3E PARTIE : LES
RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
POUR UN RENFORCEMENT DE LA
RÉGULATION
À l'issue de six mois de travaux et après avoir auditionné une soixantaine d'acteurs, la mission d'information, dotée de pouvoirs d'enquête, sur la financiarisation du football formule 35 recommandations en vue d'améliorer la gouvernance et de renforcer la régulation du football professionnel français.
I. CONSOLIDER L'EXERCICE DES MISSIONS RÉGALIENNES DANS LA GESTION DU SPORT PROFESSIONNEL
A. CLARIFIER ET MIEUX CONTRÔLER LA SUBDÉLÉGATION DONT BÉNÉFICIENT LES LIGUES PROFESSIONNELLES
Recommandation n° 1 : Préciser dans le code du sport que les ligues professionnelles exercent une subdélégation de service public dans l'ensemble de leurs domaines de compétence, y compris la gestion et la commercialisation des droits sportifs qui doit s'inscrire dans le cadre du respect de l'intérêt général de la discipline et du principe de solidarité.
Le code du sport prévoit que les ligues professionnelles bénéficient d'une subdélégation de la part des fédérations sportives délégataires dans le cadre d'une convention d'une durée maximale de cinq ans. Cette subdélégation porte sur les prérogatives de la fédération en matière de représentation, de gestion et de coordination des activités sportives à caractère professionnel (article L. 132-1).
Par ailleurs, les droits d'exploitation des manifestations et compétitions appartiennent aux fédérations. Les droits audiovisuels peuvent être cédés aux clubs (article L 333-1), ce qu'a fait la Fédération française de football (FFF) par décision de son assemblée fédérale le 10 juillet 2004. Les droits cédés sont commercialisés par la ligue en vertu du monopole prévu par l'article L. 333-2 du code du sport.
Par conséquent, s'agissant des droits audiovisuels, la LFP assure la gestion et la commercialisation de droits qui appartiennent aux clubs, ce qui peut faire naître une ambiguïté quant à la nature de cette activité. Il est nécessaire de lever cette ambiguïté.
Recommandation n° 2 : Imposer aux ligues professionnelles l'obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de leur subdélégation à la fédération et à l'État dans le cadre d'un rapport annuel.
Il n'existe actuellement pas d'obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de la délégation ou de la subdélégation dans le cadre de rapports portant sur leur exécution.
Depuis 2017, l'État et les fédérations ont travaillé à faire évoluer leur relation de tutelle en relation contractuelle. De nouvelles dispositions législatives82(*) et réglementaires83(*) ont mis en place un cadre contractuel rénové. Ce cadre a abouti à reconnaitre à 86 fédérations la capacité à exercer des prérogatives de puissance publique dans le cadre de contrats de délégation. Ces contrats stipulent qu'un bilan d'exécution doit être réalisé chaque année. Il n'existe toutefois pas de contrôle direct du ministère des sports sur les ligues professionnelles.
Dans un souci de responsabilité et de transparence, une obligation de rendre compte de la mise en oeuvre de la subdélégation doit être instituée.
Recommandation n° 3 : Consacrer au niveau législatif le pouvoir de contrôle et de réforme par la fédération des actes de la ligue professionnelle et prévoir la possibilité pour la fédération et pour l'État de retirer à tout moment tout ou partie de la subdélégation en cas de non-respect de la convention liant la ligue à la fédération ou de manquement à l'intérêt général de la discipline.
L'article R. 132-15 du code du sport dispose que l'instance dirigeante de la fédération peut réformer les décisions de la ligue professionnelle qui seraient contraires aux statuts ou aux règlements de la fédération.
Le Conseil d'État a consacré en 2016 ce pouvoir de réforme à l'occasion d'un contentieux entre la FFF et la LFP84(*). Alors que la LFP avait décidé de réduire de trois à deux le nombre de clubs accédants de la Ligue 2 à la Ligue 1 ou descendant de la Ligue 1 à la Ligue 2, le comité exécutif de la FFF a réformé cette décision au motif qu'elle était contraire à l'intérêt supérieur du football. Le Conseil d'État a jugé que, lorsqu'elle crée une ligue professionnelle, une fédération doit s'assurer que celle-ci fait usage des pouvoirs qui lui sont délégués dans le respect des statuts de la fédération et de l'intérêt général de la discipline. Il revient donc à la fédération de réformer les décisions de la ligue qui seraient contraires aux statuts de la fédération ou qui porteraient atteinte aux intérêts généraux de la discipline dont celle-ci a la charge.
Dans le prolongement de cette décision, il convient de prévoir la possibilité pour la fédération de retirer tout ou partie de la subdélégation. Un rapport85(*) du conseiller d'État Rémy Schwartz suggère de prévoir que la convention de subdélégation puisse être résiliée en cas de manquement grave, après mise en oeuvre d'une communication préalable des griefs et saisine d'une instance de conciliation.
Recommandation n° 4 : Clarifier les relations fédération-ligue : harmoniser les durées de la délégation (4 ans) et de la subdélégation (5 ans), prévoir l'intervention du ministre chargé des sports pour résoudre les conflits éventuels entre une fédération et une ligue, procéder aux adaptations juridiques nécessaires au développement du sport professionnel féminin.
Le code du sport prévoit que la durée de la convention de subdélégation est, au maximum, de cinq ans. Cette durée n'est pas cohérente avec celle des délégations qui sont accordées par le ministère des sports pour une durée de quatre ans, à compter du 1er janvier de la deuxième année qui suit celle des Jeux olympiques ou paralympiques (article R. 131-26-2). Une mise en cohérence est nécessaire.
Les fédérations et les ligues exercent certaines compétences en coordination (compétences partagées). Le ministère chargé des sports doit pouvoir intervenir pour surmonter un désaccord entre fédération et ligue dans le cadre de la conclusion du contrat de subdélégation86(*). Des différends existent, dans les faits, sur le contenu de la convention de subdélégation et son protocole financier dans certaines disciplines. Le ministère n'a pas aujourd'hui la capacité de régler ces différends.
Le code du sport est imprécis concernant le statut du sport féminin, dont le développement subira indirectement les conséquences de la baisse des droits perçus par le football masculin. Doivent notamment être étudiées dans ce cadre :
Ø la possibilité pour une fédération de créer deux ligues professionnelles (masculine et féminine) dotées de la personnalité juridique, disposant éventuellement de filiales commerciales pour la gestion et la commercialisation des droits ;
Ø la possibilité de créer, avec le même numéro d'affiliation, une structure féminine à part éventuellement financée par des investisseurs extérieurs.
* 82 Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
* 83 Décret n°2022-238 du 24 février 2022 relatif aux conditions d'attribution et de retrait de la délégation accordée aux fédérations sportives ainsi qu'au contenu et aux modalités du contrat de délégation.
* 84 Conseil d'État, 3 février 2016. Voir aussi le rapport de la mission d'évaluation relative aux relations entre les fédérations sportives et les ligues professionnelles et à la répartition de leurs compétences de MM. Fabien Canu et Olivier Keraudren, Inspection générale de la jeunesse et des sports (mars 2019).
* 85 Rapport de M. Rémy Schwartz, conseiller d'État, sur les relations entre fédérations délégataires et ligues professionnelles (2022).
* 86 Voir le rapport de M. Rémy Schwartz précité.