B. DÈS 2020, DES TRAITEMENTS REMETTANT EN CAUSE LA QUALIFICATION RÈGLEMENTAIRE DES EAUX MINÉRALES NATURELLES ET DE SOURCE SONT SIGNALÉS AUX AUTORITÉS

Ces faits ont été révélés le 30 janvier 2024 à la suite d'une enquête Le Monde - Radio France34(*). S'ils n'ont été portés à la connaissance des autorités qu'en 2020 pour Alma et 2021 pour Nestlé Waters, les pratiques étaient en place depuis plusieurs années35(*).

Loin d'être anecdotiques, ces faits concernent les deux plus grands industriels des eaux en bouteille en France : Alma (Saint-Yorre, Vichy Célestins, Thonon, Pierval, Châteldon, Courmayeur, Cristaline, Vernière, Rozana mais aussi Saint-Amand, Montcalm, Pierval...) et Nestlé Waters (Vittel, Contrex, Nestlé Purelife, Perrier, San Pellegrino, Hépar, Acqua Pannau...) qui dominent le marché des eaux conditionnées en France avec respectivement environ 28 % et 23 % de parts de marché.

D'autres industriels produisent des eaux conditionnées en France, comme Danone qui commercialise les eaux Évian, Badoit et la Salvetat, des opérateurs régionaux comme le groupe Ogeu (qui commercialise la Quézac notamment), Mont Roucous ou des acteurs de la grande distribution qui développent leurs propres marques.

1. Un signalement au sein du groupe Sources Alma dès 2020 concernant des traitements interdits

À la suite d'un signalement d'un salarié d'une usine du groupe Sources Alma ayant mené à des perquisitions en décembre 2020, le Service national d'enquêtes (SNE) de la DGCCRF a mené des investigations qui ont permis de révéler que des traitements interdits par la règlementation étaient pratiqués sur des EMN et des ES, à rebours de la notion de pureté originelle qui proscrit toute désinfection. Des mentions d'étiquetage non conformes aux pratiques des industriels ont également été mises au jour, comme l'adjonction de gaz carbonique dans des EMN étiquetées « naturellement gazeuses ».

Compte tenu de la nature délictuelle de la tromperie sur la nature et la qualité d'une marchandise36(*), ces constats ont ensuite débouché sur un signalement au procureur en juillet 2021, dont les suites sont couvertes par le secret de l'instruction pénale. Soupçonnant un phénomène généralisé, les autorités compétentes ont décidé d'élargir les investigations à d'autres opérateurs du secteur.

2. Un auto-signalement de Nestlé Waters en 2021 concernant des traitements interdits

À l'été 2021, Nestlé Waters sollicite un entretien avec des membres du cabinet de la ministre de l'industrie de l'époque, Agnès Pannier-Runacher, pour aborder des questions de conformité et de lecture de la règlementation. Cet entretien a lieu le 31 août 2021.

Lors de cet entretien, Nestlé Waters reconnaît spontanément avoir recours à des traitements interdits par la règlementation dans certaines de ses usines de conditionnement d'eaux minérales naturelles.

Les traitements utilisés étaient les suivants :

- des filtres à charbon actif « pour enlever des traces de contaminants comme les pesticides, bien que toujours inférieurs aux seuils règlementaires », selon Nestlé Waters ;

- des traitements par lampe à ultraviolets (UV) « pour traiter la microbiologie »37(*).

Ces traitements sont explicitement interdits sur les eaux minérales naturelles par l'article 4 de la directive 2009/54 puisqu'ils ont pour objet la désinfection de l'eau.

Malgré l'absence de modification minérale des eaux commercialisées38(*), le recours à des traitements interdits affecte le caractère « naturel » de l'eau minérale naturelle, qui découle de sa pureté originelle.

Lors de ce rendez-vous, l'industriel indique aux autorités l'absence de risque sanitaire détecté sur les produits finis concernés.

Il demande à l'administration de valider l'utilisation de microfiltres à un seuil de coupure inférieur à celui toléré afin de traiter la microbiologie de ces eaux sans recours à des traitements de désinfection interdits - dans le cadre de ce qui sera désigné comme le « plan de transformation ».

Auditionné par la mission d'information à l'été 2024, Nestlé Waters a justifié le recours à ces traitements de désinfection pourtant interdits sur les EMN par la présence de déviations microbiologiques liées au changement climatique et par la nécessité de garantir la sécurité alimentaire des produits, conformément à ce qui a été communiqué publiquement39(*).


* 34 Article publié à la suite de l'enquête Le Monde - Radio France, Le Monde, 30 janvier 2024.

* 35 D'après la convention judiciaire d'intérêt public conclue le 10 septembre 2024, dans le Grand Est, le SNE a constaté l'achat par Nestlé Waters de 6 appareils à ultraviolets de 2005 à 2009 et de 280 lampes pour appareils UV entre 2013 et 2022. Il a également déterminé que les filtres à charbon actif, interdits, ont été mis en place à partir de 2010.

* 36 Articles L. 441-1, L. 454-1, L. 454-4, L. 454-5 al 2 et 3 du code de la consommation, sanctionnés par les articles 121-2 ; 131-28, 131-29 du code pénal.

* 37 Propos liminaires de Muriel Lienau, Directrice générale de Nestlé France lors de son audition par la mission d'information le 13 juin 2024.

* 38 Confirmée par les prélèvements de l'exploitant et de l'ARS.

* 39 Point de situation sur nos eaux minérales naturelles, site Internet de Nestlé consulté le 17 septembre 2024.

Partager cette page