C. DES ÉVÉNEMENTS QUI INTERROGENT SUR LA PÉRENNITÉ ET LA QUALITÉ DE LA RESSOURCE EN EAU MINÉRALE NATURELLE

Plusieurs acteurs et experts ont abordé devant la mission d'information la vulnérabilité des sources d'eaux minérales naturelles et de source face à la pollution - dont elles doivent normalement être tenues à l'abri, conformément au principe de « pureté originelle ». Ainsi, le rapport de l'Igas remis en juillet 2022 estimait que, malgré l'annonce du déploiement du plan de retour à la normale de Nestlé Waters, « il n'est pas certain que la dégradation de la ressource puisse être jugulée ». La dégradation de la ressource fait d'ailleurs partie des facteurs explicatifs du recours à la microfiltration par les industriels, aux côtés du vieillissement des installations et de la volonté de sécuriser le processus industriel.

Les sources de pollution sont multiples et impliquent les minéraliers dans la protection de la ressource afin de conserver la pureté originelle indispensable à la qualification EMN. Dans son propos liminaire lors de son audition, Mme Lienau, Président de Nestlé France a mentionné le changement climatique comme facteur de risque pour la ressource en EMN : « être minéralier, c'est être le gardien d'un patrimoine unique. Mais c'est avant tout une responsabilité, celle de protéger et d'entretenir ce patrimoine face aux évolutions de l'environnement autour de nos sources : urbanisation et activités industrielles, évolutions des pratiques agricoles, accélération des événements climatiques extrêmes... » La pollution dont les sources doivent être protégées peut en effet être d'origine anthropique, résultant de la proximité d'activités de surface avec les aquifères souterrains - agriculture (engrais, pesticides), activités industrielles ou urbaines (eau pluviale, réseau assainissement, réseau de transport) -, mais peut aussi émaner du processus de production lui-même.

Le changement climatique est quant à lui un facteur aggravant de la vulnérabilité des sources à la pollution. Les services de l'État auditionnés ont confirmé à la rapporteure que si la raison principale du recours à ces traitements est la sécurité alimentaire, quelques ressources en eau minérale naturelle présentent des fragilités face à la pollution, notamment en cas d'épisode météorologique exceptionnel (sécheresse, événements pluvieux extrêmes, orages...). Par exemple, les fortes pluies contribuent au « lessivage » de pollutions bactériologiques liées aux eaux usées et entraînent des matières en suspension favorables au développement de ces bactéries.

L'importance de ces facteurs de vulnérabilité aux pollutions peut dépendre du volume des prélèvements ou des caractéristiques des nappes.

L'établissement public territorial de bassin (EPTB) de Vistre Vistrenque, compétent pour la gestion des eaux souterraines au sud du Gard, a indiqué à la rapporteure que les aquifères calcaires karstiques, caractéristiques des réservoirs de Nestlé Waters Supply Sud dans le Gard, étant affleurants, l'eau y circule donc rapidement : ce type de réservoir est selon l'EPTB « particulièrement vulnérable aux pollutions ».

Des services auditionnés par la rapporteure ont émis l'hypothèse d'un lien entre qualité des eaux brutes et exploitation quantitative des forages, notamment au vu de « cônes de rabattement » (baisse du niveau plafond de la nappe souterraine) « pouvant aspirer diverses substances en fond d'aquifère ». L'hydrogéologue Florence Habets a, quant à elle, indiqué que le temps de transfert des polluants émis en surface vers les aquifères est a priori plus long pour les sources en EMN, en raison de la protection des aires d'alimentation. Néanmoins, l'extension de l'aire d'alimentation de captage hors de son aire de protection en raison de la baisse du niveau de la nappe peut accélérer le temps de transfert.

En ce qui concerne Perrier, l'épisode des fortes pluies cévenol du 9 au 10 mars 2024 ayant conduit la préfecture à ordonner la destruction de 9 000 lots de produits a relancé les préoccupations sur la qualité des eaux brutes. Or, la dissimulation de la qualité réelle de l'eau brute par l'exploitant jusqu'en août 2023 n'avait pas permis à l'ARS d'avoir une vision de la qualité de l'eau et de la fragilité de la ressource due aux épisodes de pluies cévenols.

Néanmoins, la gestion durable des captages faisait l'objet d'une attention des services depuis plusieurs années. Une tierce expertise concernant l'exploitation quantitative de la ressource avait été prescrite dès 2019 par l'arrêté d'autorisation d'exploitation. Les conclusions de l'étude ont montré, selon la préfecture, une non-soutenabilité des débits pompés avec le dérèglement climatique. La préfecture a ensuite diligenté une étude visant l'acquisition de connaissances sur l'hydrosystème Perrier, conduite par l'Institut Mines-Télécom d'Alès et la faculté de Nîmes sous l'égide de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) aux frais de l'exploitant : elle permettra, selon la préfecture, de disposer de données quant à la soutenabilité des prélèvements, de façon à ajuster les prélèvements aux conditions de recharge de la nappe et assurer une gestion durable de la ressource.

Pour la rapporteure, la pureté originelle qui tient les sources d'EMN et d'ES à l'abri de la pollution a valeur patrimoniale. Elle est facteur d'externalités positives pour le territoire en ce qu'elle génère des investissements par les minéraliers en faveur de la préservation de l'environnement, eux-mêmes bénéficiant ensuite de retombées économiques liées à un argument commercial.

L'Académie nationale de médecine l'a déjà rappelé au cours de la séquence, via un communiqué de presse publié le 6 juin 2024. Elle y souligne que les ressources en EMN sont fragiles, « car elles sont exposées à de fortes pressions : réduction des précipitations liée au changement climatique ; prélèvements excessifs pour la vente en bouteilles ; urbanisation et artificialisation des espaces dues à l'évolution démographique et économique ; libération dans l'environnement de polluants issus des activités humaines, industrielles, agricoles. Ces éléments risquent de conjuguer leurs effets délétères sur la qualité, la protection et le renouvellement de ces eaux souterraines. »

Or les minéraliers sont nombreux à se prononcer en faveur d'une révision la directive 2009/54 afin d'en préciser les critères de pureté originelle, qui ne sont pas définis au niveau européen. Si la France a introduit dans son corpus règlementaire des valeurs limites de caractérisation de la pureté originelle, ce n'est pas le cas de tous les États membres en l'absence d'approche communautaire. Ainsi, le rapport de l'Igas mentionnait : « au total, la pureté originelle est le fondement des eaux conditionnées et l'argument commercial le plus utilisé, mais compte tenu de la pression exercée sur les milieux naturels, les acteurs industriels militent pour en aménager le contenu. Cette position s'accompagne d'autres arguments relatifs aux traitements et notamment à la microfiltration.53(*) »

Pour la rapporteure, la révision de la directive 2009/54, si elle pourrait opportunément préciser les traitements autorisés, ne doit pas avoir pour effet de réduire les exigences en matière de pureté originelle qui découlent du postulat d'un excellent état des masses d'eaux souterraines exploitées.


* 53 Rapport de l'Igas, p. 44.

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