B. QUELLES SONT LES CAUSES DE LA FRAGILISATION ?

Une copropriété ne naît pas fragile, elle le devient. Il n'y a pas d'explication unique en la matière mais plutôt un faisceau de facteurs.

Il y a tout d'abord un phénomène de vieillissement des immeubles qui se manifeste aussi bien dans les centres anciens et sur les grands ensembles d'après-guerre que dans des copropriétés construites sur la base d'avantages fiscaux pour l'investissement locatif dont les propriétaires sont éloignés et peu concernés.

Il y a ensuite les difficultés propres des copropriétaires. Contrairement à une idée répandue, le parc privé accueille deux tiers des ménages situés sous le seuil de pauvreté et la moitié d'entre eux sont propriétaires occupants. Plus d'un million de propriétaires modestes ou très modestes seraient copropriétaires. À ces difficultés structurelles s'ajoutent l'accroissement des charges liées aux prix de l'énergie et l'obligation de réaliser dans un délai rapproché d'importants travaux de rénovation énergétique. Peut également s'ajouter un vieillissement des copropriétaires eux-mêmes, disposant de moins de ressources et moins à même de s'investir dans la vie de leur immeuble.

Dès lors, le cycle vicieux de la dégradation de la copropriété peut rapidement s'enclencher (ci-dessus le schéma issu de la thèse d'Eva Simon, 2017). Les impayés, les conflits, le blocage des organes de gestion, l'augmentation des charges, l'absence de travaux d'entretien s'alimentent et s'amplifient. Cela entraîne la dégradation des locaux et la dévalorisation du bien, l'arrivée de copropriétaires plus pauvres mais aussi de marchands de sommeil amplifiant le blocage et la dégradation pour mieux prendre la main sur la copropriété. D'autres trafics peuvent s'y incruster.

À un stade avancé de dégradation, une copropriété peut être essentiellement composée de propriétaires bailleurs. Il y en avait plus de 70 % au démarrage des opérations de redressement à Clichy-sous-Bois, Grigny ou Mantes-la-Jolie.

En fait, ces copropriétés prises dans la spirale de la paupérisation qui deviennent un « parc social de fait » sont l'un des symptômes de la grave crise du logement et de l'hébergement, la dernière solution de ménages ne pouvant accéder au logement social ou un piège pour des accédants à la propriété.

C. LES LIMITES DES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ET DE REDRESSEMENT

Les élus locaux ne sont souvent que tardivement informés. Les outils disponibles ne sont pas toujours utilisés.

Les pouvoirs publics peinent à détecter,
à prévenir ou à contrer les phénomènes de dégradation.

Les copropriétés n'ont presque jamais recours au mandat ad hoc qui devrait formuler un diagnostic et des préconisations. Il n'y en a eu que 56 en 2022 sur tout le territoire. D'autres dispositifs préventifs comme le POPAC1(*) ont une durée et une portée trop limitées.

Les syndics peuvent parfois être partie prenante de la dégradation mais ils sont aussi souvent prisonniers du blocage, n'étant que les mandataires d'une assemblée générale devenue dysfonctionnelle et pas toujours en capacité d'enrayer les impayés. Il en est de même des administrateurs judiciaires pas toujours suffisamment préparés pour mener une véritable opération de redressement.

Les difficultés spécifiques à certaines copropriétés pointent les limites inhérentes à cette forme juridique qui peut entraîner des blocages car elle est peu adaptée aux grands ensembles comme aux plus petits.

Fondamentalement, la loi de 1965 est plus proche de l'organisation d'une propriété en indivision que par exemple des règles de fonctionnement d'une société par actions. Cela se manifeste par la protection du droit de propriété à travers des majorités spécifiques avec des cas où l'unanimité est requise - ce qui est complètement impossible au-delà d'un certain nombre de copropriétaires - ou à travers la faible délégation de pouvoirs de l'assemblée générale que ce soit au syndic ou au conseil syndical.

Il faut également prendre en compte le courtermisme de copropriétaires qui perçoivent l'immeuble comme immuable, alors qu'il est en réalité périssable, et veulent minimiser leurs charges ou leurs gains locatifs et n'intègrent pas la nécessité de faire des travaux pour préserver l'immeuble sur

le moyen et le long terme.

Mais il convient également d'élargir le champ et de prendre en compte les Associations syndicales libres. Sans être reconnues comme telles, ce sont pourtant des copropriétés horizontales de fait qui permettent l'organisation de lotissements mais aussi de grands ensembles. En Essonne, 50 % des ASL seraient considérées comme dégradées et le PUCA considère ces cas comme typiques de lotissements vieillissants et mal gérés qui se multiplient en France.

C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont mis en place une panoplie de plus en large d'outils d'intervention.

Les plus emblématiques d'entre eux sont, sur le volet juridique et depuis 2014, les opérations de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD) dont cinq sont d'intérêt national, les ORCOD-IN, et sur les plans financiers et du pilotage, le Plan initiative copropriétés (PIC - ci-dessus) lancé en 2018 et mobilisant les grands acteurs du logement (Anah, ANRU, Procivis, CDC Habitat, Action Logement, USH, EPF) et doté de 3 milliards d'euros pour traiter un nombre limité de grands ensembles particulièrement en souffrance.

Le retour des acteurs est très positif car il y a vraiment un avant et un après cette mobilisation. C'est palpable tant à Grigny qu'à Clichy-sous-Bois. Mais ces opérations sont extrêmement complexes et longues et durent au moins vingt ans.

En dehors de ces grands sites, la prise en charge des copropriétés en zone diffuse à travers la mosaïque des outils existants : VOC, POPAC, OPAH, PIG, ORI, ORT ou PDS est beaucoup plus problématique faute de moyens suffisants ou s'inscrivant dans des durées adaptées. Par ailleurs, les programmes Action Coeur de Ville ou Petites villes de demain ne ciblent pas systématiquement les copropriétés. Malgré les chiffrages encourageants qui ont été transmis à la commission d'enquête, les différents acteurs peinent à identifier vraiment un volet spécifique pour traiter la question. C'est un point que la commission a identifié dès le départ de ses travaux et qui s'est confirmé par la suite. Les petites copropriétés, quelle que soit la taille des communes, sont bien dans un angle mort des politiques publiques actuelles.


* 1 Programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés.

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