III. UN CFD SUR LE PARC NUCLÉAIRE : UNE NÉCESSITÉ POUR PROTÉGER EDF ET LES CONSOMMATEURS DES FLUCTUATIONS ERRATIQUES DES MARCHÉS

Parce qu'il présente de nombreux avantages tant pour EDF que pour les consommateurs et que les difficultés juridiques parfois alléguées à son encontre ne sont à ce jour pas réellement étayées, il est nécessaire de mettre en place une régulation sous forme de CfD sur le parc nucléaire historique.

A. UN CFD SUR LE PARC NUCLÉAIRE HISTORIQUE : UNE SOLUTION PROTECTRICE POUR LES CONSOMMATEURS ET EDF

Comme rappelé supra, les autorités françaises ont négocié avec constance et succès au niveau européen la possibilité pour chaque État-membre de mettre en oeuvre des CfD sur l'ensemble des capacités de production décarbonées déjà existantes, c'est-à-dire, y compris le parc nucléaire existant français. Cet aboutissement peut être considéré comme un grand succès tant « ce cadre répond aux positions défendues lors de la négociation par les autorités françaises, aux positions défendues par EDF jusqu'en 2022 et au consensus des économistes du secteur. Il tire profondément les conséquences du retour d'expérience de la crise énergétique, mais également de l'impact des périodes de prix bas entre 2015 et 2019 sur le système électrique français et européen, ainsi que d'une décennie d'échanges entre les autorités françaises et la Commission européenne »749(*).

Parce qu'il sécurise et donne une visibilité de long terme sur les prix de vente de l'électricité de ce parc, un CfD bidirectionnel, qu'il soit basé sur un prix pivot unique ou, le cas échéant, sur un corridor de prix (définissant un prix plancher et un prix plafond), garantirait une protection réelle tant pour le consommateur que pour EDF et même le contribuable qui n'aurait pas à être sollicité pour recapitaliser notre fleuron électrique national dont la situation serait mise en péril par une période de prix bas prolongée.

Au cours de son audition devant le Sénat, Pierre Jérémie, directeur de cabinet adjoint de la ministre de la transition énergétique, qui a activement participé à l'ensemble du processus de négociation a ainsi déclaré que le CfD « offre ainsi une possibilité de régulation, permettant de traiter les cas où le libre jeu du marché ne conduirait pas à dégager des prix égaux aux coûts (...). In fine, cela permet de faire bénéficier durablement les consommateurs des justes coûts complets du système plutôt que des prix de marché volatils dépendant des coûts des centrales marginales. Dans le même temps, cela permet également, en période de prix de marché bas, de sécuriser les coûts complets des producteurs, notamment pour les technologies les plus intenses en capital ».

Le cadre sécurisant et porteur de visibilité de long terme du CfD s'impose d'autant plus que tout porte à croire, et les prévisions de RTE le confirment, que les prix de marchés sont appelés à devenir de plus en plus volatils dans les années à venir. À l'occasion de la crise que nous venons de traverser avec difficultés, le constat a été établi de façon unanime que les marchés de gros ne permettaient pas de donner les signaux de long terme nécessaires aux investissements dans la décarbonation et exposaient les consommateurs à des fluctuations de prix insupportables. Pour y remédier l'Union européenne, largement encouragée par les efforts français, qu'il faut saluer, a, en conséquence, adopté des mesures. Or, le Gouvernement renonce à y recourir pour rejeter les consommateurs et EDF dans les affres des fluctuations erratiques des marchés de gros de l'électricité.

Il n'est définitivement pas raisonnable de faire reposer des enjeux si considérables pour l'avenir de notre pays sur le pari que les prix de marché, cette fois-ci, finiront par converger naturellement vers les coûts de production du parc nucléaire. La théorie économique démontre que c'est une illusion dangereuse.

Par ailleurs, comme cela a été exposé supra, le choix d'un dispositif régulé de type CfD, parce qu'il conduit à sensiblement réduire les risques portés par le producteur, se traduit par une réduction du taux nécessaire à la rémunération de ses actifs et, par voie de conséquence, par une diminution du coût complet de production. Pour le parc nucléaire existant, la CRE a mesuré cet effet à environ 5 euros par MWh.

La commission d'enquête a été frappée par le nombre des acteurs du secteur de l'électricité qu'elle a entendu qui n'ont pas compris le changement de pied du Gouvernement sur la régulation du parc nucléaire existant tant l'option du CfD semblait faire l'unanimité. En définitive, en dehors de la direction d'EDF et du Gouvernement il semble même difficile de trouver des détracteurs à cette formule de régulation. Un tel isolement conduit nécessairement la commission d'enquête à s'interroger sur la solution retenue au terme d'une négociation « en vase clos ».

Les représentants des industriels n'ont ainsi pas caché à la commission leur incompréhension et leur désappointement devant la volte-face du Gouvernement. À titre d'exemple, dans ses réponses à la commission d'enquête, France chimie souligne qu'elle a « soutenu la position du Gouvernement visant à autoriser ces CfD pour les capacités de production nucléaire et se félicite que le compromis final ait retenu cette approche. Malheureusement, le Gouvernement ne capitalise par sur ce succès politique remporté au niveau européen. Cet outil aurait grandement simplifié le juste partage de la rente du parc nucléaire national et aurait assuré une visibilité suffisante à tous les acteurs du marché pour mener les investissements nécessaires à une transition énergétique compétitive ». L'Uniden est exactement sur la même ligne : « l'Uniden a proposé, pour le premier volet portant sur la régulation d'ensemble, l'adoption d'un dispositif prévisible et compréhensible par les entreprises, qui réponde aussi bien pour les industriels aux objectifs précités qu'au besoin d'un prix accessible pour les autres catégories de consommateurs tout en assurant la nécessaire protection de la trajectoire financière d'EDF tout en donnant à EDF des incitations à améliorer sa performance industrielle : celui du contrat pour différence appliqué à une partie du nucléaire existant, dont la possibilité a été introduite (grâce à l'action résolue de la France) dans la version révisée de la directive portant organisation du marché de l'électricité qui a fait l'objet d'un accord en trilogue fin décembre dernier ».

Si le 23 mai 2024750(*) le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie a semblé exclure l'hypothèse d'un « retour » de l'option du CfD à la faveur de la future clause de revoyure de l'accord de novembre 2023, la commission d'enquête ne peut que noter cependant que l'article 11 de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique maintenait ouverte cette perspective en proposant de modifier le code de l'énergie pour y inclure un dispositif de complément de rémunération (la dénomination des CfD actuels dans le code de l'énergie) dédié aux installations nucléaires.


* 749 Pierre Jérémie lors de son audition devant la commission d'enquête du 15 mai 2024.

* 750 Lors de son audition devant la commission d'enquête.

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