B. MAIS LEUR AMPLEUR S'ANNONCE INÉDITE

S'il est difficile à estimer précisément, le volume de financement qui devra être mobilisé au cours des prochaines années par les entreprises est colossal. Les grandes transitions impliqueront une accélération de l'investissement, déjà anticipée par les entreprises : elles sont aujourd'hui 29 % à anticiper une accélération de leur investissement en faveur du digital et 22 % en faveur de l'environnement.3(*)

1. Un besoin d'investissement annuel supplémentaire de 20 à 40 milliards d'euros pour la transition écologique des entreprises

Pour la seule transition écologique, le besoin d'investissement s'annonce immense. En 2022, Rexecode l'estimait à 2,1 % à 2,9 % du produit intérieur brut chaque année d'ici 2030, soit entre 58 et 80 milliards d'euros annuellement, culminant à 100 milliards d'euros environ en 2040.4(*)

Plus récemment, l'Institut de la Finance Durable chiffrait à près de 30 à 65 milliards d'euros d'ici 2030 (sans toutefois inclure la R&D ou les autres dépenses de capital immatériel) le besoin annuel d'investissement supplémentaire nécessaire pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC-2).5(*)

Estimation par secteur économique des besoins d'investissements supplémentaires d'ici 2030 pour atteindre les objectifs SNBC-2
selon l'Institut de la Finance Durable

Bâtiment

10 à 20 milliards d'euros

Transport

10 à 20 milliards d'euros

Energie

3 à 16 milliards d'euros

Industrie

2 à 3 milliards d'euros

Agriculture et forêt

2,5 milliards d'euros

Déchets

1 milliard d'euros

Source : Rapport de l'Institut de la Finance Durable, « Plan d'actions pour le financement de la transition écologique », mai 2023.

Le rapport présenté en 2023 par Jean Pisani-Ferry et Salma Mahfouz évalue, lui, à près de 2 points de produit intérieur brut (PIB) annuels le supplément d'investissements nécessaire, soit au total près de 66 milliards d'euros (101 milliards d'euros sans le gain lié à la réduction des investissements bruns) durant « la décennie de toutes les difficultés » c'est-à-dire jusqu'en 2030 environ. Les auteurs notent d'ailleurs que « le financement de ces investissements, qui n'augmentent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social », notamment car « la transition se paiera temporairement d'un ralentissement de la productivité de l'ordre d'un quart de point par an ».6(*)

Estimation par secteur économique des besoins nets d'investissements supplémentaires d'ici 2030 selon le rapport Pisani

Bâtiment

48 milliards d'euros

Transports

3 milliards d'euros

Energie

9 milliards d'euros

Industrie

4 milliards d'euros

Agriculture

2 milliards d'euros

Source : Rapport au Gouvernement de Jean Pisany-Ferry et Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l'action pour le climat », mai 2023.

Mais si les besoins d'investissement globaux liés à la transition énergétique ont fait l'objet de nombreux travaux récents d'évaluation ; très peu d'entre eux permettent de quantifier la part de ces investissements qui devra être porté par les entreprises. Le rapport de l'IFD estime à 20 à 40 milliards d'euros environ l'effort d'investissement des entreprises et acteurs publics sur un volume global de 30 à 65 milliards, mais ne précise pas les hypothèses qui sous-tendent ces ratios. La section du rapport Pisani-Ferry-Mahfouz consacrée à « l'impératif d'équité » de la transition se concentre uniquement sur l'effort porté par les ménages.

Plus précise, l'étude de Rexecode estime que l'investissement des entreprises devrait augmenter d'environ 10 % à 13 % (contre environ 2,5 % par an au cours des trente dernières années en moyenne).7(*) En effet, celles-ci devront financer les nouveaux procédés de production, le renouvellement des équipements et des bâtiments et l'obsolescence accélérée du capital productif. Autour de l'échéance 2030, il est estimé que les entreprises porteraient près des deux tiers de l'effort total d'investissement.8(*)

Estimation de l'investissement supplémentaire nécessaire
d'ici 2030 et 2050 pour atteindre les objectifs de la SNBC

 

Chaque année d'ici 2030

Chaque année d'ici 2050

Ménages

34,1 milliards d'euros

(272,7 milliards d'euros en cumulé)

34,5 milliards d'euros

(964,9 milliards d'euros en cumulé)

Entreprises et administrations

32,9 milliards d'euros

(262,9 milliards d'euros en cumulé)

52,3 milliards d'euros

(1463,2 milliards d'euros en cumulé)

Source : Rexecode, document de travail n° 83, « Les enjeux économiques de la décarbonation de la France - Une évaluation des investissements nécessaires », mai 2022.

2. Financer l'intégration de technologies de rupture, notamment digitales, au coeur de l'activité des entreprises

Plus rares encore sont les travaux qui chiffrent le coût de l'intégration de nouvelles technologies numériques au coeur des entreprises, à la fois dans leur organisation et dans leurs processus de production.

De fait, l'évolution scientifique et technologique extrêmement rapide complique grandement toute tentative de chiffrage. Néanmoins, la transition numérique des entreprises est identifiée de longue date comme un objectif majeur, engendrant des besoins de financement dont l'ampleur varie selon la taille de l'entreprise et son activité.

Dans l'industrie par exemple, le déploiement de l'« Industrie 4.0 » a fait l'objet de plusieurs dispositifs de soutien publics au cours des dernières années, afin de pallier au déficit d'investissement des entreprises françaises (par exemple grâce à un dispositif de « suramortissement » fiscal ou par des interventions dédiées de Bpifrance). La création de sites Internet ou de plateformes de vente en ligne pour les TPE-PME du commerce de proximité a également été soutenue grâce au programme France Num, mais beaucoup reste à faire. Le déploiement de la facturation électronique, au cours des prochaines années, s'annonce comme un défi majeur.

L'adoption progressive de solutions technologiques matures n'est que l'un des volets de transformation de l'activité des entreprises. L'émergence et l'intégration de technologies de rupture engendrera aussi d'importants besoins de financement.

Le recours aux solutions d'intelligence artificielle (IA) générative pourrait bientôt devenir un déterminant majeur de la compétitivité et de la performance des entreprises, certaines études ayant démontré une augmentation de 25 % de la productivité des salariés des entreprises y recourant.9(*)

Le rapport rendu en mars 2024 par la Commission de l'intelligence artificielle ne chiffre pas précisément le besoin d'investissement des acteurs économiques, mais évalue à 5 milliards d'euros chaque année durant cinq ans l'investissement public nécessaire pour développer le recours à l'intelligence artificielle en France. Il recommande notamment la création d'un fonds de 10 milliards d'euros pour financer, entre autres, « la transformation du tissu économique français ».10(*)

Évidemment, ces dispositifs de soutiens publics seront bien loin de satisfaire le besoin réel de financement qu'induit le développement du recours à l'IA dans l'entreprise : achat de logiciels et d'infrastructures le cas échéant ; formation des salariés ; recrutement de personnels spécialisés ; réorganisation des processus... La majeure partie de ces coûts devra être portée, au cours des années à venir, par les entreprises elles-mêmes.

Estimation du coût pour les pouvoirs publics de certaines recommandations
de la Commission de l'intelligence artificielle (sur cinq ans)

Investir dans la formation professionnelle continue des travailleurs et dans les dispositifs de formation autour de l'IA

200 millions d'euros

Investir massivement dans les entreprises du numérique et la transformation des entreprises pour soutenir l'écosystème français de l'IA et en faire l'un des premiers mondiaux

3 600 millions d'euros

Accélérer l'émergence d'une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d'IA

7 700 millions d'euros

Inciter, faciliter et amplifier le recours aux outils d'IA dans l'économie française en favorisant l'usage de solutions européennes

2 600 millions d'euros

Source : Rapport au Gouvernement de la Commission de l'intelligence artificielle, « IA : notre ambition pour la France », mars 2024.

Or en amont, si l'investissement des acteurs du capital-risque dans l'intelligence artificielle a augmenté récemment grâce à la visibilité de ces technologies, il reste largement sous-dimensionné en France et en Europe : il est ainsi de 2,8 milliards d'euros en France, contre 56,8 milliards d'euros aux Etats-Unis. En aval, son déploiement au sein des entreprises françaises ne fait que débuter.

Au niveau communautaire, la Commission européenne a fixé aux États membres d'ambitieux objectifs d'ordre général, par le biais d'un programme d'action intitulé « Décennie numérique de l'Europe ». Ce dernier vise notamment, d'ici 2030, à ce que 75 % des entreprises de l'UE utilisent l'informatique en nuage (« cloud »), l'IA ou les mégadonnées (« big data »), et à ce que plus de 90 % des PME atteignent un niveau élémentaire d'intensité numérique. Ce plan ne présente toutefois pas de chiffrage précis du besoin d'investissement induit pour ces entreprises, qui devront acquérir ces outils, adapter leur organisation et former leurs salariés.

Le programme « Décennie numérique de l'Europe » a été décliné en France par une feuille de route nationale, présentée le 25 mars 2024. Selon l'évaluation conduite par la Commission européenne, si la France est plutôt en avance sur ses voisins en matière d'infrastructure numérique, elle accuse néanmoins un important retard en matière de digitalisation des entreprises. L'indicateur d'intégration du numérique par les PME est de 64 % en France, contre 69 % en moyenne dans l'UE, à mettre au regard de l'objectif de 90 % en 2030 fixé par la Commission.11(*) Seules 30 % des entreprises françaises recourent au cloud, contre 70 % dans les pays scandinaves, 60 % en Irlande et 45 % en Allemagne.12(*)


* 3 Rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, « Les défis de l'investissement des entreprises et de son financement », juin 2022.

* 4 Rexecode, document de travail n° 83, « Les enjeux économiques de la décarbonation de la France - Une évaluation des investissements nécessaires », mai 2022.

* 5 Rapport de l'Institut de la Finance Durable, « Plan d'actions pour le financement de la transition écologique », mai 2023.

* 6 Rapport au Gouvernement de Jean Pisany-Ferry et Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l'action pour le climat », mai 2023.

* 7 À titre de comparaison, l'investissement corporel brut des entreprises françaises en 2021 (hors agriculture et finance) s'établissait selon l'INSEE à 24 milliards d'euros environ.

* 8 Rexecode, document de travail n° 83, « Les enjeux économiques de la décarbonation de la France - Une évaluation des investissements nécessaires », mai 2022.

* 9 Rapport au Gouvernement de la Commission de l'intelligence artificielle, « IA : notre ambition pour la France », mars 2024.

* 10 Rapport au Gouvernement de la Commission de l'intelligence artificielle, « IA : notre ambition pour la France », mars 2024.

* 11 Commission européenne, « Report on the State of the Digital Decade package 2024 », « Annex - Short country report 2024 - France ».

* 12 Rapport de la Commission de l'intelligence artificielle, « IA : notre ambition pour la France », mars 2024.

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