N° 772

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la formation linguistique
et
civique dans le cadre du contrat d'intégration républicaine,

Par Mme Marie-Carole CIUNTU,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le contrat d'intégration républicaine (CIR) constitue la matérialisation du parcours personnalisé d'intégration républicaine des étrangers primo-arrivants et prévoit un dispositif de formation linguistique et civique. Ses exigences ont été sensiblement rehaussées par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (CIAI). Le rapporteur spécial de la mission « Asile, immigration et intégration », Marie-Carole Ciuntu, a présenté le 24 septembre 2024 les conclusions de son rapport d'information sur la formation linguistique et civique dans le cadre du CIR.

I. UN LEVIER D'INTÉGRATION CRITIQUÉ

La création d'un dispositif d'accueil et de formation des étrangers primo-arrivants en France remonte à 2003 et à la création, à titre expérimental, du contrat d'accueil et d'intégration (CAI). Ce dispositif a fait l'objet d'un renforcement progressif : la signature d'un contrat d'intégration est devenue obligatoire avec la loi n° 2006-911 du 24 juillet 20061(*) et les exigences linguistiques et civiques ont été rehaussées par la loi n° 2016-274 du 7 mars 20162(*) et la loi n° 2018-778 du 10 septembre 20183(*).

Ainsi, avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (CIAI), prévue au 1er janvier 2026, la formation linguistique et civique repose sur :

- une formation linguistique prescrite à l'issue d'un test de niveau en début de cycle. Cette formation linguistique est obligatoire dès lors que l'étranger primo-arrivant ne maîtrise pas le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Elle vise à l'atteinte de ce niveau par la prescription de modules d'enseignement compris entre 100 et 600 heures. La formation est facultative pour les étrangers maîtrisant d'ores et déjà le niveau A1 ;

- une formation civique obligatoire de douze heures, soit quatre journées de stage, « relative aux valeurs, aux principes, et aux institutions de la République, à l'exercice des droits et devoirs liés à la vie en France ainsi qu'à l'organisation de la société française »4(*).

A. LA MISE EN oeUVRE DU CIR FAIT L'OBJET DE CRITIQUES RÉCURRENTES

Alors que le nombre de signatures de CIR a progressé de 20,3 % sur la période 2016-2023, la mise en oeuvre des dispositifs de formation présente des limites évidentes, déjà soulignées dans le rapport du président Roger Karoutchi en 20175(*), alors rapporteur spécial des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Premièrement, les formations ne reposent pour l'heure sur aucune obligation de résultats. L'étranger signataire d'un CIR n'est soumis à aucune condition d'acquisition de la langue ou d'assimilation des notions dispensées dans le cadre de la formation civique. Seuls l'assiduité et le sérieux des signataires sont pris en compte.

Deuxièmement, le niveau A1 ne semble pas suffisant pour permettre une réelle intégration, en particulier dans le monde du travail.

Troisièmement, la formation civique est excessivement théorique et condensée. L'enseignement repose sur la transmission d'un très grand nombre d'informations, mêlant concepts théoriques abstraits (les « principes et valeurs de la République ») à des informations pratiques sur la vie en France. En outre, cette formation intervient dès le début du parcours, soit en décalage avec l'apprentissage et la maîtrise de la langue.

Quatrièmement, le rapporteur spécial a pu observer des difficultés pratiques dans l'organisation des formations : les délais d'entrée en formation peuvent être considérablement rallongés, la rendant moins pertinente ; certains employeurs sont réticents à libérer leurs salariés pour suivre des formations et les organismes de formation peinent à organiser des groupes d'apprentissage homogènes.

Évolution de la répartition des bénéficiaires de la formation linguistique
selon le forfait horaire attribué

(en %)

Note : l'année 2019 marque l'entrée en vigueur du doublement du nombre d'heures de formation prescrites

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire de contrôle

Cinquièmement, la mise en oeuvre du CIR et de ses formations reste lacunaire à Mayotte. Initialement fixée au 1er janvier 2018, son application a été plusieurs fois reportée et est finalement effective depuis le 1er janvier 2022. Pour autant, le CIR mahorais est allégé par rapport au reste du territoire : la formation linguistique est de 100 heures au maximum et seulement deux jours de formation sont prévus pour le volet civique.

B. LA FORMATION LINGUISTIQUE ET CIVIQUE CONSTITUE, AU REGARD DE SES RÉSULTATS, UN DISPOSITIF RELATIVEMENT COÛTEUX

Sur la période 2016-2023, les crédits dédiés aux formations linguistiques et civiques ont plus que doublé, passant de 36,8 millions d'euros à 116,9 millions d'euros en sept ans. Cette progression est proportionnellement plus importante que l'évolution du nombre de CIR signés sur la même période, qui n'est que de + 20,3 %. Cette augmentation correspond essentiellement aux effets des réformes successives de la formation civique et linguistique.

Mise en perspective de l'évolution des dépenses liées à la formation civique
et linguistique avec l'évolution du nombre de CIR signés entre 2016 et 2023

(en nombre de CIR signés à gauche - en millions d'euros à droite)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire de contrôle

Le coût moyen pondéré de la formation linguistique et civique, en 2024, est de 7,40 euros par heure pour la formation linguistique6(*) et de 64,49 euros par journée de formation civique pour les trois premières journées du parcours.

Force est de constater qu'au regard des moyens budgétaires croissants engagés sur la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants, les résultats obtenus sont particulièrement décevants. En dépit d'un objectif linguistique de maîtrise du seul niveau A1, le taux d'atteinte en fin de parcours demeure peu élevé : seulement 68 % des personnes orientées en formation linguistique ont atteint ce niveau en 2023, soit une baisse de neuf points par rapport aux résultats obtenus en 2021.

II. LA LOI CIAI : UN RENFORCEMENT CONSÉQUENT MAIS IMPARFAIT DU DISPOSITIF DE FORMATION LINGUISTIQUE ET CIVIQUE

A. UN RÉHAUSSEMENT DU NIVEAU EXIGÉ EN FRANÇAIS ACCOMPAGNÉ D'UN TEST SANCTIONNANT LA FORMATION CIVIQUE

L'article 20 de la loi du 26 janvier 2024, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2026, conditionne la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à la connaissance d'un niveau minimal de la langue française, qui a été fixé au niveau A27(*) du CECRL, suite à un amendement de la commission des lois du Sénat. Ce niveau devra désormais être justifié, la simple obligation de suivi sérieux et assidu des formations prescrites dans le cadre du CIR n'étant plus suffisante. Afin d'anticiper ce passage du niveau A1 au niveau A2, qui constitue en réalité un alignement sur les exigences de la plupart des pays européens, plusieurs expérimentations sont en cours sur le territoire depuis le 1er mars 2024 (département du Val-de-Marne et région Bourgogne-Franche-Comté).

Également sous l'impulsion du Sénat, un test à l'issue de la formation civique, dont le contenu a été enrichi avec l'enseignement de l'histoire et la culture de la société française, conditionnera la délivrance des cartes de séjour pluriannuelles et de résident pour les signataires du CIR. Les modalités de mises en oeuvre de ce test n'ont pas encore été déterminées par le pouvoir réglementaire.

Ainsi, la réforme traduit le passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultats en matière de formations linguistique et civique des primo-arrivants.

B. UNE RÉFORME DONT LE COÛT BUDGÉTAIRE DEMEURE IMPRÉCIS ET QUI NE PERMET PAS DE RÉPONDRE À CERTAINES LACUNES

S'agissant du coût de la réforme, les conséquences financières seront importantes pour les crédits du programme 104 et de la politique d'intégration. Largement sous-évaluées dans l'étude d'impact de la loi du 26 janvier 2024, elles pourraient atteindre 100 millions d'euros selon le ministère de l'intérieur. Il s'agit toutefois d'une évaluation a minima qui repose sur le scenario d'un allongement de 100 heures des durées de formation pour atteindre le niveau A2.

Un taux de prescription des formations linguistiques de

Le coût horaire des formations linguistiques est de

Un montant annoncé pour financer la réforme des formations linguistiques et civiques de

 
 
 

Par ailleurs le dispositif connait certaines lacunes. Tout d'abord, la formation linguistique est largement déconnectée de la formation civique, avec un niveau de langues initial évalué trop rapidement, sur la base d'une « fiche navette » très sommaire. Cette situation peut d'ailleurs permettre d'expliquer, en partie, l'hétérogénéité des groupes en fin de formation linguistique.

Ensuite, la multiplication des objectifs de la formation civique a entrainé une dilution de l'apprentissage des droits et devoirs liés à l'intégration dans la société française. Les constats issus du rapport du président Roger Karoutchi sont toujours d'actualité, et ce, alors même que, selon les informations transmises par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), les supports de formation ont été mis à jour fin 2023. Les contenus sont toujours trop denses, et ont même eu tendance à s'étoffer, évoquant d'ailleurs souvent une liste de droits, sans forcément associer en parallèle les devoirs liés à l'exercice des droits auxquels peuvent prétendre les primo-arrivants.

Enfin, la dernière journée de formation civique, portant alternativement sur l'emploi ou le domaine socio-culturel, selon le choix du signataire, paraît particulièrement inadaptée. La journée emploi se limite aussi à des connaissances très génériques sur le marché de l'emploi, sans partenariat instauré avec France Travail, notamment en plateforme d'accueil de l'OFII. De même, les partenariats avec les acteurs du service public de l'emploi sont très variables selon les territoires, si bien que peu d'intervenants extérieurs sont disponibles pour animer la journée emploi dans les territoires ruraux. Par suite, il n'existe pour l'heure pas d'évaluation permettant de démontrer le bénéfice du suivi de cette formation en matière de recherche d'emploi. En ce qui concerne la journée socio-culturelle, elle peut aussi être très éloignée des thèmes liés à l'intégration dans la société et à la culture française. De plus, les signataires du CIR qui choisissent cette journée n'ont pas le choix à son contenu, qui peut être très aléatoire d'une date à une autre, et d'un centre de formation à un autre.

III. ACCOMPAGNER LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉFORME DE 2024 PAR DES MESURES COMPLÉMENTAIRES ET EN SÉCURISANT SON FINANCEMENT

A. CONSOLIDER LE CONTENU DES FORMATIONS POUR LES RENDRE PLUS EFFICACES

En premier lieu, il convient d'instaurer une vraie complémentarité entre les formations, tant sur leur contenu que leur temporalité. Il apparaît en effet souhaitable de faire débuter systématiquement les cours de formation linguistique avant la formation civique, pour que les étrangers puissent disposer de rudiments de la langue française avant d'apprendre des concepts tels que la laïcité.

En second lieu, les supports de formation doivent nécessairement être plus concrets et concentrés autour de l'intégration dans la société française, à travers les droits, mais aussi les devoirs de la vie en France. Ils pourraient également être accessibles en ligne.

Ainsi, quatre jours entiers uniquement dédiés aux valeurs, aux principes, et aux institutions de la République, à l'exercice des droits et devoirs liés à la vie en France ainsi qu'à l'organisation de la société française, sont nécessaires pour s'assurer d'une bonne transmission des connaissances. La journée dédiée à l'emploi pourrait devenir optionnelle, et uniquement réservée aux signataires du CIR désireux de chercher un emploi ou déjà inscrits à France Travail.

B. ACCOMPAGNER LE BASCULEMENT D'UNE OBLIGATION DE MOYENS À UNE OBLIGATION DE RÉSULTATS

D'une part, un allongement du parcours linguistique, d'au moins 100 heures, semble nécessaire pour atteindre le niveau A2, dans la lignée de l'expérimentation actuellement menée par l'OFII, et en vue d'anticiper l'entrée en vigueur de la réforme.

D'autre part, le test sanctionnant la formation civique devra être le reflet d'une formation civique recentrée sur les valeurs de la République, l'organisation administrative, ainsi que la culture et l'histoire de la France. Il pourrait aussi être divisé en deux parties, l'une orale et l'autre écrite, avec une plateforme en ligne d'entraînement pour les préparationnaires du test, comme cela se pratique dans plusieurs pays européens ayant instauré ce test.

C. SÉCURISER LE FINANCEMENT, NOTAMMENT EN INTRODUISANT UNE PARTICIPATION FINANCIÈRE DES ÉTRANGERS

En l'état actuel du droit, les formations dispensées dans le cadre du CIR sont gratuites. Pourtant, la formation linguistique et civique des étrangers dans le cadre du CIR représente un coût croissant pour nos finances publiques. Sans faire porter la charge exclusive du financement de ce dispositif sur les primo-arrivants, une participation financière selon les conditions de revenus devrait être envisagée.

Plusieurs États européens, dont l'Allemagne et l'Italie, prévoient une participation financière des étrangers aux formations linguistiques qui leur sont dispensées. La France pourrait mettre en place une participation forfaitaire des étrangers aux formations linguistiques. À cette participation, devrait s'ajouter la prise en charge par l'étranger de la certification de son niveau de langue en fin de parcours.


* 1 Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration.

* 2 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 3 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 4 Article L. 413-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

* 5 Rapport d'information n° 660 (2016-2017) fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur la mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants, de M. Roger KAROUTCHI.

* 6 Selon une estimation fondée sur 20 marchés de formation, hors Mayotte.

* 7 Le niveau de langues a également été adapté au niveau B1 du CECRL pour l'octroi d'une carte de résident, et au niveau B2 du CECRL pour acquérir la nationalité française.

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