E. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ D'UNE PROGRAMMATION DE LONG TERME SUR L'ÉNERGIE

Avant le 1er juillet 2023, le Parlement aurait dû adopter la loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat, comme le prévoit le code de l'énergie dans son article L. 100-1 A. Il revient, en effet, à la Représentation nationale de définir « les objectifs et de fixer les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique ». Dans les six mois, c'est-à-dire au début de l'année 2024, une programmation pluriannuelle de l'énergie et une stratégie nationale bas-carbone actualisée devaient aussi être adoptées.

La commission d'enquête constate qu'aucun texte n'a été déposé sur le Bureau d'une des assemblées près d'un après le terme fixé par la loi. Un avant-projet de loi relatif à la souveraineté a bien été présenté au mois de janvier 2024. Pourtant il n'a toujours pas été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Et le Gouvernement, après nombre d'atermoiements, a annoncé qu'en définitive ce texte ne verrait pas le jour.

Roland Lescure, ministre de l'Industrie et de l'Energie a clairement assumé ce choix devant la commission d'enquête : « Après mes discussions avec les parlementaires qui suivent les sujets énergétiques de près, j'ai abouti à la conclusion que le mix énergétique nécessitait un passage par décret. En effet, je considère que les incertitudes, plutôt à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, d'ailleurs, sur la capacité à aboutir à un consensus autour du mix énergétique français dans les cinquante années à venir, étaient trop grandes. »68(*)

Or, notre pays a évidemment besoin d'une programmation qui définisse les grandes orientations sur le long terme des politiques énergétique et climatique.

Cette absolue nécessité de disposer d'une loi de programmation en matière d'énergie et de climat a aussi été rappelée avec force, à de nombreuses reprises, par les acteurs économiques du secteur. « Nous avons besoin d'une loi de programmation sur l'énergie. Elle devait être adoptée, au titre de la loi « climat et résilience », avant juillet 2023. Il faut s'y engager sans tarder, car l'ampleur de ces transformations et des obstacles à franchir nécessite un peu de consensus et de la visibilité », a ainsi déclaré Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), lors de son audition devant la commission d'enquête, le 6 mars 2024.

Nicolas Goldberg, associé énergie et environnement chez Colombus Consulting, en a signalé l'importance majeure à la commission d'enquête, lors de son audition : « Cependant, tous ces leviers seront vains en l'absence de programmation énergétique sérieuse. Si nous ne programmons pas nos objectifs en termes d'évolutions de notre système énergétique, de maîtrise de la consommation, de décarbonation de l'économie et d'électrification, nous serons condamnés à payer des boucliers tarifaires et à éponger la casse sociale et industrielle. Nous avons besoin de cette programmation énergétique pour le climat mais aussi pour notre compétitivité économique et la préservation de notre tissu social »69(*).

Les acteurs de la filière nucléaire ont aussi rappelé que leurs projets avaient besoin de stabilité et se concevaient sur le temps long. À titre d'exemple, Nicolas Maès, directeur général d'Orano, avait présenté à la commission d'enquête un véritable plaidoyer pour inscrire la stratégie française en matière de cycle du combustible nucléaire dans un texte législatif : « Si nous admettons ensuite que, quels que soient le mix énergétique et la part du nucléaire dans ce mix, il y aura besoin du cycle, dans son amont et dans son aval, alors cela ne sert à rien de repousser des décisions inévitables. Puisqu'il va falloir les prendre, prenons-les ! Cela permet de les gérer ensuite dans le temps et de ne pas démarrer les projets en retard.

Faire voter par la représentation nationale la pérennisation de la stratégie de traitement-recyclage l'ancrerait dans la loi et lui offrirait une légitimité politique, à l'instar de la loi Bataille, qui a créé un consensus politique autour de la légitimité du projet de stockage géologique des déchets, Cigéo, dont vous parliez tout à l'heure. Il peut y avoir d'autres moyens, mais la préférence d'Orano va vers la loi, pour la légitimité politique qu'elle confère.

Faut-il décider très vite maintenant ? Cela ne sert à rien de repousser des décisions inéluctables. Pour mobiliser la chaîne de sous-traitance, il faut y aller maintenant, et se lancer dans des décisions pour l'aval du cycle. »70(*)

Tout cela, sans compter que la France doit avoir une stratégie au sein de l'Union européenne et disposer d'un socle solide, expertisé, concerté et légitime pour la défendre.

Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l'énergie atomique, a ainsi souligné la nécessité impérieuse de tenir compte des « échelles de temps » spécifiques de l'énergie : « Dans un monde ou le discours prime l'action et l'évènement sur la durée, on a juste oublié les échelles de temps nécessaires pour une politique énergétique rationnelle : compte tenu des investissements nécessaires, et de leur durée d'exploitation, une politique énergétique doit être définie à l'échelle de plusieurs décennies. Les « programmations pluriannuelles de l'énergie » qui portent sur quelques années seulement, sont des outils de communication, pas des outils de programmation, il est urgent d'en prendre conscience. »71(*)

La commission d'enquête fait sienne cette vision à long terme et estime nécessaire que la France se dote d'une stratégie pluridécennale, fondée sur un socle scientifique et non idéologique, dont les programmations pluriannuelles, les PPE, devraient être une déclinaison concrète glissante et non un outil de communication. Sa réussite dépend de notre capacité à anticiper ce qui sera notre futur énergétique. Il en va de l'avenir de notre souveraineté énergétique et industrielle.

La commission d'enquête estime donc que la France doit se doter, dans les meilleurs délais, d'une loi de programmation sur trente ans qui doit définir ses objectifs énergétiques. Le rôle du Parlement est d'être au coeur de ces débats qui seront l'occasion d'une véritable concertation avec les acteurs industriels mais, au-delà, méritent de faire l'objet d'une large appropriation par les Français. C'est dans cet esprit, et avec l'intention de fournir une base rationnelle, équilibrée et pragmatique à de tels débats que la commission d'enquête a travaillé.

Recommandation n° 5

Destinataire

Échéance

Support/Action

Proposer et déposer un texte de programmation énergie-climat afin que les grandes orientations stratégiques de la politique énergétique soient débattues au Parlement

Gouvernement

Parlement

2024

Projet de loi de programmation pluriannuelle


* 68 Audition du 23 mai 2024.

* 69 Audition du 13 février 2024.

* 70 Audition du 13 février 2024.

* 71 Yves Bréchet, « Quelles conditions pour relancer durablement le nucléaire en France ? », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 113, no. 1, 2024, pp. 103-108.

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