III. D'ICI À 2035, LA PROLONGATION OPTIMISÉE DU PARC NUCLÉAIRE EN EXPLOITATION DEVRA ACCOMPAGNER L'ESSOR DES MOYENS RENOUVELABLES

A. LA PROLONGATION DU PARC NUCLÉAIRE EN EXPLOITATION JUSQU'À 60 ANS : LA COMPOSANTE PRIORITAIRE DU MIX ÉLECTRIQUE À HORIZON 2035

La prolongation de la durée de vie du parc nucléaire historique est sans contestation possible l'option la plus intéressante économiquement pour consolider notre mix électrique à moyen-long terme. Sur ce critère aucun moyen de production concurrent ne peut rivaliser. Par ailleurs, des études récentes et des exemples internationaux démontrent que techniquement comme en termes de sûreté cette hypothèse est très vraisemblable. Aussi, la commission retient-elle la prolongation de la durée de vie des réacteurs du parc en exploitation jusqu'à au moins 60 ans comme un paramètre clé de sa stratégie de mix électrique.

1. D'une perspective d'extinction rapide au consensus sur la prolongation du parc nucléaire : un revirement salutaire

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) portant sur la période 2019-2028, dite PPE 2, toujours en vigueur quoique largement obsolète, prévoyait, en plus de la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, la mise à l'arrêt de douze nouveaux réacteurs d'ici à 2035. Le principe général retenu était de mettre à l'arrêt les réacteurs du parc existant à l'horizon de leur cinquième visite décennale (VD) ou même de manière anticipée pour certains d'entre eux.

Fort heureusement, cette perspective est aujourd'hui abandonnée. Mortifère pour la filière nucléaire, elle aurait été un non-sens économique tant la prolongation du parc nucléaire apparaît aux yeux de l'ensemble des acteurs du secteur comme une option extrêmement compétitive. RTE l'a clairement démontré dans son étude sur les futurs énergétiques comme dans son Bilan prévisionnel 2023, l'atteinte des objectifs climatiques du pays, le maintien d'un mix de production électrique essentiellement décarboné comme la préservation de notre sécurité d'approvisionnement dépendent, à court et moyen terme, de la poursuite du fonctionnement des réacteurs du parc nucléaire historique.

Une nouvelle décision de fermeture d'un réacteur sans qu'elle ne soit exigée par des impératifs de sûreté, comme ce fut malheureusement le cas pour la centrale de Fessenheim, serait une faute à la fois politique, économique et écologique.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a résumé ainsi la situation : « EDF considère que l'intégralité du parc existant peut fonctionner a minima jusqu'à 60 ans. En cohérence avec le discours de Belfort du Président de la République en 2022, il ne serait pas rationnel d'arrêter prématurément des tranches qui sont encore en mesure de fonctionner en toute sûreté et de manière compétitive ».

Les autorités publiques semblent désormais avoir bien intégré les enjeux associés au maintien en fonctionnement du parc nucléaire en exploitation et tous les efforts peuvent désormais converger vers l'objectif de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels tant que les impératifs de sûreté, sur lesquels il n'est pas question de transiger, sont satisfaits. Cette conjonction d'efforts concerne tout aussi bien le producteur EDF que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou encore des organismes de recherche au premier rang desquels le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le renouvellement et l'intensification de ces travaux ne peuvent s'envisager sans une impulsion et un volontarisme politiques affirmés. Le revirement concrétisé par le discours de Belfort du Président de la République en février 2022 a enclenché cette dynamique. Il convient désormais de l'entretenir avec constance.

La commission d'enquête note que la perspective de maintien en fonctionnement des réacteurs actuels tant que toutes les exigences de sûreté applicables seront respectées a été retenue dans la Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), présentée en septembre 2023. L'objectif désormais explicitement affirmé est que la durée de fonctionnement des réacteurs du parc puisse aller au-delà de 50 ans voire même au-delà de 60 ans.

Non-sens-économique, la décision de fermeture arbitraire à une certaine durée de fonctionnement donnée serait susceptible de mettre sous très forte tension voire en péril notre approvisionnement électrique en raison du phénomène souvent qualifié « d'effet falaise ». Ce phénomène provient du fait que l'essentiel des réacteurs composants le parc nucléaire en exploitation ont été mis en service sur un laps de temps très bref : 52 des 56 réacteurs actuels ont été mis en service sur une période d'environ quinze ans. Cet effet, qui se matérialiserait si les réacteurs du parc nucléaire historique étaient mis à l'arrêt au terme d'une même durée de fonctionnement, conduirait à la perte extrêmement rapide de la quasi-totalité de la puissance du parc électronucléaire national, soit l'équivalent d'environ 60 GW.

Évolution de la puissance totale du parc nucléaire historique en fonction de différents scénarios de fermeture des réacteurs qui le composent

(en MW)

VD : visite décennale

Source : Cour des comptes, Les enjeux structurels pour la France, 2021.

2. Grand carénage et quatrièmes visites décennales : une prolongation du fonctionnement du parc nucléaire au-delà de 40 ans déjà engagée
a) Un programme de grand carénage pour prolonger le fonctionnement du parc nucléaire historique et aligner son niveau de sûreté sur les exigences les plus récentes

Démarré en 2014, le programme d'investissements dit de « grand carénage » a pour principal objet de permettre la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs du parc historique au-delà de 40 ans, notamment en leur permettant d'atteindre un degré de sûreté comparable à celui des réacteurs de troisième génération les plus récents (EPR et EPR 2).

L'alignement des exigences de sûreté des réacteurs en exploitation sur celles qui prévalent pour les réacteurs les plus récents est un impératif de la politique de sûreté nucléaire pratiquée en Europe. Cette approche n'est cependant pas appliquée partout dans le monde. Aux Etats-Unis, par exemple, les conditions de sûreté demandées aux exploitants de centrales nucléaires pour autoriser la prolongation de leur durée de fonctionnement ne sont pas alignées sur celles qui prévalent à la date de cette prolongation. Les références en matière de niveau de sûreté exigées à l'occasion de ces prolongations demeurent celles qui étaient en vigueur au moment de la construction desdites centrales.

Les exigences de sûreté associées à la prolongation de la durée de fonctionnement du parc historique sont alignées sur celles des nouveaux réacteurs les plus récents

Les objectifs de sûreté des réacteurs de nouvelle génération, comme le réacteur EPR de Flamanville, ont été pris comme référence pour la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans. À l'issue du réexamen, des écarts subsistent entre le niveau de sûreté du réacteur EPR et celui des réacteurs de 900 MW. Il existe en effet des différences de conception, comme la disposition plus favorable des différents bâtiments du réacteur EPR, la protection du bâtiment de la piscine d'entreposage du combustible ou le nombre de systèmes de sûreté permettant de faire face à un accident.

Toutefois, le quatrième réexamen périodique permet de rapprocher le niveau de sûreté des réacteurs de 900 MW de celui des réacteurs de troisième génération. EDF renforce ainsi les sources d'alimentation électrique et de refroidissement et la protection des réacteurs contre les agressions d'intensité extrême. Le réexamen permet de réduire les conséquences radiologiques des accidents. Il conduit également EDF à déployer des améliorations de sûreté directement inspirées des réacteurs de nouvelle génération : c'est le cas par exemple de la fonction de stabilisation et de refroidissement du corium à l'intérieur de l'enceinte de confinement.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Le programme de grand carénage a également permis d'intégrer les nouvelles normes de sûreté consécutives au retour d'expérience de l'accident de la centrale de Fukushima. Il intègre aussi les enjeux de résilience du parc nucléaire au changement climatique. Par ailleurs, EDF inclut également les dépenses de maintenance courante du parc dans le programme.

Présentation du programme de grand carénage par EDF

Lancé en 2014, le grand carénage est le plus important programme industriel du groupe EDF depuis la création du parc nucléaire. Trois objectifs majeurs ont été fixés au programme grand carénage :

- Permettre la poursuite d'exploitation du parc nucléaire actuel au-delà de 40 ans ;

- Permettre au parc d'atteindre ses objectifs de production en toute sûreté ;

- Tenir et optimiser la trajectoire financière des investissements et des opérations de maintenance exceptionnelle.

Pour répondre à ces objectifs, le programme grand carénage a été structuré en un ensemble de projets qui se déroulent de façon continue dans le temps, selon les cinq familles d'activités :

- Les projets liés aux réexamens périodiques : ils permettent à chaque réacteur de franchir le cap décennal lors des visites décennales en répondant aux exigences réglementaires et en faisant progresser la sûreté ;

- Les projets liés aux réponses aux agressions : l'objectif est de renforcer les installations afin de les rendre robustes à des agressions dont le niveau est significativement accru (séisme, inondation, incendie, tempêtes, ...). La prise en compte du retour d'expérience post Fukushima a été traitée au sein de cette famille de projets ;

- Les remplacements et rénovations de gros composants arrivant en fin de vie technique (maintenance exceptionnelle), comme les générateurs de vapeur ou les groupes turbo-alternateurs ;

- Les projets « portefeuille » : ils permettent de traiter des écarts plus élémentaires et de mettre en conformité les installations par rapport à la règlementation française (par exemple, protection renforcée des travailleurs contre certains risques chimiques, ...) ;

- La maintenance courante du parc en exploitation et le projet portant les travaux relatifs à la corrosion sous contrainte.

Huit ans après son lancement, le programme a montré sa capacité à délivrer et déployer ses projets avec toujours en focus trois fondamentaux : rehausser le niveau de sûreté, contribuer à la production future et tenir la trajectoire financière fixée.

Le programme de grand carénage aborde sa deuxième phase et les résultats du projet se maintiennent à un bon niveau.

Une partie importante du grand carénage se concrétise dans les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW, avec lesquelles EDF a l'ambition de poursuivre l'exploitation en toute sûreté de cette flotte de réacteurs jusqu'à 50 ans, voire plus.

Nous avons 32 visites décennales prévues entre 2019 et 2030, avec des pics de réalisation en 2023 et 2024, années où nous réalisons six et cinq visites par an.

Depuis 2019 nous tenons la planification pluriannuelle de ces visites très denses. 12 sont déjà terminées, 6 sont en cours.

À presque mi-parcours les résultats de performance sont bons et un premier réacteur a été validé par l'Autorité de sûreté nucléaire pour fonctionner dix ans supplémentaires : Tricastin 1.

Source : réponses écrites d'EDF à la commission d'enquête

La première phase du programme s'est achevée en 2021 pour un coût global de 29 milliards d'euros. La deuxième phase a été lancée en 2022 pour un montant prévisionnel de 36 milliards d'euros sur la période 2022-2028, dont près de la moitié devrait être consacrée à de la maintenance courante.

En 2023, EDF a consacré 5 milliards d'euros d'investissements au parc nucléaire existant. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF estime qu'un montant annuel supérieur à 4 milliards d'euros devrait être durablement affecté aux opérations relevant du grand carénage.

Évolution des investissements consacrés par EDF dans le parc nucléaire historique (2010-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les réponses écrites d'EDF

Une troisième phase est d'ores et déjà en préparation pour la période 2029-2035. Cette troisième phase sera principalement consacrée à la prolongation jusqu'à soixante ans des réacteurs de 900 MW dans le cadre de leur cinquième visite décennale et vraisemblablement concentrée sur les enjeux d'adaptation du parc nucléaire existant aux conséquences des changements climatiques.

b) La prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs de 900 MW est déjà une réalité pour certains d'entre eux

Les décrets d'autorisation de création qui permettent la construction et l'exploitation des réacteurs ne fixent pas de durée limite d'exploitation a priori pour ces derniers. Cependant, le code de l'environnement557(*) impose à l'exploitant d'apprécier tous les dix ans la situation de l'installation au regard des règles qui lui sont applicables avec une mise à niveau à la hauteur des exigences du plus haut degré de sûreté applicable au moment de l'instruction du renouvellement. Ces réexamens, réalisés sous la surveillance de l'ASN, sont réalisés dans le cadre d'une procédure qualifiée de « visite décennale ».

La présentation par l'ASN de la procédure des réexamens périodiques des centrales nucléaires

Le processus de réexamen périodique comprend plusieurs étapes, la plupart étant à la charge de l'exploitant.

1. L'examen de conformité

Il consiste à comparer l'état réel de l'installation au référentiel de sûreté et à la réglementation applicables, comprenant notamment son décret d'autorisation de création et les prescriptions de l'ASN.

Cet examen décennal de conformité ne dispense pas l'exploitant de son obligation de garantir en permanence la conformité de ses installations. Celle-ci est régulièrement contrôlée par l'ASN au travers des nombreuses inspections qu'elle diligente sur les sites.

2. La réévaluation de sûreté

Elle vise à apprécier la sûreté de l'installation et à l'améliorer au regard :

- des réglementations françaises, des objectifs et des pratiques de sûreté les plus récents, en France et à l'étranger ;

- du retour d'expérience d'exploitation de l'installation ;

- du retour d'expérience d'autres installations nucléaires en France et à l'étranger ;

- des enseignements tirés des autres installations ou équipements à risque.

L'ASN se prononce, après consultation éventuelle du groupe permanent d'experts pour la sûreté des réacteurs nucléaires, sur la liste des thèmes choisis pour faire l'objet d'études de réévaluation de sûreté, et les objectifs associés, lors de la phase dite d'orientation du réexamen périodique. À l'issue des études réalisées par EDF sur chacun des thèmes retenus, des modifications permettant des améliorations de sûreté sont définies. Elles seront déployées pendant la visite décennale du réacteur.

3. Le déploiement des améliorations issues du réexamen périodique

Les visites décennales, qui sont des arrêts longs, sont des moments privilégiés pour mettre en oeuvre les modifications issues du réexamen périodique. Pour déterminer le calendrier des visites décennales, EDF doit tenir compte des échéances de réalisation des épreuves hydrauliques fixées par la réglementation des équipements sous pression nucléaires et de la périodicité décennale des réexamens périodiques. L'ASN vérifie que les modifications permettent d'atteindre les objectifs du réexamen.

4. La remise par l'exploitant d'un rapport de conclusions de réexamen

À l'issue de la visite décennale, l'exploitant adresse à l'ASN un rapport de conclusions du réexamen périodique. Dans ce rapport, l'exploitant prend position sur la conformité réglementaire de son installation, ainsi que sur les modifications réalisées visant à remédier aux écarts constatés ou à améliorer la sûreté de l'installation. Le rapport de réexamen est composé des éléments prévus à l'article 24 du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 modifié. L'ASN communique au ministre en charge de la sûreté nucléaire son analyse du rapport et peut fixer à l'exploitant des prescriptions complémentaires.

Source : site internet de l'ASN

L'harmonisation des pratiques de sûreté nucléaire au sein de l'Union européenne

La directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires fixe un cadre commun aux procédures liées à la sûreté nucléaire. Ainsi, cette directive rend obligatoire l'autorisation des nouvelles installations, de leurs modifications notables, ainsi que le principe de réexamen périodique de la sûreté au plus tous les dix ans.

Considérant que, compte tenu de leur expérience et de leur connaissance pratique des installations, les autorités de sûreté nationales sont mieux à même que la Commission européenne de fixer les exigences techniques applicables, celles-ci ont décidé de se regrouper pour harmoniser de façon volontaire les réglementations nationales des États membres, en visant le plus haut niveau de sûreté raisonnablement possible.

Ainsi, les autorités de sûreté ont créé en 1999, à l'initiative de l'ASN, l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA, Western European Nuclear Regulators Association) qui regroupe actuellement, à titre de membres, les 19 chefs des autorités de sûreté nucléaire des pays européens qui ont une expérience en matière de réacteurs de production d'électricité. Elle s'est également ouverte à 13 autres pays qui ont le statut de membres associés ou d'observateurs, dont les Etats-Unis.

WENRA a ainsi défini des objectifs de sûreté pour les réacteurs de nouvelles générations, ainsi que des niveaux de référence pour les réacteurs actuellement en exploitation, que chaque autorité de sûreté s'est engagée à transcrire dans son cadre national. Ainsi, les exigences de sûreté sont largement harmonisées au sein des pays européens.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Les 32 réacteurs de 900 MW (mis en service entre 1978 et 1987) atteignent actuellement progressivement leurs quarante années de fonctionnement, leurs quatrièmes visites décennales étant programmées entre 2019 et 2030. Le calendrier de ces visites est particulièrement concentré sur une période allant de 2021 à 2026 avec une moyenne de quatre réacteurs par an et des pics à six puis cinq en 2023 et 2024.

Aux termes de la phase dite générique558(*) de ces réexamens, dans sa décision n° 2021-DC-0706 du 23 février 2021, l'ASN a considéré que l'ensemble des dispositions prévues par EDF pour les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW ainsi que les mesures complémentaires qu'elle a prescrites à cette occasion, étaient susceptibles d'ouvrir la perspective d'une poursuite de fonctionnement de ces réacteurs pour les dix ans qui suivent leur quatrième réexamen périodique, sous réserve de l'examen de chaque réacteur.

Les principaux enjeux des quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW selon l'ASN

Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW présente des enjeux particuliers

- certains matériels atteignent la durée de vie prise en compte pour leur conception. Les études portant sur la conformité des installations et la maîtrise du vieillissement des matériels doivent donc être réexaminées en prenant en compte les mécanismes de dégradation réellement constatés et les stratégies de maintenance et de remplacement mises en oeuvre par EDF ;

- la réévaluation de la sûreté de ces réacteurs et les améliorations qui en découlent doivent être réalisées au regard des objectifs de sûreté des réacteurs de nouvelle génération, comme l'EPR, dont la conception répond à des exigences de sûreté significativement renforcées.

Les modifications associées à ce réexamen périodique intègrent celles liées au déploiement du « noyau dur », qui vise à tirer le retour d'expérience de l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

À ce jour, 12 réacteurs ont effectué leur quatrième visite décennale et les quatrièmes visites décennales de 5 d'entre eux sont en cours. Les visites décennales de ce type de réacteur vont se poursuivre jusqu'en 2030.

L'ASN estime que ces visites décennales se sont globalement bien déroulées. EDF a pu mettre en oeuvre lors de ces visites décennales les modifications qui étaient prévues et a réalisé des essais de bon fonctionnement des installations, notamment l'épreuve hydraulique du circuit primaire principale et le test d'étanchéité de l'enceinte de confinement.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

c) Les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 1 300 MW doivent démarrer en 2026

Les réacteurs de 1 300 MW passeront quant à eux leurs quatrièmes visites décennales entre 2026 et 2034 dont une concentration importante d'activité entre 2027 et 2030 pour une moyenne de quatre réacteurs par an.

Après avoir recueilli l'avis de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ainsi que de ses groupes permanents d'experts, l'ASN a pris une première position en 2019 sur les objectifs du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1 300 MW. Moyennant certaines demandes complémentaires, l'ASN a validé les objectifs proposés par EDF dans le cadre de ces réexamens. En réponse à la commission d'enquête, l'ASN considère ainsi que « les objectifs généraux retenus par EDF pour ce réexamen sont acceptables dans leur principe. Toutefois, l'ASN a demandé à EDF de modifier ou de compléter ces objectifs généraux, de considérer certains référentiels pour réévaluer la sûreté de ses installations et d'ajouter des thèmes d'études à son programme de réexamen. Les demandes formulées par l'ASN s'appuient en grande partie sur celles formulées en 2016 dans le cadre du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW ».

Actuellement, comme elle l'avait fait pour le palier des réacteurs de 900 MW, l'ASN instruit les études génériques communes à l'ensemble des réacteurs de 1 300 MW qui ont tous la même conception. En 2025, l'ASN rendra une décision sur ses conclusions relatives à cette phase générique559(*). Après cette première étape, les visites décennales des réacteurs concernés débuteront en 2026 avec la centrale de Paluel et, comme elle le fait actuellement pour les réacteurs du palier de 900 MW, l'ASN rendra un avis au cas par cas, réacteur par réacteur.

3. La prolongation des réacteurs jusqu'à soixante ans est sur la bonne voie

La prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu'à 50 ans semble très bien engagée et, sauf très mauvaise surprise, l'ensemble des réacteurs devraient pouvoir fonctionner jusqu'à cet âge. Cependant, l'analyse économique des scénarios de mix de production ainsi que l'atteinte de nos objectifs climatiques supposent d'aller plus loin encore et de parvenir à faire fonctionner le plus de réacteurs possibles, idéalement l'ensemble du parc, jusqu'à au moins 60 ans.

Les travaux relatifs aux cinquièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW, dont la première concernera la centrale du Tricastin en 2029, ont déjà été engagés depuis la fin de l'année 2023. EDF a même d'ores et déjà entamé la phase de dialogue technique avec l'autorité de sûreté pour définir les objectifs associés au passage des 50 ans pour l'ensemble des réacteurs de 900 MW mais également de 1 300 MW. D'ici la fin de l'année 2024, l'ASN prendra une position sur les orientations des cinquièmes réexamens des réacteurs de 900 MW.

EDF comme l'ASN soulignent l'étape considérable qui aura été franchie à l'issue des quatrièmes visites décennales permettant de prolonger les réacteurs jusqu'à 50 ans. En effet, les investissements significatifs consentis auront permis d'élever les critères de sûreté des centrales du parc historique au niveau des réacteurs les plus récents, de troisième génération, de type EPR et EPR 2. Ils auront aussi permis d'installer le renforcement des conditions de sûreté résultant des enseignements de l'accident de la centrale de Fukushima. Aussi, EDF comme l'ASN estiment que les mises à niveau requises lors des visites décennales suivantes, notamment lors du passage du cap des 50 ans, seront nécessairement moins exigeantes, même si elles requerront de nouveaux investissements, notamment pour rehausser le degré de résilience des centrales aux conséquences des dérèglements climatiques (principalement du fait de l'augmentation des températures d'air et d'eau, des étiages et inondations sévères ou encore des phénomènes climatiques extrêmes).

À ce titre, le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, a déclaré devant la commission d'enquête : « en France, la prolongation du fonctionnement de certains réacteurs au-delà de quarante ans a conduit à une importante mise à jour : le gap franchi lors de la quatrième visite décennale n'est pas représentatif de celui qui serait à franchir lors de la cinquième ou de la sixième visite, car, d'ici là, nous aurons porté la sûreté du parc le plus ancien au même niveau que celle des EPR. Des améliorations devront encore être apportées et nous devrons certainement prendre en compte l'impact du réchauffement climatique, mais ces ajustements seront d'une moindre ampleur »560(*). Dans ses réponses à la commission d'enquête, EDF souligne ainsi que la préparation des cinquièmes réexamens périodiques sera « l'occasion de réduire l'impact des installations sur les ressources et de conforter la résilience des installations aux agressions naturelles liées au climat ».

Dans ces conditions, la commission d'enquête considère qu'au regard des éléments auxquels elle a pu avoir accès, il est possible de se montrer résolument optimiste quant aux perspectives de prolongation du fonctionnement du parc existant jusqu'à au moins 60 ans. Cette prolongation permettrait de capitaliser sur les investissements importants, bien que d'ores et déjà rentables économiquement pour une durée de fonctionnement de 50 ans, qui auront été consentis pour franchir le cap des 40 ans.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a témoigné de sa confiance dans le scénario de la prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs du parc existant jusqu'à 60 ans : « EDF est confiante dans sa capacité à remplir les conditions de sûreté nécessaires à la poursuite de fonctionnement de tous ses réacteurs, au-delà de leurs cinquièmes réexamens périodiques. Quelques réacteurs présentent une sensibilité technique particulière, mais pour chaque situation, des solutions de traitement ou de modifications existent, permettant d'envisager la poursuite d'exploitation au-delà de 50 ans ».

Sur la base d'une note technique qui lui avait été transmise par EDF au mois d'avril 2023561(*), le 13 juin 2023, l'ASN a rendu un premier avis relatif aux perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans562(*). Dans cet avis, l'Autorité a notamment identifié deux sujets techniques principaux qui devront faire l'objet d'une expertise toute particulière de la part d'EDF, concernant neuf réacteurs du parc pour une puissance totale de 8,5 GW :

- d'une part la résistance mécanique de certaines portions des tuyauteries principales du circuit primaire de cinq réacteurs, appelées « coudes E » ;

- d'autre part la prise en compte, pour les quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Cruas, du retour d'expérience du séisme survenu au Teil le 11 novembre 2019.

Sur ces deux sujets, EDF a apporté de premières pistes de réponses à l'ASN563(*) qu'elle a jugé crédibles à ce stade mais qui doivent encore faire l'objet d'expertises complémentaires.

Les premières réponses apportées par EDF à l'ASN sur les deux problématiques soulevées dans l'avis du 13 juin 2023 relatif aux perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans

Concernant la résistance mécanique des « coudes E », EDF a présenté depuis la remise de l'avis des pistes d'actions pour compléter ses analyses initiales, dans lesquelles cinq réacteurs présentaient un « coude E » dont la poursuite de fonctionnement jusqu'à 60 ans n'était pas acquise.

L'ASN considère que ces différentes pistes étudiées par EDF pour exploiter ces coudes jusqu'à 60 ans sont crédibles, mais qu'elles nécessitent encore des travaux pour aboutir à des justifications recevables et être mises en oeuvre. Ces travaux seront poursuivis dans le cadre des travaux d'anticipation sur la durée de fonctionnement des réacteurs électronucléaires jusqu'à 60 ans et au-delà, qui donneront lieu à une première prise de position fin 2026 et de façon plus détaillée à l'occasion des cinquièmes réexamens périodiques des réacteurs concernés.

Sur la prise en compte du retour d'expérience du séisme du Teil, des travaux sont en cours pour caractériser les extensions du réseau de failles mis en évidence par ce séisme, qui a provoqué une rupture en surface sur plusieurs kilomètres, avec des soulèvements et des décalages du sol de plusieurs centimètres. Ces suites sont portées dans le cadre des travaux sur la thématique du séisme associés au cinquième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

L'avis du 13 juin 2023 souligne aussi les enjeux relatifs à l'adaptation des réacteurs aux conséquences des dérèglements climatiques : « la prise en compte du changement climatique dans le cadre de la poursuite de fonctionnement nécessite un approfondissement des connaissances scientifiques de la part d'EDF, ainsi qu'une réflexion sur les évolutions technologiques des installations, dans le cadre d'une approche globale et de long terme ».

Dans ce même avis, l'ASN a demandé à EDF de lui apporter des justifications complémentaires d'ici à la fin de l'année 2024 afin qu'elle puisse prendre une position d'ici la fin de l'année 2026 sur la perspective de poursuite du fonctionnement des réacteurs actuels jusqu'à 60 ans et même au-delà. Les travaux correspondants font l'objet d'un programme de recherche et développement conjoint entre EDF et le CEA (voir infra le sujet de l'enjeu de la prolongation des réacteurs du parc existant au-delà de 60 ans).

4. Économiquement, la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire en exploitation est très compétitive

Comme démontré supra dans les développements relatifs aux coûts de production du parc existant, la prolongation des réacteurs actuels est, sur le plan économique, une solution extrêmement compétitive. Ce constat fait l'objet d'un très large consensus. Le coût de prolongation des réacteurs du parc électronucléaire historique se situerait, selon les hypothèses, entre 30 euros par MWh et 40 euros par MWh, c'est-à-dire un niveau beaucoup plus compétitif que toute autre solution alternative.

C'est pourquoi, pour la commission d'enquête, la pertinence de la prolongation des réacteurs du parc nucléaire actuelle ne fait absolument aucun doute tant qu'ils répondront aux exigences de sûreté requises. Aussi, et parce que les données sur lesquelles elle a pu s'appuyer démontrent que cette perspective est très réaliste, retient-elle, dans son scénario de mix de production à horizon 2035, l'hypothèse d'une prolongation de l'ensemble des réacteurs du parc nucléaire historique jusqu'à au moins 60 ans.

De ce fait, dans le scénario de production qu'elle retient, la puissance installée du parc nucléaire se maintiendra à son niveau actuel de 63 GW (en intégrant le réacteur EPR de Flamanville) jusqu'en 2035.


* 557 Article L. 593-18.

* 558 Qui a concerné les études et les modifications des installations communes à tous les réacteurs de 900 MW qui sont conçus sur un modèle similaire.

* 559 Sur le modèle de la décision n° 2021-DC-0706 du 23 février 2021 précitée pour le palier des réacteurs de 900 MW.

* 560 Table ronde du 6 février 2024.

* 561 Une analyse qui s'appuyait notamment sur des retours sur expérience de centrales aux Etats-Unis, en Inde, au Canada ou en Suisse, pays dans lesquels des réacteurs de conception analogue fonctionnent d'ores et déjà depuis plus de 50 ans.

* 562 Avis n° 2023-AV-0420 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 13 juin 2023 sur les perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans.

* 563 Voir l'encadré ci-après.

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