B. LA RÉFORME DU PILOTAGE DES INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS DE LA GENDARMERIE RENFORCERAIT SA CAPACITÉ À MAINTENIR EN ÉTAT SON PARC DOMANIAL
1. Le déficit d'investissement dans la maintenance du parc domanial peut être corrigé en priorisant les investissements à court terme et en sécurisant une trajectoire pluriannuelle d'investissements
Le sous-investissement chronique de la gendarmerie en matière de maintenance et de réhabilitation des immeubles de son parc domanial se traduisent pas un risque de vétusté des logements et des locaux de service des gendarmes qui peut se traduire par une dégradation immédiate de leurs conditions de vie et de travail.
En effet, la « dette grise » de 2 208 millions d'euros accumulée entre 2014 et 2023 sur le parc domanial se traduit nécessairement par la dégradation de certains immeubles domaniaux occupés par la gendarmerie. La gendarmerie nationale a indiqué à ce titre que 1 092 bâtiments du parc domanial comportaient au moins un composant considéré comme vétuste48(*).
Le rapporteur, qui a constaté lors de ses déplacements le niveau de dégradation de certains casernements, aussi bien dans les locaux de service et techniques que dans certains logements particulièrement anciens, souligne que le maintien en état du parc immobilier de la gendarmerie est un enjeu en lien direct avec l'efficacité opérationnelle de la gendarmerie. En effet, dans une période de relance des recrutements de la gendarmerie nationale qui correspond à la création de nouvelles brigades territoriales, il est indispensable d'être en mesure de fournir aux gendarmes un cadre de travail et de vie adapté. L'investissement en matière de maintien en état du parc domanial est à ce titre également un investissement au soutien de l'attractivité de la gendarmerie pour attirer et conserver les personnels nécessaires à son fonctionnement.
Pour apporter une réponse rapide aux situations les plus graves de vétusté de certains immeubles, la gendarmerie a déjà engagé des exercices d'identification des « points noirs immobiliers » (PNI) du parc, c'est-à-dire des bâtiments à traiter en priorité. En particulier, le plan « poignée de porte » réalisé en 2020 à l'initiative du ministre de l'intérieur et à l'échelle de l'ensemble du ministère a permis à la gendarmerie de financer 1 700 opérations courantes pour un montant global de 15 millions d'euros. Si ce plan a permis de réaliser des opérations utiles, le rapporteur relève son caractère ponctuel et l'absence d'outil de suivi en continu et systématique des points noirs immobiliers du parc de la gendarmerie.
Au regard de l'importance de rendre visible pour les gendarmes et leurs familles la prise en compte de leur qualité de vie dans l'élaboration de la politique immobilière de la gendarmerie, le rapporteur estime qu'un plan d'intervention d'urgence sur les « points noirs » du parc domanial pourrait être reconduit chaque année. À cet effet, il recommande d'établir un outil de centralisation des « points noirs immobiliers » constatés dans les casernes par le commandement de proximité.
À partir de cet instrument d'identification, et pour assurer un suivi administratif et politique, sur le temps long, de cette dynamique de réinvestissement pour améliorer le quotidien des gendarmes et de leurs familles, le rapporteur recommande de publier49(*) au début de chaque année une liste de « points noirs » à traiter en cours d'exercice, ce qui permettrait de rendre à la fois visibles et objectifs les efforts faits par la gendarmerie pour répondre aux situations immobilières les plus critiques.
Recommandation n°5. Identifier les investissements prioritaires d'entretien à court terme en publiant chaque année une liste de « points noirs immobiliers » correspondant aux urgences bâtimentaires devant être traités et en garantissant un suivi transparent des actions (DGGN).
Corrélativement au traitement visible et rapide des situations d'urgence bâtimentaire pour améliorer le quotidien des gendarmes et de leurs familles, il est impératif de corriger le déficit structurel d'investissement dans le maintien en état du parc domanial de la gendarmerie. En effet, la vétusté de certains bâtiments qui sont occupés par la gendarmerie est le résultat d'un phénomène de long terme qui est le sous-investissement dans la maintenance du parc domanial. L'accumulation des années de sous-investissement a abouti à une dette grise qu'il est nécessaire de stabiliser puis de résorber. Par ailleurs, le traitement des « points noirs immobiliers » doit être réalisé parallèlement à une dynamique de réinvestissement dans la maintenance des immeubles de la gendarmerie pour répondre aux causes structurelles de la vétusté de certains bâtiments en même temps qu'à ses manifestations les plus visibles.
Le rapporteur relève à ce titre que le sous-investissement dans la maintenance immobilière n'est pas récent et que l'écart significatif et répété entre les besoins d'investissement du parc domanial et les investissements effectivement réalisés témoigne de la difficulté structurelle à maintenir en état les immeubles de la gendarmerie au regard des contraintes budgétaires existantes. Il est regrettable à cet égard que les crédits budgétaires de maintenance immobilière soit utilisés comme une « variable d'ajustement » pour dégager des marges de manoeuvre en cas de dépenses imprévues. L'annulation fréquente des crédits mis en réserve pour la maintenance immobilière illustre ce risque qui explique une partie du sous-investissement de la gendarmerie dans le maintien en état de ses bâtiments. En 2023, alors que les besoins de financement pour maintenir le parc domanial était estimé à 77 euros par m2, la gendarmerie n'a dépensé que 23 euros par m2 ce qui contribue à la poursuite d'une trajectoire de dégradation de la « dette grise » de son parc immobilier.
Il est à relever que les investissements dans la maintenance des bâtiments ont pour particularité, à la différence de l'inauguration d'un nouvel immeuble ou de l'achat de matériels, de ne pas être immédiatement visibles des usagers. Cette « invisibilité » à court terme des investissements de maintenance immobilière explique le déficit d'investissement qui se traduit à long terme par des surcoûts pour l'État et la gendarmerie, laquelle se voit contrainte d'abandonner des casernes domaniales dont l'état de criticité ne permet pas la réhabilitation.
Dépenses de maintenance du parc domanial de la gendarmerie en 2023
(en euros par m2)
Source : commission des finances, d'après les données de la gendarmerie nationale
Pour corriger le sous-investissement chronique de la gendarmerie en matière de maintenance de son parc immobilier, et engager une dynamique de réinvestissement sur le long terme pour stabiliser puis réduire la dette grise du parc domanial, la programmation et la gestion des dépenses de maintenance immobilière de la gendarmerie devrait évoluer.
En particulier, il est nécessaire de rendre visible la dette grise du parc domanial, d'en assurer le suivi, et de faire apparaître chaque année les conséquences du sous-investissement dans la maintenance de ce parc. L'objectif de ce suivi est de limiter le recours aux crédits de maintenance immobilière comme variable d'ajustement budgétaire. Pour renforcer la visibilité des investissements de maintenance immobilière, la publication annuelle, dans le cadre de la documentation budgétaire50(*), d'une trajectoire triennale des dépenses de maintenance immobilière aurait pour conséquence de permettre un contrôle plus transparent de l'effort en matière de maintien en état des bâtiments de la gendarmerie, et notamment d'un contrôle annuel de l'exécution de cette trajectoire à l'occasion de l'examen du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année. Dans ces conditions, tout écart à la trajectoire programmée devrait faire l'objet d'une justification, ce qui aurait un effet désincitatif sur le sous-investissement en matière de maintenance immobilière.
Recommandation n°6. Sécuriser une trajectoire triennale d'investissements immobiliers en maintenance et réhabilitation du parc domanial, en l'intégrant chaque année à la documentation budgétaire relative au programme 152 « Gendarmerie nationale » (DGGN, DB).
2. L'expérimentation d'une foncière du ministère de l'intérieur enrichirait les travaux actuels sur la réforme de la politique immobilière de l'État
Le rapporteur relève que certains des problèmes soulevés par la gestion du parc immobilier de la gendarmerie nationale, et en particulier le déficit d'investissement en matière de maintenance des bâtiments, ne sont pas propres à la gendarmerie nationale ni au ministère de l'intérieur et résultent du modèle de financement de la politique immobilière de l'État.
En effet, le sous-investissement chronique en matière de maintenance bâtimentaire est le résultat d'une prise en compte insuffisante des intérêts de l'État-propriétaire dans le processus de programmation et d'exécution budgétaire de chaque ministère et de chaque service. Les réformes de gouvernance de la politique immobilière de l'État intervenue en 2006 avec la création du service « France Domaine » puis en 2016 avec la création de la direction de l'immobilier de l'État avaient pour objectif de mieux garantir la défense des intérêts de l'État-propriétaire. Ces réformes successives n'ont toutefois pas modifié le schéma de financement qui repose sur la prise en charge directe des travaux de maintenance et de réhabilitation par chaque ministère pour son parc domanial.
Partant, le sous-investissement en matière de maintenance n'a pas été résorbée et le comité interministériel de la transformation publique continuait de constater en 2018 que « le parc immobilier souffre d'un manque chronique d'entretien, au détriment de la qualité de l'environnement de travail des agents ». Ce constat peut également être fait dans le champ de l'immobilier de la gendarmerie, avec la particularité que pour les gendarmes concernés et leurs familles, ce sont non seulement les conditions de travail mais également les conditions de vie qui sont dégradées par le mauvais état de santé du parc domanial.
Le rapporteur relève à ce titre que le modèle français d'occupation gratuite du parc immobilier public de l'État par ses services et ses opérateurs n'est pas un modèle majoritaire en Europe. Dans la plupart des pays européens, et notamment en Allemagne, en Grèce ou en Suède, la fonction de maintenance du parc immobilier est confiée à un ou plusieurs organismes indépendants qui peuvent être publics ou privés, avec dans certains cas un transfert de la propriété des immeubles à l'organisme concerné. L'objectif de ces modèles alternatifs est de garantir la préservation des intérêts de l'État-propriétaire en assurant le financement des travaux de maintenance et de réhabilitation par les recettes versées par les administrations occupant les bâtiments concernés.
Au regard de l'objectif impérieux de rehausser le niveau d'investissement dans la maintenance du parc domanial du ministère de l'intérieur, qui implique de mieux tenir compte des intérêts de l'État-propriétaire pour les bâtiments concernés, le ministère de l'intérieur a soutenu l'hypothèse d'une expérimentation d'un modèle de « foncière ministérielle » en vue d'une réforme du modèle de gestion de sa politique immobilière.
En particulier, le Livre blanc de la sécurité intérieure de novembre 2020 évoque la possibilité d'expertiser « l'hypothèse de création d'une société foncière »51(*). Le rapporteur relève que cette orientation a été confirmée par le vote de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) du 24 janvier 202352(*) dont le rapport annexé mentionne une réforme d'ampleur correspondant à « la création d'une structure dédiée à la gestion et à l'entretien » du patrimoine immobilier du ministère.
Le rapporteur relève que cette orientation est cohérente avec l'un des trois scénarios évoqués par la Cour des comptes dans un rapport publié en 2023 sur la politique immobilière de l'État qui envisage de « confier le pilotage de la gestion du propriétaire à une structure extérieure aux occupants » (scénario 2). Dans cette hypothèse, les crédits pourraient continuer à être inscrits dans chaque programme budgétaire, par exemple dans le programme 152 « Gendarmerie nationale » dans le cas de la gendarmerie, et abonder le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » en plaçant les dépenses correspondantes sous la responsabilité de la nouvelle structure publique de pilotage de la gestion du propriétaire. Cette structure ne serait pas unique à l'échelle de l'État mais pourrait être spécialisée par région, par type de bâtiment ou par ministère conformément à l'hypothèse de mise en place d'un « gestionnaire immobilier indépendant » sur le périmètre du ministère de l'intérieur.
En dépit des orientations inscrites dans la LOPMI, il a été indiqué au rapporteur que la direction de l'immobilier de l'État menait depuis 2023 un travail de préfiguration en vue de mettre en place une expérimentation relative à la création d'une foncière interministérielle, dans le seul périmètre des fonctions tertiaires des directions départementales interministérielles et en excluant les forces de sécurité intérieure.
Si cette expérimentation apporterait un retour d'expérience précieux sur la faisabilité technique et l'efficacité du modèle de foncière interministérielle, elle ne permettrait pas de comparer les résultats de ce modèle avec celui promu pour le ministère de l'intérieur par la LOPMI correspondant à la création d'un « gestionnaire immobilier indépendant » à l'échelle du ministère de l'intérieur.
À ce titre, le rapporteur estime que la mise en place d'une expérimentation, sur un territoire et pour une période limités, du modèle de « gestionnaire immobilier indépendant » à l'échelle du ministère de l'intérieur, en incluant les forces de sécurité intérieure et donc l'immobilier de la gendarmerie nationale, apporterait un éclairage complémentaire à l'expérimentation actuellement envisagée. Le rapporteur relève par ailleurs que la conduite d'une évaluation approfondie de cette expérimentation serait nécessaire pour compléter les enseignements tirés de l'expérimentation relative à la foncière interministérielle et établir un diagnostic complet sur les différentes voies de réforme possibles de la gestion de la politique immobilière de l'État, du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale.
Recommandation n°7. Expérimenter la création d'un « gestionnaire immobilier indépendant » sur le périmètre du ministère de l'intérieur et en assurer une évaluation approfondie (Secrétariat général du ministère de l'intérieur et des Outre-mer, DIE).
* 48 Parmi les composants techniques suivants : éléments porteurs, planchers, façades, charpente, toiture, menuiseries extérieures.
* 49 La liste des 3 700 opérations d'entretien et de travaux du plan « poignée de porte » de 2020 a été publiée sur le site du ministère de l'intérieur.
* 50 Dans le projet annuel de performance (PAP) du programme 152 « Gendarmerie nationale ».
* 51 Ministère de l'intérieur, novembre 2020, Livre blanc de la sécurité intérieure, p. 321.
* 52 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, rapport annexé.