C. LES DEMANDES DE GARANTIE, NOTAMMENT DE CAUTION PERSONNELLE : UN OBSTACLE INVISIBLE À L'ACCÈS AU CRÉDIT
Les exigences disproportionnées en matière de garantie ont également été citées comme un frein pour l'accès des petites entreprises au crédit bancaire, en particulier lors de la création ou de la reprise d'entreprise.
Les différentes formes de garantie
La garantie constitue, pour l'établissement bancaire, une assurance de remboursement de la créance en cas de défaillance de l'emprunteur. Il existe différentes formes de garanties :
- Le cautionnement personnel, souvent porté par le dirigeant ou fondateur de l'entreprise ;
- Le recours à une société de cautionnement, soit sur fonds privés (souvent sectoriels), soit sur fonds mutuels (alimentés par les cotisations d'adhérents), soit sur fonds publics ;
- Le nantissement d'actifs mobiliers (comme le fonds de commerce, des véhicules, des placements financiers...) ;
- L'hypothèque d'un bien immobilier.
1. Un risque important pour le patrimoine des entrepreneurs qui peut faire renoncer à recourir au crédit bancaire
Dans le contexte de création ou de reprise d'entreprise, les établissements bancaires peuvent notamment demander une garantie par cautionnement personnel, dans des conditions qui ne permettent pas toujours à l'entrepreneur de négocier les modalités ou le montant de la caution. Pour les chefs d'entreprise, cela implique d'assumer un fort risque financier.
Bien que le droit affirme de longue date, à l'initiative du Sénat, le principe de proportionnalité des exigences de caution personnelle aux biens et revenus de la personne qui la contracte (article 2300 du code civil), sous peine de nullité de la caution, l'application de ce principe semble variable.
Le risque lié à la caution personnelle pèse particulièrement sur les indépendants.55(*) Selon une enquête de l'U2P précitée, 15 % en moyenne des dirigeants d'entreprises de proximité ont dû fournir une garantie personnelle en 2023, cette proportion pouvant s'élever à un quart environ dans certains secteurs (comme les travaux publics). En 2021, 78 % des indépendants se disaient en conséquence préoccupés par la protection de leur patrimoine.56(*)
Deux évolutions récentes devaient permettre de limiter le risque lié aux demandes de caution personnelle pour les entrepreneurs, et ainsi de réduire l'impact désincitatif au recours au crédit bancaire :
· d'une part, l'article 206 de la loi dite « Macron »57(*) a prévu que la résidence principale de l'entrepreneur est considérée, de droit, comme insaisissable (certains biens fonciers non affectés à un usage professionnel pouvant en outre déjà être protégés par acte notarié) ;
· d'autre part, l'article 1er de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante a prévu la dissociation, par défaut, du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel et de son patrimoine professionnel. Ainsi, à compter de 2022, les indépendants voient leur actifs propres protégés du risque illimité qui pesait sur eux jusque-là.
Cette même loi a néanmoins prévu que l'entrepreneur puisse renoncer au bénéfice de cette séparation présumée des patrimoines. On peut craindre que cette clause de retour à l'unicité du patrimoine soit, dans les faits, fréquemment activée à l'insistance des établissements bancaires ; ou qu'à l'inverse, les indépendants souhaitant protéger leur patrimoine personnel voient leur accès au crédit bancaire restreint. L'impact réel de cette mesure, pourtant pertinente, reste donc encore incertain à ce stade : les rapporteurs n'ont pas pu recueillir d'informations détaillées à ce sujet.
2. Un angle mort des statistiques sur l'accès au crédit
L'absence de statistiques et de données détaillées sur les pratiques en matière de demande de garanties est d'ailleurs un angle mort de l'analyse de l'accès des entreprises au crédit bancaire.
Établissant déjà ce constat, l'article 20 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante prévoyait que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1er mars 2024, un rapport relatif à l'application du statut de l'entrepreneur individuel qui devait « [faire] état des conditions d'accès au crédit des entrepreneurs individuels et [proposer], le cas échéant, les améliorations législatives nécessaires concernant leurs relations avec les établissements de crédit », notamment en « [évaluant] quantitativement les renonciations accordées par les entrepreneurs individuels, en faveur de leurs créanciers professionnels, au principe de séparation des patrimoines personnel et professionnel ainsi que l'existence de potentiels abus du recours à cette garantie de la part des établissements bancaires ». À la date de rédaction du présent rapport, cette évaluation n'a jamais été conduite ni communiquée au Parlement, en dépit des déclarations des équipes de la ministre en charge des Entreprises.58(*)
Interrogée par les rapporteurs de la délégation, plus généralement, sur une hausse des demandes de garanties dans un contexte de resserrement de la politique monétaire et de la hausse des taux moyens d'emprunt, la Fédération Bancaire Française (FBF) a indiqué « ne pas disposer d'éléments chiffrés » et que « ce peut être le cas pour des projets spécifiques ou innovants, mais c'est alors un mouvement plus structurel que conjoncturel ».59(*)
La Banque de France a convenu qu'il « n'existe pas non plus de statistiques sur les garanties accordées aux crédits », et que des demandes formulées en ce sens par les organisations représentant les entreprises dans le cadre de l'Observatoire du financement des entreprises ont, pour ce motif, été laissées sans suite.60(*)
Les rapporteurs estiment que l'absence de données collectées par l'administration ou les institutions publiques ne saurait justifier d'écarter les demandes visant à étudier l'évolution des demandes de garantie et leurs conséquences.
Au contraire, il serait d'autant plus nécessaire de réaliser des études statistiques à ce sujet qu'une enquête récente de la CPME évalue que 34 % des dirigeants de TPE-PME font état de demandes de garanties supplémentaires qui entraînent un durcissement des conditions de financement de leur activité.61(*) Un récent rapport de l'Observatoire du financement des entreprises indique également que la deuxième raison la plus citée par les chefs d'entreprise pour expliquer leur difficulté d'accéder au crédit est l'exigence de garanties trop importantes, en particulier dans le secteur industriel.62(*)
L'incertitude générée par les perspectives conjoncturelles défavorables et le risque concomitant aux investissements dans les transitions écologique et numérique pourraient effectivement conduire à un accroissement tendanciel des exigences de garanties, qui mérite l'attention des pouvoirs publics.
Proposition 3 : Réaliser l'étude prévue par la loi sur l'accès au crédit des entrepreneurs individuels et les exigences en matière de caution personnelle, et collecter des statistiques régulières sur les demandes de garanties exigées des TPE-PME.
3. Des dispositifs d'aide pour lever l'obstacle de la garantie bancaire
Les rapporteurs notent avec satisfaction que l'action de Bpifrance en matière de garantie bancaire est très appréciée des entreprises françaises, pour lesquelles elle est perçue comme améliorant significativement l'accès au crédit. Bpifrance intervient en tant que garant pour les prêts consentis par des établissements bancaires dans le cadre de création ou de reprise d'entreprise, en garantissant jusqu'à 60 % du montant du crédit. Bpifrance peut également consentir en propre des prêts sans garantie, visant notamment l'investissement dans les actifs immatériels.
En 2021, 67 % des entreprises interrogées estimaient que la garantie était l'outil le plus efficace déployé par Bpifrance, 60 % estimant qu'elle devrait être renforcée.63(*) C'est aussi la recommandation qu'a formulé l'Association française des sociétés financières (ASF) lors de son audition par les rapporteurs.
Le mouvement France Active, association de soutien aux entreprises et associations, offre également une garantie bancaire pouvant couvrir jusqu'à 80 % du montant aux entrepreneurs qu'elle accompagne.64(*) Près de 9 créateurs d'entreprises sur 10 soutenus par France Active sont demandeurs d'emploi et un tiers est bénéficiaire des minima sociaux ; et des dispositifs spécifiques sont mis en oeuvre au profit des zones de revitalisation rurale (ZRR), des quartiers prioritaires de la ville (QPV), des jeunes créateurs d'entreprise ou des femmes entrepreneures.
Enfin, certaines régions et départements ont également mis en place des dispositifs similaires permettant de garantir les prêts bancaires d'entrepreneurs ou d'éviter l'engagement de cautions personnelles. Il existe ainsi plusieurs Fonds régionaux de garantie, qui peuvent comprendre des volets spécialisés en fonction des priorités du territoire (par exemple le Fonds de garantie développement industriel de la région Auvergne-Rhône-Alpes).65(*)
Les entreprises appartenant à certains secteurs d'activité peuvent s'appuyer sur des fonds sectoriels, comme le Fonds de garantie media pour la production, financé par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Pour les professions libérales, la société de cautionnement mutuel Interfimo propose un fonds de garantie interprofessionnel, pour faciliter l'obtention de crédits par ses adhérents. La société de cautionnement mutuel SIAGI, pilotée par les chambres des métiers et de l'artisanat (CMA), plusieurs établissements bancaires et Bpifrance, joue le même rôle pour les entreprises de proximité (artisanat, commerce, agriculture...), en proposant des contre-garanties jusqu'à 80 % financées par son fonds mutuel : en 2022, elle garantissait ainsi plus d'un milliard d'euros de crédits aux TPE-PME. Lorsqu'un prêt bénéficie de la garantie par caution mutuelle, en général, l'établissement bancaire ne sollicite pas de caution personnelle de la part du dirigeant.
L'Union européenne contribue au déploiement d'outils publics de garanties bancaires pour faciliter l'accès des TPE-PME au crédit. Ainsi, dans le cadre de la relance après la pandémie de Covid-19, le Fonds de garantie européen (FGE) porté par le Fonds européen d'investissement (FEI) et doté de 24,4 milliards d'euros a permis d'octroyer des financements garantis à de nombreuses entreprises européennes entre 2020 et fin 2022. Le FGE a par exemple financé en France, au travers de la SIAGI, la garantie de 172 millions d'euros de crédits bancaires.66(*) Plus généralement, le Fonds européen d'investissement déploie depuis de nombreuses années des programmes de contre-garantie, notamment dans le cadre du programme InvestEU « Compétitivité des PME », qui finance notamment les prêts sans garantie ni caution intitulés « Prêt Nouvelle Industrie » déployés par Bpifrance. L'ASF a néanmoins indiqué aux rapporteurs que l'action de l'Union européenne en matière de garantie apparaît trop ciblée sur les grands projets, mériterait d'être plus largement déployée, et bénéficierait d'un effort de simplification des procédures.
* 55 Dans les sociétés, les associés ne sont responsables des dettes de la société qu'à hauteur de leurs apports.
* 56 Étude d'impact du projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante, 29 septembre 2021.
* 57 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
* 58 Le cabinet de la ministre Olivia Grégoire déclarait à la presse en janvier 2024 que le rapport serait transmis en mars 2024 et pourrait contenir des propositions relatives aux conditions d'accès au crédit des entrepreneurs, selon un article publié dans « Le Monde des Artisans » le 5 janvier 2024.
* 59 Audition du 29 février 2024 par la délégation.
* 60 Audition du 29 février 2024 par la délégation et éléments transmis à la délégation.
* 61 Enquête de la Confédération des PME (CPME), « La situation économique et l'accès au financement des TPE-PME au second semestre 2023 », 12 décembre 2023.
* 62 Rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, « Accès des TPE aux crédits de trésorerie », septembre 2023.
* 63 Cour des comptes, rapport portant sur l'entreprise publique Bpifrance, exercices 2016 à 2021, 30 mars 2023.
* 64 Rémunérée par une commission de 2,5 %.
* 65 Les diverses aides en matière de garantie bancaire peuvent être consultées sur la base nationale des aides publiques aux entreprises développée par CMA France en 2019 : https://bpifrance-creation.fr/basedesaides.
* 66 Rapport annuel 2022 du SIAGI.