C. UNE DISTRIBUTION CONTESTABLE DES RESSOURCES
L'accord de la LFP avec CVC comportait deux volets, approuvés à une quasi-unanimité par les clubs en assemblée générale de la Ligue : d'une part, la création de la société commerciale et, d'autre part, une répartition de l'apport du fonds d'investissement à la société. Cet apport était destiné prioritairement au développement des clubs afin de créer une dynamique de rattrapage des championnats européens les plus riches. Ce volet s'est accompagné d'une nouvelle répartition des revenus récurrents entre clubs, favorisant les « locomotives » du championnat afin d'optimiser les résultats au niveau des compétitions européennes.
L'apport de CVC, qui s'élève à 1,5 Md€, a permis à la LFP de rembourser le reliquat du PGE souscrit au printemps 2020, à hauteur de 169 M€. Il a également permis de constituer le socle d'un fonds de réserve, à hauteur de 63,5 M€, et de lancer LFP Media, laquelle a acquis, peu de temps après sa constitution, la société Fantaleague, éditrice du jeu de fantasy football « Mon Petit Gazon » (MPG).
RÉPARTITION DE L'APPORT DE CVC (M€)
Clubs évoluant en L1 au cours de la saison 2021-2022 |
1 080 |
Clubs évoluant en L2 ou en National au cours de la saison 2021-2022 |
90 |
Remboursement PGE |
169 |
Lancement MediaCo |
40 |
Fonds de réserve |
63,5 |
FFF (Fédération française de football) |
20 |
Honoraires et frais des conseils |
29 |
Prime et augmentation de la rémunération du président pendant 2 ans, primes du directeur général et de quelques salariés |
8,5 |
Total |
1 500 |
1. La répartition des revenus entre les clubs
a) Des aides exceptionnelles versées aux clubs
Sur 1,5 Md€ d'apport de CVC, ce sont près de 1,2 Md€ qui sont versés aux clubs, dont 1,1 Md€ pour la Ligue 1, sur trois saisons, selon une clef de répartition approuvée par eux le 1er avril 2022, après examen par les collèges de Ligue 1 et de Ligue 2 ainsi qu'en conseil d'administration, puis à nouveau en assemblée générale le 23 novembre 2023.
La répartition des aides exceptionnelles versées aux clubs n'a pas suivi les critères habituels de répartition mis en oeuvre pour les revenus récurrents. La répartition des revenus récurrents comporte en effet une part fixe et des parts variables, en fonction de la notoriété et du classement sportif des clubs. Au titre des droits audiovisuels, pour la saison 2022-2023, la Ligue 1 percevait 86 % des droits sur cette saison (81 % jusqu'à 500 M€ de droits domestiques). L'apport de CVC aux clubs est revenu pour 92 % de son montant à la Ligue 1. Quant au PSG, il a touché 11 % des droits audiovisuels 2022-2023, mais 17 % du montant de l'apport de CVC aux clubs.
AIDES EXCEPTIONNELLES VERSÉES AUX CLUBS
QUI ÉVOLUAIENT EN LIGUE
1 EN 2021-2022 (M€)
Clubs |
Versement n° 1 |
Versement n° 2 |
Versement n° 3 |
Total versé |
Total versé (pour tous les clubs de la catégorie) |
Paris SG |
16,5 |
50 |
133,5 |
200 |
200 |
Marseille, Lyon |
16,5 |
23,5 |
50 |
90 |
180 |
Lille, Monaco, Nice, Rennes |
16,5 |
17,5 |
46 |
80 |
320 |
10 clubs49(*) |
16,5 |
16,5 |
33 |
330 |
|
3 clubs relégués50(*) |
8,25 |
8,25 |
16,5 |
49,5 |
|
Total Ligue 1 1 079,5 |
Plutôt que d'adopter une clef de répartition similaire à celle existant pour les revenus récurrents, issus des droits d'exploitation, les clubs ont choisi des modalités de répartition spécifiques, plus favorables aux grands clubs et notamment au PSG.
L'objectif des aides exceptionnelles était défini ainsi : « faire face aux conséquences de la covid-19, développer le produit football, améliorer le niveau des championnats en particulier celui de Ligue 1, améliorer son attractivité en France et à l'international et, par conséquent, augmenter les revenus commerciaux de la filiale »51(*).
Comment la répartition de ces aides a-t-elle été calculée ? D'après la LFP, à partir de « données sourcées et incontestables »52(*) portant sur cinq critères de performance, pondérés de manière égale :
Ø des critères de notoriété :
o les audiences domestiques : sur Amazon Prime video en 2021-2022 ;
o les audiences internationales : d'après Global MMK sur trois saisons entre 2019 et 2022 ;
o les audiences digitales : nombre de fans cumulés sur les réseaux sociaux ;
Ø des critères sportifs :
o les performances domestiques : somme des points remportés en compétitions domestiques sur trois saisons de 2019 à 2022 ;
o les performances européennes : somme des points remportés en compétitions européennes sur trois saisons (de 2019 à 2022).
La notoriété, dont dépendent trois critères, a donc été surpondérée par rapport aux résultats sportifs, dont dépendent deux critères. Un classement des clubs a été établi pour chacune de ces données, puis un classement moyen, qui a donné les résultats figurant dans le tableau ci-dessous. Au moment où les quatre groupes ci-dessous ont été établis à partir de ce classement moyen, les résultats de la saison 2021-2022 n'étaient pas connus.
RÉPARTITION DES AIDES EXCEPTIONNELLES ISSUES DE CVC
Club |
Classement moyen |
Groupes |
Paris SG |
1 |
Groupe A 200 M€ |
Marseille |
3 |
Groupe B1 90 M€ |
Lyon |
3,6 |
|
Lille |
3,6 |
Groupe B2 80 M€ |
Monaco |
5 |
|
Rennes |
7 |
|
Nice |
7 |
|
Saint-Etienne |
8,8 |
Groupe C 33 M€ pour les clubs se maintenant en L1 16,5 M€ pour les clubs relégués en L2 (fin 2021-2022) |
Nantes |
10,6 |
|
Bordeaux |
11,4 |
|
Montpellier |
11,8 |
|
Lens |
12,4 |
|
Reims |
12,8 |
|
Brest |
13,2 |
|
Strasbourg |
13,4 |
|
Angers |
14,8 |
|
Metz |
15,8 |
|
Clermont |
17,6 |
|
Lorient |
17,8 |
|
Troyes |
19,2 |
Ce classement, approuvé à l'unanimité par le collège de L1, pose de multiples questions.
Il est évident que le classement souhaité pouvait être obtenu en adaptant les indicateurs ou en arrêtant les compteurs au bon moment. La négociation de cette répartition est intervenue au même moment que celle portant sur la distribution des revenus récurrents.
CVC et le président de la Ligue ayant souhaité un soutien unanime des clubs au projet, la répartition a été étonnamment peu discutée.
Le partenariat avec CVC et la répartition des revenus formaient un tout, à prendre ou à laisser. « L'unique aménagement a concerné l'Olympique lyonnais et l'Olympique de Marseille : ces clubs ont obtenu 10 millions d'euros de plus que les nouveaux clubs qui, tels que le Losc, le Stade rennais ou l'OGC Nice, atteignaient leur niveau. Cela a été la seule discussion »53(*). Étant donné la situation économique, les clubs ont été amenés à accepter les conditions proposées.
Lyon et Lille, qui obtiennent le même classement moyen, ne sont pas traités de la même manière : Lille est traité comme Nice, dont les performances dans le classement moyen sont bien moindres, les participations de Lens et Toulouse à l'Europa League ne sont pas prises en compte, etc.
À tout le moins aurait-on pu imaginer une répartition évolutive, recalibrée lors de chaque versement.
Lors de son audition, Christophe Bouchet s'est étonné de la place de l'Olympique de Marseille, loin du PSG, alors que la rivalité entre ces deux clubs est l'un des moteurs du championnat français :
« La répartition entre les clubs est-elle équitable ? Non, elle est très singulière, si l'on se réfère à la valeur économique des clubs. En fait, entre les deux-tiers et les trois-quarts de la valeur économique du championnat français tiennent à deux clubs : le PSG et l'OM - c'est malheureux, parce que cela ne coïncide pas avec la valeur sportive, mais c'est une réalité économique. Or, sur 1,1 milliard d'euros à répartir, l'OM ne se voit attribuer que 90 millions d'euros, un montant proche de celui de clubs de bien moindre audience comme Rennes ou Nice, c'est incompréhensible - d'autres clubs comme Bordeaux, Nantes ou Saint-Etienne se voient également accorder des parts pour le moins étonnantes »54(*).
Seul le club du Havre a contesté cette répartition par la suite.
Le traitement du Havre Athletic club (HAC) est en effet pour le moins surprenant.
Si les clubs de Ligue 2 bénéficient d'une aide de 3 M€, c'est seulement à condition d'être toujours en L2 au moment du troisième versement. Étant monté en Ligue 1 à l'issue de la saison 2022-2023, le HAC n'a pas rempli cette condition et n'a donc perçu que 1,5 M€, soit la moitié de ce qu'a perçu un club de L2, et vingt fois moins que ce qu'ont perçu la majorité des clubs concurrents du HAC en L1. Le HAC a perçu une aide exceptionnelle de même montant que celle dont ont bénéficié les quatre clubs relégués en championnat National au moment où il accédait à la L1. Pourtant, le Havre subira au même titre que les autres clubs de L1 le prélèvement de CVC sur les droits. S'il s'agit d'une erreur, pourquoi n'a-t-elle pas été corrigée par la suite ?
Le cas du Red Star doit également être mentionné puisque ce club, qui a accédé à la L2 cette année, subira aussi le prélèvement sur les droits sans avoir reçu d'aide exceptionnelle au moment de l'arrivée de CVC et sans avoir participé à la décision sur ce partenariat.
AIDES EXCEPTIONNELLES AUX CLUBS
QUI
ÉVOLUAIENT EN L2 OU EN NATIONAL
EN 2021-2022 (M€)
Clubs |
Versement 1 Pour chaque club (août 2022) |
Versement 2 Pour chaque club (juin 2023) |
Versement 3 Pour chaque club (juin 2024) |
Total versé (pour chaque club) |
Total |
Toulouse, Ajaccio, Auxerre (accédants L1) |
8,25 |
8,25 |
16,5 |
49,5 |
|
10 clubs55(*) |
0,75 |
0,75 |
1,5 |
3 |
30 |
5 clubs (qui ne sont plus en L2 au moment du versement n° 3)56(*) |
0,75 |
0,75 |
1,5 |
7,5 |
|
2 clubs57(*) (relégués en National) |
0,375 |
0,375 |
0,75 |
1,5 |
|
2 clubs de National58(*) (accédant en L2 à la fin de la saison 2021-2022) |
0,375 |
0,375 |
0,75 |
1,5 |
|
Total Ligue 2 (dont accédants L1) : 90 Total Ligue 2 (hors accédants L1) : 40,5 |
Enfin, sur le montant d'1,5 Md€ versé par CVC, 20 M€ sont revenus à la FFF, en application du principe de solidarité et « afin de soutenir le plan de développement de la Fédération au sortir de la crise sanitaire »59(*) : 10 M€ ont été versés sur la deuxième tranche d'apport de CVC (2023) et 10 M€ sur la troisième tranche (2024).
b) Une nouvelle répartition des revenus récurrents
Le partenariat avec CVC est le pilier central d'un projet plus vaste, assumé par la Ligue, visant à renforcer les « locomotives » du championnat pour redynamiser les droits, notamment internationaux, grâce à de bonnes performances européennes.
Cette stratégie a été approuvée par le conseil d'administration de la ligue le 25 mars 2022, sur la base d'une proposition du collège de Ligue 1. Les principaux changements sont les suivants :
Ø pour les droits médias et commerciaux domestiques : une nouvelle répartition, ne comportant pas de part fixe, a été adoptée pour les droits compris entre 700 M€ et 1 Md€. Cette nouvelle répartition dépend uniquement de critères sportifs et de notoriété ;
Ø les droits médias et commerciaux internationaux seront répartis en fonction des résultats obtenus dans les compétitions de l'UEFA, sur quatre saisons (jusqu'en 2023-2024) puis sur trois saisons seulement. Seuls les clubs jouant ces compétitions bénéficieront de ces droits (qui s'ajoutent à ceux versés par l'UEFA elle-même). La part de chaque club dépend de son coefficient UEFA, c'est-à-dire de ses résultats dans les trois compétitions européennes sur cinq saisons ;
Ø les droits digitaux collectifs seront désormais répartis au prorata de la répartition individuelle des droits domestiques.
L'augmentation des recettes issues de l'UEFA est un facteur supplémentaire de différenciation entre clubs de L1. Les recettes totales issues de l'UEFA, pour les clubs européens, ont été stables en 2022 et 2023 (2,4 Md€), mais elles devraient augmenter à partir de 2024 et la mise en oeuvre du nouveau format des compétitions, ouvrant un nouveau cycle de droits de diffusion.
Ces recettes seront de plus en plus essentielles, compte tenu de la baisse des droits domestiques. En 2022-2023, 48 % des droits audiovisuels perçus par les clubs français qualifiés en coupes d'Europe provenaient des compétitions européennes ; cette proportion est supérieure à 50 % pour les clubs jouant en Ligue des champions (61 % pour le PSG).
Ces recettes demeurent néanmoins deux fois inférieures à celles perçues respectivement par les clubs anglais et par les clubs espagnols qui dominent la scène européenne, suivis de près par les clubs allemands.
À terme il existe évidemment une corrélation entre l'évolution des droits domestiques et internationaux des championnats et les performances, donc les droits perçus au niveau européen. Les deux dynamiques se renforcent mutuellement.
RECETTES DES CLUBS PROVENANT DE L'UEFA EN 2022 (M€)
En 2022, six clubs français ont perçu 231 M€ provenant de l'UEFA, sur 2,9 Md€ au total pour l'ensemble des clubs européens.
RÉPARTITION DES DROITS MÉDIAS UEFA ENTRE CLUBS FRANÇAIS (2023-2024)
L'écart croissant entre clubs peut fonctionner si les revenus sont en croissance, mais elle risque de mettre un certain nombre de clubs en grande difficulté dans un contexte de recul des recettes audiovisuelles. Elle pose question au regard du principe de mutualisation et de la nécessité de maintenir l'attractivité d'un championnat français qui ne soit pas à deux - ou trois vitesses (PSG, clubs « européens », autres clubs).
2. Des aides exceptionnelles insuffisamment encadrées
Le bon emploi par les clubs des fonds issus de l'apport de CVC est un paramètre essentiel de la réussite du projet « LFP Media », un projet de relance par l'investissement. Il s'agit de générer des revenus permettant ensuite de financer de façon quasi-indolore le dividende de l'investisseur car « mieux vaut posséder un petit pourcentage d'un ensemble en expansion qu'un fort pourcentage d'un ensemble qui stagne ou décline »60(*).
L'expertise du fonds était présentée dès le départ comme l'un des leviers du succès, au-delà de la seule dimension financière de l'accord. Mais il revenait en premier lieu aux clubs de développer leurs capacités à générer des ressources.
« L'investisseur n'a pas vocation à venir se substituer aux actionnaires des clubs. Le projet porté par la LFP et CVC est en effet un « plan de développement » et non un « plan de sauvegarde » du football professionnel. »61(*)
Lors de la conclusion du partenariat entre CVC et le championnat espagnol, il a été précisé d'emblée aux clubs signataires que les fonds apportés par CVC devraient être employés à 70 % pour l'investissement (infrastructures, digital, communication, international...). Les clubs peuvent consacrer le reste de l'apport, à hauteur de 15 %, au remboursement de la dette et, pour les 15 % restants, à l'acquisition de joueurs.
La conclusion du partenariat avec la LFP n'a donné lieu à aucun fléchage de ce type, ce qui a laissé planer une ambiguïté, dans la mesure où l'opération était conçue comme une opération de sauvetage des clubs après la pandémie et le départ de Mediapro. La seule précision apportée lors du conseil d'administration du 25 mars 2022 était que « la question des fonds propres [serait] un élément central de l'analyse pour prétendre à la perception de la totalité de la somme pour laquelle un club est éligible ».
En mars 2022, les clubs se sont donc répartis près de 1,2 Md€ sans s'accorder d'emblée sur des modalités d'emploi alors que la réflexion sur ce projet avait démarré plus d'un an auparavant.
En mai 2022, une commission d'octroi des aides a été créée, composée du président de la DNCG, du président de la commission Licence club et du président de la LFP. Cette commission a eu pour mission d'examiner les plans d'utilisation des fonds transmis par les clubs, affectant ces fonds à « différentes catégories de projets, notamment les infrastructures, la formation, obtenir + 500 points à la licence clubs, le digital, le développement de la marque, l'international, la sécurité dans les stades, le renforcement du niveau sportif et la conservation ou l'arrivée de talents, ou autre projet en lien avec les objectifs du projet CVC »62(*).
Trois conditions préalables à l'octroi des aides ont été posées :
Ø le dépôt d'un plan d'utilisation des fonds auprès de la commission d'octroi ;
Ø la justification de fonds propres positifs au 30 juin, avant intégration des aides (à l'exception de la première aide) ;
Ø le passage devant la DNCG en début de chaque saison pour valider les critères d'éligibilité.
Ces conditions préalables relevaient davantage de la forme que du fond. D'après Jean-Michel Roussier, « pour résumer, le seul critère d'attribution de la commission d'octroi est la possession de capitaux propres. Si le club dispose de fonds propres positifs, la subvention lui est acquise ; sinon, il n'y a pas droit. Si le club concerné est européen, il a le droit d'améliorer sa compétitivité, donc son effectif ; sinon, il faut consacrer les dépenses aux infrastructures, à la formation, etc. À ma connaissance, néanmoins, aucun contrôle ne s'exerce vraiment, à la différence de la situation qui règne en Espagne. »63(*)
De fait, la mission a constaté que certains présidents de clubs n'étaient pas en mesure de préciser spontanément l'emploi détaillé des fonds de CVC au sein de leur club, dans la mesure où les aides issues de l'apport de CVC sont intégrées au budget global du club au même titre que les autres revenus. Plusieurs présidents ont également indiqué avoir ainsi remboursé le PGE du club.
Certaines réponses témoignent, par ailleurs, d'une part de l'investissement inférieure à 70 %, loin du modèle de ventilation des ressources retenu en Espagne : « Concrètement, nous avons investi environ la moitié de l'argent que nous avons reçu dans les infrastructures, dans le développement de la formation et celui de notre centre de formation (...). Le reste de ce que nous avons reçu est allé dans le quotidien de nos dépenses, c'est-à-dire dans la masse salariale, le développement et l'amélioration de l'équipe première, en renforçant les staffs, ou, à la marge, vers d'autres domaines, tel le digital. »64(*)
La dernière tranche d'aide issue de l'apport de CVC ayant été versée en juin 2024, l'allocation des aides est connue a posteriori, à défaut d'avoir été fléchée a priori.
Les plans d'utilisation déposés par les clubs de Ligue 1 auprès de la commission d'octroi montrent que la majorité des fonds a été allouée au « sportif » c'est-à-dire aux salaires des joueurs et aux transferts, afin d'améliorer la compétitivité du club, tandis que 40 % seulement ont été consacrés aux infrastructures et au développement.
LIGUE 1 : AFFECTATION DES AIDES EXCEPTIONNELLES
(Affectation des aides au 30 septembre 2024, 96 M€ restant à attribuer.)
En Ligue 2, 66 % des fonds ont été consacrés à l'investissement.
LIGUE 2 : AFFECTATION DES AIDES EXCEPTIONNELLES
Les clubs « européens » étaient autorisés à allouer davantage à la compétitivité sportive. De fait, la part consacrée à l'investissement est très variable en fonction des clubs, de 2 % pour Lyon et 7 % pour Monaco à 95 % pour Angers.
PART DE L'AIDE CVC CONSACRÉE AUX INFRASTRUCTURES ET AU DÉVELOPPEMENT
L'allocation des fonds aurait dû être fléchée de façon contraignante dès la conclusion de l'accord avec CVC en mars 2022, et vérifiée a posteriori « sur factures » pour clarifier les objectifs du partenariat, « plan de développement » et non « plan de sauvegarde ».
3. Des intermédiaires largement rétribués
L'attention de la mission s'est portée sur l'enveloppe de 37,5 M€ consacrée, non pas au développement des clubs ou au lancement de la société commerciale, mais à la rémunération des conseils et des dirigeants de la LFP pour le rôle qu'ils ont joué dans la conclusion du partenariat avec CVC.
Ce montant correspond à un pourcentage de 2,5 % appliqué au montant sollicité par la LFP de 1,5 milliard d'euros. Il n'était pas précisé, au départ, que cette enveloppe servirait à financer non seulement les conseils, mais aussi des salariés de la LFP.
Le montant en jeu (37,5 M€) est conséquent, supérieur à celui perçu par la majorité des clubs de Ligue 1 (33 M€) et par la FFF (20 M€).
RÉPARTITION DE L'ENVELOPPE DE 37,5 M€
Rémunération des conseils |
29 |
Banque Lazard Frères |
12 |
Banque Centerview Partners France |
12 |
Cabinet Darrois Villey Maillot Brochier |
5 |
Rémunération des dirigeants de la LFP |
8,5 |
Bonus Vincent Labrune |
3 |
Hausse rémunération Vincent Labrune pendant 2 ans |
1,4 |
Bonus Arnaud Rouger |
1 |
Bonus salariés LFP |
0,25 |
Bonus salariés LFP Media |
0,35 |
Charges patronales |
2,5 |
Total |
37,5 |
a) Des banques d'affaires généreusement rémunérées
Les banques d'affaires ont contacté séparément, et proactivement, la LFP à l'automne 2020, afin de proposer leur assistance dans la recherche de fonds. Elles ont commencé à travailler conjointement à partir du début de l'année 2021. Le cabinet Darrois a été associé à ce travail pour apporter son expertise juridique, à partir de janvier 2021, après la résolution du dossier Mediapro.
Les honoraires des deux banques d'affaires ont consisté en une rémunération au succès, c'est-à-dire payable lors du closing, uniquement en cas de réalisation de l'opération. Le fait de retenir deux banques d'affaires plutôt qu'une seule n'a sans doute pas constitué un facteur d'économies. Le cabinet Darrois n'a, pour sa part, pas été rémunéré au succès, mais, plus classiquement, en fonction des diligences réalisées, qui auraient été minorées d'une décote si l'opération ne s'était pas réalisée.
Les deux banques d'affaires Lazard et Centerview se sont partagé 24 M€ à la signature du contrat. Ces honoraires représentent 1,6 % du montant total, ce qui, d'après plusieurs spécialistes interrogés par la mission, est en haut de la fourchette applicable pour un contrat d'un tel montant. Une fourchette comprise entre 0,5 % à 1,5 % est généralement évoquée pour un « méga-deal » supérieur à 1 milliard d'euros.
b) Des dirigeants très intéressés
Par ailleurs, une partie de l'enveloppe de 37,5 M€ a été utilisée pour rémunérer des salariés de la Ligue, ce qui n'est pas exactement l'usage dans le cadre d'une subdélégation de service public.
Le 1er avril 2022, l'assemblée générale de la LFP « prend note de la proposition de Vincent Labrune de désigner Marc Sénéchal en tant qu'expert indépendant, pour négocier les honoraires des conseils de la LFP ». Il n'était pas question, alors, de rémunérer les dirigeants de la LFP dans ce cadre.
L'ancien mandataire judiciaire de Mediapro a rendu compte de sa mission d'expertise en matière de rémunérations et gratifications, lors du conseil d'administration du 30 septembre 2022, auquel la plupart des participants ont assisté en visioconférence. Le procès-verbal de cette réunion, adopté le 9 novembre par les membres du CA, ne rend pas compte de cet échange ni des décisions prises.
Ce conseil d'administration du 30 septembre a pourtant adopté, à l'unanimité des suffrages exprimés - les sept représentants des « familles » ne participant pas au vote - les propositions de Marc Sénéchal concernant notamment la rémunération de Vincent Labrune.
Les honoraires et gratifications qui ont été attribués aux dirigeants de la LFP sont les suivants :
Ø pour Vincent Labrune, président de la LFP :
o un bonus exceptionnel de 3 M€ versé en deux échéances égales en octobre 2022 et octobre 2023 ;
o une augmentation de rémunération fixe annuelle brute : cette rémunération, fixée publiquement à 420 000 € par le conseil d'administration du 15 octobre 2020, est alors portée à 1,2 M€.
Ø pour Arnaud Rouger, directeur général de la LFP :
o un bonus exceptionnel de 1 M€ versé en deux échéances ;
o une augmentation de rémunération fixe annuelle brute pour la porter à 430 000 € (non imputée sur les fonds de CVC).
Il fut par ailleurs question, lors de cette réunion du conseil d'administration de septembre 2022, d'autres bonus « fixes » et « variables », dont les montants devaient être déterminés plus tard, conformément aux standards observés dans les principales ligues européennes. Ces bonus n'ont pas été mis en oeuvre.
Les gratifications votées en septembre 2022 n'ont pu être accordées qu'en profitant d'un abaissement des honoraires des conseils, tel que proposé par Marc Sénéchal. Les trois conseils affirment toutefois ne pas avoir été consultés ou impliqués d'aucune manière dans la détermination du montant des sommes versées aux collaborateurs de la LFP, dont ils n'avaient pas connaissance au moment où leur propre rémunération a été fixée puis payée. Le montant de 37,5 M€ ne correspond pas, selon eux, à une somme négociée en amont pour leur rémunération.
Pour la détermination des montants des gratifications, Marc Sénéchal a travaillé avec le cabinet Egon Zehnder, cabinet de conseil en recrutement de dirigeants, mandaté pour fournir des éléments de comparaison avec des ligues étrangères. Ce type de « benchmarking » a généralement pour effet (et même pour objet) d'entraîner une inflation des salaires des dirigeants, ce qui s'est vérifié en l'espèce.
Le cabinet Egon Zehnder a fourni des comparaisons avec des ligues beaucoup plus puissantes, telles que la Premier League, la Liga espagnole, ou encore avec l'UEFA et la FIFA, mais aucune donnée ne concernait des ligues plus modestes au niveau européen.
Les dirigeants des grandes ligues européennes ont généralement une rémunération structurée en trois parties : une base fixe, un « bonus fixe » conditionné à la bonne marche de la ligue et un « bonus variable » en fonction des résultats obtenus lors de la commercialisation des droits audiovisuels.
L'attribution d'un bonus à la faveur d'une augmentation de capital n'a pas de précédent. Rien n'indique, en effet, que le président de la ligue espagnole ait été rémunéré sur l'opération conclue par la Liga avec CVC.
Si bonus il doit y avoir, c'est éventuellement dans le cadre de l'exercice par la Ligue de son coeur de métier, c'est-à-dire la gestion et la commercialisation des droits. Un tel mode de rémunération est beaucoup plus discutable dans le cadre d'une augmentation de capital réalisée avec le concours de banques d'affaires déjà largement rétribuées.
Cette pratique pose une question évidente de conflit d'intérêts : en effet, si l'intérêt de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, compte tenu du dividende à payer ensuite ad vitam, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie future.
On comprend, dans ce contexte, que la répartition entre endettement (0 %) et capital (100 %) ait pu être rapidement arbitrée.
On n'imagine pas qu'un dirigeant puisse percevoir une rémunération sur l'endettement souscrit par sa société. C'est pourtant, fondamentalement, ce qui s'est passé dans le cadre de la conclusion du partenariat avec CVC.
Cette pratique est d'autant plus problématique que la conclusion de l'opération avec CVC a donné lieu non seulement à des bonus ponctuels, mais aussi à une augmentation de la rémunération fixe de Vincent Labrune.
Une confusion apparaît ici entre l'objectif de récompenser une « performance » et celui d'ajuster la rémunération en fonction d'un étalonnage basé sur les standards européens.
L'augmentation de la rémunération de Vincent Labrune a, en effet, été prise en charge pendant deux ans par les fonds de CVC. Cette augmentation, décidée à la faveur de l'opération, a permis au président de la Ligue de présenter le salaire qui lui a été alloué en octobre 2024 comme résultant d'un effort d'économie.
Or, le salaire du président de la LFP a, en réalité, doublé depuis sa prise de fonction en septembre 2020, et ce malgré les résultats discutables décrits dans le présent rapport.
RÉMUNÉRATION DES PRÉSIDENTS DES PRINCIPALES LIGUES EUROPÉENNES
Part fixe |
Part variable (en fonction |
Total |
|
Premier League CEO |
2, 5 M£ |
1 M£ |
3,5 M£ |
LaLiga Président |
2,6 M€ |
885 000 € |
3,485 M€ |
DFL65(*) CEO |
1,5 M€ |
? |
1,5 M€ |
Série A Président CEO |
100 000 € 960 000 € |
0 3 M€ |
100 000 € 3,960 M€ |
La mission s'est intéressée, en outre, à l'indemnité de départ de Vincent Labrune, dont le premier mandat arrivait à échéance en septembre 2024. En octobre 2020, le conseil d'administration de la LFP avait décidé que le président percevrait une indemnité forfaitaire de fin de mandat, due dans tous les cas, y compris en cas de révocation, de non-renouvellement ou de non-candidature, ou encore en cas de démission liée à un conflit de gouvernance. Cette indemnité s'élevait à deux ans de rémunération, sur la base de la rémunération perçue au cours des douze derniers mois à quelque titre que ce soit y compris d'éventuelles primes. Compte tenu d'une rémunération annuelle de 1,2 M€ à laquelle il faut ajouter le bonus de 1,5 M€ perçu en octobre 2023, cette indemnité pouvait atteindre 5,4 M€.
Sous la pression de la mission d'information, lors de son audition le 26 juin 2024, Vincent Labrune a toutefois renoncé à cette indemnité de départ. Le procès-verbal du conseil d'administration de la LFP du 25 juillet 2024 confirme cette renonciation, rapportant que : « Vincent Labrune considère que la rémunération et le bonus qu'il a obtenu à la suite de la création de la filiale commerciale de la LFP et l'entrée de CVC au capital de celle-ci étaient des éléments exceptionnels au sens littéral du terme et qu'il n'est pas question qu'ils puissent servir de base de calcul à l'indemnité de fin de mandat préalablement prévue et votée. Pour plus de clarté, Vincent Labrune va même plus loin en expliquant qu'il renonce purement et simplement au principe de l'indemnité prévue le 15 octobre 2020 dans l'hypothèse où son mandat ne se poursuivrait pas pour quelque raison que ce soit ».
Lors du conseil d'administration du 2 octobre 2024, la rémunération du président de la LFP a été fixée à 840 000 €, soit le double du montant fixé en octobre 2020. Ce conseil d'administration a, par ailleurs, acté que le président et les mandataires sociaux de la LFP ne bénéficieraient d'aucune indemnité de fin de mandat ni d'aucune assurance spécifique à ce titre.
4. Un emballement du train de vie de la Ligue
D'après Amélie Oudéa-Castéra66(*), ancienne ministre chargée des sports : « Il est incontestable que le train de vie de la LFP s'est quelque peu emballé avant même que les droits TV pour le cycle 2024-2029 aient été négociés. On a pour ainsi dire mis la charrue avant les boeufs ».
En premier lieu, les frais du président de la LFP ont augmenté de 30 % en deux ans. Une certaine confusion règne entre les fonctions exercées par Vincent Labrune en tant que président de la LFP et celles exercées en tant que président de LFP Media (ou plus exactement en tant que représentant de la LFP, personne morale présidant LFP Media), s'agissant des frais comme du salaire de Vincent Labrune, partiellement refacturé à la filiale, sans que CVC n'en ait connaissance.
FRAIS DU PRÉSIDENT DE LA LFP / LFP MEDIA (EN €)
Frais président LFP |
Frais président |
Total |
|
2020-2021 |
152 891 |
152 891 |
|
2021-2022 |
159 259 |
159 259 |
|
2022-2023 |
91 032 |
108 050 |
199 082 |
Au moment où elle a conclu l'opération avec CVC, la LFP a également acquis un nouveau siège de 3 560 mètres carrés dans le dix-septième arrondissement de Paris, par crédit-bail pendant 12 ans, selon des modalités validées en assemblée générale le 8 juin 2022. Le crédit-bail s'élève à 123,4 M€, dont 3,4 M€ de frais. Ce montant inclut 20 M€ de travaux, auxquels il faut ajouter 8 M€ de travaux d'aménagement intérieur.
Le coût total de cette opération immobilière est donc de 131,4 M€.
L'avance-preneur payée par la LFP aux crédits-bailleurs s'élève à 31 M€ dont 15 M€ payés sur fonds propres et 16 M€ empruntés. Le loyer annuel s'élève à 7,3 M€ par an, en partie refacturés à LFP Media qui occupe les mêmes locaux. L'ancien siège est, parallèlement, loué par la LFP à son nouvel occupant, la société M2DG, pour 1,1 M€ par an.
Cette opération a été conclue alors même que le football professionnel français connaissait une baisse de ses droits audiovisuels, suite à l'attribution des droits à Amazon. Il aurait été prudent d'attendre le résultat de la vente des droits sur le cycle démarrant en 2024, avant de se lancer dans une telle opération, coûteuse pour les comptes de la Ligue et donc pour les clubs.
* 49 Angers, Brest, Clermont, Lens, Lorient, Montpellier, Nantes, Reims, Strasbourg, Troyes.
* 50 Bordeaux, Metz, Saint-Etienne.
* 51 AG du 23 novembre 2023.
* 52 Conseil d'administration du 25 mars 2022.
* 53 M. Jean-Pierre Caillot, président du collège de L1 et du Stade de Reims, audition du 20 juin 2024.
* 54 Audition du 21 mai 2024.
* 55 Amiens, Bastia, Caen, Grenoble, Guingamp, Paris FC, Pau, Quevilly-Rouen, Rodez, Valenciennes.
* 56 Le Havre (accédant L1 à l'issue de la saison 2022-2023) ; Niort, Dijon, Nîmes, Sochaux (relégués National à l'issue de la saison 2022-2023).
* 57 Dunkerque, Nancy.
* 58 Laval, Annecy.
* 59 AG du 23 novembre 2023.
* 60 Maarten Petermann, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du Losc (audition du 20 juin 2024).
* 61 CA du 25 mars 2022.
* 62 CA du 4 mai 2022.
* 63 Audition du 7 mai 2024.
* 64 Jean-Pierre Caillot, audition du 20 juin 2024.
* 65 Deutsche Fussball Liga (ligue professionnelle de football allemande).
* 66 Audition du 3 octobre 2024.