II. UNE ÉCONOMIE À RÉINVENTER FACE AUX DÉFIS DES FONDS D'INVESTISSEMENT ET DE LA MULTIPROPRIÉTÉ
Le football professionnel français dépend toujours très largement des revenus issus des droits audiovisuels. La récente baisse de ces droits appelle toutefois à une diversification des sources de financement des clubs, pour assurer la pérennité du championnat français, tout en veillant à préserver son identité.
DROITS DE DIFFUSION 2023-2024 DES PRINCIPALES LIGUES EUROPÉENNES (M€)
Droits audiovisuels 2023-2024 domestiques et internationaux des championnats de première division, en millions d'euros (source : UEFA)
A. UN MODÈLE DE FINANCEMENT MENACÉ
1. Des droits audiovisuels décevants
a) Un feuilleton sans « happy end »
En 2018-2019, les droits audiovisuels représentaient 35 % des recettes des clubs, mutations comprises, et 48 % hors mutations67(*). Pour certains clubs, la part des droits audiovisuels allait même bien au-delà.
RECETTES (LIGUE 1 + LIGUE 2), M€
Source : DNCG
DISTRIBUTION DES DROITS AUDIOVISUELS EN LIGUE 1 EN 2023-2024, M€
La récente attribution des droits à DAZN et à beIN Sports préfigure une baisse des revenus des clubs français, pour le prochain cycle de cinq saisons.
La LFP a d'abord attribué, le 7 juillet 2024, les droits de la Ligue 2 à beIN Sports, seul candidat à l'appel d'offres, pour 40 M€.
Ces droits étaient associés à une grille de diffusion constituée de trois matchs le samedi à 15 h, le dimanche à 13h et le lundi soir, le reste étant diffusé en multiplex le samedi à 19h. Cette grille a été bouleversée par la suite, après l'attribution des droits de la Ligue 1. Le 31 juillet 2024, la LFP a décidé, à la demande de beIN, de faire passer le multiplex au vendredi à 20h et d'y intégrer le match initialement prévu le dimanche à 13h. La mise en oeuvre de l'assistance vidéo à l'arbitrage (VAR) en Ligue 2 a, par ailleurs, été reportée en conséquence du plan d'économies décidé par la Ligue, du fait de la baisse des revenus audiovisuels.
La décision de reprogrammer les matchs de Ligue 2 a été prise unilatéralement, sans y associer les supporters, informés tardivement, alors que nombre d'entre eux avaient déjà renouvelé leurs abonnements. Ceux-ci ont finalement été reçus par la LFP et par beIN, à l'initiative de la ministre chargée des sports, après le redémarrage du championnat, alors que plusieurs incidents violents avaient eu lieu, notamment lors d'un match Lorient-Grenoble le 24 août 2024. La mission d'information a reçu des représentants des supporters. Pour remédier au défaut de communication constaté, il serait utile de mieux associer les supporters à la gouvernance du football.
S'agissant de la Ligue 1, la négociation s'est faite de gré à gré, suite à un appel d'offres infructueux lancé à l'automne 2023.
Cet appel d'offres a été lancé trop tard, avec des mises à prix trop élevées, s'élevant à 825 M€ au total répartis en cinq lots. Le calendrier et le choix de ces mises à prix (non négociables) sont discutables. Surtout, la procédure d'appel d'offres, telle que prévue par le code du sport, paraît inadaptée. Après la consultation infructueuse lancée en janvier 2021 pour trouver un successeur à Mediapro, cette procédure a, de nouveau, échoué en 2023 à désigner un ou plusieurs titulaires des droits.
Le 14 juillet 2024, sur proposition du collège de Ligue 1, la LFP est entrée en négociations exclusives avec DAZN et beIN Sports pour l'attribution des droits audiovisuels de la Ligue 1. Cette combinaison a été préférée à un projet de chaîne dédiée à la Ligue 1, associée à Warner Bros Discovery, lancé par LFP Media en février 2024. Une première tranche d'investissement, d'un montant de 7,5 M€, avait été approuvée à cette date pour financer l'achat et la configuration de matériels par Mediawan.
Le contrat avec DAZN porte sur huit matchs sur neuf en direct et en exclusivité, le neuvième match étant diffusé en différé, quelques heures après sa diffusion par beIN Sports. Le diffuseur devra acquitter, en contrepartie, 400 M€ en moyenne par saison, mais seulement 350 M€ en 2024-2025 (et 450 M€, en revanche, en 2028-2029). En outre, la production (25 M€) est à la charge de LFP Media. Le montant des droits, hors frais de production, dus par DAZN en 2024-2025 est donc de 325 M€.
L'offre de DAZN a été acceptée par la Ligue à deux conditions :
Ø un renforcement des garanties prévues au contrat, qui a été négocié directement par un groupe de présidents de Ligue 1 auprès d'Access industries, la société du propriétaire de DAZN Len Blavatnik.
Cette garantie renforcée ne constitue toutefois pas une garantie à première demande. Elle laisse donc entière la question des délais de procédure, à mener au Royaume-Uni et aux États-Unis, dans l'hypothèse où elle devrait être mise en oeuvre.
La garantie d'Access Industries (États-Unis) n'est appelable que dans l'hypothèse où la société mère de DAZN (Royaume-Uni) ne paierait pas. Cette garantie porte sur un an glissant de contrat (400 M€) ;
Ø l'insertion d'une clause de sortie au bout de deux ans, qui est, de façon étonnante, une demande des présidents de clubs (et non une contrepartie de la garantie renforcée).
Cette clause de sortie fait peser une incertitude sur le financement futur des clubs, d'autant que le démarrage de DAZN est difficile, en raison de tarifs de lancement élevés (supérieurs à ceux pratiqués précédemment par Amazon) et de la banalisation du piratage.
La clause de sortie est réciproque : chacune des parties, Ligue ou DAZN, peut choisir de sortir du contrat à la fin de la saison 2025-2026, en le notifiant à l'autre partie avant le 15 janvier 2026, si le nombre d'abonnés n'a pas atteint 1,5 million (à un prix d'au moins 20 € par mois).
Quant au contrat avec beIN Sports, il n'était toujours pas signé à la fin du mois d'octobre 2024. La chaîne diffuse pour le moment « gratuitement » son match hebdomadaire - gratuitement pour elle, aucun paiement n'ayant été acquitté, mais pas pour ses abonnés68(*).
beIn Sports achèterait un match en direct par semaine contre 78,5 M€. La chaîne a promis, en outre, 20 M€ de ressources publicitaires. LFP Media est chargée, à ce titre, d'inventorier les espaces disponibles auprès des clubs pour valoriser notamment les marques beIN et Qatar Tourism. Pour les clubs, ces ressources viennent nécessairement se substituer à d'autres.
Ce contrat appelle quatre remarques :
Ø le montant des droits audiovisuels à payer par beIN Sports s'élève à 78,5 M€. Le montant de 20 M€ de ressources publicitaires n'est pas intégré au guide de répartition des droits audiovisuels, qui met en oeuvre la distribution des revenus récurrents selon les principes agréés par la LFP en 2022. Une répartition spécifique doit être définie pour les ressources issues du « sponsoring » ;
Ø cette formule, dans laquelle la commercialisation d'espaces publicitaires passe par LFP Media, et non directement par les clubs, ne permet pas d'exonérer les revenus qui en sont issus du dividende de CVC, qui est calculé sur l'ensemble des revenus commerciaux.
En août, Waldemar Kita, président du FC Nantes, a demandé que CVC renonce à son dividende sur la part « sponsoring », dans le prolongement de son audition au Sénat au cours de laquelle il avait indiqué qu'il faudrait « se mettre autour d'une table avec CVC pour voir comment on pourrait changer certaines choses » 69(*).
Si ces espaces publicitaires étaient commercialisés directement par les clubs, ils ne subiraient en effet pas ce prélèvement ;
Ø la conversion de droits TV en recettes publicitaires sort 20 M€ de l'assiette de la taxe « Buffet » qui n'est due que sur les droits audiovisuels ;
Ø de la même façon, l'enveloppe de 20 M€ échappe théoriquement au prélèvement de la FFF. La LFP s'est toutefois engagée à assurer une part de 2,5 % à la FFF et de 1,09 % à l'UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels).
Au terme de cette négociation, les droits audiovisuels sont en baisse et les charges applicables en hausse, compte tenu notamment du mode de calcul du dividende de CVC, auquel s'ajoute pour la saison en cours 50 % du dividende différé des deux saisons précédentes. En incluant ce rattrapage, le montant total de dividende CVC sur la saison 2024-2025 s'élève à 121 M€.
À date, les droits audiovisuels sont en forte baisse, même si des compléments sont attendus de la finalisation des droits internationaux.
Les droits domestiques s'élèveront, en 2024-2025, à 403,5 M€ (dont 325 M€ de DAZN et 78,5 M€ de beIN Sports), en baisse de 35 %, en partie compensée par l'apport de fonds CVC en juin 2024 (mais seulement pour les clubs les mieux dotés).
À partir de l'an prochain, selon le contrat conclu avec DAZN, les droits domestiques seront plus élevés (453,5 M€). Si l'on suppose un montant de 140 M€ de droits internationaux, la baisse des droits sera de 14 % par rapport au cycle précédent (sans complément issu des fonds de CVC, à l'avenir, puisque la dernière tranche a été versée en juin 2024).
MONTANT DES DROITS AUDIOVISUELS (M€)
2023-2024 |
2024-2025 (provisoire) |
|||
Droits domestiques L1 |
Amazon beIN/Canal+ Free Total |
250 331 42 623 |
DAZN beIN Total |
325 78,5 403,5 |
Droits domestiques L2 |
39 |
40 |
||
Droits internationaux |
72,5 |
57,870(*) |
||
Total droits audiovisuels |
734,5 |
501,3 |
Quant aux charges applicables avant répartition aux clubs, elles passent de 156 M€ en 2023-2024 à 272,5 M€ (+ 74 %). La LFP et LFP Media ont engagé un plan d'économies de 26 M€ (qui porte essentiellement sur LFP Media) pour réduire ces charges.
En conséquence, le solde à répartir entre les clubs diminue de 60 %.
SOLDE À RÉPARTIR ENTRE LES CLUBS (M€)
2023-2024 |
2024-2025 |
Évolution |
|
Ligue 1 |
495 |
189,8 |
- 62 % |
Ligue 2 |
83,5 |
39 |
- 53 % |
Total |
578,5 |
228,8 |
- 60 % |
D'autres revenus évoluent, eux, positivement :
- LFP Media a en effet conclu en mars 2024 un accord de nommage de la Ligue 1 avec McDonald's pour 30 M€ par saison de 2024-2025 à 2026-2027, en augmentation de 87 % par rapport au précédent contrat, passé avec Uber Eats.
- Les droits internationaux devraient quasiment doubler et atteindre 140 M€ en moyenne par saison (non complètement confirmés pour le moment).
Pour 2024-2025, la diminution des droits audiovisuels est en partie compensée par la distribution de la troisième tranche de l'apport de CVC. Cette troisième tranche s'élève à 417,5 M€ destinés aux sept clubs les mieux lotis de Ligue 1 (auxquels il faut ajouter 1,5 M€ pour chaque club de Ligue 2 satisfaisant tous les critères). Tous les clubs ne subissent donc pas la baisse des droits audiovisuels de la même façon.
La baisse des droits audiovisuels n'affecte pas seulement les clubs professionnels. Elle aura aussi un impact sur le sport amateur :
Ø d'une part, la baisse des droits audiovisuels affecte le produit de la taxe « Buffet » (art. 302 bis ZE du code général des impôts). Le football contribue en effet à hauteur de 77 % au produit de cette taxe, dont le taux est de 5 % sur les droits de diffusion. Pour mémoire, le produit de cette taxe est affecté à l'Agence nationale du sport, qui est chargée de développer la pratique sportive et de favoriser la haute performance ;
Ø d'autre part, la LFP contribue au financement du football amateur en versant chaque saison à la FFF une contribution à hauteur de 2,5 % des droits audiovisuels (nets de la taxe « Buffet ») et des recettes sur les paris sportifs, avec un minimum garanti de 14 260 000 €.
b) Une gouvernance inefficace
Le résultat de l'attribution des droits audiovisuels est, par conséquent, très éloigné de ce qui était espéré un an plus tôt lors de la formulation de l'appel d'offres, et de ce qui figurait au plan d'affaires de la société commerciale lors de la conclusion du partenariat entre la LFP et CVC.
Sans « refaire le match », le rapporteur souhaite souligner deux points.
(i) Des erreurs ont été commises dans le cadre d'une gouvernance qui connaît de graves dysfonctionnements.
Le 15 juillet 2024, c'est-à-dire le lendemain de la décision du conseil d'administration de la LFP d'entrer en négociations exclusives avec DAZN et beIN, au cours d'une réunion du comité de supervision de LFP Media, les représentants de CVC ont regretté avoir « constaté au cours des derniers jours des manquements graves à la gouvernance et à la transparence des échanges. Nous avons été induits en erreur et nous sommes consternés de la tournure des discussions dont nous avons été témoins dimanche, et des représentations qui ont été faites par certains et qui sont absolument contraires à la réalité des faits et au discours que M. Vincent Labrune nous a tenu jusqu'aux dernières heures précédant les réunions de dimanche ».
Le rapporteur partage cette consternation, au vu des faits rapportés par les représentants de CVC au cours de cette réunion :
« Au cours des 6 derniers mois, Vincent Labrune nous a toujours répété qu'il s'en remettait personnellement complètement à beIN Sports et qu'il remettait son destin entre leurs mains, et a toujours affirmé qu'il avait un deal avec beIN Sports qui ferait une offre de €700m pour l'ensemble des droits domestiques.
« À ce titre, Vincent Labrune a délibérément empêché toute initiative des équipes pour développer des options alternatives (que ce soit sur les droits domestiques et internationaux) afin de ne pas froisser beIN Sports, et ce depuis des mois.
« S'agissant de DAZN notamment, Vincent a toujours refusé de les considérer allant jusqu'à affirmer que beIN Sports ne ferait jamais rien avec eux.
« Hier les présidents ont déploré le manque de transparence dans la gestion du processus d'attribution des droits média et plus généralement, dans la gouvernance, et se sont émus d'avoir été si peu informés et que les solutions émergent si tard. Nous comprenons ce sentiment que nous partageons.
« Nous souhaitons rappeler que si les équipes n'avaient pas pris les initiatives de discussions avec [HBO] Max, et si CVC n'avait pas avec M. Benjamin Morel71(*) et PEAK fait revenir DAZN, aujourd'hui il n'y aurait rien sur la table et en tout état de cause aucun environnement concurrentiel n'aurait été construit.
(...)
« Jusqu'aux dernières heures, Vincent Labrune nous a affirmé, par écrit même, que l'offre de 100 millions de beIN Sports était inacceptable et qu'elle n'avait aucun sens en vue de la réussite du deal DAZN, et qu'il affirmerait pendant le collège l'impérieuse nécessité de privilégier une offre où l'ensemble des matchs seraient sur la même plateforme.
« Lors du Collège, à notre grande surprise Vincent Labrune n'a rien dit de tout cela et s'est contenté de remercier beIN Sports.
« Il nous avait été dit que si DAZN était retenu, un processus transparent et compétitif serait conduit pour le package B entre beIN Sports, C+ et Amazon afin de faire émerger la meilleure offre possible.
« Or pendant le Collège il a été recommandé d'accepter l'offre de beIN Sports alors même qu'elle est incompatible avec la proposition de DAZN. Décider une exclusivité avec beIN Sports, et rendre publique cette décision, est une faute de gestion contraire aux intérêts de la LFP Media.
« Nous regrettons les très nombreux conflits d'intérêts évidents et les intimidations répétées pendant ces échanges.
« Il nous semble que les intérêts de la Ligue sont mis à mal par des initiatives politiques ou conflits d'intérêts que certains clubs ne perçoivent pas ou mal. »
Outre les questions évidentes posées par les interférences du président de la LFP dans l'activité de LFP Media, on note ici au passage la présence inattendue d'un intermédiaire dans la négociation avec DAZN (PEAK). Alors que la création d'une filiale avait pour objet même de professionnaliser la gestion des droits, il semble que cet aspect du partenariat soit encore perfectible.
(ii) Une gestion insatisfaisante des conflits d'intérêts
Le propos rapporté ci-dessus met en évidence les effets délétères des conflits d'intérêts dans la gestion de la LFP.
Concrètement, la présence du président du Paris Saint-Germain, également président de beIN Media Group, et de l'association européenne des clubs (ECA) est un problème dans l'exercice par LFP Media de son activité et pour la transparence et l'efficience du processus décisionnel de la LFP.
La présence du président de beIN Media Group, lors du conseil d'administration du 14 juillet 2024, qui a décidé l'entrée en négociations exclusives avec DAZN et beIN Sports France, est pour le moins surprenante.
Le rôle joué par Nasser Al-Khelaïfi pose question dans le contexte de l'acceptation d'une offre de beIN Sports, peu compatible avec celle de DAZN, de la gestion du conflit qui en découle avec beIN, du non-paiement des matchs par ce diffuseur ou encore de la modification de la grille horaire de la Ligue 2 qui n'est plus celle qui était prévue par l'appel d'offres.
L'entrée en négociations exclusives avec beIN Sports, le 14 juillet dernier, offrait à LFP Media peu de leviers de négociation, alors même que de nombreux points restaient à clarifier. Cette situation est d'autant plus dommageable qu'un autre diffuseur a manifesté cet été un intérêt pour le neuvième match.
Sollicité par la mission d'information, Nasser Al-Khelaïfi n'a pas donné suite à la demande d'audition qui lui a été adressée.
2. Des débuts difficiles sous la pression du piratage
Ce qui a été exposé précédemment montre que la question des droits audiovisuels pour la période 2024-2029 est loin d'être réglée.
a) Une négociation qui joue les prolongations
La négociation avec beIN Sports sur les droits de la Ligue 1 se prolonge de façon préoccupante.
Tandis que les négociations avec DAZN ont progressé rapidement au cours de l'été, les échanges avec beIN n'ont toujours pas permis de finaliser le contrat. Un premier versement de 70 M€ a été effectué par DAZN en août, pendant que beIN diffuse toujours ses matchs sans être parvenu à un accord avec la LFP. Le préjudice se prolonge pour les clubs, alors que DAZN doit procéder prochainement à un second versement. En août 2024, ce préjudice a représenté entre 15 et 20 M€ manquants lors de la répartition de droits aux clubs. En outre, beIN Sports devait alors encore 36 M€ à LFP Media sur les droits audiovisuels du cycle précédent.
LFP Media a, aujourd'hui, d'autant moins de leviers de négociation que la retransmission des matchs se poursuit.
Le partenariat avec beIN Sports est contesté par certains clubs, notamment par le directeur général de l'Olympique lyonnais qui le considère comme « nul et non avenu », d'après un courrier publié récemment dans la presse. Le volet publicitaire pose de nombreuses questions juridiques et donne une mainmise aux marques qataries sur le sponsoring de LFP Media.
b) Des diffuseurs confrontés à la banalisation du piratage
D'autre part, DAZN connaît un début de saison difficile.
L'objectif de 1,5 million d'abonnés paraît ambitieux, compte tenu d'un tarif de lancement plus élevé que celui pratiqué par Amazon, ce qui a engendré une publicité négative sur les réseaux sociaux lors du redémarrage du championnat.
L'offre commerciale évolutive de DAZN a pu dérouter les consommateurs : 30 €/mois ou 25 €/mois avec engagement, ramenés ensuite à 20 €/mois, 30 €/mois pour deux connexions, 15 €/mois pour un match par journée... Cette question du tarif d'abonnement a malheureusement été éludée par la Ligue, qui s'est concentrée, dans ses négociations, sur le montant des droits. Or le prix de l'abonnement est un paramètre essentiel pour la visibilité du championnat et sa viabilité financière à long terme.
DAZN est une plateforme digitale avant d'être un diffuseur. Son approche est la suivante : la plateforme souhaite construire un nouvel écosystème rassemblant des communautés de fans autour d'un ensemble de produits payants et gratuits accessibles depuis une application. Ce modèle, qui mise sur la proximité et sur la jeunesse, rompt avec l'approche linéaire afin de multiplier les interactions avec les abonnés et d'ancrer ainsi une relation de long terme. La possibilité de s'abonner pour un match par journée laisse la possibilité aux fans de suivre une équipe en particulier sans payer pour la totalité des matchs, ce qui répond à une demande forte.
La demande des clubs d'insérer une clause de sortie au bout de deux ans est difficilement compréhensible. Les contrats de DAZN et beIN risquent ainsi d'être désynchronisés, reportant la perspective d'avoir enfin un diffuseur unique pour la Ligue 1.
Les clubs doivent désormais prendre en compte la sortie éventuelle de DAZN au bout de deux ans dans les décisions qu'ils prennent sur le plan budgétaire. Ils doivent aussi tout mettre en oeuvre pour écarter cette hypothèse et construire une relation de long terme avec leurs diffuseurs, afin de créer une spirale vertueuse. Les changements réguliers de diffuseur ont des effets déstabilisateurs.
Surtout, pour les clubs, comme pour les diffuseurs, l'une des principales sources d'inquiétude est la progression du piratage, qui représente une menace existentielle sur le financement du sport professionnel, particulièrement celui du football, et sur le rendement de la taxe « Buffet ».
L'ampleur du piratage est confirmée par une étude publiée par l'Arcom en avril 2024, d'après laquelle 35 % des Français ont recours à un VPN ou à un DNS alternatif72(*). 46 % des utilisateurs de VPN et 54 % des utilisateurs de DNS alternatifs sont des consommateurs illégaux de biens dématérialisés. Au total, 24 % de la population internaute française déclare avoir consommé au moins un contenu de manière illégale au cours de l'année qui a précédé cette étude. La première raison invoquée par ces internautes est relative au prix des abonnements, jugé trop élevé. Les détenteurs de VPN payants ont un abonnement qui s'élève à 4 € ou 5 € par mois en moyenne...
À l'initiative du Sénat, la loi du 25 octobre 202173(*) a introduit aux articles L. 333-10 et L. 333-11 du code du sport un dispositif de protection des droits sportifs dont la mise en oeuvre est confiée à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), en collaboration avec les fournisseurs d'accès à internet (FAI). La loi donne à l'Arcom la possibilité de bloquer les sites retransmettant illégalement des événements sportifs, sur le fondement d'une ordonnance du président du tribunal judiciaire. Depuis 2022, près de 5 000 sites sportifs illicites ont ainsi été bloqués à l'initiative de l'Arcom. L'audience illicite globale a baissé de 27 % entre 2021 et 2023.
L'Arcom est, toutefois, confrontée au développement de nouveaux modes de diffusion tels que la télévision par internet (IPTV), la diffusion de contenus via les réseaux sociaux et, plus généralement la pratique du « live-streaming ».
L'Arcom est, en outre, confrontée au défi de traiter en temps réel les demandes de blocage, afin d'assurer l'efficacité de son action, avec des moyens limités. C'est pourquoi une adaptation des dispositifs existants est nécessaire.
Il s'agit :
Ø de responsabiliser les acteurs, grâce à la création d'un délit de piratage dans le domaine sportif ;
Ø de permettre le blocage des sites en temps réel par des acteurs externes à l'Arcom, sous le contrôle de celle-ci ;
Ø et d'inciter les fournisseurs de VPN et de DNS alternatifs à bloquer les contenus pirates de façon volontaire.
Plusieurs pays européens ont mis en oeuvre des dispositifs s'inspirant de ces principes. La Commission européenne a publié une recommandation74(*), également en ce sens. Elle préconise de permettre aux titulaires de droits de transmission en direct de manifestations sportives de demander des injonctions qui puissent être étendues à des services qui n'étaient pas identifiés au moment de la demande d'injonction, lorsqu'ils concernent la même manifestation sportive. La Commission européenne invite aussi les États membres à favoriser la coopération volontaire avec les fournisseurs de services intermédiaires ainsi que des prestataires de services de publicité (dont les moteurs de recherche) et de paiement, afin qu'ils ne facilitent pas ce type d'activités illicites.
Les dispositions du code du sport, en matière de piratage, doivent être modifiées en coordination avec la loi du 2 mars 2022 qui a donné la possibilité aux ligues professionnelles de confier la gestion et la commercialisation des droits audiovisuels à une société commerciale.
* 67 Peu d'enseignements peuvent être tirés des chiffres des saisons postérieures à 2018-2019, les revenus des clubs ayant subi les effets (à la baisse) du covid puis (à la hausse) des aides exceptionnelles versées grâce à l'apport de CVC.
* 68 Mise à jour : beIN Sports a payé une première échéance fin octobre 2024 mais les discussions avec la LFP se poursuivent.
* 69 Audition du 26 juin 2024.
* 70 Montant provisoire (140 M€ escomptés).
* 71 M. Benjamin Morel est le directeur général de LFP Media.
* 72 Un VPN (Virtual Private Network), ou réseau privé virtuel, masque l'adresse IP de son utilisateur et assure la confidentialité de ses activités en faisant passer sa connexion par un serveur distant. Un DNS (Domain name system) alternatif modifie le serveur utilisé par le fournisseur d'accès à internet pour traduire les noms de domaine en adresses IP (Internet protocol), permettant ainsi d'accéder à des contenus bloqués.
* 73 Loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique.
* 74 Recommandation (UE) 2023/1018 de la commission du 4 mai 2024 sur la lutte contre le piratage en ligne des manifestations sportives et autres événements en direct.