F. APPEL À LA RESTITUTION DE VAROSHA À SES HABITANTS LÉGITIMES

L'intervention de M. Claude Kern

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Prenons un peu de recul. Je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Piero Fassino qui a effectué un remarquable travail d'orfèvre sur ce sujet si sensible.

Cela fait cinquante ans désormais que Chypre est divisée en deux : une partie turque au Nord et une partie grecque au Sud. À la suite du premier conflit de 1963, le rapport de notre collègue souligne bien l'enchaînement dramatique des événements de 1974 : le coup d'État promu par la dictature militaire en Grèce visant à réaliser l'« Énosis » de Chypre avec la Grèce, et l'intervention militaire consécutive de la Türkiye, sous prétexte de l'article du Traité de garantie de 1960, selon la formule que nous avons évoquée ce matin en commission des questions politiques. Cette partition et les événements de 1974 demeurent légitimement douloureux pour les deux parties, comme en témoignent les débats que nous avons eus encore ce matin, lorsque nous avons examiné les amendements qui seront éventuellement discutés tout à l'heure.

Après l'échec du plan Annan en 2004, il a été difficile de relancer les négociations. Les questions énergétiques, du fait de la découverte en 2014 de ressources en hydrocarbures au large de Chypre, ont davantage compliqué la situation, la Türkiye s'opposant à toute décision de la République de Chypre visant à mener des opérations d'exploration dans sa zone économique exclusive. Le blocage des négociations pousse aujourd'hui la Türkiye et les Chypriotes turcs à plaider pour une solution à deux États.

Pourtant, les résolutions des Nations Unies, tout comme les Chypriotes grecs, continuent de soutenir la création d'un État fédéral bicommunautaire et bizonal composé d'États constitutifs politiquement égaux. Cette position est également soutenue par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Je pense que nous ne devons pas y renoncer.

Varosha, quartier de la ville de Famagouste clôturé par l'armée turque qui en a chassé ses habitants légitimes, est le symbole le plus triste de la crise de 1974. Les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU prévoyaient le placement de cette zone sous contrôle des Nations Unies : cela n'a jamais été le cas.

Pire, le Président Erdogan et le Président de la communauté chypriote turque ont décidé, de manière unilatérale, de rouvrir aux visiteurs civils le quartier de Varosha. Je me réjouis des condamnations unanimes suscitées par cette mesure radicale qui tend à vouloir entériner une solution à deux États.

Nous avons eu un long débat ce matin sur la Commission des biens immobiliers, reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme comme le recours interne effectif de la Türkiye à destination des Chypriotes grecs qui ont été contraints d'abandonner des propriétés dans le nord de l'île. J'ai pu mesurer la divergence d'approche entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs vis-à-vis de cette commission. La plupart des Chypriotes grecs, habitants légitimes de Varosha, refusent de recourir à ce mécanisme qui entérine, de fait, une forme de reconnaissance de l'autorité chypriote turque sur une partie de l'île.

Je suis particulièrement touché de voir que cinquante ans après, les habitants de Famagouste continuent d'élire un conseil municipal qui se dit en exil. Celui-ci travaille avec le conseil municipal élu par les Chypriotes turcs pour élaborer des projets communs. Le Conseil de l'Europe doit soutenir ces initiatives et notre Assemblée doit apparaître comme un lieu où se concentrent toutes les parties concernées.

Merci pour votre attention.

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