B. POURSUIVRE L'EFFORT DE COMPÉTITIVITÉ, INCONTOURNABLE POUR RENFORCER LA CAPACITÉ D'AUTOFINANCEMENT DES ENTREPRISES

Lors des auditions menées par les rapporteurs, les représentants des entreprises françaises ont fréquemment mis en avant que « ce que les chefs d'entreprise attendent avant tout de l'État, ce ne sont pas des aides : c'est que celui-ci créée les conditions économiques et réglementaires pour que leurs entreprises puissent créer de la valeur, se développer et porter les investissements nécessaires ».249(*)

De fait, une part significative de l'investissement des entreprises françaises est portée par l'autofinancement, en particulier dans les PME et les TPE. En moyenne, entre 1992 et 2016, 9 % de l'investissement des sociétés non cotées a été financé grâce au résultat net, et 12 % grâce à la trésorerie disponible, ceux-ci étant généralement complétés par d'autres sources de financement, notamment bancaire.250(*) Selon CMA France, en 2021, 59 % des entreprises artisanales, en majorité des TPE, ont autofinancé leur investissement.251(*) Dans un rapport en date de 2022, l'Observatoire du financement des entreprises souligne que « le financement des transitions numériques et énergétiques repose, à des degrés divers, sur l'autofinancement et/ou le financement bancaire ».252(*)

Mais selon une enquête de Bpifrance Le Lab et Rexecode, 25 % des TPE-PME citent l'insuffisance de capacités d'autofinancement comme l'un des freins à leurs investissements.253(*)

Lors des travaux des rapporteurs, il a fréquemment été rappelé que la France figure parmi les pays où la charge fiscale et sociale, mais aussi la charge administrative, sont les plus élevées d'Europe, si ce n'est du monde.

Comme l'a souligné Frédéric Visnovsky lors de son audition par la délégation, « les entreprises françaises souffrent d'un excédent brut d'exploitation (EBE) plus faible qu'ailleurs, combiné à un taux d'imposition supérieur. Si nous voulons améliorer la capacité d'autofinancement des entreprises, nous devons agir sur ces deux leviers ».254(*) Selon l'INSEE, en 2021, la part de l'EBE dans la valeur ajoutée des entreprises - soit le taux de marge - était, en France, la plus faible de l'Union européenne (34 %), tandis que le pays se classe au deuxième rang concernant le poids de la fiscalité et des cotisations sociales (5 % et 14 %).255(*)

Répartition de la valeur ajoutée des sociétés non financières
de l'Union européenne en 2021 (en %)

 

EBE

Cotisations

Impôts

Subven-tions

Salaires

France

34

14

5

4

50

Portugal

37

13

2

4

51

Espagne

39

15

2

2

46

Allemagne

40

11

1

3

52

Suède

40

9

10

2

43

Pays-Bas

41

13

1

5

49

Italie

42

15

3

2

42

Belgique

44

14

1

6

46

Danemark

44

3

2

3

55

Pologne

48

7

3

1

44

Source : Délégation sénatoriale aux entreprises, d'après données INSEE,
« Les entreprises en France », édition 2023.

Bertrand Rambaud, président de France Invest, estimait lors de la même audition qu'« une partie de l'économie française est en souffrance [...]. Une différence se crée entre l'Europe et le reste du monde [...] : au premier jour de fabrication dans une entreprise, vous observez déjà un écart de compétitivité ».256(*)

Or, financer l'entreprise de demain, c'est d'abord permettre à l'entreprise d'aujourd'hui de prospérer et de croître : la compétitivité des entreprises françaises doit donc rester un objectif majeur de politique économique, car seule la rentabilité de l'activité économique permettra de dégager les ressources et d'attirer les financements nécessaires à l'investissement dans le tissu productif. Comme l'a exprimé le MEDEF, les aides publiques « ne seront qu'un palliatif si la capacité des entreprises à dégager du bénéfice n'est pas au coeur de l'attention ».257(*)

Si la compétitivité de l'économie française n'est pas assurée, leur pérennité sera remise en cause et une part toujours croissante des ressources de l'État sera mobilisée pour pallier le manque de capacité d'autofinancement des entreprises.

Parmi les chantiers de compétitivité perçus comme prioritaires par les entreprises figure la poursuite de la baisse des impôts de production, amorcée au cours des dernières années mais remise en cause par la volonté de réduire le déficit budgétaire de l'État. Le coût global du travail, et notamment le poids important des charges sociales, continue à être regardé comme un désavantage compétitif par les entreprises françaises. Enfin, les entreprises soulignent l'importance d'assurer la soutenabilité du coût des intrants, qu'il de l'énergie ou des produits importés soumis au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

La réforme des impôts de production

En 2021, les impôts de production versés par les entreprises françaises représentaient environ 67 milliards d'euros, soit environ 5 % de leur valeur ajoutée, contre 3 % en moyenne dans l'Union européenne (1 % en Allemagne, 2 % en Espagne, 3 % en Italie).

Dans un premier volet de réforme, la loi de finances pour 2021 a prévu trois mesures de réduction des impôts de production, entrées en vigueur pour les impôts dus au titre de l'année 2021 :

La réduction de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), par la suppression de la part affectée à l'échelon régional (aboutissant à une division par deux de son taux de 1,5 % à 0,75 %), pour un gain estimé de 7,2 milliards d'euros ;

La réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour leurs établissements industriels évalués selon la méthode comptable, pour un allègement total de 3,3 milliards d'euros environ ;

L'abaissement du taux de plafonnement de la cotisation économique territoriale (CET), pour éviter que le plafonnement ne neutralise une partie du gain de la baisse des impôts préalablement cités.

Selon les évaluations conduites par les administrations centrales, ce premier volet de réforme devait concerner entre 500 000 et 600 000 entreprises françaises environ, la plupart d'entre elles dans le secteur industriel (à hauteur de plus de 25 % des gains totaux). Si les ETI et grandes entreprises devaient être les principales bénéficiaires de cette réduction (entre 65 et 80 % des gains) les PME et TPE n'en étaient pas oubliées.

Entre 2019 et 2022, période de mise en oeuvre du premier volet de la réforme des impôts de production, la part de ces impôts dans la valeur ajoutée des entreprises a décru de 4,1 % à 3,4 % pour les PME, de 6,9 % à 5,7 % pour les ETI, et de 11,2 % à 10,3 % pour les grandes entreprises, selon la Banque de France.258(*)

Dans un second volet de réforme, la loi de finances 2023 a acté la suppression de la CVAE en deux temps : d'abord une nouvelle réduction de moitié en 2023 pour un gain de 4 milliards d'euros, puis sa disparition totale en 2024 pour un gain de même montant.

Mais la loi de finances pour 2024, dans un contexte budgétaire tendu, a reporté à 2027 cette suppression, en échelonnant la baisse de la CVAE en quatre étapes (avec une perte de recettes évaluée entre 1 et 4 milliards d'euros chaque année). Ce report a été dénoncé par les représentants des organisations patronales, considéré comme un recul conduisant les entreprises à reconsidérer leurs investissements.

Sources : Commission des finances du Sénat, Gouvernement, DGE, DGFiP, Banque de France.

L'objectif de simplification doit également être durablement pris en compte dans l'élaboration des politiques publiques. Comme l'a mis en évidence le récent rapport de la délégation sénatoriale aux Entreprises, présenté par Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann, intitulé « La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises », le coût de la sur-réglementation de l'activité des entreprises est estimé a minima à 60 milliards d'euros par an, soit 3 % du PIB. La France se classe au 65e rang mondial du classement du « fardeau de la réglementation ». Ce sont autant de ressources financières, humaines, organisationnelles, qui ne sont pas mises au profit de la compétitivité des entreprises.

En particulier, le poids de la réglementation relative à la performance extra-financière des entreprises ne cesse de s'accroître, à l'impulsion du droit de l'Union européenne. La mise en oeuvre de la directive CSRD, notamment, est source d'inquiétude pour la plupart des chefs d'entreprise de toute taille, ce qui a été maintes fois souligné lors des auditions menées par les rapporteurs et récemment fait l'objet d'un rapport dédié de la délégation.259(*)

Proposition 19 : Pour assurer la capacité d'autofinancement des entreprises, poursuivre l'effort de compétitivité, notamment en matière de fiscalité de la production, de coût du travail et de simplification des normes applicables aux entreprises.


* 249 Propos tenus lors des auditions menées par les rapporteurs de la délégation.

* 250 Billet n° 303 de la Banque de France, « Comment les entreprises financent-elles leur investissement ? », 6 février 2023.

* 251 Rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, « Les défis de l'investissement des entreprises et de son financement », juin 2022, Banque de France.

* 252 Ibid.

* 253 Baromètre trimestriel Bpifrance Le Lab et Rexecode, mari 2024, « Trésorerie, investissement et croissance des PME-TPE - Focus Besoins d'investissement ».

* 254 Audition du 29 février 2024 par la délégation.

* 255 INSEE, « Les entreprises en France », édition 2023.

* 256 Audition du 29 février 2024 par la délégation.

* 257 Réponses au questionnaire transmis par les rapporteurs de la délégation.

* 258 Bulletin de la Banque de France, « La situation financière des entreprises en 2022 : face aux crises, les entreprises ont résisté », novembre-décembre 2023.

* 259 Rapport d'information « Directive CSRD : du décryptage à l'avantage », présenté le 7 février 2024 par Marion Canalès et Anne-Sophie Romagny au nom de la délégation sénatoriale aux Entreprises.

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