B. ...DONT LA MISE EN oeUVRE A FAIT L'OBJET DE CRITIQUES RÉCURRENTES...

1. L'absence regrettable d'obligation de résultats en dépit d'un objectif de maitrise de la langue française peu ambitieux
a) L'assiduité et le sérieux, des critères d'évaluation insatisfaisants

En l'état actuel du droit et jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, l'étranger signataire d'un CIR n'est soumis à aucune condition de résultat sur l'atteinte du niveau A1, comme sur l'assimilation des notions dispensées dans le cadre de la formation civique.

Les dispositions du CESEDA précisent simplement que, pour l'obtention d'une carte de séjour pluriannuelle, le signataire du CIR est tenu d'une part, de respecter les « valeurs essentielles de la société française et de la République » et, d'autre part, de suivre avec « assiduité et sérieux » les formations linguistique et civique27(*). Dans une instruction de février 2021 relative à la politique d'intégration des étrangers primo-arrivants, le ministère de l'intérieur et des Outre-mer avait précisé les modalités d'évaluation de ces critères28(*) : « La condition de sérieux est remplie dès lors que l'étranger a été attentif au contenu des formations dispensées et, dans le cadre de la formation linguistique, a progressé d'au moins un point par rapport au niveau initial. La condition d'assiduité est satisfaite dès lors que l'étranger primo-arrivant a suivi au moins 80 % de la formation linguistique et a assisté, en l'état, au moins aux trois premières journées de formation civique sur les quatre journées prévues ».

b) Un objectif limité de maîtrise de la langue française

Au-delà de l'absence d'obligation de résultat attachée à la formation linguistique, force est de constater que l'atteinte du niveau A1 paraît insuffisant au regard de la finalité d'intégration des étrangers primo-arrivants. Dans son précédent rapport consacré à la formation linguistique et civique en 2017, le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, Roger Karoutchi, avait souligné que le niveau A1.1 s'apparentait davantage à un « kit de survie » qu'à un gage d'intégration29(*).

Ainsi, le niveau A1 ne semble pas suffisant pour permettre une réelle intégration. Le rapport sur l'insertion par l'emploi des étrangers primo-arrivants, réalisé par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, de l'inspection générale de l'administration et de l'inspection générale des affaires sociales en avril 202130(*), relève lui aussi que le niveau A1 n'est pas suffisant pour pouvoir être intégré professionnellement.

Les auditions du rapporteur spécial, tant d'opérateurs des marchés de formation que de France Travail, confirment que le rehaussement de l'objectif de maîtrise de la langue est indispensable à une meilleure intégration professionnelle. Le seul niveau A1 confine les étrangers primo-arrivants dans des emplois très peu qualifiés et dans lesquels l'usage du français est limité. Selon une étude réalisée par l'INSEE, les immigrés qui maîtrisent le français perçoivent, en moyenne, un salaire 17 % plus élevé31(*).

Le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL)

Utilisateur élémentaire

A1

Introductif ou découverte - Peut comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi que des énoncés très simples qui visent à satisfaire des besoins concrets. Peut se présenter ou présenter quelqu'un et poser à une personne des questions la concernant - par exemple, sur son lieu d'habitation, ses relations, ce qui lui appartient, etc. - et peut répondre au même type de questions. Peut communiquer de façon simple si l'interlocuteur parle lentement et distinctement et se montre coopératif.

A2

Intermédiaire ou de survie - Peut comprendre des phrases isolées et des expressions fréquemment utilisées en relation avec des domaines immédiats de priorité (par exemple, informations personnelles et familiales simples, achats, environnement proche, travail). Peut communiquer lors de tâches simples et habituelles ne demandant qu'un échange d'informations simple et direct sur des sujets familiers et habituels. Peut décrire avec des moyens simples sa formation, son environnement immédiat et évoquer des sujets qui correspondent à des besoins immédiats.

Utilisateur intermédiaire

B1

Niveau seuil - Peut comprendre les points essentiels quand un langage clair et standard est utilisé et s'il s'agit de choses familières dans le travail, à l'école, dans les loisirs, etc. Peut se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en voyage dans une région où la langue cible est parlée. Peut produire un discours simple et cohérent sur des sujets familiers et dans ses domaines d'intérêt. Peut raconter un événement, une expérience ou un rêve, décrire un espoir ou un but et exposer brièvement des raisons ou explications pour un projet ou une idée.

 

B2

Avancé ou indépendant - Peut comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, y compris une discussion technique dans sa spécialité. Peut communiquer avec un degré de spontanéité et d'aisance tel qu'une conversation avec un locuteur natif ne comportant de tension ni pour l'un ni pour l'autre. Peut s'exprimer de façon claire et détaillée sur une grande gamme de sujets, émettre un avis sur un sujet d'actualité et exposer les avantages et les inconvénients de différentes possibilités.

Utilisateur expérimenté

C1

Autonome - Peut comprendre une grande gamme de textes longs et exigeants, ainsi que saisir des significations implicites. Peut s'exprimer spontanément et couramment sans trop apparemment devoir chercher ses mots. Peut utiliser la langue de façon efficace et souple dans sa vie sociale, professionnelle ou académique. Peut s'exprimer sur des sujets complexes de façon claire et bien structurée et manifester son contrôle des outils d'organisation, d'articulation et de cohésion du discours.

C2

Maîtrise - Peut comprendre sans effort pratiquement tout ce qu'il/elle lit ou entend. Peut restituer faits et arguments de diverses sources écrites et orales en les résumant de façon cohérente. Peut s'exprimer spontanément, très couramment et de façon précise et peut rendre distinctes de fines nuances de sens en rapport avec des sujets complexes.

Source : commission des finances, d'après le CECRL

2. Une formation civique trop théorique et condensée sur quatre jours

La formation civique dispensée dans le cadre du CIR s'organise, comme indiqué supra, sur quatre journées de formation au contenu suivant :

- une journée de présentation générale de la France et des principes-clés de l'intégration ;

- une journée d'approfondissement des principes d'intégration donnant lieu à la délivrance d'une feuille de route sur la suite de la formation ;

- une troisième journée consacrée aux principes et valeurs de la République qui donne en théorie lieu à des cas pratiques et mises en situation ;

- une quatrième journée d'ateliers thématiques au choix du primo-arrivant qui peut opter pour un atelier professionnel, un atelier social ou un atelier culturel selon ses préférences et les priorités de son projet. De manière générale, les primo-arrivants, priorisant leur insertion dans l'emploi, choisissent très majoritairement l'atelier professionnel.

Deux critiques principales ont été formulées à propos de la formation civique depuis son introduction dans le cadre du CIR auxquelles les réformes successives jusqu'à la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ne sont pas parvenus à véritablement répondre.

D'une part, sur le fond, la formation civique poursuit des objectifs ambitieux de transmission d'un très grand nombre d'informations. Ces dernières relèvent tant de grands concepts abstraits comme les « principes et valeurs de la République », qui peuvent s'avérer complexe à appréhender pour des publics d'origines socioculturels divers, que d'informations pratiques sur la vie en France, autour de grandes thématiques comme l'emploi, le logement ou la santé.

D'autre part, s'agissant de l'organisation pratique de son déroulement, la formation intervient particulièrement tôt dans le parcours d'intégration des étrangers. Ceux-ci sont généralement convoqués en formation civique avant d'avoir commencé les cours de langue française. Il en ressort un profond décalage entre les capacités de compréhension du public assistant à ces formations et l'ambitieux contenu qu'elles sont supposées transmettre. Pour répondre à la barrière linguistique, le cahier des clauses particulières de l'OFII prévoit la présence obligatoire d'un service d'interprétariat lors de ces formations. Outre la contrainte pour les organismes de formation d'identifier et de sélectionner des interprètes qualifiés, le recours à l'interprétariat réduit la portée des interventions des formateurs. Or, 65,2 % des stagiaires ont eu besoin d'un service d'interprétariat en 2023 que les prestataires de l'OFII ont fournis dans 79 langues.

3. Un modèle de formation soumis à des contraintes endogènes et exogènes

Les différents travaux d'évaluation de la formation linguistique et civique ainsi que les auditions et déplacements du rapporteur, en Ile-de-France et en Bourgogne-Franche-Comté, font apparaître des difficultés récurrentes dans le déroulement des parcours de formation.

Premièrement, les délais d'entrée en formation peuvent être rallongés par rapport à leur durée théorique. Comme souligné dans le rapport externe d'évaluation des formations linguistique et civique, le délai qui intervient entre la prescription des formations et le début des cours est prévu pour être d'un mois maximum. Or, nombre de primo-arrivants sont confrontés à des délais plus longs. Selon les annexes du rapport précité, cinq primo-arrivants interrogés sur six ont déclaré avoir suivi de leur propre initiative des cours de français hors du CIR pour pallier les délais de prise en charge. Cet allongement des délais peut s'expliquer en partie par les aléas du parcours d'intégration et par la durée des démarches administratives auprès des préfectures ou de l'OFII. Selon le département, un facteur de flux peut également intervenir. Dans les départements urbains où les primo-arrivants sont plus nombreux, une saturation des modules de formation peut apparaitre. À l'inverse, dans les départements plus ruraux, le seuil minimal de six personnes fixé par le cahier des clauses particulières (CCP) de l'OFII pour constituer un groupe d'apprentissage peut être difficile à atteindre et ralentir l'entrée en formation.

Concernant les formations linguistiques, le principe d'entrée « date à date » dans les formations, visant à prévenir les entrées en cours de formation, peut également contribuer à ralentir l'entrée en formation.

S'agissant des formations civiques, la mobilisation de services d'interprétariat, obligatoire, constitue un facteur additionnel de report du début de la formation, en particulier dans les territoires les moins dotés.

Deuxièmement, des difficultés ont été signalées concernant certains employeurs réticents à libérer leurs salariés pour les formations linguistique et civique. En effet, lorsque le signataire du CIR a unemploi, il peut demander un aménagement de son temps de travail pour suivre les formations. Ces difficultés peuvent survenir du côté de l'étranger salarié qui, placé dans une situation hiérarchique et ayant des besoins financiers, sera réticent à solliciter un aménagement de son temps de travail par peur de perdre son emploi. Les difficultés peuvent aussi émerger du côté de l'employeur, particulièrement dans le cas des petites et moyennes entreprises. Ce dernier pourra ainsi refuser de se priver d'un salarié, dans le souci de ne pas pénaliser l'activité de son entreprise. En outre, selon les formateurs interrogés par le rapporteur, une grande partie des employeurs est mal informée sur le parcours d'intégration et les obligations qui incombent aux signataires du CIR. Un travail de dialogue et de sensibilisation incombe de fait aux formateurs et aux auditeurs de l'OFII.

En l'état actuel du droit et avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, le refus de l'employeur conduit l'étranger salarié à aménager son temps de formation. Cet aménagement repose essentiellement sur un étalement des cours et leur concentration sur les soirées et les week-ends.

Troisièmement, en dépit de la réforme des marchés de formation qui visait en partie à répondre à ce point, les organismes de formation peinent encore à organiser des groupes d'apprentissage homogènes. Les dernières révisions des marchés de formation, en 2019 et 2022, poursuivaient l'objectif d'une plus grande homogénéisation des groupes de travail. Le déplacement du rapporteur à Bobigny a toutefois permis d'observer que cet objectif n'était pas atteint. Le rapporteur a pu assister à une formation, dans le cadre d'un parcours de 200 heures, dispensé à un groupe dont les membres, d'origines et de milieux socioculturels variés, présentaient des niveaux de langue hétérogènes. Ce constat est d'autant plus surprenant que le groupe observé se situait en fin de parcours et auraient donc dû tous être proches du niveau A1.


* 27 Article R. 433-5 du CESEDA.

* 28 Instruction de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la citoyenneté, (NOR INTV2101619J) du 17 février 2021 portant sur les priorités 2021 de la politique d'intégration des étrangers primo-arrivants et des bénéficiaires de la protection internationale.

* 29 Rapport d'information n° 660 (2016-2017) fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur la mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants, de M. Roger KAROUTCHI.

* 30 Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, L'insertion par l'emploi des étrangers primo-arrivants : reconnaissance des diplômes et des qualifications, validation des acquis de l'expérience professionnelle, avril 2021.

* 31 Nagui Bechichi, Gérard Bouvier, Yaël Brinbaum, Jérôme Lê, « Maîtrise de la langue et emploi des immigrés : quels liens ? », INSEE Références, 2016.

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