professionnel français.

I. CONSOLIDER L'EXERCICE DES MISSIONS RÉGALIENNES DANS LA GESTION DU SPORT PROFESSIONNEL

A. CLARIFIER ET MIEUX CONTRÔLER LA SUBDÉLÉGATION DONT BÉNÉFICIENT LES LIGUES PROFESSIONNELLES

Recommandation n° 1 : Préciser dans le code du sport que les ligues professionnelles exercent une subdélégation de service public dans l'ensemble de leurs domaines de compétence, y compris la gestion et la commercialisation des droits sportifs qui doit s'inscrire dans le cadre du respect de l'intérêt général de la discipline et du principe de solidarité.

Le code du sport prévoit que les ligues professionnelles bénéficient d'une subdélégation de la part des fédérations sportives délégataires dans le cadre d'une convention d'une durée maximale de cinq ans. Cette subdélégation porte sur les prérogatives de la fédération en matière de représentation, de gestion et de coordination des activités sportives à caractère professionnel (article L. 132-1).

Par ailleurs, les droits d'exploitation des manifestations et compétitions appartiennent aux fédérations. Les droits audiovisuels peuvent être cédés aux clubs (article L 333-1), ce qu'a fait la Fédération française de football (FFF) par décision de son assemblée fédérale le 10 juillet 2004. Les droits cédés sont commercialisés par la ligue en vertu du monopole prévu par l'article L. 333-2 du code du sport.

Par conséquent, s'agissant des droits audiovisuels, la LFP assure la gestion et la commercialisation de droits qui appartiennent aux clubs, ce qui peut faire naître une ambiguïté quant à la nature de cette activité. Il est nécessaire de lever cette ambiguïté.

Recommandation n° 2 : Imposer aux ligues professionnelles l'obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de leur subdélégation à la fédération et à l'État dans le cadre d'un rapport annuel.

Il n'existe actuellement pas d'obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de la délégation ou de la subdélégation dans le cadre de rapports portant sur leur exécution.

Depuis 2017, l'État et les fédérations ont travaillé à faire évoluer leur relation de tutelle en relation contractuelle. De nouvelles dispositions législatives82(*) et réglementaires83(*) ont mis en place un cadre contractuel rénové. Ce cadre a abouti à reconnaitre à 86 fédérations la capacité à exercer des prérogatives de puissance publique dans le cadre de contrats de délégation. Ces contrats stipulent qu'un bilan d'exécution doit être réalisé chaque année. Il n'existe toutefois pas de contrôle direct du ministère des sports sur les ligues professionnelles.

Dans un souci de responsabilité et de transparence, une obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de la subdélégation doit être instituée.

Recommandation n° 3 : Consacrer au niveau législatif le pouvoir de contrôle et de réforme par la fédération des actes de la ligue professionnelle et prévoir la possibilité pour la fédération et pour l'État de retirer à tout moment tout ou partie de la subdélégation en cas de non-respect de la convention liant la ligue à la fédération ou de manquement à l'intérêt général de la discipline.

L'article R. 132-15 du code du sport dispose que l'instance dirigeante de la fédération peut réformer les décisions de la ligue professionnelle qui seraient contraires aux statuts ou aux règlements de la fédération.

Le Conseil d'État a consacré en 2016 ce pouvoir de réforme à l'occasion d'un contentieux entre la FFF et la LFP84(*). Alors que la LFP avait décidé de réduire de trois à deux le nombre de clubs accédants de la Ligue 2 à la Ligue 1 ou descendant de la Ligue 1 à la Ligue 2, le comité exécutif de la FFF a réformé cette décision au motif qu'elle était contraire à l'intérêt supérieur du football. Le Conseil d'État a jugé que, lorsqu'elle crée une ligue professionnelle, une fédération doit s'assurer que celle-ci fait usage des pouvoirs qui lui sont délégués dans le respect des statuts de la fédération et de l'intérêt général de la discipline. Il revient donc à la fédération de réformer les décisions de la ligue qui seraient contraires aux statuts de la fédération ou qui porteraient atteinte aux intérêts généraux de la discipline dont celle-ci a la charge.

Dans le prolongement de cette décision, il convient de prévoir la possibilité pour la fédération de retirer tout ou partie de la subdélégation. Un rapport85(*) du conseiller d'État Rémy Schwartz suggère de prévoir que la convention de subdélégation puisse être résiliée en cas de manquement grave, après mise en oeuvre d'une communication préalable des griefs et saisine d'une instance de conciliation.

Recommandation n° 4 : Clarifier les relations fédération-ligue : harmoniser les durées de la délégation (4 ans) et de la subdélégation (5 ans), prévoir l'intervention du ministre chargé des sports pour résoudre les conflits éventuels entre une fédération et une ligue, procéder aux adaptations juridiques nécessaires au développement du sport professionnel féminin.

Le code du sport prévoit que la durée de la convention de subdélégation est, au maximum, de cinq ans. Cette durée n'est pas cohérente avec celle des délégations qui sont accordées par le ministère des sports pour une durée de quatre ans, à compter du 1er janvier de la deuxième année qui suit celle des Jeux olympiques ou paralympiques (article R. 131-26-2). Une mise en cohérence est nécessaire.

Les fédérations et les ligues exercent certaines compétences en coordination (compétences partagées). Le ministère chargé des sports doit pouvoir intervenir pour surmonter un désaccord entre fédération et ligue dans le cadre de la conclusion du contrat de subdélégation86(*). Des différends existent, dans les faits, sur le contenu de la convention de subdélégation et son protocole financier dans certaines disciplines. Le ministère n'a pas aujourd'hui la capacité de régler ces différends.

Le code du sport est imprécis concernant le statut du sport féminin, dont le développement subira indirectement les conséquences de la baisse des droits perçus par le football masculin. Doivent notamment être étudiées dans ce cadre :

Ø la possibilité pour une fédération de créer deux ligues professionnelles (masculine et féminine) dotées de la personnalité juridique, disposant éventuellement de filiales commerciales pour la gestion et la commercialisation des droits ;

Ø la possibilité de créer, avec le même numéro d'affiliation, une structure féminine à part éventuellement financée par des investisseurs extérieurs.

B. RENFORCER LE CONTRÔLE ET LE SUIVI DES BUDGETS DES CLUBS ET DES LIGUES PROFESSIONNELLES

Recommandation n° 5 : Rattacher l'organe de contrôle prévu par l'article L. 132-2 du code du sport à la fédération sportive délégataire avec des moyens adaptés.

L'article L. 132-2 du code du sport dispose :

« En vue d'assurer la pérennité des associations et sociétés sportives, de favoriser le respect de l'équité sportive et de contribuer à la régulation économique des compétitions, les fédérations qui ont constitué une ligue professionnelle créent en leur sein un organisme, doté d'un pouvoir d'appréciation indépendant, habilité à saisir les organes disciplinaires compétents ».

Pour le football, il s'agit de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui est composée d'une commission de contrôle des clubs professionnels, d'une commission fédérale de contrôle des clubs et d'une commission d'appel. Pour le contrôle des clubs professionnels, la DNCG siège auprès de la LFP. Pour que ce contrôle puisse être perçu comme réellement indépendant des clubs, il serait pertinent que la DNCG soit plutôt rattachée à la fédération.

Recommandation n° 6 : Donner à cet organe de contrôle des missions de suivi renforcées sur les comptes des clubs, y compris après la période des transferts.

L'organe de contrôle a notamment pour mission d'assurer le contrôle administratif, juridique et financier des associations et sociétés sportives qui sont membres de la fédération ou de la ligue professionnelle ou sollicitent l'adhésion à la fédération ou à la ligue.

En application du règlement de la DNCG, les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 ont l'obligation de produire des comptes prévisionnels au plus tard le 15 mai de chaque année. A cette date, les résultats du « mercato d'été » ne sont pas encore connus. Un contrôle plus régulier est nécessaire pour s'assurer que les clubs ne prennent pas des engagements pendant la période des transferts qui mettraient en danger leur équilibre financier.

Recommandation n° 7 : Donner aux fédérations et au ministère chargé des sports un rôle de suivi des préconisations de l'organe de contrôle.

La DNCG examine la situation financière des clubs au regard d'un ratio de masse salariale et d'un ratio de fonds propres. Elle peut prononcer des mesures telles que l'interdiction de recruter de nouveaux joueurs, la rétrogradation ou l'exclusion des compétitions. Quand un club rencontre des difficultés financières et subit des mesures de relégation administratives (cas de Sochaux et de Bordeaux), c'est tout un territoire qui en subit les conséquences. Les pouvoirs publics sont sollicités au niveau local et national pour rechercher des investisseurs et tenter d'éviter la faillite. Il serait légitime qu'une action puisse être entreprise par le ministère des sports plus en amont, dès lors que la DNCG a identifié des facteurs de risque.

Il s'agit de permettre à la fédération et au ministère d'assurer un suivi des préconisations de l'organe de contrôle dans ses trois domaines de compétence (contrôle des clubs, contrôle des agents sportifs et contrôle des projets d'achat, de cession et de changement d'actionnaires). L'objectif est de renforcer l'effectivité du contrôle en amont lorsque cela est nécessaire.

Recommandation n° 8 : Donner à l'organe de contrôle et à la Cour des comptes la mission de contrôler les comptes des ligues professionnelles et de leurs filiales commerciales dans le cadre de la mise en oeuvre de la subdélégation.

S'il est rattaché à la fédération, conformément à la recommandation n° 5, l'organe de contrôle pourrait se voir confier une mission supplémentaire de contrôle des comptes des ligues professionnelles.

Par ailleurs, la Cour des comptes exerce un contrôle sur les fédérations délégataires, dans la mesure où elles exercent une mission de service public et disposent de subventions publiques. Ce contrôle est assuré par la troisième chambre, en charge de l'éducation, de la jeunesse et des sports, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la culture et de la communication. Dans le cadre de la mission d'information du Sénat sur le fonctionnement des fédérations sportives, André Barbé, président de section à la Cour des comptes a indiqué que celle-ci effectuait en moyenne deux contrôles ponctuels de fédérations sportives chaque année87(*).

Étant donné que la Cour des comptes exerce un contrôle sur les fédérations sportives, lesquelles confient certaines de leurs prérogatives aux ligues professionnelles dans le cadre de subdélégations, il serait logique que la Cour des comptes puisse étendre son contrôle aux ligues.

C. RÉAFFIRMER LES PRINCIPES D'UNITÉ, DE SOLIDARITÉ ET DE MUTUALISATION

Recommandation n° 9 : Faire bénéficier le ministère des sports et l'Agence nationale du sport du dynamisme des recettes fiscales issues des paris sportifs en ligne, au moyen d'un relèvement du plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

Le budget de l'Agence nationale du sport est abondé chaque année par une partie du produit de trois taxes affectées : le prélèvement sur les jeux exploités par la Française des Jeux hors paris sportifs, la contribution sur la cession des droits de retransmission audiovisuelle (dite taxe « Buffet ») et le prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

En 2024, ce dernier a rapporté 35 M€ à l'Agence nationale du sport, alors que son rendement total était estimé à 182 M€. En 2025, le gouvernement propose de rehausser ce plafond à 100 M€ pour un rendement prévisionnel total de 214 M€.

Il ne s'agit toutefois que de compenser la perte de la taxe sur les activités de la Française des Jeux (hors paris sportifs) qui ne pourra plus être affectée à l'ANS mais reviendra au budget général de l'État, afin de se mettre en conformité avec les principes de la loi organique relative aux lois de finances. Cette taxe représentait 72 M€ pour l'ANS en 2024.

Pour que « le sport finance le sport », et pour compenser le risque de diminution du produit de la taxe « Buffet », en conséquence de la baisse des droits audiovisuels du football, il est nécessaire de relever le plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

Ce relèvement est d'autant plus nécessaire qu'il faudra faire vivre l'héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 dans un contexte budgétaire contraint.

Recommandation n° 10 : Renforcer le principe de mutualisation des produits revenant aux sociétés sportives (art. L. 333-3 du code du sport) en veillant à une répartition équitable des ressources afin de garantir la viabilité à long terme du championnat, grâce à la fixation d'un ratio maximal de distribution de 1 à 3 des revenus entre clubs professionnels.

L'article L.333-3 du code du sport dispose que « les produits revenant aux sociétés leur sont redistribués selon un principe de mutualisation, en tenant compte des critères arrêtés par la ligue et fondés notamment sur la solidarité existant entre les sociétés, ainsi que sur leurs performances sportives et leur notoriété ».

Il existe donc un principe de solidarité entre clubs professionnels, tempéré par la nécessité de prendre en compte leurs performances et leur notoriété afin de répartir équitablement les droits d'exploitation. Le curseur entre ces deux objectifs contradictoires est fixé librement par la ligue et donc par les clubs. En 2022, la répartition des droits audiovisuels a été modifiée afin de favoriser les « locomotives » du championnat et d'encourager, ainsi, la réalisation de performances au niveau européen.

Si les performances européennes sont gages d'attractivité pour le championnat français, l'émergence d'une Ligue 1 « à plusieurs vitesses » crée l'effet inverse en limitant l'enjeu sportif en raison d'écarts croissants de compétitivité entre les équipes. Cette évolution a un retentissement négatif sur les droits audiovisuels de la Ligue 1. Par ailleurs, les clubs « européens » sont aussi financés par les droits UEFA qui atteignent des montants significatifs.

En 2023-2024, les droits audiovisuels de la Ligue 1 s'échelonnent de 60 M€ pour le Paris Saint-Germain à 14,5 M€ pour le Havre, soit un rapport de 1 à 4. À titre de comparaisons, les revenus audiovisuels de la Premier League anglaise s'échelonnaient de 167 M£ (Manchester city) à 95 M£ (Southampton) en 2022-2023, soit un rapport de 1 à 1,8.

Il est donc proposé de fixer un ratio maximal de distribution de 1 à 3.

Recommandation n° 11 : Envisager une consolidation de la taxe « Buffet » par un élargissement de son assiette selon des modalités à déterminer pour tenir compte de la diversification nécessaire des ressources des clubs.

Il s'agit d'une proposition récurrente de la Cour des comptes.

L'article 302 bis ZE du code général des impôts institue une contribution sur la cession des droits de diffusion télévisuels de manifestations ou de compétitions sportives, au taux de 5 %. Cette contribution a été mise en place en 2000 à l'initiative de la ministre de la jeunesse et des sports Marie-George Buffet afin de tirer parti de ces recettes pour financer le développement du sport français. Aujourd'hui, cette taxe est affectée à l'Agence nationale du sport (ANS).

Cette taxe met en oeuvre un principe de solidarité entre sport professionnel et sport amateur mais aussi une mutualisation entre disciplines. En 2023, le football représentait en effet 77 % du produit de la taxe « Buffet », qui doit rapporter 59,7 M€ en 2024 et autant en 2025.

Le rendement de la taxe « Buffet » dépend de l'évolution du marché des droits sportifs. Ainsi, la défaillance de Mediapro a conduit au versement d'une compensation de 15 M€ à l'ANS en 2022 par redéploiement de crédits. D'après la Cour des comptes, « le principe d'une telle compensation, renouvelée chaque année, est discutable car le budget de l'État n'a pas vocation à couvrir les aléas de négociation ou encore les effets des évolutions de l'intensité concurrentielle dans le domaine des droits audiovisuels » 88(*).

La Cour des comptes a proposé, en 2013, deux pistes89(*) qui mériteraient d'être étudiées :

Ø Un élargissement de l'assiette de la taxe « Buffet » aux droits cédés depuis l'étranger ;

Ø Une taxation des recettes commerciales autres que celles générées par les droits TV, accompagnée de dispositions visant à éviter de pénaliser les fédérations bénéficiant de faibles ressources propres.

II. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES FONCTIONS COMMERCIALES

A. RENFORCER LES CONTRÔLES SUR LA CRÉATION D'UNE SOCIÉTÉ COMMERCIALE PAR UNE LIGUE

Recommandation n° 12 : Prévoir l'approbation des statuts de la société commerciale, du pacte d'associés, du protocole d'investissement, de l'ensemble de leurs annexes et de leurs modifications par l'assemblée générale de la fédération et par arrêté du ministre chargé des sports.

L'article 51 de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France prévoit que : « les statuts de la société commerciale ainsi que leurs modifications sont approuvés par l'assemblée générale de la fédération sportive délégataire concernée et par le ministre chargé des sports ».

Le présent rapport a montré que des dispositions essentielles pouvaient figurer, non pas dans les statuts de la société commerciale, mais dans d'autres documents et dans leurs annexes, dans l'hypothèse d'une ouverture du capital de la société à un investisseur.

Par ailleurs, une approbation par arrêté ministériel est souhaitable.

Recommandation n° 13 : Encadrer la répartition de l'apport d'un fonds d'investissement à une ligue professionnelle et prévoir une approbation de cette répartition par l'assemblée générale de la fédération et par le ministère des sports, notamment au regard des principes d'unité, de solidarité et de mutualisation ; confier à l'organe de contrôle la mission de contrôler l'emploi des fonds ainsi distribués.

L'article L.333-3 du code du sport dispose que les produits de la commercialisation des droits d'exploitation sont répartis « entre la fédération, la ligue, les sociétés et, le cas échéant, la société commerciale mentionnée au même premier alinéa ».

Lors de l'examen du texte, le Sénat avait adopté, à l'initiative du rapporteur, une disposition plus générale ainsi rédigée : « Les produits de la commercialisation des droits d'exploitation perçus par la société commerciale, ainsi que les sommes de toutes natures versées à cette société au titre des financements et des apports en capital effectués à son profit sont répartis entre cette société, la fédération sportive délégataire, la ligue et les sociétés sportives ».

Il convient en effet d'encadrer la répartition de l'apport réalisé, le cas échéant, par un fonds d'investissement. Il est également proposé que cette répartition soit approuvée par la fédération et par le ministère, et que l'emploi des fonds ainsi distribués soit mieux contrôlé.

Recommandation n° 14 : Clarifier l'article L. 333-1 du code du sport, s'agissant des revenus issus des paris sportifs qui ne sauraient être intégrés à l'assiette servant au calcul du dividende de l'investisseur.

L'article 51 de la loi du 2 mars 2022 dispose que « le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, prévu à l'article L. 333-1-1, est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à la société commerciale ».

De fait, la gestion des paris sportifs est assurée par la LFP. Un produit prévisionnel de 8,5 M€ est inscrit à ce titre dans son budget pour 2024-2025. C'est la seule source de revenus commerciaux de la LFP depuis le transfert de ses autres revenus à LFP Media. Le reste du budget de la FLP est constitué de refacturations à sa filiale, dont une contribution aux missions régaliennes de 47 M€.

Toutefois, dans le cadre du partenariat conclu avec CVC, le calcul du dividende revenant à l'investisseur inclut la quote-part du chiffre d'affaires relatif à l'activité de paris sportifs de la LFP. Le fonds d'investissement est donc directement intéressé à l'évolution de ces droits, ce qui n'est pas conforme à l'esprit de la disposition adoptée en 2022.

B. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DE LA FILIALE COMMERCIALE

Recommandation n° 15 : Opérer une distinction nette entre les activités des ligues professionnelles et celles de leurs sociétés commerciales en séparant clairement la ligue de sa filiale d'un point de vue organique (des services, personnels et dirigeants distincts) et financier (des budgets bien différenciés), la ligue devant assumer un rôle de coordination entre l'intérêt général, les intérêts des clubs et ceux de la société commerciale.

Les problèmes de gouvernance de LFP Media proviennent en partie d'une confusion entre les activités de l'instance historique (la LFP) et celles de la nouvelle société.

Dans la nouvelle organisation, la LFP est principalement chargée de l'organisation sportive. Elle assume notamment les frais de l'arbitrage (22,6 M€ en 2023-2024) ainsi que la commercialisation et la gestion des droits à consentir des paris sportifs. Ainsi, la LFP organise les compétitions sportives dont LFP Media commercialise les droits. Des conventions fixent les conditions dans lesquelles LFP Media contribue au fonctionnement de la LFP c'est-à-dire principalement à ses frais généraux, aux frais liés à la masse salariale et à l'arbitrage. Ces refacturations n'ont pas toutes le même effet sur le dividende de CVC, en fonction des principes actés lors de la conclusion du partenariat.

Vis-à-vis de sa filiale, la LFP exerce un contrôle en tant qu'actionnaire majoritaire à 87 %. Le président de la LFP représente celle-ci dans ses fonctions de présidente de LFP Media. Il n'est rémunéré qu'au titre de ses fonctions à la présidence de la LFP, selon les modalités fixées par le conseil d'administration de celle-ci. CVC n'a donc pas de droit de regard sur le montant de cette rémunération. Il est néanmoins apparu, lors de l'audition des représentants de CVC le 20 juin 2024, que ceux-ci n'avaient pas connaissance du fait que 50 % de la rémunération du président de la LFP étaient refacturés à LFP Media.

Par ailleurs, la récente négociation des droits audiovisuels a illustré une certaine confusion dans la répartition des rôles. Si la LFP reste au centre du jeu, elle ne saurait se substituer à sa filiale dans l'exercice de ses missions. La Ligue doit, en revanche, consolider ses fonctions de coordination vis-à-vis des clubs, pour que la création de la société commerciale ne se traduise pas par une association insuffisante de ceux-ci en amont des décisions prises, in fine, par les instances de la LFP.

Recommandation n° 16 : Donner au représentant de la fédération délégataire une voix délibérative au sein de l'instance dirigeante de la société commerciale.

L'article 51 de la loi du 2 mars 2022 prévoit la présence d'un représentant de la fédération sportive au conseil d'administration de la société commerciale avec voix consultative.

Lors de l'examen du texte en première lecture au Sénat, la commission avait envisagé une participation de la fédération avec voix délibérative, avant de proposer une participation avec voix consultative, après des échanges avec la FFF et avec la LFP.

De fait, en application de cette disposition, le président de la FFF participe au comité de supervision de LFP Media en tant que « censeur », avec voix consultative.

Afin de renforcer la place des fédérations dans le dispositif et de les responsabiliser davantage, il est proposé de modifier le texte adopté en 2022 sur ce point.

Recommandation n° 17 : Associer les dirigeants des sociétés sportives à la gouvernance de la société commerciale créée par une ligue, en prévoyant qu'ils soient représentés au sein d'un comité stratégique consultatif, prévu par les statuts de la société commerciale, chargé d'évaluer la stratégie et de formuler des propositions d'orientations pour la commercialisation et la gestion des droits.

Dans le prolongement de la recommandation n° 15, il s'agit de mieux associer les clubs aux orientations de la société commerciale.

LFP Media s'est engagée récemment dans cette voie en désignant les membres de son comité stratégique consultatif, instance prévue par les statuts de la société qui n'avait pas été mise en place jusqu'alors. Ce comité stratégique est en charge de présenter des propositions et suggestions en termes de stratégie et d'orientation commerciale. Il comprend deux groupes de travail consacrés respectivement au « produit » et à la commercialisation des droits.

Afin de mieux associer les dirigeants des sociétés sportives à la gouvernance de la filiale commerciale, lorsqu'une telle filiale est créée, il est proposé de systématiser ce schéma.

Recommandation n° 18 : Promouvoir la signature d'une charte de gouvernance qui responsabilise les représentants des clubs au sein de la ligue, ses dirigeants et ceux de la société commerciale dans l'exercice de leurs fonctions.

La gouvernance de la Ligue et de sa société commerciale souffre d'un manque de coordination dans les démarches et les actions de communication des différents acteurs. Ces pratiques sont peu conformes aux standards de fonctionnement d'une entreprise et susceptibles de compliquer le processus de commercialisation des droits d'exploitation.

L'adoption d'une charte de bonne gouvernance est proposée afin de sensibiliser les différents acteurs à cet enjeu.

III. RENFORCER LES EXIGENCES EN MATIÈRE D'ÉTHIQUE, DE BONNE GESTION ET DE DÉMOCRATIE

A. RENFORCER L'ÉTHIQUE

Recommandation n° 19 : Instaurer un plafond des rémunérations des présidents de ligues professionnelles, semblable à celui existant pour les entreprises publiques (450 000 €) et limiter le montant de leurs indemnités de départ à six mois de salaire hors primes.

La fonction de président de la LFP a longtemps été bénévole.

Les statuts de la LFP (article 29) stipulent que « le président de la LFP peut en sa qualité de président, recevoir une rémunération, sur décision du conseil d'administration ».

Comme le détaille le présent rapport, cette rémunération a doublé entre 2020 et 2024, passant de 420 000 € à 840 000 € annuels.

Compte tenu du statut associatif de la Ligue et de l'exercice par celle-ci d'une subdélégation de service public, il convient de freiner cette inflation salariale en s'inspirant des dispositions applicables aux dirigeants des entreprises publiques.

Recommandation n° 20 : Préciser dans la loi que la fonction de président de la filiale commerciale d'une ligue professionnelle n'est pas rémunérée lorsqu'elle est exercée par un représentant de la Ligue. Dans le cas contraire, plafonner cette rémunération comme préconisé à la recommandation précédente.

Cette recommandation prolonge la précédente afin d'assurer l'effectivité du dispositif d'encadrement, dans l'hypothèse où le président de la filiale commerciale est un représentant de la ligue professionnelle, ce qui lui permettrait de cumuler potentiellement deux rémunérations.

Dans le cas contraire, si le président de la filiale n'est pas un représentant de la ligue, cette fonction pourrait être rémunérée dans les mêmes limites que celles énoncées précédemment.

Recommandation n° 21 : Compléter les dispositions applicables en matière de transparence de la vie publique en instituant une obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale à la HATVP pour les directeurs généraux des ligues.

Au sein des ligues professionnelles, sont visés par l'obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale : les présidents, les vice-présidents, les trésoriers et les secrétaires généraux (article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).

Cette déclaration, effectuée auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), doit être réalisée dans les deux mois à compter de la prise de fonction, puis à nouveau dans les deux mois qui suivent la fin des fonctions. Elle n'est pas publiée. Des déclarations modificatives doivent être réalisées en cours de mandat en cas de modification substantielle du patrimoine ou des intérêts du déclarant.

Compte tenu de l'organisation des ligues professionnelles, il convient d'adapter ce dispositif en prévoyant que les directeurs généraux des ligues sont soumis à la même obligation.

B. INSTAURER DES PRATIQUES DE BONNE GESTION ET PRÉVENIR LES CONFLITS D'INTÉRÊTS

Recommandation n° 22 : Instaurer obligatoirement un comité d'audit et un comité des rémunérations, incluant des administrateurs indépendants, au sein des instances dirigeantes des ligues professionnelles afin d'améliorer la transparence et de promouvoir les bonnes pratiques, en particulier s'agissant des modalités d'attribution des rémunérations et des frais de mission.

Il s'agit d'encourager l'adoption de standards de bonne gouvernance, de renforcer le suivi des comptes et l'analyse des risques et de préciser les modalités des rémunérations fixes et variables des dirigeants des ligues professionnelles.

Recommandation n° 23 : Instituer, pour les administrateurs des ligues professionnelles et de leurs sociétés commerciales, une obligation de déclaration des conflits d'intérêts et une obligation de déport sur les décisions mettant en jeu de tels conflits.

La question des conflits d'intérêt doit être traitée de façon ouverte et transparente grâce à la mise en oeuvre d'une politique claire issue des meilleurs standards dans ce domaine.

La prévention des conflits d'intérêts commence par un devoir d'information sur lesdits conflits et l'instauration d'une obligation de déport sur les décisions qui les mettraient en jeu.

Recommandation n° 24 : Introduire une incompatibilité entre la fonction de membre du conseil d'administration d'une ligue professionnelle ou de sa société commerciale et la détention d'intérêts ou l'exercice de fonctions au sein d'une entreprise de diffusion audiovisuelle.

La présence du président du Paris Saint Germain, également président de beIN Media Group, au conseil d'administration de la LFP pose question dans le contexte de la négociation des droits audiovisuels et des tensions existant entre la LFP et beIN Sports au sujet du contrat toujours en discussion entre ces deux parties.

Cette situation affecte l'exercice par la Ligue et par sa filiale de missions qui sont au coeur de leurs compétences. C'est pourquoi une incompatibilité est proposée.

C. INSTAURER UNE GOUVERNANCE PLUS DÉMOCRATIQUE DES LIGUES

Recommandation n° 25 : Prévoir un minimum de cinq administrateurs qualifiés indépendants au sein des ligues professionnelles.

Le processus électoral au sein de la LFP a montré récemment ses limites d'un point de vue démocratique. En 2022, la LFP a adopté une réforme de sa gouvernance limitant à 17 le nombre de membres de son conseil d'administration (plutôt que 25), dont 3 administrateurs indépendants (plutôt que 5). Il s'agissait, avec cette réforme, de permettre une plus grande efficacité du conseil en limitant le nombre de participants.

Toutefois, comme cela a été indiqué en audition : « Comme le président vient du collège des administrateurs indépendants, cela a rendu quasiment impossible l'émergence d'un concurrent. Les trois administrateurs indépendants comportaient le président sortant, un représentant de la Fédération française de football, qui n'a pas pour vocation de candidater à la présidence, et un membre des familles du football, représentant des joueurs, des syndicats, des arbitres. On est donc passé à trois administrateurs, dont un président réélu de fait par acclamation, et je pense que cela faisait partie en effet des objectifs. Le sujet avait été plus ou moins discuté par la LFP, l'idée étant qu'on n'avait pas le temps de s'embarrasser d'une élection en plein milieu d'un processus, à l'issue des négociations des droits de diffusion »90(*).

Dans l'intérêt du débat au sein de la Ligue, afin de rendre possible l'émergence de projets alternatifs, il serait souhaitable de prévoir la présence d'au moins cinq administrateurs indépendants au sein du conseil d'administration.

Recommandation n° 26 : Prévoir la présence d'un représentant des supporters avec voix consultative au sein de l'assemblée générale et du conseil d'administration des ligues.

Les auditions de la mission d'information ont mis en évidence un défaut d'association des supporters aux orientations du football professionnel sur au moins deux sujets :

Ø s'agissant de la reprogrammation des matchs de Ligue 2 à la demande de beIN Sports, peu avant le redémarrage du championnat, ce qui a engendré des incidents multiples ;

Ø au sujet du rôle croissant des fonds d'investissement et de l'essor de la multipropriété, qui inquiètent de nombreux supporters, préoccupés par une possible perte d'identité et d'ancrage territorial de leur club.

Par ailleurs, les multiples incidents observés dans les stades et hors des stades militent pour un dialogue continu avec les représentants des supporters et une meilleure information de ceux-ci.

Les instances de la LFP incluent déjà des participants disposant de voix consultatives : ainsi, trois membres représentant respectivement les arbitres, les personnels administratifs et les médecins assistent aux réunions du conseil d'administration.

Il est temps d'accueillir les supporters au titre des « familles » du football, ce qui contribuera aussi à les responsabiliser davantage face à certaines dérives.

IV. LE FOOTBALL-SPECTACLE : UNE ÉCONOMIE À RÉINVENTER

A. REVOIR LES RÈGLES DES APPELS D'OFFRES

Recommandation n° 27 : Compte tenu de la montée en puissance de compétitions concurrentes de la Ligue 1, qui reconfigure le marché des droits sportifs, repenser la réglementation des appels d'offres dans l'intérêt du consommateur, en facilitant l'attribution des droits à un diffuseur unique et en tenant compte de la généralisation de nouveaux modes de diffusion.

L'article L. 333-2 du code du sport dispose que la commercialisation des droits audiovisuels « est effectuée avec constitution de lots, pour une durée limitée et dans le respect des règles de concurrence ». Cette disposition est complétée par l'article R. 333-3 du code du sport :

« Les droits sont offerts en plusieurs lots distincts dont le nombre et la constitution doivent tenir compte des caractéristiques objectives des marchés sur lesquels ils sont proposés à l'achat.

« Chaque lot est attribué au candidat dont la proposition est jugée la meilleure au regard de critères préalablement définis dans l'avis d'appel à candidatures. Les contrats sont conclus pour une durée qui ne peut excéder cinq ans.

« La ligue ou la société commerciale mentionnée à l'article L. 333-2-1 doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui sont assorties d'un complément de prix ».

Comme précisé plus haut dans le rapport, deux décrets ont récemment fait évoluer ce dispositif : un premier décret impose à la société commerciale d'établir chaque année un rapport relatif au respect des règles de la concurrence. Ce rapport n'a pas été produit à ce jour par LFP Media.

Un second décret a porté la durée des contrats de quatre à cinq ans. Dans son avis sur ce décret, l'Autorité de la concurrence a considéré qu'une réflexion globale était nécessaire sur l'équilibre de la réglementation en vigueur. Cette réflexion doit intégrer les évolutions du contexte concurrentiel, la Ligue 1 subissant la montée en puissance d'autres compétitions sportives et, plus généralement, la multiplication d'offres de divertissement de plus en plus diversifiées.

Cette réforme devra faire de l'intérêt des consommateurs une priorité. Il serait, en particulier, souhaitable de faciliter l'attribution des droits audiovisuels à un seul diffuseur plutôt qu'à plusieurs lorsque cela est possible.

B. LUTTER CONTRE LE PIRATAGE

Recommandation n° 28 : Créer un délit de piratage dans le domaine sportif, semblable à celui prévu par le code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon de droits d'auteur et de droits voisins, ne visant pas le consommateur final, mais les personnes qui publient des contenus sportifs de façon illicite.

Le caractère illégal du piratage de contenus sportifs doit être reconnu. En effet, aucune sanction pénale n'est pour le moment associée à cette pratique.

Le délit de contrefaçon de droit d'auteur et de droits voisins est, lui, puni d'une peine de 300 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement (articles L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle).

Le dispositif doit viser les personnes publiant des contenus de façon illicite, plutôt que les consommateurs finaux de ces contenus.

Recommandation n° 29 : Permettre un traitement en temps réel des adresses IP à bloquer, par des agents habilités et assermentés éventuellement externes à l'Arcom, mais sous son contrôle pour la validation a priori et a posteriori des procédures et outils mis en oeuvre.

À l'initiative du Sénat, la loi a donné à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la possibilité de bloquer les sites retransmettant illégalement des événements sportifs, sur le fondement d'une ordonnance du président du tribunal judiciaire (voir précédemment au II de la deuxième partie).

Le piratage dans le domaine sportif présente la particularité de devoir être traité en temps réel pour être efficace. Cette contrainte implique une adaptation des dispositifs existants, dans le respect des libertés publiques.

Recommandation n° 30 : Faciliter la mise en oeuvre des accords volontaires avec les fournisseurs de DNS alternatifs et de VPN en permettant à l'Arcom de notifier à leurs signataires la liste des services à bloquer.

La mise en oeuvre des accords volontaires prévus à l'article L. 333-10 du code du sport, avec les fournisseurs de DNS alternatifs et de VPN, se heurte à l'impossibilité juridique pour l'Arcom de leur notifier la liste des sites à bloquer. Ce verrou doit être levé.

C. ENCOURAGER UNE GESTION PLUS ÉQUILIBRÉE DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

Recommandation n° 31 : Faire de la santé des joueurs une priorité en freinant l'augmentation du nombre de compétitions, en s'opposant au projet de « coupe du monde des clubs » de la FIFA et en limitant le nombre annuel de matchs par joueur professionnel.

Pour protester contre certaines évolutions imposées par la FIFA, le syndicat mondial des joueurs (FIFPro) et plusieurs ligues nationales, dont la LFP, ont récemment engagé une procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

La création d'une nouvelle coupe du monde des clubs dont la première édition doit avoir lieu aux Etats-Unis à l'été 2025 est, en particulier, en cause. Pour les ligues nationales, la multiplication des compétitions contraint fortement les calendriers et menace l'attractivité des championnats nationaux.

Plus généralement, la santé des joueurs professionnels constitue une préoccupation croissante, alors que le nombre de matchs ne cesse d'augmenter.

Recommandation n° 32 : Limiter l'effectif des équipes professionnelles de football en instituant un nombre maximum de 30 contrats de joueurs professionnels par club de Ligue 1 ou de Ligue 2.

Cette limitation doit permettre de réduire la masse salariale et d'améliorer l'équilibre financier des clubs. Certains clubs disposent en effet d'effectifs bien supérieurs au nombre de joueurs réellement impliqués lors des matchs, la quasi-totalité du temps de jeu étant assuré par moins d'une vingtaine de joueurs.

De plus, cette situation résulte parfois d'une stratégie d'investissement et de prêts qui n'est pas dans l'intérêt des joueurs qui sont ainsi mis à l'écart.

Recommandation n° 33 : Limiter la part de la rémunération du personnel en diminuant le ratio de masse salariale, fixé depuis 2022 à 70 % des recettes des clubs par le règlement de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).

Un ratio de masse salariale (« salary cap ») de 70 % a été mis place en 2022. Sa mise en oeuvre fait l'objet d'un contrôle de la DNCG (voir ci-dessus au II de la deuxième partie), conjointement avec une analyse des fonds propres.

Un renforcement de cet encadrement est nécessaire, afin de préserver l'équité des compétitions et la viabilité financière des clubs.

Recommandation n° 34 : Renforcer le contrôle de la DNCG sur les reprises de clubs en instituant un pouvoir de blocage (L. 132-2 du code du sport).

L'article L. 132-2 du code du sport confie à l'organe de contrôle la mission d'« assurer le contrôle et l'évaluation des projets d'achat, de cession et de changement d'actionnaires des sociétés sportives ».

La DNCG dispose toutefois de moyens limités pour la mise en oeuvre de cette mission. L'article 11 de son règlement prévoit une évaluation des projets et, le cas échéant, la formulation de recommandations après avoir entendu le club.

Certaines transactions ont pu susciter l'étonnement : un président de club a ainsi indiqué en audition, faisant allusion à la situation des Girondins de Bordeaux : « Je suis d'ailleurs surpris que l'on ait pu redonner un club français à une personne qui n'a toujours pas son domicile fiscal en France et qui a déjà coulé d'autres clubs à l'étranger. En tant que citoyen, payant mes impôts en France, voir quelle est la situation de ce club aujourd'hui en dépit de l'utilisation de fonds publics... C'est assez moyen ! »91(*)

Recommandation n° 35 : Mieux limiter et contrôler la multipropriété en lien avec l'UEFA et la FIFA pour préserver l'équité des compétitions sportives et protéger le modèle sportif européen.

Ce point ne peut être traité qu'au niveau international, dans la mesure où le code du sport interdit déjà la multipropriété au niveau français (cf. ci-dessus au II de la deuxième partie).

La multipropriété est une conséquence de l'internationalisation des financements. Elle pourrait remettre en cause l'équité sportive et entraîner des distorsions de concurrence entre clubs. Elle remet en cause l'idée d'un football des territoires, ancré localement avec des clubs faisant partie du patrimoine historique, culturel et sportif national.

La France doit donc agir au niveau international pour protéger le modèle sportif européen.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 29 OCTOBRE 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - La mission d'information sur la financiarisation du football arrive au terme de ses travaux. Je vous rappelle que, pour cette mission, la commission a été dotée de pouvoirs d'enquête pour une durée de six mois, à compter du 27 mars dernier.

Je remercie le rapporteur, Michel Savin, pour son travail, ainsi que les collègues qui ont suivi, pour certains avec assiduité, les nombreuses auditions que nous avons réalisées.

Une soixantaine d'acteurs ont été entendus : des experts, des représentants des « familles » du football, y compris les supporters, des représentants de la Fédération, de la Ligue de football professionnel (LFP) et de sa société commerciale LFP Media, des responsables politiques, des représentants de fonds d'investissement et, bien sûr, des présidents de clubs : 12 présidents de Ligue 1 et de Ligue 2, dont certains se sont manifestés spontanément auprès de nous pour être auditionnés. Tous ou presque se sont prêtés de bonne grâce à l'exercice.

Par ailleurs, le rapporteur a pleinement utilisé les pouvoirs d'enquête conférés à la commission, puisqu'il a obtenu de la LFP environ 80 documents internes.

Nous nous sommes également rendus au siège de la Ligue et de sa société commerciale, le 12 septembre dernier, dans le cadre d'un contrôle sur pièces et sur place consacré à l'évolution des moyens de ces instances et aux conséquences de l'attribution des droits audiovisuels du championnat, au cours de l'été.

Nous avions d'ailleurs reporté ce contrôle, prévu quelques jours plus tôt, afin de ne pas interférer avec le processus électoral qui a abouti, comme vous le savez, à la réélection de Vincent Labrune à la tête de la LFP le 10 septembre dernier.

La Ligue a parfaitement joué le jeu, sur ce plan, puisqu'elle nous a transmis tous les documents que nous avons demandés et s'est efforcée de répondre à toutes nos interrogations.

Le fonds d'investissement CVC, les conseils de la Ligue et bien sûr, le ministère des sports, ont également coopéré utilement avec la mission.

L'ensemble de ces travaux aboutit à un certain nombre de constats et de recommandations, que le rapporteur va vous présenter.

Des erreurs ont sans doute été commises au cours des dernières années dans la gestion du football professionnel français. Ces erreurs placent les clubs dans une situation très délicate. Les sommes réparties entre eux cette année, au titre des droits audiovisuels, diminueront de 60 % - c'est une moyenne, donc certains verront des baisses plus importantes. Parallèlement, l'accord avec CVC prend pleinement effet, conduisant à un prélèvement de 120 millions d'euros sur la saison 2024-2025.

Il ne s'agit toutefois pas, aujourd'hui, de « refaire le match » des dernières années, ce qui serait un exercice facile. Il s'agit de se demander si une certaine forme de persévérance dans l'erreur ne révèle pas, en fait, des dysfonctionnements plus profonds dans la gouvernance du football professionnel français. Tel a été, je crois, l'esprit du rapporteur !

Le Sénat est ici parfaitement dans son rôle, étant donné la subdélégation de service public dont bénéficie la Ligue et parce que nous contrôlons l'application de la loi. Il l'est également, eu égard au rôle joué par les clubs dans les territoires. Lorsqu'un club est en difficulté, les pouvoirs publics sont immédiatement sollicités. Le sujet doit donc être traité en amont.

Plusieurs propositions du rapporteur pourraient servir de base à une proposition de loi, afin de prolonger ce travail de contrôle en ouvrant la voie à des évolutions législatives - je souhaite qu'une telle proposition de loi soit transpartisane.

Je laisse maintenant la parole à Michel Savin pour vous présenter le rapport, non sans vous avoir préalablement demandé de respecter la confidentialité de ces propositions durant les 24 heures suivant l'adoption du rapport.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci à chacun d'entre vous pour votre participation à nos travaux et à vous, Monsieur le Président, pour votre implication. C'était important pour ce travail, on l'a vu lors des auditions : une véritable équipe était à la commande de cette mission.

Cet été, dans la négociation des droits audiovisuels, les présidents de club ont traversé une période des plus difficiles, ils sont passés de la peur de l'écran noir et d'une catastrophe économique, à la désillusion face aux résultats de l'appel d'offres validé fin juillet, où ils ont dû accepter environ 600 millions d'euros au lieu de 1,1 milliard qu'ils espéraient. Comment en est-on arrivé là ? Je commencerai par quelques constats, avant d'en venir aux recommandations.

Sur Mediapro, tout d'abord. Lors des auditions, nous sommes revenus sur la genèse de l'accord de la LFP avec le fonds d'investissement CVC. En mars 2020, le Gouvernement décide de suspendre, puis d'interrompre le championnat à cause du covid. Cette décision était sans doute prématurée, alors que tous les autres grands championnats européens ont repris ensuite. La LFP refuse alors toute négociation des droits et Mediapro est placé en octobre sous le régime de la conciliation.

Pouvait-on sauver Mediapro ? Il est permis d'en douter, tant les difficultés structurelles étaient grandes. Aucun accord n'avait été trouvé avec Canal+. La chaîne ne comptait que 530 000 abonnés. Ses demandes étaient sans commune mesure avec le préjudice subi. Et les ordonnances covid lui permettaient de neutraliser toute action en justice de la LFP.

La Ligue avait précédemment sélectionné un diffuseur à la réputation discutable, sans garantie opérationnelle et adossé à un actionnaire chinois aux intentions floues. Elle a fait les frais de ce choix en 2020.

Amazon, ensuite. Alors qu'un rapprochement était possible avec Canal+ début 2021, ce n'est pas la voie qui a été suivie. Les dirigeants de clubs ont préféré parier sur le géant de l'internet - et diviser au passage les audiences du championnat par cinq. Le choix d'Amazon a acté le divorce avec Canal+. Ce choix est d'autant plus problématique qu'il a reposé sur une présentation tendancieuse des deux offres concurrentes, celle de Canal+ et beIN d'une part, et celle d'Amazon d'autre part. Les dirigeants du football français ont considéré que la part variable proposée par Canal+ représentait un risque majeur. La prudence l'a emporté sur l'ambition. Amazon, pour qui la Ligue 1 était un produit d'appel dans son offre globale, a subi des pertes importantes et s'est retiré après trois saisons.

J'en viens à la société commerciale. Après avoir échoué à atteindre le milliard d'euros avec Mediapro, la Ligue s'est tournée vers un nouvel eldorado, pour compenser le manque à gagner. En effet, les clubs n'avaient pas attendu les paiements de Mediapro pour accroître leurs dépenses. Ils se sont lancés dans une quête d'argent frais dès la fin 2020.

La possibilité d'un endettement, au moins partiel, a été rapidement écartée. Cette option ne semble pas avoir été véritablement étudiée. Ce qui pose question, c'est que les dirigeants de la LFP avaient objectivement un intérêt personnel à choisir de recourir à la cession d'une partie du capital de la société commerciale plutôt qu'à la dette, compte tenu des bonus importants qu'ils percevraient alors.

Je ne reviens pas sur le volet législatif, et sur la possibilité de créer une société commerciale, que vous connaissez. Nous ne disposions que d'informations très sommaires sur le processus en cours, lorsque nous avons examiné la loi du 2 mars 2022. Or, le processus de consultation lancé par la LFP auprès de divers fonds d'investissement était déjà très avancé. Après la promulgation du texte, une véritable course contre la montre s'est engagée. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a paru mettre en péril l'opération projetée. Une assemblée générale décisive a eu lieu en avril 2022. Les présidents de clubs ont reçu, 48 heures avant, les statuts et le pacte d'associés de la nouvelle société. Ils n'ont pas pu appréhender tous les enjeux du contrat, d'autant que certaines pièces étaient manquantes. Plusieurs présidents ont confirmé ne pas avoir pris connaissance des documents. La perspective de la distribution de fonds aux clubs l'a emporté sur toute autre considération.

Les enjeux du partenariat avec CVC ont été sous-estimés, y compris au niveau de la fédération et du ministère des sports. La durée quasi illimitée - 99 ans - de ce partenariat pose question, car cette durée est peu conciliable avec le code du sport qui prévoit des contrats de délégation et de subdélégation avec les fédérations et les ligues de durées limitées.

Ensuite, CVC n'est pas un actionnaire comme un autre. Ses actions lui donnent des droits privilégiés sur les revenus du football français. Son dividende, d'un taux de 13 %, est assis sur un résultat retraité, qui ressemble davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat, puisqu'il englobe l'ensemble des recettes audiovisuelles et commerciales du championnat. Cette assiette inclut même les revenus des paris sportifs, ce qui est peu conforme à l'esprit des dispositions que nous avions adoptées en 2022. Les actions de CVC seront pleinement valorisées lors de leur revente à un nouvel actionnaire ; lequel n'aura, lui, rien apporté directement au football français. Dans le cadre d'opérations similaires, la Liga espagnole et le Tournoi des Six nations ont opté pour une durée de 50 ans.

J'en viens à la distribution de l'apport de CVC, qui s'élève à 1,5 milliard d'euros et qui a été versé en grande partie aux clubs. La clef de répartition retenue, favorable aux grands clubs, était spécifique à cette opération. Au même moment, la Ligue a adopté une nouvelle répartition des revenus audiovisuels, elle aussi favorable aux grands clubs, dont certains bénéficient de revenus de l'UEFA. Une Ligue 1 à plusieurs vitesses est donc en train d'émerger. Les sommes ont été réparties avec un fléchage souple, contrairement à ce qui a prévalu en Espagne, dans l'opération conclue entre la Liga et CVC. En France, la majorité des fonds a été allouée aux salaires et aux transferts, ainsi qu'au désendettement, tandis que 40 % ont été consacrés aux infrastructures et au développement.

Dans cette opération, les intermédiaires ont été largement rétribués : 37,5 millions d'euros leur étaient réservés, c'est davantage que les parts allouées à la FFF (20 millions d'euros) et à la plupart des clubs de Ligue 1 (33 millions d'euros). Les deux banques d'affaires ont perçu 24 millions d'euros. Quant à Vincent Labrune, il a touché un bonus de 3 millions d'euros et a triplé son salaire, qui est passé de 420 000 euros à 1,2 million d'euros par an. Des bonus peuvent se concevoir dans l'exercice par la Ligue de son coeur de métier, la commercialisation des droits, mais ils sont beaucoup plus discutables dans le cadre d'une augmentation de capital. La question d'un conflit d'intérêts se pose puisque, si l'utilité à long terme de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, compte tenu du dividende qu'ils devront payer à vie, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie. Au même moment, la Ligue a acquis un nouveau siège pour 131 millions d'euros, alors même que les droits audiovisuels n'avaient pas encore été négociés.

Où en est-on aujourd'hui ? Le processus d'attribution des droits audiovisuels a révélé des failles dans la gouvernance du football professionnel français. Le président de la Ligue est resté aux manettes, alors même qu'une filiale commerciale a été créée pour gérer ce genre de négociations. Le Président de beIN Media Group, maison-mère de beIN Sports France, a participé au conseil d'administration qui a attribué les droits dont beIN est partiellement titulaire. DAZN est confronté au piratage et peut sortir de son contrat avec LFP Media dans moins de deux ans, d'après une clause qui a été demandée par les clubs, ce qui est difficilement compréhensible. BeIN sports n'a toujours pas signé d'accord avec la Ligue, pour un contrat qui s'élève à 98,5 millions d'euros...

Le football professionnel a besoin d'une gestion plus équilibrée, ce qui implique de nouvelles recettes et la diminution des charges des clubs - en mettant fin à la croissance effrénée des salaires des footballeurs - ou bien des propriétaires historiques mettront la clef sous la porte, au profit de fonds d'investissement qui arrivent puis repartent en fonction d'arbitrages financiers au niveau mondial. Les clubs participent à la vitalité économique de nos territoires et à leur identité, ils doivent rester au centre d'un écosystème avant tout local. Dix clubs de Ligue 1 sont aujourd'hui intégrés dans des structures multipropriétaires, généralement en seconde ligne par rapport à des clubs majeurs en Europe. En 2023 et 2024, l'UEFA a autorisé les clubs de Toulouse puis de Nice à participer à ses compétitions malgré la présence d'autres clubs issus de la même structure. Mais qu'en sera-t-il demain ? Les groupes multipropriétaires pourraient pousser pour des ligues de plus en plus fermées. Pour préserver notre modèle sportif, il nous faut continuer à travailler avec les instances internationales à la mise en place de règles adaptées.

Je vous propose quatre axes de recommandations pour un renforcement de la régulation.

Il s'agit, premier axe, de consolider le régalien, en imposant aux ligues professionnelles de rendre davantage compte de la mise en oeuvre de leur subdélégation. Dans ce cadre, les organes de contrôle doivent être renforcés et les principes d'unité, de solidarité et de mutualisation doivent être réaffirmés. Je vous propose d'harmoniser les durées de la délégation, qui est de 4 ans et de la sub-délégation, qui est de 5 ans, mais aussi de renforcer le contrôle et le suivi des clubs et de la Ligue. Un ratio de répartition des ressources entre clubs de 1 à 3 permettrait de renforcer le principe de mutualisation. Une réflexion doit être engagée sur la taxe « Buffet », pour tenir compte de la nécessité pour les clubs de diversifier leurs ressources. Il revient au ministère des Sports et à la FFF d'assurer un contrôle renforcé. Je propose de rattacher la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) à la Fédération. Enfin, toujours sur ce premier axe, je propose de relever le plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

Deuxième axe, je propose d'améliorer la gouvernance des fonctions commerciales, en séparant clairement les ligues de leur filiale, en donnant au représentant de la fédération une voix délibérative dans la société commerciale et en associant mieux les dirigeants de clubs à la définition des orientations stratégiques.

Troisièmement, il est nécessaire de renforcer les exigences en matière d'éthique, de bonne gestion et de démocratie, en instaurant un plafond de rémunération pour les présidents de ligues, en mettant en place des pratiques de bonne gouvernance et en rationalisant la gestion des conflits d'intérêt. Il n'est pas acceptable qu'un membre du conseil d'administration d'une ligue puisse diriger une entreprise de diffusion audiovisuelle candidate aux droits. La place des administrateurs indépendants et celle des supporters doit être renforcée.

Enfin, le dernier volet des recommandations concerne l'économie du football. Les règles des appels d'offres ne permettent pas, aujourd'hui, d'optimiser leur résultat, le consommateur doit prendre plusieurs abonnements coûteux puis en changer à chaque nouvelle attribution de droits. La lutte contre le piratage doit se poursuivre, en complétant le dispositif que nous avions adopté en 2021. Je vous propose également de faire de la santé des joueurs une priorité en freinant l'augmentation du nombre de compétitions, de limiter l'effectif des équipes professionnelles et le ratio de masse salariale, de donner un pouvoir de blocage à la DNCG sur les reprises de clubs et de mieux contrôler la multipropriété en lien avec l'UEFA et la FIFA.

J'espère que nos travaux déboucheront sur une proposition de loi transpartisane.

M. Patrick Kanner. - Félicitations et merci pour ce travail important de lanceur d'alerte. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est qu'il y a eu une forme de libéralité, alors que notre droit doit être précisé. Je le dis pour ceux de nos collègues qui n'ont pas assisté aux auditions : nous avons, par moment, ressenti de la colère face à une certaine forme de légèreté et d'arrogance.

Un petit regret : j'aurais bien voulu entendre le président du club qui occupe la première place de la Ligue 1, dommage qu'il ne soit pas venu...

Je le dis au nom de mon groupe, nous sommes très favorables à vos recommandations et au principe d'une proposition de loi transpartisane à laquelle nous nous associerons. Nous sommes dans notre rôle de contrôle de l'action publique. La dernière journée de Ligue 1 a réuni plus de 300 000 spectateurs dans les stades, pour des matchs qui intéressent des millions de fans : le football est l'activité ludique et sportive la plus répandue dans notre pays, et derrière d'autres sports sont aussi concernés.

Je me réjouis du climat de confiance qui a présidé à nos travaux, animés par la volonté de faire évoluer l'organisation du sport professionnel dans le sens de l'intérêt général.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour ce travail important. Ce sujet mérite une attention particulière parce qu'il touche un grand nombre de Français, et parce qu'il est complexe dans ses imbrications et ses conséquences. La gestion du football a connu des dérives. Les téléspectateurs ne se retrouvent pas dans les arrangements passés pour la diffusion de leur sport favori parce que, pour le suivre, il leur faut plusieurs abonnements. Ce n'est pas le contrat qui avait été passé entre le football français et Canal+ en 1984. Les amateurs sont déboussolés par les choix hasardeux qui ont été fait et qui reposent sur une illusion : qui, en réalité, peut dire que le championnat français vaut 1 milliard d'euros ? On en arrive à des montages financiers illisibles. C'est pourquoi le travail de décryptage fait par le rapporteur est important.

La réaffirmation de la subdélégation de service public est essentielle, car elle semble avoir été perdue de vue. Et vous avez bien raison d'appeler à une réforme de la gouvernance pour éviter les conflits d'intérêts. Ce que nous avons découvert au cours de cette mission d'information ne doit pas perdurer - et j'ai, moi aussi, perçu l'arrogance de certains de nos interlocuteurs.

Le groupe LR est favorable à ce rapport et au principe d'une proposition de loi.

M. Michel Laugier. - Je vous remercie à mon tour pour ce travail important. Nous partageons votre constat intransigeant et implacable. Les constats du rapporteur reflètent la réalité et ont nécessité un effort particulier pour être obtenus de nos interlocuteurs. Le football est le sport numéro 1, celui où chaque Français est aussi un sélectionneur, où chacun refait le match, c'est un sport où s'expriment les passions. Son organisation est difficile à comprendre, il n'y a qu'à voir comment le président Vincent Labrune a été élu et réélu et comment fonctionne la LFP. L'invraisemblable feuilleton des droits audiovisuels dure depuis longtemps. Les diffuseurs ne parviennent pas à tenir leurs engagements alors qu'ils y parviennent chez nos voisins - et l'on finit par marcher sur la tête avec des chiffres qui sont irréalistes mais qui sont pris pour argent comptant par les clubs pour lancer leur saison. La saison actuelle a été lancée alors que les droits audiovisuels n'avaient pas été signés, je gage que les clubs vont devoir, au prochain mercato, vendre leurs meilleurs joueurs pour éponger leur dette... Les rentrées d'argent devaient servir à l'investissement. Une grande partie a servi à rémunérer les dirigeants et à acheter des joueurs, c'est regrettable.

Le groupe UC soutient vos recommandations, nous voterons ce rapport et nous sommes favorables à l'adoption d'une proposition de loi.

M. Adel Ziane. - Merci pour ces auditions très larges qui nous ont permis d'entendre beaucoup de monde, nous pourrions continuer puisqu'il y a encore beaucoup d'actualité sur le sujet - par exemple le coup de poing de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) contre le piratage, ou bien le refus de beIN Sport de payer une partie des droits... la situation, en réalité, est catastrophique.

Merci de rappeler le principe de la subdélégation : le football n'est pas l'affaire de quelques présidents de clubs qui règleraient les choses entre eux, c'est aussi l'affaire des territoires et celle des supporters. Vous insistez pour intégrer les supporters dans le conseil d'administration avec voix consultative, c'est utile, et vous appelez à la solidarité entre le football professionnel et le football amateur, c'est aussi une bonne chose. Le sujet de la multipropriété est un sujet grave, car la multipropriété revient à nier la place du football dans la société française et ses liens avec le sport amateur.

Vous avez également raison d'appeler à une gouvernance améliorée. J'ai été étonné par le manque de professionnalisme de certains dirigeants de clubs, qui ont signé l'accord avec CVC sans le lire, pour découvrir ensuite son contenu et tenter, mais trop tard, d'y revenir...

Enfin, il ne faut pas que l'élection à la présidence de la LFP puisse continuer à se dérouler comme elle vient de le faire : il a fallu l'intervention de la ministre pour que le président sortant ait un concurrent, et c'est finalement un conseil d'administration à la main du président sortant qui l'a réélu, ce n'est pas raisonnable - avez-vous une recommandation sur ce point spécifique ?

M. Jean-Jacques Lozach. - Toutes mes félicitations au rapporteur et à notre président, vous faites oeuvre utile. Il y a des failles dans la gouvernance, nous dites-vous, et elles se poursuivent. Les montants de droits sont pris pour argent comptant alors que les contrats ne sont toujours pas signés. Ce rapport est un signal d'alerte et la situation résulte aussi des conditions dans lesquelles nous avons adopté la loi du 2 mars 2022 - je rappelle que le volet relatif à la société commerciale avait été ajouté par amendement à l'Assemblée nationale.

J'espère que ce rapport débouchera sur une proposition de loi transpartisane. Nous avons ici l'occasion de préciser la notion de subdélégation, qui n'a jamais été claire, d'en dire le contenu et d'en préciser la pratique. Il est stupéfiant que la FFF ait été absente des sujets que vous avez traités. Il faudrait probablement entendre l'association nationale des ligues sportives professionnelles, parce que d'autres sports que le football sont concernés par la subdélégation.

Sur la recommandation n° 9, relative au plafond du prélèvement sur les paris sportifs, je préfèrerais un déplafonnement, plutôt qu'un relèvement du plafond : d'après les informations budgétaires dont je dispose, un déplafonnement pourrait rapporter 130 millions d'euros, c'est utile quand on sait qu'il va manquer au moins 170 millions d'euros au budget des sports, à périmètre constant...

Enfin, vous recommandez de renforcer les contrôles et notamment celui assuré par la DNCG, ce qui est essentiel, sans oublier une meilleure représentation de la FFF au sein de la société commerciale.

Mme Mathilde Ollivier. - Je vous félicite à mon tour pour ce travail de fond. Nous avons eu des auditions très intéressantes. Vous montrez les dysfonctionnements du football professionnel, j'ai été très marquée par ce défi de l'arrivée des fonds d'investissement, qui veulent prendre le pouvoir dans certains clubs. Cela pose la question du modèle économique du football français - différent de celui de nos voisins européens, en particulier sur la place qu'y prend la formation par les clubs.

Je partage la préférence pour un déplafonnement du prélèvement sur les paris sportifs en ligne, plutôt qu'un relèvement du plafond. Nous aurons ce débat en loi de finances. Je suis favorable au fléchage de ce prélèvement vers le ministère des sports, au service de la démocratisation du sport. Je crois aussi que le ratio de 1 à 3, pour la distribution des droits audiovisuels entre les clubs, est la clé pour limiter l'écart de richesse qui se creuse entre les clubs. Je suis également très favorable à votre recommandation n° 19 pour plafonner la rémunération des présidents de ligues professionnelles, c'est important quand on voit ce qui s'est passé avec Vincent Labrune.

Enfin, la recommandation n° 31 pour faire de la santé des joueurs une priorité me paraît essentielle. Des joueurs de haut niveau se trouvent épuisés parce qu'ils accumulent les matchs. Avez-vous évoqué cette recommandation avec l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) ?

M. David Ros. - À mon tour de féliciter le duo d'attaquants de notre commission. J'arrive d'une mission d'observation des élections législatives en Ouzbékistan, et je peux vous dire que les élections ouzbèques sont bien plus transparentes que celles de la LFP... J'ai été très surpris par l'amateurisme de certains présidents de clubs : ils manipulent des sommes importantes avec une légèreté déconcertante. Les pratiques que vous dénoncez donnent l'image d'un football français qui n'est pas à la hauteur. Cependant, les résultats actuels des clubs de Lille, de Brest et de Monaco en Coupe d'Europe montrent qu'il y a lieu de redorer cette image au regard des résultats sportifs.

Quelques remarques sur les recommandations. Pour les recommandations n° 19 à 21, je me demande si la focale est assez large, et s'il n'y a pas lieu d'élargir l'obligation de transparence et le plafonnement salarial à d'autres fonctions.

La recommandation n° 32 en faveur d'une limitation à 30 contrats de l'effectif des équipes professionnelles de football m'invite à vous interroger sur les cas de blessures, ou sur une adaptation possible au nombre de compétitions du club, ou encore l'inclusion d'un quota de jeunes disposant d'un premier contrat professionnel, voire de quotas de joueurs nationaux - il y a peut-être des précisions à apporter, qu'en pensez-vous ?

Enfin, la recommandation n° 35 relève clairement de la FFF, elle seule peut porter le sujet de la multipropriété auprès de l'UEFA et de la FIFA.

M. Gérard Lahellec. - À mon tour de vous exprimer mes sincères compliments pour cette oeuvre salutaire accomplie avec sérénité. Vous faites oeuvre de salubrité pour défendre une discipline populaire solidement ancrée dans nos territoires. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons le club de Guingamp, actuellement en Ligue 2 avec avoir été en Ligue 1. Son stade compte 17 000 places pour une ville de 7 800 habitants, c'est dire l'engouement pour ce sport, et c'est aussi pourquoi il faut veiller à ce que cette discipline ne soit pas entachée de manque de crédibilité. Il faut également penser à nos collectivités, qui sont pour quelque chose dans le fait que le football rayonne : elles financent, achètent et entretiennent des équipements... ce qui est une raison supplémentaire pour renforcer l'éthique et la rigueur dans la gestion du football. Il faut aller bien au-delà des contrôles réalisés par la DNCG.

Je partage donc vos recommandations et vous assure de notre disponibilité pour travailler sur une proposition de loi qui soit au service de l'ensemble du football et des territoires.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci pour vos retours. Je partage vos constats sur ce milieu très particulier qu'est le football professionnel. Au fil des auditions, la mission a mis en lumière des dysfonctionnements. Elle a renforcé ainsi sa crédibilité. Les retours de la majorité des acteurs du football sont très positifs, en particulier auprès de tous les amateurs qui ne comprennent pas que les places au stade soient si chères, et les instances si dispendieuses.

Il faut consolider le principe de la subdélégation, replacer la FFF et le ministère dans leur rôle d'autorités de contrôle. Chacun doit prendre ses responsabilités. Le Sénat avait proposé que la FFF ait une voix délibérative au sein de l'instance décisionnelle de la société commerciale. Celle-ci n'y était pas favorable - nous y revenons, c'est important.

Les auditions les plus constructives ont été celles qui se sont déroulées à huis clos. C'est le signe d'un milieu où certaines questions ne peuvent être abordées qu'en off.

La diminution de la valeur du championnat français appelle à trouver de nouveaux équilibres économiques. Les clubs professionnels ont parfois 40 contrats avec des joueurs, et quand c'est le cas, nous constatons qu'au moins 10 joueurs ne jouent jamais ; dans ces conditions, nous proposons de fixer une limite à 30 contrats, pour répartir mieux les ressources et avoir plus de moyens pour attirer certains joueurs. Il y aura un débat pour préciser les choses, mais le message aux clubs est là : cette course à l'augmentation des effectifs n'est pas souhaitable, surtout si c'est pour que des joueurs ne jouent pas...

Le football n'appartient pas à quelques-uns, et nous voulons aussi faire passer le message qu'avant de passer professionnels, les joueurs ont tous commencé dans des clubs amateurs : il faut plus de lien entre football professionnel et football amateur, en termes d'image, de solidarité et de financement.

Certains présidents de club n'avaient pas lu le pacte d'associés alors que celui-ci comprend des engagements très forts. Ils s'en sont justifiés en nous disant qu'ils avaient fait entièrement confiance à la Ligue ! Ce n'est pas raisonnable.

Nous proposons de rattacher la DNCG à la FFF pour garantir son indépendance.

Le ratio de 1 à 3 dans la distribution des droits est une clé pour conserver un championnat attractif. La répartition des droits doit être plus équilibrée pour limiter les écarts entre les clubs.

Nous avons auditionné l'Union nationale des footballeurs professionnels. La santé des joueurs doit être une priorité. Nombre de rencontres se déroulent principalement pour des motifs économiques, nous appelons à une vigilance particulière.

S'agissant de la gouvernance des ligues, nous demandons la présence de cinq administrateurs indépendants au lieu de trois afin que des projets alternatifs puissent être débattus.

Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer. Elles sont souvent propriétaires des stades. Si une équipe disparait, c'est à elles qu'il revient de porter l'équipement.

Si je propose de relever le plafond du prélèvement sur les paris sportifs plutôt que de le déplafonner, c'est par réalisme, compte tenu de notre situation budgétaire. Cette année, le prélèvement a rapporté 35 millions d'euros à l'Agence nationale du sport, nous sommes donc loin de l'enjeu.

M. Jean-Jacques Lozach. - Attention, cependant : la recette sur les paris sportifs en ligne n'a jamais été aussi dynamique. Les Jeux olympiques et paralympiques et l'Euro de football auraient représenté environ 1 milliard d'euros de mises, c'est phénoménal - et n'oublions pas que l'on passe de trois à deux taxes affectées à partir de l'an prochain.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à tous, je me réjouis de cette convergence autour des recommandations de notre rapporteur et d'une volonté commune d'adopter une proposition de loi.

Le feuilleton des droit audiovisuels n'est pas terminé et le football français continue de faire face à de nombreux défis. Le système s'est autonomisé depuis quelques années, au point que certains ont perdu l'esprit de la subdélégation et l'objectif final, qui est de servir les territoires, les supporters et les passionnés. Le poids des enjeux économique est devenu tel, que sans régulation, les difficultés risquent de s'aggraver. Notre travail collectif contribue à davantage de transparence.

Mme Monique de Marco. - Vous affirmez la nécessité d'une régulation, en effet souhaitable, mais prévoyez-vous de communiquer plus précisément sur le contenu de la proposition de loi que vous évoquez ?

M. Laurent Lafon, président. - L'idée est bien qu'une proposition de loi reprenne celles de nos recommandations qui relèvent de la loi.

M. Michel Savin, rapporteur. - Ces recommandations visent des acteurs multiples. Certaines relèvent de la LFP, d'autres relèvent de l'échelon international, par exemple notre appel à encadrer la multipropriété. Mais celles qui relèvent du domaine de la loi feront l'objet d'une proposition de loi, c'est bien notre intention et ce sur quoi nous allons communiquer.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

TRAVAUX EN COMMISSION

___________

Les comptes rendus des auditions plénières de la mission d'information sont consultables via le lien suivant :

https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Culture_Education_Communication/2024-2025/CR_auditions_plenieres.pdf

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions du rapporteur

JEUDI 4 AVRIL 2024

Ø MM. Richard DUHAUTOIS et Luc ARRONDEL, économistes du sport, co-auteurs d'ouvrages sur le football professionnel.

Ø Audition commune de spécialistes en droit du sport :

- Centre de droit et d'économie du sport (CDES) : MM. Christophe LEPETIT, responsable des études économiques et directeur de l'UEFA MIP, et Jean-Christophe BREILLAT, directeur des activités juridiques ;

- Fondation Jean-Jaurès : Pierre RONDEAU, co-directeur de l'observatoire du sport.

MERCREDI 10 AVRIL 2024

Paris Football Club (PFC) : M. Pierre FERRACCI, président.

MARDI 30 AVRIL 2024

LFP Media : M. Mathieu FICOT, directeur général délégué en charge des opérations.

JEUDI 2 MAI 2024

Ø MM. Fabien CANU et Olivier KERAUDREN, rapporteurs de la mission d'évaluation relative aux relations entre les fédérations sportives et les ligues professionnelles et la répartition de leurs compétences pour l'Inspection générale de la jeunesse et des sports.

Ø Fédération française de rugby (FFR) : M. Florian GRILL, président.

JEUDI 16 MAI 2024

Ø Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) : M. Philippe PIAT, président.

Ø M. Didier QUILLOT, ancien directeur général de la Ligue de football professionnel.

Ø Toulouse Football club (TFC) : M. Damien COMOLLI, président.

MARDI 21 MAI 2024

Paris Saint-Germain : M. Victoriano MELERO, secrétaire général.

JEUDI 6 JUIN 2024

Ligue de Football professionnel : Mme Nathalie BOY DE LA TOUR, ancienne présidente.

MERCREDI 19 JUIN 2024

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Direction de la législation fiscale (DLF) : MM. Bruno MAUCHAUFFÉE, chef de service, Aulne ABEILLE, sous-directeur en charge de la fiscalité directe des entreprises, et Ardéchire KHANSARI, adjoint de la cheffe du bureau de coordination.

JEUDI 27 JUIN 2024

LFP Media : M. Benjamin MOREL, directeur général.

MARDI 16 JUILLET 2024

Ø Silver Lake Partners : M. Christian LUCAS, managing director.

Ø Association nationale des supporters : MM. Pierre BARTHÉLÉMY, avocat et membre, et Vincent MEZENCE, membre, représentant l'association Red Star Fans.

MERCREDI 17 JUILLET 2024

Ø Conseil d'État : M. Rémy SCHWARTZ, conseiller d'État.

Ø A22 Sports management : M. Anas LAGHRARI, co-fondateur.

JEUDI 5 SEPTEMBRE 2024

Ø CVC Capital Partners : MM. Jean-Christophe GERMANI, managing partner, Édouard CONQUES, managing director, et Saâd BOUHMOUCH, investment director.

Ø Audition commune de supporters : MM. Ronan EVAIN, membre de l'association nationale des supporters, Adrien GIBELLO, membre de l'association La Tribune Ouest Grenoble pour les Diables bleus 2007, et Jérémy LIAGRE, membre de l'association La Tribune Ouest Grenoble pour le Red Kaos 1994.

JEUDI 12 SEPTEMBRE 2024

Table ronde de représentants de clubs en multipropriété : MM. Patrice HADDAD, président du Red Star football club, Marc KELLER, président du Racing club de Strasbourg Alsace, et Mattijs MANDERS, président exécutif et directeur général de l'Espérance sportive Troyes Aube Champagne (Estac), et Mme Sarah PALLUEL, directrice générale adjointe de l'Estac.

MARDI 24 SEPTEMBRE 2024

Ø beIN sports France / beIN media group : M. Laurent DE CAMAS, managing director de beIN sports France, Mme Caroline GUENNETEAU, secrétaire générale adjointe de beIN media group.

Ø Access Industries : MM. Guillaume D'HAUTEVILLE, vice-président exécutif, M. Brice DAUMIN, PDG de DAZN France.

Contrôle sur pièces et sur place

JEUDI 12 SEPTEMBRE 2024

Contrôle sur pièces et sur place au siège de la LFP et de LFP Media : MM. Arnaud ROUGER, directeur général de la LFP, Benjamin MOREL, directeur général de LFP Media, Sébastien CAZALI, directeur administratif et financier de la LFP.

Auditions plénières

MARDI 7 MAI 2024

Ø M. Pierre MAES, expert de l'économie du football et des droits TV, ancien directeur des acquisitions de droits sportifs pour les filiales internationales du groupe Canal+, auteur de La Ruine du foot français et Le business des droits TV du foot, enquête sur une bulle explosive.

Ø Havre Athletic Club (HAC) : M. Jean-Michel ROUSSIER, président-directeur général.

MARDI 21 MAI 2024

M. Christophe BOUCHET, ancien président et actionnaire de l'Olympique de Marseille, auteur de Main basse sur l'argent du foot français.

MERCREDI 22 MAI 2024

M. Jaume ROURES, fondateur et ancien président de Mediapro.

JEUDI 23 MAI 2024

Ø Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) : M. Jean-Marc MICKELER, président.

Ø Cabinet BTSG : M. Marc SÉNÉCHAL, mandataire judiciaire de la société Mediapro (huis clos).

Ø Mme Roxana MARACINEANU, ancienne ministre des sports.

MERCREDI 5 JUIN 2024

M. Cyril MOURIN, conseiller sport, JO, engagement associatif et jeunesse à la Présidence de la République.

MERCREDI 12 JUIN 2024

Fédération française de football : M. Philippe DIALLO, président.

JEUDI 20 JUIN 2024

Ø Table ronde de clubs de Ligue 1 :

- Stade de Reims : M. Jean-Pierre CAILLOT, président-directeur général, président du collège de Ligue 1 et membre du conseil d'administration de la LFP,

- Olympique Lyonnais : M. Jean-Michel AULAS, ancien président, vice-président délégué de la Fédération française de football ;

- Racing club de Lens : M. Joseph OUGHOURLIAN, propriétaire et président ;

- Lille olympique sporting club (LOSC) : MM. Olivier LETANG, président-directeur général, et Maarten PETERMANN, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du LOSC.

Ø CVC Capital Partners : MM. Jean-Christophe GERMANI, managing partner, et Édouard CONQUES, managing director.

MARDI 25 JUIN 2024

Grenoble Foot 38 : M. Max MARTY, manager général.

MERCREDI 26 JUIN 2024

Ø Ligue de football professionnel (LFP) : M. Vincent LABRUNE, président.

Ø MM. Kita WALDEMAR, président du Football club de Nantes, et Laurent NICOLLIN, président de Foot Unis et du Montpellier Hérault sport club.

MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2024

Ø Conseils de la LFP : M. Jean-Philippe BESCOND, managing director du cabinet Lazard, Maître François KOPF, associé et co-gérant du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, et M. Pierre PASQUAL, partner au sein de la banque d'affaires Centerview Partners (huis clos).

MERCREDI 25 SEPTEMBRE 2024

Ø M. Cyril LINETTE, candidat à la présidence de la Ligue de football professionnel.

JEUDI 3 OCTOBRE 2024

Ø Mme Amélie OUDÉA-CASTÉRA, ancienne ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
DES RECOMMANDATIONS

Le tableau sera publié ultérieurement.


* 1 Rapport d'information n° 4815 du 15 décembre 2021 en conclusion des travaux de la mission sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives, présenté par M. Cédric Roussel, rapporteur.

* 2 Audition du 7 mai 2024.

* 3 Audition du 7 mai 2024.

* 4 Audition du 7 mai 2024.

* 5 Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19.

* 6 Audition du 20 juin 2024.

* 7 Décision 21-D-12 du 11 juin 2021 de l'Autorité de la concurrence.

* 8 Arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2022.

* 9 Cour de cassation, arrêt du 25 septembre 2024 sur le pourvoi n°22-19.57 (de Canal+).

* 10 Cour de cassation, arrêt du 25 septembre 2024 sur les pourvois n°D23-13.067 (de Canal+) et n° T23-14.828 (de beIN Sports).

* 11 Google, Apple, Facebook, Amazon : les géants du secteur numérique.

* 12 Le Progrès, 14 juin 2021.

* 13 Audition du 20 juin 2024.

* 14 NPA Conseil, 2 mai 2023.

* 15 Audition du 25 septembre 2024.

* 16 Audition du 26 juin 2024.

* 17 D'après le compte rendu du conseil d'administration de la LFP du 11 juin 2021.

* 18 Audition du 7 mai 2024.

* 19 Audition du 23 mai 2024.

* 20 L'Argent du football, vol. 1- L'Europe de Luc Arrondel et Richard Duhautois (éditions rue d'Ulm, 2022).

* 21 Rapport d'information n° 437 (2016-2017) de MM. Jean-Jacques LOZACH et Claude KERN, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 22 février 2017, « Muscler le jeu du football professionnel ».

* 22 Rapport de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives, n° 4815, déposé le 15 décembre 2021.

* 23 Audition du 8 décembre 2021.

* 24 Jean-Marc Mickeler, président de la DNCG, lors de l'audition du 23 mai 2024.

* 25 Le Bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) est un solde permettant d'évaluer la rentabilité du cycle d'exploitation d'une entreprise.

* 26 Proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, n° 3808, déposée le mardi 26 janvier 2021, de Céline Calvez et plusieurs de ses collègues.

* 27 L'amendement de Cédric Roussel est disponible ici :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3980/AN/445

* 28 Rapport n° 319 (2021-2022) de M. Michel Savin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 5 janvier 2022 : https://www.senat.fr/rap/l21-319/l21-319.html

* 29 Cette liste est fixée par un arrêté des ministres chargés de l'économie et du budget après avis du ministre des affaires étrangères.

* 30 Décret n° 2023-648 du 20 juillet 2023 relatif à la commercialisation des droits d'exploitation des manifestations et compétitions sportives par la société commerciale des articles L. 333-1 et L. 333-2-1 du code du sport.

* 31 Au 7 octobre 2024.

* 32 Décret n° 2023-864 du 8 septembre 2023 relatif à la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle mentionnés à l'article L. 333-2 du code du sport.

* 33 Avis 23-A-12 du 26 juillet 2023.

* 34 CA du 25 mars 2022.

* 35 Audition du 26 juin 2024.

* 36 Audition du 26 juin 2024.

* 37 Désormais appelé United rugby championship, le championnat de Pro14 est une compétition regroupant les équipes d'Irlande, d'Ecosse, du Pays de Galles, d'Italie et d'Afrique du sud.

* 38 L'European professional club rugby (EPCR) organise deux compétitions européennes majeures : la Champions cup et la Challenge cup.

* 39 Propos de M. Jean Lapeyre, directeur juridique de la FFF, Assemblée fédérale du 18 juin 2022.

* 40 Audition du 3 octobre 2024.

* 41 Il s'agit du fonds Sanabil Investments, évoqué par M. Pierre Maes lors de son audition le 7 mai 2024.

* 42 M. Edouard Conques, audition du 20 juin 2024.

* 43 M. Jean-Christophe Germani, audition du 20 juin 2024.

* 44 Audition du 7 mai 2024.

* 45 Audition du 20 juin 2024.

* 46 Audition du 26 juin 2024.

* 47 Edouard Conques, audition du 20 juin 2024.

* 48 Idem.

* 49 Angers, Brest, Clermont, Lens, Lorient, Montpellier, Nantes, Reims, Strasbourg, Troyes.

* 50 Bordeaux, Metz, Saint-Etienne.

* 51 AG du 23 novembre 2023.

* 52 Conseil d'administration du 25 mars 2022.

* 53 M. Jean-Pierre Caillot, président du collège de L1 et du Stade de Reims, audition du 20 juin 2024.

* 54 Audition du 21 mai 2024.

* 55 Amiens, Bastia, Caen, Grenoble, Guingamp, Paris FC, Pau, Quevilly-Rouen, Rodez, Valenciennes.

* 56 Le Havre (accédant L1 à l'issue de la saison 2022-2023) ; Niort, Dijon, Nîmes, Sochaux (relégués National à l'issue de la saison 2022-2023).

* 57 Dunkerque, Nancy.

* 58 Laval, Annecy.

* 59 AG du 23 novembre 2023.

* 60 Maarten Petermann, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du Losc (audition du 20 juin 2024).

* 61 CA du 25 mars 2022.

* 62 CA du 4 mai 2022.

* 63 Audition du 7 mai 2024.

* 64 Jean-Pierre Caillot, audition du 20 juin 2024.

* 65 Deutsche Fussball Liga (ligue professionnelle de football allemande).

* 66 Audition du 3 octobre 2024.

* 67 Peu d'enseignements peuvent être tirés des chiffres des saisons postérieures à 2018-2019, les revenus des clubs ayant subi les effets (à la baisse) du covid puis (à la hausse) des aides exceptionnelles versées grâce à l'apport de CVC.

* 68 Mise à jour : beIN Sports a payé une première échéance fin octobre 2024 mais les discussions avec la LFP se poursuivent.

* 69 Audition du 26 juin 2024.

* 70 Montant provisoire (140 M€ escomptés).

* 71 M. Benjamin Morel est le directeur général de LFP Media.

* 72 Un VPN (Virtual Private Network), ou réseau privé virtuel, masque l'adresse IP de son utilisateur et assure la confidentialité de ses activités en faisant passer sa connexion par un serveur distant. Un DNS (Domain name system) alternatif modifie le serveur utilisé par le fournisseur d'accès à internet pour traduire les noms de domaine en adresses IP (Internet protocol), permettant ainsi d'accéder à des contenus bloqués.

* 73 Loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique.

* 74 Recommandation (UE) 2023/1018 de la commission du 4 mai 2024 sur la lutte contre le piratage en ligne des manifestations sportives et autres événements en direct.

* 75 L'Argent du football, vol. 1- L'Europe de Luc Arrondel et Richard Duhautois (éditions rue d'Ulm, 2022).

* 76 Audition du 25 septembre 2024.

* 77 Paysage des investissements et des finances des clubs européens, UEFA, 2024.

* 78 Articles 93 et 94 du règlement de l'UEFA sur l'octroi de licences aux clubs et la viabilité financière.

* 79 Arrêt CJUE dans l'affaire C-650/22 du 4 octobre 2024.

* 80 Cette notion d'investisseurs privés inclut le capital-investissement, le capital-risque, ou le soutien à des fonds de dette privée (source : UEFA).

* 81 Audition du 26 juin 2024.

* 82 Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 83 Décret n°2022-238 du 24 février 2022 relatif aux conditions d'attribution et de retrait de la délégation accordée aux fédérations sportives ainsi qu'au contenu et aux modalités du contrat de délégation.

* 84 Conseil d'État, 3 février 2016. Voir aussi le rapport de la mission d'évaluation relative aux relations entre les fédérations sportives et les ligues professionnelles et à la répartition de leurs compétences de MM. Fabien Canu et Olivier Keraudren, Inspection générale de la jeunesse et des sports (mars 2019).

* 85 Rapport de M. Rémy Schwartz, conseiller d'État, sur les relations entre fédérations délégataires et ligues professionnelles (2022).

* 86 Voir le rapport de M. Rémy Schwartz précité.

* 87 Audition de M. André Barbé, président de section à la 3ème chambre de la Cour des comptes, 15 juin 2020.

* 88 Cour des comptes, analyse de l'exécution budgétaire 2022, mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

* 89 Cour des comptes, « Sport pour tous et sport de haut niveau : pour une réorientation de l'action de l'Etat », rapport public thématique de janvier 2013.

* 90 M. Cyril Linette, audition du 25 septembre 2024.

* 91 M. Olivier Létang, président du LOSC, audition du 20 juin 2024.

Partager cette page