III. PRÉSENTATION

Christophe-André Frassa

Sénateur représentant les Français établis hors de France
Vice-président de la commission des lois du Sénat

Mesdames et Messieurs,

Ce colloque consacré à la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, cinquante ans après sa création, revêt une importance particulière.

Au-delà du fait qu'elle participe à l'affirmation de la fonction modératrice du Conseil constitutionnel, cette saisine a révolutionné notre parlementarisme en instituant un moyen significatif d'opposition parlementaire. L'articulation entre le positionnement institutionnel du Conseil constitutionnel et l'opposition parlementaire, déjà présente de manière embryonnaire, s'est affirmée avec la révision du 29 octobre 1974.

Le contrôle a priori de constitutionnalité des lois s'est surtout développé grâce à l'opposition parlementaire, et réciproquement. Les autres autorités susceptibles de saisir le Conseil constitutionnel en vertu de l'article 61 de la Constitution ne le font que rarement. Les chiffres sont éloquents : entre 1959 et 1974, seules neuf décisions furent rendues suite à une saisine de l'article 61 de la Constitution, dont six à l'initiative de Matignon. Depuis 1981, les parlementaires saisissent en moyenne plus de dix fois par an le Conseil constitutionnel dans le cadre de cette procédure. Le professeur Guy Carcassonne remarquait que la révision constitutionnelle de 1974 constituait « le premier, en date et en importance, des droits nouveaux de l'opposition ». Cela tient aux modalités libérales de la saisine parlementaire : le seuil de soixante députés ou de soixante sénateurs permet, à dessein, à un groupe minoritaire d'y recourir.

La saisine parlementaire a favorisé l'évolution du Conseil constitutionnel, initialement conçu comme un garde-fou contre la déviation du régime parlementaire. Cette procédure a permis à la fois l'essor du contentieux constitutionnel et l'affirmation des droits de l'opposition parlementaire, deux éléments essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie représentative et à la garantie de notre État de droit.

Il est important de souligner le paradoxe de la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel : elle permet à des personnes contestant les décisions du Conseil constitutionnel de lui permettre de trancher. De fait, il y a toujours eu une certaine prudence du parlement face au Conseil constitutionnel. Cela s'explique par la tradition parlementariste française, illustrée par les premiers mots de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « La loi est l'expression de la volonté générale », et la décision Arrighi du Conseil d'État en 1936. Cette tradition explique les difficultés de notre pays dans sa réception du constitutionnalisme, c'est-à-dire la suprématie effective de la Constitution et de son préambule. « La loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » : voilà le dictum par lequel les Sages ont résumé la logique du constitutionnalisme dans leur décision n° 197DC du 23 août 1985.

Or, avec cinquante ans de recul, cette saisine illustre les saines interactions institutionnelles entre le Parlement et le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a oeuvré pour diffuser la culture de la constitutionnalité, notamment en reconnaissant que l'article 61 de la Constitution ne lui confère pas un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Au-delà, la convocation d'un référendum ou la réunion du Congrès permet de vider les éventuels différends qui pourraient s'élever en la matière. Ce rappel vient souligner que le Conseil constitutionnel a une vocation d'aiguilleur, vocation que le doyen Vedel expliquait en ces termes : « Le juge constitutionnel n'est pas un prophète ou un guide, mais un censeur, il intervient seulement pour dire qu'une autorité reconnue et qualifiée [le constituant] interdit de faire ceci ou cela tant qu'il n'aura pas changé la Constitution. »

La question épineuse de l'interprétation authentique de la Constitution demeure. Elle peut, comme tout texte, se prêter à des interprétations plurielles entre lesquelles le Conseil constitutionnel doit choisir.

Ce colloque permettra d'éclairer cette réforme cinquantenaire en revenant sur sa genèse, en analysant sa pratique et ses effets, et en réfléchissant à son avenir. Cette démarche est essentielle pour continuer d'améliorer ce dispositif vertueux, tant pour le Parlement que pour le Conseil constitutionnel.

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