VIII. ENCOURAGER LE RENFORCEMENT DES FONDS PROPRES À PARTIR DES BÉNÉFICES DES ENTREPRISES
Une première solution pour favoriser le renforcement des fonds propres pourrait consister à encourager la constitution de réserves à partir du bénéfice réalisé grâce à l'activité économique de l'entreprise.
Dans les sociétés, les actionnaires réalisent un arbitrage entre l'affectation du bénéfice aux réserves de l'entreprise, d'une part ; et aux dividendes, c'est-à-dire à la rémunération des actionnaires, d'autre part. Il existe plusieurs types de réserves :
· La réserve légale, à caractère obligatoire et dont le montant est fixé par la loi à 5 % des résultats, dans la limite de 10 % du capital social de l'entreprise. Cette obligation, fixée à l'article L. 232-10 du code de commerce, vise à inciter les sociétés à renforcer leur solidité financière au fur et à mesure de leur développement89(*) ;
· Les réserves statutaires ou contractuelles, qui peuvent être constituées lorsque la réserve légale atteint 10 % du capital social de l'entreprise, selon les clauses figurant dans les statuts ;
· Les réserves réglementées, qui correspondent à la mise en réserve de certaines subventions ou de certains produits de cession d'actifs ;
· D'autres types de réserves facultatives votées par l'assemblée générale des actionnaires.
Une fois constituées, ces réserves peuvent permettre d'absorber les pertes d'années ultérieures, à rembourser les dettes ou à augmenter le capital social de l'entreprise afin de financer sa croissance.
La recherche de valeur par les actionnaires peut, parfois, conduire à privilégier une distribution immédiate des bénéfices plutôt qu'une mise en réserve destinée à augmenter les fonds propres, au détriment d'une approche de long terme et plus prudente visant à renforcer la situation financière de l'entreprise. Cette préférence n'est pas contrebalancée par le régime fiscal de l'imposition des bénéfices, puisqu'au titre du code général des impôts, les bénéfices nets de l'entreprise sont soumis chaque année à l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur affectation.
Lors des auditions, certaines des organisations entendues, et notamment la CPME, ont estimé qu'il pourrait être pertinent de mettre en place un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour la part du bénéfice mis en réserve par les PME et excédant les réserves obligatoires, dès lors que cette mise en réserve est utilisée pour renforcer les fonds propres de la société. Le taux réduit d'impôt sur les sociétés pourrait ainsi s'appliquer ainsi à la part supplémentaire du bénéfice affecté à ces réserves, dans la limite d'un plafond. Le ciblage sur les PME permettrait de viser les entreprises pour lesquelles le renforcement des fonds propres apparaît particulièrement stratégique, afin de soutenir leur investissement et leur croissance en ETI.
Cette proposition n'est pas sans précédent, puisque le code des impôts prévoit une mesure similaire pour les sociétés coopératives d'intérêt collectif : celles-ci voient déduits de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, en application du VIII de l'article 209 du code général des impôts, la part des excédents mis en réserves impartageables. D'autre part, un tel dispositif pourrait aisément être appréhendé par les sociétés soumises à l'IS et appartenant à la catégorie des PME, puisque ces dernières sont déjà soumises à un taux d'imposition réduit, fixé à 15 %, pour les premiers 42 500 euros de bénéfice, dès lors que leur chiffre d'affaires est inférieur à 10 millions d'euros et que le capital est détenu au 75 % au moins par des personnes physiques.
Des garde-fous devraient être prévus afin d'éviter les effets d'aubaine ainsi que tout dévoiement non conforme à l'esprit de la mesure, par exemple par la réorientation des réserves vers le versement de dividendes. En outre, il est difficile de chiffrer le coût d'une telle mesure pour les finances publiques, puisqu'il dépendrait de la manière dont les entreprises s'en saisiraient. Les rapporteurs estiment donc que cette proposition mériterait un examen approfondi.
On peut toutefois noter qu'une telle mesure correspondrait à l'esprit des travaux de la Commission européenne, qui avait proposé, dans le cadre du projet de directive « DEBRA » (évoquée au premier chapitre de ce rapport), d'instaurer la déductibilité de l'impôt sur les sociétés d'intérêts notionnels correspondant à l'accroissement de leurs fonds propres. Ces intérêts notionnels seraient calculés en appliquant un taux d'intérêt à la variation des fonds propres, majoré d'une prime de risque ; ils seraient limités à 30 % de l'EBITDA ; et seraient déduits de l'assiette de l'IS pour une durée de dix ans.
Suspendu depuis la fin de l'année 2022, l'examen de ce texte pourrait intervenir prochainement dans le cadre du « paquet » législatif européen relatif à l'impôt sur les sociétés. Plusieurs pays européens ont néanmoins déjà adopté de tels dispositifs dans leurs droits nationaux : c'est le cas de la Belgique, de la Pologne, de Malte, de Chypre, de l'Italie et du Portugal ; mais pas de la France.
* 89 Cette obligation concerne uniquement les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions. Elle ne concerne pas les entreprises individuelles.