C. ...POUR UN COÛT BUDGÉTAIRE SOUS ÉVALUÉ
1. L'entrée en vigueur de l'article 20 de la loi contrôlant l'immigration et améliorant l'intégration pourrait représenter de nouvelles dépenses conséquentes pour le programme 104
La réforme de la formation linguistique portée par l'article 20 de la loi du 26 janvier 2024 portera des conséquences financières importantes pour les crédits du programme 104 et de la politique d'intégration.
En premier lieu, la certification obligatoire du niveau de langue en fin de parcours conduira, comme exposé supra, compte tenu des taux actuels de validation du niveau A1 en fin de parcours, à la constitution d'un « stock » de personnes recalées au test de certification de langues et ne pouvant prétendre à une carte de séjour pluriannuelle. La gestion de ce stock et la potentielle réorientation de ces personnes vers des formations additionnelles de français en vue de retenter le test de certification entraineront un coût supplémentaire pour le budget de l'OFII. Par ailleurs, il n'est actuellement pas précisé que le coût de l'examen de certification soit pris en charge par l'État.
En second lieu, la fixation de l'exigence de maîtrise du français au niveau A2 entraînera nécessairement une réorganisation de l'offre de formation et de sa mise en oeuvre par l'OFII et ses prestataires. Il s'agira, en particulier, d'allonger la durée de formation linguistique pour s'adapter à un niveau supérieur d'exigence.
L'exigence de réorganisation de l'offre de formation sera également valable au niveau de la formation civique où la mise en place d'un examen de validation des connaissances impliquera une révision du format des modules de cours.
2. L'impact financier du basculement vers une obligation de résultats à la fin de la formation et le rehaussement des exigences linguistiques n'a fait l'objet d'aucune évaluation approfondie
Pour autant, il apparaît nécessaire de relever l'indéniable faiblesse de l'évaluation budgétaire du coût de la réforme de la formation linguistique et civique dans le cadre du CIR opérée par l'article 20 de la loi du 26 janvier 2024. Aucune estimation chiffrée n'a ainsi été fournie à la représentation nationale dans les documents transmis en amont de l'examen du projet de loi en première lecture au Sénat.
Sur le plan des recettes, l'étude d'impact anticipe simplement les conséquences de la non-atteinte de la condition de maîtrise du niveau A2. Les personnes qui ne valideraient pas ce niveau ne pourrait prétendre à un titre de séjour pluriannuel et se verraient donc forcés de solliciter le renouvellement de cartes de séjour temporaire. Il en découlerait une hausse des taxes et droits de timbre attachés à la délivrance ou au renouvellement de ces titres de séjour.
Sur le plan des dépenses, l'étude d'impact indique pudiquement qu'une hausse du niveau de langue pour la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle aurait pour incidence « une hausse du budget de l'OFII ».
Le Gouvernement a été amené à préciser son estimation au cours de l'examen du projet de loi contrôlant l'immigration et confortant l'intégration. Interrogé sur le coût budgétaire de cette réforme, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a déclaré, le 21 novembre 2023, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : « Nous avons débloqué les moyens nécessaires, soit plus de 100 millions d'euros par an, notamment pour les cours de français mis en place avec la LOPMI »62(*).
La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite LOPMI, prévoyait effectivement une hausse des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » à un niveau de 2,16 milliards d'euros en 2026, contre 2,01 milliards d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2023.
Cette programmation a été actualisée par la promulgation de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 qui prévoit que les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s'élèveront à 2,3 milliards d'euros de crédits de paiement en 2026.
Plafonds de crédits de paiement
alloué à la mission « Immigration, asile
et
intégration », hors contribution au CAS pensions fixé
par la loi
de programmation des finances publiques pour les années
2023 à 2027
(en milliards d'euros courants)
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
|
Crédits de paiement de la mission IAI |
2,0 |
2,2 |
2,2 |
2,3 |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Toutefois, rien n'indique, dans les travaux législatifs de la LOPMI comme de la LPFP, que ces crédits additionnels seraient fléchés vers la politique d'intégration et plus spécifiquement les cours de langues. Or la mission « Immigration, asile et intégration » comprend d'autres lignes budgétaires dynamiques, en particulier les dépenses liées à la politique d'asile. Pour mémoire, dans la loi de finances pour 2024, les crédits de l'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » représentaient 65,3 % des crédits de paiement de la mission, contre seulement 20 % au titre de la politique d'intégration.
En tout état de cause, le montant de 100 millions d'euros correspond à une évaluation a minima du coût de la réforme de la formation linguistique. La direction générale des étrangers en France a en effet précisé les modalités de mise en oeuvre de la réforme. Elle consisterait à élargir le bénéfice du module complémentaire de 100 heures de cours de langue proposé par l'OFII pour l'atteinte du niveau A2 ou B1. Ce module, actuellement optionnel, serait ainsi rendu obligatoire.
L'allongement du parcours linguistique de 100 heures pour atteindre le niveau A2 n'est pourtant pas le schéma qui a été privilégié dans le cadre d'une expérimentation menée par l'OFII de prescription de formation linguistique vers le niveau A2, en vue d'anticiper l'entrée en vigueur de la réforme. L'expérimentation est actuellement menée sur deux lots du marché OFII : le lot 9 Créteil et le lot 2 Bourgogne-Franche-Comté. La prescription linguistique vers le niveau A2 est cependant de 200 heures supplémentaires par rapport à la prescription vers le niveau A1, soit le double du montant d'heures annoncé par la DGEF.
Le total de la prescription A1 et d'une prescription additionnelle de 200 heures correspondrait peu ou prou à la durée de la formation linguistique proposée en Allemagne où le niveau de langue exigé se situe entre le niveau A2 et le niveau B1. Pour atteindre cet objectif, le cadre allemand propose des modules linguistiques allant jusqu'à 900 heures pour les profils ayant le plus de difficultés avec la langue germanique. Si le cadre de l'expérimentation actuellement menée par l'OFII était généralisé, le module le plus long prescrit en France serait de 800 heures, en additionnant le module « non-scripteur non-lecteur » de 600 heures et le module additionnel de 200 heures.
Il appartient donc au ministère de l'intérieur et des Outre-mer de préciser quel cadre il entend privilégier pour la mise en oeuvre de cette réforme. La longueur de la formation aura des conséquences budgétaires importantes mais déterminera le taux de réussite des étrangers concernés à l'examen de certification.
* 62 Extrait du compte-rendu de la réunion du 21 novembre 2023 de la commission des lois, Rapport n° 1943 de M. Florent BOUDIÉ, Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE, MM. Ludovic MENDES, Philippe PRADAL et Olivier SERVA, fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 décembre 2023, tome II.