II. PRÉVENIR ET REDRESSER : UNE POLITIQUE PUBLIQUE À DÉVELOPPER

Parallèlement à cette prise de conscience progressive des difficultés des copropriétés, les pouvoirs publics ont mis en place des outils de plus en plus nombreux. C'est leur efficacité, leur cohérence et leur coordination qui est aujourd'hui principalement en question même si la commission d'enquête a identifié certaines lacunes qu'elle propose de combler.

A. UNE POLITIQUE PUBLIQUE CRÉÉE POUR LES GRANDS ENSEMBLES

La politique publique destinée à prévenir les difficultés et à redresser les copropriétés est parmi les plus récentes de celles de l'habitat, car elle est née des problèmes posés par les grands ensembles d'après-guerre. Le rapport Braye de 2012, la loi ALUR, avec la création des ORCOD et le lancement du PIC, marquent une prise de conscience et une amplification récente dont il faut tirer les enseignements et qu'il convient d'ancrer dans la durée.

1. Naissance et croissance d'un objet législatif : 30 ans de politique publique

Le sujet de la paupérisation des copropriétés apparaît progressivement dans le débat public français à partir des difficultés des grands ensembles au tournant des années 1970, marqué par de premières émeutes urbaines, la décision d'arrêter leur construction et, au contraire, de développer les maisons individuelles, la crise énergétique et l'édiction de premières normes thermiques.

Cette vision vient supplanter celle qui prédominait précédemment, c'est-à-dire la lutte contre l'habitat indigne dans les centres anciens qui a justifié avant et surtout après-guerre d'importantes restructurations et justement la construction de ces grands ensembles exprimant la modernité sociale, urbaine et hygiéniste.

Mais ces grands ensembles vont progressivement connaître une « fin de cycle technique » et une évolution de leur peuplement (propriétaires plus âgés, plus pauvres, parfois bailleurs moins soucieux de l'état des immeubles) aggravant les difficultés et conduisant le législateur à créer des outils spécifiques.

Ainsi la loi 91-662 du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville, la « LOV », crée les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat, les OPAH, afin d'inciter les propriétaires bailleurs à rénover et conventionner leurs logements.

La notion de copropriété en difficulté apparaît dans la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat, mais sans définir les critères de caractérisation. Néanmoins, elle rend possible la nomination d'un administrateur provisoire et décide que les syndicats de copropriété ne seront pas soumis au droit des faillites afin d'éviter les saisies d'appartements en cas de défaillance du syndicat. Parallèlement, elle crée le « privilège immobilier spécial » permettant le recouvrement des créances de l'année et des deux années passées sur les copropriétaires, et notamment lors des ventes. La première OPAH-Copropriétés dégradées est également lancée cette année-là. Cela permet l'émergence, à partir de 1996 et la création du Plan de sauvegarde (PDS) par la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville, d'une politique publique en faveur de ces immeubles.

Un premier tournant s'opère toutefois par le vote de la loi n° 2000-1208 solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000. Elle développe des moyens spécifiques de prévention et de traitement, surtout elle confie à l'Agence nationale de l'habitat (l'Anah) la mission de mettre en oeuvre cette politique.

La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales donne une assise juridique à l'intervention financière des collectivités en complément de l'État pour la réhabilitation ou la démolition de logements dans le cadre de la rénovation urbaine qui prend alors son essor.

En 2009, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (MOLLE)53(*) crée la procédure d'alerte qui doit permettre de prévenir les difficultés en permettant la nomination d'un administrateur ad hoc.

Mais, c'est le rapport du sénateur Dominique Braye, à l'époque président de l'Anah, publié en janvier 2012 et intitulé : Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés, une priorité des politiques de l'habitat, qui fonde les politiques publiques menées depuis lors.

En effet, son analyse fait date et sera ensuite largement reprise. La copropriété y est vue comme un ensemble complexe dont l'équilibre repose sur cinq grands piliers internes : état du bâti, fonctionnement des instances décisionnelles, gestion financière, solvabilité des copropriétaires et de la copropriété, modes d'occupation, sur lequel influe un environnement urbain et socio-économique. Le rapport pointe un certain nombre de copropriétés en situation très grave, leur rôle de parc de relégation, l'absence de traitement effectif des copropriétés dans les opérations de renouvellement urbain, leur obsolescence technique avec des besoins de travaux auxquels les habitants ne peuvent subvenir, les enjeux sociaux et les enjeux de gouvernance. Le rapport regrette également le caractère trop tardif des interventions publiques qui s'attaquent à des difficultés ancrées pour pouvoir les résoudre rapidement.

Le rapport souhaite infléchir la gouvernance des copropriétés pour créer des copropriétés viables, pour favoriser le collectif sur l'individuel dans le droit et l'horizon d'intérêt, et mieux préparer l'accession à la propriété en copropriété. Le rapport plaide également pour le renforcement de l'action publique avec une meilleure connaissance de l'existant, plus de prévention et l'amélioration des outils opérationnels. En conclusion, il propose de lancement d'un plan national pour les copropriétés.

De fait, le rapport Braye va directement inspirer, en 2014, la loi ALUR, puis le plan initiative copropriété et la loi ELAN en 2018, et l'ordonnance de réforme des copropriétés en 2019.

En effet, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) constitue une véritable réforme de la loi de 1965, elle-même perçue comme « le code de la copropriété ».

C'est ainsi la loi ALUR qui crée les opérations de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD) qui offrent le cadre contractuel et intégrateur pour traiter de manière coordonnée l'ensemble des graves difficultés rencontrées. C'est un changement profond de l'action publique pour réussir le redressement des plus grandes copropriétés.

Dans le registre de la connaissance et de la prévention, c'est également la loi ALUR, à l'instigation du rapport Braye, qui a créé le Registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC) dans lequel les copropriétés doivent normalement obligatoirement s'inscrire et fournir un minimum d'informations permettant de guider l'action publique.

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) a amélioré ou créé de nouveaux outils. Notamment, elle est à l'origine des Projets partenariaux d'aménagement (PPA), des grandes opérations d'urbanisme (GOU) et des opérations de revitalisation des territoires (ORT). La loi facilite également le recours aux ORCOD et plus spécifiquement aux ORCOD d'intérêt national (ORCOD-IN).

Enfin, comme cela a déjà été souligné, la loi ELAN a autorisé une réforme du droit de la copropriété par ordonnance, qui a été réalisée en 2019 (n° 2019-1101 du 30 octobre 2019) et qui aurait dû aboutir à une codification qui a été abandonnée.

Enfin, il faut souligner que les politiques publiques dédiées aux copropriétés, plus récentes et conçues pour partie séparément, doivent s'articuler avec la lutte contre l'habitat indigne, les outils des unes étant réutilisées par l'autre et réciproquement, d'autant plus que l'enjeu de prendre en compte d'autres copropriétés que les grands ensembles se fait croissant.

La lutte contre l'habitat indigne, une politique publique ancienne

La première loi de lutte contre les logements insalubres date du 13 avril 1850 et poursuivait des objectifs de sécurité et de santé publiques.

La loi du 15 février 1902 en faisait une importante prérogative des maires à travers l'édiction d'un règlement sanitaire devant garantir la salubrité des maisons, des « logements loués en garni », notamment en termes d'accès à l'eau potable et d'évacuation des déchets.

La loi du 14 décembre 1964 a introduit un objectif de lutte contre les bidonvilles.

En 1970, la loi Vivien marque une évolution importante en permettant une procédure d'expropriation spécifique pour lutter contre l'habitat indigne.

En 1971 a été créée l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat, héritière du Fonds national d'amélioration de l'habitat, lui-même créé en 1945.

La définition contemporaine de l'habitat indigne a été adoptée à l'article 1-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant la mise en oeuvre du droit au logement.

Depuis les années 2000, de nombreux textes ont renforcé les moyens des pouvoirs publics : l'obligation de prise en compte dans les PLH, les conventions de délégation des aides à la pierre et les plans départementaux d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées, les PDALHPD (2006), la priorité de relogement reconnue aux victimes (2007), la création d'un numéro unique « info logement indigne », le lancement du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, PNRQAD (2009).

En 2018, la loi ELAN a renforcé les moyens de lutte et de sanction contre les marchands de sommeil qui utilisent ces habitats indignes et exploitent des personnes vulnérables.

Enfin, sur la base de l'habilitation accordée par la loi ELAN, l'ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 a harmonisé et simplifié le dispositif devenu trop complexe. Elle a créé une police administrative spéciale unique (au lieu d'une dizaine) déclenchée soit par le maire (sécurité des personnes), soit par le préfet (santé des personnes). En 2022 a été créée la plateforme internet de signalement Histologe.

2. Le plan Initiative Copropriétés (PIC) : un tournant à ancrer dans la durée

Le rapport Braye s'achevait par un plaidoyer pour un plan national dédié aux copropriétés sur une durée de 10 ans. S'appuyant sur une loi copropriété, qui sera la loi ALUR, il envisageait un plan d'intervention d'ensemble avec des moyens nouveaux suffisamment importants pour ne pas se cantonner à un complément du programme national de renouvellement urbain (PNRU).

Cette ambition va se concrétiser le 10 octobre 2018 avec le lancement, à Marseille, du Plan initiative copropriété, le PIC, porté par l'Agence nationale de l'habitat.

a) Le PIC, un engagement partenarial focalisé sur les grands ensembles

D'une durée de dix ans, il a pour objectif initial de traiter 684 copropriétés en difficulté représentant 56 000 logements, dont 128 à transformer représentant 24 000 logements.

2 milliards d'euros sont apportés par l'Anah et sont complétés pour atteindre 3 milliards d'euros par les partenaires du plan que sont l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), la Caisse des dépôts et la Banque des territoires, Action Logement et Procivis.

17 sites et 170 copropriétés, soit 30 000 logements, font l'objet d'un suivi national54(*).

Source : Ministère du logement, janvier 2023

Logiquement, ces sites recouvrent ceux faisant l'objet d'ORCOD ou d'ORCOD-IN que sont :

o quatre ORCOD-IN en Ile-de-France (Grigny 2 en Essonne, Clichy-sous-Bois et Villepinte en Seine-Saint-Denis, Mantes-la-Jolie dans les Yvelines) et une ORCOD-IN à Nîmes dans le Gard ;

o deux ORCOD de droit commun en Île-de-France dans le Val-d'Oise (à Sarcelles et à Argenteuil, cette dernière qualifiée d'intérêt métropolitain du fait du pilotage par la Métropole du Grand Paris) ;

o une ORCOD de droit commun Château Blanc à Saint-Étienne-Rouvray en Seine-Maritime ;

o une ORCOD de droit commun Metz-Borny en Moselle (1re opération arrivant à son terme fin 2024 - avec un renouvellement prévu en 2025).

o une ORCOD de droit commun à Garges-lès-Gonesse dans le Val-d'Oise signé le 21 mars 2024.

En projet, des ORCOD-IN et 3 ORCOD de droit commun :

o des ORCOD-IN à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône sur potentiellement quatre copropriétés marseillaises ;

o une ORCOD de droit commun à Montpellier dans l'Hérault, en réflexion sur le quartier de La Mosson ;

o une ORCOD de droit commun en réflexion également au niveau de l'Établissement Public Territorial Paris Terres d'Envol.

Le lancement de ces nouvelles opérations d'ampleur et les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de celles qui existent déjà doivent d'ores et déjà conduire le gouvernement à envisager la succession du PIC après 2028.

Le plan actuel comporte trois axes :

- Transformer, c'est-à-dire démolir ou restructurer un ensemble immobilier dont la dégradation est irrémédiable. Ces opérations s'insèrent dans le renouvellement urbain ;

- Redresser, c'est-à-dire restaurer l'attractivité de l'habitat sur le marché du logement. Cela passe par des travaux importants s'appuyant sur des travaux d'urgence pouvant être financés jusqu'à 100 % par l'Anah, des préfinancements assurés par Procivis ou des aides à la gestion ;

- Prévenir afin d'éviter une spirale de dégradation. Cela peut conduire à l'attribution de MaPrimeRénov' Copropriétés fragiles.

Le PIC doit être à la fois un agrégateur et un accélérateur de l'action publique.

Le PIC est censé englober l'ensemble de l'action publique sur le sujet, incluant le NPNRU, le PNRQAD, Action coeur de ville et Petites villes de demain.

La réalité est un peu différente, car le PIC est focalisé sur les ORCOD et les grands ensembles.

Ø L'ANRU

En effet, 90 % des copropriétés concernées par le plan sont en secteur NPNRU. La coordination entre l'Anah et l'ANRU est donc cruciale. C'est ce que soulignait le rapport de la Cour des comptes de janvier 2022 intitulé Copropriétés dégradées : mieux répondre à l'urgence. La Cour y déplorait le manque de clarté de la répartition de leurs responsabilités. L'ANRU est compétente pour les opérations de démolition, de portage massif, de restructuration et de résidentialisation des espaces extérieurs et équipements des grandes copropriétés, mais il est arrivé que les deux agences interviennent sur la même copropriété. La Cour demandait donc des progrès dans le pilotage de leurs interventions. La commission n'a pas constaté la persistance de difficultés de coordination. De fait, depuis lors, la convention de 2015 signée entre les deux agences a été renouvelée en 2022 et l'ANRU s'est engagée pour une enveloppe de 480 millions d'euros. L'ANRU sera leader pour les opérations nationales ou régionales mobilisant plus de 7 millions d'euros de concours financiers, tandis que l'Anah pilotera les autres. L'ANRU et l'Anah s'associent réciproquement au pilotage des projets tant au niveau national que local.

Ø Procivis

Procivis55(*) intervient dans le cadre du PIC avec des prêts à taux zéro destinés aux copropriétés ou aux copropriétaires afin de préfinancer les aides de l'Anah. Une enveloppe globale de 240 millions d'euros a été ouverte sur la période 2018-2022. Dans la nouvelle convention signée avec l'État pour la période couvrant 2023 à 2030, Procivis s'est engagé sur 500 millions d'euros au titre de ses missions sociales, soit 62 millions d'euros par an, dont 50 millions d'euros pour le PIC et le préfinancement des aides. Un pilotage trimestriel est assuré avec l'Anah au niveau national et avec les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) au niveau local.

Mais les capacités de financement de Procivis sont insuffisantes pour assurer le préfinancement des aides et n'en couvriraient qu'environ 40 % en 2022, selon le rapport de la Banque des territoires sur le financement des copropriétés d'octobre 2023. C'est un constat partagé par les différents acteurs et notamment l'EPFIF. La Banque des territoires a donc proposé de tripler la capacité de préfinancement de Procivis grâce à une ligne de trésorerie de 100 millions d'euros qui lui serait confiée puisque ces prêts sont remboursés au fur et à mesure du versement des aides. Le coût associé comprend donc leur gestion et la franchise d'intérêt.

Ø La Banque des territoires

La Banque des territoires intervient soit à travers des aides et des prêts, soit à travers de son opérateur CDC Habitat. Tout d'abord, la Banque des territoires fournit des crédits d'ingénierie, sur fonds propres, dans le cadre de sa convention avec l'Anah, au profit des collectivités pour des opérations situées dans le NPNRU, le PIC et les programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD). Cela représente 29,1 millions d'euros sur la période 2018-2023 dont près de 6 millions pour la seule année 2023.

Sur le volet prêt, il s'agit de financer les porteurs de projets de recyclage et de redressement. Le prêt copropriétés dégradées (PCD) vient en complément du prêt renouvellement urbain (PRU). Il est tarifié à un taux de 0,6 ou 0,8 point supérieur à celui du livret avec une phase de préfinancement jusqu'à 8 ans et un différé d'amortissement jusqu'à 14 ans. La durée d'amortissement peut aller jusqu'à 35 ans. Enfin, il inclut une indemnité de remboursement anticipé en cas de revente de lots. Actuellement deux prêts de ce type d'un montant de 18,7 millions d'euros, ont été accordés à la foncière CDC Habitat Action Copropriétés.

CDC Habitat met en oeuvre son engagement dans le PIC d'acquérir 5 000 logements pour permettre d'en rénover 15 000 sur 15 ans. Actuellement, CDC Habitat intervient sur 12 des 17 sites nationaux du PIC dans 30 collectivités, soit 2 111 logements à acquérir pour 280 millions d'euros d'investissement. En fait, CDC Habitat intervient soit à travers CDC Habitat social dans le cadre de conventions d'urgence ce qui est la modalité la plus fréquente (26 conventions), soit à travers CDC Habitat Copropriétés dans le cadre de concessions (3 concessions d'aménagement), soit encore comme AMO pour mener des travaux d'urgence, des relogements et des acquisitions-améliorations à Grigny 2. Dans ce cadre contractuel, les collectivités acceptent de prendre en charge une partie du déficit des opérations qui va de 20 à 40 000 euros pour le portage ciblé à 100 à 200 000 euros par logement pour le recyclage. Ces opérations étant par nature déficitaires, l'objectif de CDC Habitat est d'être à l'équilibre. En sus de la participation au déficit, la collectivité couvre dans le cadre du contrat de concession les frais engagés et les coûts humains.

Par exemple à Bondy, dans un QPV, CDC Habitat a acquis 22 logements dans une copropriété qui en compte 170. L'opération a débuté en 2013 et a duré sept ans. Une telle intervention a pour but de stopper la baisse des prix immobiliers, d'assurer le paiement des charges, de négocier avec les fournisseurs puis de lancer les travaux de rénovation. À ce stade de l'opération, il est possible pour CDC Habitat de revendre les logements. Au total, dans le cas d'espèce, l'opération aura duré un peu plus de 10 ans puisque les logements vont arriver à la vente.

De plus, CDC Habitat Copropriétés et l'EPFIF ont créé une filiale commune ACIF en 2022. L'objectif est de porter environ 500 logements dans des copropriétés en redressement en Île-de-France. ACIF doit intervenir dans le cadre de concessions de services contractualisées avec les collectivités locales. Une première concession de service et travaux a été mise en place à Argenteuil début 2024 pour le portage d'une soixantaine de logements dans des copropriétés en redressement (en secteur ORCOD). Cette activité opérationnelle venant juste de débuter, il n'est pas possible d'en tirer un bilan pour le moment.

CDC Habitat a signé une convention avec l'Anah en 2019. Elle conduit à un point complet tous les deux mois en bilatéral des actions en cours en plus des réunions plus larges.

Ø Action Logement

Action Logement s'est engagé dans le PIC à travers son plan d'investissement volontaire avec pour objectif d'acquérir 2 500 logements, soit un investissement en fonds propres de 95 millions d'euros d'Action Logement Immobilier (ALI). 20 ESH du groupe sont impliqués pour intervenir dans plus de 130 copropriétés.

Par ailleurs, Action Logement Services (ALS) propose des subventions aux propriétaires salariés jusqu'à 100 % HT pour les travaux d'économie d'énergie avec une enveloppe de 50 millions d'euros.

Ø L'USH

Enfin, l'Union sociale pour l'habitat (USH) est partenaire du PIC pour le mouvement HLM. Une convention a été signée avec l'Anah le 4 octobre 2023. Il s'agit notamment de faciliter l'observation partagée des territoires, de porter une attention particulière aux copropriétés mixtes et à identifier l'apport des organismes de logement social pour le redressement d'immeubles en copropriété, notamment par leur transformation au moins partielle en logements sociaux.

b) Les ORCOD, l'outil pour affronter la complexité du redressement des grands ensembles

Le PIC vise à s'attaquer aux problèmes les plus lourds et à la plus grande complexité dont l'ampleur est rarement mesurée.

Les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) qui peuvent être déclarées d'intérêt national (ORCOD-IN) ont été créées par l'article 65 de la loi ALUR en 2014 (articles L. 741-1 et L. 741-2 du CCH), soit quatre ans avant le lancement du PIC. Elles n'en sont pas moins son principal outil de mise en oeuvre.

Le dispositif d'opération de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD) a précisément pour vocation d'offrir un cadre contractuel animé par un opérateur ensemblier permettant la mise en oeuvre d'un projet global avec un éventail large d'actions. Ainsi, l'ORCOD peut comprendre :

§ un dispositif d'intervention immobilière et foncière, incluant des actions d'acquisition, de travaux et de portage de lots de copropriété ;

§ un plan de relogement et d'accompagnement social des occupants, avec la possibilité de mobiliser directement les contingents publics, comme dans le cadre des procédures de traitement de l'habitat indigne, insalubre ou dangereux ;

§ la mobilisation des dispositifs coercitifs de lutte contre l'habitat indigne, mobilisation favorisée par la possibilité d'instaurer un droit de préemption urbain renforcé, avec l'obligation de joindre un rapport sur l'état du logement cédé à la déclaration d'intention d'aliéner ;

§ la mise en oeuvre d'actions ou d'opérations d'aménagement ;

§ la possibilité d'utiliser la procédure d'administration provisoire renforcée.

La mise en oeuvre des outils d'accompagnement classiques (Opération programmée d'amélioration de l'habitat - OPAH, Plan de sauvegarde) est également possible et constitue alors un volet spécifique intégré à l'ORCOD pour cibler les efforts sur les immeubles les plus en difficulté du périmètre.

Les ORCOD sont initiées par la commune ou l'EPCI compétent en matière d'habitat, mais pour les sites les plus complexes, l'article L. 741-2 du code de la construction et de l'habitation (CCH) a introduit la possibilité de déclarer d'intérêt national une opération de requalification des copropriétés si le site présente a minima les caractéristiques suivantes :

§ des enjeux majeurs en matière d'habitat dégradé,

§ une complexité de traitement particulière,

§ de lourds investissements.

Cette déclaration d'intérêt national par un décret en conseil d'État emporte création d'une opération d'intérêt national (OIN) au sens de l'article L. 102-12 du code l'urbanisme et permet l'intervention d'un établissement public foncier d'État qui est chargé de la conduite de l'opération et mobilise à cet effet la ressource fiscale qui lui est affectée, la taxe spéciale d'équipement (TSE), dans la limite de 5 euros par habitant. Le préfet peut faire usage de son pouvoir de désignation pour le relogement.

L'ORCOD-IN carne l'approche la plus globale et transversale pour traiter les problèmes de copropriétés en difficulté.

Dans son recueil d'outils et d'expériences sur le PIC de janvier 2021, l'Anah a illustré avec justesse la question en comparant le déroulement théorique d'une opération de recyclage, prise en charge dans le cadre des ORCOD et/ou par la mise en oeuvre d'une procédure de carence de la copropriété, et sa déclinaison dans la « vraie vie » au Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois. L'opération prendra au moins vingt ans comme le montre la frise chronologique ci-dessous.

Source : Anah, janvier 2021

Source : Anah, janvier 2021

Concernant la seule procédure de carence, hors diagnostic et alerte, la durée minimale serait de deux ans pour la saisine du président du TGI en vue de la désignation d'un expert et la prise de possession par le bénéficiaire de l'expropriation.

Concernant un processus de redressement, les choses ne sont pas nécessairement moins longues ou complexes :

Grigny 2, où la Commission d'enquête s'est rendue, est l'un des exemples les plus symboliques.

Il s'agit d'une des plus grandes copropriétés de France, inscrite dès 2018 dans les opérations suivies nationalement dans le PIC. Elle est devenue l'archétype de la problématique. Elle compte 17 000 habitants dans 5 000 logements, 104 bâtiments, 28 syndicats secondaires, dont 27 d'habitation. Quinze bâtiments doivent être démolis, cinq transformés en habitat social, soit 1 300 expropriations (900 démolitions, 400 transformés en logements sociaux). Des immeubles devraient également être transformés en copropriétés mixtes sociales et privées.

Les travaux d'urgence, financés à 100 % TTC, ont débuté en 2021 pour un montant de 44,5 millions d'euros, vingt ans après le premier plan de sauvegarde et cinq ans après le classement en ORCOD-IN. Cinq ans ont été nécessaires pour contraindre les syndics à accepter l'audit de leurs comptes.

Selon l'Établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF), le budget prévisionnel serait de l'ordre de 800 millions d'euros couvrant les acquisitions, le portage des logements, la transformation de la copropriété et sa rénovation et l'aménagement du quartier, dont 400 millions de TSE, 65 millions de l'ANRU et 150 millions de l'Anah.

Au-delà de Grigny, l'EPFIF est aujourd'hui l'opérateur des quatre ORCOD-IN créées dans la région56(*) et a créé deux filiales, l'une avec CDC Habitat Copropriétés, l'ACIF, pour le portage des lots de copropriétés, et la SIFAE, avec Action logement pour le pavillonnaire (cf. ci-dessous).

L'EPFIF a été en charge de la rédaction d'une convention-cadre du partenariat entre les différents acteurs. Il assure toujours le pilotage en lien avec le préfet et les collectivités. Le rôle des EPF d'État paraît central compte tenu des moyens d'action et des savoir-faire techniques.

État d'avancement des quatre ORCOD-IN en Île-de-France

2 555 logements acquis sur 4 000

640 ménages relogés

41 plans de sauvegarde pilotés dont 27 à Grigny

3 ZAC créées à Clichy, Grigny et Villepinte pour la mise en oeuvre d'un projet urbain d'ensemble dans le cadre d'une opération d'intérêt national (OIN).

Source : EPFIF - Réponses à la commission d'enquête

Mais si l'EPFIF dresse un constat positif du partenariat noué avec les différents acteurs, il n'en mesure pas moins les limites de son action.

Les EPF d'État peuvent recourir à la TSE, soit 5 euros par habitant et par an. Ces moyens financiers ne sont toutefois pas une ressource surdimensionnée au regard des besoins. L'EPFIF dispose ainsi d'un budget de 60 millions d'euros qu'il juge insuffisant pour faire face aux besoins des quatre ORCOD-IN de la région capitale. Le déplafonnement prévu par la loi du 9 avril sur l'habitat dégradé va permettre une augmentation de 20 % en portant la TSE à 6 euros, mais sans pouvoir aller au-delà. L'EPFIF souligne donc que toute nouvelle opération devra conduire à une révision des quotes-parts de financement des autres partenaires.

Ainsi, les opérations de recyclage (acquisition, portage et démolition hors reconstruction) coûteraient 150 000 euros par logement en moyenne, les opérations d'acquisition-amélioration, 100 000 euros... Des financements supplémentaires de l'Anah seraient donc à envisager. De même l'intervention de l'ANRU est-elle indispensable. Aujourd'hui, l'EPFIF déplore une participation limitée à 5 % du déficit des opérations d'aménagement à Clichy et à Grigny.

L'EPFIF déploie une ingénierie sociale hors-norme et difficilement reproductible pour les propriétaires occupants comme pour les locataires que les logements soient acquis ou non par l'EPFIF. Des équipes sont présentes en continu sur le terrain, et des équipes sont dédiées à ce volet dans chacun des projets à travers une commission sociale et des partenariats.

De fait, mobiliser un tel niveau d'ingénierie sociale peut être un frein à l'action publique dans les sites de moins grande ampleur, pilotés par les collectivités locales, ou pour intervenir sur de petites copropriétés sans aides financières importantes.

Cet accompagnement social a d'ailleurs fait ressortir des difficultés de coordination avec la commission de surendettement de la Banque de France. Les impayés de charge n'y sont pas jugés prioritaires alors qu'ils impactent l'ensemble d'un collectif que l'on cherche à redresser. Certains ménages font en outre l'objet de mesures de protection décidées par la Banque de France, mais pas cohérentes avec les mesures mises en oeuvre dans l'ORCOD-IN et qui devraient conduire le ménage à vendre son logement.

Dispositif d'accompagnement social mis en place par l'EPFIF

Logements acquis par l'EPFIF :

> Les locataires sont maintenus en place ou bénéficient d'un droit au relogement,

> Les propriétaires occupants ont le choix entre la vente ou le maintien dans les lieux en tant que locataires de l'EPFIF. Éventuellement, un dispositif de location - accession, afin de permettre à ces propriétaires occupants en capacité de le faire de réaccéder à la propriété dans d'autres copropriétés du quartier, sur un marché immobilier quasi équivalent.

Dans ces cas, les loyers sont plafonnés à un niveau équivalent PLUS (7 €/m²), nettement inférieurs au marché locatif privé. Une Maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (MOUS, travailleurs sociaux), avec évaluation sociale systématique des occupants et possible accompagnement social, dès que nécessaire, est mobilisée. Elle conduit pour toute situation de fragilité socio-économique vis-à-vis du logement, à des mesures d'accompagnement social de 3 à 18 mois, pour ouvrir les droits, lever les freins au relogement ou au maintien dans les lieux (endettement, situation administrative ou familiale, etc.) - cela représente environ 40 % des occupants à Clichy-sous-Bois. L'EPFIF mobilise également les aides des FSL pour les situations de dette locative avec peu de résultats.

Pour les ménages à reloger, l'EPFIF assure un accompagnement individuel au relogement, et si besoin un suivi social post-relogement (jusqu'à 6 mois, puis passage de relais au bailleur social d'accueil).

Logements non acquis par l'EPFIF (locataires du parc privé ou propriétaires occupants) :

L'EPFIF assure l'accompagnement social des propriétaires qui est inclus dans chacune des missions de suivi-animation des plans de sauvegarde de copropriétés (équipes sociales au sein des opérateurs de suivi-animation).

Un focus particulier est fait sur les propriétaires occupants endettés, avec soutien dans la mobilisation des aides de droit commun (FSL, CCAS) et, le cas échéant, l'orientation vers le rachat du bien par l'EPFIF.

Il serait donc nécessaire de mieux associer les départements et les métropoles pour qu'ils mobilisent les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) non seulement au profit des locataires pour faire face à une dette locative, mais aussi pour venir aider les copropriétaires pauvres qui ne parviennent pas à faire face à leurs charges.

L'EPFIF s'inquiète en outre de l'étalement dans le temps des opérations. En effet, plus une opération dure plus la situation se dégrade. Au cours des dernières années, l'EPFIF a constaté l'augmentation des impayés de charges en raison de la hausse des prix de l'énergie et de la précarité économique. L'accompagnement social est de ce fait plus long, d'autant que la crise du logement joue négativement sur les possibilités de relogement. Par ailleurs, l'attrait de ces copropriétés comme parc social de fait et zones de relégation demeure ou se renforce, et les opérateurs peuvent être confrontés à des squats de personnes précaires et sans droit particulièrement difficiles à reloger. Cette difficulté semble accrue par la mise en oeuvre de la gestion en flux des attributions qui aurait conduit à une division par quatre des propositions de relogement par les bailleurs sociaux depuis le 1er janvier 2024.

Globalement, il semble nécessaire d'élargir le PIC aux acteurs régaliens de l'État. Tout d'abord, le ministère de la justice n'est pas à même de suivre les besoins des opérations pour assurer leur bon déroulement. L'EPFIF a ainsi fait savoir à la commission d'enquête que le tribunal judiciaire d'Évry ne dispose que d'un demi-poste de juge de l'expropriation, là où une chambre serait nécessaire avec quatre magistrats et deux greffiers. Les tribunaux de proximité devraient être renforcés temporairement pour gérer le flux des expropriations, voire plus généralement le contentieux lié aux expulsions d'occupants sans titre ou au conflit avec les syndics.

Or, cette possibilité existe en droit en application de l'article LO 121-4 du code de l'organisation judiciaire qui prévoit que « lorsque le renforcement temporaire et immédiat des juridictions du premier degré apparaît indispensable pour assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable, le premier président peut, par ordonnance, déléguer, avec leur accord, des présidents de chambre et des conseillers de la cour d'appel ainsi que des juges des tribunaux judiciaires pour exercer des fonctions judiciaires dans les tribunaux du ressort de la cour d'appel dont le service est assuré par des magistrats du corps judiciaire.

Un magistrat ne peut être délégué plus de cinq fois sur une même période de douze mois consécutifs. L'ensemble des délégations ordonnées sur le fondement du présent article et des articles LO 121-5 et LO 125-1 ne peut excéder une durée totale de trois mois au cours de la même période.

Par dérogation à la durée fixée au deuxième alinéa du présent article, les magistrats délégués en vue d'exercer les fonctions de juge de l'expropriation peuvent l'être pour une durée totale de six mois sur une même période de douze mois consécutifs. »

La commission regrette toutefois qu'elle ne soit pas suffisamment appliquée et généralisée pour traiter ces cas complexes, même si, d'ores et déjà, l'EPFIF a pu engager un travail partenarial avec le tribunal judiciaire pour préparer la scission de la copropriété de Grigny 2 en 2022 et la liquidation du syndicat principal, ainsi que pour contrôler les coûts des administrateurs provisoires.

Ensuite, les auditions et visites de terrain montrant que ces copropriétés deviennent le réceptacle de nombreux trafics, il paraît également pertinent d'associer au PIC les forces de l'ordre. Dans bien des cas, ces sites sont également des quartiers de reconquête républicaine.

Proposition : Préparer dès maintenant un nouveau PIC après 2028 pour achever les opérations lancées et mener à bien celles qui le sont actuellement.  

Dans cette perspective :

- Accroître les ressources financières des EPF, l'implication de l'ANRU et de l'Anah et tripler la capacité de préfinancement des aides de l'Anah de Procivis.

- Impliquer de nouveaux acteurs que sont :

> les départements et les métropoles pour aider les copropriétaires pauvres à travers les FSL ;

> les ministères de la Justice et de l'Intérieur pour assurer une réponse coordonnée des tribunaux et des forces de l'ordre afin de réussir le redressement des copropriétés dans de meilleurs délais et sans goulots d'étranglement liés au manque de magistrat ou sans rechutes liées aux trafics ou aux squats ;

> la Banque de France pour assurer la coordination des mesures de surendettement avec les efforts de redressement des copropriétés.


* 53 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009.

* 54 Argenteuil, Aulnay-Sevran, Clichy, Épinay-sur-Seine, Évry, Grenoble, Grigny, Marseille, Metz, Montpellier, Mulhouse, Nîmes, Saint-Etienne-du-Rouvray, Sarcelles, Toulouse, Vaulx-en-Velin, Villepinte.

* 55 Réseau immobilier de l'économie sociale et solidaire fondé sur les sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP).

* 56 Grigny, Clichy-sous-Bois, Mantes-la-Jolie et Villepinte.

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