B. CVC, UN ACTIONNAIRE PAS COMME LES AUTRES
1. Un montage financier complexe
CVC Capital Partners est une société cotée, introduite en bourse à Amsterdam depuis avril 2024.
Lors de leur audition, Jean-Christophe Germani et Édouard Conques, qui représentent CVC en France, ont apporté à la mission les précisions suivantes sur l'origine des fonds :
« Nous levons des fonds d'investissement qui sont comme des poches de capital dans lesquelles investissent des centaines de sociétés, lesquelles sont pour la plupart des organismes de gestion, des sociétés d'épargne, des compagnies d'assurance et, parfois, des fonds souverains. Ce sont des investisseurs passifs dans ces poches de capital ; nous avons le contrôle sur l'investissement (...). Vous avez posé une question spécifique sur un investisseur saoudien41(*) : il s'agit d'un investisseur très minoritaire dans une poche de capital ; ce n'est pas un actionnaire de notre société »42(*).
S'agissant du fonds qui a investi dans LFP Media : « Dans ce fonds, plus de 500 investisseurs nous ont confié leur capital dans ce que j'ai appelé un fonds commun de placement ; ils sont donc très nombreux, et aucun d'entre eux n'en représente une part significative (...). »43(*)
CVC a investi dans LFP Media via une chaîne de quatre sociétés holdings détenues à 100 % du capital et des droits de vote :
Ø Renaissance TopCo SARL (société de droit luxembourgeois intégralement détenue par les fonds CVC) ;
Ø Renaissance Luxembourg SARL (société de droit luxembourgeois intégralement détenue par Renaissance TopCo) ;
Ø Renaissance Financière SAS (société de droit français intégralement détenue par Renaissance Luxembourg) ;
Ø Renaissance Investissement SAS (société de droit français intégralement détenue par Renaissance Financière).
Les dividendes versés à CVC par LFP Media sont perçus par la société Renaissance Investissement SAS.
Par ailleurs, Renaissance Investissement et Renaissance Financière ont souscrit un crédit pour financer 50 % de leur investissement dans LFP Media. Si la LFP n'a jamais réellement envisagé de recourir au crédit pour financer tout ou partie de ses besoins, c'est en revanche ainsi que CVC a procédé, grâce à un crédit adossé sur les revenus futurs du football professionnel français. Les dividendes perçus au titre de LFP Media sont affectés prioritairement au remboursement de ce crédit.
Les investisseurs finaux des fonds CVC ont vocation à percevoir l'essentiel de la rémunération de leur investissement au moment de la cession par les entités CVC de leur participation dans LFP Media.
2. Un plan d'affaires très optimiste
La LFP et CVC ont fondé leur accord sur un plan d'affaires qui se révèle très optimiste, s'agissant des droits domestiques. Celui-ci a été contredit par le premier appel d'offres qui a suivi l'entrée du fonds d'investissement dans le championnat français. À l'été 2024, en effet, les droits domestiques de la Ligue 1 ont été attribués à DAZN et à beIN Sports pour moins de 500 M€.
Le plan d'affaires de LFP Media prévoit une multiplication par 2,3 des revenus du football professionnel à l'horizon 2031-2032, avec une croissance plus marquée pour les droits internationaux que pour les droits domestiques, et une progression notable des revenus digitaux au cours de la décennie.
REVENUS PROJETÉS DE LA MEDIACO À L'HORIZON 2032
M. Pierre Maes44(*), à qui la mission d'information a demandé s'il trouvait ce plan d'affaires réaliste, a indiqué :
« Non. Et ce pour plusieurs raisons. J'ai parlé du piratage, qui est un fléau dont les acteurs essayent de cacher le développement, mais qui est très présent. Par ailleurs, on compte de moins en moins d'aventuriers de type Mediapro, Altice, BT en Angleterre, etc. Donc il y a de moins en moins de cowboys. Les Gafa, dont les ligues attendaient énormément, sont extrêmement prudents. Amazon, qui est celui qui investit le plus dans le foot européen, est très radin et très intelligent. DAZN, qui est finalement le seul acteur ambitieux qu'il reste au niveau européen, a cumulé 6 milliards de dollars de pertes. Les ligues qui passent des accords avec lui le font en tremblant : sa survie ne tient qu'à la volonté de son propriétaire, M. Len Blavatnik, l'un des trois hommes les plus riches d'Angleterre. Le jour où celui-ci décidera de ne plus remettre au pot, c'en sera fini de DAZN ».
Pour CVC, le résultat obtenu en 2024 sur les droits domestiques signifie que cet investissement devra être rentabilisé sur une durée plus longue que prévue.
Pour les clubs, le dividende de CVC sera d'autant plus pénalisant que l'arrivée du fonds d'investissement n'a, pour le moment, pas enclenché la dynamique souhaitée sur les droits domestiques, qui continueront à représenter une part très majoritaire des revenus au cours de la prochaine décennie. La croissance différenciée des droits internationaux et domestiques est notable, alors que la réforme de la distribution des droits récurrents conduit à réserver les droits internationaux aux clubs jouant les compétitions européennes. Si cette croissance différenciée des droits se concrétise, l'écart entre clubs au sein du championnat ne fera que s'accentuer.
Le plan d'affaires de la filiale détaille par ailleurs le mode de calcul du dividende de CVC et permet de comprendre toute la mécanique de l'accord entre la LFP et le fonds d'investissement. Comme souligné précédemment, ce plan d'affaires n'a pas été transmis aux présidents de clubs ni au ministère des sports avant l'approbation du partenariat, ce qui pose un grave problème de principe.
3. Une part qui peut monter jusqu'à 20 %
En application des accords passés entre CVC et la LFP, CVC est monté au capital de LFP Media en trois étapes :
- Renaissance Investissement a souscrit le 26 juillet 2022 à la première augmentation de capital prévue par les accords avec la LFP, soit 610 M€, au terme de laquelle CVC détenait 5,75 % du capital de LFP Media (LFP : 94,25 %) ;
- En juin 2023, une deuxième augmentation de capital, d'un montant de 450 M€, a fait passer Renaissance investissement à 9,58 % du capital (LFP : 90,42 %) ;
- En juin 2024, la troisième et dernière augmentation de capital (440 M€) a fait passer Renaissance investissement à 13,04 % du capital (LFP : 86,96 %).
Au terme de ces trois augmentations de capital, CVC a donc apporté 1,5 Md€ de capitaux à la filiale commerciale de la LFP.
La loi permet à CVC de monter jusqu'à 20 % au capital de LFP Media.
Selon les accords entre la LFP et CVC, la part de CVC peut être portée à un maximum de 14,29 % au dénouement de l'investissement de CVC.
Cette augmentation se produirait dans l'hypothèse où le résultat net retraité de LFP Media au titre du dernier exercice précédant la cession par CVC de sa participation serait inférieur à celui figurant dans le plan d'affaires agréé : le passage à 14,29 % correspond à un cas de sous-performance de 15 % ou plus par rapport au résultat net retraité figurant dans le plan d'affaires. Le passage à un maximum de 14,29 % s'effectue alors uniquement au dénouement de l'investissement de CVC. Ce point est notable compte-tenu de la sous-performance observée dans l'attribution des droits pour les cinq prochaines saisons.
Les accords entre la LFP et CVC permettent, en outre, de protéger l'investisseur dans quatre hypothèses de « changements majeurs ». Ces mécanismes de protection incluent un possible rehaussement du ratio d'attribution déterminant le montant du dividende de l'investisseur, de 13 % à 20 % maximum.
Ø Changement majeur n° 1 : retrait, résiliation ou non-renouvellement de la subdélégation consentie par la FFF à la LFP en vertu de l'article L.131-14 du code du sport ou de la convention visée au même article.
Ø Changement majeur n° 2 : ce cas recouvre 4 hypothèses distinctes.
o Un changement important dans la réglementation applicable à la société ou à la LFP ;
o Un changement important dans le format ou l'organisation des compétitions organisées par la LFP auquel l'investisseur se serait opposé ;
o Un jugement ou une décision administrative ou judiciaire qui affecterait de manière directe et significative la société ou les droits financiers de l'investisseur ;
o Un changement dans la subdélégation ou dans la convention FFF/LFP qui aurait pour effet de réduire significativement le champ de compétence de la LFP ou de la société commerciale.
Ø Changement majeur n° 3 : Contestation ou remise en cause de la quote-part revenant à la société commerciale des produits de droits d'exploitation.
Ø Changement majeur n° 4 : sortie d'un club figurant parmi les sept premiers en termes d'allocation de droits audiovisuels (en moyenne sur trois saisons) pour une autre compétition.
Afin d'éviter la survenance d'un changement majeur, la LFP s'engage à solliciter, à satisfaire les conditions et à obtenir le renouvellement de la subdélégation de la FFF et de la convention correspondante.
La LFP a pris ici un engagement qui la dépasse puisque le maintien du schéma prévu par le code du sport relève non seulement de la Ligue, de la fédération et du pouvoir exécutif (qui ont approuvé l'accord), mais aussi du législateur. En vertu des accords passés entre la LFP et CVC, ceux-ci ne sauraient modifier le cadre existant sans conséquences financières pour le football français.
En cas de survenance d'un changement majeur, deux dispositifs d'indemnisation de l'investisseur sont, en effet, prévus :
Ø en cas de changement majeur n° 1 ou n° 3, la LFP garantit et s'engage à indemniser et à tenir quitte l'investisseur contre toutes les conséquences financières subies. Il s'agit d'une indemnisation directe ;
Ø en cas de changement majeur n° 1, n° 2 ou n° 4, une indemnisation indirecte est, en outre, possible via un rehaussement des droits financiers de l'investisseur (c'est-à-dire du ratio appliqué au résultat net retraité pour calculer son dividende), éventuellement en recourant à un expert désigné. Ce rehaussement est limité à 20 % du résultat net retraité de la société commerciale.
Les deux dispositifs d'indemnisation peuvent être combinés en cas de changement majeur n° 1, dans la limite du montant du préjudice.
4. Une durée illimitée qui pose de nombreuses questions
Plusieurs dirigeants de clubs ont jugé parfaitement normal que des actions de la filiale commerciale soient vendues pour une durée illimitée, ou plus exactement pour la durée de vie de l'entreprise qui est de 99 ans.
Une action est, en effet, un titre de propriété représentant une fraction du capital d'une société, donnant droit à des dividendes et à des droits de vote, contrairement à une dette qui implique un remboursement en intérêts et en capital sur une durée fixée à l'avance : « Nous avons vendu les actions d'une société ; nous avons dilué notre capital. C'est la vie quotidienne des affaires », a affirmé Joseph Oughourlian, président du RC Lens45(*), tandis que Laurent Nicollin, président de Foot Unis et du club de Montpellier46(*), confirmait ne pas s'être interrogé à ce sujet : « Alors c'est vrai qu'il ne m'est pas venu à l'esprit de m'interroger sur la durée de l'accord passé avec CVC - d'ailleurs, comme chef d'entreprise, si j'achète des parts d'une autre entreprise, je ne me pose pas la question de la durée de l'accord, j'achète pour développer et pour revendre éventuellement ».
La question de la durée ne se pose généralement pas lors de l'achat de parts de sociétés.
Elle se pose néanmoins ici pour deux raisons.
a) D'une part, car les actions détenues par CVC lui donnent des droits préférentiels qui ne sont pas ceux d'un actionnaire ordinaire.
En cas de cession de ses parts par CVC, le nouvel actionnaire conservera ces droits préférentiels, décrits ci-après, sans avoir jamais rien apporté directement au football français.
Les droits financiers privilégiés obtenus par CVC sont en effet attachés aux actions et suivent le titre dans quelque main qu'il passe. Ce ne serait pas le cas si ces dispositions ne figuraient que dans le pacte d'associés qui lie spécifiquement la LFP et CVC (Renaissance Investissement) pour la durée de leur association. Mais elles sont partie intégrante des statuts de la filiale LFP 1.
Ces dispositions permettront à CVC de céder des titres qui présentent une valeur supérieure à une action classique. Ces titres confèrent en effet à leur détenteur un droit préférentiel sur les revenus du football français.
Il ne semble pas que le mode de calcul du dividende de CVC ait été expliqué très clairement aux présidents de clubs. Le dividende de CVC est calculé à partir d'un résultat net retraité qui s'apparente davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat.
Pour les clubs, en revanche, ce prélèvement au profit d'actionnaires extérieurs sera un fardeau à porter pendant de nombreuses années.
S'agissant de CVC, les accords avec la LFP prévoient une possibilité de cession à compter du 4ème anniversaire (juillet 2026), et une possibilité d'introduction en bourse à partir du 6ème anniversaire (juillet 2028). La LFP dispose d'un droit de première offre. Lors de son audition, Édouard Conques, senior managing director du fonds d'investissement, a indiqué qu' « au regard du prisme des investissements faits par CVC, il me semble que le projet de la Ligue est un investissement de long terme », soit « au moins six ou sept ans ». Jean-Christophe Germani, managing partner a ajouté : « Il n'est pas inhabituel pour nous de rester investis dans des sociétés sur de longues périodes. Nous avons ainsi des parts dans deux sociétés, dans lesquelles nous avons investi depuis respectivement sept ans et demi et dix ans. J'ai évoqué notre investissement dans la Formule 1 : nous l'avons conservé pendant quinze ans. Dans le capital-investissement, il faut savoir être patient. Nous fixons des objectifs, nous donnons aux entreprises les moyens de les atteindre, et lorsque nous estimons que le moment est venu ou opportun, nous envisageons de sortir. En aucun cas, nous ne prédéterminons notre date de sortie à l'avance ».
Comme indiqué précédemment, c'est essentiellement lorsque CVC sortira de LFP Media que le fonds valorisera son investissement. L'évolution des droits d'exploitation impacte le montant de son dividende et, à cet égard, la baisse des droits audiovisuels n'est pas une bonne nouvelle pour CVC, d'autant que son opération a été financée, au moins partiellement, par de la dette.
Mais il y aura toujours une Ligue 1 dans dix ans, avec un marché conséquent, au moins en France ; et, si ce n'était pas le cas, l'investisseur a prévu les protections nécessaires dans le pacte d'associés conclu avec la LFP.
Dans la durée, le risque de l'opération pour CVC paraît donc limité.
b) D'autre part, au regard des schémas prévus par le code du sport.
La durée de 99 ans prévue par les statuts de la société commerciale est aussi problématique au regard de l'architecture du modèle sportif français.
Conformément à la loi, la LFP a apporté à sa filiale son activité commerciale et, d'un point de vue organique, son département du développement économique. La loi dispose en effet que la ligue peut créer une société commerciale « pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation ». Cela ne signifie pas que les droits d'exploitation soient cédés à la société commerciale. Ceux-ci restent, en effet, propriété des clubs et de la fédération :
o S'agissant des droits d'exploitation audiovisuelle, ils sont la propriété des clubs. En application de l'article L333-1 du code du sport, une décision de l'assemblée fédérale de la FFF en date du 10 juillet 2004 leur a en effet cédé, à titre gratuit, la propriété des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions de la LFP. Ces droits cédés aux sociétés sportives sont commercialisés par la LFP, en application de l'article L333-2.
o S'agissant des autres droits d'exploitation, ils appartiennent à la fédération, en vertu de l'article L333-1.
La LFP n'est donc pas propriétaire des droits.
Au surplus, si la LFP est chargée de la gestion et de la commercialisation des droits, éventuellement via une filiale commerciale, c'est pour une durée qui est limitée, dans le cadre d'une convention conclue pour une durée de cinq ans avec la FFF. L'article L. 131-14 du code du sport organise en effet les relations entre les fédérations délégataires et les ligues professionnelles dans le cadre d'une convention de subdélégation d'une durée maximale de cinq ans (article R. 132-9).
La convention qui lie la FFF à la LFP dispose, en son article 2 : « pour les compétitions qu'elle organise et pour la durée de la présente convention, la LFP gère et commercialise les droits d'exploitation qui lui sont concédés par la FFF soit en vertu de l'article L333-1 du code du sport, soit par l'application de l'article L. 333-2 du même code ».
CVC a obtenu des assurances sur cette question de la durée, grâce au renouvellement de cette convention au 1er juillet 2022. La convention entre la FFF et la LFP court désormais jusqu'à la fin de la saison 2026-2027.
La fédération est, elle-même, titulaire d'une délégation de service public, qui constitue un monopole légal que l'État lui attribue, en vertu d'un contrat de délégation (article L. 131-14 du code du sport) d'une durée de quatre ans, accordée à compter du 1er janvier de la deuxième année qui suit celle des jeux Olympiques ou Paralympiques d'été. Le contrat de délégation en cours de la FFF porte sur la période 2022-2025.
Cette durée de quatre ans n'est pas cohérente avec la durée de cinq ans de la convention entre la FFF et la LFP. La subdélégation va actuellement au-delà de la délégation elle-même.
La durée limitée des contrats de délégation et de subdélégation n'est, elle-même, pas cohérente avec la création d'une société commerciale de durée illimitée.
Comme évoqué précédemment, s'agissant du partenariat avec le Tournoi des six nations, une durée illimitée a été jugée incompatible avec le modèle sportif français. La France a obtenu que ce contrat soit limité, pour ce qui la concerne, à cinquante ans.
L'accord de CVC avec le championnat espagnol est également limité à cinquante ans. Dans le cadre de cet accord, l'apport de CVC s'élève à 1 994 M€ contre 8,2 % des parts de la société LaLiga Impulso. Cet accord présente trois différences majeures avec l'accord français :
Ø il n'engage pas l'ensemble des clubs, n'ayant été adopté que par 37 clubs sur 42. Cinq clubs ont refusé d'adhérer au projet, dont le Real de Madrid, le FC Barcelone et l'Athletico Bilbao ;
Ø sa durée est limitée à cinquante ans ;
Ø les fonds versés aux clubs ont été fléchés d'emblée à 70 % vers les infrastructures et l'investissement, 15 % pouvant être consacré au remboursement de la dette et 15 % à l'acquisition de joueurs.
5. Des droits financiers privilégiés
Dans le cadre de la société par actions simplifiée « filiale LFP 1 » (ou LFP Media), CVC détient des actions de préférence dites de catégorie A (AdP A), prévues par l'article L. 228-11 du code de commerce (« Lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent »).
Comme indiqué précédemment, ces droits sont attachés à ces actions spécifiques et non à CVC (Renaissance investissement).
Conformément aux dispositions applicables du code de commerce, les AdP A ont été expertisées par un commissaire aux apports chargé d'apprécier les avantages particuliers.
Les principaux droits financiers attachés aux AdP A sont les suivants :
Ø un dividende préciputaire et cumulatif, c'est-à-dire payé en priorité avant tout dividende versé aux autres actionnaires, et qui s'accumule s'il n'est pas payé.
Ø un dividende calculé sur la base d'un résultat retraité, correspondant au résultat net comptable de l'exercice avant impôt sur les sociétés (mais après imputation de la taxe « Buffet »), majoré :
o du montant des versements aux clubs au titre des droits d'exploitation audiovisuels et des autres droits d'exploitation ;
o du montant versé à la FFF ;
o du montant versé à la LFP pour lui permettre de fonctionner ;
o du chiffre d'affaires des paris sportifs.
Ce résultat est donc majoré des charges principales de LFP Media. Il s'apparente davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat.
L'attention de la mission s'est portée, en particulier, sur l'intégration du chiffre d'affaires des paris sportifs au résultat retraité. En effet, l'article 51 de la loi du 2 mars 2022 dispose que « le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, prévu à l'article L. 333-1-1, est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à la société commerciale ».
Si les droits sur les paris sportifs continuent d'être gérés par la LFP, les revenus issus de ces droits sont néanmoins intégrés pour le calcul du dividende de CVC. Le fonds d'investissement est donc directement intéressé à l'évolution de ces droits. Il s'agit d'un détournement de la loi, probablement conforme à sa lettre, mais contraire à son esprit.
Ø un droit prioritaire sur l'actif net de liquidation ;
Ø un accès à deux catégories de bons de souscription d'actions (BSA) :
o une première catégorie, dont l'objet était de protéger l'investisseur dans le cas où la LFP ou sa filiale n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour permettre l'émission des trois tranches d'AdP A ;
o une seconde catégorie, des BSA dits de rattrapage (« catch-up warrants »), exerçables une seule fois, dont l'objet est de compenser une sous-performance de la société par rapport à son plan d'affaires, via un mécanisme relutif pour l'investisseur.
L'opération a été indolore à court terme pour le football professionnel puisque CVC a accepté de ne récupérer le dividende des deux premières saisons qu'à partir de 2024-2025. L'augmentation des droits audiovisuels devait amortir l'impact de ce différé. Les accords entre CVC et la Ligue permettent à celle-ci d'étendre le paiement de ce dividende sur une, deux ou trois années, avec, dans tous les cas, un paiement de 50 % du montant total la première année, c'est-à-dire en 2024-2025.
Le montant dû à ce titre à partir de cette année s'élève à 105 M€, dont 39 M€ au titre de 2022-2023 et 66 M€ au titre de 2023-2024.
Le dividende prévisionnel de CVC, compte tenu du montant des droits cédés à DAZN et à beIN, est estimé à 121 M€ pour 2024-2025, y compris le rattrapage de 50 % du dividende différé.
6. Des droits bloquants en termes de gouvernance
En application de ses statuts, la société commerciale est pilotée par un comité de supervision qui comprend six membres dont trois sont nommés par la LFP et deux par les porteurs d'AdP A, c'est-à-dire par CVC. Conformément à la disposition introduite par le Sénat dans la loi du 2 mars 2022, le président de la FFF y est également présent, en qualité de censeur, avec voix consultative. Les statuts de la filiale prévoient, par ailleurs, la nomination d'un comité stratégique consultatif constitué de huit membres dont trois représentants des porteurs d'AdP A.
La Présidence de la société est confiée à la LFP en tant que personne morale, représentée par Vincent Labrune.
En vertu des accords entre la LFP et CVC, CVC a la possibilité d'obtenir la révocation des membres de l'équipe de direction de la société en cas de sous-performance significative (- 25 % par rapport au plan d'affaires cible pendant deux ans). Dans une telle hypothèse, ou pour tout autre cas de vacance de la présidence de LFP Media, à défaut d'accord entre la LFP et CVC pour désigner un successeur, un cabinet de recrutement est mandaté pour constituer une liste de candidats, parmi lesquels la LFP en sélectionne trois, dont un peut être écarté par CVC. La LFP sélectionnera le nouveau président parmi les deux autres candidats. La LFP a donc le dernier mot pour la désignation du président de la société et, de même, pour la désignation des autres membres de l'équipe de direction à l'exception de deux d'entre eux. C'est CVC qui a, en effet, le dernier mot s'agissant du directeur financier et du directeur des opérations.
Le fonds d'investissement dispose, en outre, d'un droit de regard sur l'identité du représentant de la LFP. Une disposition lui permet d'obtenir la démission de la LFP de ses fonctions de présidente de la société commerciale, en cas de désaccord. En effet, si la LFP souhaite changer de représentant ou que celui-ci cesse ses fonctions pour quelque cause que ce soit, à défaut d'accord entre la LFP et CVC, la LFP s'est engagée à démissionner de ses fonctions de président. Dans ce cas, la procédure décrite au paragraphe précédent est mise en oeuvre afin de désigner un nouveau président. Comme l'a souligné Jean-Michel Roussier devant la mission, cette disposition particulière n'a pas été portée à la connaissance des présidents de club avant l'assemblée générale de la LFP du 1er avril 2022, qui a entériné le partenariat avec CVC.
Le comité de supervision se prononce soit à la majorité simple de ses membres (pour les « décisions importantes »), soit à la majorité simple comprenant le vote favorable d'au moins un représentant de l'investisseur (pour les « décisions réservées »). Ces dernières doivent donc être validées par CVC : « Il s'agit par exemple de décisions relatives à la réalisation d'un emprunt significatif ou d'un investissement très important, ou plus généralement de toute décision qui sort du cours ordinaire des affaires. Dans ce cas, nous pouvons exercer un droit de veto, mais cela ne s'est encore jamais produit. »47(*)
CVC peut notamment s'opposer au budget prévisionnel annuel de la filiale, s'il dévie de plus de 10 % du plan d'affaires en vigueur. L'investisseur peut également s'opposer à un nouveau plan d'affaires, sous la même condition. À ce sujet, les représentants de CVC se sont voulus rassurants : « Il y a les écrits et il y a la philosophie ! Ce n'est pas parce que l'on a un droit qu'on l'exerce automatiquement. Lorsqu'on est actionnaire minoritaire, il est important de s'entendre avec l'actionnaire majoritaire. La Ligue, en réalité, a le contrôle en tant qu'actionnaire majoritaire. »48(*)
Si la Ligue conserve le contrôle, CVC dispose néanmoins d'un pouvoir de blocage important dans la gouvernance de la filiale.
* 41 Il s'agit du fonds Sanabil Investments, évoqué par M. Pierre Maes lors de son audition le 7 mai 2024.
* 42 M. Edouard Conques, audition du 20 juin 2024.
* 43 M. Jean-Christophe Germani, audition du 20 juin 2024.
* 44 Audition du 7 mai 2024.
* 45 Audition du 20 juin 2024.
* 46 Audition du 26 juin 2024.
* 47 Edouard Conques, audition du 20 juin 2024.
* 48 Idem.