B. UN STATU QUO CONDUISANT À UN LENT « POURRISSEMENT »

1. Une fragilisation de fait du réseau de maternités
a) Des équipes incomplètes ou non stables identifiées comme porteuses de sérieux risques dans la prise en charge

La complétude et la stabilité des équipes ont été quasi systématiquement désignées comme des critères déterminants de la qualité et de la sécurité des soins dans les maternités, tant par les professionnels de terrain qui y exercent que par les sociétés savantes, chercheurs et organismes chargés d'analyser et évaluer leurs pratiques.

C'est ainsi l'un des éléments majeurs retenus par l'Académie de médecine pour caractériser la fragilité de certaines structures, le Pr Yves Ville décrivant ainsi des maternités dites « en tension sévère » : « Il s'agit d'un critère composite que l'on peut définir ainsi : ce sont des maternités qui n'arrivent pas à assurer la continuité des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an, dont les listes de garde présentent des trous, c'est-à-dire un défaut de soins potentiel. Ces maternités ont un recours quelquefois massif, voire exclusif, à l'intérim : c'est donc un regroupement de mercenaires et, quelles que soient la motivation, la bienveillance et l'intelligence que ceux-ci peuvent avoir dans leur travail, si une situation de crise et d'urgence survient, une catastrophe peut se produire, simplement parce qu'ils ne sont pas habitués à travailler ensemble. Ce sont aussi des maternités qui composent avec moins de 7 équivalents temps plein (ETP), ce qui entraîne des burn-out - plus de la moitié des personnels travaillant dans ces établissements en sont affectés. »

Le constat était également partagé par le Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute Autorité de santé, qui indiquait que certaines complications ont mis en évidence « la sous-estimation de certains risques par du personnel inhabituel (intérimaires, ou personnels en formation - internes ou élèves) ».

Interrogée sur les motifs de fragilité de certaines structures et les éléments caractéristiques des situations de complications mal maîtrisées, Margaux Creutz Leroy, présidente de la fédération française des réseaux de santé en périnatalité, a aussi insisté sur la stabilité des équipes, à savoir la complétude ou non du tableau de garde. Ainsi, il ressort selon elle de l'analyse des événements indésirables que « pour ce qui concerne les plus graves d'entre eux, à savoir les décès des mères et ceux des bébés à terme, in utero ou après la naissance, les facteurs de risques qui ressortent sont, plus que le type de la maternité, la stabilité des équipes - donc le recours aux intérimaires - et le fait que la garde ait lieu sur place ou non. »169(*)

En outre, comme le pointait le réseau de périnatalité de Nouvelle-Aquitaine170(*) , « vouloir combler, "à tout prix", les listes de garde pour assurer la permanence des soins, expose à des variations régulières, voire permanentes pour certaines maternités, de praticiens qui ne se connaissent pas, ne connaissent ni la région et sa structuration ou son organisation des soins, ni les populations et des périodes de rupture de la permanence des soins, qui vont à l'encontre de la notion de qualité d'un suivi global ».

b) De petites structures confrontées à des problèmes majeurs d'effectifs

Alors que la stabilité des équipes est un facteur majeur pour la sécurité des soins, la situation des établissements sur ce point montre des différences notables et une fragilité particulièrement identifiée des petits établissements.

Santé publique France soulignait171(*) ainsi notamment les observations de l'enquête nationale périnatale de 2021 selon laquelle plus d'un tiers des maternités de moins de 1 500 accouchements recourent plusieurs fois par mois à des intérimaires ou des vacataires pour les postes de gynécologues-obstétriciens pour le secteur obstétrical et pour la garde en salle de naissance, ce taux passant à environ 15 % des maternités entre 1 500 et 3 500 accouchements et à 0 % pour les maternités de plus de 3 500 accouchements. Santé publique France mettait également en exergue le recours plus fréquent aux intérimaires pour les anesthésistes du secteur obstétrical et pour les pédiatres dans les plus petites structures.

En outre, il convient de rappeler la récente analyse de la Cour des comptes concernant l'intérim médical et les contrats courts dans les établissements hospitaliers, qui mettait en évidence un gradient de recours à l'intérim selon la taille de l'hôpital : « Plus il est petit, plus la dépendance aux emplois temporaires est élevée. En 2021, le taux de recours moyen était de 15 % mais il atteignait 30 % dans les hôpitaux de moins de 20 M€ de chiffre d'affaires et 6 % dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) » 172(*). Le même rapport pointait la situation particulièrement sensible de deux spécialités : les services les plus touchés sont les urgences et les maternités.

Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, le soulignait également devant la mission : « Le même constat se retrouve dans les maternités : plus les établissements sont de petite taille, plus le recours à l'intérim et aux contrats courts est important, jusqu'à atteindre un tiers du personnel dans certains établissements. »173(*)

c) Dans un contexte de tensions sur les ressources, une menace de fragilisation d'établissements structurants

Si le débat politique s'est souvent concentré sur la question des « petites maternités », la situation est en réalité bien plus complexe et nuancée.

Ainsi, le Pr Ville soulignait en audition174(*) que le rapport de l'Académie de médecine avait souvent été vu sous l'angle de la fermeture possible d'une centaine de maternités de type 1, quand il alertait tout autant sur la situation préoccupante de 52 maternités de type 2.

Les déplacements en Bretagne et en Lorraine comme les échanges avec les réseaux de périnatalité et les agences régionales de santé ont également mis en évidence un prisme déformant sur les conséquences de la fragilité de certaines maternités.

Si une fermeture temporaire d'une maternité de 400 accouchements a un impact déstabilisateur localement, elle ne génère en réalité pas, en règle générale, de surplus d'activité difficile à absorber par les maternités alentours.

La fermeture d'une maternité de type 2 de manière soudaine, faute de personnels en nombre suffisant ou du fait d'un choix stratégique d'un établissement privé, représente une menace bien plus préoccupante pour l'ensemble du maillage territorial.

Or des situations de tensions susceptibles de conduire à des fermetures précipitées de services structurants sont aujourd'hui identifiées dans différentes régions, menaçant ainsi les capacités d'accueil et de prise en charge de manière soudaine.

Aussi la transformation de l'offre de soins n'apparaît-elle pas comme une réforme de confort. Au contraire, elle vise prioritairement à garantir la viabilité et la solidité des maternités structurantes dans les territoires, comme le dit en réalité l'Académie de médecine dans son rapport.

d) Des établissements confrontés à des difficultés particulières dans certains territoires

Les difficultés de certains établissements ne sont pas uniquement liées aux situations médicales à prendre en charge mais bien à des situations sociales complexes.

Ainsi, comme l'a constaté la mission lors d'un déplacement au sein de l'hôpital Robert-Debré (AP-HP) et comme l'a souligné Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'ARS d'Île-de-France175(*), la grande précarité de certaines mères conduit à un maintien au sein de la maternité bien au-delà du besoin lié à l'état de santé de la mère et du nourrisson, parfois pendant plusieurs semaines.

Ces durées de séjour très longues, souvent dans les grandes métropoles et donc dans de grandes structures de types 2 ou 3, sont injustifiées sur le plan sanitaire et occupent des places qui pourraient être nécessaires à d'autres accouchements. Dans un contexte particulièrement tendu, ces séjours mobilisent de manière non optimale des ressources humaines et financières.

Ces situations sociales sensibles et complexes appellent une réponse sociale et non hospitalière. Il est impératif de pouvoir proposer des solutions d'hébergement en aval des maternités pour accueillir les populations les plus précaires.

Au-delà d'un renforcement de l'hôpital sur sa mission de soins et donc également une économie pour l'établissement, cette orientation vers une structure d'aval doit permettre un environnement plus approprié au développement d'un jeune enfant qu'une chambre d'un service de maternité. Cet investissement social doit être pensé en coordination entre l'État - compétent en matière d'hébergement d'urgence - et les départements - compétents pour l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec des enfants de moins de trois ans, et être organisé en proximité des établissements hospitaliers afin de faciliter le suivi médical.

2. Une insuffisante lisibilité et intelligibilité des conditions de qualité et de sécurité des prises en charge pour les mères et les nourrissons
a) Une offre de maternités majoritairement mal appréhendée

Le système de soins périnatals apparaît particulièrement mal connu, en cohérence avec certaines lacunes identifiées et précédemment décrites concernant l'information des femmes sur le lieu de leur accouchement176(*).

L'étude CSA commandée par la mission177(*) montre sur ce plan un déficit global de connaissances des femmes sur l'offre de maternités et particulièrement ses caractéristiques. Ainsi, 62 % des répondantes178(*) n'avaient pas une idée précise des quatre types de maternités qui existent, 34 % ignorant même l'existence de différentes catégories179(*).

Surtout, l'existence de ces quatre types et ce qu'ils couvrent n'est clair que pour 41 % des femmes ayant accouché récemment, parmi lesquelles 24 % ne savent pas dans quel type de maternité elles ont accouché.

b) Une connaissance incomplète des risques

Au-delà de la connaissance des catégories de maternités, l'étude CSA précitée a mis en évidence le fait que les caractéristiques d'une maternité de type 1 - absence de service de néonatologie et de service de réanimation ou soins intensifs néonatals - sont connues de moins d'une femme sur deux180(*).

Alors que 29 % des femmes interrogées déclaraient ne pas s'être renseignées sur le lieu de leur accouchement (passé ou à venir), trois questions particulières ont été posées au sujet des renseignements éventuellement pris sur le niveau d'encadrement pendant l'accouchement, le type d'encadrement pendant l'accouchement et le niveau de risque pris en charge en cas de complications ou d'urgences et ce que cela implique.

Il en ressort une recherche d'informations globalement importante, respectivement 85 % et 80 % des femmes ayant répondu favorablement aux deux premières questions.

Cependant, pour ce qui est du niveau de risque pris en charge, 23 % des répondantes ont indiqué ne pas s'être renseignées. Surtout, ce chiffre montre des différences notables selon le lieu d'accouchement pour les femmes ayant accouché récemment : si 89 % des femmes ayant accouché dans une maternité de type 3 s'étaient renseignées sur ce point, elles étaient seulement 68 % pour les maternités de type 1. Paradoxalement le niveau d'information des parturientes est ainsi plus faible précisément dans les structures, dédiées aux grossesses à bas risque, dans lesquelles le niveau d'encadrement et de prise en charge des complications est moindre.

Il ressort en outre des auditions menées par la mission que les familles ne sont pas informées des pénuries de personnel soignant dans certains établissements et des conséquences que cela peut avoir pour leur prise en charge.

Devant la mission181(*), la sage-femme et chroniqueuse Anna Roy déclarait sur ce point : « Les femmes sont-elles suffisamment informées sur les choix qui s'offrent à elles, même lorsqu'elles ont le choix ? La réponse est non et c'est à l'origine de nombreux problèmes. »

Or, la bonne connaissance de l'offre de soins disponible et surtout des conditions de la prise en charge potentielle est un préalable indispensable à un choix éclairé pour les femmes pour le lieu de leur accouchement, surtout dans les cas où celles-ci ne sont pas clairement orientées par un professionnel de santé en raison de leur état de santé.

Surtout, la conséquence directe de cette insuffisante clarté et disponibilité de l'information sur la situation réelle des établissements et les conditions de prise en charge conduit à une inégalité de traitement entre les parturientes.

Jean-Christophe Rozé, président de la société française de néonatalogie estimait182(*) ainsi que « la population n'a pas connaissance de ce risque. Néanmoins, les personnes ayant connaissance des accidents qui surviennent dans une maternité décideront de ne pas y aller pour y donner naissance à leur enfant. »

Un constat que partageait également Margaux Creutz Leroy, présidente de la fédération française des réseaux de santé en périnatalité183(*) : « Les familles qui ont accès à l'information sur l'instabilité de la maternité de leur territoire en ont peur et préfèrent se rendre dans la maternité du territoire voisin, située parfois jusqu'à une heure de route, mais dont l'équipe est stable, quand les familles qui n'ont pas accès à cette information persistent à se rendre dans la maternité de proximité, sans avoir forcément conscience du risque qui peut exister. »

Dans ce contexte, certains interlocuteurs rencontrés par la mission se sont interrogés sur les conséquences du maintien d'établissements peu sécurisants en matière d'inégalités sociales, retournant ainsi l'argument souvent avancé pour justifier le maintien de petits établissements dans des zones isolées. Le Dr Marc Leblanc, gynécologue-obstétricien à la maternité de Vannes, le déplorait en ces termes : « La justice sociale ce n'est pas de fournir des établissements au rabais ».

Conscients de cette problématique, certains acteurs travaillent à améliorer l'information disponible : le réseau de périnatalité des Pays de la Loire a ainsi fait valoir dans sa contribution aux travaux de la mission la publication de fiches de présentation des maternités, préparées avec le concours d'usagers et présentant les principaux indicateurs d'activité.

c) Un enjeu de transparence sur la sécurité des structures

· La transparence sur le niveau de qualité et de sécurité des soins doit être une priorité.

Celle-ci est une obligation morale que doit le système de santé aux patients, et sur cette question donc aux femmes qui vont accoucher.

Elle est aussi un préalable indispensable à toute reconfiguration de l'offre de soins, en cela qu'elle doit permettre de renforcer le caractère objectif du diagnostic qui sera posé et des réorganisations qui devront être proposées.

Sur ce point, force est de constater que la certification réalisée par la Haute Autorité de santé ne permet pas de mettre à disposition une information suffisamment exhaustive ni encore moins lisible pour le grand public. En outre, les items qu'évalue la HAS dans le cadre de sa mission de certification participent d'une évaluation globale de l'établissement et ne mettent pas en valeur la situation particulière de telle ou telle activité.

L'évaluation des activités de maternité au sein de la démarche de certification
des établissements de santé

La maternité est un secteur intégré dans le calendrier de la certification pour tous les établissements ayant cette activité avec notamment deux critères spécifiques :

- Chapitre 1 : Critère n° 1.1-07 : Les futurs parents discutent d'un projet de naissance avec l'équipe soignante dès le début de la grossesse - Critère avancé - Méthode patient traceur ;

- Chapitre 2 : Critère n° 2.3-20 : Les équipes maîtrisent les risques liés à l'hémorragie du post-partum immédiat (HPPI) - Critère impératif - Méthode parcours traceur.

Cela signifie que dès lors qu'il y a une activité de maternité dans un établissement, il est réalisé une évaluation avec une parturiente (Patient traceur) et l'équipe de maternité (Parcours traceur).

Source : Réponses de la Haute Autorité de santé au questionnaire de la rapporteure

Au-delà de l'opportunité éventuelle d'une certification ou d'une évaluation supplémentaire, il s'agit principalement d'engager un effort de publication d'indicateurs clairs, compréhensibles et comparables entre structures.

La Cour des comptes insistait d'ailleurs dans son dernier rapport sur un manque d'information préjudiciable au pilotage de l'ensemble de la politique de périnatalité : « Les pouvoirs publics doivent se donner les moyens de suivre précisément, pour chaque bassin de population, comme de manière consolidée, non seulement les effectifs et le lieu d'exercice, mais aussi le type d'activité, les postes réellement vacants, la stabilité des équipes, le niveau de recours à l'intérim ou encore le taux de recours à des praticiens à diplôme étranger. L'ensemble de ces données devrait être connu et analysé de façon permanente pour assurer la continuité des soins et pour se donner les moyens d'une politique de formation adaptée, à même de répondre aux besoins de la population. »184(*)

Cet effort nouveau doit avant tout être du ressort des ARS et des établissements à partir des données existantes et déjà renseignées dans les différentes bases de données et systèmes d'information. Là encore, améliorer la politique de soins et le service rendu aux patientes ne doit pas se traduire par une charge administrative nouvelle sur les médecins et soignants au quotidien.

· Ces indicateurs doivent reposer sur différents piliers que les travaux de la mission ont permis d'identifier :

- les pratiques de l'établissement concernant un certain nombre d'actes identifiés (par exemple : taux de césarienne programmée ou en urgence, de déclenchement, de recours à la péridurale et d'épisiotomie) ;

- les catégories de professionnels de santé présents, leur nombre et les modalités de leur exercice dans le respect du cadre réglementaire (gardes ou uniquement astreintes) ;

- la situation des services en matière de ressources humaines soit, en d'autres termes, la capacité à assurer une équipe stable et complète (taux de contrats court ou intérimaires, impact constaté sur les douze derniers mois sur le capacitaire réel).

Recommandation n° 11 : Renforcer la transparence sur la situation et les pratiques des maternités à destination des parents sur la base de la publication régulière d'une série d'indicateurs de qualité et de conditions d'activité.

· Ce travail, qui a vocation à être poursuivi sur l'ensemble du territoire, n'est pas à comparer ni à substituer avec les démarches volontaires de certains établissements en vue de recevoir des labels comme l'« Initiative hôpital ami des bébés » (IHAB) ou encore « Très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale » (TQHSE) que certaines maternités entendent satisfaire.

Ces engagements de services dans des démarches qualité thématiques ont des vocations spécifiques qu'il est nécessaire de soutenir. Adrien Taquet, co-président des Assises de la pédiatrie, a ainsi rappelé le rôle du label IHAB dans la promotion et la facilitation de l'allaitement maternel185(*).

L'initiative Hôpital ami des bébés

En 1991, l'OMS et l'Unicef lancent « the Baby Friendly Hospital Initiative » (BFHI) ou « Initiative hôpital ami des bébés » (IHAB).

Depuis son lancement, le programme IHAB a évolué. Les objectifs ont été élargis ; au-delà du soutien à l'allaitement, IHAB est devenu un programme de soins centrés sur l'enfant et sa famille.

Les objectifs de ce programme sont multiples :

- encourager, soutenir et protéger l'allaitement maternel en cohérence avec les recommandations de santé publique. IHAB oeuvre pour que chaque mère puisse faire un choix éclairé sur l'alimentation de son nouveau-né sans influence commerciale. Quel que soit son choix, chaque mère est soutenue dans son projet ;

- améliorer l'accueil du nouveau-né en centrant les soins sur les rythmes et les besoins de celui-ci et de ses parents ;

- proposer un accompagnement bienveillant des parents afin de favoriser l'attachement parents/enfant et l'autonomie des parents.

Source : Extraits du site de l'association IHAB France

3. Un système déjà au bord de la rupture : des fermetures de maternités, temporaires voire définitives, subies et parfois mal préparées
a) Des fermetures temporaires fréquentes et nombreuses

Principal symptôme de la crise des maternités, les fermetures temporaires de certaines structures, pour des durées plus ou moins longues, sont révélatrices des fragilités réelles de l'offre de soins.

Du fait du déficit de suivi et de données disponibles sur la situation des établissements de santé en temps réel, le fonctionnement effectif de l'ensemble des structures est difficilement appréciable.

Il conviendrait de disposer de données consolidées et actualisées tant sur le volume réel des structures ouvertes et des réductions éventuellement constatées de fait - ou « nombre de lits fermés » - que sur les maternités ayant dû suspendre ou cesser tout ou partie de leur activité, en particulier les accouchements, et sur quelle durée

Cependant, interrogée sur l'état du volume réel et les fermetures définitives ou provisoires de maternités au cours des derniers mois, la DGOS a indiqué ne pas pouvoir fournir à la mission des chiffres plus récents que ceux de décembre 2022.

La fédération des réseaux de périnatalité a transmis à la mission les chiffres connus sur la période allant du 1er janvier 2023 au 31 mars 2024186(*) pour une partie seulement du territoire national187(*).

· Il ressort ainsi que 33 maternités ont été concernées par des suspensions ou fermetures.

Parmi elles, on dénombre 23 de type 1, 9 de type 2a et 1 de type 2b. Sur la même période, 6 maternités, toutes de type 1, ont été définitivement fermées, ces structures assurant jusqu'alors de 220 à 760 accouchements. Enfin, 52 suspensions répétées - jusqu'à dix fois en quinze mois - ont concerné 28 maternités allant de 156 à 1 552 naissances.

· La durée des suspensions a varié sur cette période, de 1 à 18 jours, avec une moyenne de 3,4 jours.

· Toutes les maternités concernées ont fait état, selon la fédération, de difficultés de ressources humaines, 48 % concernant des médecins anesthésistes réanimateurs, 19 % des sages-femmes, 19 % des pédiatres et 14 % des gynécologues obstétriciens.

· Au-delà des fermetures de structures, certaines ont également pu devoir suspendre ou fermer une partie seulement de leur activité, comme le service de néonatologie.

Cela a concerné 13 maternités sur la même période dont 10 de type 2a, 1 de type 2b et 1 de type 3. Ces fermetures ont concerné des établissements allant de 547 à 2 927 naissances, pour des durées de 1 à 426 jours.

À chaque fois, la fermeture était liée à la difficulté d'assurer le maintien de la permanence des soins.

La situation concerne les établissements publics comme privés, la fédération de l'hospitalisation privée ayant indiqué avoir comptabilisé par exemple 175 périodes de fermetures de 24 heures (dont 150 jours pour un seul établissement de santé)188(*), avec des motifs de fermetures analogues que sont les pénuries en ressources humaines.

· Ces fermetures, souvent non anticipées, ont des conséquences concrètes et immédiates sur les autres établissements, lesquels doivent prendre en charge des patientes qu'ils ne suivaient pas initialement et qui sont redirigés vers eux.

Listant les conséquences des difficultés de recrutements, la Cour des comptes soulignait par exemple : « l'activité de la maternité de Sarlat a été suspendue en avril et en octobre 2023 et les parturientes de celle de Guingamp ont été réorientées vers d'autres structures au printemps et en octobre 2023. Ces reports induisent une charge de travail supplémentaire dans les hôpitaux vers lesquels les patients sont réorientés, sans adaptation préalable de leur capacité de prise en charge. »

De même, dans les Pays de la Loire, alors que le réseau de périnatalité189(*) signale que 12 maternités sur 23 ne sont pas sur un mode de fonctionnement normal, il déplore en outre les difficultés résultant de « décisions de fermeture de lits de certaines maternités privées, face à la baisse majeure de leur activité ou à des difficultés de fonctionnement induites par une carence des ressources humaines, sans qu'aucune régulation territoriale ne soit faite ».

· Cette situation dégradée se nourrit en réalité d'elle-même, de telle sorte que les fermetures subies agissent souvent comme des signaux de déclassement et donc comme effet repoussoir pour les professionnels comme pour les parturientes.

Le réseau de périnatalité de Nouvelle-Aquitaine indiquait ainsi190(*) : « Le contexte de fermetures temporaires itératives de maternités, le plus souvent de type 1 de petite taille/faible activité, entraîne très souvent une déstructuration progressive d'un tissu professionnel performant composé de médecins spécialistes, de sages-femmes, auxiliaires de puériculture tous indispensables au fonctionnement d'une maternité.

En outre Margaux Creutz Leroy, présidente de la fédération française des réseaux de santé en périnatalité191(*), mettait en évidence devant la mission « un cercle vicieux » né de la connaissance par certaines familles de la fragilité de petites structures. Ces familles font alors le choix d'accoucher dans une autre maternité, même éloignée : « La part de marché diminue - je pourrais vous citer foison de petites maternités où accouchent moins de 50 % des femmes enceintes de la zone de recrutement... La chute du nombre de naissances rend la maternité encore moins attractive pour les jeunes générations de médecins, sages-femmes et puéricultrices, ce qui augmente encore l'instabilité des équipes des maternités, mais aussi la fuite des professionnels libéraux du territoire. Ce cercle vicieux renforce l'instabilité et majore l'insécurité. Maintenir une maternité insécure n'est donc pas forcément rendre service aux populations. »

· La situation des maternités ayant connu des fermetures apparaît sur le temps long particulièrement incertaine.

Pour certaines structures, la suspension ou fermeture est la conséquence immédiate d'un aléa conjoncturel dans les capacités de recrutements.

Pour d'autres, les difficultés prolongées conduisent à envisager de manière délicate voire improbable un réel « retour à la normale ». Sur ce point, force est de constater, en le déplorant, que ces fermetures provisoires mais durables ne sont que le signe de situations qui étaient, depuis un certain temps, fragiles et pour lesquelles aucune réponse viable n'a été apportée, faute de consensus ou faute d'anticipation.

Ainsi, les fermetures temporaires deviennent parfois le révélateur d'un non-choix ou d'un refus de décision. Le maintien de façade d'une maternité est pourtant bien pire qu'une offre de soins effectivement redimensionnée aux capacités réelles.

b) Les fermetures soudaines, une menace sérieuse pour la prise en charge des femmes

· Les fermetures et suspensions, souvent soudaines, ont des effets immédiats sur la qualité et la sécurité des soins.

Peu préparées et mal annoncées, les fermetures conduisent à des ruptures dans le suivi et l'accueil des parturientes. Cela signifie concrètement une réorientation vers un autre établissement, avec une transmission non garantie des dossiers médicaux, un changement d'équipes soignantes et un lot d'incertitudes générateur de stress dans un moment important.

Ces problèmes sont majorés dans le cas de fermetures perlées, avec des familles souvent insuffisamment informées et donc un risque de se retrouver, le jour de l'accouchement, devant un service fermé.

· Au-delà du seul report de l'activité d'accouchement, ces fermetures temporaires ont d'autres conséquences. Ainsi, la fermeture d'un service de maternité peut parfois occasionner l'arrêt des consultations et actes de suivi prénatal. Elle peut également parfois conduire à l'arrêt des activités d'orthogénie et donc à une réduction de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

La mission a pu se rendre dans une maternité confrontée récemment à un arrêt temporaire de son activité d'accouchement, au centre hospitalier de Lunéville, en Meurthe-et-Moselle.

Dans ce cas, la suspension de plusieurs semaines avait été anticipée avec les équipes et coordonnée avec les établissements de la région et les services d'urgence.

L'impact a ainsi été limité en matière de report sur d'autres établissements notamment le CHRU de Nancy - le nombre de naissances sur la période correspondant à une cinquantaine, et l'orientation et l'information des femmes enceintes organisées.

Pour autant, une telle mesure a montré une fragilité existante sur la structure.

Face à cette situation, le Pr Yves Ville estimait que « si l'on ne veut pas regarder ces situations en face et essayer d'y remédier activement, on attend le pourrissement. Quand on lit la presse ou que l'on écoute la radio, c'est bien cette situation de pourrissement extrême dans laquelle telle maternité est tombée dont il est question. C'est pourquoi, forts de ce constat et après avoir auditionné à la fois les usagers et tous les acteurs soignants de la périnatalité, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait identifier ce qui apparaissait comme une fragilité continue. Ce mouvement de fermeture de 2 % par an affecte principalement les maternités de niveau 1 qui font moins de 1 000 accouchements ; 80 % d'entre elles sont en tension sévère. Puisque rien n'est fait, cette pente fixe de 2 % par an va finir à zéro... »192(*)

Interrogée sur cette déclaration, Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, a formulé la réponse suivante : « Nous avons en effet constaté un "pourrissement", dans certaines régions : il faudrait avoir le courage de prendre des décisions pour éviter de telles situations et en effet décider de fermetures quand celles-ci s'imposent du fait d'une insuffisante sécurité des soins pour la mère et le nourrisson. Il faut favoriser les regroupements. »193(*)

La préoccupation d'une dégradation de la situation de maternités fragiles au risque d'affaiblir l'ensemble du réseau de maternités n'est pas récente. La Cour des comptes alertait ainsi déjà en 2015194(*) : « Il importe ainsi d'éviter qu'une série de fermetures ponctuelles, soudaines et mal anticipées ne provoque une recomposition subie de l'offre de soins qui ne ferait qu'aggraver les multiples dysfonctionnements déjà constatés. »

Alors que l'expérience de ces dernières années confirme que la crainte du « pourrissement » est fondée et que la société française de médecine périnatale met en avant le risque, à terme, que la restructuration de fait conduise à des situations de « désert périnatal »195(*), une transformation anticipée de l'offre de soins est urgente et nécessaire.

C'est pourquoi la mission considère qu'un travail autour de la transformation de l'offre de soins est nécessaire à l'échelle d'un bassin de naissance, pour ne pas subir de fermetures inopinées.


* 169 Audition du 2 avril 2024.

* 170 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 171 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 172 Cour des comptes, Ralfss 2024.

* 173 Audition du 22 mai 2024.

* 174 Audition du 27 mars 2024.

* 175 Audition du 15 mai 2024.

* 176 Voir II.A. du présent rapport.

* 177 Étude sur la santé périnatale pour le Sénat, Institut CSA, mai 2024.

* 178 Étude sur la santé périnatale pour le Sénat, Institut CSA, mai 2024.

* 179 Une « remise à niveau » concernant les catégories de maternités et les risques pris en charge était ensuite présentée aux femmes interrogées pour ne pas biaiser les réponses aux questions suivantes.

* 180 Ces caractéristiques étaient cependant respectivement connues de 64 % et 60 % des femmes ayant accouché dans une maternité de type 1.

* 181 Audition du 14 avril 2024.

* 182 Audition du 26 mars 2024.

* 183 Audition du 2 avril 2024.

* 184 Cour des comptes, « La politique de périnatalité. Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier », mai 2024.

* 185 Audition du 27 mars 2024.

* 186 Réponses de la FHF et de la FFRSP au questionnaire de la rapporteure.

* 187 Enquête concernant 20 dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité sur 25 en France hexagonale.

* 188 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 189 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 190 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 191 Audition du 2 avril 2024.

* 192 Audition du 27 mars 2024.

* 193 Audition du 22 mai 2024.

* 194 Rapport d'information n° 243 (2014-2015) au nom de la commission des affaires sociales sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux maternités.

* 195 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

Partager cette page