III. FINANCER LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES, UN IMPÉRATIF POUR LA RÉUSSITE DES GRANDES TRANSITIONS

Peu importe l'angle sous lequel on envisage l'entreprise de demain, l'accès des entreprises au financement sera un facteur majeur d'échec ou de réussite des grandes transitions vers les objectifs économiques, sociétaux et environnementaux que s'est fixé notre Nation.

A. LES BESOINS D'INVESTISSEMENT ET DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES RESTENT MAL ÉVALUÉS

Pourtant, très peu de travaux ont été réalisés pour estimer le besoin quantitatif de financement qu'impliquent les grands objectifs fixés par la France et par l'Union européenne, en particulier pour ce qui concerne les entreprises.

Il n'existe pas d'estimation globale des besoins de financement des entreprises, par exemple au cours de la prochaine décennie, qui prenne en compte l'ensemble des dimensions évoquées plus haut - transition écologique, numérique, nouvelles filières et compétences, renouvellement des équipements, mise en conformité aux nouvelles normes, financement de la transmission, de la croissance et de l'internationalisation... Les rares rapports produits récemment sur cette thématique sont insuffisants, en ce qu'ils adoptent une logique sectorielle ou par filière, se bornent à une analyse macroéconomique générale, ou portent uniquement sur l'effort attendu des ménages ou des acteurs publics.

Certes, la difficulté à évaluer le besoin d'investissement, et donc de financement, engendré par les grandes transitions, découle pour partie des incertitudes technologiques et politiques. Quel tempo et quelle ambition seront-ils fixés par la loi et la réglementation ? Quelle répartition de l'effort entre ménages, entreprises et acteurs publics sera-t-elle retenue ? Comment les évolutions et innovations technologiques réorienteront-elles les choix des entreprises et leurs investissements ? Ce sont là autant de paramètres qui ne peuvent être totalement anticipés, bien que de travaux par scénarios puissent permettre d'y voir plus clair. Ils appuient néanmoins la demande de visibilité et de stabilité de la norme formulée par les entreprises européennes, pour qui un cap clair est nécessaire à l'engagement d'investissements colossaux.

Par ailleurs, les bouleversements économiques et climatiques, mais aussi la hausse des tensions géopolitiques, génèrent déjà d'importants surcoûts pour l'activité des entreprises françaises. Pandémie de Covid-19, conflit en Ukraine puis crise énergétique et inflation ont accru l'endettement des entreprises et pesé sur leurs marges. L'incertitude grandit sur tant sur les besoins des entreprises que sur leur capacité à autofinancer leurs investissements ou à convaincre les financeurs - banques, fonds d'investissement, marchés - de leur faire confiance.

Au-delà de ces aléas politiques et technologiques, il est important de souligner que les politiques publiques se bornent trop souvent imposer de nouvelles normes, sans évaluer ni suivre la capacité des acteurs à les mettre en oeuvre de manière concrète, y compris du point de vue du financement. Le déficit d'évaluation de l'impact des normes nouvelles est souligné de longue date par la délégation sénatoriale aux Entreprises.2(*) Si de grands objectifs ont été fixés à l'échelle française et européenne (émissions de gaz à effet de serre, digitalisation, transition des filières industrielles...), les études d'impact de ces décisions majeures s'avèrent souvent insuffisantes.

En matière de financement, ce déficit d'évaluation se traduit par une absence de vision globale des investissements nécessaires, de leur coût, ou d'évaluation de la pertinence des outils de financement existants. Or, les entreprises et les filières ne peuvent engager, à l'aveugle, des investissements d'une telle ampleur, qui sous-tendent une transformation profonde de leur activité.

L'évaluation des investissements qui devront être engagés par les entreprises sera aussi essentielle pour calibrer au mieux l'intervention de l'État en soutien aux acteurs économiques, soutien qui sera absolument nécessaire pour accélérer la décarbonation et la transition du tissu économique. Dans un contexte de finances publiques dégradé, des choix difficiles devront être faits à courte échéance, pour soutenir les investissements à plus fort impact, tant ceux des ménages que des entreprises, tout en préservant les budgets publics qui financent l'investissement - tout aussi nécessaire - dans le logement, dans l'éduction, dans notre système de santé ou dans notre défense. L'évaluation des besoins et des efforts respectifs sera donc un prérequis pour une transition équitable et efficace, de même que l'établissement d'une doctrine claire en matière d'aides publiques et de soutien public au financement des entreprises.


* 2 Voir notamment la proposition de loi visant à créer un dispositif « Impact entreprises » et un « Test PME », présentée le 12 décembre 2023 par le président de la délégation Olivier Rietmann.

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