EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 9 juillet 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sur les démineurs de la sécurité civile.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent le rapport de Jean Pierre Vogel sur les démineurs de la sécurité civile.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Je commencerai par un motif de satisfaction : les démineurs de la sécurité civile sont un service d'excellence, dont l'expertise est reconnue à l'échelle internationale. Dans le cadre de mon déplacement au centre de déminage de Versailles, j'ai pu constater le niveau de compétence particulièrement élevé de ces agents. Elle s'explique principalement par la qualité de la formation à laquelle est assujetti chaque démineur recruté dans ce service. Cette formation est exigeante, voire contraignante, mais elle permet de garantir l'efficacité du service rendu, et surtout, la sécurité des démineurs en intervention. En effet, les accidents survenus en opération sont extrêmement rares, puisque les démineurs de la sécurité civile n'ont été confrontés qu'à quatre blessés en intervention depuis 2014 et qu'aucun décès n'est à déplorer sur cette période.

La qualité de notre service de déminage est également reconnue à l'international, les démineurs français étant régulièrement amenés à réaliser des actions de formation auprès de leurs homologues étrangers. Ils sont par ailleurs souvent mobilisés pour prêter main-forte à d'autres pays afin de sécuriser de grands évènements tels que la dernière coupe du monde de football au Qatar par exemple.

Il est essentiel de préserver la qualité de cette formation dans un contexte de sollicitation opérationnelle croissante des services de déminage. Entre 2014 et 2023, le nombre d'interventions réalisées par les démineurs est en effet passé de près de 15 300 à un peu moins de 17 000, soit une augmentation de 10,5 % en dix ans.

La hausse du nombre d'interventions se reflète tout d'abord sur la mission historique des démineurs, à savoir la collecte et la destruction des restes de munitions issues des deux guerres mondiales, qui demandera plusieurs siècles encore. Quatre-vingts ans après la création du service, cette mission demeure l'activité majoritaire des démineurs et représente 75 % de leurs interventions. Le groupement d'intervention du déminage doit donc disposer d'infrastructures permettant à la fois le stockage et la destruction de ces munitions dans de bonnes conditions. Or près de 50 % des infrastructures n'ont pas de terrain de destruction. Cette situation est préoccupante, car le manque de solution de destruction conduit irrémédiablement à un déstockage beaucoup plus lent et au vieillissement de certaines munitions qui, au fil du temps, se dégradent et font peser un risque pour la sécurité des sites de stockage.

L'augmentation de la sollicitation des démineurs s'explique également dans une certaine mesure par la montée en puissance, depuis les attentats de novembre 2015, de la mission de lutte contre le terrorisme. Cette activité se traduit concrètement par des interventions sur des colis suspects, des missions d'assistance aux forces d'intervention dans le cadre de perquisitions, ou des actions de sécurisation de grands événements, tels que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La mission de lutte contre la menace terroriste est certes minoritaire dans l'activité des démineurs, mais elle est en pleine croissance, le nombre d'interventions réalisées dans ce cadre ayant augmenté de près de 46 % depuis dix ans. Elle devient par ailleurs de plus en plus technique.

L'augmentation du nombre d'interventions se traduit également depuis plusieurs années sur le plan budgétaire par une augmentation des crédits consacrés aux démineurs. Ces derniers sont en effet passés, en exécution, de 33,9 millions d'euros en 2014 à 50 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de près de 50 % sur cette période. J'ai par ailleurs constaté des écarts importants et récurrents entre la programmation et l'exécution des crédits consacrés aux démineurs depuis dix ans. Ainsi, sur la période 2014 à 2023, les crédits de fonctionnement ont fait l'objet d'une sur-exécution de près de 90 %, tandis que les crédits d'investissement ont été sous-exécutés à hauteur de 37 %. Au total, l'ensemble des crédits hors titre 2 consacrés aux démineurs ont fait l'objet d'une sur-exécution de 10,25 %.

Ce constat traduit un manque de précision, voire de sincérité, dans les prévisions budgétaires, ainsi que des lacunes dans le suivi de l'exécution des crédits. Ma première recommandation sera donc d'inviter la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) à affiner la programmation budgétaire des crédits consacrés aux démineurs et à améliorer le pilotage de ces crédits en cours d'exécution.

Comme je l'indiquais en introduction, la compétence et l'engagement de nos démineurs ne sont pas en cause. Toutefois, si nous souhaitons que la qualité du service soit préservée, le groupement d'intervention du déminage devra impérativement se moderniser, en repensant tout d'abord son implantation territoriale. En effet, les services de déminage sont aujourd'hui divisés en vingt-six unités opérationnelles inégalement réparties sur le territoire.

La création des services de déminage en 1944 était motivée par la nécessité de neutraliser les restes d'obus et de munitions issus des bombardements des deux guerres mondiales. Si les zones du territoire ayant subi de nombreux bombardements lors des deux conflits mondiaux sont ainsi particulièrement bien couvertes, ce n'est pas le cas, par exemple, du centre de la France.

Or les missions des démineurs ont largement évolué depuis 1944, et la montée en puissance de leur activité de lutte contre la menace terroriste implique aujourd'hui la réalisation d'interventions sur l'ensemble du territoire. La cartographie opérationnelle du groupement d'intervention du déminage est donc inadaptée à la réalité des missions des démineurs. C'est pourquoi il est urgent que la DGSCGC définisse une nouvelle répartition territoriale de ces unités de déminage, faute de quoi les délais d'intervention des démineurs, qui sont aujourd'hui plutôt satisfaisants, risqueraient de se dégrader fortement.

La refonte de la couverture territoriale des services de déminage pourrait impliquer l'ouverture d'unités opérationnelles supplémentaires, ce qui nécessitera, d'après la DGSCGC, de nouveaux recrutements. À cet égard, la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite loi Lopmi, a acté le recrutement de sept nouveaux démineurs sur la période 2023 à 2027. Ces recrutements ne devront toutefois pas dispenser le groupement d'intervention du déminage - c'est ma recommandation n° 2 - de mener une réflexion sur les possibilités de redéploiements d'effectifs entre les différents sites. En effet, les écarts importants de sollicitations opérationnelles entre les centres de déminage justifient de repenser la ventilation des effectifs dans le cadre de la refonte de la cartographie opérationnelle du déminage.

J'insiste également sur le fait que les écarts de sollicitation entre centres de déminage impliquent un risque de perte de compétence pour les démineurs affectés dans les centres où le nombre d'interventions est particulièrement faible. Dans ce contexte, le groupement d'intervention du déminage doit mettre en oeuvre des actions de formation continue pour garantir l'entraînement de ses agents les moins sollicités. Or cette formation continue relève aujourd'hui exclusivement de l'initiative des chefs de centre, et aucune stratégie n'est formalisée au niveau de la direction centrale. Dans ma recommandation n° 3, j'invite donc la direction centrale du groupement d'intervention du déminage à formaliser un plan annuel de formation.

Le groupement d'intervention du déminage doit également moderniser sa politique de gestion des ressources humaines pour répondre aux défis liés au renouvellement de ses effectifs. En effet, ce service est aujourd'hui confronté à une vague de départs à la retraite. D'après l'Inspection générale de la sécurité civile, 59 démineurs prévoyaient un départ à la retraite en 2023 ou 2024, soit plus de 15 % de l'effectif théorique. Or j'ai constaté dans le cadre de mes travaux le caractère archaïque des outils de gestion des ressources humaines du groupement d'intervention du déminage. Il est pourtant indispensable, dans un contexte où la pérennité du service pourrait être remise en cause par cette vague de départs à la retraite, que le groupement d'intervention du déminage se dote enfin d'une véritable gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC). Il s'agit de ma recommandation n° 4.

Par ailleurs, les services de déminage souffrent d'un déficit de personnel de soutien, qui oblige certains démineurs à réaliser des missions de logistique ou de maintenance des appareils. Cette situation n'est pas satisfaisante, tant du point de vue de l'efficacité du service que de l'attractivité du métier. Il est donc essentiel que le groupement d'intervention du déminage remédie au sous-dimensionnement des personnels de soutien pour permettre aux démineurs de se concentrer sur leur coeur de métier. C'est l'objet de ma recommandation n° 5.

J'en viens maintenant à ma dernière recommandation, qui concerne l'amélioration du suivi des interventions. Le suivi des opérations de déminage est aujourd'hui lacunaire, ce qui est dommageable du point de vue de la coordination et de l'efficacité du service, mais aussi du point de vue de la sécurité des équipes. Lors des auditions, l'exemple a notamment été évoqué d'un accident survenu il y a un peu plus de dix ans impliquant deux démineurs en intervention. Ces démineurs ont été grièvement blessés - aux mains notamment - par l'explosion d'un obus et il était impossible pour eux de solliciter de l'aide. L'absence d'outil de suivi opérationnel était dans ce cas précis particulièrement préjudiciable, le groupement d'intervention du déminage n'ayant aucun moyen de localiser ces agents.

La DGSCGC s'est dotée en janvier 2023 d'une application informatique appelée système opérationnel et fichiers d'informations sur les explosifs (Sofie), dont la vocation est justement d'améliorer la coordination des opérations, grâce notamment à un système de cartographie des interventions. Je m'en félicite, mais ce projet est encore en cours de développement. Il est donc impératif qu'il soit finalisé au plus vite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie notre collègue pour ce travail qui m'a permis de découvrir une insuffisance notoire du maillage territorial pour ce qui concerne le centre de la France.

Par ailleurs, pourrait-on envisager de déplacer certains centres afin de faire face aux nouveaux risques ? Certes, ce type de décision n'est pas aisé, car il aboutit à la disparition d'un service public dans les territoires concernés.

Enfin, le renouvellement des robots démineurs progresse-t-il de manière satisfaisante ?

M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur spécial pour ces éclairages sur ces questions de sécurité civile, majeures pour notre pays. Les démineurs du GID interviennent-ils lorsque des colis suspects sont identifiés à bord des trains ?

En outre, je note que la marine nationale dispose de moyens et d'outils - tels que les drones - qui permettent aux chasseurs de mines de rester en dehors des zones dangereuses. En comparaison, le niveau de robotisation sur terre paraît moins avancé, tandis que le matériel employé est relativement ancien. S'agit-il de matériel français ? Des moyens sont-ils mis en oeuvre afin de nous doter d'outils permettant d'assurer la sécurité des démineurs en intervention ?

Mme Christine Lavarde. - Les démineurs du GID interviennent-ils sur les lignes de la RATP ? Cette dernière a récemment repensé son plan d'action afin d'éviter d'arrêter le trafic sur l'ensemble de la ligne lorsqu'un colis suspect est signalé. Si les moyens sont partagés, qui décide ?

M. Thierry Cozic. - Je souligne à mon tour la qualité du rapport. Ayant eu à lancer en tant que maire une opération de déminage sur un terrain où des obus datant de la Seconde Guerre mondiale étaient présents, j'ai pu constater qu'il avait fallu quatre à cinq heures avant l'intervention de démineurs venant de Nantes, ce qui pose une série de difficultés. Une répartition régionale ne serait-elle pas plus pertinente pour réduire ces temps d'intervention ?

M. Claude Raynal, président. - Que font les démineurs lorsqu'ils ne sont pas en intervention ? Assument-ils d'autres missions ?

M. Grégory Blanc. - Pourrait-on envisager une forme de mutualisation avec les services de l'armée ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Une meilleure répartition géographique du service serait en effet utile, en précisant, pour la région parisienne, que la préfecture de police de Paris dispose de ses propres services de déminage.

Huit années de formation sont nécessaires pour qu'un démineur atteigne le plus haut niveau de qualification, et je ne crois guère à la piste d'une mutualisation avec l'armée. Avec 324 démineurs, l'effectif du GID est relativement restreint et les personnels de soutien sont en nombre insuffisant, ce qui conduit une partie des démineurs à prendre en charge des tâches logistiques telles que la commande de pièces détachées et la maintenance des matériels.

Par ailleurs, les infrastructures doivent comprendre des locaux administratifs, un dépôt de munitions et un terrain de destruction.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Une superficie minimale est-elle fixée ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, seule la moitié des centres de déminage comptent ces trois installations, alors que les capacités maximales de stockage des munitions sont en passe d'être atteinte. J'ajoute que 50 % des centres ne disposent pas d'un terrain de destruction, ce qui fait que le déstockage des munitions est plus lent ; celles-ci, au fur et à mesure qu'elles vieillissent, peuvent se dégrader et présenter un risque pour la sécurité des sites. Il faudrait construire, sur le modèle du schéma d'analyse et de couverture des risques élaboré par les sapeurs-pompiers dans chaque département, un schéma national qui permette de déterminer où positionner les centres de déminage.

Concernant les colis abandonnés dans les gares ou à bord des trains, il convient en effet de s'assurer d'une bonne répartition des centres de déminage : si les démineurs mettent trois ou quatre heures à arriver, les risques augmentent puisque la gare continue alors à se remplir, offrant une cible de choix aux terroristes. Je relève par ailleurs que, dans les aéroports, les temps d'intervention ont eu tendance à se dégrader ces dernières années, et plus particulièrement en 2023.

Lorsqu'ils ne sont pas en intervention, les démineurs effectuent des astreintes ou poursuivent leur formation, notamment pour se préparer à de nouvelles formes d'action terroriste. Par exemple, les bouteilles d'eau sont interdites dans les stades, car elles peuvent accueillir un engin explosif dissimulé derrière l'étiquette, dispositif qui peut être activé à distance. Les démineurs disposent de matériels sophistiqués permettant de repérer le déclencheur situé à l'intérieur d'un colis abandonné et de le neutraliser à l'aide d'un robot venant viser une zone très précise, empêchant ainsi l'explosion.

Or, ces robots sont pour la plupart vieillissants et font actuellement l'objet d'un renouvellement dans le cadre de la Lopmi. Il n'est guère pertinent de disposer de modèles trop variés, car cela peut impliquer de multiplier le nombre de formations nécessaire à l'appropriation de ces matériels par les démineurs. J'avais fait un constat similaire au sujet du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile, lors de la présentation de mon rapport sur les aéronefs bombardiers d'eau devant notre commission il y a un an. Par ailleurs, le marché des robots de déminage est un marché de niche. Il y a donc peu de producteurs en mesure de respecter le cahier des charges fixé par le ministère de l'intérieur. Les agents semblent plutôt satisfaits des équipements actuels, même s'ils plaident pour que les plans de renouvellement des équipements permettent d'accompagner les évolutions technologiques du secteur. Je ne dispose pas d'informations exacte sur la provenance du matériel, mais il existe notamment des entreprises françaises qui commercialisent des robots de déminage, telles que l'entreprise Shark basée à la Rochelle. En tout état de cause, nous disposons de personnels de déminage bien formés, dont le savoir-faire est reconnu au niveau mondial.

Enfin, pour ce qui est de la RATP, le laboratoire central de la préfecture de police s'occupe des interventions.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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