LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 (DGEF, OFII) : Faire débuter la formation linguistique avant la formation civique, en prévoyant un parcours alternant la formation linguistique avec deux fois deux blocs de deux jours de formation civique, avec des supports de formations complémentaires et accessibles en ligne pour tous les primo-arrivants.

Recommandation n° 2 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Recentrer les quatre jours de formation civique autour de contenus uniquement dédiés aux valeurs, aux principes, et aux institutions de la République, à l'exercice des droits et devoirs liés à la vie en France ainsi qu'à l'organisation de la société française, en transformant la journée « Emploi » en une journée optionnelle pour les signataires du CIR désireux de chercher un emploi ou déjà inscrits à France Travail.

Recommandation n° 3 (DGEF) : Rehausser a minima de 100 heures le volume horaire de la formation linguistique pour l'adapter aux nouvelles exigences du niveau A2, en prévoyant une sortie anticipée du cursus de formation en cas d'atteinte du niveau.

Recommandation n° 4 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Structurer le test sanctionnant la formation civique en deux parties, avec une première épreuve écrite, complétée d'un entretien oral de mise en situation, avec des plateformes d'entraînements en ligne à destination des signataires du CIR.

Recommandation n° 5 (Ministère de l'intérieur et des Outre-mer, DGEF) : Mettre les crédits du programme 104 dédiés à la formation linguistique et civique en conformité avec les objectifs affichés par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 et tirer les conséquences de cette réforme sur l'évaluation de la performance de la politique de formation.

Recommandation n° 6 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Instaurer une participation financière des étrangers signataires du CIR aux coûts des formations linguistiques et civiques, sous réserve de leurs ressources.

Recommandation n° 7 (DGEF, OFII et ses prestataires) : Instaurer une prise en charge financière, par l'étranger, de la certification du niveau de langue prévue en fin de parcours.

AVANT-PROPOS

« On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre ».

Emil Cioran, Aveux et anathèmes, 1986.

Ces propos du philosophe roumain réfugié en France Emil Cioran illustrent de façon topique les problématiques au coeur de la dynamique d'intégration, qui irrigue la mise en oeuvre du contrat d'accueil et d'intégration, devenu contrat d'intégration républicaine (CIR), depuis la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France. Un précédent rapport du rapporteur spécial de la commission des finances, Roger Karoutchi, consacré à la formation linguistique et civique en 2017, est arrivé à la conclusion que la réforme de 2016 n'a entraîné aucune réelle amélioration.

Le présent rapport est donc l'occasion de faire un bilan de ce dispositif, à l'heure de sa réforme par la loi 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui remodèle de nouveau le contrat d'intégration républicaine, tant sur son volet civique que linguistique. La signature de ce contrat est obligatoire pour tous les primo-arrivants non ressortissants d'États membres de l'Union européenne, admis au séjour en France et qui souhaitent s'y installer durablement, hors exemptions limitativement énumérées. Le nombre de CIR signés a sensiblement augmenté, passant d'un peu plus de 106 000 contrats conclus en 2016 à près de 128 000 en 2023.

Alors même que la réforme n'a pas encore produit pleinement ses effets, il faut d'ores et déjà relever les limites à la fois endogènes et exogènes de cette formation étatique. D'une part, la plupart des remarques sur le contenu des formations formulées en 2017, et en particulier sur la formation civique, conservent malheureusement leur portée. Les contenus proposés et enseignés ne peuvent garantir une réelle intégration dans la société française. D'autre part, et partant du fait que l'État ne doit pas être le seul moteur d'intégration, force est de constater que le phénomène communautaire peut être un frein à l'apprentissage de la langue française et des valeurs de la société française transmises dans le cadre du contrat d'intégration républicaine.

I. LA FORMATION LINGUISTIQUE ET CIVIQUE DANS LE CADRE DU CIR, UN LEVIER D'INTÉGRATION CRITIQUÉ

A. UN DISPOSITIF PROGRESSIVEMENT RENFORCÉ...

1. Une formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants ayant fait l'objet de réformes et renforcements successifs

Selon les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France (CESEDA), l'« étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans révolus, et qui souhaite s'y maintenir durablement s'engage dans un parcours personnalisé d'intégration républicaine »8(*). Ce dernier se matérialise par la signature d'un contrat d'intégration (CIR).

Dans une logique contractuelle, la signature par l'étranger primo-arrivant d'un CIR ouvre droit à des formations linguistiques et civiques visant à renforcer son intégration.

À titre préliminaire, il importe de préciser que le CIR et les formations attenantes, qui sont l'objet de ce contrôle, ne s'adressent qu'aux étrangers dits « primo-arrivants ». Il s'agit des étrangers, non-ressortissants d'États membres de l'Union européenne, qui souhaitent s'installer durablement en France et ont obtenus un titre de séjour. Ce dernier peut être délivré pour différents motifs d'admission (économique, familial, humanitaire...). Tous les étrangers résidant légalement en France ne relèvent pas de la catégorie des primo-arrivants. Par exemple, les demandeurs d'asile, en attente d'instruction de leur dossier par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n'en font pas partie.

Il est également nécessaire de souligner que tous les étrangers primo-arrivants ne sont pas arrivés récemment sur le territoire français. Le terme « primo-arrivant » se réfère à la situation administrative de l'étranger, qui dispose d'un premier titre de séjour, et non pas à l'entrée en France. Environ un tiers des signataires du CIR sont en France depuis plus de deux ans, selon un rapport commun de l'inspection générale de l'administration et de l'inspection générale des affaires sociales9(*). Il peut s'agir de bénéficiaires de la protection internationale, de mineurs non accompagnés arrivant à majorité ou de bénéficiaires de l'admission exceptionnelle au séjour, communément désignée sous le terme de « régularisation ».

a) La création d'un cadre contractuel pour l'intégration des étrangers primo-arrivants

La création d'un dispositif d'accueil et de formation des étrangers primo-arrivants en France remonte à 2003 et à l'instauration, à titre expérimental, par le comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003, du contrat d'accueil et d'intégration (CAI). Ce dispositif, expérimenté à compter du 1er juillet 2003 dans douze départements, découlait d'une recommandation du rapport annuel du Haut Conseil à l'Intégration rendu en 200110(*). Dès sa naissance, le CAI prévoyait un volet de formation linguistique et un volet de formation civique. Cette dualité perdure aujourd'hui.

La loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a donné une première base légale au CAI, tout en opérant sa généralisation sur l'ensemble du territoire. Dans ce cadre, le CAI comportait un caractère facultatif et devait être proposé, pour une durée d'un an renouvelable une fois, à tout étranger admis pour la première fois au séjour en France en vue d'une installation durable. En contrepartie d'un engagement d'assiduité, l'étranger signataire du CAI bénéficiait d'actions destinées à favoriser son intégration « dans le respect des lois et des valeurs fondamentales de la République »11(*). Ces dernières comportaient une formation linguistique, une formation civique et une journée d'information sur la vie en France.

Au dispositif général du CAI s'ajoutait également un dispositif de pré-contrat d'accueil et d'intégration (pré-CAI). Mis en place par l'OFII en 2008, il visait à préparer l'arrivée d'un étranger en France et d'engager un parcours d'intégration depuis le pays d'origine. Destiné aux demandeurs d'un visa, le pré-CAI prévoyait l'organisation d'un test de langue à l'issue duquel l'étranger demandeur pouvait se voir prescrire un parcours de formation linguistique de 30 heures. La délivrance d'un visa se trouvait conditionnée à l'assiduité à la formation.

La signature d'un contrat d'intégration est devenue obligatoire avec la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. La loi a étendu cette obligation aux mineurs de 16 à 18 ans. La loi du 24 juillet 2006 a également permis de préciser le contenu des formations linguistiques et civique dispensées dans le cadre du CAI, ainsi que les modalités d'évaluation du suivi desdites formations. Elle a enfin prévu que le respect de ce contrat soit pris en compte lors de l'examen de la demande de renouvellement du titre de séjour.

Le contenu du CAI a été ultérieurement précisé par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

b) La structuration progressive des dispositifs de formation linguistique et civique dans le cadre du CIR à partir de 2016

La transformation du contrat d'accueil et d'intégration en contrat d'intégration républicaine (CIR) a été opérée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France. La création du CIR poursuivait un double objectif de personnalisation du contrat passé entre l'étranger et l'État, d'une part, et d'une meilleure articulation entre ce dispositif et la politique de délivrance des titres de séjour, d'autre part. Pour ce faire, la loi du 7 mars 2016 a conduit à plusieurs évolutions.

Premièrement, cette loi a relevé les objectifs de maîtrise de langue en prévoyant que la formation linguistique dans le cadre du CIR vise à atteindre un niveau A1 du cadre européen de référence pour les langues. Dans le cadre du CAI, l'objectif était d'atteindre le niveau A1.1 soit un niveau de maîtrise élémentaire de la langue française moins élevé.

Deuxièmement, elle a renforcé la place de la maîtrise linguistique dans la délivrance des titres de séjour :

- d'une part, en conditionnant la délivrance d'une carte séjour pluriannuelle à l'assiduité et au sérieux de la participation de l'étranger aux formations prescrites dans le cadre du CIR ;

- d'autre part, en conditionnant la délivrance d'une carte de résident de 10 ans à l'obtention d'une attestation de validation du niveau A2.

Troisièmement, la loi du 7 mars 2016 a renforcé le volet civique de la formation délivrée dans le cadre du CIR. Elle a ainsi introduit une formation civique obligatoire de 12 heures, soit deux journées de stage.

Par ailleurs, la loi de 2016 a procédé à la suppression du dispositif du pré-CAI. Cette mesure de suppression avait notamment été recommandée par un rapport d'évaluation de l'inspection générale de l'administration (IGA) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), « au vu de l'insuffisance de ses prestations et de leur mauvaise articulation avec les prestations d'accueil délivrées dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration »12(*). En effet, le suivi des prestations d'un pré-CAI ne changeait absolument pas le dispositif d'intégration proposé à l'étranger une fois arrivé sur le territoire. La faible durée des formations et l'absence de sanction adossée au pré-CAI produisait en outre de faibles résultats de maîtrise de la langue française.

La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a poursuivi le renforcement des dispositifs de formation linguistique et civique dans le cadre du CIR. La loi a précisé que la formation linguistique dispensée dans le cadre du CIR « comprend un nombre d'heures d'enseignement de la langue française suffisant pour permettre à l'étranger primo-arrivant d'occuper un emploi et de s'intégrer dans la société française »13(*). Elle a également prévu que cette formation pouvait donner lieu à une certification standardisée du niveau de langue.

En parallèle des dispositions de la loi du 10 septembre 2018, le comité interministériel à l'intégration (C2I) du 5 juin 2018 a prolongé cette orientation, tant sur le volet linguistique que sur le volet civique.

S'agissant du volet linguistique, le C2I a acté le doublement du volume des formations linguistiques. Pour rappel, suite à un entretien d'évaluation initial, le nombre d'heures de formation prescrites était de 50, 100 ou 200 heures. Les formations sont ainsi passées à des modules de 100, 200 ou 400 heures. De nouveaux modules de 600 heures sont également créés. Ces derniers sont spécifiquement destinés aux stagiaires les plus en difficulté avec la langue française, soit le public « non-lecteur, non-scripteur ».

Concernant le volet civique, le C2I a également doublé la durée de formation pour passer de six à douze heures. Le contenu et l'organisation des formations civiques ont également été revues pour pallier les limites soulignées lors des différents rapports de contrôle.

Les évolutions actées par la loi du 10 septembre 2018 comme par le C2I s'appuyaient largement sur les recommandations émises par le député Aurélien Taché dans son rapport « 72 propositions pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France », remis au Gouvernement en février 2018.

c) L'état du droit avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

À l'issue des évolutions législatives et réglementaires précitées et jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, la formation civique et linguistique dans le cadre du CIR repose donc sur :

une formation linguistique prescrite à l'issue d'un test de niveau en début de cycle. Cette formation linguistique est obligatoire dès lors que l'étranger primo-arrivant ne maîtrise pas le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Elle vise à l'atteinte de ce niveau par la prescription de modules d'enseignement compris entre 100 et 600 heures. La formation est facultative pour les étrangers maîtrisant d'ores et déjà le niveau A1.

une formation civique obligatoire de douze heures, soit quatre journées de stage, « relative aux valeurs, aux principes, et aux institutions de la République, à l'exercice des droits et devoirs liés à la vie en France ainsi qu'à l'organisation de la société française »14(*).

En sus des formations linguistique et civique, le CIR prévoit « un conseil en orientation professionnelle et un accompagnement destiné à favoriser son insertion professionnelle, en association avec les structures du service public de l'emploi ».

Il importe de rappeler ici que, si les dispositions du CESEDA posent un principe de signature obligatoire d'un CIR par l'étranger primo-arrivant, elles prévoient certaines exemptions. Plusieurs catégories d'étrangers primo-arrivants sont ainsi dispensées de la signature d'un CIR, parmi lesquelles :

- les ressortissants de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;

- les personnes dont le statut relève de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- les personnes réfugiées, apatrides ou bénéficiaires de la protection subsidiaire ;

- les personnes n'ayant pas vocation à s'installer durablement en France, notamment les étrangers titulaires d'une carte de séjour temporaire « étudiant », « visiteur » ou « stagiaire »15(*) ;

- les personnes présentant des garanties suffisantes d'intégration, à l'instar des titulaires d'une carte de résident ou des personnes ayant effectué leur scolarité dans un établissement d'enseignement secondaire français pendant au moins trois années scolaires ou qui ont suivi des études supérieures en France d'une durée au moins égale à une année universitaire16(*).

À noter que si les catégories précitées ne sont pas soumises à l'obligation de signer un CIR, la possibilité de conclure un tel contrat est ouverte à plusieurs d'entre elles. Les étrangers dont le statut est régi par l'accord franco-algérien de 1968 ou les bénéficiaires de la protection temporaire peuvent ainsi s'engager dans un tel parcours.

Par ailleurs, et de manière exceptionnelle, le bénéfice des formations linguistiques de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été ouvert aux bénéficiaires de la protection temporaire, majoritairement des ressortissants ukrainiens. L'objectif poursuivi était de permettre une intégration rapide des ukrainiens arrivés en France à la suite de l'agression russe de février 2022.

Cette possibilité déroge avec le cadre de droit commun puisque le suivi des formations linguistiques est en principe conditionné à la signature d'un CIR. Des avenants aux conventions liant l'OFII et ses prestataires linguistiques ont été signés en mai 2022 pour permettre cette dérogation. En l'absence de signature de CIR, les bénéficiaires de la protection temporaire ne sont pas soumis aux obligations de sérieux et d'assiduité. Des parcours de 100 à 200 heures pour le niveau A1 et de 100 heures pour le niveau A2 et B1 ont ainsi été proposés à ce public, sous réserve d'une attestation provisoire en cours de validité. Entre mai 2022 et décembre 2023, la direction de l'intégration et de l'accès à la nationalité indique que 9 621 diagnostics ont été comptabilisés sur ce dispositif pour 6 063 entrées en formation effectives. La majorité des formations suivies (75 %), l'ont été sur des parcours A1 de 200 heures.

L'accueil et l'orientation linguistique des primo-arrivants par l'OFII

Le parcours d'intégration républicaine, matérialisé par la signature d'un contrat d'intégration républicaine, commence symboliquement par une demi-journée passée dans une plateforme d'accueil (PFA) de l'OFII. Après un premier déplacement en préfecture, l'étranger primo-arrivant est orienté vers la direction territoriale de l'OFII et reçoit une convocation pour un rendez-vous en PFA. Les futurs signataires sont convoqués par groupes de 40 personnes.

L'accueil en PFA dure environ une demi-journée et se structure en trois grandes étapes.

Tout d'abord, les primo-arrivants se voient présenter le parcours d'intégration républicaine et le CIR. Cette présentation, réalisée par un auditeur de l'OFII, permet d'expliquer ce qu'est le CIR, son contenu, les droits et devoirs qu'il implique et ses conséquences sur le parcours d'intégration et le droit au séjour des étrangers concernés. Comme l'indique l'OFII sur son site internet17(*), les auditeurs insistent sur le fondement commun des formations linguistiques et civiques, à savoir « un établissement durable en France et un engagement dans un parcours d'intégration en respectant les valeurs essentielles de la société française et de la République ».

À la suite de cette présentation initiale, les futurs signataires sont soumis à une évaluation de leur niveau de français en deux temps qui doit permettre de déterminer le parcours de formation linguistique adapté.

Dans un premier temps, un test de positionnement écrit évalue les compétences de compréhension et d'expression écrites. Ce test est encadré par des formateurs linguistiques engagés dans un marché de formation avec l'OFII.

Dans un second temps, chaque primo-arrivant bénéficie d'un entretien avec un auditeur de l'OFII. Ce rendez-vous poursuit un double objectif. D'une part, il complète le test de positionnement écrit et permet d'évaluer le niveau d'expression et de compréhension orales de l'étranger. D'autre part, cet échange permet à l'OFII de disposer d'un panorama approfondi sur la situation administrative et professionnelle de la personne auditionnée. Cette dernière peut également faire part à l'OFII de difficultés sociales, familiales ou de santé et bénéficier d'une orientation vers les services compétents (France Travail, Caisse primaire d'assurance maladie...).

L'entretien oral peut se montrer révélateur au regard d'éventuelles difficultés d'intégration. Les auditeurs de l'OFII et les formateurs linguistiques interrogés par le rapporteur spécial ont ainsi fait remonter la survenance ponctuelle d'incidents lors de ces rendez-vous.

Au sortir de l'évaluation orale, l'auditeur valide ou non la maîtrise du niveau A1 par l'étranger. En cas de validation de ce niveau, il est dispensé de suivre les formations linguistiques du CIR. Sinon, il se voit orienté vers le parcours linguistique adapté à son niveau, de 100 à 600 heures. Dans ce cas, il reçoit une convocation auprès d'un centre de formation.

Source : commission des finances d'après l'OFII

À noter que le CIR peut faire l'objet d'une résiliation unilatérale par le préfet18(*), sur proposition de l'OFII, pour deux raisons distinctes :

- d'une part, le non-respect des obligations de sérieux et d'assiduité aux formations linguistique et civique prévues par le CIR ;

- d'autre part, des comportements contraires aux valeurs de la République et de la société française durant le parcours d'intégration (dont le contrôle est détaillé dans un encadré dédié infra).

Sur la période 2017-2023, l'OFII a clôturé négativement un total de 40 371 contrats, soit 7,8 % de contrats clôturés au cours de cette période. Si ces clôtures négatives demeurent largement minoritaires dans le total des ruptures de CIR, elles connaissent une hausse importante depuis 2022 qui parait essentiellement portée par les manquements aux obligations de sérieux et d'assiduité.

Nombre de clôtures négatives de CIR par an sur la période 2017-2023

(en nombre de CIR et en pourcentage)

Clôtures négatives

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Total

Asile

355

1 400

1 248

1 107

2 352

2 350

6 352

15 164

Famille

486

1 711

1 437

1 514

3 026

2 615

7 655

18 444

Économique

76

311

434

271

649

398

1 135

3 274

Autres

82

171

234

311

584

519

1 588

3 489

Total

999

3 593

3 353

3 203

6 611

5 882

16 730

40 371

Clôtures positives

26 236

135 660

39 588

83 310

81 596

25 725

86 778

478 893

Clôtures négatives / clôtures positives

3,7 %

2,6 %

7,8 %

3,7 %

7,5 %

18,6 %

16,2 %

7,8 %

Source : commission des finances d'après les réponses de la DGEF au questionnaire

2. La mise en oeuvre du dispositif de formation linguistique et civique

Selon la direction générale des étrangers en France (DGEF), au 31 décembre 2023, 127 876 contrats d'intégration républicaine ont été signés. Le nombre de signatures en 2023 marque une progression de 16,2 % par rapport à 2022.

Dans une perspective plus large, les signatures de CIR ont augmenté de 20,3 % sur la période 2016-2023. L'année 2020 constitue une exception notable dans cette progression quasi linéaire en raison des difficultés liées à la crise sanitaire. La hausse du nombre de CIR signés depuis 2016 doit être mise en relation avec l'augmentation du nombre de primo-arrivants. En 2023, 326 954 premiers titres de séjour ont été délivrés, contre 230 353 en 201619(*).

À noter qu'une part significative des CIR signés en 2023, soit près de 36 % du total, l'ont été en Ile-de-France.

Évolution du nombre de CIR signés selon le motif de signatures

(en nombre de CIR signés - en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire de contrôle

La mise en oeuvre du CIR reflète les évolutions de l'immigration en France. Au sein des bénéficiaires du CIR, si les signataires pour motif familial demeurent majoritaires, avec près de 47 % des personnes concernées par le dispositif, la part des signataires pour motif économique et des réfugiés est en forte hausse. La proportion de réfugiés ayant conclu un CIR a ainsi progressé de plus de 94 % sur la période 2016-2023.

La part croissante des réfugiés se traduit également dans les nationalités les plus représentées parmi les signataires du CIR. A savoir, les ressortissants afghans et ivoiriens, dont les nationalités sont parmi les plus concernées par les demandes d'asile en 202320(*).

La répartition des signataires du CIR selon la nationalité n'est pas sans incidence sur le taux de prescription des formations linguistiques à l'issue de l'évaluation initiale du niveau de français. Certaines nationalités, en particulier des pays du Maghreb, ont, pour des raisons historiques et culturelles, une connaissance de base de la langue française. À l'inverse, des ressortissants afghans ou turcs, plutôt anglophones, ont besoin de suivre des parcours de formation plus longs.

Pays d'origine les plus représentés parmi les signataires du CIR

Pays d'origine des signataires du CIR

Nombre de signataires par pays

Afghanistan

12 754

Maroc

11 430

Tunisie

9 909

Algérie

8 617

Turquie

6 294

Côte d'Ivoire

5 937

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire de contrôle

Entre 2018 et 2023, le niveau moyen de maîtrise du français par les primo-arrivants est resté relativement stable. Le taux de prescription du parcours linguistique du niveau A1, qui correspond à la proportion d'étrangers signataires du CIR ne maîtrisant pas ce niveau de base, était de 45,8 % en 2023. Un tel taux de prescription correspond à plus de 12,3 millions d'heures de formation.

Cette moyenne masque des variations de taux de prescription selon les départements. Le taux de renvoi vers un parcours A1 s'élevait ainsi à 63,2 % à Mayotte en 2022. Des disparités existent également entre les différents motifs de signature du CIR. Les bénéficiaires de la protection internationale se distinguent par un taux de prescription linguistique plus important. Selon le rapport annuel 2022 de l'OFII, 71,3 % des bénéficiaires de la protection internationale avaient été orientés vers un parcours A1 en 2022.

Évolution du taux de prescription de formation linguistique entre 2018 et 2022

(en pourcentage)

Année

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Taux de prescription

47,3 %

48,2 %

45,9 %

47,5 %

46,5 %

45,8 %

Source : commission des finances, d'après les rapports d'activité de l'OFII

La réforme de la formation linguistique actée par le C2I du 5 juin 2019 a conduit à une évolution de la répartition des primo-arrivants ne maîtrisant pas le niveau A1 entre les différents parcours de formation. Comme exposé supra, la réforme poursuivait un double objectif d'allongement de la durée des formations pour l'ensemble des signataires du CIR concernés et de soutien accru au public non-lecteur non-scripteur.

Les modules de formations de 200 et de 400 heures constituent désormais la majorité des formations linguistiques prescrites aux signataires du CIR orientés par l'OFII. Depuis 2019, le parcours de 600 heures, destiné au public non lecteur et non scripteur a connu un développement certain, avec un quasi doublement des forfaits horaires attribués.

Évolution de la répartition des bénéficiaires de la formation linguistique
selon le forfait horaire attribué

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire de contrôle

À la suite de la réforme des formations linguistique et civique de 2018, une évaluation a été commandée au cabinet EY par la DGEF. Le rapport remis par le cabinet de conseil21(*) fournit certains éclairages sur le public concerné par les modules d'apprentissage proposés par l'OFII :

- plus le forfait horaire de formation est élevé, plus la part de femmes parmi les apprenants est importante. En 2019, les femmes représentaient 61 % des signataires du CIR engagés dans un forfait de formation de 600 heures ;

le taux de scolarisation décroit à mesure que la prescription augmente. L'étude montre ainsi que la part des signataires non-scolarisés est quatre fois supérieure pour le parcours de 600 heures par rapport aux parcours de 200 et 400 heures. En miroir, le taux d'études est décroissant par rapport à la durée de formation linguistique prescrite ;

- parmi les motifs de signature du CIR, les réfugiés sont surreprésentés au sein des parcours de 400 et 600 heures. En 2022, 62,3 % des bénéficiaires de la protection internationale (BPI) avaient été orientés vers ces parcours.

Le déplacement du rapporteur spécial
au centre de formation INFORME à Bobigny

Le 25 avril 2023, le rapporteur spécial a visité le centre de formation INFORME (Initiatives pour la formation et l'emploi), structure spécialisée dans la formation linguistique « français langue étrangère » (FLE) pour adultes. Créé en 2004, le centre est titulaire d'un marché de formation linguistique de l'OFII et intervient à Bobigny et à la Courneuve.

Cette visite a permis d'échanger avec le directeur du centre et une partie de ses formateurs. Le rapporteur spécial a également pu assister à une session de formation A1. Cette dernière était dispensée à un groupe de 16 primo-arrivants, engagés dans un parcours linguistique de 100 heures. Les apprenants étaient de nationalités diverses (bangladaise, congolaise, égyptienne, marocaine, tunisienne et ukrainienne).

Le niveau du groupe de formation est apparu fortement hétérogène. Certains apprenants étaient relativement à l'aise avec la langue française tandis que d'autres montraient des difficultés de compréhension et d'expression. Cette hétérogénéité a semblé d'autant plus surprenante que le groupe se situait en fin de parcours linguistique, d'une part, et que l'ensemble de ses membres avait commencé la formation au même moment, d'autre part.

Source : commission des finances, d'après les éléments recueillis lors du déplacement et du site internet d'INFORME

3. Une formation linguistique pouvant se poursuivre au-delà du CIR

La fin du parcours d'intégration et la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle ne signifient pas la fin de l'accompagnement linguistique des étrangers. Plusieurs dispositifs permettent en effet, au-delà du CIR, de renforcer la maîtrise de la langue des étrangers en France.

Premièrement, l'OFII propose, à l'issue de la formation linguistique obligatoire, des parcours de formation complémentaires visant l'atteinte des niveaux A2 et B1 du CECRL, d'une durée de 100 heures pour chacun22(*).

Ces modules additionnels visent à accompagner les étrangers en situation régulière sur une période de cinq ans. Les niveaux A2 et B1 correspondent aux niveaux requis respectivement pour l'obtention d'une carte de résident de dix ans23(*) et pour l'acquisition de la nationalité française24(*). Outre ces objectifs d'intégration de long terme, la poursuite d'un parcours linguistique offre aux bénéficiaires des avantages immédiats en termes d'insertion professionnelle.

Depuis 2022, les formations complémentaires sont désormais directement proposées aux étrangers signataires du CIR mais dispensés de la formation linguistique obligatoire en raison d'une maîtrise du niveau A1.

Cependant, en dépit de ces évolutions et des avantages attenant à la poursuite de la formation linguistique, ces parcours complémentaires facultatifs paraissent peu prisés par les étrangers pouvant en bénéficier. D'une part, des contraintes personnelles ou professionnelles peuvent désinciter les publics concernés à s'engager dans une nouvelle formation contraignante et, d'autre part, la majorité d'entre eux ne sont pas encore éligibles à une carte de résident ou à la naturalisation.

Deuxièmement, le service public de l'emploi peut assurer le financement de formations « français langue étrangère » (FLE). Les étrangers salariés ont ainsi la possibilité de mobiliser leur compte personnel de formation (CPF) pour bénéficier d'une formation en FLE. Selon les données recueillies par la commission des lois du Sénat lors de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, 8 516 formations avaient été dispensées de janvier à octobre 2022 dans ce cadre. Ce type de formation peut également relever de l'initiative de l'employeur, en application de l'article L. 6321-1 du code du travail, notamment pour permettre l'adaptation du salarié à son poste de travail.

Troisièmement, les collectivités territoriales organisent également des formations linguistiques, qu'ils s'agissent des régions, au titre de l'insertion socio-professionnelle, des départements, au titre de la solidarité, ou des communes.

4. Une application différée et allégée du CIR à Mayotte
a) Un dispositif allégé compte tenu des contraintes spécifiques au département de Mayotte

Jusqu'à la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, le CAI puis le CIR n'était pas applicable à Mayotte. Son introduction dans ce département a été rendue possible par l'article 61 de la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France. Cet article a cependant prévu une extension du CIR à Mayotte de manière progressive à compter du 1er janvier 2018, en application de l'article 73 de la Constitution qui dispose que le législateur peut prévoir des adaptations tenant à des « caractéristiques et contraintes particulières ».

S'agissant de Mayotte et du CIR, les caractéristiques et contraintes particulières ont été notamment exposées dans le rapport au président de la République relatif à l'ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte du CESEDA, qui indiquait que « si le français est la langue officielle de l'île, il n'est pas ou peu connu des personnes âgées qui, ainsi que la plupart des plus jeunes, utilisent une langue africaine vernaculaire. Ainsi, un dispositif volontariste en faveur de l'apprentissage du français par les étrangers pourrait amener des incompréhensions. De même, la formation civique apportée dans ces prestations pourrait contenir des prescriptions opposées aux dispositions du statut personnel autorisé à Mayotte et dérogatoire au droit commun sur de nombreux points (mariage, droit religieux...) ».

Par conséquent, le format du contrat d'intégration républicaine a été largement allégé pour son application à Mayotte :

- d'une part, pour le volet linguistique, la formation visant l'obtention du niveau A1 est limitée à un module de 100 heures, soit l'équivalent du parcours de formation le plus court dispensé dans le dispositif de droit commun ;

- d'autre part, pour le volet civique, la durée de formation a été fixée à deux jours, contre quatre jours sur le reste du territoire. La première journée permet de transmettre des informations générales et éléments pratiques tandis que la seconde journée concentre la formation sur les quatre thématiques de l'emploi, la santé, la parentalité et le logement.

Par ailleurs, le CIR mahorais ne prévoit pas, comme dans le droit commun, de positionnement linguistique initial externalisé, de formations complémentaires vers les niveaux A2 et B1, de certification du niveau de langue prise en charge par l'État, d'orientation vers le service public de l'emploi ou d'entretien de fin de CIR.

b) Une entrée en vigueur différée et reportée à plusieurs reprises

Outre un format allégé, la loi du 7 mars 2016 a aussi prévu une entrée en vigueur progressive du contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Initialement fixée au 1er janvier 2018, son application a été une première fois reportée jusqu'en 2020 par la loi de finances pour 201825(*), puis jusqu'en 2022 par la loi de finances pour 202026(*). Le CIR adapté est finalement entré en vigueur dans ce département au 1er janvier 2022.

Ces deux reports successifs de l'application du CIR dans ce territoire s'expliquaient en particulier, outre les tensions liées au contexte migratoire mahorais, par la difficulté pour les services de la préfecture et de l'OFII d'identifier des prestataires locaux en mesure d'assurer les formations linguistiques et civiques.


* 8 Article L. 413-2 du CESEDA.

* 9 Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, L'insertion par l'emploi des étrangers primo-arrivants : reconnaissance des diplômes et des qualifications, validation des acquis de l'expérience professionnelle, avril 2021.

* 10 Haut Conseil à l'Intégration, Les parcours d'intégration, 2001.

* 11 Article L. 117-1 du code de l'action sociale et des familles, version en vigueur du 1er janvier 2006 au 25 juillet 2006.

* 12 Inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, Rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013.

* 13 Article L. 413-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

* 14 Idem.

* 15 Mentionnées aux 1° à 6° et 11° à 15° de l'article L. 413-5 du CESEDA.

* 16 Mentionnées aux 7° à 10°, 16° et dernier alinéas du même article.

* 17 Présentation de la visite d'accueil, https://www.ofii.fr/le-parcours-de-la-visite-daccueil-un-apres-midi-a-la-direction-territoriale-de-lofii-de-paris/.

* 18 Article R. 413-4 du CESEDA.

* 19 Direction générale des étrangers en France, L'essentiel de l'immigration - chiffres clés 2023, juin 2024.

* 20 DGEF, L'essentiel de l'immigration, chiffres clefs, 25 janvier 2024.

* 21 EY, Évaluation des mesures mises en oeuvre à la suite du Comité Interministériel à l'Intégration du 5 juin 2018 sur le champ des formations linguistique et civique, Rapport final, septembre 2021.

* 22 Jusqu'en 2022, la formation B1 ne comprenait que 50 heures. Les nouveaux marchés de formation linguistique ont conduit à un doublement des heures de formation B1.

* 23 Articles L. 413-7 et R. 413-15 du CESEDA.

* 24 Articles 21-1 à 21-6 et 21-14-1 à 21-15-1 du code civil et décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française.

* 25 Article 146 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 26 Article 240 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

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