B. LE FOOTBALL AU DÉFI DE RECONFIGURER SON MODÈLE DE FINANCEMENT
1. Le sport à l'ère du divertissement
Source : Statista (au 23 juillet 2024)
La Ligue 1 n'est pas la seule concernée en Europe par le recul des droits audiovisuels, même si les deux plus grandes ligues européennes sont épargnées. La Premier League, surtout, est mondialement connue et suivie, à l'image des sports professionnels américains. Mais les autres ligues rencontrent des difficultés. Le championnat italien (Série A) a du mal à vendre ses droits internationaux. Il n'a pas encore trouvé de diffuseur en France pour la saison qui a démarré.
Les consommateurs, notamment les jeunes, sont de moins en moins enclins à payer plus cher pour le football que pour la musique (Spotify, Deezer...) ou les séries TV (Netflix...). L'offre audiovisuelle dans le domaine sportif doit être considérée dans le contexte d'une offre de divertissement croissante sur des supports numériques diversifiés. La notion de « télévision » (et donc de « droits TV ») s'est profondément transformée.
Le football, trop souvent associé à une actualité connotée négativement, n'a pas su prendre le tournant du « storytelling ». De nombreux sports ont créé une offre audiovisuelle attractive, avec un narratif fort et positif couplé à des séries TV sous forme de documentaires dramatisés, par exemple dans la Formule 1 ou dans le cyclisme.
Depuis cette année, les ligues nationales subissent la concurrence accrue de compétitions européennes qui ont été transformées et occupent de plus en plus le devant de la scène médiatique, du moins tant que les équipes nationales y sont présentes et performantes.
Face à la diminution de leur principale source de revenus, les clubs sont poussés à investir pour développer de nouvelles sources de financement.
C'est précisément ce à quoi les fonds de CVC auraient dû être alloués de manière plus explicite et plus massive.
Le match hebdomadaire n'est qu'un moment dans la relation du club avec sa communauté de fans et de supporters. Cette relation ne se résume pas à une victoire ou à une défaite. D'autres activités peuvent être envisagées, autour des matchs, dans une logique de développement de l'entertainment.
Pour parvenir à cette diversification nécessaire des ressources, plusieurs objectifs peuvent être poursuivis :
- le développement des infrastructures et l'optimisation des recettes qui en sont tirées. C'est l'un des axes principaux du projet LaLiga Impulso en Espagne, dans lequel les clubs ont reçu de CVC des fonds qu'ils doivent affecter spécifiquement au développement de leurs infrastructures. En France, cet axe de développement se heurte toutefois au nombre limité de clubs propriétaires de leur stade.
Alors que de nombreux grands clubs européens sont propriétaires de leur stade, ce n'est pas le cas du Paris Saint-Germain, qui a un bail emphytéotique, régulièrement source de tensions avec la ville de Paris. Avec l'AJ Auxerre, l'Olympique lyonnais fait figure d'exception en Ligue 1, depuis qu'il est devenu propriétaire du Groupama Stadium. Alors qu'en Angleterre, une forte majorité de clubs sont propriétaires de leurs enceintes, la plupart des équipes françaises les louent auprès des collectivités locales ou de bailleurs privés ;
- l'amélioration de l'expérience au stade, grâce au développement des services, de l'accueil, des activités, de l'événementiel, mais aussi en développant les hospitalités, les visites de stades, les offres touristiques globales, etc. Des marges existent pour accroître les recettes ;
- le développement des recettes commerciales issues du sponsoring, des partenariats, des produits dérivés ;
- l'investissement dans le digital, sites internet et réseaux sociaux, avec des contenus améliorés pour consolider la base de fans au plan local, mais aussi à l'international ;
- plus généralement, l'amélioration de l'image du football est une condition indispensable à son développement. Cela implique des actions de responsabilité sociale et environnementale, des initiatives locales, ou encore en direction des familles.
Lutter contre la violence, le racisme et les discriminations, promouvoir les valeurs sportives doit devenir les piliers d'une stratégie pour améliorer l'image du football, développer l'intérêt du grand public et restaurer la confiance des partenaires et investisseurs potentiels.
2. Un football moins coûteux est-il possible ?
Depuis les années 1980, et surtout les années 1990, après l'arrêt « Bosman » qui a mis fin aux quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens, la croissance des salaires des footballeurs semble ne pas connaître de limite. Les écarts sont importants entre joueurs, avec des salaires qui sont montés en France jusqu'à 6 M€ mensuels en 2024 pour Kylian Mbappé, d'après L'Équipe. Néanmoins, 45 % des joueurs professionnels dans le monde gagnent moins de 1000 dollars par mois75(*).
Le modèle français est particulièrement dépendant des transferts de joueurs, qui permettent de renflouer les comptes des clubs chaque année. En 2022-2023, le résultat des mutations représentait 620 M€ dans les comptes des clubs de L1, soit 21 % de leurs produits. L'excellence des centres de formation français profite ainsi aux plus grands championnats européens. L'Ile-de-France constitue aujourd'hui avec la région de Sao Paulo au Brésil le plus grand bassin de jeunes footballeurs de talent.
D'après Cyril Linette, « Le football français n'a pas le choix. D'ici quelques années, il devra avoir bâti un projet moins coûteux et surtout moins dépendant des droits TV et des transferts de joueurs, dont il dépend à 80 %, voire à 90 %. Il doit le faire le plus rapidement possible, sous peine de marginalisation - j'insiste sur ce point - face aux grandes ligues européennes, qui, contrairement aux idées répandues, ont déjà commencé ce travail d'assainissement, à l'image de la Liga, en Espagne, qui contrôle la masse salariale de ses clubs et flèche intelligemment l'argent versé par CVC. L'Allemagne et l'Angleterre ont, de même, commencé à modérer les montants des transferts »76(*).
La Liga espagnole communique deux fois par an sur les plafonds de masse salariale imposés aux clubs (en valeur absolue), avec des écarts considérables entre les clubs (de 755 M€ pour le Real Madrid à 2,5 M€ pour Séville en septembre 2024).
En France, la DNCG met en oeuvre, depuis 2022, un ratio de masse salariale de 70 %, examiné conjointement avec un ratio de fonds propres, afin d'évaluer la viabilité financière des clubs.
Le ratio de masse salariale
L'article 11 du règlement de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) énonce que le contrôle de la situation financière des clubs s'exerce notamment au regard de deux indicateurs : un ratio de fonds propres et un ratio de masse salariale.
L'examen du ratio de masse salariale consiste à vérifier que la part de la rémunération du personnel et des indemnités de mutations de joueurs n'excède pas 70 % des recettes.
En cas de dépassement, pour ne pas encourir de sanctions, il est vérifié que les fonds propres permettent de couvrir la part excédant 70 % et que l'indicateur de fonds propres est respecté c'est-à-dire que les fonds propres ne sont pas inférieurs au passif.
Le ratio de masse salariale est calculé ainsi :
- au numérateur : rémunération des joueurs professionnels et de l'entraîneur principal, amortissement des indemnités de mutations de joueurs et honoraires d'intermédiaires sportifs ;
- au dénominateur : produits d'exploitation et plus-values sur mutations de joueurs.
En 2022, les salaires des joueurs des clubs de première division en Europe ont progressé de 4,7 % par rapport à 2021 et de 13 % par rapport à 2019. En moyenne, ils ont absorbé 54 % des recettes totales des clubs. L'UEFA désigne la France parmi les quatre « mauvais élèves » en Europe, indiquant que « en moyenne, les salaires des joueurs des clubs belges, français, italiens et turcs ont absorbé entre 68 % et 77 % des recettes totales. En comparaison, la moyenne des clubs danois, russes, suédois et suisses était inférieure à 40 % »77(*).
En 2023, toutefois, la croissance des salaires des joueurs serait inférieure à 1 % en Europe, en net ralentissement. Les clubs s'efforceraient de se conformer aux nouvelles règles édictées par l'UEFA. Celle-ci a défini un « ratio des frais liés à l'équipe » pour les clubs dont les frais de personnel sont supérieurs à 30 M€. Ce ratio est fixé au maximum à 70 %78(*) avec une mise en oeuvre progressive.
Un renforcement de cet encadrement est nécessaire, afin de préserver l'équité des compétitions et la viabilité financière des clubs. Les honoraires des agents doivent également être mieux encadrés et contrôlés.
Ce modèle économique subira les effets de l'arrêt79(*) récent de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire « Diarra », qui impose de revoir les règles des transferts. La CJUE a en effet jugé que les règles de la FIFA, association de droit privé, entravent la liberté de circulation des footballeurs professionnels et restreignent la concurrence transfrontalière entre les clubs. La Cour ne rejette pas la possibilité pour la FIFA d'établir des règles destinées à assurer la régularité des compétitions en maintenant un certain degré de stabilité dans les effectifs, mais seulement à condition d'avoir démontré la nécessité et la proportionnalité des mesures prises.
La mise en oeuvre de cet arrêt facilitera vraisemblablement les changements de club et entraînera une plus grande mobilité des joueurs, avec des effets économiques dont seul l'avenir dira s'ils sont comparables à ceux qu'avait eu, en son temps, l'arrêt « Bosman ».
Les conséquences en seront d'autant plus grandes, pour les clubs français, que les transferts de joueurs jouent un rôle essentiel dans leur équilibre financier. Une vigilance particulière s'impose donc quant à la façon dont cette jurisprudence sera mise en oeuvre.
* 75 L'Argent du football, vol. 1- L'Europe de Luc Arrondel et Richard Duhautois (éditions rue d'Ulm, 2022).
* 76 Audition du 25 septembre 2024.
* 77 Paysage des investissements et des finances des clubs européens, UEFA, 2024.
* 78 Articles 93 et 94 du règlement de l'UEFA sur l'octroi de licences aux clubs et la viabilité financière.
* 79 Arrêt CJUE dans l'affaire C-650/22 du 4 octobre 2024.