B. À POLITIQUE BUDGÉTAIRE INCHANGÉE, UN RISQUE SIGNIFICATIF D'ALOURDISSEMENT DU POIDS DU SERVICE DE LA DETTE À BRÈVE ÉCHÉANCE, À 3 % DU PIB, AVEC UNE DIVERGENCE PROBLÉMATIQUE PAR RAPPORT À LA MAJORITÉ DES ÉTATS EUROPÉENS

1. L'évolution prévisible des taux d'intérêt souverains pourrait aboutir à un alourdissement substantiel de la charge de la dette de la France en valeur absolue et en pourcentage du PIB d'ici la fin de la décennie
a) Même en l'absence de tensions sur les taux d'intérêt souverains, la charge de la dette de la France devrait connaître une nette augmentation en valeur absolue et en pourcentage du PIB, pour atteindre 3 % du PIB

D'après les dernières projections communiquées en avril 2024 par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité 2024-2027, le poids de la charge de la dette de l'État devrait continuer à s'accroître fortement dans les prochaines années, pour quasiment doubler entre 2023 et 2027.

Ainsi, la charge des intérêts de la dette de l'État est attendue à 46,3 milliards d'euros pour 2024 et devrait s'élever à 72,3 milliards d'euros en 2027, contre 39,0 milliards d'euros en 2023.

Les intérêts de la dette de l'État se rapprocheraient ainsi à l'horizon 2027 des dépenses de l'éducation nationale, premier poste budgétaire (hors CAS Pensions et remboursements et dégrèvements) avec 87 milliards d'euros (en crédits de paiement) en loi de finances pour 202411(*).

À titre de comparaison, le produit de l'impôt sur le revenu s'élevait à 102 milliards d'euros en 2023.

Évolution de la charge de la dette de l'État entre 2022 et 2027

(en milliards d'euros)

 

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Charge de la dette de l'État (comptabilité maastrichtienne)

46,3

39,0

46,3

54,0

62,7

72,3

Source : Programme de stabilité 2024-2027

Les prévisions de charge de la dette pour les années 2024 et suivantes reposent sur l'hypothèse d'un assouplissement progressif de la politique monétaire de la BCE en 2024, qui porterait le taux d'intérêt à 3 mois à 3,25 % fin 2024, avant de refluer vers 3,0 % mi-2025 puis de se stabiliser à ce niveau. Selon le scénario du programme de stabilité, le taux d'intérêt à 10 ans atteindrait 3,2 % fin 2024, 3,5 % fin 2025 et se stabiliserait à 3,6 % à partir de fin 2026.

D'après les prévisions du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) de septembre 2023, en agrégeant l'ensemble des administrations publiques, la charge d'intérêt de la dette publique de la France atteindrait même 84 milliards d'euros en 2027 (en comptabilité nationale), contre 47 milliards d'euros en 202312(*).

Selon le Fonds monétaire international (FMI)13(*), la charge d'intérêt devrait ainsi augmenter de plus d'un point de PIB en France à l'horizon 2029. De fait, la charge de la dette publique française devrait atteindre 3 % du PIB d'ici la fin de la décennie, renouant avec les niveaux historiquement élevés observés au milieu des années 1990.

Par ailleurs, ces projections à politique budgétaire inchangée, réalisées avant le mois de juin 2024, n'intègrent pas l'hypothèse d'une déviation de la trajectoire des finances publiques qui pourrait résulter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement.

b) La remontée des taux souverains français à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, si elle devait perdurer, pourrait encore significativement alourdir le poids du service de la dette à terme

Alors que le taux de l'OAT à 10 ans a augmenté de 3,10 % à 3,27 % (soit 17 points de base) depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024, le spread de la France par rapport à l'Allemagne pourrait se maintenir à un niveau durablement élevé dans les prochaines années, compte tenu de l'incertitude politique et des pressions en faveur d'une politique budgétaire plus expansionniste.

En reprenant les calculs présentés dans le programme de stabilité 2024-2027, un choc de taux de + 20 points de base sur l'ensemble des maturités, similaire à celui observé en juin 2024, aurait un impact sur la charge de la dette de l'État de 2,8 milliards d'euros à l'horizon 2027, 4,8 milliards d'euros à l'horizon 2030 et 6,5 milliards d'euros à l'horizon 2033. Pour un choc de + 100 points de base, le programme de stabilité estime l'impact à 13,9 milliards à fin 2027, 24,0 milliards d'euros à fin 2030 et 32,6 milliards d'euros à fin 2033.

Impact d'un choc de taux de 1 point de pourcentage
sur la charge de la dette négociable de l'État (OAT et BTF)

(en milliards d'euros)

Note : ce graphique présente l'effet sur la charge d'intérêt en comptabilité nationale d'un choc de taux de + 100 points de base sur l'ensemble des maturités, dès le début de l'année 2024 et sur toute la durée de la projection. L'impact est graduel en raison du refinancement progressif de la dette. Les OAT désignent les obligations assimilables du Trésor ; les BTF correspondent aux bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté.

Source : Programme de stabilité 2024-2027

2. La trajectoire de la charge de la dette française serait en divergence notable avec celles de la majeure partie des États-membres de la zone euro

D'après les prévisions du FMI, l'alourdissement de la charge de la dette française serait supérieur à celui anticipé pour l'Espagne, la Grèce et l'Italie à l'horizon 2029.

Évolution prévisionnelle de la charge d'intérêt de la dette publique en 2029
par rapport au niveau de 2023

(en points de PIB)

Source : OFCE, d'après le FMI (World Economic Outlook)

Si le niveau en pourcentage du PIB de la charge d'intérêt de la France devrait demeurer inférieur à celui de ces trois pays, il pourrait dépasser le niveau du Portugal, dont la consolidation budgétaire en cours depuis 2020 s'est traduite par une très nette diminution du ratio de dette publique14(*).

Comparaison des charges d'intérêts des États membres de la zone euro
en 2023 et en 2029

(en pourcentage du PIB)

 

France

Allemagne

Italie

Espagne

Pays-Bas

Portugal

Grèce

2023

1,7

0,9

3,8

2,5

0,6

2,2

3,5

2029

3,0

1,1

4,5

3,4

1,1

2,4

4,3

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction générale du Trésor et de l'OFCE aux questionnaires du rapporteur spécial

Quant à l'écart de charge de la dette par rapport à l'Allemagne, d'environ 1 point de PIB en 2023 (la charge de la dette allemande représentant moins d'1 % du PIB), celui-ci devrait donc continuer à se creuser dans les prochaines années, de près d'1 point supplémentaire (plus de 3 % du PIB pour la France contre 1,1 % du PIB pour l'Allemagne).


* 11 Montant réduit à 86,3 milliards d'euros suite au décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 12 Haut Conseil des Finances Publiques, présentation devant la commission des finances du Sénat du 27 septembre 2023.

* 13 FMI, World Economic Outlook, avril 2024.

* 14 À noter qu'à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le taux portugais est devenu légèrement inférieur au taux français.

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