C. SÉCURISER LE FINANCEMENT
1. Se doter d'une programmation à court et moyen termes plus fine des besoins de financements induits par la réforme
Compte tenu de ce qui précède, il apparait désormais indispensable de préciser rapidement les modalités concrètes de mise en oeuvre de la réforme de la formation civique et linguistique pour en évaluer plus précisément le coût financier. L'examen du projet de loi de finances pour 2025 sera pour le Gouvernement l'occasion de préciser l'évolution des crédits du programme 104 en lien avec l'augmentation du nombre d'heures prescrites, la refonte du contenu des formations linguistique et civique et l'introduction d'une certification linguistique obligatoire et d'un examen civique. Cette évolution ne peut se faire à coûts budgétaires constants, au risque d'aggraver encore le faible taux de maîtrise de la langue française en fin de parcours d'intégration.
Parallèlement à cette programmation plus fine de l'évolution des crédits du programme 104, la maquette des indicateurs de performance relatifs à la formation civique et linguistique devra être revue pour prendre en compte le changement de paradigme induit par le basculement d'une obligation de moyens vers une obligation de résultats. S'agissant de la formation linguistique, les nouveaux indicateurs de performance devront prendre en compte des objectifs de validation du niveau A2 et de réduction du stock de personnes en échec face à l'examen de certification. En miroir, concernant le volet civique, il semblerait souhaitable d'intégrer des objectifs de réussite à l'examen de sortie de formation.
Recommandation n° 5 (Ministère de l'intérieur et des Outre-mer, DGEF) : Mettre les crédits du programme 104 dédiés à la formation linguistique et civique en conformité avec les objectifs affichés par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 et tirer les conséquences de cette réforme sur l'évaluation de la performance de la politique de formation.
2. Instaurer une participation financière des étrangers aux coûts des formations et des certifications, sous condition de revenus
En l'état actuel du droit, les formations dispensées dans le cadre du CIR sont gratuites. Ce principe de gratuité est affirmé dans le CESEDA, tant dans sa partie législative que dans sa partie règlementaire. Ainsi, l'article L. 413-3 de ce code dispose que les dispositifs de formation civique « sont pris en charge par l'État ». De même, son article R. 413-10 précise que « La formation civique et la formation linguistique mentionnées aux articles R. 413-12 et R. 413-13 sont dispensées gratuitement ».
De plus, le principe de gratuité des formations linguistiques a été confirmé par l'article 20 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Ce dernier est venu modifier l'article L. 433-4 du CESEDA, qui fixe les conditions d'obtention d'un titre de séjour pluriannuel. Pour se voir délivrer un tel titre, il est désormais nécessaire que l'étranger ait bénéficié « des conditions nécessaires à l'apprentissage de la langue française par l'accès à des cours gratuits dans son département de résidence ».
Pourtant, comme indiqué supra, la formation linguistique et civique des étrangers dans le cadre du CIR représente un coût croissant pour nos finances publiques. Sans faire porter la charge exclusive du financement de ce dispositif sur les primo-arrivants, une participation financière selon les conditions de revenus devrait être envisagée.
Cette proposition, portée en 2017 par le rapport de la commission des finances, ne fait pas l'unanimité parmi les observateurs de la politique d'intégration. Plusieurs arguments ont été avancés pour s'opposer à la possibilité d'une participation financière directe, notamment dans le rapport d'évaluation de la politique d'accueil des primo-arrivants64(*).
Premièrement, les étrangers participeraient déjà indirectement au financement de la politique d'intégration par le paiement des taxes et des droits de timbres dus au titre de la délivrance ou du renouvellement d'un titre de séjour temporaire.
Si cette forme de contribution financière est réelle, il s'agit d'une participation indirecte qui n'apparaît pas corrélée aux dispositifs de formation. Le montant du timbre fiscal est en effet lié à la mention figurant sur le titre de séjour et ne varie en rien en fonction des dispositifs d'accompagnement ou de formation dont l'étranger a pu bénéficier au cours de son parcours d'intégration.
Deuxièmement, instaurer une participation financière renforcerait l'absentéisme des étrangers engagés dans le CIR. Cette préoccupation a été relayée par les formateurs interrogés au cours des déplacements. Un investissement financier conséquent pourrait conduire les étrangers, en particulier ceux occupant déjà un emploi, à se détourner de la formation.
Il apparait toutefois au rapporteur spécial qu'une participation financière contribuerait à la responsabilisation des étrangers primo-arrivants. Cette évolution correspond à la logique de l'introduction, par la loi de janvier 2024 précitée, d'une obligation de résultats quant à l'atteinte d'un niveau de langue. Le suivi des formations linguistiques ne doit pas être conçu comme une formalité à respecter dans la perspective de l'obtention d'un titre de séjour mais bien comme la condition indispensable de l'intégration en France. Contribuer financièrement à ces formations signifie s'inscrire dans une démarche volontariste d'installation durable en France.
Troisièmement, renoncer au principe de gratuité des formations de l'OFII apparaîtrait contradictoire avec l'existence d'une offre de formation FLE extérieure au CIR, qui conserverait son caractère gratuit. Il existerait ainsi un risque d'éviction vers d'autres formations, relevant du secteur associatif, du service public de l'emploi ou des collectivités territoriales. Néanmoins, cet effet d'éviction ne concernerait que les primo-arrivants susceptibles de signer un CIR mais dispensés de l'obligation de le faire, comme les ressortissants algériens ou les réfugiés. Les primo-arrivants soumis à l'impératif de s'engager dans un CIR n'auraient pas de possibilité de contourner une contribution financière, qui serait en tout état de cause soumise à des conditions de revenus. De plus, il pourrait être envisagé de dispenser les bénéficiaires de la protection internationale de cette participation afin de les inciter à suivre les formations.
Par ailleurs, un détour par le droit comparé permet de souligner une certaine convergence entre les États proposant des formations linguistiques. Certains États européens, à l'image de l'Estonie, de la Grèce ou de la Slovénie, proposent certes des formations gratuites, mais une partie significative des États membres de l'Union européenne font peser au moins une partie de la charge financière sur les bénéficiaires. La Cour des comptes, dans un rapport de 2020 consacré à l'entrée, au séjour et au premier accueil des étrangers en France, relève qu'il est prévu une participation de 1,93 euros par heure de cours en Allemagne, sauf pour les réfugiés et les demandeurs d'emploi et de 1,93 à 2,29 euros en Lituanie. L'Italie prévoit une participation financière pour les cours non financés sur fonds européens et une contribution de 10 euros par trimestre existe au Luxembourg65(*).
Sur ce modèle, la France pourrait mettre en place une participation forfaitaire des étrangers aux formations linguistiques, de l'ordre de 400 euros. Le coût horaire moyen étant de 7,40 euros, hors Mayotte, ce montant devrait permettre un partage des coûts entre l'État et son opérateur, l'OFII, et les bénéficiaires de ces formations. Par rapport à une participation horaire, une contribution forfaitaire permet de ne pas lier le montant acquitté par l'étranger au nombre d'heures prescrites et, ainsi, de ne pas assimiler des heures de formation additionnelles à une forme de sanction financière. L'ensemble des signataires du CIR participerait donc de manière équitable, quel que soit leur niveau de langue au financement de cette politique. Les étrangers dispensés de formation linguistique ne s'acquitteraient cependant que d'une participation à la formation civique.
En outre, la participation financière des étrangers aux coûts des formations serait soumise à des conditions de ressources, comme le proposait le président Roger Karoutchi dans son rapport de 201766(*).
Recommandation n° 6 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Instaurer une participation financière des étrangers signataires du CIR aux coûts des formations linguistiques et civiques, sous réserve de leurs ressources.
À cette participation, devrait s'ajouter la prise en charge par l'étranger de la certification de son niveau de langue en fin de parcours. Actuellement, si la certification n'est pas obligatoire, dans l'attente de l'entrée en vigueur de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, une certification par étranger est prise en charge par l'État. Il paraît souhaitable que le coût de la certification soit désormais pris en charge par l'étranger. Dès lors que l'examen de certification, réalisé dans un centre agréé, intervient en fin de parcours linguistique, cette dépense pourrait être plus facilement anticipée par les apprenants.
Recommandation n° 7 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Instaurer une prise en charge financière, par l'étranger, de la certification du niveau de langue prévue en fin de parcours.
* 64 Inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, Rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013.
* 65 Cour des comptes, L'entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, 2020, p. 170.
* 66 Rapport d'information n° 660 (2016-2017) fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur la mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants, de M. Roger KAROUTCHI.