B. LA PAUPÉRISATION, UN MÉCANISME MULTIFACTORIEL ET PAS UNIVOQUE

Le terme « copropriété dégradée » ne renvoie pas à une définition juridique précise. La notion fait référence à un processus de déqualification d'un ensemble immobilier qui peut être dû à une multiplicité des facteurs et des effets d'entraînement accélérant significativement la détérioration d'une copropriété fragile.

Deux copropriétés partageant les mêmes caractéristiques initiales peuvent ainsi être amenées à évoluer différemment, en fonction de facteurs sociaux (difficultés financières des copropriétaires), techniques (difficulté à entreprendre des travaux d'entretien courant, conduisant à un risque de dégradation du bâti) ou liés à son fonctionnement (dysfonctionnement de la gouvernance de la copropriété tel que l'absence de syndic, d'assemblée générale ou de mobilisation des copropriétaires). Aussi, comme rappelé par l'association Urbanis, « même s'il existe certaines prédispositions, une copropriété ne naît pas fragile, elle le devient »33(*). Le rapport Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés, une priorité des politiques de l'habitat, du sénateur Dominique Braye, identifiait les différents facteurs de dégradation des copropriétés parmi lesquels la détérioration du bâti, la situation financière des copropriétaires comme du syndicat, les difficultés d'insertion urbaine de la copropriété ainsi que les dysfonctionnements dans sa gouvernance.

La chargée de mission au Plan urbanisme construction architecture (PUCA), Éva Simon, affine l'analyse de ce processus dans sa thèse, en décrivant trois cycles étroitement imbriqués responsables de la dégradation des copropriétés :

- le cycle de dégradation du bâti, des charges et des impayés ;

- le cycle de dévalorisation socio-économique du bien immobilier ;

- le cycle des difficultés de gestion.

Les difficultés de détection en amont des copropriétés en voie de dégradation s'expliquent ainsi par l'intrication de défaillances multiples des enjeux liés au bâti, aux occupants et à la gouvernance des copropriétés.

Source : Éva Simon. L'action publique locale sur les copropriétés dégradées :
des politiques publiques différenciées et inégales à Lyon, Marseille et Grenoble. Science politique.
Université Grenoble Alpes, 2017

1. Un phénomène générationnel : un patrimoine vieillissant et des coûts nouveaux
a) Chaque génération de copropriété est confrontée à des défis singuliers afin d'éviter la dégradation du bâti

Longtemps considérée comme la principale source de paupérisation d'une copropriété, la dégradation de son bâti est susceptible d'entraîner un bien immobilier dans une spirale de paupérisation en raison de l'incapacité financière des copropriétaires à prendre en charge les coûts de rénovation, qui vont croissants.

La France est particulièrement exposée à ces enjeux du fait de son patrimoine immobilier vieillissant, deux tiers des copropriétés ayant été construites avant 1970, et 31 % étant antérieures à 191434(*).

En 2012, déjà, le rapport Braye identifiait trois catégories de copropriétés en fonction des enjeux de vieillissement de leur bâti :

- les copropriétés construites avant 1950 dans des quartiers anciens, qui disposent de qualités patrimoniales importantes, mais souffrent d'une évolution non maîtrisée du bâti, ainsi que d'un manque d'entretien pouvant conduire à une certaine insalubrité. Il s'agit essentiellement de petites copropriétés ;

- le parc construit avant les années 1980, généralement de plus grande taille et situé en secteur urbain ou périurbain. Ces bâtiments sont confrontés depuis quelques années à une fin de cycle technique avec l'apparition de défauts lourds (« cancers du béton », corrosion des aciers, carbonation) dont la prise en charge représente de forts investissements ;

- le parc construit depuis le milieu des années 1980, marqué par la mise en oeuvre continue de politiques de soutien à la construction, notamment via le soutien à l'investissement locatif par des dispositifs fiscaux. Ce parc suscite aujourd'hui des inquiétudes, car il présente des difficultés techniques liées à la médiocrité et au vieillissement de ses matériaux et équipements.

La dégradation globale des copropriétés résulte donc, pour partie, d'un phénomène générationnel de fin de vie du bâti, allant en s'amplifiant avec le vieillissement des constructions des années 1980 ou 1990 encouragées par les avantages fiscaux pour l'investissement locatif.

Hormis ce phénomène générationnel, les tensions sur l'immobilier au cours des dernières années et la hausse des coûts de construction ont conduit à la construction de logements à bas coût, mais dont le vieillissement, à court terme, est souvent mauvais. Cette qualité médiocre de construction entraîne les copropriétaires dans des dépenses précoces pour de gros travaux, parfois quelques années seulement après sa livraison. Lors de son audition, la Fondation Abbé Pierre mentionnait ainsi l'exemple d'une résidence livrée en 2019 à Bayonne, où l'excès d'humidité a provoqué en quelques mois l'apparition de moisissures, la dégradation des meubles et des troubles respiratoires chez les occupants.

Outre la détérioration du bâti, la localisation et les conditions d'occupation peuvent influer sur la dégradation des copropriétés. Il est observé que la dégradation de la situation d'une copropriété provient d'un double mouvement de vieillissement du bâti et de déqualification du territoire dans lequel il se trouve. La vétusté du bâti peut en effet entraîner un déclassement de la valeur immobilière d'un quartier, conduisant à l'arrivée d'occupants ou de copropriétaires plus précaires. La perte de dynamisme économique d'un territoire, à l'instar de certains centres anciens, favorise également la vacance des bâtiments et donc leur détérioration par manque d'entretien.

À l'échelle d'une copropriété, cette dégradation rapide du bâti cumulée à la paupérisation des copropriétaires entraîne une réduction de la capacité de financement des travaux, qui sont repoussés ou menés de manière partielle. Ce phénomène est renforcé dans le contexte actuel par le renchérissement des coûts des travaux et des charges de copropriété en raison de l'augmentation du prix des matières premières, de la main d'oeuvre.

Comme cela a été rappelé par les représentants de l'agence qualité construction (AQC) lors de leur audition, les travaux partiels sur un bâti ancien sont souvent insuffisants pour améliorer durablement la qualité de vie des occupants.

Afin de suivre l'évolution du bâti ancien et limiter les risques de spirale de dégradation, il conviendrait de conduire, dès les premiers signes de dégradation du bâti, un véritable diagnostic multicritère de la situation de l'immeuble, prenant en compte, outre le diagnostic énergétique, les caractéristiques techniques liées à la date de construction, l'implantation dans l'environnement urbain ou encore la proximité des diverses sources d'énergie. Sur cette base, les copropriétaires seraient en mesure de prescrire et d'échelonner des travaux en ayant un aperçu complet des montants en jeu et des aides financières auxquels ils peuvent prétendre.

b) De nouvelles exigences et de nouveaux coûts en matière de rénovation du bâti pèsent sur les copropriétaires

La préservation de l'état du bâti des copropriétés inclut aujourd'hui de nouvelles considérations en matière de rénovation énergétique et thermique. Ces normes et les travaux afférents peuvent constituer des coûts lourds pour les copropriétaires, fragilisant la situation financière de la copropriété, et nécessitent en conséquence un accompagnement poussé de la part des pouvoirs publics.

Ces dernières années, la lutte contre les effets du changement climatique a conduit le législateur à accentuer les exigences en matière de qualité, de performance énergétique et de décence des logements à trois reprises :

- La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite « loi TECV », qui intègre pour la première fois dans les rapports locatifs un critère de performance énergétique.

- La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui rend objectif ce critère, par renvoi à un seuil maximal de consommation d'énergie (applicable depuis le 1er janvier 2023).

- La loi n° 2021-1104 du 22 août 2022 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et Résilience », qui met en cohérence l'appréciation de la décence au regard de la réforme du Diagnostic de performance énergétique (DPE)35(*). Le texte instaure notamment des exigences nouvelles en matière de rénovation thermique des bâtiments et de réduction de leur consommation d'énergie par la réalisation d'un nouveau diagnostic de performance énergétique, d'un audit énergétique obligatoire en cas de vente de logements de qualité énergétique dégradée, ainsi que par l'interdiction progressive de mise en location des logements qualifiés de « passoires thermiques »36(*).

Ces exigences, alors que l'ANIL estime que 1,6 million de logements sont des passoires thermiques, entraînent néanmoins l'augmentation des coûts d'entretien et de travaux à moyen terme pour les copropriétaires.

Selon le syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI), cette hausse pourrait en effet représenter un investissement moyen de 30 000 à 50 000 euros par logement37(*). Le Plan urbanisme construction architecture (PUCA) indique en outre que les coûts induits par les effets du changement climatique seront certainement plus importants que les seuls coûts liés à la rénovation thermique et énergétique des bâtiments, puisque la construction et l'entretien des logements devront désormais prendre en compte les risques induits par exemple par les vagues de chaleur, les retraits gonflements des sols argileux ou les inondations.

Ce renchérissement des coûts en matière de rénovation énergétique pèse davantage sur de petites copropriétés déjà fragilisées situées dans les centres-villes au bâti vétuste qui présentent des DPE dégradés. Les professionnels de l'immobilier entendus par la commission d'enquête soulignent ainsi les inquiétudes fortes sur les conséquences en matière d'endettement ou d'incapacité des copropriétaires à prendre en charge ces travaux dans le respect du calendrier normatif, malgré l'existence d'aides telle que MaPrimeRénov'Copropriété.

La rénovation énergétique en copropriété souffre par ailleurs de plusieurs difficultés tenant à la spécificité des logements et de la gouvernance de la copropriété.

En effet, la division de la maîtrise d'ouvrage - assurée par le syndicat de copropriétaires pour les parties communes et par chaque copropriétaire sur ses parties privatives - nuit fréquemment à la capacité de procéder à une rénovation sur l'ensemble du bâtiment, alors que cela est nécessaire pour l'optimisation des gains énergétiques. De surcroît, les copropriétaires ne sont pas tous soumis aux mêmes obligations de performance énergétique (les propriétaires bailleurs étant soumis à des normes en matière de DPE depuis la loi « Climat et résilience », sans que ces obligations ne concernent dans la même mesure les propriétaires occupants, les commerces et les bureaux) rendant la gouvernance et la gestion des copropriétés conflictuelles.

2. Le rôle des copropriétaires
a) Les difficultés des copropriétaires précaires à faire face à la dégradation du bâti

De manière unanime, les personnes entendues dans le cadre de la commission d'enquête ont souligné que la possibilité pour une copropriété de réagir à temps face à la dégradation du bâti repose en grande partie sur la situation économique et sociale des copropriétaires.

Sans être la source directe de la dégradation des copropriétés, la paupérisation des copropriétaires et des occupants en serait un symptôme. La progression significative des impayés de charges dans les copropriétés, constatée ces trois dernières années via le RNIC, reflétant la détérioration de la capacité financière des copropriétaires, laisse dès lors présager des conséquences sérieuses à moyen terme en matière de dégradation des copropriétés.

En effet, les difficultés financières des copropriétaires à réinvestir dans les bâtiments pour les maintenir en état ou les remettre à niveau conduisent, d'une part, à l'accumulation des impayés et, d'autre part, à l'accélération de la dégradation des parties communes. Le mécanisme de détérioration se met alors en oeuvre, avec un refus ou une surfacturation de l'intervention de certains professionnels en raison des retards de paiement. Ce surcoût met en difficulté de nouveaux copropriétaires, qui parvenaient jusqu'alors tout juste à assumer le paiement des charges. Le cycle de croissance des impayés et de destruction de la trésorerie qui s'enclenche conduit le syndic à appeler sans cesse plus de charges, pour un entretien de plus en plus médiocre.

L'absence d'information des copropriétaires sur le coût global de fonctionnement de la copropriété avant achat constitue l'un des premiers écueils conduisant à l'accumulation des copropriétaires défaillants. Le professeur Hugues Périnet-Marquet a souligné que l'idéalisation du modèle d'accession à la propriété par des ménages fragiles conduit trop souvent à la fragilisation de copropriétés, « ces acquéreurs ayant suivi ces recommandations, sans se rendre compte qu'ils se trouvaient à la limite de leurs capacités et sans avoir conscience des implications d'un achat en copropriété. De surcroît, ils ont souvent acquis des biens situés dans des immeubles peu chers, dont la qualité technique était loin d'être parfaite. Il en résulte une sorte de double peine : les acquéreurs les plus fragiles occupant les immeubles les plus fragiles, le redressement des copropriétés en difficulté ainsi créées sera d'autant plus ardu qu'il faudra à la fois redresser les finances des copropriétaires et réaliser des travaux plus lourds que dans un immeuble haussmannien à Paris, par exemple »38(*).

Les travaux de la Banque des territoires corroborent cette analyse en démontrant que les occupants du parc privé sous le seuil de pauvreté sont, pour presque la moitié d'entre eux, des copropriétaires. Ces derniers pâtissent fortement du manque d'information sur les conséquences du montage juridique d'une copropriété et notamment sur le coût global de fonctionnement assumé par les copropriétaires.

L'apparition d'impayés et la dégradation de la copropriété qui en résulte entraînent à terme un renouvellement des occupants. Les copropriétaires encore solvables quittent la copropriété de crainte que la perte de valeur immobilière de leurs biens aille en s'accentuant, laissant place à des ménages plus fragiles ou des bailleurs mal intentionnés. L'accession à la copropriété de ménages aux faibles revenus constitue en ce sens un risque dont ils seront les premières victimes.

Les statistiques de l'Anah permettent d'observer un phénomène de superposition géographique des situations de dégradation du bâti et de paupérisation des propriétaires, les copropriétés les plus endettées se concentrant en Seine Saint Denis, dans le Val-d'Oise et dans le Val-de-Marne. De même, les travaux de l'association des petites villes de France indiquent que les petites villes présentant un parc vétuste ou vieillissant connaissent un taux de pauvreté des occupants supérieur à 25 %. Les copropriétaires précaires logés dans un bâti ancien, souvent au sein de petites copropriétés, doivent ainsi faire face à la précarité énergétique de leur bâtiment, représentant soit des charges énergétiques croissantes dans un contexte inflationniste, soit un investissement massif afin d'améliorer la performance énergétique de leur bâtiment.

La Fondation Abbé Pierre souligne également les risques de paupérisation des ménages ayant acquis des logements qu'ils occupaient à la suite de rénovation par des bailleurs sociaux et la création de copropriété mixte. L'USH et le PUCA mettent à ce titre en lumière des risques de détérioration des copropriétés mixtes fondées sur la base d'un bâtiment présentant déjà des pathologies, ou du fait du sentiment de déclassement de locataires par l'arrivée de copropriétaires parmi eux. Les spécificités de gestion des copropriétés mixtes, et notamment le fait que le bailleur copropriétaire n'est pas soumis aux dispositions de l'article 22 de la loi du 10 juillet 196539(*) qui prévoit que « lorsqu'un copropriétaire possède une quote-part des parties communes supérieure à la moitié, le nombre de voix dont il dispose est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires », peut conduire en outre à la démobilisation des nouveaux copropriétaires. Plusieurs analystes soulignent en outre que le passage d'une gestion autonome par un bailleur social à un modèle de copropriété mixte génère des charges plus élevées, susceptibles donc de renchérir les coûts incombant aux ménages primo-accédants40(*).

Pour limiter l'apparition de ces difficultés dans les copropriétés mixtes, plus fragiles, la compagnie des architectes en copropriété préconise notamment un accompagnement accru des nouveaux propriétaires, ainsi que la mobilisation d'une partie des bénéfices de la vente au profit du fonctionnement de la copropriété.

b) La responsabilité de copropriétaires désinvestis ou malveillants

Outre la paupérisation des copropriétaires, l'investissement et la mobilisation de ces derniers sont des composantes lourdes pour la viabilité du fonctionnement de la copropriété. Les recherches en sciences sociales portant sur le modèle de la copropriété rapproche ainsi le concept de tragédie des biens communs développé par Garrett Hardin en 1968 avec la gestion d'une copropriété puisqu'« il peut être dans l'intérêt de chacun de ne pas coopérer, mais il est dans l'intérêt de tous que chacun coopère »41(*).

Me Pierre-Edouard Lagraulet, avocat, a d'ailleurs souligné la myopie et le courtermisme de nombre de copropriétaires qui, titulaires d'un droit de propriété « perpétuel », croient d'autant plus impérissable leur bien qu'ils le détiennent en général moins de dix ans alors que l'immeuble est un bien qui peut périr et nécessite une gestion dans le temps long.

(1) La démobilisation des copropriétaires

Face à l'incapacité des ménages les plus faibles à assurer le versement de leurs charges, les copropriétaires solvables peuvent adopter une stratégie de blocage afin de protester contre les comportements de « passager clandestin » des copropriétaires mauvais payeurs ou la mauvaise gestion par les syndics. Ils peuvent à ce titre créer, par l'exercice de leur droit de vote, leur absence stratégique en assemblée générale, ou l'interruption du versement des sommes dues, les conditions d'une inertie, afin de ne pas engager de frais pour l'entretien des copropriétés. Soliha soulignait d'ailleurs auprès de la commission d'enquête que les copropriétaires votaient en fait deux fois une résolution : la première fois en l'approuvant en assemblée générale et la seconde en payant les charges. Bien entendu, cette stratégie ne fera qu'alimenter la spirale de détérioration des biens, par l'accumulation des retards d'entretien.

Plus déterminant encore, les auditions menées par la commission d'enquête ont permis de mettre en exergue l'importance du taux de propriétaires occupants ou bailleurs dans la trajectoire de la copropriété. Le fait qu'un logement soit en location peut désinciter l'implication régulière de son propriétaire dans la vie de la copropriété. Les bailleurs sont en effet souvent plus réticents à constituer un conseil syndical, à voter des travaux lors des assemblées générales, puisqu'ils n'en bénéficieront que très indirectement, mais en supporteront le coût.

En ce sens, la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) est revenue, lors de son audition, sur les éventuels effets pervers des dispositifs de soutien à l'investissement locatif sur l'état des copropriétés. Selon les observations de la direction, dans la mesure où le dispositif Pinel est considéré comme un simple produit financier, les propriétaires bailleurs sont statistiquement moins investis dans la gestion de leur bien. Ce constat est notamment corroboré par les travaux conduits par l'IGF et le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 2019, dont le rapport soulignait que « la concurrence sur l'acquisition des fonciers pousse les promoteurs à concevoir les logements pour attirer les investisseurs, conduisant à une certaine standardisation des logements et parfois une faible qualité d'usage »42(*). Il a d'ailleurs été signalé à la commission de premières interventions de l'Anah sur des copropriétés de ce type datant des années 2000.

Ainsi, pour les copropriétés majoritairement composées d'appartements en investissement locatif défiscalisé, les élus consultés mentionnent certains risques tels que :

- « la qualité du logement initial, du fait de l'intérêt moindre des investisseurs pour ses caractéristiques ;

- pour l'entretien du logement et de la copropriété en raison :

o de l'absence d'intérêt des propriétaires bailleurs pour la gestion quotidienne de la copropriété ;

o de l'absence d'intérêt pour la qualité de vie dans la copropriété, qui proviendrait majoritairement des propriétaires occupants ;

o d'une relative frilosité à financer des travaux ;

o d'un plus grand taux de rotation des locataires du fait de la qualité moindre des logements, notamment de leur localisation (éloignement des transports en commun) ou de leurs prestations (surface de rangement limité, absence de balcon, mono exposition).43(*) »

Une étude du CEREMA relève à cet égard que les copropriétés contenant plus de 80 % de logements potentiellement en investissement locatif défiscalisé présentent un risque de fragilité et de dégradation élevé44(*). Elle souligne également que ces schémas sont majoritairement observés dans des villes de taille petite ou moyenne, en zone peu dense, où le surcroît d'offre locative ne correspond pas aux besoins du marché local.

L'établissement public foncier d'Île de France (EPFIF), intervenant sur les Orcod-IN, constate également un fort taux de copropriétaires bailleurs dans les copropriétés en voie de dégradation ou dégradées. Au regard de la situation en Île-de-France, il apparaît que le dépassement du seuil de 50 % de taux de propriétaires bailleurs au sein d'une copropriété est un indicateur significatif de fragilisation, notamment dans les secteurs où ces ensembles commencent à décrocher des marchés immobiliers.

Taux de propriétaires bailleurs sur les sites ORCOD-IN d'Île-de-France

Clichy

Copropriétés en redressement

Entre 20 % et 40 %

Copropriétés recyclées

+ de 70 % au démarrage de l'Orcod

Grigny

Copropriétés recyclées

Entre 60 % et 85 % au démarrage de l'Orcod

Mantes

Copropriétés en redressement

Entre 15 % et 40 %

Copropriétés recyclées

80 % au démarrage de l'Orcod

Source : Contribution écrite de l'EPF Île-de-France

(2) Le cas spécifique des bailleurs indélicats, ou marchands de sommeil

Une copropriété en voie de dégradation peut également devenir la cible de bailleurs indélicats, également désignés sous le terme de marchands de sommeil. Ces derniers tirent profit des situations de précarité administrative empêchant certains individus de se loger dignement, et se soustraient aux obligations de règlement des charges et d'entretien ou de rénovation du bâti. Ils entrent dès lors dans un schéma « pro-dégradation »45(*) - l'apparition de marchands de sommeil accélérant drastiquement la détérioration des biens et faisant chuter les prix des biens immobiliers. Le ministre Olivier Klein rapportait, à titre d'exemple, qu'au plus fort de la crise, les appartements du Chêne Pointu, copropriété ayant fait l'objet d'une ORCOD-IN à Clichy-sous-Bois, se vendaient entre 7 000 et 10 000 euros46(*).

Pour les pouvoirs publics, ces situations sont très difficiles à anticiper puisque rien n'empêche un individu d'acheter un logement et rien n'indique les intentions de l'acquéreur. Si l'arsenal juridique, et notamment pénal, a été renforcé ces dix dernières années afin de sanctionner et dissuader plus directement les marchands de sommeil, les auditions conduites par la commission d'enquête ont rappelé les difficultés à identifier ces situations dès leur apparition, notamment en raison de la peur pour les victimes de procéder à un signalement.

Les mesures de répression des marchands de sommeil
et en matière d'habitat insalubre

De multiples acteurs sont en charge de la répression des marchands de sommeil. En première ligne, le maire et le préfet disposent de pouvoirs de police spéciale leur permettant la prise d'arrêtés prescrivant des travaux, hébergements transitoires ou relogements ainsi que, pour le maire, la possibilité d'entreprendre l'évacuation immédiate.

Le droit pénal en vigueur réprime le non-respect de la police en matière d'habitat insalubre, l'hébergement incompatible avec la dignité humaine, ainsi que la pratique dite de location « à la découpe ».

Les dispositions répressives relatives à la lutte contre l'habitat insalubre figurent principalement aux titres I et II du livre V du Code de la construction et de l'habitation, consacrés respectivement à la sécurité et à la salubrité des immeubles, et à la protection des occupants. Les infractions réprimées à titre principal, de peines d'emprisonnement d'un à cinq ans et d'amende de 50 000 à 150 000 euros, sont prévues par les articles L. 511 22 et L. 521 4 de ce code.

Les personnes physiques encourent les peines complémentaires obligatoires suivantes : confiscation des fonds de commerce ou de l'immeuble destinés à l'hébergement des personnes ayant servi à commettre l'infraction et interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale. Les personnes morales encourent à titre principal, outre ces peines complémentaires, une peine d'amende cinq fois plus élevée que celle encourue par les personnes physiques.

La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 a renforcé la répression des marchands de sommeil, en aggravant les peines encourues lorsque la victime est une personne vulnérable, qui sont notamment des ressortissants étrangers en situation irrégulière.

Lorsque ce délit est commis à l'égard de plusieurs personnes ou d'un mineur, ces peines sont aggravées à sept ans d'emprisonnement et à une amende de 200 000 euros. Quand ce délit est commis contre plusieurs personnes parmi lesquelles figurent un ou plusieurs mineurs, la peine prévue est portée à dix ans d'emprisonnement et à une amende de 300 000 euros.

Enfin, la loi du 9 avril 2024 relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement aggrave les peines prévues par les articles 225-14 et 225-15 du code pénal.

Les obligations de signalement au procurer de la République des faits susceptibles de constituer des délais réprimés par les articles 225-14 du code pénal et L. 511-22 du code de la construction et de l'habitation concernent respectivement les professionnels de l'immobilier - en vertu de la loi du 2 janvier 1970 - ainsi que les syndics de copropriétés - aux termes de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). La méconnaissance de ces obligations de signalement n'est néanmoins pas pénalement sanctionnée, comme cela est souvent le cas s'agissant des obligations de signalement au procureur.

Au cours de son audition devant la commission d'enquête, le directeur des affaires criminelles et des grâces notait cependant que « l'introduction d'une sanction pour les opérateurs immobiliers qui n'auraient pas signalé des situations dont ils auraient eu connaissance renforcerait le dispositif répressif »47(*).

Outre les enjeux de signalement, la rapidité des procédures d'enquêtes et d'instruction des dossiers gagnerait à être améliorée.

À cet égard, le rapport Hanotin Lutz48(*) proposait de confier de nouveaux pouvoirs aux agents de police municipale ainsi qu'aux inspecteurs de salubrité assermentés, mobilisés pour l'instruction des procédures, afin qu'ils puissent procéder à des auditions libres49(*) des mises en cause et de procéder à des rappels à la loi.

Interrogée à ce sujet lors de son audition par la commission d'enquête, la Direction des affaires criminelles et des grâces a confirmé l'intérêt d'une telle extension de pouvoirs qui « permettrait d'avancer plus rapidement que s'il fallait mobiliser les services d'enquête ».

Proposition : Accélérer la lutte contre les marchands de sommeil par l'introduction de sanctions en cas de manquement à l'obligation de signalement incombant aux syndics et par l'attribution de nouveaux pouvoirs d'enquête aux services municipaux.

3. Le modèle juridique singulier de la copropriété : la gouvernance impossible ?

La détérioration de l'état du bâti et la paupérisation des copropriétaires n'expliquent pas à elles seules la trajectoire de dégradation d'une copropriété. La gouvernance de celle-ci peut lui permettre de faire face à ces différentes difficultés, à la condition que l'ensemble des acteurs responsables se mobilisent et agissent de manière éclairée.

En ce sens, la compréhension, l'appropriation et le respect du modèle de fonctionnement de la copropriété encadré par la loi du 10 juillet 1965 sont primordiaux pour son évolution. Ce modèle est néanmoins aujourd'hui confronté à la complexification des structures de copropriété d'une part, notamment dans les grands ensembles, mais également, d'autre part, aux difficultés des plus petites structures à assumer l'ensemble des exigences et des règles posées par le cadre juridique de 1965.

a) La copropriété, toute la complexité d'un droit fondamental partagé

La copropriété constitue une association financière et juridique de ses copropriétaires, qui doit parvenir à concilier la pluralité des droits qu'elle implique avec l'individualisme qui caractérise le droit de la propriété en droit français.

Ce modèle a son origine dans la loi du 28 juin 1938, premier texte consacrant un véritable statut de la copropriété des immeubles divisés par étages, qui laissait aux copropriétaires le soin de définir le mode d'administration des parties communes, ce qui a engendré de nombreuses dérives. Elle s'inspirait de la « coutume de Grenoble », qui au XVIIIe siècle, a mis au point, pour la première fois, un mode de gestion partagé des parties communes face à la construction d'immeubles plus hauts et plus larges, à la suite d'un grand incendie qui ravagea la ville. Mais c'est la loi du 10 juillet 1965 qui en fixe le statut contemporain et qui répond à la vague de construction de l'après-guerre.

Il en résulte un modèle de gestion qui s'apparente à celui de l'indivision, en raison de la responsabilité commune et de la solidarité financière des copropriétaires, là où d'autres pays ont préféré un régime plus similaire à celui du droit commercial. En Suisse, par exemple, la solidarité financière entre copropriétaires est inexistante : si un copropriétaire ne paie pas ses cotisations, la communauté doit le poursuivre et ne peut se contenter de répartir les charges sur le reste du syndicat.

Conçu pour régir les petites copropriétés construites dans les années 1965, représentant à l'époque moins de 10 % des résidences principales, le modèle français de « copropriété-indivision » concerne actuellement presque un tiers des résidences principales. Il régit notamment de grands ensembles dont l'architecture juridique complexe s'adapte difficilement à la gouvernance proposée par la loi du 10 juillet 1965, qui n'a pas été conçu pour permettre des prises de décision au sein d'un syndicat composé de plusieurs centaines - voire de milliers - de copropriétaires.

La loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, loi fondatrice du modèle
de la copropriété à la française

La loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixe le statut de la copropriété des immeubles ou groupes d'immeubles bâtis dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables.

Le chapitre II de la loi de 1965 encadre les différentes instances veillant à la bonne administration de la copropriété. Il définit notamment le fonctionnement de l'assemblée générale, le rôle du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic de copropriété, et fixe les majorités applicables (majorité simple, absolue ou double majorité).

Il confie au syndic, qui peut être bénévole ou professionnel, l'exécution des dispositions du règlement de copropriété et des délibérations de l'assemblée générale, l'administration l'immeuble, sa conservation et l'exécution de tous travaux nécessaires à la sauvegarde de celui-ci. Le syndic assure en outre la gestion comptable et financière du syndicat, ainsi que les démarches relatives à l'immatriculation du syndicat de copropriétaires et l'information des occupants de la copropriété des décisions prises par l'assemblée générale.

Si elle ne définit pas la notion de copropriété dégradée, la loi du 10 juillet 1965 reconnaît néanmoins plusieurs stades de dégradation de la copropriété :

- l'article 29-1 A, introduit par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, prévoit qu'une copropriété dont les impayés atteignent 25 % des sommes exigibles à la clôture des comptes, ou n'ayant pas approuvé ses comptes depuis deux ans peut recevoir l'assistance d'un mandataire ad hoc.

- l'article 29-1, introduit par la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat, prévoit que lorsque l'équilibre financier du syndicat est gravement compromis ou si le syndicat est dans l'impossibilité de pourvoir à la conservation de l'immeuble, le président du tribunal judiciaire peut désigner un administrateur provisoire chargé de prendre les mesures nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal de la copropriété.

- l'article 29-11, introduit par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, prévoit qu'une copropriété dont la situation financière ne permet pas de réaliser les travaux nécessaires à la conservation et la mise en sécurité de l'immeuble, la protection des occupants, la préservation de leur santé et la réduction des charges de copropriété permettant son redressement financier peut être placée par le juge sous administration provisoire renforcée.

En tant qu'elle permet de concilier propriété individuelle et intérêts collectifs, la loi du 10 juillet 1965 a élaboré un modèle innovant et inédit en droit français, sans néanmoins se défaire d'une complexité juridique qui mine régulièrement le bon fonctionnement des copropriétés.

(1) La méconnaissance des copropriétaires du fonctionnement de la copropriété

Aussi, la capacité des copropriétaires à s'emparer du fonctionnement démocratique de la copropriété, ainsi que celles du conseil syndical et du syndic à mener les missions qui leur sont attribuées sont déterminantes pour assurer le bon fonctionnement de la copropriété. La mauvaise compréhension ou le désinvestissement des copropriétaires dans son fonctionnement ainsi que le manque de sérieux ou de professionnalisme du syndic peuvent contribuer à l'accélération des dysfonctionnements au sein de la copropriété ainsi qu'à sa dégradation.

Dans son ouvrage intitulé La copropriété en difficulté : faillite d'une structure de confiance, Marie Pierre Lefeuvre a montré que les difficultés d'une copropriété tenaient à des dysfonctionnements de gouvernance, et que seuls l'assemblée générale des copropriétaires, le conseil syndical et le syndic étaient à même d'inverser un processus de dégradation. Les variables d'organisation de la copropriété, notamment la capacité d'anticipation des copropriétaires face au risque de dégradation, et la dynamique interne de la copropriété, c'est-à-dire le degré d'organisation du syndicat de copropriétaires déterminent la nature cohérente ou préjudiciable des décisions50(*).

Les actions de prévention contre les risques de dégradation des acteurs de l'immobilier et de la puissance publique doivent dès lors, outre la régulation par le droit, viser spécifiquement l'accompagnement des copropriétaires.

Les personnes entendues par la commission d'enquête ont ainsi rappelé à maintes reprises les difficultés, notamment des primo-accédants, à appréhender les responsabilités, dont les responsabilités financières, qui découlent du modèle spécifique de la copropriété. Cela est d'autant plus nécessaire pour des ménages précaires issus de milieux familiaux éloignés de la copropriété, ou originaires de pays où le modèle de la copropriété est inexistant.

Le manque d'information de certains ménages peut en effet conduire à la prépondérance des copropriétaires les mieux informés dans les choix de gouvernance. L'asymétrie de gouvernance et le désinvestissement de certains copropriétaires favorisent en conséquence une approche individuelle de la gestion du bien partagé, en fonction des capacités financières et des intérêts d'une partie seulement des parties prenantes au détriment de choix collectifs et rationnels. Ce phénomène est particulièrement préjudiciable pour les petites copropriétés ayant constitué un syndic bénévole, qui n'est pas toujours en mesure de faire valoir l'intérêt collectif.

(2) La responsabilité centrale des syndics de copropriété

Les syndics détiennent une lourde responsabilité dans le fonctionnement d'une copropriété. Ils constituent le plus souvent un tiers de confiance permettant de résoudre des blocages de gouvernance et accélérer la prise en charge et l'exécution des décisions prises en assemblée générale. Ils peuvent également remédier au manque de compréhension du fonctionnement de la copropriété par les copropriétaires. En assurant la bonne exécution du règlement de copropriété, un syndic peut pallier les difficultés de compréhension de ce document juridique central, mais souvent peu compréhensible pour les copropriétaires.

À l'inverse, un syndic peu rigoureux peut accentuer les difficultés d'une collectivité.

b) Un concept inadapté aux grands ensembles ?

Le partage de responsabilité intrinsèque au modèle de la copropriété défini par la loi du 10 juillet 1965 peut se heurter à la complexité juridique que présentent certains montages architecturaux, notamment dans les grands ensembles.

En effet, de nombreuses complexités juridiques caractérisent les grands ensembles : il est fréquent qu'une même copropriété regroupe de multiples bâtiments, ou qu'elle inclue des espaces partagés tels que des dalles, des espaces verts, supposant la concertation d'un nombre très élevé de copropriétaires. Ces grands ensembles, particulièrement développés dans les zones périurbaines dans les années 1970-1980, sont depuis plusieurs décennies des exemples emblématiques de copropriétés dégradées. Cela s'explique, outre la dégradation du bâti, par la difficulté de conserver une gouvernance saine, dans le respect des règles de participation et de majorité, lorsque le nombre de copropriétaires dépasse certains seuils.

Le ministre Olivier Klein témoignait ainsi devant la commission d'enquête de lourdes difficultés à réunir le quorum nécessaire pour tenir une assemblée générale dans les deux copropriétés composant le Chêne Pointu, l'une regroupant 800 logements et la seconde 700. De même, Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, citait l'exemple de Grigny 2, comptant 5 000 logements, pour laquelle il était nécessaire de convoquer l'assemblée générale dans un stade. Le modèle reposant sur la responsabilité de chaque copropriétaire apparaît en ce sens difficilement compatible avec des ensembles surdimensionnés, dès lors particulièrement exposés au risque d'inertie dans la prise de décision, et donc à la spirale de la dégradation.

D'autres montages alliant maisons individuelles et immeubles collectifs, mutualisation de certains services pour des copropriétés distinctes ou superposition de strates de copropriétés régies par la loi de 1965 et des associations syndicales libres (ASL) rencontrent des difficultés pour la prise de décision tenant à la complexité de certains règlements de copropriété, avec des clés de répartition de charges démultipliées et des responsabilités partagées.

Ces montages complexes impliquent une opacité de gestion en raison de la multiplicité des gestionnaires, ainsi que des frais de gestion plus importants (multiplication des assemblées générales, des syndics). Là encore, la complexité juridique de ces structures rend difficile la gouvernance saine de la copropriété et ouvre la voie vers une dégradation progressive du bien, en raison du désintéressement de la chose commune par les copropriétaires, de la difficulté de cogestion et des surcoûts induits.

Le rapport Braye préconisait à cet égard, la consultation, dès l'élaboration des projets, des syndics et professionnels de l'immobilier en capacité de présenter les enjeux de gestion ultérieure. Le professeur Jean-Marc Roux rappelait également devant la commission d'enquête la nécessité de réduire les unités de gestion, en prévoyant notamment un syndicat de copropriétaires par bâtiment dans les grands ensembles afin de permettre l'émergence de « copropriétés à taille humaine ».

c) Un outil trop complexe pour les petites copropriétés ?

La loi du 10 juillet 1965 présente également à certains égards un cadre peu adapté aux petites copropriétés, qui cumulent souvent les difficultés de gestion malgré les assouplissements apportés aux plus petites d'entre elles.

Les dispositions spécifiques aux très petites copropriétés

Lorsque le syndicat des copropriétaires comporte au plus cinq lots à usage de logement, de bureau ou de commerce, ou lorsque le budget prévisionnel moyen du syndicat des copropriétaires sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15 000 euros :

- le syndicat n'est pas tenu de constituer un conseil syndical ;

- il n'est pas tenu à une comptabilité en partie double et ses engagements peuvent être constatés en fin d'exercice ;

- dans le cas où le syndicat a adopté la forme coopérative et n'a pas institué de conseil syndical, l'assemblée générale désigne le syndic parmi ses membres ;

- les décisions (sauf celles relatives au vote du budget prévisionnel et à l'approbation des comptes) peuvent être prises à l'unanimité des voix des copropriétaires à l'occasion d'une consultation écrite, sans qu'il y ait lieu de convoquer une assemblée générale.

Source : commission d'enquête, à partir des articles 41-8 et suivants de la loi n° 65-55
du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

Les petites copropriétés sont en effet soumises à un risque particulier : la défaillance d'un ou deux copropriétaires peut suffire à mettre les comptes en difficulté, entraînant très rapidement le transfert du risque sur le reste des copropriétaires. Ce risque est intrinsèquement lié aux difficultés de mise en oeuvre des règles de majorité dans ces petites copropriétés des centres anciens et des centres bourgs. Lorsque s'y trouvent des fonds de commerce ou des bailleurs non occupants, moins impliqués dans le traitement de la copropriété, le blocage dans la prise de décision est hautement plus probable. De plus, un conflit de voisinage ou la perte de confiance des copropriétaires dans la capacité collective des membres du syndicat à se mettre d'accord pour prendre en charge l'entretien de la collectivité peut très rapidement paralyser complètement la gouvernance de la copropriété.

Il en résulte un décalage fréquent entre les obligations et le cadre normatif posé par la loi de 1965 (notamment l'obligation d'avoir un syndic, un compte bancaire séparé et de tenir une comptabilité) et le fonctionnement ordinaire des petites copropriétés, qui s'organisent souvent de manière informelle, dysfonctionnelle et non conforme au droit51(*).

L'agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL) indique que les petites copropriétés sont les plus nombreuses à faire l'objet d'une absence complète de gestion en raison notamment de la difficulté à recourir à un syndic professionnel. Or les copropriétés sans syndic peuvent, par défaut, être considérées comme « fragiles » ou « dégradées », en partant de l'idée qu'il manque à ces copropriétés une instance de gestion52(*).

Lorsqu'elles se dotent d'un syndic, nombre de petites copropriétés en zone diffuse font le choix d'un syndic bénévole. Ce choix est motivé par des raisons financières - le recours à un syndic professionnel constituant un surcoût estimé entre de 30 à 50 % du budget par l'Unis - ainsi que par la réticence des syndics professionnels à accepter la gestion de la copropriété, d'autant plus si le bâti est dégradé et/ou en cas de mésentente entre les copropriétaires.

Le bénévolat assuré par les copropriétaires suppose néanmoins, sans exclure sérieux et bonne volonté, une absence de formation professionnelle voire de qualification dans l'exercice de missions juridiques pourtant complexes, et constitue dès lors un risque de fragilisation pour de petites structures présentant fréquemment des enjeux de vétusté du bâti. Si des exonérations et des aménagements ont été mis en place afin d'aider et de simplifier les missions confiées aux syndics bénévoles, ces derniers se heurtent régulièrement à des difficultés face aux questions de conservation, de planification des travaux, de DPE, de PPT, qui supposent de chercher des financements, de contacter des entreprises, et donc un investissement quasi quotidien.

Plus les difficultés s'accumulent au sein de ces petites structures, plus le besoin d'accompagnement d'un syndic professionnel se fait sentir, alors que dans un mouvement inverse, la gestion de la copropriété devient de moins en moins attractive et de plus en plus risquée pour un éventuel professionnel de l'immobilier.

Afin d'encourager les syndics professionnels à investir le marché des petites copropriétés en difficulté, certaines collectivités nomment un référent copropriété qui rencontre régulièrement les syndics de son territoire. Le soutien de la commune aux copropriétés peut ainsi faciliter l'accord d'un syndic pour la gestion du bien. En outre, l'association Quali SR déclare avoir identifié plusieurs syndics volontaires afin d'accompagner des copropriétés en difficulté, malgré les conditions précaires de ce type de situation.

d) La loi du 10 juillet 1965 ne couvre pas certaines structures juridiques, au fonctionnement et aux problématiques pourtant similaires à celles des copropriétés

À plusieurs reprises, les auditions de la commission d'enquête ont également permis d'aborder les difficultés rencontrées par les associations syndicales libres (ASL).

Les ASL, personnes morales de droit privé ayant pour but la gestion des espaces communs dans un ensemble immobilier, notamment par l'entretien, la gestion d'ouvrages ou la réalisation d'actions d'intérêt commun (prévention des risques naturels, préservation des ressources naturelles, entretien des plans d'eau), sont encadrées par l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 qui définit le fonctionnement des instances de gouvernance (assemblée des propriétaires, syndicat, président et vice-président) ainsi que par le décret n° 2006-504 du 3 mai 2006.

Ces structures se distinguent des copropriétés par leur objet (elles ne peuvent régir d'immeuble), les obligations qui incombent aux copropriétaires (ces derniers pouvant demander leur retrait de l'association), ainsi que par les modalités de prises de décision, plus souples (pas de règles de majorité similaires à celles définies par la loi du 10 juillet 1965). Elles octroient en outre une voix bien plus faible à l'ensemble des membres de l'association, les décisions relevant avant tout des syndics, ce qui explique que ce type de structure soit employé pour la gestion d'équipements secondaires tels que les jardins, les réseaux ou les chaufferies.

Une note de recherche du Plan urbanisme construction architecture (PUCA) de septembre 2022 pour l'Anah et transmise à la commission d'enquête montre que ces ASL peuvent être assimilées à des copropriétés dégradées. Elles en ont toutes les caractéristiques sauf juridiquement et sont très proches des homeowners associations américaines. Pour autant quasiment aucune recherche n'est menée sur le sujet. Les ASL ne sont pas immatriculées au RNIC et la connaissance est très faible à leur sujet. Dans ses réponses à la commission d'enquête, l'Anah a toutefois fait part d'une étude du CEREMA indiquant qu'il y aurait 24 000 ASL en France représentant entre 600 000 et 800 000 logements, dont 500 000 maisons individuelles.

Le PUCA remarquait en outre que nombre d'ASL se retrouvent en risque juridique depuis mai 2008 puisque les articles 5 et 63 de l'ordonnance de 2004 relative aux ASL, qui en renouvellent les statuts, retirent le droit aux copropriétés qui n'ont pas mis en conformité leurs statuts d'« agir en justice, acquérir, vendre, échanger, transiger, emprunter et hypothéquer [...]. ». Concrètement, celles qui n'ont pas mis leur statut en conformité ne peuvent prétendre à aucune action en justice - en particulier, ne peuvent faire de poursuite en cas d'impayés. Or certaines ne peuvent changer leur statut qu'à l'unanimité de l'ensemble des propriétaires : un copropriétaire endetté peut donc y bloquer facilement toute possibilité de recours. Ce risque juridique est un élément supplémentaire favorisant l'entrée des ASL concernées dans un cycle de dégradation.

Enfin, il est à noter que la frontière entre ASL et copropriété n'est pas totalement régie par le droit, mais dépend aussi du choix initial du promoteur. Un ensemble de pavillons peut ainsi être soumis ou bien à la loi de 1965, ou bien organisé en ASL ; un ensemble de bâtiments peut ou bien relever d'une seule et unique copropriété, ou bien être organisé en une ASL regroupant autant de copropriétés qu'il existe de bâtiments. Selon l'Anah et le CEREMA, près de la moitié des ASL aurait été construite après 1994 montrant la préférence récente des aménageurs pour cette formule juridique par rapport à la copropriété. Il est donc urgent de les prendre en compte pleinement.

Proposition : Assimiler les ASL à des copropriétés : prévoir leur immatriculation, les intégrer au futur code de la copropriété et modifier l'ordonnance de 2004 pour permettre l'actualisation des statuts juridiques.


* 33 Contribution écrite de l'association Urbanis.

* 34 Insee Références, édition 2017 - Fiches - Propriétaires occupants.

* 35 Applicable progressivement à compter du 1er janvier 2025.

* 36 Sont des passoires thermiques les logements dont le diagnostic de performance énergétique est égal ou inférieur à F.

* 37 Audition.

* 38 Audition de M. Hugues Périnet-Marquet, professeur émérite en droit privé à l'université Panthéon-Assas et de M. Jean-Marc Roux, maître de conférences à l'université Aix-Marseille, le mardi 19 mars 2024.

* 39 Cette dérogation est précisée à l'article L.443-15 du code de la construction et de l'habitation.

* 40 Le droit de la copropriété des immeubles bâtis, une solution adaptée aux enjeux des bailleurs sociaux ? Marie-Aline Verdier, Sciences de l'ingénieur, 2020, p.20.

* 41 La copropriété en difficulté - Faillite d'une structure de confiance. Marie-Pierre Lefeuvre, éditions PUCA, 1999.

* 42 Évaluation du dispositif d'aide fiscale à l'investissement locatif Pinel, Inspection générale des finances et Conseil général de l'environnement et du développement durable, novembre 2019.

* 43 Ibid.

* 44 Étude exploratoire : les logements produits grâce à l'investissement locatif aidé des ménages. Phase 6 : Rapprochement des études sur l'investissement locatif et sur les copropriétés, CEREMA, octobre 2014.

* 45 Éva Simon. L'action publique locale sur les copropriétés dégradées : des politiques publiques différenciées et inégales à Lyon, Marseille et Grenoble. Science politique. Université Grenoble Alpes, 2017.

* 46 Audition du ministre Olivier Klein.

* 47 Propos de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, lors de son audition devant la Commission d'enquête le 8 avril 2024.

* 48 Rapport de la mission relative aux outils d'habitat et d'urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l'habitat indigne, remis à Patrice Vergriete, ministre du Logement, le 23 octobre 2023, par Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire de Mulhouse.

* 49 L'audition libre, encadrée par l'article 61-1 du code de procédure pénale, permet aux policiers, aux gendarmes et aux fonctionnaires dotés de pouvoirs de police judiciaire d'entendre une personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction punie ou non d'une peine d'emprisonnement. La personne est entendue sans contrainte et peut quitter les lieux à tout moment.

* 50 A. Bourdin, O. Saint Raymond et M.C. Lutrand, 1991.

* 51 Les petites copropriétés sans syndic - une catégorisation pertinente ? Cahier Copropriétés n° 2, PUCA, Tess Simallaud, 2021.

* 52 Ibid.

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