B. AVEC L'ACCORD DE L'ÉTAT, NESTLÉ WATERS MET EN oeUVRE EN 2023 UN PLAN DE TRANSFORMATION POUR ABANDONNER LES TRAITEMENTS INTERDITS

Depuis 2022 et leur constatation des manquements de l'industriel, les préfets du Gard et des Vosges ont, sur recommandation des ARS, mis en demeure Nestlé Waters de :

- désinstaller les traitements interdits et dissimulés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire des eaux brutes ;

- démontrer que les eaux brutes des sources exploitées satisfont aux exigences de qualité des EMN fixées par la règlementation au risque de voir l'exploitation de leurs émergences suspendues en EMN et/ou déclassifiées en ERPT ;

- sécuriser d'un point de vue sanitaire et administratif la production de l'eau conditionnée en renforçant la qualité des eaux brutes.

Malgré une information des autorités politiques en août 2021, la mise en oeuvre du plan de transformation de Nestlé Waters n'a débuté qu'en 2023. Il est mené tout au long de l'année sous l'égide des services de l'État sur la base des propositions de Nestlé Waters, des conclusions du rapport de l'IGAS et des inspections des ARS conduites dans ce cadre.

Que ce soit dans le Gard ou dans les Vosges, la rapporteure note que l'arrêt des traitements n'a pas été sans conséquence. Elle distingue deux cas : les cas où il a entraîné le recours à des microfiltres aux seuils de coupures bas afin de préserver la sécurité sanitaire, et les cas où il a signifié la mise à l'arrêt de forages d'EMN ne satisfaisant plus les critères de pureté originelle.

1. En contrepartie de l'abandon des traitements de désinfection, l'industriel a recours à une microfiltration plus fine que celle précédemment tolérée

Ce plan repose sur :

- la mise en avant, par Nestlé Waters, de l'intérêt de la microfiltration à 0,2 micron qui permet, selon l'industriel, d'assurer la sécurité sanitaire de l'EMN au cours de l'ensemble du processus de production ;

- en contrepartie, le retrait des traitements de désinfection interdits - filtres au charbon actif et à UV.

Nestlé Waters a justifié de la façon suivante à la mission d'information l'usage de ce seuil de coupure : « La microfiltration à 0,2 um nous permet le contrôle de nos processus industriels, notamment en évitant la formation de biofilm. Nous avons démontré que le bon niveau de microfiltration, combiné à un programme strict de nettoyage des circuits d'embouteillage et 1 500 analyses quotidiennes sur nos deux sites français couvrant de multiples paramètres (notamment physico-chimiques, microbiologiques et sensoriels), pouvait garantir la sécurité alimentaire sans altérer la composition minérale de l'eau et sans être une désinfection. »47(*)

a) Le plan de transformation de NWSE dans les Vosges, sur les sites de Vittel

Selon la préfète des Vosges en poste à l'époque, les traitements interdits (filtres au charbon actif et UV) positionnés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire des eaux brutes ont cessé fin 2022 - soit environ quinze mois après l'auto-signalement de Nestlé Waters au ministère de l'industrie et environ au moins six mois après leur constatation par l'ARS lors du contrôle d'avril 2022.

À la suite d'une demande de NWSE du 5 mai 2023, les arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploitation de Vittel Bonnes Sources et de Vittel Grandes Sources ont, quant à eux, été révisés le 4 juillet 2023 pour mentionner une microfiltration à un seuil de coupure de 0,45 micron. Selon les services, conformément à la règlementation, l'objectif est bien de sécuriser le système de production et non de modifier la microbiologie de l'eau pour la rendre conforme aux exigences règlementaires.

Le 29 mars 2024, NWSE a formulé une demande de mise à jour de ces deux arrêtés préfectoraux afin d'abaisser le seuil de coupure à 0,2 micron. La demande est en cours d'instruction.

b) Le plan de transformation de NWSS dans le Gard, sur le site de Vergèze

Comme mentionné ci-dessus, en février 2023, les ministères chargés de l'économie et de la santé prennent la décision conjointe, validée par le cabinet de la Première ministre, de demander aux autorités locales d'accompagner l'industriel vers sa mise en conformité dans le cadre du plan de transformation du site prévu par ce dernier, en prenant en compte l'autorisation de microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron.

Dans le cadre de ce plan, l'arrêt des traitements interdits est conditionné à l'usage de la microfiltration à 0,2 micron, que NWSS présente comme une sécurité supplémentaire.

L'arrêt des traitements interdits a été constaté le 10 août 2023 sur le site de Vergèze par l'ARS Occitanie.

S'en est suivie la mise en place de plusieurs niveaux de microfiltres allant de 0,2 à 3 microns pour sécuriser la production, à l'exception des produits destinés à l'exportation aux États-Unis pour lesquels les traitements de désinfection sont préservés.

Les traitements interdits ont donc cessé en Occitanie plus de deux ans après l'auto-signalement de Nestlé Waters au ministère de l'industrie fin août 2021.

Que ce soit dans le Gard ou en Occitanie, la rapporteure déplore la grande tardiveté de cette mise en conformité conduite sans aucune publicité.

2. L'arrêt des traitements interdits dans le cadre du plan de transformation entraîne des reconfigurations importantes
a) La mise à l'arrêt de plusieurs forages dans les Vosges

En février 2023, les ministères chargés de l'économie et de la santé décident conjointement qu'un plan d'action de l'industriel doit aussi être présenté aux autorités locales pour recouvrir la qualité de l'eau à l'émergence « Essar », utilisée pour la production d'EMN de la Source Hépar. Parallèlement, des contrôles de qualité sont menés par les services de l'ARS, les autorités locales pouvant décider de toutes les mesures nécessaires à la préservation de la qualité de l'eau, si nécessaire, jusqu'à la suspension de l'autorisation d'exploitation d'une émergence.

Le 4 mai 2023, l'industriel annonce la suspension de deux forages - Essar et Hépar Nord - sur les six dédiés à la production de l'eau minérale naturelle Hépar (Essar, Hépar Bois, Hépar Nord, Le Peulin, Ermitage, Le Chamois), en raison de la détérioration des conditions climatiques avec des événements plus fréquents et plus intenses tels que des sécheresses régulières suivies de fortes pluies qui affectent les conditions d'exploitation de certains forages sur son site des Vosges.

La DGS a indiqué à la mission d'information qu'effectivement, le forage Essar, qui fournit 50 % du débit de la source Hépar, a été mis à l'arrêt car il ne satisfaisait plus aux critères de pureté originelle des EMN en raison de son exposition à des contaminations microbiologiques.

Le démantèlement des traitements interdits sur la source EMN Contrex a également conduit à la mise à l'arrêt en novembre 2022 des forages Thierry-Lorraine et Belle-Lorraine, dont la qualité n'était plus conforme aux critères de pureté originelle des EMN en raison, là aussi, selon la DGS, de l'exposition à des contaminations microbiologiques.

Les demandes de modification des conditions d'exploitation du mélange Source Contrex et du mélange Source Hépar, déposées le 5 mai 2023, mentionnaient toutes deux un niveau de microfiltration de 0,45 micron. Le niveau de microfiltration demandé a été porté à 0,2 micron par une nouvelle demande du 29 mars 2024. L'instruction est en cours. Selon les services, les nouveaux arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploitation sont prévus pour l'automne 2024.

b) Pour les eaux Perrier, l'abandon des traitements interdits entraîne le déclassement de forages en « eau de boisson »

À Vergèze, l'arrêt des traitements de désinfection interdits sur les EMN n'induit pas la mise à l'arrêt de forages en raison du lancement de nouveaux produits par l'industriel : il procède donc à la déclassification de certains forages EMN en forages destinés à la production d'« eaux de boisson ». Il s'agit d'eaux utilisées comme ingrédient, au même titre que le sucre, pour la fabrication de boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA).

Cette partie du plan de transformation est présentée par NWSS aux autorités locales courant 2023. Le 22 décembre 2023, le préfet du Gard prend un arrêté de reconfiguration de l'exploitation des eaux minérales naturelles « Source Perrier » :

- il autorise provisoirement l'exploitation des forages Romaine IV, IV bis, VI, VII et VIII pour la production « Source Perrier », le temps de mener l'instruction de la nouvelle demande d'autorisation d'exploiter et la consultation d'un hydrogéologue agréé en hygiène publique ;

- un arrêté de la même date prévoit que les forages Romaine III et Romaine V sont déclassés en « eau de boisson », désormais vendue sous la marque « Maison Perrier » et donc retirée du mélange « Source Perrier ». Les traitements de désinfection sont donc autorisés sur ces eaux, mais la mention « eau minérale naturelle » y est interdite.

En effet, selon l'Anses, sur la période de janvier à fin mai 2023, les forages Romaine III et Romaine V ont présenté des taux de non-conformité respectivement de 23 % et 27 % - contre 2 % par exemple pour le forage Romaine VIII.

D'après le courrier de la préfète du Gard du 28 juillet 2023 annonçant ces différentes mesures, la DGCCRF a été consultée sur l'usage de la marque « Maison Perrier » pour commercialiser des eaux de boisson.

La marque Maison Perrier a été déposée le 18 mai 2022 au registre de l'institut national de la propriété intellectuelle (INPI) par Nestlé Waters.

La demande de révision complète de l'arrêté d'autorisation d'exploitation de la source Perrier en eau minérale naturelle, avec une mention de la microfiltration à 0,2 micron, a été déposée en octobre 2023 par NWSS.

À la connaissance de la mission d'information, à date de publication du rapport, cet arrêté est toujours en cours d'instruction. L'industriel est en attente de la validation administrative de l'usage de ces microfiltres à 0,2 micron, qui sont un maillon central de son plan de transformation et sont pour l'instant utilisés en l'absence de révision de l'arrêté préfectoral.

La rapporteure souligne donc qu'outre sa tardiveté, la mise en conformité des industriels est incomplète : elle ne saurait l'être sans régularisation administrative.

3. L'abandon des traitements interdits justifie, encore aujourd'hui, une attention renforcée des autorités compétentes pour la sécurité sanitaire des eaux

Dans le Grand Est, une décision conjointe des ministères chargés de la santé et de l'économie validée par le cabinet de la Première ministre en février 2023 demande à l'ARS de mettre en place une surveillance renforcée (bactériologique et virologique) de la qualité de l'eau aux différentes émergences. En effet, l'ARS signale une altération de la qualité microbiologique de certaines émergences d'eaux conditionnées sur le site de Vittel. En avril 2023, la DGS saisit le laboratoire hydrologique de Nancy (LHN) pour apporter un appui technique et scientifique à l'ARS Grand Est dans l'évaluation de la maîtrise de la qualité de l'eau à l'émergence et des eaux conditionnées par NWSE.

Elle fait l'objet d'un avenant le 10 juillet 2023 à la suite de la demande du directeur général de l'ARS Occitanie de bénéficier également de l'appui scientifique et technique du LHN compte tenu de la situation « très similaire » que rencontre l'ARS Occitanie sur le site d'embouteillage de Vergèze. Cette dernière signale à l'Anses une dégradation de la qualité de certaines ressources qui se manifeste par des contaminations bactériologiques régulières, notamment après des épisodes pluvieux ainsi que par la présence de micropolluants et de nitrates.

Ce même mois, la préfète attire l'attention de Nestlé Waters sur les risques de contamination liés à la période pluvieuse propice aux épisodes cévenols. Afin de contrôler la qualité de l'émergence, des analyses complètes de l'eau brute captée sur l'ensemble des forages sont mises en place par l'ARS, avec des paramètres complémentaires à ceux habituellement recherchés. La préfète demande également à Nestlé Waters de transmettre à l'ARS les résultats des analyses en autosurveillance mensuellement jusqu'à au moins juin 2024.

En octobre 2023, la note d'appui scientifique de l'Anses recommande la mise en place d'un plan de surveillance renforcée sur les sites de Nestlé Waters en Occitanie et dans le Grand Est en raison du niveau de confiance insuffisant dans l'évaluation de la qualité des ressources. L'Anses recommande d'intégrer à cette surveillance renforcée des paramètres permettant d'évaluer la vulnérabilité des ressources à une contamination par des virus pathogènes transmissibles par voie hydrique : en effet, aucune recherche de virus pathogène ou d'indicateur spécifique d'une contamination virale n'est prescrite par la réglementation.

Les ARS Grand Est et Occitanie imposent donc à l'exploitant la mise en place de cette surveillance renforcée en complément du contrôle sanitaire déjà exercé.

La rapporteure note que dans le Gard, cette surveillance renforcée n'a pas permis de lever les doutes quant à l'absence de contaminations de la source. À la suite d'un épisode pluvieux intense survenu dans la nuit du 9 au 10 mars 2024, la qualité microbiologique d'un des cinq forages de la Source Perrier, Romaine VIII, s'est dégradée. Pendant les quatre jours suivants où ce forage a été exploité pour la production de « Source Perrier », des germes Pseudomonas aeruginosa ont été détectés en amont d'une ligne de production.

L'ARS a indiqué à la mission d'information que bien que les paramètres microbiologiques des produits finis soient restés conformes, l'ensemble des produits fabriqués sur cette ligne a été détruit par précaution, en raison du risque viral qui ne pouvait être exclu. Après investigation, il a donc été demandé la destruction de 9 000 lots fabriqués sur cette ligne de production du 10 au 14 mars 2024.

Considérant que de tels épisodes sources de pollution étaient récurrents et que les mesures mises en place ne permettaient pas d'exclure une contamination notamment virale des produits finis, le préfet du Gard a pris, sur proposition de l'ARS, un arrêté le 19 avril 2024 mettant en demeure Nestlé Waters de suspendre sans délai l'exploitation du captage concerné.

L'exploitation du captage pourra être de nouveau autorisée après la réalisation d'une campagne de recherche et de suppression des sources de contaminations potentielles ainsi que d'une série d'analyses conformes de la qualité des eaux dans le cadre d'un suivi assuré par un laboratoire agréé, pouvant aller jusqu'à 12 mois.

La préfecture du Gard a indiqué à la rapporteure que l'ARS a demandé une nouvelle saisine de l'Anses-LHN en juillet 2024 concernant l'interprétation des données microbiologiques d'autosurveillance de l'exploitant, dans le prolongement de la demande de juillet 2023.


* 47 Réponse de Nestlé Waters au questionnaire écrit de la mission d'information.

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